74 histoire - Editions Prisma
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74 HISTOIRE LeMatinDimanche I 16 JUIN 2013 Livre Les causes familiales qui ont fait de Hitler, Mao ou Kadhafi des monstres ouvrage, Véronique Chalmet, spécialiste en criminologie et en psychologie, a décrypté l’enfance des dix plus grands dictateurs de l’histoire. AFP PORTRAITS Dans son dernier The Art Archive/AFP Enfants, les dictateurs étaient-ils déjà des tyrans? Méprisé par son père Muriel Ramoni Matar/SIPA c Adolf Hitler Né en 1889 en Autriche, il a dirigé l’Allemagne de 1933 à sa mort par suicide à Berlin en 1945. EPA Dans «L’enfance des dictateurs», l’écrivain et journaliste Véronique Chalmet, spécialisée en criminologie et en psychologie, décrypte le contexte familial et la jeunesse des dix plus grands despotes du XXe siècle: Pol Pot, Amin Dada, Staline, Kadhafi, Hitler, Franco, Mao Tsé-toung, Mussolini, Saddam Hussein et Bokassa. Ces hommes, célèbres pour les atrocités qu’ils ont commises ou ordonnées, ont-ils été des petits garçons comme les autres? Les frustrations, la maltraitance ou le manque d’affection suffisent-ils à expliquer qu’ils soient devenus des monstres? Grâce à une sorte de «profilage à rebours», Véronique Chalmet montre que les événements qui ont marqué leur enfance – pas toujours si innocente que ça – ont non seulement forgé leur caractère, leur comportement, leurs habitudes, voire leur accoutrement, mais aussi dessiné les contours d’une pensée politique sanguinaire qui n’attendait plus qu’une funeste opportunité pour émerger. MOUAMMAR KADHAFI Admiré par ses parents «Tu seras le plus fort, mon fils, tu seras le meilleur et le plus valeureux.» C’est ce que la maman de Mouammar Kadhafi répétait chaque soir à son petit prince chéri. Fils unique d’Aïcha et Mohammed Abdel Salam ben Hamed, un gardien de chèvres, Mouammar naquit le 7 juin 1942 sous un ciel déchiré par les bombes. Ses parents lui vouaient une admiration démesurée, sur laquelle la mégalomanie du dictateur libyen a sans doute pris racine. C’était un peu l’enfant-miracle, le fils tant attendu, même si des rumeurs le disaient enfant illégitime d’un aviateur corse. Pour son clan, Mouammar représentait la génération de la revanche de la Libye sur les nations coloniales. Son enfance fut marquée par le récit des exploits d’un grand-père qui avait jadis combattu les envahisseurs italiens, ainsi que par les histoires de pirates. Mouammar était fasciné par les flibustiers libyens au point qu’il adopta leurs attributs, se parant de tissus bariolés et glissant à sa ceinture un poignard à lame courte pour imiter les abordages. Adulte, le tyran garda les mêmes atours pour violer filles et garçons ou charmer son auditoire politique. SADDAM HUSSEIN Haï par sa mère, violé par son beau-père «Saddam est le produit d’une enfance misérable émaillée d’expérienContrôle qualité ADOLF HITLER On peut considérer la structure familiale d’Adolf Hitler comme le prototype du régime totalitaire. C’est le point de vue de la psychanalyste Alice Miller dans «C’est pour ton bien» (1985), un livre où elle explique que la maltraitance subie pendant l’enfance est la principale cause de la violence exercée plus tard contre soi-même ou autrui. Le père d’Adolf faisait preuve d’une pédagogie brutale et intolérante. Ses enfants et sa femme étaient soumis à sa volonté et à ses sautes d’humeur. C’était un fonctionnaire qui se définissait comme l’exécutant idéal. Mettant un point d’honneur à exécuter les ordres de sa hiérarchie, il n’en attendait pas moins de sa progéniture. Au moindre faux pas, les coups fusaient. Au point que le frère aîné d’Adolf s’enfuit du foyer familial. Toute l’attention mais aussi tous les coups se portèrent sur «Adi», cajolé par sa mère et considéré comme un raté par le pater familias. Le Führer en garda des séquelles psychologiques, notamment des terreurs nocturnes et des hallucinations dans lesquelles, selon le témoignage de ses proches, il voyait l’ombre menaçante de son géniteur. De cette jeunesse troublée, le dictateur tira aussi les bases