LA NORMANDIE DANS L`OEUVRE DE GUY DE MAUPASSANT par

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LA NORMANDIE DANS L`OEUVRE DE GUY DE MAUPASSANT par
LA NORMANDIE DANS L'OEUVRE DE
GUY DE MAUPASSANT
par
Gerard Bunge
A Thesis Submitted to the Faculty of the
DEPARTMENT OF ROMANCE LANGUAGES
In Partial Fulfillment of the Requirements
For the Degree of
MASTER OF ARTS
In the Graduate College
THE UNIVERSITY OF ARIZONA
19 6 6
STATEMENT BY AUTHOR
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SIGNED:
APPROVAL BY THESIS DIRECTOR
This thesis has been approved on the date shown below:
^
ARTHUR H. BEATTIE
Professor of French
Je eledie ma these as
ma mere, Madame Suzarme Bunge
.a
ma fante Alice
et a
ma femme, Carlotta Bunge
ill
remerciemekts
Je voudrais exprimer iei toute ma reconnaissance envers tons
ceux qui m'ont aide et encourage pendant la realisation de cette etude.
Tout d'atord, je tiens a remereier mon direeteur de these, le
professeur Arthur H. Beattie pour tous ses eonseils, son appui, et l*inter@t qu'il a porte a mon travail.
Je voudrais aussi remereier Madame Mary Leeomte du Nofly pour
avoir eu la gentillesse de me laisser compulser de nombreux documents
originaux qu'elle possede sur Guy de Maupassant et qui m'ont ete d'une
tres grande utilite pour la redaction de cette these.
Je suis aussi tres reconnaissant envers Monsieur Edouard Maynial
de tout le temps qu'il a M e n voulu me consacrer et aussi des nombreux
livres qu’il a eu la gentillesse de M e n vouloir me prSter.
Je suis aussi redevable a Monsieur Erie Berthoud, direeteur
de la bibliotheque de NeucbStel, en Suisse, a Monsieur Andre Dubuc et
a Monsieur Rene Fallu avee qui j’ai discute longuement et en detail
certains aspects de la Normandie et du paysan normand et aussi a Monsieur
Reveilhac pour m'avoir si aimablement laisse visiter son chateau,
Je remereie aussi Madame Karen Ferlanto qui m'a tres aimable­
ment et tres aetivement servi de dactylographe,
iv
AVAZT-EROPOS
Guy de Maupassant s'est beaucoup soucie de donner a ses lecteurs
une image aussi exacte que possible de son pays qu'en tant que Normand
11 a beaucoup aime.
Pour observer ees realites normandes P dont son oeuvre
est remplie, Maupassant se trouvait assurement dans des conditions favorables.
La Normandie a ete, en effet, son pays natal; 11 I"a connue a fond;
grSce a ses facultes d*observation d"une part et a son pouvoir d*evocation
d "autre part, 11 lui a ete possible non settlement de peindre, mais aussi
de faire revivre sous tous ses aspects, la vie de cette province frangaise,
son climat et ses paysans tels qu’ils vivent, pensent et agissent.
La lucidite de Maupassant a ete d'une qualite exeeptionnelle grSee
a son esprit observateur, son acuite de vision et finalement grace a sa
memoire prodigieuse, II est certain que son regard ne s1arrSta pas sur
les apparences, mais qu"il vit reellement le fond des ehoses et c’est pourquoi, tout ce qu'il dit a ete veeu, car 11 a ineonscierament pulse dans
ses souvenirs et experiences tant pour deerire 1"evolution psychologique
de ses personnages que pour peindre toutes ees realites normandes«
B 8autre part, Maupassant a su si bien utiliser dans ses contes et
nouvelles un style pittoresque et rustique que I8on a vraiment 1*impression
d’etre transpofte a la eampagne au milieu des paysans et campagnards.
C"est probablement pourquoi, Paul Morand a dit dans son livre, "ouvrir une
nouvelle de Maupassant, c"est prendre un billet pour Lisieux ou pour Gisors °
lo Paul Morand, Vie de Guy de Maupassant.(Paris:
1942), p. 92.
Flammarion,
vi
Son oeuvre est abondante. La liste suivante de romans et de
recueils de nouvelles indique d'une fagon eloquent© la rapid!te de sa pro­
duction litteraire dans cette breve periods de dix ans qui commence par
la publication de "Soule de Suif" en i860 et qui finit par la crise de
nerfs qui le fait enfermer dans une maison de sante le 7 Janvier l891»
i860
1881
1882
1883
1884
1885
1886
1887
1888
1889
1890
- Soule de Suif - Des Vers
- La Maison Tellier
- Mademoiselle Fifi
- Une Vie - Contes de la Becasse
- Clair de Lune - Au Soleil - Miss Harriet
- Toine - Yvette - Bel-Ami - Contes du Jour et de la Muit
- Monsieur Parent - La Petite Boque
- Le Horla
- Pierre et Jean
- La Main Gauche - Fort comme la Mort
- Notre Coeur - L 9Inutile Beaute
et les oeuvres posthumes, a savoir:
Le Pere Milon
Le Colporteur.
1
J'ai parcouru 1 8oeuvre de Maupassant <, prenant de nombreuses notes
sur tout ce qui coneerne la Normandie, la vie en Normandie, et principalement sur le paysan normand. Le resultat de mes recherches m ‘a permis
d8ecrire cette etude sur la vie et les moeurs du paysan normand interpretees par Guy de Maupassant,
En resume, J8espere que cette presente etude donnera un apergu
complet sur la fagon dont Guy de Maupassant a su depeindre la Normandie
et le caractere normand a travers-toute son oeuvre»
Pour Stre a m#me de sentir
tout ce que Maupassant a voulu expri­
mer et §tre en quelque sorte impregne de toute cette verdoyante Normandie,
J“ai parcouru dans tous les sens en auto ces derniers etes cette grande
province et plus particulierement le Pays de Caux,
vii
Pour eommencer ce voyage dans un ordre plus ou moins ehronologlque
j'al decide d'aller d8a"bord au ctiBteau de Miromesnll ou naquit Maupassant,
situe a quelques kilometres de Dieppe.
Si j*ai pu visiter le pare et la
ehapelle ou Maupassant fut ondoye, ,je n 8ai par centre pas pu, malgre que
ce chateau soit classe comma monument historique, voir la ehambre dans
laquelle 11 vit pear la premiere fois le jour et qui est situee au premier
stage de la tour de gauche.
De la, je suis revenu sur Goderville et j'ai continue j.usqu6a
Grainville-Immauville ou se trouve le chSteau- de Trehon (les Peuples)
appartenant a Monsieur Jacques Beveilhac et ou naquit Herve, le frere de
Maupassant.
Si I'accueil que j'al requ au ehSteau de Miromesnll fut assez
froid et reserve, I’accueil que me fit Monsieur Beveilhac fut au contraire
des plus cordiaux.
Bn effet, 11 me montra tres aimablement, de la cave
au grenier, son immense demeure, "spacieuse a loger une race."2 Au cours
de cette visite, j’ai pu remarquer un detail interessant:
e’est que les
dix chambres donnant sur un long couloir, que Maupassant mentionnait dans
Une Vie, existaient veritablement. Par contre j'al pu me rendre compte
que d'autres details etaient purement fantaisistes ou provenaient d'un habile
melange du chlteau de Miromesnll avec ce chSteau.
Quoiqu'il en soit, cette visite s'avera des plus interessantes
et aprls avoir requ de Monsieur Beveilhac des informations de grand interSt
sur la region et les coHtumes locales, je me suis decide a me rendre par
route a Etretat, petite plage mondaine qui fut decouverte et mise en vogue
par Alphonse Karr.
J8y arrivals done par la rue centrale qui me mena
2. Guy de Maupassant, Une Vie (Paris:
1958), p. 15.
Editions Albin Michel,
viii
directement a la plage, limitee a droite et a gauche par deux Iramenses
portes que Maupassant mentionne a plusieurs reprises dans son oeuvre,
Ensuite je suis alle visiter son ancierme petite maison, la villa des
Guillettes; derriere celle-ci j 8ai pu voir encore la fameuse caloge
(espece de grosse barque reconverts d’un toit de chaume) ou logeait
son fidele valet Franqois Tassart. Cette caloge n 5est plus habitee de
nos jours.
De la, je me suis rendu, toujours par la route, au Havre que
Maupassant avait visits en 1887 en compagnie de Madame Le Comte du
NoCiy, avec le but precis d’etudier des decors pour son roman Pierre
et Jean. Puis j'ai pris la direction du sud pour arriver a Rouen,
capitals de la Normandie ou 11 fit ses etudes au lycee Corneille et
rencontra Gustave Flaubert.
Finalement, je suis arrive au Mont Saint-
Michel, point extrSme de la Normandie, que Maupassant decrivit comme
suit;
J'ai fait d'ailleurs une excursion charmante. J'ai visits
le Mont Saint Michel que je ne connaissais pas. Quelle vi­
sion, quand on arrive comme mol a Avranches vers la fin du
jourI La ville est sur une eolline; et on me conduisit dans
le jardin public, au bout de la cite, Je poussai un cri d'etonnement. Une bale demesuree s'etendait devant moi, a perte
de vue, entre deux ddtes ecartees se perdant au loin dans les
brumes; et au milieu de cette immense bale jaune, sous un
soleil d'or et de clarte, s'elevait sombre et pointu un mont
etrange au milieu des sables. Le soleil venait de disparnitre
et sur 1*horizon encore flamboyant se dessinait le profil
de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument. Des I'aurore, j'allai vers lui. La mer etait
basse comme la veille au soir et je regardais se dresser devant
moi, a me sure que j'approchais d'elle., la surprenante abbaye.
Apres plusieurs he urea de marche, :;j.%atWignis I'enorme bloc
de pierres qui porte la petite cite .loiMhee par la grande
eglise. Ayant gravi la rue etroite et rapide, j'entrai dans
ix
la plus admirable demeure gothique construite pour Dieu sur
la terre, vaste eoimae rnie ville, pleine de salles "basses eerasees sous des voltes et de hautes galeries que soutiennent
de frSles colonnes. J'entrai dans ee gigantesque bijou de
granit, aussi leger qu’une dentelle, couvert de sveltes clochetons, ou montent des escallers tardus, et qui lancent dans le
d e l bleu des jours, dans le d e l noir des nuits leurs tStes
bizarres herissees de chimeras, et relies I’un a 1'autre par
de fines arches ouvragees.3
Ainsi avee le Mont Saint-Miehel finit mon tour de la Normandie
qui fut passionnant et des plus instructifs ear il m ’aida sans aucun
doute a mieux comprendre et a appreder la mentalite du paysan normand
que Maupassant a depeint avec beaucoup de verite.
Comme on pourra le voir, Maupassant, portant I ’empreinte de
I1influence exercee sur lui par son maitre Gustave Flaubert, chereha
toujours a "faire vrai" et a donner tout au long de son oeuvre une il­
lustration aussi fidele que possible de la vie rurale en ayant M e n soin
de mettre au point chaque detail.
Dans le premier ehapitre de cette these, je presenterai une
breve etude historique et geographique de la Normandie.
Dans le cha-
pitre suivant, je donnerai quelques elements de la biographie de Guy
de Maupassant.
J'espere qu*ainsi la combinaison de ces divers elements
aidera le lecteur a comprendre plus facilement que le paysan normand
doit son caractere a ses originss et aux conditions de la nature qui
1'entoure a longueur d’annee et auxquelles il doit sans cesse s"adapter.
Dans les chapitres trois, quatre et cinq, je parlerai plus spe­
cifiquement du paysan, de sa vie, de ses problemes quotidiens et de
ses jours de f@te.
(Paris:
3.
Guy de Maupassant, "Le Horla", Contes et Nouvelles, t.II,
Editions Albin Michel, 1962), pp. 1101-1102.
X
En conclusion, j’espere qu'au terme de cette these j’aufai pu
montrer comment Maupassant deerit dans ses contes et nouvelles, la Nor­
mandie et le caractere normand, en resthht t#utefois objectif et impersonnel, car 11 declare en parlant d 8une fagon generale dans la preface
de son livre Pierre et Jean que "son but n ’est point de nous raconter
une histoire, de nous amuser ou de nous attendrir, mais de nous forcer
a penser, a comprendre le sens profond et cache des evenements.
4.
Guy de Maupassant, Preface de Pierre et Jean (Paris;
brairie Ch. Delagrave, 1911), p. 115‘
Li-
TABLE DBS MATIERES
RESUME
XXX
CHAPITRE 1, LA WORMAUDIE: INTRODUCTION HISTORIQUE ET
GEOGRAPHIQUE DU PAYS
1
CHAPITRE 2.
7
GUY DE MAUPASSANT:
ELEMENTS BIOGRAPHIQUES
CHAPITRE 3 „ GUY DE .MAUPASSANT ECRIVAlN PAYSAGISTE DE LA
HAUTE NORMANDIE
, ? * * » * » » » * * * a * * «
CHAPITRE 4,
*
PORTRAIT DU PAYSAN CAUCHOIS
CHAPITRE 6,
*
17
32
CHAPITRE 5* COm SDIE HUMAINEDU MONDE PAYSAN
Naissance
Ba2p*t/6iH6 # »
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CONCLUSION
. .
....................
xi
. . ,
77
RESUME
Ce fut dans la nouvelle que Maupassant se fit une renommee;
en effet, on pent dire qu'il en a renouvele le genre et qu'il I"a mis
a la mode.
On a dit que Maupassant portait ses contes naturellement
comme les pommiers de Normandie portent leurs pommes. Ge n'est pas
vrai, 11 n’etait pas imaginatif et tous ses contes lui ont ete inspi­
res par des anecdotes vecues ou rapportees par des amis.
En tout cas,
c'est la Normandie qui lui a fourni la "base essentielle de ses obser­
vations . Elle lui a suggere ses paysages; cours de femes, places
de marehe, ou cabarets; ses personnages; paysans ruses et avares} filles
de ferae, cures; les coutumes de eette population rurale, telles que
les baptSmes, les noces suivies de longues ripailles, et les enterrements.
.
Maupassant etait certainement tres attache aux usages comme
aux nourritures de son pays, a ses locutions, aux intonations de ses
paysans, aux odeurs du sol, des villages et de I*air lui-mBme.
