CIFRE, pour quel avenir professionnel

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CIFRE, pour quel avenir professionnel
CIFRE, pour quel avenir professionnel ?
25 ans des conventions CIFRE, 7 décembre 2006, Paris, Collège de France
Table ronde 2 :
académique ?
CIFRE
:
quelle
perception
par
le
secteur
Bruno ROUGIER, France Info
Le thème suivant a pour titre : « CIFRE : quelle
perception par le secteur académique ? » Pour ce
débat, nous accueillons Bernard CARRIERE, VicePrésident Recherche à la Conférence des Présidents
d’Universités et Président de l’Université Louis Pasteur
de Strasbourg, Benoît LEGAIT, Directeur de l’Ecole
des Mines de Paris, Mauro GAIO, professeur au
Laboratoire informatique de l’Université de Pau et des
Pays de l’Adour, ancien CIFRE de 1989, Georges
STAMON, professeur au Laboratoire des systèmes
intelligents de perception à l’Université René
Descartes, Bernard MICHON, Vice-Président de
l’Université Marc Bloch de Strasbourg, et Philippe
FREYCHAT, Directeur de la Recherche chez Décathlon.
Il est vrai que le statut de doctorant est souvent
perçu
comme
ambigu,
mi-étudiant
et
miprofessionnel. Il semble qu’il y ait une véritable
différentiation sur l’avenir des doctorants selon le
mode de financement des thèses. Certains vont
même jusqu’à dire que, lorsque dans le public on voit
arriver une demande émanant d’un CIFRE, cette
demande atterrirait sous la pile des dossiers de
candidature, considérée peut-être comme une thèse
au rabais. Je joue ici la provocation. Une chose
certaine est que depuis vingt-cinq ans de CIFRE,
seulement 10 % d’entre eux rejoignent une université
ou des organismes publics.
Quand vous voyez arriver une thèse CIFRE, la considérez-vous au même niveau
qu’une thèse universitaire ?
Bernard CARRIERE
J’ai entendu certains intervenants dire qu’une convention CIFRE doit prendre en compte une
demande industrielle et la traduire en un sujet de thèse. Je crois que la bonne question est à
ce niveau précis. Nous ne considérons pas a priori les CIFRE et les possibilités de thèse comme
un autre type de thèse. Ayant dirigé longtemps un institut dans le domaine de la physique et
chimie des matériaux, j’ai été confronté à cette difficulté. Nous avons constaté que la thèse
produite n’était pas forcément conforme aux standards d’une thèse tels que les exigences
d’une école doctorale les imposeraient aujourd’hui.
J’ai apprécié, dans la table ronde précédente, une intervention qui évoquait le fait que les
CIFRE intéressaient aussi les PME et PMI. J’ai également été confronté à la difficulté d’une
CIFRE associant une entreprise de taille moyenne n’ayant pas de potentiel de recherche réel. Il
a été très laborieux de la conduire jusqu’au bout. J’ai, bien sûr, d’autres exemples s’inscrivant
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en faux. Mais je ne confirmerai pas que l’on place ce type de financement en dessous de la
pile.
Benoît LEGAIT
Il ne s’agit pas d’un dossier arrivant dans une pile : une thèse CIFRE est le résultat du dialogue
entre une entreprise et un établissement d’enseignement supérieur. Ce dialogue porte bien
évidemment sur le sujet avec, d’une part, une préoccupation industrielle et, d’autre part, pour
le laboratoire, le souhait de développer des axes scientifiques. C’est un peu la rencontre entre
ces deux visions qui fait naître un sujet de thèse.
Pour ce qui concerne le recrutement du docteur en CIFRE, il existe de nombreux cas de figure.
On retrouve naturellement le cas où la grande entreprise essaie de recruter en direct. Par
exemple, à l’École des Mines de Paris, nous disposons de procédures de recrutement des
doctorants, par le site web, par les masters de recherche en partenariat avec les universités ou
encore par les écoles d’ingénieurs partenaires. Au final, nous trouvons trois ou quatre
candidats de valeur pour un poste. De manière générale, l’entreprise recherche elle aussi un
candidat. Il faut donc que le candidat convienne au laboratoire et à l’entreprise. L’image du
dossier en dessous ou au-dessus de la pile me paraît assez éloignée de la réalité du terrain.
Parlons du financement. En quoi les thèses CIFRE se différencient-elles des autres
thèses ?
