A pleines dents

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A pleines dents
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TÉMOIGNAGE
A pleines dents
par Dominique Dubois : [email protected]
scanner détenu dans son cabinet. Les grands
groupes, en prêtant ou louant ledit scanner,
verrouillent le workflow en créant des fichiers
numérisés propriétaires. Les praticiens ne
connaissent rien à l’usinage, mais les prothésistes doivent connaître suffisamment le
métier pour interpréter les fichiers reçus, afin
de livrer des prothèses solides et utilisables
pendant des années. Les délais sont toujours
plus courts et la demande s’accroit sans
cesse.
Parlons argent
M. Richard devant
la Witech MIC5 qui
a eu du mal à
trouver une place
dans ce petit local.
Cette machine
5 axes est bien
adaptée aux
travaux demandés
et suffisamment
rapide. La CNC est
de chez Cybelec,
totalement prise en
charge par le
logiciel de FAO
moyennant un
post-processeur
dédié.
L
e prothésisme dentaire est une
activité industrielle à la croisée de plusieurs métiers, de deux mondes, tout à
la fois largement automatisée et très
manuelle. Visiter la société Biotech,
une des plus en pointe dans ce domaine en France ne manquait pas d’intérêt,
voici pourquoi.
Une profession ouverte et fermée
Le monde du prothésisme dentaire est à la
fois constitué de petits laboratoires de proximité, souvent artisanaux, mais aussi de grosses multinationales qui cherchent à verrouiller
le process directement chez les praticiens. En
effet, le chirurgien dentiste est en prise directe avec le labo qui va réaliser la prothèse et va
lui livrer soit un moulage, soit une empreinte,
soit un fichier numérique 3 D obtenu par un
Disons le tout net les prothèses sont vendues à un prix anormalement bas et qui permet tout juste aux petits indépendants de
survivre. Le coefficient de marge appliqué par
le dentiste est fort conséquent (entre 4 et 5
fois), mais peut en grande partie s’expliquer.
Les taux de remboursement en France et
dans la plupart des pays sont ridicules pour
les prothèses, notamment en implantologie,
ce qui mène une part croissante de la population à s’en passer même quand des problèmes de santé s’ensuivent. A la décharge des
dentistes, précisons que ceux-ci perdent de
l’argent sur les soins courants (caries, arrachages, dévitalisations, etc) et se rattrapent
sur les prothèses. Il est bien évident que si les
prothèses étaient un peu moins onéreuses,
beaucoup plus de gens y auraient recours
mais ceci est un autre débat. Notons simplement que le marché des prothèses esthétiques est en pleine croissance et qu’il y a
moyen d’y gagner beaucoup d’argent en
automatisant au maximum et en faisant
chuter le poste main-d’œuvre.
Une variété de produits importante
Ce n’est pas facile d’industrialiser une
fabrication chez un prothésiste dentaire ; il
faut savoir usiner des résines, couler de la
stellite, usiner des zircones, du ferro nickel,
employer de bons céramistes, posséder une
ou plusieurs machines spécialisées, le plus
souvent 4 à 6 axes, être équipé pour traiter et
exploiter les fichiers numériques reçus ou
scanner les moulages, créer des parcours
d’usinage, tous uniques mais en panoplie
dans des galettes de matière et faire tout cela
Voici un inlay ou dent sur pivot. Ce système très
utile en son temps et seul à être bien remboursé en
France, bloque le développement des implants, bien
plus durables et sûrs.
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vite, avec précision, traçabilité et pas cher.
Les produits demandés vont de la dent sur
pivot, au bridge classique ou ancré sur
implants, au dentier amovible ou semi fixe,
aux coiffes d’implants, aux prothèses sur arcs
d’implants et encore de multiples variantes.
La précision ressort au 1/10e de mm et celle
des couleurs est délicate sur les zircones qui
sont la partie visible du travail. Un métier
extrêmement technique fait par des gens qui
ne sont pas vraiment des usineurs. C’est ce
qui explique les difficultés initiales pour mettre au point une chaîne CFAO exploitable et
surtout semi-automatisée. Les développeurs
de SESCOI ont du s’imprégner longuement du
terrain et dialoguer avec tous les intervenants
pour arriver au produit actuel, Work NC
Dental.
