Vétements de la société d`Ancien Régime entre contraintes et libertés

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Vétements de la société d`Ancien Régime entre contraintes et libertés
Vêtements de la société d’Ancien Régime, contraintes et libertés
Par Daniel Roche
Conférence
Samedi 10 octobre 2009
14h-15h
Daniel Roche s’est intéressé à ce que les vêtements racontent des sociétés entre identités
individuelles et contraintes collectives.
On observe des règles de comportement différentes selon les sociétés, comme le drapé et le
cousu par exemple. Le vêtement est une mise en scène des pratiques sociales.
Pensons à Diderot qui décrit, dans Regrets sur ma vieille robe de chambre ou Avis sur ceux
qui ont plus de goût que de fortune, comment un vêtement peut être associé à des moments de
notre vie. On lui offre une robe de chambre, il doit se détacher de l’ancienne mais c’est alors
qu’il s’aperçoit que tout ce qui l’entoure n’est désormais plus à la hauteur de ce nouveau
vêtement.
Le vêtement est le révélateur de changements dans les relations sociales anciennes, ce qui
n’est plus le cas aujourd’hui pour plusieurs raisons :
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l’industrialisation, qui a mis à disposition un vêtement bon marché et facilement
renouvelable, ce qui n’est pas le cas aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles même si la
mondialisation du textile existe déjà.
une plus grande égalité : tout le monde s’habille de la même manière même si des
hiérarchies persistent (haute couture)
la consommation de vêtements coûte moins cher : la part des vêtements baisse dans
le budget des ménages, dans des proportions différentes selon qu’on est un homme,
une femme ou un enfant.
La société ancienne est caractérisée par :
- la rareté et par là même, la cherté du vêtement.
- la hiérarchisation en fonction du statut social et non de la fortune.
- des règles symboliques différentes d’aujourd’hui : « l’habit fait le moine » : le
vêtement définit l’individu.
Analyser le vêtement nécessite une méthode spécifique liée aux sources, qui sont constituées
majoritairement de descriptions de vêtements plus que des vêtements eux-mêmes, qui ont
disparu.
Quelles sont les contraintes et leurs conséquences sur les pratiques ?
Le vêtement est un moyen de communication. Comme tout langage, il a ses règles qui
divergent en fonction des strates sociales concernées.
La lecture de la littérature moraliste, médicale, romanesque et celle des archives permet de
mettre en exergue les normes de l’organisation de cette société en corps, avec au sommet de
l’échelle sociale le corps du Roi, qui est la manifestation du corps de Dieu sur terre et fait loi.
Le politique et le religieux sont étroitement liés : il existe une morale religieuse des
apparences et celles-ci donnent les signes de la légitimité du pouvoir. (Pour s’en convaincre, il
suffit de se référer à la définition donnée par Diderot dans son Encyclopédie) :
- être, c’est paraître : les règles de civilité sont établies pour donner des normes de
bienséance, qui sont le reflet d’une bonne morale chrétienne. Les règles de
l’apparence sont en accord avec les règles de l’économie morale.
- le refus de l’ostentation est incontournable (la coquetterie et la mode sont des
péchés) : l’ostentation est réservée à Dieu et donc aux églises.
Enfin, pour faire circuler ces contraintes, il existe une pratique de charité par le vêtement, qui
permet de redistribuer aux uns ce qui n’est plus utilisé par les autres.
Les lois somptuaires révèlent ce qu’est l’authenticité de la consommation en haut de l’échelle
sociale, c’est à dire à la cour du Roi. Elles décrivent les bijoux, les vêtements, le mobilier
nécessaires à la tenue respectable de son rang.
A l’inverse, la société paysanne représente 80 à 90% de la population. Pour eux, la ville
représente l’exotisme, à la fois attractif et répulsif sur le plan moral. En effet, la majorité des
paysans est pauvre et la part du budget attribuée à l’alimentation est bien plus importante que
celle attribuée aux vêtements. La rareté contraint alors à la réutilisation.
Les espaces de liberté
Cependant, il existe des espaces de liberté possibles. Ce sont les jeux de coquetterie et
l’utilisation des accessoires. Madeleine Ferrière a d’ailleurs parlé du « luxe des pauvres » dans
son étude sur Avignon.
En effet, les traits majeurs de la consommation sont la stabilité, le non renouvellement des
habitudes de consommation, l’inertie liée au manque de moyens, le réemploi. Cependant,
apparaît le costume régional, qui se crée sur la rareté, à partir de détails et de transformations
qui vont devenir essentielles.
