Volte Face

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Volte Face
Volte Face
John Woo, États-Unis, 1997
Volte Face, sorti en 1997, est un film d’espionnage réalisé par John Woo mettant en scène un
agent du FBI (Sean Archer) aux prises avec un terroriste du nom de Castor Troy. Cette bataille va
amener Sean à se faire greffer le visage de Troy pour usurper son identité, afin de trouver et
désamorcer une bombe. La métamorphose est un terme que l'on attribue plus au domaine physique
que moral. Mais l’enjeu de bien des histoires qui mettent scène ce phénomène tient justement aux
conséquences morales de cette transformation physique. Volte Face ne déroge pas à la règle et nous
propose ici sa propre interprétation de l'incidence du physique sur l'esprit. Pour cela, plusieurs
procédés sont intéressants à étudier comme la mise en valeur du personnage de Sean Archer, le
traitement visuel exacerbé de l'opération et enfin la symbolique portée sur cet événement, explicitée
par les réactions de Sean.
Comme pour le reste du film, l'extrait que nous avons choisi porte l'attention sur le
personnage de Sean. La focalisation est essentiellement interne, si ce n'est lors de l'opération (durant
laquelle il est endormi). L'empathie produite passe par des éléments tout à fait classiques de mise en
scène hollywoodienne. La caméra se concentre sur le personnage de Sean, non seulement à travers
le nombre de plans qui lui sont consacrés mais aussi en termes de cadre1. Il est en effet souvent
placé sur une ligne de force : quand le plan n'est pas fixe, les mouvements de caméra servent à
porter l'attention sur lui. Il est cadré en plan américain, souvent de face ou bien de trois quart. Lors
de la première partie de l'extrait (avant l'opération), ce personnage nous est présenté sous différents
angles et se concentre majoritairement sur son visage. On a cependant deux gros plans d’inserts2
nous replaçant le contexte dans lequel il doit mener sa mission : la perte de son enfant qui a produit
la cicatrice ainsi que l'amour de sa femme, suggéré à travers son alliance. Tout ici nous pousse à
véritablement nous placer du point de vue de Sean, à ressentir ses émotions. C'est un héros au sens
antique du thème : comme une sorte de synthèse entre Dédale et Hercule. Son geste – qui tient en
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(Les notes précédées de «LDT» font référence à des éléments du logiciel Ligne de temps) LDT - ligne 2, numéro 1 et
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LDT - l.3, n°1 et 2
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un sens du sacrifice – se passe de justification, il agit par devoir et par héroïsme. À cet égard, on
peut aussi bien évoquer la musique3 qui vient porter une certaine forme d'émotion en accompagnant
l'évocation d'éléments touchants (mort du fils et mariage heureux), l'empathie du spectateur sur
Sean ne peut donc être que totale lors de la première réception du film.
Si Sean est un héros c'est aussi surtout parce qu'il est en définitif la figure parfaite du bon
policier. On est loin ici du modèle un peu « ripou » des policiers et détectives privés de la période
classique hollywoodienne, comme on pourrait le voir dans Laura d'Otto Preminger en 1944 avec le
personnage rude, malpoli et extrêmement indiscret qu'interprète Dana Andrews. En effet, là où la
plupart des films policiers expriment sous forme de métaphore le fait de se mettre « dans la peau »
du criminel pour réussir à l'arrêter, John Woo prend l'expression au pied de la lettre. Sean entre
littéralement dans la peau de Troy. Toutes les problématiques ainsi implicites dans d'autres films
policiers sont catapultées au premier plan, de manière presque obscène. On peut donc constater un
traitement manichéen des deux protagonistes : La seule part d'ombre en Sean correspond au fait
qu'il revêt la peau du méchant, donc son identité, et par là peut-être aussi son esprit.
On abandonne cependant la personne de Sean au moment de son opération afin de concentrer
l'attention sur son corps, qui reste un élément majeur de son identité. Lors de cette scène, la
focalisation ne se fait plus par le prisme affectif de Sean mais adopte un point de vue plus
omniscient.
On peut en effet constater que la caméra part dans des mouvements beaucoup plus amples qui
n'hésitent pas à s'éloigner de Sean pour aller par exemple observer le corps de Troy4. Cette scène est
introduite et conclue par deux plans d'inserts identiques en contre-plongée totale sur une lampe de
chirurgien5. On a ainsi droit à deux coupures nettes sur un fondu au blanc qui marquent comme une
pause dans l'intrigue et nous font sortir des pensées du héros : c'est la scène de métamorphose en
elle-même, elle dispose de ses propres enjeux, plus visuels que cognitifs. Le but affiché est de tout
montrer, on a donc droit au maximum de détails lors de cette scène, sans pour autant assister à une
séquence gore. Les outils surtout, sont mis en évidence, toujours aux moyens de plans d'inserts - sur
les ordinateurs notamment6. John Woo joue des angles de prise du vue et réalise des plongées, dont
une totale sur les deux corps se rapprochant7. Une interprétation évidente de ce type de plans
signale la valeur symbolique de cette proximité entre les deux corps dans un même plan, deux corps
qui, à force de se rapprocher, vont se confondre.