Comme
ces sentiments-la falsaient tellement partie de son Stre, il les a continuellement exprimes dans son oeuvre et c’est son amour du sol normand
qui donne a son ouvrage son caractere et sa valeur.
xii
CMPITRE I
IETRGDUCT10H HISTORIQUE ET
GEOGRAPHIQUE DU PAYS
La Normandie
Pour definir eette province.de 1*Guest de la France bordee
par le bras de 1'Atlantique qu'on appelle en France la Manche, Andre
Siegfried ecrivait dans son Tableau Politique
sous la Troisieme Renubliaue;
la France de I 8Quest
"Si elle (La Normandie) est liee a l8u-
nite nationals par une etroite et seculaire union, elle n 8en reste pas
moins une marge:
c8est une personnalite originals et dlstincte.
Elle presente "une sorte d8unite morale: eelle d8une race et d8une
civilisation.
Les pays qui composent la Normandie n 8ont ni le mSme sol ni le
mBme aspect.
Toutefois, il exists un caractere commun a touts cette
region, e8est comme 1 8observe tres, justement Albert-Petit dans son
Histoire de la Normandie:
"Le climat partout humide, tempers est fa­
vorable a I 8herbage et au verger."7
sont 18oeuvre de I8histoire aussi.
Les vrais limites de la Normandie
II faudra done, des le debut de
cette etude, chercher a resumer quelques faits historiques.
(Paris:
Ce resume
5. Andre Siegfried, Tableau Politique de la France de I8Quest
Armand Colin, 1913); P* 2276.
Ibid., 228.
7. A. Albert-Petit, Histoire de Normandie (Paris:. Librairie
Furne et Boivin, 1927), p. 1«
1
n 8aura rien de nouveau ou d 8original puisqu8il s^agtt de details qu8on
trouve dans toutes les hlstoires de la region, mais qu811 me semble
bon tout de mSme d'indiquer brievement ici.
La province doit son nom aux pirates scandinaves qui s 8y inStallerent au dixieme siecle.
Des invasions germaniques qui se succe-
derent du troisieme au einquieme sieele nous ne savons a peu pres rien.
La disparition de Juliobona (Lillebonne) et d 8Aregenna (Vieux), la con­
struction de murs autour de villes, les depots de monnaies, la presence
de Dalmates a Avranehes, de Bataves et de Sueves a Bayeux et Coutances
vers l 8an 400, nous en fait soupqonner 1 8importance. Les invasions
repfirent au neuvieme sieele.
Les Hormands venus'de la peninsule scan-
dinave et du Danemark etaient conduits par des "Vikings",, nobles que
la pauvrete de leur pays obligeait a prendre la mer. "Montes sur des
barques nontenant une soixantaine d8hommes et dont la proue etait sculptee d8une tSte de dragon, le rebord orne de boueliers, ils voguaient
a la voile ou a force de rames, longeant les cotes.. L 8estuaire de la
Seine s8ouvrit devant eux et le Cotentin leur barra la route.
Les
Vikings remontent done la Seine, entrent a Bouen en 885 et eontinuent
leur route jusqu8a Paris qu8ils assiegent.
G8est la que Charles le
Chauve, craignant d 1engager un combat avee ces guerriera redoutables,
les eloigne des murs de Paris en achetant leur retraitej mais les hommes
du lord revinrent douze ans plus tard avee 1 8intention d 8obtenir davantage d8or des Franqais.
Rollon vient une fois de plus assieger Paris
avee une puissante flotte de galeres, mais cette fois-ei, le Comte de
Paris, Eudes, leur livre bataille et arrive a les repousser avee succes.
Apres la mort &8E u . d e devenu, rot de Franee, Charles le Simple
liai succede,
Se rendant compte qu!e toes ees "Horthmen,,; qui ravagealent
bourgs, egllses et monasteres, etalemt bien trdp fermement Installes
en Meustrie pour qu’ll y ait quelqueespoir de les en ehasser, Charles
le Simple seatit la neeessite d’en finlret, prefitant d ’tm sueces, il
traita avee le chef norvegien, maltre de
Rouen,
Ce ne fut qu’une convention verbale qu8on a appele "Traite de
Saint-Clair-sur-l8Epte" (911) qui arrSta les invasions et qui Tut en
quelque sorte I’acte de naissanee de la Normandie.
L foccupation normande etant un etat de fait, elle fut legiti­
mee . Charles le Simple faisant preuve de bon sens donna sa fille comme
epouse a Rollon avee pour dot le pays que ce dernier tenait deja en fief
et qui allait de I'Epte a la mer, et a 1'Quest aussi loin que la bordure
de la Bretagne.
En echange, il devait se convertir au ehristianisme
et renoncer a ses dieux Thor et ©din.
La chance veut que le nouveau due soit fidele a'ses engagements
et qu'll s'emploie a asseoir son autorite.
Bu reste, devenu chretien,
bienfaiteur des monasteres, il a desormais le clerge pour allie.
II tient I’estuaire de la Seine, et reellement a partir de eette
epoque, les incursions s’arrSterent.
Rouen devient cap!tale du nouveau
duche de Normandie et le vieux nom de Meustrie disparalt.
Ainsi les Hormands, apres avoir mis si souvent la -France a feu
et a sang, s’etablirent dans le pays et apprirent la langue.
Cest done apres bien des tribulations et des luttes que eette
ancienne province en forme de triangle, bordee du c6te de l*Est par
les vallees de la Bresle et de I'Epte, qui la separent'de la Picardie
et du Vexln, fut relncorporee au domaine royale.
AprSs ce bref apergu historique, 11 serait utile de donner aussi
qmelques details geographiques sur cette province, de passer tres brievement en revue ses diverses regions, et d 8expliquer la division de ce
vaste territoire en Haute et Basse Normandie.
La Haute Normandie, que Maupassant decrit principalement, est
une region de plateaux ealcaires qui comprend les departements de la
Seine-Inferieure (devenu, il y a quelques annees la Seine-Maritime)
et de 1 8Eure; une tradition vieille de nombreux siecles y reconnalt
quatre parties distinctes:
- au nord-est, le Pays de Bray, dont le principal centre et capitale
est NeufchStel.
Largement ondule, le pays de Bray est,'-gr#ce a
ses nombreux et frais vallons, une excellente terre d8elevaige et
le centre daune Industrie fromagere reputee.
- a l 8ouest, le Pays de Caux, qui doit son nom a la constitution
de son sol (calx;
chaux). C 8est un vaste plateau verdoyant grSce
a l 8argile a silex qui entretient l 8humidite du sol.
II est de-
limite par le littoral de la Manche, la Basse Seine et le Pays de
Bray.
Sur la Manche, le Pays de Caux est bordee de falaises-’erayeuses
hautes de cent a cent cinquante metres. La base de ces falaises
est fermee par les fragments des eboulis et aussi par des.galets.
Le recul annuel de ces falaises peut atteindre a certains" endroits
jusqu8a deux metres.
II y a aussi sur la crSte de ces falaises de nombreuses "valleuses"
qui, gagnees de vitesse par le recul de la c6te, sont maintenant
5
"auspendues." Une autre partieularite dm Pays de Game est la feme
eauchoise, qui vue de loin ressemble a un oasis de verdure, En
approchant de pres, on pent voir que toutes ees femes sont entourees
d*un talus sur lequel est plantee une double ou triple rangee d'arbres,
le plus souvent des ti§tres, qui protegent du vent "la cour masure"
qui n'est autre qu’une vaste prairie de deux ou trois hectares,
plantee de pommiers et ou se disseminent la maison d9habitation et
les bStiments d8exploitation.
- Finalement,j'arrive a la quatrieme partie de la Haute Normandie
qui est le Roumois, region situee autour de Rouen.
Cette ville
presenters pour cette etude un interSt partlculier car Maupassant
en parle dans plusieurs de ses reeits conane par exemple Bel-Ami.
La Basse Normandie dont la capitals est Caen commence avec la
rive gauche de la Dive et comprend trois departements: La Manche, 18Orne
et le Calvados.
Si elle a de moins grands ports, ses cBtes sont souvent
s a b l o n n e u s e s L 9arriere du pays peut Stre considers, a tort ou a rai­
son, comme "la campagne" par excellence. Voici comment Maupassant decrit la Basse Normandie:
.
VV’.. Argentan passe, ses yeux furent attires vers les portieres
par toute la verdure normande. Le convoi traversait un long
pays onduleux, coupe de vallons, ou les domainss des paysans,
herbages et prairies a pommiers etaient entoures de grands
arbres dont les tStes touffues semblaient luisantes sous les
rayons du soleil. On touchait a la fin, de juilletj c9etait
la saison vigoureUse ou cette terre, nourrice puissante, fait
epanouir sa seve et sa.vie. Dans tous les enclos separes et
relies par ces hautes murailles de feuilles, les gros boeufs
blonds, les vaches aux flanes tachetes de vagues dessins bizarres, les taureaux roux au front large, au Jabot de chair
8.
Parker and. Grigaut,. Initiation a la Culture francaise (New
York;: Harper and Row, 1963)> P° 26.
poilue a I8air provocateur et
ou couches dans les pSturages
se suecedaient indefiniment a
le sol semblait suer du cidre
fier, debout aupres de cl6tures
qui ballonnaient leurs ventres #
travers la fraiche contree, dont
et de la chair.
Partout de minces rivieres glissaient au pied des peupliers,
sous des voiles legers de saules; des ruisseaux brillaient dans
I ’herbe one seconde, disparaissaient pour reparaltre plus loin,
baignaient toute la eampagne d 8une fraicheur feeonde <
'
Si je me suis etendu aussi longuement sur la geographie de la
Normandie, sur son histoire et sur les Normands, c’est uniquement parce
que je voulais faire ressortir que le Normand, tout en etant un personnage bien frangais reste quand miBme un Stre a part dans 1*ensemble de
la population frangaise par sa maniere de voir, de penser, d’agir et
aussi par ses coQtumes qui sont en quelque sorte des vestiges de la cul­
ture de ses ai'eux.
Plus encore que Flaubert, qui etait si fier de retrouver en lui
le Barbara, fils de Vikings, Maupassant est on pur Normand aussi bien
physiquement que moralement.
En effet, il est un des rares auteurs
frangais qui aient su comprendre le temperament de cette race, et 1*in­
terpreter d'une maniere aussi fine.
O ’est preeisement ce point-la que je me propose d ‘examiner en
detail dans 1 8etude qui va suivre.
9. Guy de Maupassant, Notre Coeur (Paris:
Editeur, 1929), pp. 72-73.
Louis Gonard, Libraire-
CHAPEERE 2
GOT DE MAUPASSANT
Elements MograpMqu.es
Guy de Maupassant, poete, conteur, romaneier et critique, naquit
en Normandie le 5 aollt 1850 au chateau de Miromesnil que ses parents
avaient loue eet ete-la, et non, comme certains Mographes Isont pretendu, a Fecamp, a Rouen, a Sotteville pres d ’Yvetot, ou a Tourville
pres du Havre.
Afin d’elucider cette question je me suis rendu en pays
cauehois et j'ai trouve a la mairie de Tourville-sur-Arque, dans le
livre d’etat civil, son acte de naissanee que je reproduis ci-dessous
afin de M e n clarifier ee point.
. •
N° 30 Naissanee de Henri-Rene-Albert-Guy de Maupassant le 5 aofrt 1850
Commune de Tourville sur Arques
Departement de la Seine Inferieure
Arrondissement de Dieppe
Canton d 8Offranville
Du cinquieme jour du mois d ’aoust, 1 ’an mil huit cent cinquante a
six heures du soir, acte d ’un enfant qui nous a ete presente
et qui a ete reconnu #tre du sexe masculin, ne en cette commune,
au domicile de ses pere et mere, ee aujourd’hui cinq aoust mil
huit cent cinquante a huit heures du matin,.fils de Maupassant,
Gustave-Franqois-Albert, age de vingt huit ans, vivant de son revenu et de le Pdittevin, Laure-Marie-Genevieve, Sgee de vingt
huit ans, vivant de son revenu, tons deux demeurant au chSteau
de Miromesnil, section de cette commune, maries a Rouen, de
ee departement, le neuf novembre mil huit cent quarante six.
Dequel a requ les prenoms de Henri-Rene-Albert-Guy. Sur la
requisition a nous faite par le pere de Isenfant, en presence
de Pierre Bimont, Bge de soixante huit ans, faisant profession
de marehand de tabac, demeurant en cette commune, premier temoin et de Isidore Latouque, Sge de quarante trois ans, fai­
sant" profession d ’instituteur, demeurant aussi en cette commune,
second temoin. Le declarant et les temoins ont signe, apres
lecture faite, ce present acte qui a ete fait double en leur
7
8
presence, et constate suivant nous, Martin Lacointe, maire de
la commune susdite, remplissant les fonctions d*officier public
de I’etat civil. Ont signe:. MM. Gustave de Maupassant, Latouque,
Bimont, A. Lacointe Martin.
C'es.t done dans ce ch&teau que Guy de Maupassant vecut les trois
premieres annees de sa vie, partageant la vie des enfants des paysans
du coin.
Quatre ans apres sa naissance, ses parents demenagerent et
allerent s8installer au chateau de Grainville-Immauville ou naquit
son frere Serveen
1856. Ce sera ce chateau qui existe encore de nos
jours que Maupassant decrira comme suit dans Une Vie:
C ’etait une de ces hautes et vastes demeures normandes tenant
de la fermeet du chSteau, baties en pierres blanches devenues
grises et spacieuses a loger. une race.
Un immense vestibule separait en deux la maison et la
traversait de part en part, ouvrant ses grandes portes sur les
deux faces. Un double escalier semblait enjamber cette en­
tree laissant vide le centre, et joignant au premier ses deux
montees a la faqon d*un pont.
Au rez-de-chaussee, a droite, on entrait dans le salon
demesure, tendu de tapisseries a feuillages ou se promenaient
des oiseaux. Tout le meuble en tapisserie au petit point,
n ”etait que 1*illustration des Fables de la Fontaine...
A c6te du salon s’ouvraient la bibliotheque pleine de
livres anciens, et deux autres pieces inutilisees; a gauche,
la salle a manger en boiseries neuves, la lingerie, I ’office,
la cuisine et un petit appartement contenant une baignoire.
Un corridor coupait en long tout le premier etage. Les
dix portes des dix chambres s’alignaient sur cette allee..
.... Le mobilier unissait les styles les plus divers. O'etaient
ces meubles que chaque generation laisse dans la famille et
qui font.des anciennes maisons des sortes de musees ou tout
se mSle. Une commode Louis XIV superbe cuirassee de cuivres
eclatants, etait flanquee de deux fauteuils Louis XV encore
10.
Maupassant, Un&.Jlfi, pp. 15-’l6.
9
vStus de leur sole a 'bouquets. Un secretaire en bois de rose
faisait face a la eheminee qui presentait, sous un, globe road,
une pendule de 1 *Empire..
