1 Un promoteur immobilier a t`il l`obligation de reverser
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1 Un promoteur immobilier a t`il l`obligation de reverser
Un promoteur immobilier a t’il l’obligation de reverser immédiatement la TVA inhérente à l’érection d’un immeuble lorsqu’il met cet immeuble en location en attendant de trouver acquéreur ? C’est ce que considère erronément l’administration et une partie de la jurisprudence en application de l’article 12, §1er, 3° CTVA. Vincent Berchem, juriste-fiscaliste, associé SA BFS Joon Han, juriste-fiscaliste, SA BFS ___________________________________________________________________________ I. INTRODUCTION Par son jugement du 8 février 20071, le Tribunal de première instance de Namur a tranché un litige opposant un promoteur immobilier à l’Etat belge au sujet de l’interprétation de l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A., qui concerne le cas du prélèvement d’un immeuble destiné à la revente et acquis sous le régime TVA. Cette disposition énonce que : « sont assimilés à des livraisons effectuées à titre onéreux (…) l’utilisation par un assujetti, comme bien d’investissement, d’un bien qu’il a construit, fait construire, fabriqué, fait fabriquer, acquis ou importé autrement que comme bien d’investissement (…), lorsque ce bien ou les éléments qui le composent ont ouvert droit à la déduction complète ou partielle de la taxe ». Le jugement considère que cette disposition exige un prélèvement dès le moment où un immeuble destiné à la vente et acquis sous le régime TVA est mis en location pendant la période dans laquelle l’immeuble est considéré comme neuf, même si la volonté inchangée de l’assujetti est de réaliser l’immeuble. Plus précisément, le jugement considère que la location de l’immeuble a pour conséquence l’affectation de celui-ci comme bien d’investissement, que la Loi ne prend pas en compte la volonté de l’assujetti de réaliser l’immeuble. Le jugement cautionne ainsi la position de l’administration fiscale, qui a affirmé à plusieurs reprises la validité de cette interprétation (voir ci-après). Le présent article se propose d’examiner le bien-fondé de l’interprétation adoptée par le Tribunal de première instance de Namur et l’administration fiscale. Pour ce faire, nous exposerons d’abord brièvement le contexte économique dans lequel s’inscrit l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. (II). Nous procéderons ensuite à une analyse approfondie de l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. (III), après quoi nous remettrons en cause le point de vue de l’administration fiscale et du jugement précité (IV). Nous terminerons enfin par une conclusion générale sur le système mis en place par l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. (V). 1 Civ. Namur (6ème ch. Bis), 8 février 2007, R.G. 341/05, rép. 1375, ordre 244 (non encore publié). 1 II. CONTEXTE ÉCONOMIQUE DE L’ARTICLE 12, §1ER, 3° DU C.T.V.A. Les promoteurs immobiliers sont des entreprises qui cherchent à réaliser du profit par la commercialisation d’immeubles qu’ils ont acquis ou construits. Lorsqu’il s’agit d’immeubles neufs, ils achètent/construisent et vendent sous le régime TVA : ils déduisent la TVA due sur leurs achats et portent la TVA en compte à leurs acheteurs. L’opération est donc normalement neutre du point de vue de la TVA. Les sociétés immobilières sont par contre des entreprises qui mettent des immeubles en location afin d’en retirer des revenus ou/et de constituer un capital immobilier. Ces sociétés, lorsqu’elles acquièrent ou construisent un immeuble neuf, ne peuvent pas en déduire la TVA, car la location immobilière n’est pas soumise à la TVA, sauf cas particuliers. Pour ces sociétés, la TVA est donc un coût à supporter au même titre que les matériaux de construction par exemple. Mais en contrepartie, elles ne doivent pas – et ne peuvent pas – porter en compte la TVA à leurs clients, ce qui leur permet d’engranger les loyers dans leur totalité, sans devoir tenir compte d’une