LE PRESENT IMPARFAIT

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LE PRESENT IMPARFAIT
Gauloise Blonde contre Gitane Mahousse
Gauloise Blonde contre Gitane
mahousse
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Gauloise Blonde contre Gitane Mahousse
Du même auteur
Paires et impairs
L’œil au beur Noir
La Recette de l’Abbé Harnez
La Poule aux yeux d’or
Messes Noires
May Queen
Stock en Coke
Au nom du Pèze
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Gauloise Blonde contre Gitane Mahousse
Vic Duvall
GAULOISE BLONDE
contre
GITANE MAHOUSSE
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Gauloise Blonde contre Gitane Mahousse
CHAPITRE 1
Il n’y a pas que dans l’air qu’il flotte des trucs bizarres.
Je porte sur le cul un de ces micro-monokinis tellement micromono et tellement kini que ça fait dresser les tentes dans les slips
de tous les mecs sur la plage.
Le bas du micro-machin, c’est un string à peine plus large qu’un
timbre poste et mes deux missiles air-air en complète liberté –
tenue obligatoire sur ce genre de plage pour pas avoir l’air tartepointent en avant comme la proue d’un transatlantique au large
des Açores.
Je sue à grosses gouttes.
Faut dire qu’on est en plein mois d’Août, et qu’il fait une chaleur
à crever.
Heureusement, une brise légère venue du large caresse
agréablement mon corps (presque) nu, ça rafraîchit un chouïa. Je
sens que je ne vais pas tarder à filer à la baille me tremper les
miches.
Le blème, c’est que la plage est noire de populo.
Pour arriver à nager peinard, faut faire le parcours du combattant
en jouant des coudes sur une longueur d’au moins trente mètres
dans l’eau (là où on a pied) jusqu’à l’endroit béni des dieux où on
n’a plus pied : là, on a enfin la paix, n’y circulent que ceux qui
savent nager –et y en a nettement moins.
Un cornet de glace vanille-pistache dans chaque main, je me
dirige précautionneusement vers les cinquante centimètres carrés
de sable sale où on a, Jean et moi, réussi à étaler nos serviettes.
Tout en avançant, je fais gaffe de ne pas écrabouiller par mégarde
un nichon qui bronze ou de poser malencontreusement un pingot
sur la frite d’une meuf en train de cramer.
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Gauloise Blonde contre Gitane Mahousse
Reconnaissons qu’on a été un peu cons sur les bords1 en
choisissant Ibiza comme lieu de villégiature cette année.
Jean et moi, on aime les grands espaces, l’ai pur, le calme et la
solitude : à Ibiza, on est servis.
L’île est étroite, surpeuplée et l’air n’est plus pur depuis belle
lurette : ça pue le Monoï, le tabac froid, l’huile brûlée des churros,
le graillon de frite et le cul pas propre.
Seul avantage : le mahomet brille sans relâche.
Tout le reste, c’est des inconvénients. Dont le plus notoire est
l’invasion touristique –j’en fais partie, certes, je reconnais. Mais
des touristes, il y en a un paquet, à Ibiza, des touristes venus de
tous les coins du monde.
Mais surtout de Germanie.
Je n’ai pas vécu sous l’Occupation pendant la 2ème Guerre
Mondiale, mais la prolifération teutonne qui sévit aux Baléares
pendant l’été me donne une petite idée de ce que ça a dû être.
Ici, pas besoin de jacter l’Espingouin, mon pote. L’Allemand
suffit. Ils sont partout, les Schleus. PARTOUT.
Ils ont envahi les hôtels (où ils sont les rois – Eurodeutschmark
oblige), ils pullulent dans tous les restaus où, grands seigneurs, ils
chopent évidemment les meilleures tables, ils te bousculent sans
dire pardon dans les boutiques ou sur les trottoirs, et ils sont
également omniprésents sur les plages où ils s’octroient d’office
pratiquement toute la surface terrestre et maritime.
Nous, si on a choisi les Baléares comme destination, c’est d’abord
parce que je préfère la mer à la montagne.
