FICHE PÉDAGOGIQUE

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FICHE PÉDAGOGIQUE
FICHE PÉDAGOGIQUE
Étretat, la Manneporte, reflets sur l’eau – Claude Monet
Auteurs : Annick Polin, Françoise Guitard
Contexte
Titre : Étretat, la Manneporte, reflets sur l’eau
Artiste : Claude Monet (Paris, 1840 – Giverny, 1926)
Date : 1885
Dimensions : H. 65,8 cm ; L. 81,5 cm
Technique : Huile sur toile
Lieu de conservation : Musée d’Orsay, don de Pierre
Larock et de ses enfants, 1994, en dépôt au musée
des Beaux-Arts de Caen
© RMN (Musée d’Orsay)/Hervé Lewandowski
Lieu de création : Étretat, plus précisément sur une
petite terrasse en contrebas du sommet de la pointe de
la Courtine, à l’ouest de la porte d’Aval
1885 : depuis l’exposition fondatrice de l’impressionnisme
et la première présentation d’Impression soleil levant, onze
ans se sont écoulés, le temps que les esprits s’apaisent.
Claude Monet connaît un début de reconnaissance. Lors
de la septième exposition impressionniste, en 1882, les
trente toiles que Monet présente, paysages et natures
mortes, reçoivent un avis favorable de la critique. Un an
après, il s’installe à Giverny.
Le paysage d’Étretat, dans le pays de Caux, se singularise
par les étonnantes découpures de ses grandes falaises de
craie, trois arcades creusées par les flots, la porte d’Amont,
la porte d’Aval flanquée d’une extraordinaire aiguille,
haute de 70 mètres, et la Manneporte. Le site attire les
artistes, les écrivains comme Flaubert ou Maupassant,
et les peintres Jongkind (1851), Delacroix, Corot (1872),
Boudin, Courbet (1869), Degas (1882), Renoir (1883), et
bien sûr Monet qui y séjourne chaque année de 1883 à
1885.
Monet peint au moins 80 toiles du site d’Étretat dont
six versions au moins de la Manneporte ; il arpente les
chemins, sillonne les falaises, s’installe si près de l’eau
que le 27 novembre 1885, il est renversé par une vague.
Cette possibilité de peindre en osmose avec les éléments
naturels est due au procédé industriel inventé vers 1840,
qui a permis d’enfermer les couleurs dans de petits tubes
métalliques souples.
Analyse de l’œuvre
Cette toile de Monet refuse le pittoresque des roches percées et
privilégie l’effet de la lumière sur la mer et sur la falaise, vue ici sans
aucun recul. C’est certes une toile impressionniste, traitée comme
une esquisse : la touche et la couleur, fugaces et rapides, parcourent
la toile en filaments bleus, jaunes, verts, de façon libre et synthétique,
sans dessin, ni détail ; mais la lumière écrase et dilue les formes des
falaises plus que ne pourrait le faire le soleil couchant. Monet peint
non plus un paysage, mais un mirage, « un lac de féeries » selon
l’expression d’Albert Wolf dans lequel la falaise, posée sur la mer,
semble lui emprunter sa matière liquide. Plutôt que la matérialité des
éléments naturels, la toile donne à voir la matérialité de la peinture,
annonçant par-là l’expérience des Nymphéas, prélude à la peinture
abstraite.
CRDP de Basse-Normandie
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Pistes pédagogiques
Niveau : 4e – 1re
Disciplines : Français, histoire-géographie
Thématiques :
(Collège) L’œuvre d’art et l’influence des techniques, Art, espace, temps – l’œuvre d’art et
l’évocation du temps et de l’espace
(Lycée) Arts, réalités, imaginaires : l’art et la représentation ou l’enregistrement du réel
Lettres
1. Un groupement de textes sur le thème du peintre impressionniste en Normandie
Le texte majeur sera l’extrait de La Vie d’un paysagiste (1886) de Maupassant consacré à Monet, qui décrit les
conditions d’exercice du peintre en même temps qu’il évoque les peintures elles-mêmes, avec des mots qui s’adaptent
parfaitement à notre toile.
« L’an dernier, en ce même pays, j’ai souvent suivi Claude Monet à la poursuite d’impressions. Ce n’était plus un peintre, en
vérité, mais un chasseur. Il allait, suivi d’enfants qui portaient ses toiles, cinq ou six toiles représentant le même sujet à des
heures diverses et avec des reflets différents.
Il les prenait et les quittait tour à tour, suivant tous les changements du ciel. Et le peintre, en face du sujet, attendait, guettait
le soleil et les ombres, cueillait en quelques coups de pinceau le rayon qui tombe ou le nuage qui passe, et, dédaigneux du
faux et du convenu, les posait sur sa toile avec rapidité.