Bernard MICHON
Je pense que l’on doit garder l’hypothèse d’une possible différence. En effet, des stratégies
peuvent se développer dans les laboratoires en pensant qu’il existe des applications à trouver
avec un certain nombre d’entreprises, par rapport à des sujets qui seraient plus nobles sur le
plan académique. Ceci constitue pour moi un cas particulier. Votre image de dossiers sous la
pile est provocatrice et ne renvoie à aucune réalité. Par exemple, j’ai signé une convention
CIFRE quand j’étais directeur de laboratoire en 1992. Je l’ai effectuée avec un grand groupe
international, et j’avais un contrat de recherche en cours pour mon laboratoire en même
temps. Un doctorant est venu me voir, désirant travailler en entreprise et, au fil des
discussions, on a pu construire son projet de thèse. Aujourd’hui ce docteur est directeur d’une
partie du groupe. Par cet exemple, je veux montrer que c’est toute l’histoire du laboratoire qui
peut conduire à un échange. On n’est pas à la recherche d’un financement pour une thèse
parce qu’on a un bon sujet, pas plus qu’une entreprise n’est à la recherche d’un thésard parce
qu’elle a un besoin cadré pour dix-huit ou vingt-quatre mois. C’est plus complexe, et il est
préférable de poser le problème en termes de politique d’entreprise et de politique de
laboratoire.
Seulement 10 % des CIFRE rejoignent les universités ou les organismes publics.
Quelle insertion professionnelle voyez-vous pour les CIFRE dans le secteur public ?
Mauro GAIO
J’ai eu une convention CIFRE en 1989 et, à la fin de ma thèse, je me suis posé la question de
savoir si j’allais rejoindre le secteur privé ou non. Les choses ont fait que je suis resté dans un
établissement public, sans pour autant avoir vu de portes se fermer. J’ai pu devenir directeur
de laboratoire. Je suis peut-être minoritaire, mais c’est sûrement parce que les offres faites par
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les entreprises à la sortie de la thèse sont sans commune mesure avec les offres faites par les
établissements publics.
Bernard CARRIERE
Une thèse CIFRE n’est pas une thèse différente dans son contenu, dès lors qu’elle doit
répondre à une exigence de qualité en matière de recherche. Toutes les possibilités sont
ouvertes pour un CIFRE, et en particulier la possibilité de s’orienter vers la recherche publique.
Par la suite, ce sont des choix personnels. Pour ma part, j’ai obtenu une bourse d’une industrie
verrière pour préparer un doctorat ingénieur et j’ai fait le choix après ma thèse d’entrer au
CNRS et de rester finalement au sein de l’Université. Je pense que ces 10 % représentent
beaucoup de collègues ayant des responsabilités importantes au sein de nos établissements.
Benoît LEGAIT
Il me semble que les jeunes CIFRE sont a priori intéressés par les partenariats avec le monde
industriel. S’ils sont plus nombreux à rejoindre l’entreprise que ceux qui font une thèse
« classique », cela tient en partie à leur motivation à venir dans le monde économique.
Cependant, ce sont des thèses de même nature, qui passent aussi devant un jury académique.
À l’Ecole des Mines de Paris, nous recrutons parfois pour nos postes d’enseignants chercheurs
permanents des jeunes qui ont passé une thèse en CIFRE.
Georges STAMON
J’ai dirigé de nombreuses thèses dans ma carrière de professeur, en majorité en France, mais
aussi aux Etats-Unis, au Canada et en Suisse. J’ai dirigé une quinzaine de CIFRE. Je peux
confirmer que les CIFRE sont très appréciés dans l’industrie. Le fait qu’un candidat souhaite
une convention CIFRE démontre effectivement sa motivation industrielle. Je travaille aussi
souvent avec l’Université de Californie qui accueille beaucoup de CIFRE français, qui y sont très
appréciés. Ce savant dosage entre théorie et application correspond davantage au modèle
nord-américain. Certains de ces mêmes CIFRE ont créé des entreprises très prospères
actuellement. C’est une réussite, pas uniquement sur le plan local et national, mais aussi sur le
plan international.
Philippe FREYCHAT, vous travaillez chez Décathlon. Vous y êtes arrivé vendeur en job
d’été, et vous vous êtes dit qu’il y avait quelque chose à y faire au niveau de la
recherche. Derrière votre convention CIFRE s’est créé un véritable département
recherche chez Décathlon.