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LDT - l.6, n°1 et 7
LDT - l.4, n°3 à 9
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LDT - l.2, n°2 et 7
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LDT - l.3, n°3
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LDT - l.2, n°3
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C'est en réalité ce genre d'interprétations qui permet d'extraire les différents enjeux et
particularités de ce film. Si l'on veut le qualifier en un mot c'est le terme « explicite » qu'il convient
d'utiliser. Cette scène en est l'exemple le plus poussé. Bien qu'improbable cette métamorphose se
veut la plus crédible possible. C'est là que le mouvement de la caméra intervient : si l'on fait un peu
attention on remarquera qu'elle tourne de manière centrifuge autour de la table d'opération8. Ajoutée
à la présence marquée des outils et des chirurgiens, cette référence au théâtre anatomique9 montre le
lieu de cette métamorphose, une salle d’opération chirurgicale dans laquelle on va pratiquer
l’échange de deux visages. Les deux collègues qui détournent le regard sont ici comme un écho aux
étudiants de médecine qui assisteraient à des travaux pratiques. Le prétexte technique pour tout
montrer finit par porter une véritable signification. La musique remplit à peu près la même fonction
que celle de la partie précédente10, elle sert ici à souligner les émotions que le réalisateur vise à faire
ressentir : on a droit à un thème assez épique, qui nous fait prendre conscience de la gravité du
sacrifice, le tout porté par des chœurs, tantôt de femmes, tantôt d'hommes qui donnent un sentiment
assez étrange de mysticité. Bien qu'à tendance pseudo-réaliste, cette métamorphose implique donc
autre chose qu'un simple changement physique.
En effet le fait de changer de visage implique ici une symbolique très forte. La scène
d'opération nous le fait pré-sentir avec la musique. Mais ces problèmes posés par ce changement
d'apparence deviennent évidents lors de la réaction de Sean à son réveil11. C’est avec le motif du
miroir, reflet non seulement du visage mais aussi de l’âme, que l’on nous donne à voir sa réaction.
Si l’on s’en tenait à une interprétation trop simple, on dirait que son accès de colère est simplement
dû à la vision du visage de son ennemi juré mais sa réaction parait en réalité bien plus
symptomatique d’une perte de repères. Sean est déboussolé par la perte de son visage, il ne se
reconnaît plus visuellement entrainant ainsi un sentiment de perte d’identité (son collègue tente de
lui répéter « Tu es Sean Archer ! »). Cette réaction de Sean est parfaitement en accord avec
l’ensemble de la réalisation, non seulement de la scène, mais aussi du film. Il s’appuie beaucoup sur
la force évocatrice d’une image, d’un visage. On nous montre tout, au maximum, en considérant
que cela suffit à extraire du sens. Le fait que tout se joue finalement sur l'apparence pose la
problématique du visage comme référent absolu ou partiel de l'esprit ou de l'âme d'une personne.
Cette question est justement illustrée par le personnage de Sean, que l’on suit en focalisation interne
- il donne ici une réponse personnelle à cette question, réponse qui se fera au fil de l’intrigue. Mais
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LDT - l.4, n°4
Un Théâtre anatomique est un lieu où l’on disséquait des corps en public. La table d’opération était située dans une
fosse, entourée de gradins circulaires, pour permettre aux confrères et aux étudiants d’assister au recherches d’un
professeur.
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LDT - l.6, n°3 à 6
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LDT - l.2, n°4 et 5 / l.4, n°10
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sur cette séquence précise on peut garder en tête que la métamorphose est un évènement
traumatisant, surtout pour la personne qui la vie.
Enfin, un accessoire engage une symbolique très forte de cette dissolution de l’identité : il
s’agit d’une sorte de masque en matière transparente12 utilisé lors de l’opération pour inverser les
visages. Au-delà d’un simple outil chirurgical, on peut y voir un symbole visuel très appuyé. On ne
peut s’empêcher de penser aux masques mortuaires antiques peints sur les tombeaux. Ces masques
étaient censés garder une trace du mort pour lui permettre de rester dans les Enfers. Ici le masque
possède une vertu au contraire de résurrection (le visage attend le retour de son possesseur) mais
confère en même temps une autre signification à la scène : l’idée que l’identité de Sean est restée
collée à ce masque, qu’il est en quelque sorte dans les limbes - n’oublions pas que par la suite, c’est
Castor Troy qui volera l’identité de Sean en s’appropriant son visage.
On peut donc conclure qu’au-delà de sa réalisation très classique, cette scène amène tout de
même en toile de fond des questions intéressantes non seulement d’un point de vue moral mais
aussi sur le médium cinématographique qui est, ne l’oublions pas, un outil de représentation. Même
si le parti pris ici est d’accorder tout crédit aux apparences, rien ne nous empêche d’avoir un point
de vue critique sur cette conception. C’est de toute façon symptomatique de toute métamorphose
d’impliquer un changement de comportement, et bien souvent d’identité.
Mots-clefs : Double – ambivalence morale – perte d’identité – opération chirurgicale.
Synthèse conçue par Antonin Bart et Guillaume Berdon.
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LDT - l.2, n°5 / l.4, n°6 et 7
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