Je l’ai vu saisir ainsi une tombée étincelante de lumière sur la falaise blanche et la fixer avec une coulée de tons jaunes qui
rendaient étrangement le surprenant et fugitif effet de cet insaisissable et aveuglant éblouissement.
Une autre fois, il prit à pleines mains une averse abattue sur la mer et la jeta sur sa toile. Et c’était bien de la pluie qu’il avait
peinte ainsi, rien que la pluie voilant les vagues, les roches et le ciel, à peine distincts sous ce déluge. »
Guy de Maupassant, extrait de « La vie d’un paysagiste »
• En écho, on peut s’appuyer sur la lettre de Maupassant du 3 novembre 1877, dans laquelle il décrit pour Flaubert, et à
sa demande, la côte entre Antifer et Étretat, c’est-à-dire les chemins difficiles que Monet empruntera aventureusement.
Maupassant à Flaubert
Chose essentielle que j’ai oubliée. - Une fois dans le trou de la Courtine on aperçoit brusquement la Manne-Porte et, sous la
Manne-Porte, la porte d’Aval. À peu près comme ceci.
[…]
Là, on est à mi-chemin entre la pointe de la Courtine et la Manne-Porte : enfermé dans un amphithéâtre de falaises, droites,
hautes de cent mètres, et dont les sommets dentelés ont des bizarreries de formes de toute espèce et de perpétuelles
menaces d’éboulement. L’endroit est solitaire et sinistre quand le ciel est un peu sombre. On se trouve surtout isolé, séparé
des autres par cette muraille de falaises en demi-cercle dont la mer bat les deux pointes.
La Lettre à Flaubert
• L’incipit de la troisième partie de la nouvelle de Maupassant, Miss Harriet, montre le travail du narrateur-peintre,
« dans la descente qui mène au petit val d’Étretat », pour saisir la lumière et capter « un reflet rose ». Sur ce thème
de « l’évanouissement des choses », on pourra citer aussi le commentaire d’Octave Mirbeau sur Monet en 1886 et le
commentaire des marines d’Elstir par le narrateur de l’œuvre de Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs (1919).
Depuis quelque temps je travaillais chaque matin, dès l’aurore, à un tableau dont voici le sujet :
Un ravin profond, encaissé, dominé par deux talus de ronces et d’arbres s’allongeait, perdu, noyé dans cette vapeur laiteuse,
dans cette ouate qui flotte parfois sur les vallons, au lever du jour. Et tout au fond de cette brume épaisse et transparente, on
voyait venir, ou plutôt on devinait, un couple humain, un gars et une fille, embrassés, enlacés, elle la tête levée vers lui, lui
penché vers elle, et bouche à bouche.
Un premier rayon de soleil, glissant entre les branches, traversait ce brouillard d’aurore, l’illuminait d’un reflet rose derrière
les rustiques amoureux, faisait passer leurs ombres vagues dans une clarté argentée. C’était bien, ma foi, fort bien.
Je travaillais dans la descente qui mène au petit val d’Étretat. J’avais par chance, ce matin-là, la buée flottante qu’il me fallait.
Guy de Maupassant, extrait de « Miss Harriet », in Contes et nouvelles
• Le chapitre III du roman de Maupassant, Une vie (1883), après avoir décrit la petite porte d’Étretat, transmet
l’impression de Jeanne, pendant sa promenade en barque, face à « la lumière, l’espace et l’eau », qui sont la matière
même de Monet.
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Une brise légère et continue, venant du large, effleurait et ridait la surface de l’eau.
La voile fut hissée, s’arrondit un peu, et la barque s’en alla paisiblement, à peine bercée par la mer.
On s’éloigna d’abord. Vers l’horizon, le ciel se baissant se mêlait à l’océan. Vers la terre, la haute falaise droite faisait une
grande ombre à son pied, et des pentes de gazon pleines de soleil l’échancraient par endroits. Là-bas, en arrière, des voiles
brunes sortaient de la jetée blanche de Fécamp, et là-bas, en avant, une roche d’une forme étrange, arrondie et percée à
jour, avait à peu près la figure d’un éléphant énorme enfonçant sa trompe dans les flots. C’était la petite porte d’Étretat.
Jeanne, tenant le bordage d’une main, un peu étourdie par le bercement des vagues, regardait au loin ; et il lui semblait que
trois seules choses étaient vraiment belles dans la création : la lumière, l’espace et l’eau.