Philippe FREYCHAT
En effet, il s’agit d’une entreprise que j’ai découverte dans le cadre d’un job d’été. En 1990,
cette société amorçait un virage pour passer de distributeur à industriel de matériel de sport.
J’ai alors voulu tenter l’aventure. La convention CIFRE a été l’élément déclencheur qui a permis
à Décathlon de relever le challenge et de se doter d’un centre de recherche rivalisant avec les
plus grands dans ce secteur, comme Nike ou Adidas. Ainsi, nous avons une quarantaine de
chercheurs, dont une vingtaine sont des chercheurs à temps plein. Nous aurons dix thésards
CIFRE en 2007, et nous avons un volant constant d’une dizaine de masters, de stagiaires ou de
CDD.
J’ai souvent la chance d’être invité dans des jurys de thèses que nous avons accompagnées en
CIFRE. Je voudrais témoigner du fait que ces thèses CIFRE ne passent pas sous la pile. Au
contraire, je perçois plutôt une fierté de la plupart des laboratoires qui peuvent dire qu’ils
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travaillent avec une entreprise prestigieuse. Toutefois, j’entends beaucoup de thésards se
plaignant de ne pas avoir assez d’encadrement et de disponibilité de leurs directeurs de thèse.
Sans trahir le secret du jury, j’entends régulièrement qu’il n’est pas nécessaire de donner une
mention à un étudiant qui n’en aura pas besoin pour la suite de sa carrière. On donnerait
plutôt la mention à ceux qui resteront dans le sérail. Après, on doit récupérer une certaine
frustration des gens qui ont fait une thèse aboutissant à des brevets ou des succès
commerciaux, et qui n’ont pas la mention attendue.
Comment réagissez-vous à cet ostracisme ?
Bernard CARRIERE
Je ne pense pas qu’il existe un réel ostracisme,
surtout pas lié au fait que le doctorant CIFRE
n’aurait pas vocation à rester dans le système
académique. Je m’inscris en faux sur ce point. À
l’université LOUIS PASTEUR, nous avons supprimé
les mentions, comme dans un certain nombre
d’universités en France. Il ne peut donc y avoir
d’ostracisme de ce point de vue.
Georges STAMON
30 % des universités gardent encore le système des
mentions, dont PARIS V. Un des critères
d’appréciation d’une thèse et de la mention qui en
résulte, c’est le nombre de publications. Or, parfois,
dans le cadre des CIFRE, on ne peut pas tout
publier
pour
des
raisons
industrielles
et
stratégiques. Je peux témoigner d’avoir entendu ce
type de réflexions au sein des jurys.
Benoît LEGAIT
Au sujet de l’encadrement, tout dépend de la façon
dont la convention CIFRE a été bâtie et de la
répartition du temps passé par l’étudiant dans le
laboratoire et l’entreprise. Le suivi du laboratoire
n’est donc pas toujours le même.
D’autre part, des formations d’accompagnement complémentaires sont prévues dans le cadre
des écoles doctorales, que ce soit dans le domaine scientifique concerné ou pour préparer à la
gestion de projet, à l’innovation ou à la connaissance de l’entreprise. Celles-ci sont tout autant
nécessaires pour un doctorant CIFRE.
Au niveau de la reconnaissance académique par les jurys, il s’agit d’un problème général dans
les sciences de l’ingénieur. Celles-ci font par nature appel à différentes disciplines. Par
exemple, les matériaux recouvrent à la fois de la mécanique, de la physicochimie, de la
tribologie et de la modélisation numérique. Quand on rassemble un jury, chaque professeur est
soucieux des progrès dans sa discipline. Ainsi, l’évaluation du travail de thèse interdisciplinaire
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peut parfois en pâtir. Le problème de l’évaluation me semble plus lié aux sciences de
l’ingénieur qu’à la nature CIFRE de la thèse.
Justement, du point de vue de la Conférence des grandes écoles, quel intérêt voyezvous à passer une thèse pour un ingénieur ?
Benoît LEGAIT
C’est une formation complémentaire très intéressante par rapport à la formation d’ingénieur
seule. La formation par la thèse est une démarche tout à fait différente. Au cours du travail de
thèse, il s’agit de faire avancer la science, avec des exigences académiques. En appui du socle
que constitue le travail de thèse, il y a des compléments importants pour un ingénieur. Par
exemple, le fait de savoir bien écrire un article scientifique, ou encore parler dans un colloque
international.
Bernard MICHON, quel est votre regard sur les jeunes thésards en sciences
humaines ?
