A pleines dents
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A pleines dents
biotech-145 11/07/11 15:36 Page 48 TÉMOIGNAGE A pleines dents par Dominique Dubois : [email protected] scanner détenu dans son cabinet. Les grands groupes, en prêtant ou louant ledit scanner, verrouillent le workflow en créant des fichiers numérisés propriétaires. Les praticiens ne connaissent rien à l’usinage, mais les prothésistes doivent connaître suffisamment le métier pour interpréter les fichiers reçus, afin de livrer des prothèses solides et utilisables pendant des années. Les délais sont toujours plus courts et la demande s’accroit sans cesse. Parlons argent M. Richard devant la Witech MIC5 qui a eu du mal à trouver une place dans ce petit local. Cette machine 5 axes est bien adaptée aux travaux demandés et suffisamment rapide. La CNC est de chez Cybelec, totalement prise en charge par le logiciel de FAO moyennant un post-processeur dédié. L e prothésisme dentaire est une activité industrielle à la croisée de plusieurs métiers, de deux mondes, tout à la fois largement automatisée et très manuelle. Visiter la société Biotech, une des plus en pointe dans ce domaine en France ne manquait pas d’intérêt, voici pourquoi. Une profession ouverte et fermée Le monde du prothésisme dentaire est à la fois constitué de petits laboratoires de proximité, souvent artisanaux, mais aussi de grosses multinationales qui cherchent à verrouiller le process directement chez les praticiens. En effet, le chirurgien dentiste est en prise directe avec le labo qui va réaliser la prothèse et va lui livrer soit un moulage, soit une empreinte, soit un fichier numérique 3 D obtenu par un Disons le tout net les prothèses sont vendues à un prix anormalement bas et qui permet tout juste aux petits indépendants de survivre. Le coefficient de marge appliqué par le dentiste est fort conséquent (entre 4 et 5 fois), mais peut en grande partie s’expliquer. Les taux de remboursement en France et dans la plupart des pays sont ridicules pour les prothèses, notamment en implantologie, ce qui mène une part croissante de la population à s’en passer même quand des problèmes de santé s’ensuivent. A la décharge des dentistes, précisons que ceux-ci perdent de l’argent sur les soins courants (caries, arrachages, dévitalisations, etc) et se rattrapent sur les prothèses. Il est bien évident que si les prothèses étaient un peu moins onéreuses, beaucoup plus de gens y auraient recours mais ceci est un autre débat. Notons simplement que le marché des prothèses esthétiques est en pleine croissance et qu’il y a moyen d’y gagner beaucoup d’argent en automatisant au maximum et en faisant chuter le poste main-d’œuvre. Une variété de produits importante Ce n’est pas facile d’industrialiser une fabrication chez un prothésiste dentaire ; il faut savoir usiner des résines, couler de la stellite, usiner des zircones, du ferro nickel, employer de bons céramistes, posséder une ou plusieurs machines spécialisées, le plus souvent 4 à 6 axes, être équipé pour traiter et exploiter les fichiers numériques reçus ou scanner les moulages, créer des parcours d’usinage, tous uniques mais en panoplie dans des galettes de matière et faire tout cela Voici un inlay ou dent sur pivot. Ce système très utile en son temps et seul à être bien remboursé en France, bloque le développement des implants, bien plus durables et sûrs. 48 - Juillet/Août 2011 - TRAMETAL biotech-145 11/07/11 15:36 Page 49 TÉMOIGNAGE vite, avec précision, traçabilité et pas cher. Les produits demandés vont de la dent sur pivot, au bridge classique ou ancré sur implants, au dentier amovible ou semi fixe, aux coiffes d’implants, aux prothèses sur arcs d’implants et encore de multiples variantes. La précision ressort au 1/10e de mm et celle des couleurs est délicate sur les zircones qui sont la partie visible du travail. Un métier extrêmement technique fait par des gens qui ne sont pas vraiment des usineurs. C’est ce qui explique les difficultés initiales pour mettre au point une chaîne CFAO exploitable et surtout semi-automatisée. Les développeurs de