Jean-Pierre Siméon, La poésie au cœur de l`éducation artistique

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Jean-Pierre Siméon, La poésie au cœur de l`éducation artistique
Université d'automne du SNUIPP – octobre 2013
Jean-Pierre Siméon, La poésie au cœur de l'éducation
artistique
Grand amateur de poésie et poète lui-même, directeur du
Printemps des poètes (en difficulté financière depuis une baisse
conséquente de ses subventions, tiens, tiens...), Jean-Pierre
Siméon, en parfait showman, a emporté le morceau avec son
auditoire, au fil d'un discours bien entendu émaillé de citations multiples,
revigorant, souvent émouvant, parfois hilarant.
Le Printemps des poètes, justement, a pour ambition de faire le lien entre les
créateurs et le monde enseignant. Lequel monde enseignant est souvent mal à
l'aise avec les questions suivantes : Qui a de la poésie une pratique personnelle ?
Quelle est la connaissance réelle du répertoire, pour des gens qui sont chargés de
l'enseigner ?
La poésie se trouve de fait prise dans cette contradiction : être à la fois révérée
comme patrimoine culturel et étrangement négligée... Elle est souvent traitée
comme un supplément d'âme, venant après le sérieux des apprentissages, une
charmante distraction se limitant à un exercice de récitation illustrée, en fin de
journée ou de semaine, souvent remise à plus tard (et l'auditoire de baisser
piteusement la tête...)
Dans le secondaire, au contraire, elle fait l'objet d'une approche savante,
analytique, exégétique. C'est alors un objet retors et bizarre, placé dans
l'explication de texte par obligation (le patrimoine, toujours).
Ainsi s'ancre l'idée : pour connaître et apprécier la poésie, il faut un certain
nombre de savoirs.
Et, une fois quitté le système scolaire, cela n'existe plus dans la vie quotidienne...
La récitation, quant à elle, donne lieu à une majorité de mauvais souvenirs,
associée qu'elle est à l'exercice de la mémorisation, de l'évaluation, de la parole
devant les autres. Et même les rares qui en ont un bon souvenir ne sont pas ,
devenus adultes, des lecteurs de poésie.
Une chose, pourtant, résiste : le choc émotif que peut procurer le poème... Car,
fondamentalement, écrire une poésie, c'est un acte d'existence singulier, ce qui
l'éloigne de fait de ce double enfermement : à la fois comme objet d'enfance et
objet d'étude.
Accordons-nous d'abord : Quand on parle de poésie, de quoi parle-t-on ?
De poèmes, évidemment (à question bête...)
Prise de notes : Anne Descamps
Université d'automne du SNUIPP – octobre 2013
Et pourtant, ce n'est pas si simple, car ce qui caractérise ces textes particuliers
n'est jamais défini. Que nous dit le micro-trottoir si on lui propose le mot
« poème » ? « C'est joli, doux, agréable... Cela fait du bien... C'est le rêve, l'évasion...
ça rime (première chose citée par un enfant à qui on pose la question).
La poésie, au contraire, est tout sauf douce, et ne se détache pas du réel. Pour
couronner le tout, elle ne rime pas toujours !
La plupart des enseignants n'en ont pas une pratique personnelle, leur corpus est
donc basé sur les anthologies, pour la plupart très conservatrices (exemple
typique : le choix réducteur de dix textes de Maurice Carême qui ont survolé des
générations d'écoliers, textes qui ne rendent pas compte de l’œuvre de l'auteur et
qui sont une parfaite illustration de cette poésie dite « pour enfants », de
consolation). Le genre a en outre bénéficié tardivement de l'extraordinaire élan
qui a traversé la littérature de jeunesse.
La poésie, avant tout, cherche à être au plus près de l'expérience humaine, du
grand débat humain de vouloir être sans être vraiment.
Celui qui a magnifiquement traduit cela, c'est Fernando Pessoa, dans Le livre de
l'intranquillité (ce dernier mot résumant à lui seul le propre de la poésie).