Bernard MICHON
À l’époque où j’ai signé ma première convention CIFRE, je me sentais un peu seul dans ce cas
de figure pour les sciences humaines. Si j’ai un plaidoyer à faire, c’est celui de la
reconnaissance des sciences sociales comme champ de savoir. Le plus souvent, les sciences
sociales se sont construites et les entreprises ont ignoré leurs possibilités de compétences à
très haut niveau. Il y a ici un retard français, en particulier par rapport à l’Allemagne ou
l’Angleterre.
En France, on a encore du mal à comprendre qu’il s’agit de vraies sciences, et non pas d’un
discours littéraire. Il existe pourtant une logique de production de la connaissance scientifique
qui s’y applique. L’université française doit rendre cela plus lisible pour le monde de
l’entreprise. Par exemple, une PME de soixante salariés m’a proposé une convention CIFRE et
m’a avoué qu’elle ignorait comment elle pourrait se développer sans notre aide. L’ingénieur de
cette entreprise, avec qui nous avons travaillé, nous a dit avoir beaucoup appris. Tout s’est
passé comme si nous avions gagné nos galons en travaillant avec cette entreprise. C’est un
exemple qui montre à quel point il existe un problème d’information et de connaissance de ce
domaine.
Philippe FREYCHAT
Je souscris aux propos de Monsieur MICHON. On peut de moins en moins assimiler l’innovation
uniquement à l’amélioration technologique, car cela consiste aussi à détecter les nouveaux
ressorts du marché.
Est-ce que DÉCATHLON utilise les sciences humaines pour essayer de dégager les
nouvelles tendances du marché ?
Philippe FREYCHAT
L’un de nos dix thésards est dans ce cas. Il a été thésard à l’Université de Strasbourg
d’ailleurs, et a été rattaché au service marketing. Son métier est effectivement de trouver des
méthodes pour scruter le marché et nous aider à mieux détecter les tendances.
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À partir du moment où les jeunes qui font des conventions CIFRE sont passés par le
crible de l’ANRT, cela ne vous donne-t-il pas une garantie de qualité de ces jeunes ?
Bernard CARRIERE
Encore faudrait-il que nous nous interrogions sur la qualité. Nous savons que les candidats
CIFRE sont des candidats solides, qui pourraient prétendre à d’autres formes de financement.
En revanche, il reste la question de la reconnaissance de la thèse au même titre que celles qui
sont conduites dans le cadre d’une allocation de recherche. La question des possibilités de
publication, pour certaines communautés, peut être un critère déterminant, mais ne devrait
pas être un critère qualitatif.
Georges STAMON
Il existe une sorte de filtrage sémantique. Le fait que le candidat se présente sous le montage
appelé CIFRE, avec ses composantes de discussion, est un signe de qualité. La qualité
augmente encore depuis quelques années avec les écoles doctorales et l’introduction de
formation comme « création des entreprises ». Aux Etats-Unis, il existe des cours appelés
« service – théorie et pratiques », qui sont très suivis dans l’université californienne. Cette
formation commence à arriver en France avec les écoles doctorales, où je déplore d’ailleurs le
manque de moyens. Il existe également des cours de rédaction des articles. Il nous faut aussi
introduire massivement l’utilisation de l’anglais.
Bernard MICHON
Tout le monde attend beaucoup des écoles doctorales, et l’on dit poliment qu’elles n’ont pas
assez de moyens. En fait, elles n’ont pas les moyens du tout : on leur permet de survivre,
mais pas de construire et de développer une politique. Un texte paru cet été visait à modifier
ou à préciser certains éléments, mais ce texte est muet concernant ce que pourront faire les
écoles doctorales. On nous demande de remédier à la situation et de faire ce que l’on n’a
jamais su faire, c’est-à-dire financer la formation à la recherche. Je fais partie d’une école
doctorale où nous partageons l’expérience scientifique avec des collègues de toute l’Europe.
Quand on a payé quelques déplacements, il ne reste quasiment plus de moyens et l’on doit
attendre l’année suivante pour entreprendre une autre action. Les moyens, ce n’est pas
simplement dans le cadre du contrat quadriennal de développement qu’il faut les envisager, ce
sont des moyens en termes généraux qu’il faut définir. Il faut parler des écoles doctorales en
termes de surface, de postes et de crédits : finançons-les non pas comme on finance
simplement une structure, mais finançons aussi leurs missions.