Il existe une très forte différenciation sexuelle dans les pratiques vestimentaires. On observe
au XVIIIe siècle une multiplication des accessoires (cotillons) et du nombre de pièces de
vêtements féminins dans les inventaires après décès des villes de provinces. Ce sont les
femmes qui donnent le la de la transformation vestimentaire et ce sont les vêtements du
dessus qui jouent le rôle le plus important. Les habitudes vestimentaires des hommes évoluent
moins vite et ces derniers vont simplement passer du pourpoint à la veste justaucorps et de la
culotte à la braguette.
Les grands changements du XVIIIe siècle
Ils sont moins visibles sur les formes que sur les textiles, qui s’allègent grâce à des mélanges.
Cela introduit une variété de choix et la possibilité d’un renouvellement saisonnier, ce qui est
une nouveauté au XVIIIe siècle pour les catégories sociales élevées, et au XIXe siècle pour les
autres.
L’autre changement du XVIIIe siècle concerne la couleur, qui remplace les teintes sombres
des siècles précédents.
Enfin, on passe d’une société relativement indifférente à l’hygiène (on change de linge, ce qui
fait office de nettoyage) à une société qui utilise l’eau pour se laver.
Ainsi, la société d’Ancien Régime est régie par un ordre des apparences qui ne peut cependant
éviter les changements, ce qui a un effet de brouillage des normes. Ceci apparaît clairement
dans les débats autour de la morale religieuse (les curés détestent les jeunes filles) et de la
morale économique (Madame de Sévigné, en 1680, est choquée de voir une paysanne porter
du drap de Hollande).
Les pratiques ainsi dénoncées sont des pratiques d’imitation, qui servent à la transformation
des mœurs et sont intégrées par les milieux intermédiaires. D’une part, les domestiques
parisiens récupèrent les vêtements de leurs maîtres et ont donc une garde robe de plus en plus
variée (même si les maîtres retirent tout ce qui est précieux avant de donner le vêtement).
D’autre part, les seigneurs, lorsqu’ils visitent leurs domaines, diffusent involontairement dans
les campagnes la mode parisienne par l’intermédiaire des distributions charitables.
Enfin, les foires et le colportage permettent la diffusion et la confrontation à l’autre et
participent ainsi aux transformations du marché du vêtement et du textile.
A la fin de l’Ancien Régime, on assiste à de véritables bouleversements des modes de
consommation :
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les dépenses vestimentaires des familles urbaines et rurales augmentent, avec une
plus value de 30 à 100% selon les niveaux de fortune. Ainsi, à Paris, le peuple
dépense en moyenne 42 livres pour les vêtements en 1700 et 160 livres en 1781.
on assiste à une unification des habitudes vestimentaires et la quantité s’accompagne
d’une attention à la qualité dans le choix des couleurs et des tissus. On est désormais
très attentif à la propreté.
ce sont les femmes de toutes les catégories sociales, des villes et des campagnes, qui
sont à l’origine de ce mouvement de transformation. A Paris, la garde robe des
femmes est multipliée par trois ou quatre alors que celle des hommes l’est par deux
seulement. Rousseau joue un rôle dans les transformations de l’éducation en
préconisant fortement l’apprentissage de la couture et l’entretien des vêtements par
les femmes.
Des travaux récents sur le vêtement régional breton ont mis en évidence des pratiques propres
aux populations maritimes : la pacotille. En effet, dans la flotte de commerce, les matelots
avaient le droit d’acheter et de revendre des produits textiles. Ainsi, des étoffes exotiques
arrivent sur les marchés locaux dès le XVIIIe siècle et permettent une ouverture égale à celle
de Paris.
La révolution du costume
Jean Starobinski a montré dans L’invention de la liberté 1700-1789, comment la Révolution
est symbolisée par le refus de la distinction et de l’agrément. Le patriote refuse le luxe de
l’Ancien Régime.
En avril 1789, le règlement sur l’ordre des préséances des députés aux Etats Généraux (le
Tiers-état en noir, les curés en rouge, etc) déclenche une polémique sur le rôle des apparences
distinctives lorsqu’on est tous égaux. Le débat politique remet en question l’aspect visuel du
social.
Cela aboutira à une définition du costume du citoyen patriote. L’idée étant que la réforme du
costume doit correspondre à la réforme des institutions et accompagner la régénération de la
population. On assiste alors à de nombreux jeux sur les signes avec la cocarde, le bonnet
rouge ou encore les Sans-Culotte.
Aujourd’hui, les historiens peuvent s’interroger sur la façon dont ces discours ont été perçus
par la population. Il faudrait donc étudier les costumes populaires pendant la période
révolutionnaire.