... En face du chateau s *etendait un large gazon jaune comme
du beurre. Deux arbres geants se dressaient aux pointes deVant le ehSiteau, un platane au nord, un tilleul au sud.
Tout au bout de la grande etendue d’herbe, un petit bos­
quet terminait ce domaine garanti des ouragans du large par
cinq rangs d'ormes antiques, tordus, rases, ronges, tallies
en pente, comme un toit par le vent de mer toujours dechaine.
Cette espece de pare etait borde a droite et a gauche par
deux longues avenues de peupliers demesures appeles peuples
en Normandie, qui separaient la residence des maltres des
deux fermes y attenantes, ©ccupees, I ’un par la famille
Couillard, 1*autre par la famille Martin.
Ces peuples avaient donne leur nom au chSteau..».12
... La faqade du chateau qui dbnnait sur I’interieur des terres
etait separee du chemin par une vaste cour plantee de pommiers.
Ce chemin, dit vicinal, courant entre les enclos des paysans,
joignait une demie lieue plus loin la grande route du Havre
a Fecamp.
Une allee droite venait de la barriere de bois jusqu’au
perron. Les communs, petits bailments en caillou de mer,
coiffes de chaume, s’alignaient des deux c6tes de la cour,
le long des fosses des deux f e r m e s . ^3
Cette citation me seimble interessante car elle donne une descrip­
tion assez nette du cadre dans lequel Maupassant passa une partie de
sa prime jeunesse.
Eleve d'une maniere assez llbre par sa mere, Laure le Poittevin,
qui etait une amie de Flaubert, comme je l"ai mentionne precedemment,
Maupassant passa son enfanee entre la maison de son grand-pere paternel
11.
Maupassant, Une Vie, p. 18.
12.
Ibid., 19.
13.
Ibid., 25.
■V
10
a Fecamp cm 11 etait ehoye par la vleille domestique de la maison, la
mere Josephe, et la maison desa mere d ’Etretat, la villa des "Verguies''
(nom qui veut dire en Normand;
vergers)=
Jusqu’a I'Sge de douze ans, Guy de Maupassant, installe a
Etretat, eut pour precepteur 1!abbe Aubourg, vicaire de eette petite
ville.
A I ’age de treize ans, 11 fut mis pensidnnaire' au petit seminaire
d’Yvetot, "citadelle de 1*esprit normand— ou les fils des riches eultivateurs venaient etudier le latin, les uns par vocation precoee de
I'etat ecclesiastique, les autres pour echapper au service militaire."1^
L* internet ne convint guere a son temperament independant et pour y
echappdr, 11 feignait des maladies.
Tout du reste lui deplaisait dans ce regime austere. Un jour,
il parodia un sermon d-un de ses professeurs sur la Damnation.
Instruit
de ce scandale, le directeur menaqa Guy de renvoi en cas de recidive.
Cetait au fond tout ce qu’il demandait, et pour aceelerer eette mesure
il laissa trainer des vers adresses a sa cousine qui venait de se marier.
Ces vers, plus la mise a sac de la cave de 1*economat, aeheverent de
le rendre indesirable.
Au lieu de se calmer, la situation empira jusqu’a
un tel point qu'il fut finalement renvoye de 1*institution, ce qui lui
permit de retourner chez sa mere a Etretat (ce qu'il souhaitait le plus)
et d'y retrouver sa liberte et ses courses sur la falaise.15
14, 1. Leroux, Portraits de Cire (Paris;
1891), p. 83.
15.
Lecene et Oudin,
•
Morand, Vie de Guy de Maupassant, p. 21.
11
G'est a cette epoque q,ue sa mere, Madame Laure de Maupassant,
separee a 1 8amiable de son marl, ayant assume la tSohe de 1'education
de ses deux enfants, Guy et Serve, ecrivit en mars 1866 la lettre suivante a son vieil ami d’enfanee, Gustave Flaubert;
J'ai ete mol, tout partlculierement frappee par le sort, et
11 n'est guere etonnant que je me rattache ardemment au passe,
tout rempll de deuces visions| male toi, mon eher Gustave, qui
a vu se realiser ee reve eblouissant de la celebrite, tu as
garde pourtant, eomme .moi-mSme, la religion des choses d'autre­
fois j tu sals en parler avec le eoeur, et 11 est facile de
deviner qub toi aussi, tu regardes tout ce passe, eomme le
temps le plus heureux de ta vie. Tu la revois souvent cette
terrasse pleime de soleil, et tu entends encore chanter les
oiseaux de la voliere 2
A present, 11 faut que je m'efforce de tourner mes yeux
vers I'avenir; j'ai deux enfants que j'aime de toutes mes
forces, et qui me donneront peut-@tre encore quelques beaux
jours. Le plus jeune n ’est, jusqu'a present, qu'un brave
petit paysan, mais I'aine est un jeune homme deja serieux.
Le pauvre garqon a vu et compris bien des choses et 11 est
presque trop iriQri pour ses quinze ans. II te rappellera son
oncle Alfred auquel 11 ressemble sous bien des rapports, et
je suis sHre que tu 1'aimeras. Je viens d'etre obligee de
le retirer de la maison d'Yvetot, ou 1'on m'a refuse une dispense
de maigre exigee par les medecinsj c'est une singuliere maniere de comprendre la religion du Christ ou je ne m'.y comais
pas! ... Mon fils n'est point serieusemeht malade, mais 11
souffre d'un affaiblissement nerveux, qui demande un regime
tres tonique, et puis, 11 he se plaisait guere la-bas: I'austerite de cette vie de cloltre allait mal a sa nature impressionnable et fine, et le pauvre enfant etouffait, derriere
ces hautes murailles qui ne laissait arriver aucun bruit de
dehors. Je erois que je vais le mettre au lyc^e^du Havre,
pour dix-huit moisj, et que j'irai ensuite m'etablir a Paris,
pour les annees de,:rhetorique et de philosophie. Herve sera
demi-pensionnaire, dans un college quelconque, et je pourrai
ainsi veiller moi-mSme sur mes deux chers treSors.
Tu vois que je.t'ai ecrit longuement, mon cher camarade,
. et je sens que ceia m'a fait du bien. Adieu, pehses quelquefois a notre amitie d'enfanee, et reqois une bien cordiale'
et bien affectueuse poignee de main.
Le Poittevin de Maupassant.^
16.
Guy de Maupassant, Des Vers (Paris;
Editeuf, 1928), p. xi.
Louis Gonard, Libraire-
12
,
Mais a I'autoime tie eette mSme annee, iaalgre
sob
renvoi d’Yveiet,
11 entra au lycee de Rouen ou 11 se montra meilleur eleve et ou 11
resta jusqu-a son bacealaareat.
Malgre ses etudes; plus absorbantes qu’a Yvetot, 11 eontimua
a ecrire des vers, recevant a eette epoque les eonseils paternels de
Louis Boullhet, excellent poete et ami intime de Flaubert a qui Laure
de Maupassant avait confie son fils pendant qu’il faisait ses etudes
a Rouen.
C’est ce correspondent qui amena Guy ebez Flaubert, et apres
la mort de Bouilhet en I8S9, ce fut Flaubert qui tout naturellement
accueillit, ou plutSt recueilllt, le fils de leur amie, Laure, sans
m@me que celle-ci etit a le demander, qui le discipline et le conseilla
dans'ses premieres ambitions litteraires.17
: Madame de Maupassant fut tres heureuse de cela et remereia son
vieil ami dans la lettre suivante:
Guy est si heureux d’aller ehez toi tous les dimanches,
d'Stre retenu pendant de longues heures, d 11Stre traite avec
eette familiarite si flatteuse et si douce, que toutes ses
lettres disent et redisent la mSme chose. Le eher gargon
me raconte sa vie de chaque jourj 11 me parle de ceux de nos
amis qu’il retrouve a Paris et des distractions qu’il rencontre
sur son chemin; puis, invariablement, le chapitre finit ainsi: "Mais la maison qui m ’attire le plus, celie ou je me plais
mieux qu’ailleurs, Celle ou je retourne sails ’
ceSse, c’est la
maison de monsieur Flaubert." Et moi, je me garde bien de
trouver cela monotone.
lv
s,
Je ne saurais dire au contraire, combien j’ai de plaisir a
lire des lignes qui ne changent un peu que dans la forme, et
a voir mon fils aceueilli de la sorte, chez le meilleur de
mes vieux amis. U ’est-ee pas que je suis bien pour quelque
chose dans toute eette bonne grSiee ? M ’est-ee pas que le jeune
homme te rappelle mille souvenirs de ce cher passe, ou notre
pauvre Alfred tenait si bien sa place?
. .
13
Le nevevi ressemble a 1 8oncle, tu me I'as dit a Rouen et
je voiSj, non sans orguell maternel, qu’un. examen plus intime
n'a pas. detruit toute I"illusion. Si tu voulais me faire M e n
plaisir, tu trouverais quelques minutes pour me donner toim@me de tes nouvelles. C’est si bon de voir que I 8on n ’est
point oublie, de sentir que la solitude ne vous isole pas
tout a fait et qu'elle ne saurait toucher a la veritable amitie.
Et puis, tu me parlerais de mon fils, tu me dirais s'il
t 8a lu quelques-uns de ses vers, et si tu penses qu'il y.ait
la, autre chose que de la faeilite.
Tu sais combien j'ai confiance en toi; je croirai ce que
tu eroiras, et je suivrai tes conseils. Si tu dis oui, nous
engagerons le bon garqon dans la vole qu'il prefers; mais si
tu dis non, nous I'enverrons faire des perruques...ou quelque
chose comme cela.,.» Parle done bien franehement a ta vieille
amie.
Le Poittevin de Maupassant.1®
L 8Education litteraire a laquelle fut soumis Maupassant aceentua
encore plus chez lui cette disposition qu’il avait pour la nature.
Voi-
ci comment peut se resumer 18enseignement qu'il regut de Flaubert.
II s8agit, disait Flaubert, de regarder tout ce qu8on veut
exprimer assez longtemps et avee assez d8attention pour en
deeouvrir un aspect qui n8ait ete vu et dit par personne.
II y a dans tout de l8inexplore. Pour decrire un feu qui
flambe et un arbre dans une plains, demeurons en face de ce
feu et de eet arbre jusqu8a ee qu8ils ne ressemblent plus
pour nous a aucun autre arbre et a aucun autre feu.... Ayant,
en outre, pose cette verite qu8il n8y a pas dans le monde entier deux grains de sable absolument parells, il me forgait
a exprimer en quelques phrases un Stre ou un objet de maniere
a le partieulariser nettement.19
Tout done a contribue a fixer l 8oeil de Guy de Maupassant sur
la realite partieuliere, apergue directement, puis studies en elle-mSme
et ereusee dans ses dessous. C 8est pourquoi Flaubert, pendant sept
18. Maupassant, Des Vers, pp. xv-xvii.
19.
Maupassant, Preface de Pierre et Jean, p. 123•
14
annees, fit dechirer a Maupassant, vers, contes, nouve3J.es, drames et
enfin.tous ces essais dont plus d'un, sans doute, etit ete bien accueilli
par des lecteurs.
II lui epargna ainsi ces premiers et perfides succes
dont le plus grand danger est peut-Stre d8egarer un eerivain hors de sa
veritable voie et dont le moindre a ’est pas de 1'encourager a aller dans
le sens de ses defauts.2^
Mais bientdt un evenement considerable vint fournir a Maupassant
de nouveaux sujets d'observations;
la guerre de 1870. En effet, 11
n'avait q.ue vingt ana lorsqu’elle eclata et que Eouen fut envahi par
les Prussians. Guy de Maupassant s1engagea done et fit la campagne.
Cette experience de la guerre et d e l ’invasion prussienne en Normandie
ne ftit pas perdue pour 18eerivain et l eon retrouvera a maints endroits
des traces de cela dans son oeuvre.
La paix retablie, Maupassant partit
pour Paris; e'est la que commencera pour lui une nouvelle periods dans
I'histoire de sa vie.
En effet, si Flaubert etait un homme fortune,
Maupassant, au contraire, ne 1*etait pas et ce fut bien pour survivre
dans la capitals qu'il dut accepter d’abord au Ministers de la Marine
et des Colonies, un poste tres mediocrement remunere qu'il devait changer
plus tard contre une situation plus lucrative au Ministers de 1*Instruction
Publique, et ce sont ces sejours de longueurs variables dans les Ministeres
qu’il passa en compagnie d’insipides fonctionnaires qui lui inspirerent
plus tard toutes sortes de portraits de "petits bourgeois", theme que je
laisserai de cSte, car 11 n’a aueun rapport avec la Normandie.
20.
Rene Doumic, Ecrivains d’Aujourd’hui (Paris;
Libraires-Editeurs, 1894) p. 6l.
Perrin et Cie,
15
D ’autre part, comme le dit Monsieur Hugues Leroux dans son llvre
Portraits de Cire, Maupassant, "habitue au grand air et aux vastes
espaces, sentit qu'il mourrait vite s’il lui fallait demeurer dans les
bureaux sur les dossiers.
Mais comment s’affranchir?
C 8est alors qua
I'idee lui vint d'ecrire, non point par vocation, mais--le mot est de
lui— 'par raisonnement.1 Ce n'est pas lroeuvre d'un inspire mais d9un
homme qui a reflechi."21
En effet, il est bien connu que le Hormand n*est pas un imaginat'if, et certainement Maupassant n'a pas fait exception, car "ses contes
paysans ne sont que le recit,118ageneement, la mise en place d’histqires
qui lui etaient rapportees par sa mere ou par des compagnons de chasse."22
Heureusement, comme Monsieur Maynial nous le dit;
Le succes, la gloire et la fortune lui vinrent des ses premiers
oeuvres et desormais sa vie, en dehors de quelques voyages,
de ses relations litteraires ou mondaines, de ses exploits de canotage sur la Seine et aussi de yachting sur la- Mediterrannee, n'aurait pas d’autres histoires que celles de ses
livres, s'il n8avalt ete frappe, lorsqu’il etait encore relatlvement jeune, par un mal terrible, la paralysie generale
ou sombrerent ses forces, sa raison et sa vie. II mourut en
1893 a Paris dans la maison de sante du doeteur Blanche a .
Passy.23
21.
Hugues Leroux, Portraits de Cire, p, 86.
22. Fernand Lemoine, "Pays et paysans cauchois points par
Maupassant", Revue de Psyehologie des Pennies9 ler trimestre 1951, p. 46.