quelconque TVA dans leur prix. D’un point de vue économique, la principale différence entre les deux régimes est donc le préfinancement de la TVA. Ces deux régimes ne sont pas étanches l’un de l’autre. En effet, il peut arriver qu’un promoteur immobilier change d’avis et décide de mettre l’immeuble construit en location plutôt que de le vendre. Et c’est ici qu’intervient l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. : cette disposition oblige le promoteur à procéder au prélèvement de l’immeuble, c’est-à-dire qu’il doit repayer la TVA qu’il avait initialement déduite sur ses achats, puisque la location d’un bien immeuble est une activité exemptée de la TVA, de sorte que la TVA payée en amont n’est plus déductible. Il n’y a rien de plus normal à l’application de l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. lorsque le promoteur a choisi de s’orienter vers la location immobilière : en effet, il exerce alors de façon durable la même activité que les sociétés immobilières qui ne peuvent pas déduire la TVA et, par conséquent, il est logique qu’il soit mis dans les mêmes conditions que celles-ci. Le problème survient lorsque le promoteur immobilier, ne trouvant pas d’acheteur et à court de liquidités, est pratiquement obligé de louer tout ou partie de l’immeuble qui reste par ailleurs en vente. Rien n’a changé en ce qui concerne la volonté du promoteur de vendre son immeuble au plus vite. La location n’est pas un but en soi mais est destinée à limiter les problèmes de trésorerie. D’autres cas peuvent se présenter également notamment lorsque le promoteur décide de mettre son immeuble en location en vue d’en faciliter la vente comme immeuble de rapport, etc. Est-il normal d’appliquer l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. dans de telles situations ? Nous ne le pensons pas pour la raison suivante : ce qui distingue le promoteur immobilier de la société immobilière, c’est l’affectation du bien. Dans le premier cas, l’immeuble est un stock, tandis que dans le second, l’immeuble est un actif immobilisé. Lorsqu’un promoteur décide de ne pas vendre le bien mais de le mettre en location, il effectue un changement d’affectation : le bien passe de la catégorie « stock » à la catégorie « actif immobilisé ». Par contre, lorsque le promoteur continue de poursuivre son objectif de vente de l’immeuble, il n’y a pas de changement d’affectation : l’immeuble reste un stock. 2 Ainsi que nous le démontrerons ci-après, c’est cette approche qu’adopte l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. III. ANALYSE APPROFONDIE DE L’ARTICLE 12, §1ER, 3° C.T.V.A. III.1. La notion de bien d’investissement Le centre nerveux de cette disposition réside dans les termes « l’utilisation par un assujetti, comme bien d’investissement ». Comme nous l’avons dit plus haut, c’est le changement d’affectation du bien du statut de stock au statut d’actif immobilisé qui justifie le prélèvement à opérer. Il est donc essentiel de définir correctement la notion de bien d’investissement. L’arrêté royal n° 3 en matière TVA définit en son article 6 la notion de bien d’investissement comme suit : « les biens d’investissement (…) sont les biens corporels (…), lorsqu’ils sont destinés à être utilisés d’une manière durable comme instruments de travail ou moyens d’exploitation ». L’article 12 C.T.V.A. fait directement référence à cette définition. Deux conditions sont donc nécessaires pour qu’un bien corporel réponde à la définition de bien d’investissement : - le bien corporel doit être destiné à être utilisé comme instrument de travail ou moyen d’exploitation ; - cette affectation doit être durable. Appliquées au problème qui nous occupe, nous voyons bien qu’aucune des conditions n’est remplie : - le bien immeuble reste destiné à la vente et n’est donc pas destiné à être utilisé comme instrument de travail ou moyen d’exploitation – les revenus qu’il génère, en tant qu’élément de stock, sont à classer dans la catégorie des « produits des actifs circulants » ; - la première