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Thèse du mois
Soins
Dépendance au tabac chez les patients
sous traitement substitutif aux opiacés
Smoking addiction in patients under opiate substitution treatment
Mots-clés
Thomas Tarjus, Frédéric Sorge
exercer 2013;105:43-4.
[email protected]
Addiction
Traitement
de substitution
aux opiacés
Contexte
Les bénéficiaires de traitement substitutif aux opiacés (TSO) étaient 140 000 en France en 20101. La
prescription des TSO est associée à une réduction de la
morbimortalité liée à la consommation de morphine et
d’héroïne. Le nombre de fumeurs a considérablement
diminué en France depuis 1975, passant de 44 à 25 %
en 20052. Cette diminution ne semble pas répartie de
façon homogène dans la population. Aucune donnée
n’est disponible concernant la prévalence du tabagisme
chez les personnes dépendantes aux opiacés en France.
nicotine check-list (HONC). La consommation d’alcool
était évaluée par le test AUDIT.
Le logiciel SPAD® a permis des analyses univariée et
bivariée utilisant la procédure DEMOD adaptée aux
petits effectifs.
Résultats
Étude épidémiologique, descriptive transversale par
questionnaire. Le questionnaire a été proposé avant et
après une consultation et lors de toute dispensation de
TSO par l’équipe paramédicale ou médicale du centre.
Les questions de l’étude exploraient le profil sociodémographique, le comportement tabagique, le niveau
de consommation d’autres substances psychoactives,
les comorbidités et les autres traitements. Le degré de
dépendance à la nicotine a été évalué par le test de
Fagerström à 6 items. La perte de contrôle vis-à-vis de la
consommation de tabac a été évaluée par le Hooked on
Quatre-vingt-deux questionnaires exploitables ont été
recueillis sur 230 consultants, soit un taux de réponse
de 35,6 %. Près des deux tiers des patients (n = 57)
étaient substitués par méthadone, 21 % (n = 17)
par buprénorphine. Deux patients étaient substitués
par sulfate de morphine (hors AMM, après accord
dérogatoire du médecin-conseil), 5 patients n’avaient
plus aucun traitement, et un patient était en début de
prise en charge sans traitement encore défini. Tous les
patients avaient fumé quotidiennement dans leur vie,
et 96 % (n = 78) fumaient encore. 36 % (n = 29) des
patients avaient une dépendance forte. 39 % avaient
déjà essayé d’arrêter de fumer, en comptant plus sur
leur seule volonté (61 %) que sur les substituts nicotiniques (21 %). La moitié des patients n’était pas motivée
pour arrêter de fumer. Les caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon étaient un niveau socioéducatif faible et une inactivité professionnelle élevée.
Les comorbidités psychiatriques étaient fréquentes
(22 % des patients étaient traités par antidépresseurs
et 18 % par neuroleptiques) ainsi que la polyconsommation de produits psychoactifs (4 substances en
moyenne, en dehors du tabac et de l’alcool). Parmi les
fumeurs quotidiens, 37 personnes (47 %) déclaraient
que l’arrêt du tabac était peu ou pas important. L’arrêt du tabac était important ou très important pour
21 personnes (27 %). Trente-trois fumeurs quotidiens
(44 %) avaient peu ou pas confiance dans leur capacité
à arrêter le tabac. À l’inverse, 17 personnes (22 %) avaient
une forte confiance en eux.
En analyse bivariée, les facteurs associés plus fréquemment à un âge de début du tabac précoce étaient une
faible importance accordée à l’arrêt du tabac (p = 0,013)
et peu de confiance en soi pour y parvenir (p = 0,035).
Les fumeurs ayant commencé avant 13 ans avaient
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e x e r c e r la revue française de médecine générale
Objectif
Étudier les caractéristiques de l’addiction au tabac chez
les patients sous TSO : prévalence, niveau de dépendance
et motivation au sevrage. Analyser les tentatives de
sevrage.
Population étudiée
Patients recevant une prescription de TSO (méthadone
ou buprénorphine) au Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA)
« la Mosaïque » à Montreuil, de novembre 2010 à
janvier 2011. Les critères de non inclusion étaient
l’absence de dépendance aux opiacés et la mauvaise
compréhension de la langue française.
Méthode
N° 105
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Sevrage
tabagique
Key words
Addiction
Opiate
substitution
treatment
Smoking
cessation
Thèse présentée
et soutenue
publiquement
le 26 juin 2012
à la faculté de
médecine de
Paris-Diderot
Retrouvez
cette thèse en
intégralité, et en
accès libre, sur
www.fayrgp.org,
rubrique thèse
du mois.
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Soins
Thèse du mois
également une initiation précoce au cannabis : âge
du premier joint avant 15 ans (p < 0,001). La consommation d’alcool nocive était surreprésentée dans cette
catégorie (p = 0,049).
Résultat principal
Près d’un quart des patients interrogés ont déclaré
que l’arrêt du tabac était important pour eux.
Commentaires
Cette thèse est remarquable à plusieurs titres. Le
sujet qui peut paraître accessoire : assurer la pérennité
d’une substitution aux opiacés et la prise en charge des
comorbidités sont déjà deux missions de taille pour
un médecin généraliste. L’intoxication tabagique a
l’image d’un moindre mal. Ce travail s’attaque à cet a
priori en insistant sur le fait que les patients substitués
meurent dorénavant plus de leur tabagisme que de
leur ancienne consommation d’opiacés. Le combat
paraît certes plus ardu que dans la population générale de fumeurs : les comorbidités psychiatriques sont
plus nombreuses, les difficultés socioprofessionnelles
sont majeures et le niveau de dépendance est largement supérieur. Mais ne traiter que la substitution aux
opiacés ne suffit pas. Un cinquième des répondeurs
déclare se sentir confiant dans leur capacité à arrêter
le tabac : les médecins devraient saisir cette opportunité. L’attitude des soignants, qui n’est pas évaluée par
l’enquête, est abordée dans la discussion. Les auteurs
citent une étude américaine pointant l’ambivalence
des professionnels de santé pour qui l’intoxication
tabagique ne représente pas un danger social comme
la prise d’héroïne ou d’alcool3.
Les limites de ce travail sont explicitées dans la discussion. Les patients interrogés étaient tous pris en charge
dans un centre spécialisé de la banlieue parisienne. Le
traitement substitutif majoritaire était la méthadone.
Ces deux caractéristiques limitent la transposition des
résultats à la population rencontrée en médecine géné-
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rale, où la buprénorphine est majoritairement prescrite.
Les huit pages de questionnaire, avec plusieurs questions soumises à un biais de mémorisation, constituent
également une limite soulignée avec rigueur.
La place déterminante du médecin généraliste est relevée avec pertinence : un soin centré sur la personne,
prise dans sa globalité et au long cours, en fait un
acteur de choix dans la prise en charge du patient
sous TSO.
Marie Barais – UFR Brest
Yannick Ruelle – FayrGP
Références
1. Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Esti�����
mation du nombre de personnes recevant un traitement de
substitution depuis 1995. OFDT, 2010. Disponible sur http://
www.ofdt.fr/BDD_len/seristat/00028.xhtml.
2. Baker A, Ivers R, Bowman J. Where there’s smoke, there’s fire:
high prevalence of smoking among some sub-populations and
recommendations for intervention. Drug Alcohol Rev 2006;25:
85-96.
3. Richter K, Hunt J, Cupertino A, Garrett S, Friedmann P. Understanding the drug treatment community’s ambivalence towards
tobacco use and treatment. Int J Drug Policy 2012;23:220-8.
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