Le moment est venu de passer aux questions de la salle. Monsieur MICHON, vous
avez une alliée dans le domaine des sciences humaines en la personne de Caroline
FOURRIER, qui est CIFRE.
Caroline FOURRIER, Doctorante CIFRE, GROUPE VAUBAN
Je travaille en droit de la Santé, sur le contrôle médical en tant qu’instrument de régulation,
sous la direction du Président de l’Etablissement Français du Sang, qui est rattaché à
l’Université de LILLE II. Mon groupe partenaire, le groupe VAUBAN, est un groupe de
protection sociale complémentaire que j’ai intégré en tant que juriste pour encadrer et monter
un service médical. Je viens de terminer mes trois ans de convention CIFRE. L’aspect positif
que j’en retire est d’avoir pu découvrir le monde de l’entreprise. J’ai pris, en quelque sorte, les
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responsabilités de chef de projet sans réellement le vouloir, car il s’agissait d’un projet
embryonnaire. J’ai aussi découvert des sources de droit que je n’aurais pu découvrir qu’au sein
d’une entreprise. J’ai fait valoir d’autres qualités professionnelles comme l’organisation, le
montage d’un projet et le fait de travailler avec d’autres compétences que des juristes. J’ai
connu quelques difficultés pour trouver ma place dans l’entreprise, où je suis la seule
convention CIFRE. On m’a donc attribué tous les postes : organisatrice, juriste, stagiaire. Au
bout de trois ans, je suis reconnue en tant qu’expert dans mon domaine.
Effectivement le monde des sciences humaines et sociales est très méconnu au niveau du
statut de doctorant en entreprise. On a du mal à projeter sur le long terme ce que peut
produire un doctorant en droit par exemple. Sur mon projet de service médical, nous avons
gagné de l’argent, mais je pense que je vais devoir me porter toute seule quant à mon avenir
dans cette entreprise. Un autre problème réside dans la durée de trois ans de financement,
pour un critère d’entrée de cinq ans de thèse. Cela a donc été difficile de rester dans
l’entreprise aux conditions CIFRE.
De la salle, Paul ACKER, Directeur du Centre de Recherche, GROUPE LAFARGE
Le centre de recherche dans lequel je travaille représente 220 personnes en France. Le groupe
LAFARGE est un groupe international, et nous avons un gros besoin d’internationalisation de la
recherche pour deux raisons. La première est qu’un certain nombre de nos travaux de R&D
débouche sur de nouveaux produits et des innovations. Nous avons besoin de développer ces
innovations dans des unités qui ne se trouvent pas nécessairement en France, car ces
innovations marchent souvent mieux dans d’autres pays. Le fait que la majorité de nos
recherches soient encore françaises peut être un handicap de ce point de vue.
La deuxième raison pour laquelle nous avons besoin d’ouvrir notre recherche est que nous
nous appuyons sur un réseau universitaire scientifique international. J’observe, notamment au
niveau des thèses, de plus en plus de coopérations non pas bilatérales mais triangulaires, où
deux universités sont associées. J’ai même le sentiment que, en tant qu’industriels impliqués
dans la R&D, nous jouons un peu le rôle de chef d’orchestre dans cette coopération
internationale riche.
Nous avons aussi entre quinze et vingt doctorants, dont une majorité de CIFRE dont nous
sommes très contents. Mais les CIFRE demeurent très français. J’ai été jury dans un certain
nombre de thèses, en France et à l’étranger, et je constate que l’on n’observe pas le même
niveau de rigueur. Le problème n’est pas spécifique aux CIFRE. Je pense toutefois que les
CIFRE souffrent d’un manque de rigueur dans le processus de validation de la thèse.
Bernard CARRIERE
Aujourd’hui, je ne pense pas qu’on puisse dire que les CIFRE souffrent d’un manque de rigueur
du système français avec l’encadrement de l’accréditation des écoles doctorales, de la
labellisation des unités de recherche sur lesquelles elles vont s’appuyer, et avec ce que les
universités ont mis en place pour attester qu’une thèse est soutenue. Il existe nécessairement
des marges de progression, en France comme ailleurs. Mais il faut bien mesurer les politiques
constantes des ministères dans le cadre de la contractualisation des établissements, des
laboratoires et des écoles doctorales. Il y avait sûrement une situation plus contrastée
auparavant, car la rigueur qui accompagne la labellisation des unités de recherche n’était pas
la même. Aujourd’hui, cette situation est largement dépassée.