Mais pas n’importe quelle mer, hein ? Pour moi, il faut que la
température extérieure se situe entre 25 et 35°C et que celle de la
flotte ne descende pas au-dessous de 23°. Malgré toute la beauté
de leur bled, que mes amis Bretons me pardonnent : j’irai jamais
passer l’été à Ploumanac’h ou à Saint-Quay-Portrieux, parole. Ou
alors, juste pour visiter. Ou pour Noël.
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Et même au milieu…
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Gauloise Blonde contre Gitane Mahousse
La seconde raison de ce choix, avouons-le, c’est parce qu’on s’y
est pris au dernier moment pour effectuer nos réservations,
comme d’hab.
Moins de deux et on passait l’été à Pantruche. Toutes les stations
balnéaires de la planète –enfin, celles qui correspondaient à nos
moyens financiers- étaient pleines à craquer.
Heureusement, coup de bol : au moment où, désespérés, on allait
renoncer, un groupe de Teutons a annulé son séjour à Ibiza.
L’agence de voyages nous a proposé cette destination, et nous, on
a sauté sur l’occase, tu penses, pour prendre la place laissée
vacante par les Boches (une fois n’est pas coutume).
De toutes façons, à la Grande Taule, on glandait ferme depuis
plus d’un mois.
Les criminels, les serial killers, les trafiquants de tous ordres et les
cinglés de tous acabits ayant décidé, eux aussi, de faire relâche
pendant l’été, la Brigade Osiris2 s’est pratiquement retrouvée au
chomedu.
Octave Hergey-Bell (notre cher Préfet), en accord avec le
Commissaire Divisionnaire Jean Breille (l’homme de ma vie),
nous a tous incités à aller voir ailleurs s’il y était.
Ce que nous nous sommes empressés de faire.
L’un de mes meilleurs Lieutenants, Jean-Fred Edler –d’origine
Guadeloupéenne, baraqué comme une armoire normande (deux
mètres de haut et cent-dix kilos)- a également profité de la
reddition du groupe allemand pour s’octroyer le reste des places
vacantes avec sa “petite” famille, sur cette délicieuse île Ibérique.
Quand je dis “petite famille”, c’est entre guillemets, because JeanFred a débarqué avec sa femme, Dominique, et ses six bambins,
âgés de 2 à 12 ans (il en fabrique un tous les deux ans).
Dominique n’est pas Guadeloupéenne, elle.
Département spécial dont j’ai l’honneur (et pas forcément l’avantage) d’être la patronne, créé pour
s’occuper de tous les trucs de merde qui sortent un peu de l’ordinaire. Vaste programme.
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Gauloise Blonde contre Gitane Mahousse
Elle est née à St-Nom-la-Bretèche. Aussi blanche que son mec est
noir, elle possède un gabarit pour le moins aussi imposant que
celui de son homme, avec des moustaches en plus.
Ses multiples maternités, si elles lui ont apporté la satisfaction
d’une nombreuse descendance en excellente santé, ont également
été la cause principale d’une brioche monumentale surmontée
d’une impressionnante paire de roploplos en forme de
baudruches vides, qu’elle exhibe sur la plage sans aucune gêne.
Car Domi n’est pas complexée pour deux €uros (espagnols, c’est
à dire 332,772 pesetas –mais tu t’en bats l’œil, je suppose).
Elle se vautre sur le sable, mamelles nues cramoisies, sans être le
moins du monde dérangée par les regards pleins de pitié et de
dérision que lui décochent les minettes alentour, créatures de rêve
pour la plupart.
Des souris, faut avouer, dont la plus moche pourrait prendre sans
problème la place d’Adriana Skleranikova3 dans un défilé de chez
Chanel, et qui ne se cachent pas pour se gausser ouvertement de
la baleine avachie à nos côtés.
Personnellement, je n’ai rien à envier ni à ces greluches, ni à
Adriana.
Mon dabe m’a dotée de longs crins plus blonds que ceux d’une
Finnoise dans l’Archipel d’Äland, d’un visage de poupée de
porcelaine avec de grands yeux bleus comme un lagon à BoraBora, un petit nez fin et une bouche pulpeuse.