La structure en
chrome cobalt
d’un bridge
5 dents sur
implants vient
d’être coulée et
va être usinée
Un véritable usinage automatisé
En effet, le workflow type avec NC Dental
est un modèle du genre : le responsable de
Biotech, M.Richard, qui a certes du métier,
n’a mis que 4 à 5 minutes pour traiter le
fichier CAO en numérisant un moulage en
résine, puis une autre minute a suffi pour
envoyer le parcours FAO à la machine avec la
gamme d’outils, la matière disponible, le
posage, etc. Il a fallu 14 minutes pour usiner
le bridge souhaité en cire. Encore, M. Richard
a t’il eu le temps d’ajouter les attaches, de
jouer sur les épaisseurs pour renforcer et de
laisser la place au ciment de scellement. Le
programme de FAO connaît parfaitement la
machine, le parc d’outils, le posage bien particulier, l’anti collision est géré en temps masqué. Si le fichier reçu a un maillage trop faible
ou imprécis, il est possible de lisser pour
récupérer un fichier exploitable. Biotech intervient aussi comme sous-traitant pour certains
prothésistes non équipés pour usiner ou couler qui adressent moulages ou fichiers STL.
Notons que les formes sont ici toutes complexes et qu’une précision élevée est requise,
car si le contact n’est pas parfait entre la couronne et son support, une infection s’ensuivra
ou il y aura un réservoir à bactéries.
La structure est
presque prête avant
polissage et ajustage
à être essayée sur les
implants qui doivent
déjà être dans la
bouche du patient.
restent encore l’apanage de sociétés
comme Biotech. Actuellement les prothèses
tout zircone évitent le support métallique et
apportent un plus esthétique indéniable pour
une clientèle largement féminine. En outre, le
coût de revient de telles prothèses descend
à 150 euros environ (40 euros en low-cost à
l’étranger).
Il s’agit d’un système expert avancé, mais
qui laisse toujours à l’expert la possibilité de
valoriser ses connaissances pour améliorer
la valeur ajoutée du travail. Ce point est vital,
car si le travail tout venant a été capté par
les multinationales et notamment les
Suédois, les travaux à haute valeur ajoutée
Voici un des céramistes de Biotech qui prépare la
coiffe d’un bridge sur structure chrome cobalt
avant cuisson et avec l’aide de photos des autres
dents du patient et une palette de couleurs. Pour
corser la difficulté, non seulement la cuisson fait
un peu varier la teinte, mais la couleur des dents
de patients âgés ou ayant fumé n’est pas évidente
à retrouver pour garder un aspect naturel.
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ne souhaitent pas laisser
leurs patients sans dents surtout quand elles sont bien
visibles ou que le métier
exercé oblige à une dentition
impeccable. Notons d’ailleurs
que certains labos étrangers
low-cost ont déjà eu des soucis avec la traçabilité et la
provenance des matériaux
utilisés. Notamment des titanes asiatiques inhomogénes.
Un fameux banc d’essais
pour les micro-outils
M. Richard est en train
de numériser un
moulage dans le scan
de Dental Wings à
gauche et examine le
fichier CAO obtenu
avant de le basculer
en toute transparence
sur NC Dental sur
l’écran de droite et
générer le programme
d’usinage avec toute
la gamme. Le
processus n’aura pris
que quelques minutes
avec les explications.
Comme l’indique M. Journeau, l’expert
NC Dental de Sescoi sur la région, le module
d’implantologie a été développé avec OSEO
en solution ouverte tandis que la CAO utilisée provient de DENTAL WINGS, partenaire
canadien de Sescoi.
La part de main-d’œuvre est de plus de
90 % pour un labo artisanal contre au moins
60 % dans une structure largement automatisée. L’usinage permet surtout de réduire l’impact des opérations longues et de mieux tenir
les délais. En revanche, les investissements
sont lourds.