[…]
Le soleil montait comme pour considérer de plus haut la vaste mer étendue sous lui ; mais elle eut comme une coquetterie
et s’enveloppa d’une brume légère qui la voilait à ses rayons. C’était un brouillard transparent, très bas, doré, qui ne cachait
rien, mais rendait les lointains plus doux. L’astre dardait ses flammes, faisait fondre cette nuée brillante ; et lorsqu’il fut dans
toute sa force, la buée s’évapora, disparut ; et la mer, lisse comme une glace, se mit à miroiter dans la lumière.
Jeanne, tout émue, murmura : « Comme c’est beau ! » Le vicomte répondit : « Oh ! oui, c’est beau ! » La clarté sereine de
cette matinée faisait s’éveiller comme un écho dans leurs cœurs.
Et soudain on découvrit les grandes arcades d’Étretat, pareilles à deux jambes de la falaise marchant dans la mer, hautes à
servir d’arche à des navires ; tandis qu’une aiguille de roche blanche et pointue se dressait devant la première.
Guy de Maupassant, Une vie, extrait du chapitre III
2. Un groupement de textes sur le site pittoresque d’Étretat vu par les artistes, pour souligner a contrario la
radicale modernité de cette toile de Monet.
• La fonction référentielle géographique est évidemment présente dans tous les textes du corpus, depuis le témoignage
de Victor Hugo dans une lettre à sa femme d’août 1835, jusqu’à la description de Maurice Leblanc dans L’Aiguille
creuse en 1908 et tous soulignent la grandeur du site.
En face de lui, presque au niveau de la falaise, en pleine mer, se dressait un roc énorme, haut de plus de quatre-vingts mètres,
obélisque colossal, d’aplomb sur sa large base de granit que l’on apercevait au ras de l’eau et s’effilait ensuite jusqu’au
sommet, ainsi que la dent gigantesque d’un monstre marin. Blanc comme la falaise, d’un blanc gris et sale, l’effroyable
monolithe était strié de lignes horizontales marquées par du silex, et où l’on voyait le lent travail des siècles accumulant les
unes sur les autres les couches calcaires et les couches de galets.
De place en place une fissure, une anfractuosité, et tout de suite, là, un peu de terre, de l’herbe, des feuilles.
Et tout cela puissant, solide, formidable, avec un air de chose indestructible contre quoi l’assaut furieux des vagues et des
tempêtes ne pouvait prévaloir. Tout cela, définitif, immanent, grandiose malgré la grandeur du rempart de falaises qui le
dominait, immense malgré l’immensité de l’espace où cela s’érigeait.
Arsène Lupin, L’Aiguille creuse
• La fonction référentielle historique est également essentielle en tant qu’elle atteste l’essor des bains de mer.
L’incipit de la nouvelle de Maupassant, Le Modèle (1883), évoque « la terrasse du casino et la promenade », et
témoigne de l’origine sociale des « foules » qui fréquentent les plages au xixe siècle.
Arrondie en croissant de lune, la petite ville d’Étretat, avec ses falaises blanches, son galet blanc et sa mer bleue, reposait
sous le soleil d’un grand jour de juillet. Aux deux pointes de ce croissant, les deux portes, la petite à droite, la grande à
gauche, avançaient dans l’eau tranquille, l’une son pied de naine, l’autre sa jambe de colosse ; et l’aiguille, presque aussi
haute que la falaise, large d’en bas, fine au sommet, pointait vers le ciel sa tête aiguë.
Sur la plage, le long du flot, une foule assise regardait les baigneurs. Sur la terrasse du Casino, une autre foule, assise ou
marchant, étalait sous le ciel plein de lumière un jardin de toilettes où éclataient des ombrelles rouges et bleues, avec de
grandes fleurs brodées en soie dessus.
Sur la promenade, au bout de la terrasse, d’autres gens, les calmes, les tranquilles, allaient d’un pas lent, loin de la cohue
élégante.
Guy de Maupassant, extrait de « Le modèle », in Contes et nouvelles
Une autre nouvelle de Maupassant, L’Adieu (1884), souligne l’aspect médical des bains de mer pour « les chairs
amollies » et surtout, sa nouvelle dimension ludique, qu’il s’agisse du « frisson de froid délicieux » des baigneuses ou
du plaisir voyeur des spectateurs du bain.