Ma daronne, de son côté, a fourni le reste : un corps élancé avec,
je t’énumère de haut en bas : une avancée mammaire formée de
deux obus à têtes chercheuses, une taille de guêpe poliste, une
malle arrière conçue juste pour les paluches masculines, le tout
surplombant une longue paire de cannes fines et bien galbées qui
feraient pâlir de jalousie un mannequin de chez Gucci.
Pour en revenir à Dominique, le regard et les ricanements
moqueurs des autres me gênent. Et pourtant, je devrais m’en
taper, puisque Domi, elle, elle s’en fout royal.
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Ou Karembeu, si tu préfères.
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Gauloise Blonde contre Gitane Mahousse
Depuis notre arrivée à Ibiza, son homme profite à donf de ses
vacances.
Il est toujours fourré à l’eau, jouant et pataugeant avec ses
marmots.
Au restau, il bouffe comme douze –bonjour son budget- et à
l’hôtel, il squatte le bar tous les soirs, sirotant des schnaps sakom
en compagnie de quelques spécimens d’alcolos complètement
Germaniques, braillant avec eux des chansons hautement
paillardes.
Il réintègre sa piaule sur le coup de trois ou quatre plombes du
mat’, beurré comme un petit Lu, et se ramasse immanquablement
une avoinée de sa grosse, dont la voix porte. Ça réveille
généralement presque tout l’hôtel -sans pour autant l’empêcher
de recommencer le lendemain.
Au bar, il s’est fait des potes, notre Guadeloupéen préféré.
Deux pochards couperosés, originaires de Düsseldorf, et un gros
porc suintant, Alonzo Balonzimar, un Gitan aux allures plus que
douteuses qui crèche –paraît-il- dans une caravane, aux portes de
la ville.
Jean et moi, au début, avions pris l’habitude d’aller boire un ou
deux verres avec eux. Quand je dis «un ou deux verres», tu peux
multiplier par douze. Au bout de trois jours et d’autant de cuites,
les réveils tardifs avec le bocal défoncé nous ont décidés à
renoncer. Alors, on a évité le bar, et on a préféré se balader en
ville plutôt que de prendre une mufflée.
L’hôtel El Corso, où nous créchons, est situé pile-poil sur le port
et toutes ses piaules dotées de petits balcons offrent l’avantage
d’une vue imprenable sur la vieille ville (Dalt Vila, la Ville
Supérieure) dominée par son château.
Il faut te dire (mais je crains que tu ne t’en foutes royalement)
qu’Ibiza, fondée par les phéniciens il y a 2600 ans, est une cité
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absolument superbe, entourée de remparts qui se composent de
sept bastions munis d’artillerie, et d’un ravelin4.
Si on commence à visiter la ville par Dalt Vila, on peut observer
la cathédrale dédiée à la Vierge Marie, magnifique construction de
style gothique catalan allié à un genre baroque datant du XVIIIe
siècle. Faisant angle avec la Cathédrale, se trouve le bâtiment de
l’ancienne “ Universitat ”, organe d’auto-gouvernement insulaire
établi au XIIe siècle et éliminé au XVIII avec l’arrivée des troupes
espagnoles. Dans ses dépendances, se trouve aujourd’hui le
Musée Archéologique de Dalt Vila, qui occupe également le
bastion de Santa Tecla, à côté de la Cathédrale.
Si je te rase, dis-le, hein ? N’hésite surtout pas. Non ?
Bon, je continue.
La Reial Curia, ancienne cour de Tribunal, rejoint la Carrer Major,
rue principale qu’on aborde en passant sous une magnifique porte
gothique. La Reial Curia logeait autrefois l’équivalent des actuels
Tribunaux et Notariats. Au fond, se trouvent la halle aux blés, et
le château qui domine de toute sa hauteur à la fois la place et la
ville.
En descendant la Carrer Major, on arrive à la Carrer de Sant
Ciriac, où se trouve la chapelle du Saint vénéré ici chaque année le
8 Août, selon la tradition, car c’est, paraît-il, le lieu où les troupes
du Roi Jaume I le Conquérant réussirent à éliminer la résistance
sarrasine.