(Paris:
23' Edouard Maynial, Anthologie des Romaneiersdu XIX Siecle
Librairie Hachette, 19^5),p. 401.
,
16
En pensant a ses debuts litteraires brillants et a sa fin si
miserable et triste, je ne peux pas m'empScher a ce point-ci de penser
a ce que Maupassant dit un jour a son ami, Jose Marfa Heredia:
"Je
suis entre dans la vie comme un meteore et j'en sortirai par un coup
de foudre.
2 k *
Morand, Vie de Guy de Maupassantt p. 6 »
CHAPITRE 3
GUY DE MAUPASSANT ECRIVAIN PAYSAGISTE
DE LA HAUTE NORMANDIE
Maupassant a fait partie de la categorie des ecrivains qui ont
donne dans leur oeuvre une vision de leur sol natal, qui fut principalsment pour lui la Haute Normandie— en effet, il semble s8Stre soucie de
decrire principalement le Pays de Caux.
En faisant ceci, il a donne
un certain nombre de descriptions plus ou moins completes, rnaxs toujours
exactes, concernant le sol, le climat, les paysages, les ressources du
pays, ainsi que I'activite, les moeurs et les cotitumes. des hommes.
Maupassant decrit cette province de France "en homme qui connalt
et aime ce dont il parle>"25
Voici du reste la profession de foi qu'il
fait dans "Le Horla":
J'aime ce pays et j8aime y vivre parce que j!y ai mes racines,
ces profondes et dedicates racines qui attachent un homme
a la terre ou sont nes et morts ses aieux, qui 1 8attachent '
a ce qu8on pense et a ce queon mange, aux usages comme aux
nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de 18air lui-mSme.
C’est surtout en decrivant la eampagne cauchoise que Maupassant
s8est montre un excellent paysagiste et voici comment il depeint cette
eampagne au mois de Mai:
25. Fernand Lemoine, Guy de Maupassant (Paris:
versitaires, 1957)> P° 12.
Editions Uni-
26. Maupassant, "Le Horla", Pontes et Nouvelles, t.II, p, 1097«
17
18
Des deux cdtes de la route la campagne verte se deroulait.
Les colzas.en fleur mettaient de place en place une grande
nappe jaune ondulante d’ou s’elevait une saine et puissante
odeur, une odeur penetrante et douce portee tres loin par
le vent, Dans les seigles deja grands des bleuets montraient
leurs petites t@tes azurees que les femmes voulaient cueillir
mais Mr Rivet refusa d’arrSter. Puis parfois, un champ tout
entier semhlait arrose de sang tant les coquelicots 1'avaient
envahi, Et au milieu de ces plaines colorees ainsi par les
fleurs de la terre, la carriole, qui paraissait. porter ellemSme un bouquet de fleurs aux teintes plus ardentes} passait
au trot du cheval blanc, dlsparaissait derriere les grands
arbres d’une ferae, pour reparattre au bout du feuillage et
promener de nouveau a travers les recoltes jaunes et vertes,
piquees de rouge ou de bleu,27
Cette citation donne une bonne idee generals de ce qu'est le
plateau de Caux, mais cette description ne saurait toutefois pas #tre
complete si je ne parlais pas de ces hautes falaises crayeuses qui bordent
cette province, specialement entre Dieppe et Etretat et sur lesquelles
Maupassant s’est souvent promene et qu’il. decrit comme suit:
J ’arrivals un soir au^p'etit village de Benouville sur la falaise entre Yport et Etretat. Je venais de Fecamp en suivant
la c$te, la haute c8te droite comme une muraille avec ses
saillies de rochers crayeux tombant a pic dans la mer, J3avals
marche depuis le matin sur ce gazon ras, fin et souple comme
un tapis qui pousse au bord de laabime sous le vent sale du
large,28
ou encore: 'Au-dela de cet enclos, s:getendait une vaste plains inculte,
semee d’ajoncs; ou la -brise•sodfflait et galopai% jour et nuit.
Puis
soudain, la c8te s *abattait en une falaise de cent metres, droite et
blanche, baignant son pied dans les vagues."29
27. Maupassant, "La Maison Tellier", Contes et Houvelles, t,I,
pp. II88- H 89.
28. Maupassant, "Miss Harriet", Contes et Houvelles, t.II, p. 863.
29.
Maupassant, Une Vie, p. 20,
19
En dehors de ses nombreuses promenades sur les falaises, Maupassant
a M e n connu aussl 1*aspect maritime du Pays de Came.
En effet, pendant
la majeure partie de son enfance 11 a demeure au hord de la mer a Etretat,
ou 11 avalt pour eamarades intimes les p@cheurs du coin.
Ceux-ci I'emme-
nerent souvaaten mer a bord de leurs barques et e’est ainsi qu'il devint
tout a fait familier avec la mer qu*11 decrit ainsi avee beaucoup de
realisme;
"A gauche la mer, pas la mer bleue, la mer d ’ardoise, mais
la mer verdatre, laiteuse et dure aussi sous le d e l fonce."30
Ou encore;
"L’ecume, sur la cr@te des vagues, faisait dans 1’ombre des blancheurs
lumineuses, eteintes presque aussitSt qu’apparues, et le bruit monotone
de la mer brisant centre les rochers se prolongeait dans la nuit tout
le long des falaises."31
Mais Maupassant he se contente pas de decrire la Hormandie sous
le soleilj 11 avait veeu trop longtemps dans eette province pour n 8avoir
pas souffert de son rude climat qu’il a decrit sous toutes ses formes.
Tout d’abordj, void comment 11 decrit les nuages, elements precurseurs
de ces ondees si frequentes sur le plateau de Cauxs
Les gros nuages tout noirs arrivalent d'une vitesse folle,
passaient suivis phr d'autres; et ehacun crlblaitla c@te
d'une averse furieuse.32
:’
■ Mais pen a peu, la violence de leaverse diminuait, puis
ce ne fut plus qu’une sorte de brume, une tres fine poussiere
30.
31.
p. 1182,
32.
Maupassant, "Miss Harriett", Contes et Houvelles, t.II, p. 868.
Maupassant, "La Maison Tellier", Contes et Nouvelles, t.I,
Maupassant, Une Vie, p. 259«
-
■ ■' -u
.
2 0
de pluie voltigeant. La vollte des nuees semblait s'elever,
blanohir, et soudain par tin trou qu'on ne voyait point, un
long rayon de soleil oblique deseendit sur les prairies. Et
les nuages s'etant fendus, le fond bleu du firmament parut;
puis la dechirure s'agrandit comme un voile qui se dechire;
et un beau ciel pur d'un azur net et profond se developpa sur
le monde»33
La brievete et la violence de ees ondees donne un caraetere
original a ee climat et I6on volt avec quelle puissance de suggestion
Maupassant a reussi a evoquer ces brusques grains entre deux coups de
soleil.
Mais quelquefois ces averses se transformant en pluie diluvienne
et voici comment Maupassant la deerit s
"La pluie tombait a flots ^ une
pluie normande qu'bn aurait dit jetee par une main furieuse, une pluie
en biais, epaisse comme uii rideau, formant une sorte de mur a rales
obliques; une pluie cinglante, eelaboussante, noyant tout, une vraie
pluie des environs de Rouen, ce pot de chambre de la France."3^
Cette description ne laisse certainement rien & desirerj elle
donne au contraire une impression si intense que pour un peu I'on se
sentirait mouilie.
Ainsi par toutes ces citations on peut se rendre compte de la
physionomie particuliere de ce climat cauehois qui est on ne peut plus
capricieux et dont les caprices sont toujours dictes par les vents qui,
tour a tour, balaient ou obscurcissent le ciel.
Ses rafales qui roulent
d'un bout a 1”autre du plateau sont a peine arrStees par les hales ou
p. 1$4.
33«
Maupassant, Une Vie, p. 14.
34.
Maupassant, "Mademoiselle Fifi", Contes et Nouvelles, t.II,
21
par les lignes d'arbres plantees sur les fosses atitour
des fermes ou
des chauihleres.
Souffles prlntanlerSj, brises d’ete ou rafales de tempSte, ee
vent est toujours present dans le Pays de Gaux.
Ayant observe des son
enfance le bruit et les effets de ee vent, Maupassant saura le decrire
d’une maniere aussi vivante qu"impressionnante:
"Le vent sifflait,
peignait, rasait 18herbe, couchait les jeunes recoltes, emportait pareils a des flocons d’ecume, de grands oiseaux blanes qu'il entrafnait
au loin dans les terres."35
Apres le soleil, la pluie et le vent, j8aimerais examiner maintenant un autre element qui acheve de donner au elimat eauchois sa physionomie partieuliere et qui est le brouillard„ En effet, malgre qu"il
le mentionne a plusieurs reprises, il ne semble pas que Guy de Maupassant
ait partlculierement apprecie "cette brume lourde, humide oomme de la
gelee, infecte a respirer comme une bouche
d ee g o u t " 3 6
qui, malheureuse-
ment, estompe bien souvent les paysages de la campagne normande.
En resume, pluie, vent ou brouillard temoignent de I’humidite
radicals de ce climat et il est aise de deviner qu,un pays au sol si
riche et au climat si humide ait une vegetation aussi abondante et des
ressources agricoles aussi variees.
Si Maupassant a decrit la Normandie par tous les temps on verra
qu'il 1'a decrite aussi par toutes les saisons, En effet, 1*aspect de
35•
Maupassant, Gne Vie, p. 259-
36.
Maupassant, "L’Epave", Contes et Nouvelles, t.I, p. 717.
22
cette region change radiealement tout au long de 11annee. C ’est
prohablement paree qu’il a veeu toute sa jeunesse dans le Pays de Caux
que Maupassant a su evoquer avec beaucoup de realieme et avec un certain
rbmantisme la diversite de ces differentes saisons dans cette region,
saisons que dans son oeuvre on passe successivement en revue.
C'est avec beaucoup de charme qu'il essaye deevoquer les delices
du printemps:
Le printemps etait venu tout doucement, les arbres nus fremissaient sous la brise encore fratche, mais dans I'herbe
humide des fosses, ou pourrissaient les feuilles de 1 1automne,
les primeveres jaunes commengait a se montrer. De toute la
plaine, des cours de ferme, des champs detrempes s’elevait
une senteur d’humidite, comme un goUt de fermentation. Et
une foule de petites' pointes vertes sortait de la terre brune
et luisait aux rayons du soleil,"3T
En Normandie les saisons sont aussi quelquefois eapricieuses et
si cette premiere citation decrit un printemps normal, en voici une autre
qui decrit un printemps preeoce:
Le printemps fut singulierement precoce et chaud, Depuis les
douces matinees jusqu'aux calmes et tiedes soirees, le soleil
faisait germer toute la surface de la terre. C1etait une brusque
et puissante iclosion de tous les germes en m@me temps, une
de ces ardeurs a renaltre que la nature montr.e quelquefois
en des annees privilegiees qui feraient croire a des rajeunissements du monde.38
S’il y a des printemps preeoees, il y a aussi des printemps
tardifs comme celui que Maupassant decrit dans "Par un soir de printemps";
Le printemps, tardif cette annee, hesitant, grelottant jusquela sous les gelees claires des nuits et la frafcheur brume use
37=
Maupassant, Une Vie, p. 174.
38.
Ibid., 204.
23
des matinees, venait de jaillir tout a coup. Quelques jours
chauds, un peu voiles, avaient remue toute la seve de la terre
ouvrant les feuilles comme par miracle...et repandant partout
cette bonne odeur amollissante des bourgeons et des premieres
fleurs.
Puis, un apres-midi, le soleil victorieux seehant enfin
les buees flottantes, s'etait etale, rayonnant sur toute la
plaine. Sa gaite claire avait empli la campagne, avait penetre partout, dans les plantes, les bStes et les hommes.
Les oiseaux amoureux voletaient, battaient des ailes, s’appelaient.39
En Normandie, 1'ete est comme nous le savons une saison ereuse,
c’est a dire ou 11 ne se passe pas grand-chose a la campagne, et c'est
probablement pourquoi Maupassant n ’en parle que tres peu dans son oeuvre
et dit juste:
0n touchait a la fin de juillet, e'etait la saison vigoureuse
ou cette terre, nourrice puissante, fait epanouir. sa seve et
sa vie. Dans tous les enclos, separes et relies par de hautes
murailles de feuilles, les gros boeufs blonds, les vaches aux
flanes tachetes de vagues dessins bizarres, les taureaux roux
au front large, au jabot de chair poilue, a 1'air provocateur
et fier, debout•ahpres des clotures ou couches dans les pSturages, qui ballonnaient leurs ventres, se succedaient indefiniment a travers la frafche contree dont le sol semblait suer
du cidre et de la chair. ^
A cette saison si courte et si agreable, succede 1'automne qui
malgre la reeolte des pommes nous rapproche insensiblement de 1'hiver:
L 9automne vint, les feuilles tomberent. Elies tombaient
jour et nuit, descendaient en tournoyant, rondes et legeres,
le long des grands arbres} et on eommengait a voir le d e l a
travers les branches. Quelquefois, quand un coup de vent
passait sur les elmes, la pluie lente et continue s"epaississait
brusquement, devenait une averse vaguement bruissant qui couvrait
la mousse de'un epais tapis jaune, cfiant un peu sous les pas.
Et le murmure presqu9insaisissable, le murmure flottant, in­
cessant, doux et triste de cette chute semblait une plainte
39- Maupassant, "Par un soir de printemps", Contes et Nouvelles,
t.II, pp. 307-308.
40.
Maupassant, Notre Coeur, p. 73.
2k
et ces feuilles tombant toujours, semblaient des lames, de
grandes lames versees par les grands arbres tristes qul pleuraient jour et nuit sur la fin de 1 1annee, sur la fin des aufores tiedes et des doux crepuscules, sur la fin des brises
chaudes et des Clair's soleils
Cette longue et melaneolique description de I’automne semble
mieux correspondre au temperament triste de Maupassant q.ue les descrip­
tions gaies du printemps. Mais 11 ne faut pas oublier non plus que
I'automne a probablement ete la saison de predilection de Maupassant
car il etait un chasseurs
C 1etait I'automne. Des deux cGtes du chemin les champs denu­
des s'etendaient, jaunis par le pied court des avoines et des
bles fauches qui couvraient le sol comme une barbe mal rasee.
la terre embrumee semblait fumer. Des alouettes chantaient
en I’air, d'autres oiseaux pepiaient dans les buissons. •
Le soleil enfin se leva devant nous, tout rouge au bord
de I’horizon; et a mesure qu'il montait, plus clair de minute
en minute, la campagne paraissait s'eveiller, sourire, sesecouer et Ster, comme une fille qui sort du lit, sa chemise
de vapeurs blanches A2
Pour Maupassant, I ’hiver normand est surtout cette morne et lugubre- saison qui semble souvent he jamais finir:
L'hiver vint, I’hiver nomand, froid, pluvieux. Les in­
terminable s averses tombaient sur les ardoises du grand toit
anguleux dresse comme une lame vers le del. Les chemins
semblaient des fleuyes' de boue, la campagne;une ;plaine de
bouej et on n’entendait aucun bruit que celui de I’eau tom. bant; on ne voyait aucun mouvement que le vol tourbillonnant
des corbeaux qui ae defoulait comme un nuagejs^;abattait dans
un champ, puis repartalt.