condition n’étant pas remplie, il est impossible de satisfaire la seconde condition – de plus, même à considérer que le bien immeuble soit destiné à être utilisé comme instrument de travail ou moyen d’exploitation, il est évident que cette affectation n’est pas durable puisque l’objectif est de vendre dès que possible. L’approche que nous adoptons est d’ailleurs en conformité avec la législation comptable. En effet, interrogé sur la classification comptable des maisons témoins utilisées par les promoteurs immobiliers, le Ministre des Affaires économiques a répondu ce qui suit : « L’article 95, §1er, III.E, de l’arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du Code des sociétés stipule que les immeubles acquis ou construits en vue de leur revente sont inscrits d’une manière distincte parmi les stocks. 3 Dans le plan comptable minimum normalisé, un compte 35 distinct est prévu pour les immeubles destinés à la vente, avec comme rubrique correspondante VI.A.5 dans le schéma complet du bilan ».2 Plus encore, interrogé sur des aspects fiscaux de maisons témoins éventuellement louées pendant un temps aux futurs acquéreurs, le Ministre des Finances a répondu ce qui suit : « L’article 2, §7, du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992) prévoit entre autres que les expressions « immobilisations corporelles » et « stocks et commandes en cours d’exécution » ont la signification qui leur est attribuée par la législation relative à la comptabilité et aux comptes annuels des entreprises. Il en résulte que les immeubles, acquis ou construits par une société, destinés à la vente à des tiers doivent également être considérés, sur le plan fiscal, comme des « stocks » ».3 III.2. Prise en compte de l’article 12, §2 C.T.V.A. L’article 12, §2 C.T.V.A. dispose que le constructeur professionnel « est censé prélever, pour ses propres besoins, le bâtiment non cédé à l’expiration du délai précité, lorsque ce bâtiment n’a pas encore fait l’objet à ce moment de l’utilisation visée au §1er, alinéa 1er, 3°. Le prélèvement qu’il est censé effectuer à cette date est assimilé à une livraison à titre onéreux ». Le délai dont il est question est la période pendant laquelle le bien est considéré comme neuf, soit « au plus tard le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle au cours de laquelle a lieu la première occupation ou la première utilisation ». Donc, en vertu de cette disposition, l’immeuble qui n’est, à l’expiration du délai précité, ni vendu, ni utilisé comme bien d’investissement, fait l’objet d’un « prélèvement automatique ». Or, ce qui fait courir le délai, c’est précisément l’occupation du bien. La position de l’administration qui est de considérer toute occupation comme un prélèvement taxable en vertu de l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. supprime toute possibilité d’application du prélèvement automatique tel que prévu à l’article 12, §2 C.T.V.A. En effet : - soit le bien n’est jamais occupé : dans ce cas, il n’y a bien entendu ni application possible de l’article 12, §1er, ni application de l’article 12, §2 ; - soit le bien est occupé, dans ce cas, selon la thèse de l’administration, le prélèvement aurait lieu dès cette occupation par application de l’article 12, §1er, 3°. 2 Question n° 327 de Madame Pieters du 09.10.2002, Questions et Réponses, Chambre, 2002-2003, n° 165, p. 21137. 3 Question n° 155 de Madame Pieters du 21.11.2003, Questions et Réponses, Chambre, 2003-2004, n° 28, p. 4329-4332. 