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Benoît LEGAIT
Nous avons incontestablement des progrès
à faire. A l’École des Mines de Paris, nous
avons l’ambition de faire du doctorat un
diplôme phare, au même titre que la
formation d’ingénieur. Cette ambition, qui a
été formalisée dans notre plan stratégique,
suppose des procédures nouvelles de
recrutement, de suivi, de formations, et de
suivi post-diplôme. Nous nous inspirons du
modèle
anglo-saxon.
En
termes
de
procédure de suivi par exemple, nous
voulons des rendez-vous annuels avec les
doctorants,
avec
une
présentation
obligatoire devant le personnel scientifique
et devant les collègues doctorants de
l’école, afin de dialoguer sur le contenu de
la thèse. Tout cela avec des exigences
croissantes dans le temps. Ainsi, à la fin de
la première année, on demande au
doctorant d’avoir défini un programme de
travail. D’ores et déjà, nous voyons 10 %
des doctorants ne pas franchir cette étape.
En fin de deuxième année, nous vérifions
les projets de publications et les premiers
résultats, afin qu’à la troisième année, le
projet soit complètement ficelé.
Cette ambition est partagée avec les
réseaux dans lesquels nous sommes, le
groupe des Ecoles des Mines et PARIS
TECH. PARIS TECH va d’ailleurs lancer un
programme
de
formation
doctorale
complémentaire assez ambitieux. Il va
demander le soutien des entreprises pour
financer l’accompagnement en formation de
ces
doctorants
que
nous
voulons
d’excellence. Il s’agit de formation en
connaissance de l’entreprise, en gestion de
projet et en gestion de la technologie.
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De la salle, un docteur de l’Université PARIS IV
Je suis docteur de l’université de la SORBONNE, PARIS IV. J’ai réalisé un système de recherche
d’informations et j’ai déposé les travaux de ma thèse. Je suis également auteur d’une dizaine
d’articles internationaux. Je pense avoir fait ce que vous appelez une thèse « classique ». Je
voudrais savoir quelle est la différence entre une thèse dite « classique » et une thèse CIFRE.
Actuellement, ni mon ancien laboratoire de recherche ni l’université PARIS IV n’acceptent de
valoriser ce travail au niveau académique.
Bernard CARRIERE
D’après vous, le problème viendrait d’une différenciation trop marquée entre thèse classique et
thèse CIFRE : dès lors que l’on serait engagé sur l’une ou l’autre, certaines portes se
fermeraient. Si tel était le cas, je le déplorerais. Ce que l’on observe, en sciences exactes, c’est
que l’industrie recrute aussi bien des docteurs ayant soutenu une thèse classique que des
docteurs CIFRE. J’ajoute que les docteurs ayant bénéficié d’un financement comme la
convention CIFRE peuvent faire le choix d’entrer dans le dispositif de recherche académique,
même si c’est en faible proportion.
Qu’en est-il des sciences humaines ?
Bernard MICHON
C’est un peu plus compliqué. Le problème qui a été soulevé ici est réel : il existe des sujets de
thèse excellents qui n’ont aucune prise sur les espaces économiques de notre société. Il est
difficile de les valoriser en termes économiques, alors qu’ils sont très intéressants en termes
de savoir scientifique. Je disais tout à l’heure que le système CIFRE peut constituer une
jonction entre une politique de laboratoire et une politique d’entreprise. Dans mon laboratoire,
je n’accepte des sujets en sciences humaines et sociales que lorsque j’ai la possibilité d’avoir
une prise dans la société, et pas simplement dans la perspective d’une carrière universitaire.
Parfois, mais cela n’arrive que tous les dix ans, je permets à un individu brillant de faire une
thèse qui n’a pas d’application immédiate ; il peut ainsi envisager une carrière dans les grands
organismes classiques et devenir une sorte de fonctionnaire de la recherche. Mais c’est très
rare.
La plupart du temps, notre responsabilité consiste à savoir quel est l’avenir socio-économique
d’un sujet de thèse. Pour ce qui me concerne, professionnel de l’enseignement et de la
recherche, payé pour former scientifiquement des gens, je peux me permettre d’avoir des
curiosités sans prise directe avec le monde réel. Dans le domaine du savoir, cela est utile,
voire indispensable. Il existe une logique de production qui fait que nous, universitaires, par
curiosité intellectuelle, nous allons trouver un sujet excellent mais sans avenir économique.