" Ul.
p. 1033.
Maupassant, "La Petite Roque”, Contes et louvelles, t.II,
: 42.
p. 86o.
Maupassant, "Miss Harriet", Contes et Rouvelles, t.II,
25
Vers quatre heures, I ’armee des b@tes sombres et volantes
venait se percher dans les grands hBtres a gauche du ch'ateau,
en poussant des cris assourdissants» Pendant pres d'une heure,
ils voletaient de cime en cime, semblaient se battre, croassaient, mettaient dans le branchage grisatre un mouvement noir.
Elle les regardait,chaque soir, le coeur serre, toute
pehetree par la lugubre melancolie de la nuit tombant sur les
terres desertes A 3
Puis
plus tard dans la saison:
A la fin de Janvier les neiges arriverent. On voyait
de loin les gros nuages venir du nord au-dessus de la mer
sombrej et la blanche descents des flocons commenqa. En une
nuit toute la plains fut ensevelie, et les arbres apparurent
au matin drapes dans cette ecume de glace.... Des bruits
de vie venaient de fort loin repercutes sur la tranquillite
dormante de cette nappe livide et morne...et la couche de
' neige s'elevait sans cesse sous la chute infinie de cette
mousse epaisse et legere.^
si bien que "la terre couverte de neige semblait morte."^5
La neige qui reeouvre cette campagne a dd certainement beaucoup
impressionner I ’Sme melancolique de Maupassant car il a ecrit sur ce theme
un poeme intitules "Nuit de neige" ou s‘expriment admirablement le silence,
la solitude et la terreur qui y regnent alors:
La grande plains est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son; toute vie est eteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plaints,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin dfun bois.
Plus de chansons dans I'air, sous nos pieds plus de chaumes.
L^hiver s'est abattu sur toute floraison;
Des arbres depouilles dressent a 1 'horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fant0m.es.
43.
Maupassant, "Premiere neige", Contes et Nouvelles, t.II,
44.
Maupassant, Une Vie, pp. l4l-l42.
45.
Maupassant, "Premiere neige", Contes et Nouvelles, t.II,
p . 415 .,
p* 4l9i
26
La luhe est large et pS'le et semble se hater,
Oh dlrait qu'elle a froid dans le grand ciel austere,
De' son morne regard elle parcourt la terre,"
Et, voyant tout desert, s‘empresse a nous quitter.
Et froids" tombent sun nous les rayons qu’elle darde,
Fantastiques lueurs qu’elle s’en va semant;
Et la nelge s’eclalre au loin, sinistrement,
Aux etranges reflets de la clarte blafarde.
Oh! la terrible nuit pour les petits oiseaux!
Un vent glace frissonne et court par les allees;
Eux, n ’ayant plus 1 ’asile ombrage des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelees,
Dans les grands arbres rius que couvre le verglas
Ils sont la, tout tremblants, sans rien qui les protege;
De leur oeil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu’au jour la nuit qui ne vient pas.^o
Maupassant ne s’est pas cantonne a depeindre uniquement la eampagne cauchoise, 11 a decrit aussi des grandes villes avec leurpanorama
comme Rouen dont je donne ci-dessous cette interessante et celebre de­
scription;
Ils commencerent de gravir la bote.,.. Ils venaient de s ’arreter aux deux tiers de la montee, a un endroit renomme pour
la vue ou 1 ’on conduit tous les voyageurs. On dominait 1’im­
mense vallee, longue et large que le fleuve clair parcourait .
d ’un bout a 1’autre avec de grandes ondulations. On le voyait venir la-bas, tache par des lies nombreuses et decrivant
une courbe avant de traverser Rouen.
Puis la ville apparaissait sur la droite un peu noyee
dans la brume matinale, avec des eclats de soleil sur ses
toits et ses mille clochers legers, pointus ou trapus, frSles
et travailles comme des bijoux geants, ses tours carries ou
rondes coiffees de couronnes herald!ques, ses. beffrois, ses
clochetons, tout le peuple gothique des sommets d ’eglises
que dominait la flSche aigile de la cathedrale, surprenante
aiguille de bronze, laide, etrange et dimesuree, la plus
haute qui soit au monde. Mais en face, de 1 ’autre c6ti du
46.
Maupassant, "Nuit de neige", Des Vers, pp. 29-30.
27
fleuve, s’elevaient, rondes et renflees a leur falte, les minees
cheminees d'uaines du vasie faubourg de Saint-Sever. Plus tiombreuses que leurs freres les clochers, elles dressaient jusque
dans la campagne lointaine leurs longues eolonnes de briques
et soufflaient dans le ciel bleu leur haleine noire de eharbon. Et, la plus elevee de tqutes, aussi haute que la pyramide "de Cheops, le second des semmets dd au travail humain.
Presque egale de sa fiere commere, la fleehe de la cathedrale,
la grande pompe a feu de la "Foudre" semblait la reine du
peuple travailleuf et fumant des usines, eomme sa voisine,
etait la reine de la fouie pointue des monuments sacres.
. La-bas, derriere la ville ouvriere, s'etendait une for@t
de sapins; et la Seine, ayant passe entre les deux cites,
continuait sa route, longeait une grande c3te onduleuse boisee en haut et montrant par place ses os de pierre blanche,
puis elle disparalssait^a 1*horizon apres avoir decrit une
longue courbe arrondie,^?
II evoque aussi des viHes moins grandes eomme Etretat, dont 11
donne malheureusement des descriptions assez fragmentaires:
...au bord de la mer,..rien de gehtil eomme eette plage.
Elle est petite, arrondie en fer a cheval, encadree par ces
hautes falaises blanehies, pereees de ces trous singuliers
qu’on nomme les Fortes, I'une enorme allongeant dans la mer
sa;jambe geante, 1!autre en face accroupie et ronde.^o
•■''Arrondie en croissant de lune, la petite ville d eEtretat
avec ses falaises blanches, son galet blanc et sa mer bleue,
reposait sous le solell d'un grand jour de juillet. Aux deux
pointes de ce croissant, les deux portes, la petite a droite
et la grande a gauche avangaient dans I ’eau tranquille, I'une
son pied de naine, 1*autre sa jambe de colossej et 1*aiguille,
presque aussi haute que la falaise, large d'en has, fine au
sommet, pointait vers le soleil sa tSte aigfle.^9
la-bas, en avant, une roche .d 9une forme;, etrange, arrondie
et pereee a jour avait a peu pres la figure d'un elephant
k j . Maupassant > Bel-Ami (Paris: Editions Albin Michel, 1958),
pp. 250-251.
48.
Maupassant, "Adieu", Contes et Nouvelles, t.X, pp. 94-95«
49. Maupassant, "Le Modele", Contes et'nouvelles, t.II, p. 421.
enbrme enfongant sa troihpe dans les flots.
porte d'Etretat.50
C ’etait la petite
A ce point, j'aimerais mentlonner que de 1 ‘autre c8te de eette
petite porte, appelee encore "Porte d ’Aval", se trouve "la Ghambre aux
Demoiselles, grotte suspendue dans une cr@te de la falaise."51
Cette petite grotte cachee, connue cependant de tons les amoureux,
est tres facilement accessible de la plage lorsqu’on escalade cette fa­
laise en direction du Cap d *Antifer. G-uy de Maupassant, lors de ses
nombreuses promenades le long de la c6te a dti la visiter a plusleurs
reprises, et le souvenir qu'il en a garde lui a inspire une petite poesie encore inedite, adressee dans une lettre a Madame Hermine Lecomte
du Notiy et que j‘ai retrouvee par hasard en compulsant les archives
sur Maupassant que sa belle-fille, Madame Mary Lecomte du Notiy, a con­
serve pieusement chez elle, dans sa petite maison d'Etretat.
Ce petit poeme de Maupassant complete 1'evocation de la c8te
normande,
II ne s'agit pas d'une oeuvre poetique soigneusement polie
et repolie, mais ces vers legers et badins meritent d’Stre connus.
Ils
sont interessants parce qu'ils representent un aspect important du carac- .
tere du poete--son c8te frivole et spirituel--et parce qu'ils decrivent
d'une maniere pittoresque un coin de la cdte normande qu'il avait souvent
visite.
t
La Ghambre des Demoiselles a Etretat
Lentement le flot arrive
Sur la rive
Qu'il berce et flatte toujours
50o
Maupassant, Une Vie, p. 46.
Sur la d o t e solitaire
Est une aire
Jetee an-dessus des eatix=
Un etroit passage y mene
¥n vrai domaine
Des Mauves et des eorbeaux.
G ’est tine grotte perdae,
Suspendae
Entre le eiel et les mers j
Une demeure ignoree,
Separee
Da reste de I 8Univers.
Jadis plus d8une gentille
Jeane fille
Y vint voir son amoureux;
On dit que cette retraite
Si discrete
A cache M e n des heureux.
On dit que le Glair de lane
Vit plus d 8one
Jouyeneelle au eoeur leger
Prendre le sentier rapide
Intrepide
Insoueiante da danger.52
Malgre les descriptions ineompletes de cette petite station
balneaire mise a la mode par Alphonse Karr, on peat se faire tout de
mSme une idee assez precise de cette petite plage entouree de falaises
ou Maupassant passa de si agreables moments en compagnie de ses amis,
les pBcheurs da coin.
En dehors de grandes villes comme Rouen ou de petites villes
eomme Etretat, Maupassant a decrit des ports comme Le Havre.
II est
interessant de noter au passage que, malgre ces trente kilometres qui
separent Etretat du Havre, Maupassant ne connaissait guere cette ville
52. Maupassant, poeme inedit adresse dans une lettre a Madame
Hermine Lecomte du Hofly.
30
ctest pourquoi 11 y vint en 1887 en eompagnie de Madame Lecomte du Molly,
avee le 'but precis d'etudier des decors pour son livre, Pierre et Jean.
Voici maintenant, comment Maupassant a decrit la rade du Havres
II arrivait devant le mSt des signaux qui indique la hauteur
de l6eau dans le port...puis...ayant fait encore quelques pas,
il s8arrSta pour contempler la rade. Sur sa droite, au-dessus
de Sainte-Adresse, les deux phares electriques du cap de la
Heve, semblables a deux eyclopes monstrueux et jumeaux, jetaient
sur la mer leurs longs et puissants regards. Partis des deux
foyers voisins, les deux rayons paralleles, pareils aux queues
geantes de deux eometes, descendaient, suivant une pente droite
et demesuree, du sommet de la cdte au fond de I"horizon. Puis,
sur les deux jetees deux autres feux, enfants de ces colosses,
indiquaient I8entree du Havre; et la-has, de I"autre c8te de
la Seine, on en voyait d8autres encore, heaueoup d8autres,
fixes ou clignotants a eclats et a eclipses, s8ouvrant et
se fermant comme des yeux, les yeux des ports, jaunes, rouges,
verts, guettant la mer obscure couverte de navires, les yeux
vivants de la terre hospitaliere disant rien que par le mouvement mecanique invariable et regulier de leurs paupieres:
"G8est moi. Je suis Trouville, je suis Honfleur, je suis
la riviere de Pont-Audemer.11 Et dominant, tons les autres
si haut que, de si loin, on le prenait pour une planete, le
phare aerien d8Etouville montrait la route de Rouen, a travers
les bancs de sable de 1 8embouchure du grand fleuve.53 .
. .
Apres eette description tres pittoresque de 1 8aspect de la rade
du Havre pendant la nuit, j8aimerais maintenant examiner comment il a
decrit le centre de cette ville en plein jour:
"Pierre se dirigea vers
la rue de Paris, la principals rue du Havre, animee, bruyante"5^ et
lorsqu8un peu plus loin, il arriva finalement:
Devant la place de la Bourse, il eontempla, comme il faisait
chaque jour, le Bassin du Commerce plein de navires, prolongs
53° Maupassant, Pierre et Jean (Geneve:
Skira, 19^4), p. 39°
5^°
Ibid., p. 36°
Editions d8Art Albert
31
par d°autres bassins, ou les grosses cogues, ventre a ventre,
se touchaient sur guatre ou cinq rangs.
Tous les mats innombrables, sur une etendue de plusieurs
kilometres de quais, tous les mSts avec les vergues, les fleches,
les cordages, donnaient a cette ouverture au milieu de la ville,
1 8aspect d6un grand bois mort.55
Ges quelques citations quoique relativememt eourtes donnent quand
mSme une excellente idee de la vue que I 8on a de I'estuaire de la Seine
avec ses bancs de sable mouvant et aussi de I 8animation
qui regne au
centre de cette ville,
D 8autre part, malgre les annees et les bombardements de la derniere guerre, la situation du Havre, de sa c0te et de son port n8a guere
change,
Les quartiers, les noms des rues et des places sont restes les
mSrnes qu8au temps de Maupassant et ses descriptions sont empreintes d8une
r
telle exactitude que I 8on a I8impression, en lisant aujourd8hui Pierre
et Jean, de se promener avec lui dans le dedale des rues de ee vieux port
normand.
i
/
I
55«
Maupassant, Pierre et Jean, p. 24,
CHAPITRE 4
PORTRAIT DU PAYSAN CAUCHOIS
L ”oeuvre de Maupassant serait a peu pres sans interS't
psychologique si dans ces paysages evogues avec tant de nettete 11
n 1avait pas place des @tres humains.
En effet, 11 trace de nombreux
portraits inoubliables de paysans normands.
II arrive toujours a faire ressortir dans ces portraits le rap­
port etroit qui existe entre les lourds travaux des fermes d 8un c$te
et les habitud.es et mSme I1aspect physique de ces campagnards de l eautre.
Un examen precis de la maniere dont Maupassant decrit progressivement
leur existence quotidienne permettra de mieux apprecier la justesse de
son observation, car 11 revele a travers I8action de ses nouvelles leurs
faqons de voir, d8agir, et de se debattre avec leur destin.