4 Laurent Collon et de Bruno de Duve confirme cette position en ces termes : « l’article 12, §2, n’a donc aucune portée pratique et est donc une disposition vide de sens puisque dans les seules hypothèses de son application, il ne s’applique pas ».4 Ce point de vue est partagé par F. Libert, dans sa note sous le jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles du 8 février 2002.5 Donc, pour que l’interprétation de l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. laisse un effet utile à l’article 12, §2, il faut nécessairement que celle-ci autorise la possibilité, dans certaines hypothèses, d’utiliser l’immeuble sans être soumis à l’obligation de prélèvement visée à l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. IV. CRITIQUE DU JUGEMENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DE NAMUR ET DE LA POSITION ADMINISTRATIVE IV.1. La position de l’administration fiscale L’administration fiscale a confirmé à plusieurs reprises sa position selon laquelle toute location immobilière constitue une utilisation comme bien d’investissement visé à l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. (Manuel TVA, articles 40 et 188, Décision n° E.T. 77.712 du 28.04.94). Ce raisonnement est basé sur une interprétation à notre avis erronée de l’article 6 de l’Arrêté Royal n° 3 en matière TVA. En effet, l’administration fiscale l’interprète de la façon suivante : « (…) Il est encore précisé que par utilisation comme bien d’investissement, au sens de l’article 12, §1er, al. 1, 3°, du Code, il faut entendre l’utilisation d’un bien qui sert dans le cadre de l’activité économique, soit comme instrument de travail ou moyen d’exploitation dans l’entreprise de l’assujetti, soit pour être donné en location ou, plus généralement, faire l’objet d’une cession ou concession de jouissance, dans le but d’en retirer des revenus professionnels » (Manuel TVA, article 40). Cette interprétation déforme les conditions posées par l’article 6 de l’Arrêté Royal n° 3 : - alors que cet article requiert que le bien corporel soit destiné à être utilisé comme moyen d’exploitation, son utilisation est suffisante pour l’administration ; - l’administration « oublie » tout simplement la deuxième condition de l’article 6, qui exige que l’affectation soit durable. L’interprétation donnée par l’administration conduit en fin de compte à la conclusion suivante : « tout bien corporel est un bien d’investissement, dès le moment où il est utilisé ». Le décalage par rapport au texte de l’article 6 de l’Arrêté Royal n° 3 est bien perceptible… 4 L. Collon et B. de Duve, « Location de bâtiments neufs : l’Administration maintient sa position », Actualités fiscales, Ced. Samson, 2 février 1995, p.5/5. 5 F. Libert, note sous Trib. Bruxelles, 8 février 2002, T.F.R. n° 238 (mars 2003), pp. 285 et s. 5 Plusieurs auteurs ont critiqué la position de l’administration. Ainsi, selon Valérie Bidoul, le point de vue de l’administration est contestable. « En effet, le point de vue de l’administration repose sur le fait qu’un bâtiment loué est utilisé comme bien d’investissement. Or, un bâtiment loué n’est pas forcément destiné à être utilisé d’une manière durable comme un instrument de travail ou un moyen d’exploitation. Lorsque la location est destinée à faciliter la vente ou à en améliorer les conditions, il nous semble même évident que le bâtiment loué n’est pas destiné à être utilisé comme un bien d’investissement ».6 De même, Laurent Collon et Bruno de Duve estiment que « la mise en location n’est nullement le signe que le bâtiment est destiné à être utilisé d’une manière durable comme bien d’investissement (cf. art. 6 A.R. n° 3). Au contraire, le bien reste généralement destiné à la vente ».7 Ces auteurs ajoutent un argument supplémentaire : « il ressort clairement des travaux préparatoires de la loi du 28 décembre 1992 qui a modifié le C.T.V.A., que l’intention du Législateur n’a pas été de modifier l’ancien régime des prélèvements applicable aux constructeurs professionnels. Or, sous ce régime, il n’y avait prélèvement que si, à l’expiration du délai, le bâtiment n’avait pas été cédé ou, à tout le moins, utilisé dans des conditions imposables ».8 Enfin, comme nous l’avons mentionné plus haut, Laurent Collon et Bruno de Duve, ainsi que F. Libert, soulignent le fait que l’interprétation de l’article 12, §1er, 3°, du Code TVA donnée par l’administration a pour effet d’enlever toute portée pratique à l’article 12, §2.9 Un jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles du 8 février 2002 vient appuyer ces