Pour un petit labo, un délai de 8 jours est
tout à fait envisageable, ce qui est un gros
plus. Il faut comprendre les praticiens qui
A la question de savoir si
en frittage laser ou en impression directe 3 D, des solutions
alternatives à l’usinage
auraient été possibles,
M. Richard ne trouve pas
assez de flexibilité au laser,
coûteux et peu adapté aux
formes très complexes en 3 D
tandis que l’impression 3 D pourrait se montrer utile, mais est quand même plus efficace
sur des fournées de petites pièces qu’à l’unité et de toute façon encore trop lente.
L’usinage direct de dents en zircone teinté est
possible pour des dents arrières mais pour
les dents visibles, l’intervention d’un bon
céramiste reste incontournable. Si au départ
Biotech s’est contenté de machines 4 axes
puis 3 + 2, le passage en vrai 5 axes positionné
ou continu est vite apparu indispensable.
Le clou de l’atelier actuel, un déménagement étant prévu dans la semaine, est une
WITECH MIC5 qui est capable d’usiner 3
couronnes à l’heure avec des outils Jabro qui
tiennent 80 pièces environ, en sachant que
les vitesses de coupe sont
encore un peu faibles. Une
palettisation est prévue mais
déjà la machine réalise plus
d’une dizaine de prothèses en
panoplie sur le même disque.
Il est bien évident qu’une véritable machine-outil «lourde»
comme une Willemin Macodel
travaillant dans la barre «en
arc» de l’acier chrome nickel
tomberait la même prothèse
en 8 minutes, ce qui donnerait
une nouvelle rentabilité, mais
pour un investissement initial
supérieur et l’obligation d’un
plancher adapté.
Voici la dent sur pivot présentée
figure 2, mais numérisée sur son
moulage initial, avant mise en
fabrication.
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Selon M. Journeau ”Le workflow permet
de gagner bien plus en productivité qu’en
jouant sur le temps d’usinage lui même. Avoir
une CAO plus précise permet de gagner du
temps sur la FAO. Ici, une machine un peu
moins rapide, mais bien automatisée aura un
taux d’engagement bien suffisant et si elle est
assez précise et fiable, son coût d’achat
moindre sera d’autant plus vite amorti dans
une structure où les marges sont réduites».
Un exemple de
brut restant en
cire sur un
montage
d’usinage type
utilisé chez
Biotech
NC Dental, une solution
ouverte et aboutie
Aujourd’hui, Sescoi a une base installée
pour Work NC Dental de plus de 30 clients sur
des machines Mikron, DMG, Willemin Macodel,
etc. Des gammes personnalisées ont été développées pour chaque machine ou type de prise
de pièce. Une demi journée de formation suffit
pour prendre le produit en main et commencer
à personnaliser le produit selon des critères
propres. Le logiciel est capable de récupérer le
numéro de la prescription sur le fichier CAO et
de générer un gravage sur la pièce finie. La précision du maillage du scan ou le réglage du
balayage optique de la caméra doivent
d’ailleurs être affinés pour être suffisamment
précis sans devenir trop lourds à manipuler.
Le logiciel gère un parc multi-machines,
différents matériaux avec des stratégies
adaptées, les bruts restants sont pris en
compte, les attaches de cuisson ou de maintien sont proposées en automatique, les
lignes de limites cervicales sont affichées en
quelques secondes et modifiables et enfin les
modules dédiés implantologie, 5 axes (advanced) ou encore stellites et modèles permettent les travaux les plus délicats avec toute la
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Toujours la
fameuse dent sur
pivot que le
logiciel a été faire
usiner sur un
petit bout de brut
restant.
précision requise. Les donneurs d’ordre ici ne
sont pas moins virulents que dans l’aéronautique ou l’automobile et une erreur même
minime sur un bridge multi-implants sera très
désagréable pour le patient.
Biotech a déménagé dans des locaux plus
pratiques et plus spacieux, afin de poursuivre
son développement qui, sans atteindre une
taille importante, lui permettra de se battre à
la fois sur les coûts de revient et sur une qualité inégalée.
❏
Sur cette
machine plus
ancienne à
3 axes, on
remarque la
broche haute
fréquence Jäger,
le changeur
d’outil pick-up et
deux logements
pour des disques
de bruts.
Un exemple de prothèses
réalisables en arc sur une
machine travaillant à la
barre comme une
Willemin Macodel.
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