Philippe FREYCHAT
J’atteste qu’il est plus facile, pour un industriel, de recruter un docteur que l’on a préparé dans
le cadre d’une convention CIFRE, formé depuis trois ans et placé sur un sujet qui possède une
vraie prise économique. Cela fait donc appel à la responsabilité des directeurs de thèse laissant
partir des étudiants sur des sujets pouvant s’avérer être des impasses. J’ignore ce qui est fait
pour éviter cela.
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25 ans des conventions CIFRE, 7 décembre 2006, Paris, Collège de France
De la salle Mustapha NADI, professeur, Université NANCY 1
J’ai dirigé un laboratoire pendant dix ans, et je retiens des CIFRE que c’est un dispositif qui
fonctionne. Sa caractéristique qui m’intéresse le plus est la réactivité du système. Dès lors que
l’on a rempli le cahier des charges pour une convention CIFRE, que ce soit pour un élève
ingénieur ou pour un élève de master d’université, on arrive à faire fonctionner ce dispositif
assez facilement. Bien évidemment, il reste toujours les problèmes typiquement français de
savoir ce qui est mieux entre un ingénieur ou un master. Mais cela ne présente, à mon sens,
pas d’intérêt.
Une question plus importante est la formation des thésards avant la convention CIFRE et
pendant la thèse. Je suis étonné de voir que des personnes connaissent très mal le monde
universitaire, de la même manière que nous ne devons pas très bien connaître le monde de
l’entreprise. Je prends l’exemple de notre école doctorale en Lorraine, qui regroupe environ
trois cents étudiants en thèse. Depuis six ans, nous avons mis en place des formations à la
propriété intellectuelle, aux langues vivantes et à la connaissance de l’entreprise. Tout n’est
pas parfait, certes, mais les étudiants apprécient. Je ne comprends pas pourquoi on dit
aujourd’hui que ces formations manquent, alors que nos étudiants ne peuvent pas passer une
thèse s’ils ne valident pas ces modules. Les directeurs d’écoles doctorales présents dans la
salle le savent bien. Sachez, pour ceux qui ne connaissent pas l’université, que cela fait des
années que nous faisons des efforts dans la formation des étudiants au monde de l’entreprise.
Je rejoins d’ailleurs les remarques qui ont été faites sur les moyens.
Quand je dirigeais un laboratoire en électronique d’une trentaine de personnes, à Nancy, nous
ne faisions aucune différence entre le thésard venant d’une entreprise et celui venant de
l’université. Je ne peux pas laisser dire qu’une thèse est une formalité même si le jour de la
soutenance en est une. Il y a toute une validation de la soutenance qui est faite en amont.
Mais il faut savoir que les laboratoires sont évalués en fonction du nombre de thèses qu’ils font
passer. Une thèse qui ne se termine pas, c’est un échec qui compte dans cette évaluation.
Donc, lorsque l’on a la possibilité de faire fonctionner une CIFRE, tout directeur de laboratoire
s’en félicite, malgré les remarques sur le financement et l’accompagnement. En Lorraine, qui
est une région relativement pauvre, lorsque l’on décroche une CIFRE et que l’on a un contrat
d’accompagnement avec une entreprise, la région peut abonder en termes financiers. Il y a
peut-être ici quelque chose à développer pour l’ANRT en ce qui concerne le maillage avec les
régions.
De la salle, Martine PRETCEILLE, Directrice de l’ABG
L’Association Bernard Grégory s’occupe depuis maintenant vingt-cinq ans d’améliorer
l’insertion professionnelle des docteurs de toutes les disciplines, y compris de sciences
humaines et sociales, dans le monde économique. Pour cela, nous avons deux outils : d’une
part, une CVthèque de docteurs aidés et accompagnés pour la mise en ligne de leurs CV ;
d’autre part, des offres d’emploi et tout un accompagnement au niveau de la formation
doctorale pour préparer à cette insertion professionnelle. Actuellement nous avons deux outils
reconnus par le monde économique : les doctoriales et le nouveau chapitre de la thèse. Nous
sommes en train de développer d’autres outils avec les écoles doctorales et le monde
économique. Bien entendu, l’association ne se substitue pas aux actions des écoles doctorales,
mais elle les accompagne afin d’améliorer le processus. Il existe donc des actions déjà mises
en place. Elles ne sont peut-être pas assez connues et nécessitent développement et soutien.
L’Association Bernard Grégory est soutenue par le Ministère de la Recherche, le Ministère des
Affaires étrangères, le CEA et le CNRS. Nous attendons bien sûr un soutien plus fort du monde
économique.