de son régime politique et de son administration de mort. Enfant, il fut initié à l’apiculture et resta fasciné par le comportement des abeilles dont il garda de riches enseignements sur la sélection naturelle, la notion de territoire et le sacrifice des insectes-soldats. Quant à sa mère, blonde aux yeux bleus, il en fit l’archétype de la perfection raciale. MAO TSÉ-TOUNG Un père cupide cSadam Hussein Né en 1937 en Irak, il a dirigé le pays de 1979 à 2003 et fut exécuté à Bagdad en 2006 suite à sa condamnation à mort. ces amères, qu’il n’a jamais oubliées ni dépassées.» C’est ce qu’écrira son biographe, Saïd Aburish, en 1970. La mère de Saddam Hussein, abandonnée par son mari alors qu’elle était enceinte de sept mois, tenta d’avorter en frappant son ventre de toutes ses forces. En vain. Elle accoucha en avril 1937 d’un enfant qu’elle haït toute sa vie. Le bébé fut aussitôt confié à son oncle, mais ce dernier, nationaliste convaincu engagé dans l’armée irakienne, fut très vite emprisonné à la suite d’un putsch manqué contre Bagdad. Le petit Saddam, 4 ans, retourna donc chez sa mère. Cette dernière s’était remariée à un certain Ibrahim Hassan qui ne voyait pas d’un bon œil la présence de ce bâtard sous son toit. L’homme brutal et vicieux devint le tortionnaire du garçonnet. Violence et abus sexuel devinrent le quotidien de Saddam jusqu’à ce qu’il puisse retourner vivre chez son oncle. Saddam devint un garçon solitaire, retors et cynique, fasciné par Hitler et Staline et passionné par la mafia. IDI AMIN DADA Un père tueur, une mère sorcière Son père était un guerrier nubien à la réputation de tueur impitoyable. Sa mère, une guérisseuse pratiquant sorcellerie et rites sanglants, notamment le sacrifice de fœtus et d’enfants. Idi Amin Dada grandit dans cette atmosphère de magie noire et assista, tout petit déjà, à de terribles rituels. En Ouganda, on pratiquait la mutilation des morts, la castration des vaincus et l’anthropophagie rituelle. Des coutumes que le tyran psychopathe reproduisit à sa manière durant huit années de terreur. Le jeune Idi n’avait pas d’amis car les gamins de son âge se méfiaient de lui. Rusé et féroce, il se vengeait sur les plus faibles des moqueries ou des vexations qu’on lui faisait subir. A 13 ans, Amin Dada fut victime de discrimination ethnique à l’encontre des Nubiens et exclu de l’école. Avec d’autres laissés-pour-compte, il prit l’habitude d’attendre la sortie des classes pour tabasser ceux qui avaient la chance d’étudier; le dictateur gardera une haine non dissimulée pour les intellectuels de son pays. Le dictateur découvrit sa vocation en 1946 en participant comme recrue à des exactions au Kenya. Les officiers britanniques admiraient ce jeune homme «aussi puissant qu’un bœuf», et au dire de Véronique Chalmet, on peut affirmer que le colonialisme encouragea Amin Dada à libérer les pires instincts qui sommeillaient en lui depuis l’enfance. Tsé-toung est né en 1893 dans une famille prospère de paysans chinois. Son enfance fut marquée par les coups et les privations alimentaires, car son père était un personnage dur, cupide et dénué de tendresse. Valorisant avant tout le labeur physique, il mettait un point d’honneur à ne posséder que le strict nécessaire. Idée que Mao récupérera lorsqu’il sera à la tête du Parti communiste. Quant à sa mère, c’était une femme soumise qui ne trouvait un espace de liberté que dans la pratique assidue du bouddhisme. Bouddhiste, le jeune Mao le fut tout autant avant de rejeter la foi et d’embrasser un idéal politique pétri d’idées totalitaires. Les catholiques firent notamment les frais des décisions de Mao, et dans les années 1950, des centaines de prêtres, accusés des pires crimes, furent massacrés. Conséquence: cet exemple dissuada les croyants des autres religions de pratiquer leur culte. Peut-être Mao avait-il compris, en observant sa mère, que la religion pouvait être une forme d’évasion, et par là de résistance à l’autorité dont il fallait se prémunir… x c A lire Véronique Chalmet, «L’enfance des dictateurs», Editions Prisma, 164 p.