SESCOI ont du s’imprégner longuement du terrain et dialoguer avec tous les intervenants pour arriver au produit actuel, Work NC Dental. La structure en chrome cobalt d’un bridge 5 dents sur implants vient d’être coulée et va être usinée Un véritable usinage automatisé En effet, le workflow type avec NC Dental est un modèle du genre : le responsable de Biotech, M.Richard, qui a certes du métier, n’a mis que 4 à 5 minutes pour traiter le fichier CAO en numérisant un moulage en résine, puis une autre minute a suffi pour envoyer le parcours FAO à la machine avec la gamme d’outils, la matière disponible, le posage, etc. Il a fallu 14 minutes pour usiner le bridge souhaité en cire. Encore, M. Richard a t’il eu le temps d’ajouter les attaches, de jouer sur les épaisseurs pour renforcer et de laisser la place au ciment de scellement. Le programme de FAO connaît parfaitement la machine, le parc d’outils, le posage bien particulier, l’anti collision est géré en temps masqué. Si le fichier reçu a un maillage trop faible ou imprécis, il est possible de lisser pour récupérer un fichier exploitable. Biotech intervient aussi comme sous-traitant pour certains prothésistes non équipés pour usiner ou couler qui adressent moulages ou fichiers STL. Notons que les formes sont ici toutes complexes et qu’une précision élevée est requise, car si le contact n’est pas parfait entre la couronne et son support, une infection s’ensuivra ou il y aura un réservoir à bactéries. La structure est presque prête avant polissage et ajustage à être essayée sur les implants qui doivent déjà être dans la bouche du patient. restent encore l’apanage de sociétés comme Biotech. Actuellement les prothèses tout zircone évitent le support métallique et apportent un plus esthétique indéniable pour une clientèle largement féminine. En outre, le coût de revient de telles prothèses descend à 150 euros environ (40 euros en low-cost à l’étranger). Il s’agit d’un système expert avancé, mais qui laisse toujours à l’expert la possibilité de valoriser ses connaissances pour améliorer la valeur ajoutée du travail. Ce point est vital, car si le travail tout venant a été capté par les multinationales et notamment les Suédois, les travaux à haute valeur ajoutée Voici un des céramistes de Biotech qui prépare la coiffe d’un bridge sur structure chrome cobalt avant cuisson et avec l’aide de photos des autres dents du patient et une palette de couleurs. Pour corser la difficulté, non seulement la cuisson fait un peu varier la teinte, mais la couleur des dents de patients âgés ou ayant fumé n’est pas évidente à retrouver pour garder un aspect naturel. TRAMETAL - Juillet/Août 2011 - 49 biotech-145 11/07/11 15:36 Page 50 TÉMOIGNAGE ne souhaitent pas laisser leurs patients sans dents surtout quand elles sont bien visibles ou que le métier exercé oblige à une dentition impeccable. Notons d’ailleurs que certains labos étrangers low-cost ont déjà eu des soucis avec la traçabilité et la provenance des matériaux utilisés. Notamment des titanes asiatiques inhomogénes. Un fameux banc d’essais pour les micro-outils M. Richard est en train de numériser un moulage dans le scan de Dental Wings à gauche et examine le fichier CAO obtenu avant de le basculer en toute transparence sur NC Dental sur l’écran de droite et générer le programme d’usinage avec toute la gamme. Le processus n’aura pris que quelques minutes avec les explications. Comme l’indique M. Journeau, l’expert NC Dental de Sescoi sur la région, le module d’implantologie a été développé avec OSEO en solution ouverte tandis que la CAO utilisée provient de DENTAL WINGS, partenaire canadien de Sescoi. La part de main-d’œuvre est de plus de 90 % pour un labo artisanal contre au moins 60 % dans une structure largement automatisée. L’usinage permet surtout de réduire l’impact des opérations longues et de mieux tenir les délais. En revanche, les investissements sont lourds. Pour un petit labo, un délai de 8 jours est tout à fait envisageable, ce qui est un gros plus. Il faut comprendre les praticiens qui A la question de savoir si en frittage laser ou