C'est d'abord le genre universel le plus ancien. Et avant d'être de l'écrit, c'est de
l'oral, quelque chose qui dépasse le récit, du domaine de l'intangible (incantation,
évocation... Elle a souvent, au début des temps, une fonction religieuse).
N'ayant pas de caractéristique formelle stable, elle est donc à ce titre et avant tout
une extraordinaire forge d'inventions formelles (voir par exemple les
calligrammes). Le propre de la poésie, c'est cette métamorphose permanente.
Ce qui la caractérise avant tout, c'est le « coup d’État » dans la langue commune.
La langue médiane est indispensable : elle permet de vivre en commun et d'agir en
commun. Les enseignants ont pour travail d'enseigner les normes de ce langage, où
un mot = un sens. Il s'agit de se faire comprendre vite, bien, clairement.
Cette langue a pourtant un grave défaut : elle perd le réel en le réduisant à un seul
sens. Or, langage et réel se trahissent presque continuellement.
Il était nécessaire que quelqu'un advienne dans la communauté des hommes pour
dire : il faut une autre langue, car le réel est polysémique.
L'individu lui-même est sans arrêt en métamorphose et rien de la réalité n'est
assignable à son identité première.
La poésie invente une langue dans la langue, elle est ce qui atteint à l'épaisseur du
Prise de notes : Anne Descamps
Université d'automne du SNUIPP – octobre 2013
réel (ce qui est le cas de tout genre artistique).
Comment, dès lors, se positionner face aux enfants ?
Il s'agit d'apprendre en même temps la règle et la dérégulation, attirer l'attention
d'abord sur comment se disent les choses, provoquer un dérangement dans la
langue pour susciter l'écoute.
Ce que la poésie exprime suscite une image, qui existe véritablement dans la tête.
Elle permet d'inscrire le droit légitime et jouissif à la transgression.
Le rythme sert à montrer que tout compte, les blancs qui entourent le poème
permettent au sens de se déployer pleinement (il faut donc respecter ces blancs
pour dire) : « La poésie est sculptée dans le silence » Eugène Guillevic
Lire un poème, c'est s'arrêter dans la langue. Il ne faut pas hésiter, en classe, à
offrir des lectures de poésie.
La poésie est un accroissement de la conscience du réel. C'est ce qui nous humanise.
Et qu'est-ce qu'éduquer, sinon bâtir une conscience ? Il s'agit de susciter et
d'entretenir une capacité à être mobile, curieux devant le réel. L'enfant est un sac
de questions, auxquelles la poésie ne prétend pas répondre de manière définitive.
La poésie redonne à chacun sa dignité dans son inachèvement. Nous souffrons tous
du manque de moments d'intensité dans notre existence.
Et pour finir, quelques citations à méditer :
Là où la montagne dépasse du mot qui la désigne, il y a un poète.
(Odysseus Elitis, poète grec))
La poésie est un extraordinaire accélérateur de la conscience.
(Roberto Juarroz, poète argentin)
Nous n'aurions plus rien d'humain si le langage en nous devenait servile.
(Georges Bataille)
Le poème n'est pas incompréhensible, il est inexplicable.
(Octavio Paz)
Un poème n'est pas obscur parce qu'on ne le comprend pas, mais parce
Prise de notes : Anne Descamps
Université d'automne du SNUIPP – octobre 2013
qu'on n'a jamais fini de le comprendre.1
(Désolée pour l'auteur, ici ma prise de notes a failli... 2)
1 Voir aussi : pedagogie.ac-toulouse.fr/lotec/spip/journal.../a-e_un_po-te_1_.doc
C'est la retranscription d'une intervention de J. P. Siméon.
2 La recherche de l'auteur sur internet n'a rien donné non plus. Si quelqu'un-e connaît la réponse, merci de nous le
signaler !
Prise de notes : Anne Descamps

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