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Je l’avais rencontrée au bord de la mer à Étretat, voici douze ans environ, un peu après la guerre. Rien de gentil comme
cette plage, le matin, à l’heure des bains. Elle est petite, arrondie en fer à cheval, encadrée par ces hautes falaises blanches
percées de ces trous singuliers qu’on nomme les Portes, l’une énorme allongeant dans la mer sa jambe géante, l’autre en
face accroupie et ronde ; la foule des femmes se rassemble, se masse sur l’étroite langue de galets qu’elle couvre d’un
éclatant jardin de toilettes claires, dans ce cadre de hauts rochers. Le soleil tombe en plein sur les côtes, sur les ombrelles de
toute nuance, sur la mer d’un bleu verdâtre ; et tout cela est gai, charmant, sourit aux yeux. On va s’asseoir tout contre l’eau,
et on regarde les baigneuses. Elles descendent, drapées dans un peignoir de flanelle qu’elles rejettent d’un joli mouvement
en atteignant la frange d’écume des courtes vagues ; et elles entrent dans la mer, d’un petit pas rapide qu’arrête parfois un
frisson de froid délicieux, une courte suffocation.
Bien peu résistent à cette épreuve du bain. C’est là qu’on les juge, depuis le mollet jusqu’à la gorge. La sortie surtout révèle
les faibles, bien que l’eau de mer soit d’un puissant secours aux chairs amollies.
Guy de Maupassant, extrait d’« Adieu », in Contes et nouvelles
Pour développer le thème des bains de mer, on pourra également exploiter le chapitre 6 de Pierre et Jean (1888), qui
décrit la plage de Trouville (cf. fiche sur Boudin) et la nouvelle de Zola, Les Bains de mer dont l’histoire se déroule à
Luc-sur-Mer.
Le sentier moins escarpé devenait une sorte de chemin en pente contournant les blocs énormes tombés autrefois de la
montagne. Mme Rosémilly et Jean se mirent à courir et furent bientôt sur le galet. Ils le traversèrent pour gagner les roches.
Elles s’étendaient en une longue et plate surface couverte d’herbes marines et où brillaient d’innombrables flaques d’eau. La
mer basse était là-bas, très loin, derrière cette plaine gluante de varechs, d’un vert luisant et noir.
Jean releva son pantalon jusqu’au-dessus du mollet et ses manches jusqu’au coude, afin de se mouiller sans crainte, puis il
dit : « En avant ! » et sauta avec résolution dans la première mare rencontrée.
Plus prudente, bien que décidée aussi à entrer dans l’eau tout à l’heure, la jeune femme tournait autour de l’étroit bassin, à
pas craintifs, car elle glissait sur les plantes visqueuses.
« Voyez-vous quelque chose ? disait-elle.
Oui, je vois votre visage qui se reflète dans l’eau.
Si vous ne voyez que cela, vous n’aurez pas une fameuse pêche. »
Il murmura d’une voix tendre :
« Oh ! De toutes les pêches c’est encore celle que je préférerais faire. »
Elle riait :
« Essayez donc, vous allez voir comme il passera à travers votre filet.
Pourtant… si vous vouliez ?
Je veux vous voir prendre des salicoques… et rien de plus… pour le moment.
Vous êtes méchante. Allons plus loin, il n’y a rien ici. »
Et il lui offrit la main pour marcher sur les rochers gras. Elle s’appuyait un peu craintive, et lui, tout à coup, se sentait envahi
par l’amour, soulevé de désirs, affamé d’elle, comme si le mal qui germait en lui avait attendu ce jour-là pour éclore.
Ils arrivèrent bientôt auprès d’une crevasse plus profonde, où flottaient sous l’eau frémissante et coulant vers la mer lointaine
par une fissure invisible, des herbes longues, fines, bizarrement colorées, des chevelures roses et vertes, qui semblaient
nager.
Mme Rosémilly s’écria :
« Tenez, tenez, j’en vois une, une grosse, une très grosse là-bas ! »
Il l’aperçut à son tour, et descendit dans le trou résolument, bien qu’il se mouillât jusqu’à la ceinture.
Mais la bête remuant ses longues moustaches reculait doucement devant le filet. Jean la poussait vers les varechs, sûr de l’y
prendre. Quand elle se sentit bloquée, elle glissa d’un brusque élan par-dessus le lanet, traversa la mare et disparut.
La jeune femme qui regardait, toute palpitante, cette chasse, ne put retenir ce cri :
« Oh ! Maladroit ! »
Il fut vexé, et d’un mouvement irréfléchi traîna son filet dans un fond plein d’herbes. En le ramenant à la surface de l’eau, il
vit dedans trois grosses salicoques transparentes, cueillies à l’aveuglette dans leur cachette invisible.
Il les présenta, triomphant, à Mme Rosémilly qui n’osait point les prendre, par peur de la pointe aiguë et dentelée dont leur
tête fine est armée.