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De la salle, Jean-Marie GARCIA, QOS DESIGN
Je suis chercheur au CNRS et fondateur d’une start-up. Je viens donc un peu des deux mondes
en question. Selon moi, les CIFRE fonctionnent parfaitement, c’est une aide simple à monter,
et je tiens à féliciter ce système. Pour une start-up, c’est une manière de fonder un
département de R&D qui n’existe pas encore. Pour les grands groupes, cela permet sans doute
de s’alimenter en futurs chercheurs. C’est une procédure essentielle lors de la création, ou du
moins pour toute société basée sur l’innovation. Le problème autour duquel nous débattons est
plutôt celui des doctorats en France.
Il faut savoir qu’il existe toute sorte de PhD américains, des bons et des mauvais. Pour parler
de mon expérience post-doctorale américaine, je dirai que le plus impressionnant est d’avoir
vu les plus grosses entreprises venir s’arracher les étudiants pendant qu’ils faisaient leur
thèse, avec des négociations de salaires très élevés, ce qui ne se voit pas en France. Il nous
faut des moyens conséquents pour ces grandes universités, afin d’avoir les meilleurs
professeurs et les meilleurs chercheurs. Il faut aussi que les industriels aident davantage la
recherche et son financement.
De la salle, Alexandre BOCQUILLON, Doctorant CIFRE, EADS
On a vu une réforme pour le LMD, avec un texte pour le « L », un texte pour le « M ». Mais
qu’advient-il du « D » ? Quel texte encadre le doctorant, notamment au niveau européen ?
Bernard CARRIERE
S’agissant des textes, un arrêté sur la formation doctorale est sorti l’été dernier. Il rappelle
précisément ce que sont les missions des écoles doctorales et la nécessité de les organiser
autour d’unités reconnues. Il est également précis sur la notion d’accompagnement du
doctorant et sur le suivi de l’insertion professionnelle. Ce texte énonce très bien ce qu’est une
formation doctorale dans le cadre du dispositif LMD. Les écoles doctorales voient leur mission
recentrée sur la formation doctorale, alors qu’antérieurement, elles prenaient en compte
l’année de DEA. Cela renforce la représentation et la lisibilité de la formation doctorale en
France.
De la salle, Hélène GROS, Directrice Régionale Aquitaine, INPI
Je suis une ancienne CIFRE, et mon parcours est sans doute atypique. J’ai signé une
convention CIFRE avec VETROTEX SAINT-GOBAIN et un laboratoire de l’INSA de Lyon. J’ai
passé ma thèse et, en 1991, j’ai débuté en tant qu’examinatrice des demandes de brevets
dans le domaine des céramiques, qui était ma spécialité. Depuis deux ans, je suis directrice
régionale INPI Aquitaine. Ceci pour vous montrer qu’une thèse CIFRE ne mène pas
systématiquement à la recherche. Je n’ai pas pour autant quitté le monde de l’innovation,
puisqu’au contraire, je me situe à l’interface. Cette expérience est toujours très utile, car je
fais au quotidien la promotion de la propriété industrielle : je rencontre des entreprises
innovantes et des laboratoires, je travaille avec des cellules de valorisation du CNRS ou des
universités, et j’interviens dans des écoles doctorales où je sensibilise les étudiants à ces
questions. Mon parcours me permet de mieux comprendre les questions et les inquiétudes que
peuvent avoir les chercheurs, notamment sur les problématiques de publication.
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CIFRE, pour quel avenir professionnel ?
25 ans des conventions CIFRE, 7 décembre 2006, Paris, Collège de France
De la salle, Clarisse ANGELIER, adjointe au Directeur de la Recherche, CNAM
J’ai été CIFRE de 1989 à 1992. Il reste cependant beaucoup de travail à faire. En effet, l’on
rencontre de nombreuses PME qui n’ont pas encore atteint un certain degré de maturité et qui
hésitent à embaucher des CIFRE. On rencontre aussi des laboratoires de recherche qui hésitent
également, car la recherche partenariale ne trouve pas toujours la reconnaissance au sein des
équipes de recherche.
Georges STAMON
Avant de conclure, je voudrais rendre hommage à Catherine BEC et à Philippe GAUTIER, ainsi
qu’aux équipes qui travaillent autour d’eux.
Pour ce qui concerne les pistes d’améliorations des CIFRE, on peut penser à allonger leur
durée, ainsi qu’à intégrer les formations post-doctorales dans le montage CIFRE.
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