En empruntant quelques ruelles étroites, on arrive à la Plaça
d’Espanya, où se dresse la Mairie, ancien couvent dominicain.
Et si on continue à descendre (en évitant au max de se casser la
gueule because c’est assez raide par endroits), avant d’atteindre la
Plaça de Villa, on tombe sur la statue de don Isidor Macabich
(illustre poète dont mon inculture entend parler pour la première
fois5), puis sur un centre commercial et d’artisanat qui donne sur
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Pour ta cultivation personnelle : ouvrage de fortification en forme de demi-lune.
Cherche pas, y a pas de lézard, malgré son nom à coucher dehors, il a réellement existé, ce gus.
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la Place d’Armes du Portal de Ses Taules, laquelle est en fait
l’entrée officielle de la ville fortifiée.
Après quoi, tu tombes pile-poil sur le port, donc sur les bars, les
boîtes de nuit, les lupanars et les commerces de tous acabits.
Voilà. Ça fera 3 €uros, merci pour le guide.
Pendant que je te raconte tout ça, j’ai finalement réussi à atteindre
sans encombre le carré de sable où Jean roupille à moitié, avachi
sur sa serviette.
Je m’agenouille à côté de lui et je lui tends son cornet, qui
commence à dégueuler de partout à cause de la chaleur, puis je
me grouille d’attaquer le mien avant qu’il n’ait complètement
fondu.
Tu peux pas savoir comme on est bien, là, au soleil, à déguster
une bonne glace et à glander en bronzant. Le panard.
Par contre, question calme, c’est pas au top.
On ne peut pas parler de « bruit », le mot est faible. Non, c’est pire
que ça : tout autour de nous, le raffût est généré par les
gueulantes de centaines -que dis-je : de milliers- de baigneurs qui
s’éclatent en hurlant dans les eaux tièdes de la Méditerranée.
Tout ce barouf te transperce salement les esgourdes, et je me
demande comment mon Jeannot, après l’intermède du cornet de
glace, a réussi à replonger dans un sommeil béat, allongé sur le
ventre.
-Tu viens te baigner ?
-Mmmmmmmmurf…..
-Allez, bouge un peu, mon cœur, tu vas finir calciné si tu restes
trop longtemps étalé au soleil !
-Mmmmmmmmmmurf….
Bon, j’ai compris.
Je vais aller faire trempette seulâbre.
Comme je te l’ai dit tout à l’heure, le plus duraille, c’est de passer
les trente premiers mètres d’encombrement.
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Après (là où on n’a plus pied), on atteint une zone nettement
moins peuplée, plus propre et plus calme, où on peut nager à peu
près tranquille. C’est mon objectif.
Sur sa serviette, le dos de Jean est rouge comme une écrevisse. Je
suppute que, ce soir, tout ceci va se concrétiser par un superbe
coup de soleil, et que Jean –qui est homme avant tout, donc
excessivement douillet6- va pleurer sa misère pire que Roger
Gicquel au Journal de 20 heures.
Va y avoir de la Biafine dans l’air.
- T’es sûr que tu veux pas venir ?
Il grogne un “ Pas envie, vas-y, toi ” tout ensommeillé.
Bonne pomme, je lui passe un litre de crème solaire sur les
omoplates avant de l’abandonner à sa cuisson pour aller nager un
peu.
Jean-Fred Edler, immense, est facilement repérable au milieu du
troupeau de baigneurs. Il s’amuse à jouer les trampolines, à la
grande joie de ses rejetons. Il les chope un par un, les soulève à
bout de bras, puis les envoie valdinguer à deux mètres de là, dans
un geyser de flotte qui engendre les protestations véhémentes des
nageurs alentour.
Jef m’aperçoit. Sa bouille ronde et noire s’épanouit en un large
sourire qui découvre deux rangées de ratiches immaculées :
- Venez par ici, Mamzelle Victoria ! me crie-t-il. Vous êtes pas
plus g’osse qu’une ablette, je vais vous envoyer en l’ai’ !