Elle s’y décida pourtant, et pinçant entre deux doigts le bout effilé de leur barbe, elle les mit, l’une après l’autre, dans sa
hotte, avec un peu de varech qui les conserverait vivantes. Puis ayant trouvé une flaque d’eau moins creuse, elle y entra, à
pas hésitants, un peu suffoquée par le froid qui lui saisissait les pieds, et elle se mit à pêcher elle-même. Elle était adroite et
rusée, ayant la main souple et le flair de chasseur qu’il fallait. Presque à chaque coup, elle ramenait des bêtes trompées et
surprises par la lenteur ingénieuse de sa poursuite.
Guy de Maupassant, Pierre et Jean, extrait du chapitre VI
Le chapitre 1 de Pierre et Jean, comme le chapitre 3 d’Une vie, raconte une partie de pêche en mer, tandis que le
chapitre 6 décrit la pêche aux salicoques (crevettes).
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Ces thèmes se retrouvent dans d’autres toiles, de Boudin, ou même de Monet, celui des bains de mer en particulier
chez Eugène Le Poittevin : Bains de mer à Étretat (1866).
• La fonction émotive qu’on pourrait facilement appeler ici fantasmatique, permet d’accéder à la représentation du site
transformée par l’imaginaire de l’écrivain.
Chez Maupassant, « les grandes arcades d’Étretat sont pareilles à deux jambes de la falaise marchant dans la mer »,
l’une avance son pied de naine et l’autre sa jambe de géante, tandis que l’aiguille pointe vers le ciel « sa tête aiguë ».
Cette falaise, métamorphosée en corps féminin sert justement de cadre à diverses rencontres amoureuses, et prend
certainement sa source dans l’enfance de Guy de Maupassant auprès de sa mère, dans la maison « Les Verguies »
à Étretat.
Cette image de monstre féminin s’inscrit parmi les représentations imaginaires qu’on trouve chez tous les autres écrivains. En effet, de « la plus gigantesque architecture » décrite par Hugo à « l’obélisque colossal, l’effroyable monolithe,
la dent gigantesque d’un monstre marin » chez Leblanc, on voit se dessiner une image fantastique dont la forme la plus
aboutie se trouve dans le chapitre 3 de Bouvard et Pécuchet de Flaubert, puisque les deux héros, étonnés par « cet
ouvrage de la nature, s’élèvent à des considérations sur l’origine du monde », et finissent par se donner l’impression
de fin du monde parce qu’« une pluie de graviers déroul[e] d’en haut. » Cette représentation hautement romantique est
évidemment tenue à distance par le narrateur flaubertien, de même que par Monet, dont la toile pourrait plutôt évoquer
l’idéal de Flaubert, tel qu’il l’exprime dans sa lettre à Louise Colet le 16 janvier 1852 : « Ce qui me semble beau, ce que
je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne
de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins
où le sujet serait presque invisible, si cela se peut ».
Un loueur de voitures les accosta et leur offrit des promenades aux environs : Ingouville, Octeville, Fécamp, Lillebonne,
« Rome s’il le fallait ».
Ses prix étaient déraisonnables, mais le nom de Fécamp les avait frappés ; en se détournant un peu sur la route, on pouvait
voir Étretat, et ils prirent la gondole de Fécamp pour se rendre au plus loin, d’abord.
Dans la gondole, Bouvard et Pécuchet firent la conversation avec trois paysans, deux bonnes femmes, un séminariste, et
n’hésitèrent pas à se qualifier d’ingénieurs.
On s’arrêta devant le bassin. Ils gagnèrent la falaise, et cinq minutes après la frôlèrent pour éviter une grande flaque d’eau
avançant comme un golfe, au milieu du rivage. Ensuite, ils virent une arcade qui s’ouvrait sur une grotte profonde ; elle était
sonore, très claire, pareille à une église, avec des colonnes du haut en bas et un tapis de varech tout le long de ses dalles.
Cet ouvrage de la Nature les étonna, et ils s’élevèrent à des considérations sur l’origine du monde.
Bouvard penchait vers le neptunisme ; Pécuchet, au contraire, était plutonien.
Le feu central avait brisé la croûte du globe, soulevé les terrains, fait des crevasses. C’est comme une mer intérieure
ayant son flux et son reflux, ses tempêtes ; une mince pellicule nous en sépare. On ne dormirait pas si l’on songeait à tout
ce qu’il y a sous nos talons. Cependant le feu central diminue et le soleil s’affaiblit, si bien que la terre un jour périra de
refroidissement. Elle deviendra stérile ; tout le bois et toute la houille se seront convertis en acide carbonique, et aucun être
ne pourra subsister.