Par leurs actions, Maupassant nous apprend leurs vertus et leurs
vices et nous fait voir qu8apres une longue et laborieuse vie, ils meurent
stoiquement pour faire place a la generation suivante.
D 8un autre c0te, bien que la vie des paysans ne presente pas
toujours pour tout le monde un interSt certain et ne se pr&te pas a
Btre un sujet passionnant de lecture, j8espere pouvoir montrer malgre
tout que Maupassant a su captiver 1 8attention de ses lecteurs en les
faisant rire d"une part et d8autre part en leur ouvrant les yeux sur
la misere de ce monde.
32
' ' 33 '
Conroe 1° action de la pliapart de see contes se passe dans des
fermes cauchoises, je pense gm'il serait ©pportnri de donner lei one
"breve description de ces fermes.
De nos jours Ces fermes etitotireas de cultures et d1herbages somt
generalement eparpillees a travers toute la campagne et leurs eours vastes
et reetahgulaires sont toujpurs plantees de pommiers a cidre.
D°autre
part, a cause des vents violents q.ui sevissent presque toute 18annee
dans cette region, les fermes, par mesure de protection, sont entourees
d’une levee de terre haute de deux metres environ, appelee "fosse",
sur lequel poussent en double ou triple rangee des hStres ou des ormes.
La citation q.ui suit montre combien Maupassant etait sensible
a la beaute des paysages normands et avec quelle precision 11 savait
decrire ces fermes qui de son temps presentaient au-voyageur le mime
aspect que de nos jours: v
Depuis un mois, le large soleil jette aux champs'sa- flamme
cuisante. La vie radieuse eelate sous cette* averse de feu;
la terre est verte a perte de vue. Jusqu’aux bords de 1*ho­
rizon, le d e l est bleu. Les femes normandes semees par la
piaine semblent, de loin, de petits bois enfermes dans leur .
eeihture de hitres elanees. De pres, quand on ouvre la barriere vermoulue, on croit voir un jardin geant, car tons les
antiques pommiers, osseux eomrae les paysans, sont en fleurs.
Les vieux troncs noirs, croehus, tortus, alignes par la cour,
etalent sous le d e l leurs dimes eelatants, blancs et roses.
Le doux parfum de leur epanduissement se mele aux grasses senteurs des etables ouvertes et aux vapeurs du fumler qui fermente, couvert de poules.”56
Hon seulement ces femes' sont isolees dans la campagne, mais
elles sont aussi tres eloignees les unes des autres. En effet, Maupas­
sant, en parlant du facteur, dans "Le crime du Pere Boniface", souligne
56. Maupassant, "Le Pere Milon", Contes et Houvelles, t.II, p. 211.
3k
d*une fagon frappante les distances formidables que doit parcourir le
malheureux factenr:
MCe jour-la, le faeteur Boniface, en sortant de
la maison de poste, constate que sa tournee serait moins longue que
de coutume, et 11 en ressentit une joie vive.
II etait charge de la
campagne autour du bourg de Vireville, et, quand 11 revenait le soir,
de son long pas fatigue, 11 avait parfois plus de quarante kilometres
dans les jambes."57
De ce qui precede, 11 est elair que Maupassant eonnalt bien
la situation et la disposition do ces ferme.s eauchoises. II en a note
egalement de petits details pittoresques, images qu’au eours de ses
excursions dans le pays son oeil toujours alerte a sn eapter.
II parle,
par exemple, d'un element tout a fait earaeteristique des femes normandes quand 11 signale les iris qui poussent au faite des toits de
chaume, Dans "L’Histoire d'une fille de ferme", 11 evoque "le toit
de chaume des bailments, au sommet desquels poussent des iris aux feuilles
pareilles a des sabres»"5® Tous ces toits de chaume garn-is d'iris disparaissent malheureusement de plus en plus de nos jours et sont remplaees
par des toitures d’ardoises noires ou de tulles rouges«
Cependant, 11 ne faut pas croire que Maupassant, qui eozmalt
bien le petit paysan, ait deerit uniquement de grandes exploitations
agricoles. Au contraire 11 a depeint souvent, eomme dans "L8Histoire
57• Maupassant, "Le Grime du Pere Boniface", Gontes et Jfouvelles,
t.I, p. 152.
58. Maupassant, "L’Histoire d’une fille de ferme", Contes et
Efouvelles, t.I, pp. 24-25®
d’one fille de ferme", des fermes TDeaiaeoup plus petltes et plus modestes.
Icl 11 fait ressortir le earactere humble de eette demeure.
Quand la fille eut fini la besogne, essuye la table 3 nettoye
la cheminee et range les assiettes sur le haut dressoir au
fond pres de 18horloge en bois au tietae sonore, elle respira,
tin peu etourdie, oppresses sans savolr pourquoi. Elle regards
les murs d'argile noircis, les poutres enfumees du plafond
ou pendaient des toiles d8araignee <, des harengs saurs et des
rangees d8oignons; puis elle s’assit, gSnee par les emanations
anciennes que la ehaleur de ee jour faisait sortir de la terre
battue du sol ou avaient seehe tant de ehoses repandues de­
pots si longtemps. II s'y mBlait aussi la
saveur Sere du
laitage qui cremait au frais dans la pieee
a eSte.59
Maupassant a cennu parfaitement toutesees fermes eossues ou
pauvreSj, et par la leeture de ses eontes on arrive faeilement ase falre
one idee du genre d8habitation dans laquelle ees paysans cauchois habitant.
. Maupassant n'est pas de ees touristes qui passent rapidement
par un pays pour ne le eonnaltre que sous I 8aspect d8une saison.
II
a, en.effet, admire le soleil du printemps qui met en fleurs les eours
normandes, et il les evoque en deerivant tres brievement les quelques
elements essentiels du paysage— pommiers blanes et roses, petales qui
tombent comme des floeons de neige, pissenlits eouleur d 8or et eoquelicots eouleur de sang.
Avec la concision et la precision que lui avait enseignees son
maitre Gustave Flaubert, 11 les evoque dans un petit paragraphs du "BaptSlae
Bevant la porte de la ferae, les hommes endimanehes attem*daient. Le soleil de mai versait sa claire lumiere sur les
pommiers epanouis, ronds comme d‘inmenses bouquets blanes,
roses et perfumes et qui mettaient sur la eour entiere un
59° Maupassant, "L'Eistoire d 8une fille de ferme", Contes et
Wouvelles, t.I, pp. 23-24.
36
toit de fleurs. Ils semaient sans cesse autour d'eux une neige
de petales menus, qui voltigeaient et tournoyaient en tombant
dans l8herbe haute, ou les pissenlits brillaient comme des
flammes, ou les qoquelicots semblalent des gouttes de s a n g . 60
Mais s8il salt avec tant de precision et de delicatesse evoquer
le printemps, 11 salt egalemeht nous faire respirer les odeurs lourdes
de I'ete, nous faire sentir sa chaleur etouffante, et nous faire enten­
dre le bruit sec que font une multitude d ’inseetess
Par la fenStre et la porte ouvertes, le soleil de juillet
entrait a flots, jetait sa flamme ehaude sur le sol de terre
brune, onduleux et battu par les sabots de quatre generations
de rustres. Les odeurs des champs venaient aussi, poussees
par la brise euisante, odeur des herbes, des bles, des feuilles,
brttles sous la chaleur de midi. Les sauterelles s'egosillaient,
emplissait la eampagne d’un crepitement elair, pareil au bruit
des criquets de bois qu'on vend aux enfants dans les f o i r e s . 6 1
Avee la meme precision, il evoque dans "le Fermier" I'automne
en Normandie. II y a eertainement dans ee tableau des souvenirs de
ses vagabondages, sac au dos, a travers la eampagne normande, et des
nuits passees dans des fermes pareilles a celle qu'il decrit ici.
L ’o-
dorat joue un r01e de toute premiere importance dans ses impressions.
Les choses vues et les odeurs, ont une importance egale dans la descrip­
tion de 1’arrives dans la cour de la ferme et de 1 ’entree dans la cuisine
dont le sol et les murs sont tout impregnes d ”odeurs rurales;
Apres deux heures de route par des chemins pierreux, a travers
eette plaine verte et toujours pareille, la guimbarde entra
dans une de ces cours a pommiers, et elle s’arrSta devant
60.
Maupassant, "Le BaptSme", Contes et louvelles, t.II, p. 4^.
61.
Maupassant, "Le Liable", Contes et Nouvelles, t.I, p. 234.
37
un vieux bStiment delabre ou une vieille servante attendait
a cSte deun jeune gars qui saisit le chevalOn entra dans la fenne. La cuisine enfumee etait haute
et vaste. Les cuivres et les faiences hrillaient eclaires
par les reflets de I*Stre. Un chat dormait sur une chaise;
un ehien dormait sous la table. On sentait, la-dedans} le
lait, la pomme, la fumee et cette odeur innommable des vieilles
maisons paysannes, odeur du sol, des murs, des meubles, odeur
des vieilles soupes repandues, des vieux lavages et des vieux
habitants, odeur des bStes et des gens mSles. des choses et
des Stres, odeur du temps, du temps p a s s e . . .
L*auteur nous promene apres dans la cour.
Gela pourrait tres
bien etre la cour deja decrite au soleil du mois de mai, avec ses pommiers
tout converts de fleurs;
Mais cette fois quel changement d*aspect!
Les feuilles ne cachent plus les branches tordues des vieux arbres, et
ce ne sont plus des petales parfumes qui tombent silencieusement, mais
des pommes mures qui tombent lourdement et qui repandent une odeur ou
se melent la fraiche ur et aussi la pourriture.
Cette description de 1 1automne vient done" completer celles que
1 ’auteur nous a deja presentees du printemps et de 11ete.
Je ressortis pour regarder la cour. Elle etait tres grande,
pleine de pommiers antiques, trapus et tortus; ‘
et converts
de fruits, qui tombaient dans 1'herbe autour d’eux. Dans
cette cour, le parfum normand des pommes etait aussi violent
que celui des Grangers fleuris sur les rivages du Midi. .Quatre lignes de lietres entouraient cette enceinte. U s etalent
si hauts qu'ils semblaient atteindre les nuages, a cette heure
de nuit tombante, et leurs t@tes, ou passait le vent du soir,
s'agitaient et chantaient une.plainte interminable et triste.°3
Quand la neige a reconvert tout le pays de Caux, la region ne
ressemble plus, helas, qu'a un desert blanc, pour ainsi dire sans relief
62.
Maupassant, "Le Fermier", Contes et Uouvelles, t.II, pp. 654-655-
63. Ibid., 655;
et sans vie.
Maupassant a egalement observe I"aspect du pays en hiver.
II salt en distinguer les elements essetttiels--les ligries d'arbres,
blancs de frimas, les eampagnes desertes, et les filets de fumee qui
montent lentement vers le eiel des cheminees des femes.
Ces quelques details, choisis avec soin, et evoques sans que
1 'auteur emploie un mot de plus qu'il ne faut pour les rendre, suffisent, coirnne les quelques traits d'une esquisse' japonaise, pour faire
voir le paysage; Les femes isolees dans leurs eours carrees, derfiere leurs
rideaux de grands arbres poudres de frimas, semblaient endormies en leur chemise blanche. Ni horiimes, ni b§tes ne
sortaient plusj seules les cheminees. des chaumiere revelaient la vie cachee, par les minces filets de fumee qui
montaient droit dans I'air glacial.
La plaine, les hales, les ormes des clStures, tout semblait mort tue par le froid.^
II est deja evident quel r6le important I’odorat joue dans la
sensibilite de Maupassant.
II a bien compris que la proximite de la
mer ajOute quelque chose de particulier a I'air de la region.
... Qu’on la vole ou non, elle est toujours la, a peu.de distance,
et dans les femes, aux odeurs des pommes, des bSies et des hommes s'ajoutent la senteur de sel qu’amene le vent du large et I'odeur penetrante
du varech seche.
Ces sensations d’odorat qu'on n'eprouve qu'au bord
de la mer, Maupassant les presente dans "Miss Harriet" avec la preci­
sion et I'economie de moyens qui lui sont coutumieres:
C'etait un soir tiede, amolli, un de ces soirs.de bien-Stre
ou la chair et 1’esprit sont heureux. Tout est jouissance
6k,
Maupassant, Une Vie, p. 150.
39
et tout est charme. L eair tiede’embaume, plein de senteurs
d’herbes et de senteurs d'algues, caresse le palais de sa
saveur marine, caresse I8esprit de sa douceur penetrante.
Nous allions maintenant au bord de 18ablme, au-dessus de la
vaste mer qui roulait a cent metres sous nous, Ses petits
flots. Et nous buvions, la bouche ouverte et la poitrine
dilatee, ce souffle frais qui avait passe l8oeean et qui
nous glissait sur la peau, lent et sale par le long baiser
des vagues,°5
Apres avoir deerit en detail le cadre dans lequel prend place
1 8action de la plupart des contes de Maupassant, j8aimerais a ce point
montrer avec quelle sobriete et sincerite
cet auteur a su decrire son
personnage central qui est le paysan cauchois.
II ne faut certainement pas s8attendre a voir surgir de ses
descriptions un Stre de race fortej ce serait une erreur, car 11 a d@crit tous ses campagnards, d8une part comme de pauvres heres qui ont
une existence mediocre, et d8autre part comme des individus primitifs,
sauvages et brutaux,
En quelques courtes phrases de son conte du "Fer-
mier" 11 a su camper devant nous deux individus qui representent M e n
la race des paysans normands.
Le premier est le type solidement bSti
et qui, a l8Sge de cinquante ans, a pris un peu de ventre; I8autre, plus
Sge, est de ces normands maigres et secs.
Un coup de plume lui suffit
pour les faire vivre devant nous.
C 8etait un Normand pur, haut et large, un peu ventru, de la
vieille race des aventuriers qui allaient fonder des royaumes
sur le rivage de tous les oceans. II avait environ cinquante
ans, dix ans de moins peut-Stre que le fermier qui nous conduisait. Celui-la etait maigre, un paysan tout en os converts
de peau sans chair, un de ces hommes qui vivent un siecle.°°
65. Maupassant, "Miss Harriet”, Contes et Nouvelles, t.II, p. 869.
66.
Maupassant, "Le Fermier", Contes et Nouvelles„ toll, p. 654.
ko
Dans "Le Pere Milon" Maupassant fait un portrait inoubliable
d’un paysan encore plus age dont le travail ardu a deforme les mains
et le corps, mais qui reste quand m@me un homme solide.