Inutile de lui dire que pour ça, mon Jeannot me suffit : il ne
comprendrait sans doute pas la subtilité, Jef.
Dominique, quant à elle, se contente de barboter tranquillement à
quelques mètres de sa marmaille.
Elle n’a pas droit au trampoline, Domi. Car malgré la force quasiherculéenne de son mec, il en faudrait au moins trois comme lui
pour pouvoir la soulever ne serait-ce qu’à vingt centimètres audessus du niveau de la mer.
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Non, pas David. Jean, c’est plutôt Harrison Ford.
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Le Guadeloupéen, ignorant mes cris de protestation, me saisit par
la taille, puis me propulse de toutes ses forces à la baille.
Un super vol-plané et plaoufff ! Je chois dans l’eau à deux mètres
de là.
Et c’est ici que ça se complique, mon pote.
Vu qu’il y a près de vingt clampins qui pateaugent au mètre carré,
ce qui devait arriver arrive, et comme de bien entendu, ça tombe
sur moi.
Enfin, je me dois de corriger : c’est plutôt moi qui tombe sur un
baigneur. : je sens mon panard gauche heurter avec violence le
corps mou d’un mec qui faisait tranquillement la planche à
proximité.
Je refais surface, manquant de boire la tasse, et j’aspire une grande
goulée d’air pas frais. J’ai mal au pied, merde. J’espère que je ne
me suis pas cassé quelque chose, ce serait la poisse. Bonjour les
vacances !
Et surtout, j’espère ne pas avoir esquinté le baigneur non plus.
Bizarrement, il n’a pas moufté d’un poil, le baigneur. Il continue à
flotter, comme si de rien n’était.
- Excusez-moi, lui dis-je en anglais7. J’espère que je ne vous ai pas
blessé…
Le visage du planchiste reste toujours impassible, son corps est
immobile, doucement balancé par les remous provoqués par les
jeux des baigneurs alentour.
Mes crins se dressent sur ma théière : l’aurais-je assommé ?
Merde de merde.
C’est la big tuile, faut pas qu’il se noie. Mais il ne coule pas, le gus,
il flotte, les yeux fermés, bras et jambes en croix, son grand corps
toujours bercé par les remous des autres nageurs.
- Jef ! gueulé-je. Ramène ta fraise ! Vite !
La langue de Shakespeare étant –comme chacun sait- l’une des plus utilisées dans le monde, on a donc, en
principe, neuf chances sur dix d’être compris.
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Le Guadeloupéen, au ton de ma voix, devine qu’il se passe
quelque chose de grave. Abandonnant ses chiares, il fend les eaux
dans ma direction, plus vite qu’un offshore dans la baie de Rio.
D’un coup d’œil, il pige la situation au quart de tour.
- Me’de ! Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? s’étonne-t-il en se
penchant sur le visage du gars.
- Je l’ai heurté avec mon pied, expliqué-je sombrement. C’est la
cata, Jef : j’ai assommé ce mec, faut qu’on le ramène à terre. Aidemoi.
Jef observe toujour le visage du baigneur.
- C’est pas possible, Mamzelle Victoria, vous avez pas pu
l’assommer, vous l’avez pas heu’té assez fo’t ! remarque-t-il, le
front soucieux. Ou alo’s, ce type est v’aiment pas costaud du
tout !
Les mômes de Jef font mine de nous rejoindre, mais le
Guadeloupéen leur ordonne fermement de rester où ils sont.
Inutile que ces doux chérubins viennent gêner notre manœuvre
de sauvetage.
Edler saisit le type, un bras sous les aisselles, un bras sous les
genoux, pour le sortir de l’eau. Le Guadeloupéen pousse un
glapissement et laisse brutalement le corps retomber à la baille.
-Qu’est-ce qu’il y a, Jef ? je gronde. Fais gaffe, il va vraiment se
noyer !
Jef a pâli (il est gris anthracite) :
-Putain, Mamzelle Vic ! ça ‘isque pas. Il est calanché, ce mec !
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