« Nous n’y sommes pas encore, dit Bouvard.
Espérons-le », reprit Pécuchet.
N’importe, cette fin du monde, si lointaine qu’elle fût, les assombrit, et, côte à côte, ils marchaient silencieusement sur les
galets.
La falaise, perpendiculaire, toute blanche et rayée en noir, çà et là, par des lignes de silex, s’en allait vers l’horizon, telle que
la courbe d’un rempart ayant cinq lieues d’étendue. Un vent d’est, âpre et froid, soufflait. Le ciel était gris, la mer verdâtre et
comme enflée. Du sommet des roches, des oiseaux s’envolaient, tournoyaient, rentraient vite dans leurs trous. Quelquefois
une pierre, se détachant, rebondissait de place en place avant de descendre jusqu’à eux.
Pécuchet poursuivait à haute voix ses pensées : « À moins que la terre ne soit anéantie par un cataclysme ! On ignore la
longueur de notre période. Le feu central n’a qu’à déborder.
Pourtant il diminue ?
Cela n’empêche pas ses explosions d’avoir produit l’île Julia, le Monte Nuevo, bien d’autres encore.» Bouvard se rappelait
avoir lu ses détails dans Bertrand.
« Mais de pareils cataclysmes n’arrivent pas en Europe ?
Mille excuses, témoin celui de Lisbonne. Quant à nos pays, les mines de houille et de pyrite martiale sont nombreuses et
peuvent très bien, en se décomposant, former les bouches volcaniques. Les volcans, d’ailleurs, éclatent toujours près de la
mer. »
Bouvard promena sa vue sur les flots, et crut distinguer au loin une fumée qui montait vers le ciel.
« Puisque l’île Julia, reprit Pécuchet, a disparu, des terrains produits par la même cause auront peut-être le même sort. Un
îlot de l’Archipel est aussi important que la Normandie, et même que l’Europe. »
Bouvard se figura l’Europe engloutie dans un abîme.
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« Admets, dit Pécuchet, qu’un tremblement de terre ait lieu sous la Manche ; les eaux se ruent dans l’Atlantique ; les côtes
de la France et de l’Angleterre, en chancelant sur leur base, s’inclinent, se rejoignent, et v’lan ! Tout l’entre-deux est écrasé. »
Au lieu de répondre, Bouvard se mit à marcher tellement vite qu’il fut bientôt à cent pas de Pécuchet. Étant seul, l’idée d’un
cataclysme le troubla. Il n’avait pas mangé depuis le matin : ses tempes bourdonnaient. Tout à coup le sol lui parut tressaillir
et la falaise, au-dessus de sa tête, pencher par le sommet. À ce moment, une pluie de graviers déroula d’en haut.
Pécuchet l’aperçut qui détalait avec violence, comprit sa terreur, cria de loin :
« Arrête ! Arrête ! La période n’est pas accomplie. »
Et, pour le rattraper, il faisait des sauts énormes, avec son bâton de touriste, tout en vociférant : « La période n’est pas
accomplie ! la période n’est pas accomplie ! »
Bouvard, en démence, courait toujours. Le parapluie polybranches tomba, les pans de sa redingote s’envolaient, le havresac
ballottait à son dos. C’était comme une torture avec des ailes qui aurait galopé parmi les roches ; une plus grosse le cacha.
Pécuchet y parvint hors d’haleine, ne vit personne, puis retourna en arrière pour gagner les champs par une « valleuse »
que Bouvard avait prise, sans doute.
Ce raidillon étroit était taillé à grandes marches dans la falaise, de la largeur de deux hommes, et luisant comme de l’albâtre
poli.
À cinquante pieds d’élévation, Pécuchet voulut descendre. La mer battant son plein, il se remit à grimper.
Au second tournant, quand il aperçut le vide, la peur le glaça. À mesure qu’il approchait du troisième, ses jambes devenaient
molles. Les couches de l’air vibraient autour de lui, une crampe le pinçait à l’épigastre ; il s’assit par terre, les yeux fermés,
n’ayant plus conscience que des battements de son cœur qui l’étouffaient ; puis il jeta son bâton de touriste, et avec les
genoux et les mains reprit son ascension. Mais les trois marteaux tenus à la ceinture lui entraient dans le ventre ; les cailloux
dont ses poches étaient bourrées tapaient ses flancs ; la visière de sa casquette l’aveuglait ; le vent redoublait de force. Enfin
il atteignit le plateau et y trouva Bouvard, qui était monté plus loin, par une valleuse moins difficile.