considérations.10 Dans l’affaire en cause, le promoteur immobilier avait acquis avec application de la TVA trois appartements dans le but de les revendre. Ces appartements étaient loués au moment de l’acquisition. L’administration fiscale a remis en cause les déductions opérées par le promoteur au motif que ces appartements étaient loués. Le jugement déclare que : « Le rejet de la déduction de la TVA effectuée par la SA TR dans sa déclaration (…) ne trouverait un fondement légal que dans l’hypothèse où les appartements avaient été affectés, dès le départ, et de manière durable, à des fins de location, en dépit de leur comptabilisation, à l’actif du bilan de la SA TR, dans le stock des immeubles destinés à la vente. Or, rien dans les circonstances de la cause ne permet d’établir une autre intention, dans le chef de la SA TR, que celle de revendre les appartements à brève échéance, ni une autre 6 Valérie Bidoul, « Location immobilière et institutions voisines : une analyse TVA, Collection Etudes pratiques de Droit fiscal », Kluwer, 2005, p.17. 7 L. Collon et B. de Duve, « Location de bâtiments neufs : l’Administration maintient sa position », Actualités fiscales, Ced.Samson, 2 février 1995, p.5/4. 8 Idem. 9 Idem, p.5/5 ; F. Libert, note sous Trib. Bruxelles, 8 février 2002, T.F.R. n° 238 (mars 2003), pp. 285 et s. 10 Trib. Bruxelles, 8 février 2002, T.F.R. n° 238 (mars 2003), pp. 285 et s. 6 affectation que celle qui s’est concrètement réalisée par la revente des appartements en 1997 et 1998. Le fait que ladite société ait acquis avec TVA des appartements déjà donnés en location ne modifie nullement la première et unique affectation desdits appartements dans son chef, à savoir une affectation à son activité de négoce de bâtiments neufs. Certes, la SA TR a perçu accessoirement des loyers sur ces appartements, le temps qu’ils soient revendus, mais cette source provisoire de revenus n’est que la conséquence des conditions dans lesquelles l’achat a pu être fait. Rien n’interdisait dès lors à la SA TR de déduire la TVA (…) dès la période de l’achat des appartements (…) ». IV.2. Le jugement du Tribunal de première instance de Namur Alors que les conclusions du requérant, promoteur immobilier, contenaient un argumentaire développé correspondant dans l’ensemble à ce qui a été dit ci-dessus, le raisonnement juridique du tribunal tient en ce paragraphe pour le moins laconique et relevant de la pétition de principe : « la mise en location par un promoteur immobilier d’un bien soumis au régime TVA doit être considéré comme l’affectation de celui-ci comme bien d’investissement ». Le tribunal entérine donc l’interprétation de l’administration de la notion de bien d’investissement, sans procéder à une quelconque analyse juridique. Pourtant, toute la question était précisément de savoir si oui ou non la position bien connue de l’administration fiscale était fondée en droit. La seule autre considération juridique exprimée par le tribunal est que le texte légal « ne prend pas en considération la volonté de l’assujetti de poursuivre la mise en vente du bien nonobstant la mise en location, mais l’affectation du bien immobilier concerné ». Au regard de notre analyse de l’article 12, §1er, 3°, ci-dessus, et du jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles du 8 février 2002 rapporté plus haut, nous pensons que cette considération est erronée. Il est certain que le texte légal prend en compte l’affectation du bien immobilier. Mais précisément, pour apprécier cette affectation, il est nécessaire de prendre en considération la volonté de l’assujetti : c’est quand même lui qui décide de quelle façon il veut gérer son affaire, y compris le classement de ses actifs. Bien entendu, cette volonté ne peut pas être d’ordre purement subjectif. Au contraire, elle doit être objective, c’est-à-dire qu’elle doit être vérifiable par des critères objectifs tels que la comptabilité, les contrats conclus avec les intermédiaires, les annonces dans les journaux, les procès-verbaux de réunion, en