Chaque detail
de ce-portrait admirable est essentiel pour suggerer I ’histoire et le
caractere de cet homme:"
II avait soixante-huit ans. II etait petit, maigre, un peu
tors, avec de grandes mains, pareilles a des pinces de crabe.
Ses cheveux ternes, rares et legers cotime un duvet de jeune
canard laissaient voir partout la chair du crSne. La peau
brune et plissee du cou montrait de grosses veines qui s'ehfonqaient sous les machoires et reparaissaient aux tempes.
II passait dans la contree pour avare et difficile en affaires.°7
Si Maupassant salt tracer le portrait physique du paysan, il
sait aussi faire son portrait moral,
II comprend qu’un des traits prin-
cipaux de son caractere est son sens tres developpe de I 1esprit de fa­
mine.
C*est; en effet, une des vertus d’une race ou toutes les qualites
ne sont pas admirables. Dans les contes, le paysan est normalement
le maltre absolu chez lui.
S’il y a des decisions a prendre, c'est le
chef de famille qui les prend et femmes, enfants, et petits-enfants les
acceptent, sachant quel respect lui est dCt. La famille etant quelque
chose de sacre, toutes les affaires de famille resteront secretes.
Les enfants qui sont "pleins d’admiration, de respect et de deference
pour les volontes et les
opinions
"68
jamais sans avoir eu leur permission.
de
leurs parents ne se marieront
Un example de ceci nous est don-
ne dans le conte "Boitelle" 0E1 les parents du jeune homme s’opposent
67. Maupassant, "Le Pere Milon", Contes et Nouvelles, t.II,
pp.
212-213.
68. Maupassant, "Hautot Pere et fils", Contes et Nouvelles,
t.I, p.
257.
to.
a son mariage avec une negresse qu'il avait rencontree an Havre lors
de son service militaire. Ainsi pour ne pas aller eontre la volonte
de ses parents et par respect pour ces derniers, il renonce, malgre
son age, a epouser cette jeune fille qui lui -plaisait tellement.
A,eette vertu filiale s *oppose le vice le plus legendaire de
la race normande et qui est 1*avarice,
Un paysan cauehois ne serait
pas un pur Hormand s'il n'etait pas "pres de ses sous."
Maupassant,
tout en reconnaissant les defauts de caractere propre a cette race,
comprend quand mSme que le paysan normand est un homme laborieux et que
malheureusement malgre son travail acharne, ses terres%son betail, il
arrive juste a gagner I"indispensable pour vivre:
aussi riende plus
naturel qu’il soit tres.regardant pour tous les problemes d8ordre fi­
nancier.
,
Gela montre bien que Maupassant a su mettre en lumiere cette
cupidite et cette avarice.
II est clair, pour celui qui lit avec soin ses contes, que la
cupidite est la source de presque tous les vices du paysan et explique
egalement la cruaute ou mSme la brutal!te envers les hommes et les animatix de certains dfentre eux.
Tout ceci est illustre par l8histoire de "Coco", ou I 8on voit
qu8un jeune valet de ferme de quinze ans, un peu simple d8esprit, laisse
deliberement mourir d 8inanition un vieux cheval qu8il etait charge de
nourrir, uniquement paree que cette bSte etait presque completement
paralyses et qu8elle n 8etait plus bonne a rien, alorsi
Du moment qu8elle ne travaillait plus, il lui semblait injuste
de la nourrir, il lui semblait revoltant de gaspiller l8avoine,
42
de 19avoine qui cotite si cher pour ce bidet paralyse. Et
souvent, malgre les ordres de Maltre Lucas, il economisait
sur la nourriture du cheval, ne lui versant qu1une demi­
mes ure, menageant sa litiere et son foin. Et une haine grandissait en son esprit confus d*enfant, une haine de paysan
rapace, de paysan sournois, feroce, brutal et l a c h e . 9
Cest pourquoi il decida avec un certain eynisme de laisser cette
pauvre bBte mourir de faim.
Par son raisonnement imbecile, ce jeune
valet de ferae se faisait en quelque sorte le porte-parole du paysan
normand qui a toujours ete tres fier de travailler et qui redout^ pardessus tout, le jour ou il devra s’arrSter, ear il aurait honte de se
sentir inutile et ne voudrait en aucun cas titre a la charge de sa famille.
Maupassant nous offre un exemple frappant de cette avarice dans
leconte "Pierrot"
ou I®on verra qu’une paysanne, Madame Lefevre, n ’he-
sitera pas a jeter vivant "ce freluquet de quin qui ne jappe seulement
point"70 dans une m#rniere et a le laisser mourir de faim, juste pour
eviter d*avoir a payer au percepteur un imptit de huit francs.
L®action de cette paysanne est sans aucun doute des plus choquantes, mais Maupassant explique avec tant de details les raisons qui
deterainent cette femme a se defaire de son chien que I'on finit par
comprendre vaguement son geste„
Maupassant a etudie aussi d'autres aspects attenues de cette
avarice, comme par exemple la parcimonie ou les petites economies honteuses, tel qu'un bout de ficelle ramasse sur la place de Goderville,
69., Maupassant, "Coco", Contes et Nouvelles, t.II, p. 429/
70«
Maupassant, "Pierrot", Contes et Uouvelles, t.II, p. 349°
43
parce que "Ma'ttre Hauchecorne, econome en vrai Hormand, pensa que tout
etait bon a ramasser qui peut servir"o71
Toutes ees descriptions un pen pejoratives semblent aceabler
le paysan normand; et pourtant, Maupassant ne manque pas de comprendre
et d8exposer les raisons, de son comportement, car c6est parce que cet
homme est en lutte constants avec la nature qu’il a fini par devenir
dur envers lui-mSme comme envers les autres.
Dependant, il salt endurer
cette vie de labeur avec couragej il ne desespere jamais, il prend la
vie comme elle vient = Comme son pain quotidien est litteralement le
fruit de son travail acharne dans ses champs de ble, de colza ou de
pommes de terre, on peat comprendre pourquoi il est tres econome et
mSme prudent,
C'est cette prudence, comme on le verra, qui fera qu'il
s1engage difficilement et qu’il repondra quand on le questionne "C’est
seion, p ’tStre que oui, p8tStre que non, c'est selon,,172
exclu de cette mefiance, mSme pas sa propre famille!
Personne n ’est
Le Normand se
mefie de tout le monde et doutera toujours de la parole de son interlocuteurj c’est pourquoi, dans Une Vie, Desire Lecoq "finit par dire
en hesitant:
"J’frontipoint d6abord un p8tit
p a p i e r 8 " . 73
D 8autre part, comme le mentionne Monsieur Anthony S. G. Butler:
Si le paysan s8exprime parfois un peu longuement sous le coup
de la colere ou au cours d8un raisonnement, il s8y mSle alors
71*
Maupassant, "LaFicelle”, Contes et Nouvelles,t.I, p. 124.
72.
Maupassant, UneVie, p, 189.
73.
Ibid., p. 190.
cles pauses, des faux departs, des pensees inaehevees. En
prStant a ses personnages ee discours saccade, Maupassant
a mis en mBme temps le doigt sur une des caracteristiques
foncieres de la mental!te paysanne: c'est que cette hesita­
tion a se prononcer releve de la erainte de se compromettre,
d’etre "mis dedans", comme l*a dit I8auteur,
.... Lorsque Maupassant fait parler ses paysans l 8apparente
lenteur avec laquelle les idees se succedent et se developpent sert a cacher la mefianee d8une action mal avisee ou
de la parole donnee a la legere. Le normand prefere examiner
une proposition sous tous les aspects, la retourner et la
soupeser avant de proceder a la suivante. En revanche, le
parti-pris jouant un grand rSle dans ses raisonnements, 11
empruntera les arguments les plus detournes pour defendre
sa position.
Cette mSme lenteur peut servir quelquefois a gagner du
temps ou a derouter 18ennemi.7^
Si dans Isoeuvre de Maupassant, le paysand normand a toujours
ete decrit un peu comme un barbare, il faut ajouter pour sa defense
qu8il l8est au mBme sens que Maupassant disait.de lui-mSmet
"je suis
ne avec tous les instincts et les sens de I'homme primitlf, temperss
par des raisonnements et des emotions de civilise", 75 et il est bien
naturel de voir ressortir chez lui un trait caracteristique de son in­
stinct primitlf qui est la chasse.
En effet, la region s*y prBte a
merveille, car elle est tree giboyeuse et la chasse est pour lui une
sorte de necessite et aussi sa seconds nature.
Tout le prouve du reste
et si I8on rentre dans une ferme, il est bien rare de ne pas voir accroches au rateller, au-dessus de la grande cheminee, deux ou trbis fusils
"Jk,
Anthony S. G. Butler, Les parlers dialectaux et populaires
dans I8oeuvre de Guy de Maupassant (Paris; Minard, 19^2), p. 48.
75.
Maupassant, "Amour— Trois pages du livre d8un chasseur",
Contes et Nouvelles, t.I, p. 736.
Maupassant a ete lui-mSme un chasseur passioime et voici comment
11 nous le dit;
"j’aime la chasse avee passIonj et la h§te saignante,
le sang sur les plumes, le sang sur mes mains, me erispent le coeur a
le faire defaillir." 7 ^
La chasse est non settlement pour le Mormand un moment de detente,
znais c8est aussi pour lui une passion dont 11 sera capable de tout pour
I'assouvir.
En effet, comme on le volt dans "la Roche aux Guillemots"77
le heros de cette histoire. Monsieur d’Arnelles, pour ne pas manquer
une partie de chasse, n'hesite pas a laisser dans une remise, pendant
trois jours durant, le cadavre de son gendreI
La chasse tient dans I9oeuvre de Maupassant une place enorme,
soit qu'elle lui fournisse I'essentiel du sujet comme c’est le cas dans
"la Roche aux Guillemots", soit qu’elle lui fournisse une anecdote comme
dans le eonte "La Becasse".?®
Quoiqu’il en soit la chasse presente un divertissement sans pareil car elle rompt la monotonie de la vie qyotidienne du paysan normand.
II y a done M e n quelque chose de dur et de cruel dans le caractere normand comme I’a tres M e n explique Monsieur F« Lemoine; le paysan
cauehois tel que nous le depeint Maupassant a I1air froid et indifferent.
Dependant, il ne manque certainement pas de sensibilite, mais 11 salt
76. Maupassant, "Amour— Trois Pages du livre d*un chasseur",
Contes et Houvelles, t.I, p. 736.
77. Maupassant, "La Roche aux Guillemots", Contes et Houvelles 9
t.II, p. 131k.
78. Maupassant, "La Becasse", Contes et Houvelles, t.I, p. 3.
k6
mettre le frein a ses emotions, 11 salt les enfermer en lui-mSine.
Mais
que ces emetlons arrivent a eclater, c’est par un paroxysine violentf ears
La po.deur des sentiments est un des secrets de la psychologic
paysaime« Son ton tranquille, le paysan ne s’en departit
jamais, ni dans la douleur, ni dans la joie, pour le meilleur
et pour le pire. II neexteriorise pas ses pensees, les mouvements de son Sme ou de.son esprit; 11 n ’est pas demonstratif»
Modeste, timide, 11 n ’aime pas a s8afficher. En toute occa­
sion, 11 reste froid,.indifferent, emmure. Ses sentiments
n ’en sont pas moins reels. Mais, ils n ’eclatent, ils ne se
laissent voir que s’ils atteignent un paroxysm©.i9
Dans son oeuvre, Maupassant ne fait pas grand cas de la paysanne.
En effet, en Normandie, la fermiere a un r$le tout a fait seeondaire
dans la famille, elle e "occupe unlquement des soins .de la maison, de
preparer les repas et de:traire les vaehes le soir.
Maupassant decrit I ’une de ces paysannes;
•
Voici comment
-
Une paysanne sortlt de la maison. .Son corps osseux, large
et plat se dessinait sous un earaco de laine qui serrait la
tallle. Une jupe grise, trop eourte, tombait jusqu’a la
moitie des jambes, eachees' en des bas bleus^ et elle -portait
aussi des sabots pleins de paille. T3n bonnet blanc, devenue
jaune, couvrait quelques cheveux colies au crSne, et sa fi­
gure brune, maigre, laidey edentee montralt cette physionomie sauvage et brute qu’ont souvent les faces des paysansP®
En faisant le portrait de cette fermiere, Maupassant montre
qu’elle n’est certainement pas coquette, vu la disparite de ses vBtements. D 8autre part, :18auteur fait comprendre que cette paysanne n ’est
pas unique dans son genre mais qu’elle porte bien certains traits de
brute que les paysans aequierent a force de peiner sans relSche. Be
79» F. Lemoine, "Maupassant peintre des Cauchoix", Revue de
Psychologje des Peuples, ler trimestre, 1951, p» 1+9»
80.
Maupassant, "Le Vieux", Contes et Nouvelles, t.I, p. 132.
4?
pitas, 11 me senible que si sa physionomle accuse constamment des traits
severes, c’est probablement paree que, trimant sans relache, les mus­
cles de sa face n'ont point appris les mouvements du rire.
Maupassant montre d’une faqon tres nette dans "La Mere Sauvage"
que le rire a la campagne est 1 *affaire des hommes et non des femmes:
"Les femmes des champs ne rient guere d'ailleurs.
hommes; cela.
C ’est affaire aux
Biles ont I'Sme triste et born.ee, ayant une vie morne
et sans eclaircie.
Le paysan apprend un peu de gaiete bruyante au ca­
baret, mais sa compagne reste serieuse avec une physionomle severe. "^1
En effet, le paysan qui ne volt de toute la journee personne va le samedi soir, ou plut6t le dimanche, au cafe du village retrouver ses amis
pour boire un verre de cidre et jouer d'eternelles parties de dominos,
laissant seule sa femme au logis.
D 8autre part, I*amour legendaire du Hormand pour 1*argent a'est
pas uniquement un defeat qui s8applique seulement au paysan, il s'applique
tout autant a la paysanne cauehoise.
Maupassant donne un bon example de cette avarice dans son conte
"L’Aveu".