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet
Histoire
Géographie
1. Arts et innovations industrielles
Une première entrée possible avec les élèves est celle des innovations industrielles et de leurs effets sur la production
artistique dans le programme de 4e comme de 1re (thème « L’âge industriel »). Trois innovations peuvent être ici
abordées dans leurs effets picturaux.
• L’invention du tube de peinture en étain dans les années 1840 qui permet l’essor de la « peinture sur le motif» »(en plein
air), qui va donc compléter et concurrencer la peinture d’atelier, cadre traditionnel jusque-là de l’expression picturale.
Cette innovation permet aux artistes de retrouver à l’huile la liberté de l’aquarelle (on songe ici aux aquarellistes
anglais, Bonington, Turner par exemple, qui ont, dès les années 1820, fait découvrir la Normandie et ouvert la voie
aux impressionnistes). Liberté, mais aussi rapidité d’exécution. En effet, sur le motif (et même si de nombreuses toiles
sont reprises en atelier), il faut travailler vite et cela contribue à faire évoluer les techniques picturales : promotion
de la couleur, de la touche, croquis rapide au détriment du dessin. Claude Monet rapporte en 1862, dans une lettre
à Jongkind, qu’il doit à Eugène Boudin sa première expérience de « peinture sur le motif » quatre ans auparavant,
à Rouelles, près du Havre. Cette expérience fut décisive pour sa carrière et voici l’hommage qu’il rend au maître :
« Boudin installe son chevalet et se met au travail. Je le regarde avec quelque appréhension, je le regarde plus
attentivement et puis ce fut tout à coup comme un voile qui se déchire : j’avais compris, j’avais saisi ce que pouvait
être la peinture ; par le seul exemple de cet artiste épris de son art et d’indépendance, ma destinée de peintre s’était
ouverte. Si je suis devenu un peintre, […] c’est à Eugène Boudin que je le dois. »
• Le développement des chemins de fer joue aussi un rôle décisif dans le renouvellement des sujets et des genres
picturaux. Il contribue à la promotion de la peinture de paysage, plus particulièrement ceux de la côte normande, du
fait de la proximité de Paris. Les compagnies de chemins de fer étendent leur réseau en étoile autour de Paris et les
stations balnéaires normandes naissantes deviennent des destinations privilégiées de la bonne société (Étretat doit
attendre les années 1890 pour voir arriver le rail. Après la gare de Fécamp desservie dès 1858, le trajet s’achevait,
auparavant, en omnibus, à cheval ou en diligence). Trouville, Étretat (voir plus loin), Granville, premières stations à
accueillir en Normandie les élites, « inventent » le mode de vie balnéaire. Les peintres jouent un rôle décisif dans
la promotion de ces nouveaux lieux de loisirs (Mozin et plus tard Boudin à Trouville, Eugène Isabey à Étretat par
exemple, en proposant les images d’un nouveau pittoresque. Après ces « découvreurs », le plus souvent originaires
de Normandie, une nouvelle génération d’artistes emprunte à son tour le rail pour découvrir la côte normande, la
représenter et participer à l’émulation picturale qui anime ces foyers artistiques que sont devenus Étretat ou la ferme
Saint-Siméon à Honfleur.
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• L’invention de la photographie contribue également fortement à l’évolution picturale. Dans les années 1820, Niepce
produit les toutes premières photographies et, en 1839, Daguerre présente le daguerréotype. La photographie, affaire
encore de techniciens et de chimistes, est lancée. Elle va progressivement quitter le strict domaine industriel pour
conquérir ses lettres de noblesse artistique. De nombreux peintres s’y intéressent, la pratiquent, ou s’en méfient.
Mais qu’ils dénient ou reconnaissent une dimension artistique à la photographie, les clichés se diffusent et offrent
un nouveau regard sur le réel qui ne peut laisser indifférent les peintres de l’époque. Avec la Manneporte, il est aisé
de montrer aux élèves, que ce qui intéresse Claude Monet n’est pas la représentation des falaises d’Étretat pour
elles-mêmes, mais bien un certain effet du soleil sur celles-ci, à un certain moment. Le regard du photographe, la
capacité de celui-ci à multiplier les clichés (en 1885, les temps de pose sont réduits) modifient le regard du peintre,
le conduisent à voir autrement un réel fugace, mouvant. En cela, la photographie a participé (entre autres facteurs) à
la naissance de l’impressionnisme.