interne ou en externe (notamment avec les créanciers), etc. Dans l’affaire en question, un grand nombre de documents établissaient sans aucun doute possible l’affectation – ininterrompue – de l’immeuble à la vente. La mise en location était tardive et exigée par le créancier hypothécaire qui s’inquiétait du faible niveau de liquidités du promoteur immobilier, pouvant mener potentiellement à une faillite. Il était clair pour toutes les parties concernées, de même que pour toute personne prenant le temps de prendre connaissance de ces documents, que l’immeuble était depuis toujours et à tout moment destiné à la vente. 7 Nous pensons que, dans le cas soumis au tribunal, la volonté de l’assujetti d’affecter l’immeuble à la vente était manifeste et que dès lors, celle-ci aurait dû être prise en compte dans l’appréciation de l’affectation du bien immeuble. V. CONCLUSION GÉNÉRALE SUR LE SYSTÈME MIS EN PLACE PAR L’ARTICLE 12, §1ER, 3° C.T.V.A. Cette disposition a pour fonction de régulariser, sur le plan de la TVA, la situation d’un promoteur immobilier qui, au lieu de vendre l’immeuble comme prévu initialement, déciderait d’affecter durablement celui-ci à la location. Son application a pour conséquence de mettre sur un pied d’égalité les sociétés immobilières et ce promoteur. Cette disposition ne soumet cependant pas à l’obligation de régularisation par voie de prélèvement le promoteur immobilier qui n’affecte pas son immeuble à la location de façon durable. Tel est le cas d’un promoteur immobilier qui louerait tout ou partie de l’immeuble pour améliorer ses chances de vendre l’immeuble (immeuble de rapport) ou pour améliorer ses liquidités en attendant la vente. Le promoteur immobilier bénéficiant ainsi de la dispense de procéder au prélèvement n’est pas indûment avantagé par rapport aux sociétés immobilières ou au promoteur soumis à l’obligation de prélèvement pour deux raisons. D’abord, il n’est pas dans la même situation puisque son immeuble est destiné à et susceptible d’être vendu à tout moment. Ensuite, en vertu de l’article 12, §2 C.T.V.A., il sera de toute façon tenu de prélever le bâtiment si le bien n’est pas vendu dans le délai – relativement court – durant lequel il est considéré comme neuf. La position défendue par l’administration fiscale et le jugement du Tribunal de première instance de Namur ignore et/ou déforme l’article 12, §1er, 3° C.T.V.A. et l’article 6 de l’Arrêté Royal n° 3 en matière TVA. Elle crée également des incohérences dans la mesure où son interprétation a pour conséquence de dénuer de tout effet l’article 12, §2 C.T.V.A. relatif au prélèvement automatique. Enfin, d’un point de vue économique, cette position est contre-productive car elle impose un coût significatif aux promoteurs immobiliers sans véritable avantage pour la caisse de l’Etat. Pour se conformer à la position de l’administration fiscale, les promoteurs qui louent leur bâtiment dans le but d’augmenter les chances et/ou améliorer les conditions de la vente doivent en effet préfinancer la TVA, qui peut atteindre des montants considérables pour de grands projets. Le coût de préfinancement, par exemple les intérêts dus à la banque pour le prêt destiné au préfinancement de la TVA, peut éventuellement neutraliser le revenu généré par la location et le gain financier obtenu ultérieurement par le promoteur en vendant le bâtiment occupé plutôt qu’à l’état vide. A cela s’ajoute le fait que le promoteur doit également obtenir la ligne de crédit suffisante … ce qui n’est pas évident surtout lorsque ce dernier est déjà en difficulté ! De son côté, l’Etat doit rembourser, dans un délai relativement court, la quasi-totalité des montants TVA qui lui ont ainsi été versés, car dans la plupart des cas, ces bâtiments sont effectivement vendus sous le régime TVA. Les sommes que l’Etat ne devraient pas rembourser en raison de l’expiration du délai durant lequel l’immeuble est considéré comme neuf, sont des sommes qu’il aurait de toute façon pu exiger sur base de l’article 12, §2 C.T.V.A. 8