en impression directe 3 D, des solutions alternatives à l’usinage auraient été possibles, M. Richard ne trouve pas assez de flexibilité au laser, coûteux et peu adapté aux formes très complexes en 3 D tandis que l’impression 3 D pourrait se montrer utile, mais est quand même plus efficace sur des fournées de petites pièces qu’à l’unité et de toute façon encore trop lente. L’usinage direct de dents en zircone teinté est possible pour des dents arrières mais pour les dents visibles, l’intervention d’un bon céramiste reste incontournable. Si au départ Biotech s’est contenté de machines 4 axes puis 3 + 2, le passage en vrai 5 axes positionné ou continu est vite apparu indispensable. Le clou de l’atelier actuel, un déménagement étant prévu dans la semaine, est une WITECH MIC5 qui est capable d’usiner 3 couronnes à l’heure avec des outils Jabro qui tiennent 80 pièces environ, en sachant que les vitesses de coupe sont encore un peu faibles. Une palettisation est prévue mais déjà la machine réalise plus d’une dizaine de prothèses en panoplie sur le même disque. Il est bien évident qu’une véritable machine-outil «lourde» comme une Willemin Macodel travaillant dans la barre «en arc» de l’acier chrome nickel tomberait la même prothèse en 8 minutes, ce qui donnerait une nouvelle rentabilité, mais pour un investissement initial supérieur et l’obligation d’un plancher adapté. Voici la dent sur pivot présentée figure 2, mais numérisée sur son moulage initial, avant mise en fabrication. 50 - Juillet/Août 2011 - TRAMETAL 11/07/11 15:36 Page 51 Selon M. Journeau ”Le workflow permet de gagner bien plus en productivité qu’en jouant sur le temps d’usinage lui même. Avoir une CAO plus précise permet de gagner du temps sur la FAO. Ici, une machine un peu moins rapide, mais bien automatisée aura un taux d’engagement bien suffisant et si elle est assez précise et fiable, son coût d’achat moindre sera d’autant plus vite amorti dans une structure où les marges sont réduites». Un exemple de brut restant en cire sur un montage d’usinage type utilisé chez Biotech NC Dental, une solution ouverte et aboutie Aujourd’hui, Sescoi a une base installée pour Work NC Dental de plus de 30 clients sur des machines Mikron, DMG, Willemin Macodel, etc. Des gammes personnalisées ont été développées pour chaque machine ou type de prise de pièce. Une demi journée de formation suffit pour prendre le produit en main et commencer à personnaliser le produit selon des critères propres. Le logiciel est capable de récupérer le numéro de la prescription sur le fichier CAO et de générer un gravage sur la pièce finie. La précision du maillage du scan ou le réglage du balayage optique de la caméra doivent d’ailleurs être affinés pour être suffisamment précis sans devenir trop lourds à manipuler. Le logiciel gère un parc multi-machines, différents matériaux avec des stratégies adaptées, les bruts restants sont pris en compte, les attaches de cuisson ou de maintien sont proposées en automatique, les lignes de limites cervicales sont affichées en quelques secondes et modifiables et enfin les modules dédiés implantologie, 5 axes (advanced) ou encore stellites et modèles permettent les travaux les plus délicats avec toute la TÉMOIGNAGE biotech-145 Toujours la fameuse dent sur pivot que le logiciel a été faire usiner sur un petit bout de brut restant. précision requise. Les donneurs d’ordre ici ne sont pas moins virulents que dans l’aéronautique ou l’automobile et une erreur même minime sur un bridge multi-implants sera très désagréable pour le patient. Biotech a déménagé dans des locaux plus pratiques et plus spacieux, afin de poursuivre son développement qui, sans atteindre une taille importante, lui permettra de se battre à la fois sur les coûts de revient et sur une qualité inégalée. ❏ Sur cette machine plus ancienne à 3 axes, on remarque la broche haute fréquence Jäger, le changeur d’outil pick-up et deux logements pour des disques de bruts. Un exemple de prothèses réalisables en arc sur une machine travaillant à la barre comme une Willemin Macodel. TRAMETAL - Juillet/Août 2011 - 51