2. Étretat, un site emblématique de la représentation picturale de la côte normande
Étretat inspire de nombreux peintres tout au long du xixe siècle. Le premier peintre à planter son chevalet devant la
falaise d’Aval ou au pied de l’Aiguille fut sans doute Noël à la fin du xviiie siècle. Ensuite vont se succéder Delacroix,
Isabey, Le Poittevin, Jongkind, Courbet, Corot, Boudin puis plus tard encore Friesz, Matisse, Gromaire.
Le motif des falaises participe tout d’abord du paysage romantique (falaises hautes et spectaculaires où l’homme est
confronté aux éléments et peut ainsi faire l‘expérience du sublime), puis du « désir de rivage » (Alain Corbin) qui conduit
artistes, écrivains et élites sociales sur les bords de mer. Non seulement, ils recherchent des bienfaits thérapeutiques
attribués désormais aux bains de mer, mais ils découvrent aussi le pittoresque proche (paysages, métiers de la mer…).
Eugène Le Poittevin se plaît ainsi à représenter les premiers baigneurs devant les falaises d’Étretat.
C’est à Étretat aussi que Courbet s’attache à peindre La Vague en 1869. La référence au travail de Courbet est explicite
dans la correspondance de Monet : « terriblement audacieux de ma part après Courbet qui l’a fait admirablement ».
Le motif choisi ici par Monet est différent de l’aiguille ou de la falaise d’Aval traditionnellement représentées. Il décrit
avec enthousiasme, dans une lettre du 3 février 1883 à sa compagne Alice Hoschedé, la découverte de la Manneporte :
« Je suis descendu aujourd’hui dans un endroit où je n’avais jamais osé m’aventurer autrefois et j’ai vu là des choses
admirables, aussi suis-je bien vite revenu chercher mes toiles… ». L’accès à ce point de vue s’avère périlleux, supposant
une longue marche émaillée d’acrobaties ou le recours à un bateau de pêche.
Guy de Maupassant dans Gil Blas du 28 avril 1886 compare Claude Monet à un « chasseur ». Tel un « chasseur », il
est à l’affût du moindre effet de lumière, soucieux de restituer les modifications les plus infimes du motif.
3. Au-delà du pittoresque, la capture d’un instant, d’un effet, d’une lumière
Face à la toile, le questionnement des élèves peut être orienté vers les couleurs employées (vraisemblables pour
des falaises ?), l’impression produite (apparence de légèreté pour des falaises crayeuses habituellement présentées
comme monumentales !), l’absence de dessin (mer et ciel confondus, reflets dans la mer) et la disposition des pigments
sur la toile (touches légères, virgules pour évoquer le mouvement de l’eau, reflets, toile nue par endroits ce qui permet,
entre autres, d’évoquer la rapidité vraisemblable d’exécution).
La palette employée est constituée de tons roses, bleus, ocre, verts, clairs et lumineux. Ces couleurs n’ont que peu de
liens avec la réalité et semblent avant tout se justifier par leur correspondance qui crée une gamme colorée cohérente
et harmonieuse.
Ce qui fascine Monet dans cette toile n’est pas la énième représentation d’un site célèbre et grandiose, mais la
traduction sur la toile d’un coup de soleil qui écrase les formes, les dilue jusqu’à confondre les trois éléments : mer,
ciel, falaises. Le paysage semble irréel, les falaises perdent tout caractère massif pour devenir légères, aériennes.
Le spectateur comme victime d’une hallucination visuelle, se trouve face à une sorte de mirage, très loin donc des
représentations habituelles des spectaculaires falaises d’Étretat. Toute préoccupation illusionniste a disparu. En cela,
la Manneporte peut préfigurer les Nymphéas. La volonté d’enregistrer le réel, conduit Monet à emprunter des chemins
voisins de ceux de l’abstraction.
Pour faire partager aux élèves l’originalité de la démarche de Claude Monet, il serait opportun de les confronter à celles
d’autres artistes dont les œuvres sont également exposées au musée des Beaux-Arts de Caen.
Ressources
• Delarue, Bruno, Les Peintres à Étretat 1786-1940, éd. Bruno Delarue, 2005.
• Desjardins, Marie-Hélène, Des peintres au pays des falaises 1830-1940, Rouen, éditions des Falaises, 2004.
• Tapié, Alain, Peindre en Normandie xixe et xxe siècles, Paris, Imprimerie nationale, 2001.
• Catalogue de l’exposition Désir de rivage, de Granville à Dieppe : Le littoral vu par les peintres entre 1820 et 1945,
Caen, musée des Beaux-Arts, 1994.
• Publications de l’université Rouen Le Havre, Centre d’art, esthétique et littérature, 1980, vol. 68 : Le Paysage normand
dans la littérature et dans l’art.
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