On y volt Celeste, la fille de Maltre Malivoire, riche fermier
de la region, qui juste pour economiser deux fois par semaine les frais
du trajet pour se rendre au marche d'Yvetot vendre ses volailles et ses
produits laitiers, accepte de faire "la rigolade" avec le cocher de la
voiture de poste, car "elle avait calcule en dedans que depuis deux ans
8l, Maupassant, "La Mere Sauvage", Contes et Bouvelles, t.II,
pp. 233-234.
que durait la chose, elle avait teen paye q,uarahte-huit francs a Polyte,
et quarante-huit francs a la campagne ne se trouvent pas dans une ornlere.1,1
Apres- s’Stre abandonnee de la sorte, pendant quatre mois, deux
fois par semaine, a Polyte et avoir epargne ainsi la somme de huit francs,
elle se trouva enceinte et lorsque sa mere lui demanda pourquoi elle
avait fait cela. Celeste repondit,
J‘y payais point la voitureS"
Et
la vieille Normande comprit."®3 Malgre cela sa mere se ftcha, la battit,
et lorsque finalement sa rage s’apaisa, retrouvant fapidement son tem­
perament econome de bonne et habile Normande, elle lui dit "Et pis n rli
dis rien tant qu'i n'verra pointj que j'y gagnions ben six ou huit mois."®^
Maturellement, elle. n ’est pas la seule fille a qui une mesaventure
de la sorte arrive; probablement les ehoses s'arrangeront pour le mieux
car son pere est influent dans la region, et il lui trouvera un parti qui
accepters d*epouser sa fille moyennant une bonne dot ou autre compensation.
On est quand mSme ahuri de voir qu’en Normandie il n ’y a pas
de petits profits,. et jusqu'oh Isamour pour 1®argent pent mener ces
gens-la,
Et de nos jours il est proverbial de dire que les Normands
"ont les doigts crochus",
Pour la paysanhe autamt que pour son marl,, le"marche offre 1*oc­
casion la plus importante de quitter la ferme,
Le paysan cauchois qui,
vit en solitaire, retranche derriere ses talus comme dans une forteresse,
82,
Maupassant, "L'Aveu", Contes et Nouvelles, t.J, p. 162.
83, Ibid., 160a
84,
Ibid., 1636
.-
49
ne voit pour ainsi dire personae; aussi le marche qui a lieu une fois
par semaine, rompt-il la monotonie de cette rude existence et represente
pour lui un evenement d*importance.
Bn effet, c’est pour lui une sorte
de lieu social ou I8on se reunit} ou I 8on cause et avant tout ou I 8on
vend.
Maupassant reussit admirablement a Svoquer les paysans qui de
leur long pas suivent le cheznin qui mene au marche.
Avec quelle aisance/
11 salt, en quelques traits, faire vivre ces hommes au corps deforme
par leurs rudes travaux!
II se montre eleve fidele de Flaubert quand
11 met devant nous les paysans qui cheminent sur la route de Goderville:
Sur toutes les routes autour de Goderville, les paysans et
leurs femmes s8en venaient vers le bourg; car c8etait jour
de marche. Les males allaient a pas tranquilles, tout le
corps en avant a chaque mouvement de leurs longues jambes
torses, deformees par les rudes travaux, par la pesee sur la
charrue qui fait en mSme temps monter l8epaule gauche et devier la taille, par le fauchage des bles qui fait ecarter les
genoux pour prendre un aplomb solide, par toutes les besognes
lentes et penibles de la campagne. Leur blouse bleue, empesee, brillante, comme vernie, orhee au col et aux poignets
d8un petit dessin de fil blane, gonflee autour de leur torse
osseux, semblait un ballon prSt a s8envoler, d 8ou sortaient
une tSte, deux bras et deux pieds.°5
II salt egalement faire vivre les femmes au corps decharne
qui
aident a eonduire les bStes qu8on va vendre ou qui portent des paniers
de volatile t
Les uns tiraient au bout d8une corde une vache, un veau. Et leurs
femmes, derriere I 8animal, lui fouettaient les reins d8une branche
encore garnie de feuilles, pour hater sa marche. Elies portaient
au bras de larges paniers d8ou sortaient des tStes de poulets
par-ei, des tStes de canards par-la. Et elles marchaient d8un
85 . Maupassant, "La Ficelle", Contes et Nouvelles, t.I, p. 123•
50
pas plus court et plus vif que leurs homines $ la taille seehe,
drolte et drapee dans ma petit ctiale etrique, epingle star leur
poitrine plate, la tSte enveloppee d8un linge blanc colle
sur les cheveux et surmontee d'un bonnet.
Apres avoir decrit les longues files de paysans qui s'etirent
le long des routes aux alentours de Goderville, Maupassant depeint maintenant les differentes coiffures qui emergent de cette foule serree,
ou nous fait entendre, comme si I"on y etait, les bizarres melanges
de voix humaines et de oris des b@tes qui marquent le marches
Sur la place de Goderville, e*etait une foule, une cohue
d'humains et de bStes melanges. Les cornes de boeufs, les
hauts chapeaux a longs polls des paysans riches et les coiffes
des paysannes emergeaient a la surface de I ”assembles. It
les voix criardes, aigfies, glapissantes, formaient une d a ­
me ur continue et sauvage que dominait parfois un grand eclat
pousse par la robuste poitrine d’un eampagnard en gaiete,
ou le long meuglement d'une vache attaches au mur d’une maison.87
Cette citation donne une excellente idee de la vive agitation
qui regne les jours de marche et Maupassant, pour donner plus de couleur
locale a son recit, decrit d’une maniere humoristique les costumes de
ces paysans et paysannesj malheureusement de nos jours tous ces costumes
ont disparu a 18exception toutefois de celui du marehand de bestiaux
qui ports toujours sa blouse noire.
Si tous ces paysans semblent mal a leur aise dans leur blouse
empesee, ils ne perdent pas pour autant leur sens des affaires:
Les paysans tataient les vaches, s8en allaient, revenaient,
perplexes toujours dans la crainte d’etre mis dedans, n 8osant
86. Maupassant, "La Ficelle", Contes et Nouvelles, t.I, p. 123•
87. Ibid., 124.
51
jamais se decider* epiant I ’oeil du vendeur* cherchant sans
fin a decouvrir la ruse de 1 *homme et le defaut de la b£‘
i e.
Les femmes, ayant pose a leurs pieds leurs grands paniers,
en avaient tire leurs volailles qui gisaient par terre, liees
par les pattes, I'oeil effare, la crSte ecarlate„
Elies ecoutaient les propositions, maintenaient leurs
prix, I’air sec, le visage impassible, ou bien tout a coup,
se decidant au rabais propose, eriaient au client qui s’eloignait lentement.
"C8est dit. Malt® Anthime. J'vous 1 ”ddnne.
. Gomme je I'ai fait remarquer preeedemment, le paysan vit completement isole sur ses terres et dans sa ferme au milieu de ses granges,
de ses etables et de ses ecuries.
Ainsi en dehors de 1'evenement social
de la semaine qui consists a se rendre au marche, distant, tout au plus,
de deux a trois kilometres de sa ferme, les occasions d'aller en ville
sont plutSt raresj aussi lorsque I 8occasion s8en presente, faut-il en
profiter,
Ce sont pourtant les hommes des petites villes plutSt que les
paysans qui frequentent les maisons closes comme eelle que Maupassant
decrit dans “La Maison Tellier“« Le Normand est un grand paillard, sain
de caraetere:
aussi lorsqu8il va dans une maison close, lors de ses
visites en ville, ce n8est pas par vice ou par erotisme, mais e8est
juste, comme le dit Theodule Sabot, “histoire de rire et d 8badiner un
brin."®9
88. Maupassant, “La Ficelle", Contes et Kouvelles, t.I, pp.
. 124-125o
8$. Maupassant, “La confession de Theodule Sabot", Contes et
Houvelles, p. 43.
Du temps &e Maupassant, les maisons de tolerance etaient une
sorte de club, ear
on allait la, ehaque solr, vers onze heures, eomme au cafe
simplement. Ils s'y retrouverent a six ©u halt, toujours les mSmes,
non pas des noceurs,- mais -des hommes honorables, des eommergants, des jeunes gens de la ville, on prenait sa char­
treuse en lutinant quelque peu les filles, ou M e n on caosait
serieusement avec MADAME que tout le monde respeetait ,90
D ’ailleurs avoir une maison close n'etait pas une honte:
Le prejuge du deshonneur attache a la prostitution, si vio­
lent et si vivace dans les villes, n'existe pas dans la campagne normande. Le paysan dit:
"C’est un bon metier."91
Du reste Madame
oncle qui la possedait,
Tellier avait herite eette maison d,un
vieil
et dans le pays elle etait bien consideree, comme
une bourgeoise qui pourrait plus tard vivre de ses
rentes, ear
elledi-
rigealt son affaire avec intelligence et sagesse.
Un personnage qui joue un r01e important dans la vie du .paysan
normand c'est le cure.
Ge personnage semble avoir ete satirise a plaisir
par Maupassant— on pourrait peut-Stre se demander si ce n ’est pas pour
Se vehger de son court sejour au seminaire d'Yvetot— enfin, quoiqu'il
en sbit, Maupassant revelefa tout d’abord que les prStres sont des hommes
cpmmeles autres, les uns sympathiques et bien aimes de leurs fideles
comme l6abbe Picot:
V 'f :'- .T„
II etait fort gros, fort rouge et suait a flots. II tirait
f d e -sa poche a tout instant un enorme mouchoir a carreaux im­
bibe de transpiration et se le passait sur le visage et le
Maupassant, "La Maison Tellier", Contes et Mouvelles, t.I,
p. 1177.
53
couj mais a peine le linge humide etait-il rentre dans les
profondeurs de sa robe que de nouvelles gouttes poussaient
sur la peau, et, tombant sur sa soutane rebondie au ventre,
fixaient en petites taehes rondes la poussiere volante des
chemins.
II etait gal, vrai prStre eampagnard, tolerant, bavard
et brave hoirane. II raconta des histoires, parla des gens
du pays, ne sembla pas s'Stre aperqu que ses deux paroissiennes n'etaient pas encore venues aux offices.92
D’autres pourtant sont meprises, comme c'est le cas du remplaqant de lrabbe Picot, 16abbe Tolbiac— qui croyait pouvolr imposer les
vues de son esprit tyrannique sur toute sa paroisse:
On se racontait tout bas ses sever!tes au confessional, les
penitences severes qu’il infligeait, et comme il s”obstinait
a refuser 18absolution aux filles dont la chastete.avait subi
des atteintes, la moquerie s8en mBla. On riait aux grandmesses des f@tes quand on vdyait des jeunesses rester a leurs
bancs au lieu d8aller communier avec les autres.--Bientdt,
il epia les amoureux pour emp&eher leurs rencontres, comme
fait un garde poursuivant les braconniers..«
... Une fois, il en decouvrit deux qui ne se desunirent pas
devant luij ils se tenaient par la taille, et marchaient en
s'embrassant dans un ravin rempli de pierres. L 8abbe cria;
"voulez-vous bien finir, manants que vous Stes!" Et le gars,
s^etant retourne, lui repondit: "MBlez-vous d8vos affaires,
m’sieu I8cure, celles-la n8vous regardent pas.. Alors 1 8abbe
ramassa des eailloux et les leur jeta comme on fait aux chiens.
Ils s 8enfuirent en riant tous les deux; et le dimanche suivant, il les denonqa par leurs noms en pleine eglise. Tous
les gargons du pays cesserent d8aller aux offices.93
Parmi tous les prStres que Maupassant a decrits, 1 8abbe Tolbiac
fait exception par sa maladresse; evidemment, il n 8etait pas du pays.
II semble cependant que Maupassant a voulu montrer par son exemple,
92.
Maupassant, Une Vie, p. 37•
93.
Ibid., 246-247.
54
comme par celui de 18abbe Marignan, comment la religion a pu deformer
l'eesprit de ces deux hommes. Dans Isexample suivant, 11 I'a fait cette
fois-ci d’une maniere bienveillante:
1 *abbe Marignan.
"II portait M e n son nom de bataille,
C*etait un grand prStre maigre, fanatique, d'ame tou­
jours exaltee, mais droite. Toutes ses croyances etaient fixes, sans
jamais d'
8oscillations. II s8imaginait sincerement connaitre son Dieu,
penetrer ses dessins, ses volontes^ ses intentions."94
D 8autre part, en dehors de ses occupations sacerdotales, le cure
joue aussi le r6le de conseiller; les paysans comme les chatelains n 8he­
sitant pas a venir le trouver pour lui demander son avis lorsqu8ils
se trouvent dans une situation difficile, car ils savent bien que Mon­
sieur le Cure les tirefa toujours d8affaire. En voici un exemplet
Elle se resolut a waller trouver I 8abbe Picot et a,lui dire,
sous le seeau de la confession, les difficiles projets qu8elle
avait.
/
i
.
■ Elle arriva comme 11 lisait son breviaire dahs son petit
jardin plante d® arbres fruitiers. Apres avoir cause quelques
minutes de choses et d 8autres, elle balbutia en rougissant:
”je voudrais me confessef, Monsieur 18abbe."
II demeura stupefait, et releva ses lunettes pour la bien
considererj puis il se mit a rire. "Vous ne devez pourtant
pas'avoir de gros peches sur la conscience". Elle se troubla
tout & fait et reprit: "Non, mais, j8ai un conseil a vous
. demander, un conseil si...si...si penible que je n8ose pas
vous en parler comme qa."95
s c ■ir.u
Comme on peutiie constater iei, Maupassant n 8a rien omis de
la vie et du rSle de "Monsieur I8abbe" et de son champ d8action; il
94.
Maupassant, "Clair de Lune", Contes et Nouvelles, t.II, p. 29.
95•
Maupassant, Une Vie, pp. 234-235.
55
fait mSme voir q.ue le cure doit s ”adapter aux paysans et a leur maniere
de vivre;
"Ma foi, quand je vois entrer au pr6ne une fills qui me paralt
un peu gras86; je me dis; ’G’est un paroissien de plus qu'elle
m *amene1; et je tSche de la marier. Vous ne les empSeherez
pas de fauter, voyez-vousj mais vous pouvez aller trouver le
garqon et I’empScher d’abandoimer la mere. Mariez-les, 18abbe,
mariez-les, ne vous oecupez pas d'autre c h o s e . "9°
Ainsi dans 1'oeuvre de Maupassant 11 n8y a pas une profonde
difference entre le prStre et le paysan, ear tous deux sont souvent
de irieme souche.
Le cure est generalement humain, large d*esprit, il
peut le cas echeant plaisanter sur les choses sexuelles.
Par exemple,
dans Une Vie on voit eela, lorsque Jeanne de Lamare parle au cure de
son desir d*avoir encore un enfant et que celui-ei lui repond:
"9a
vous est permis, M e n permis mSme, par les commandements— L 8oeuvre de
chair ne desireras qu'en mariage.seulement. Vous #tes mariee, n*estce pas?
Ce n 11est point pour piquer des raves”,97 et eomme Jeanne de
Lamare, g&iee, commence a pleurer, 11 en est surpris et s’excuse:
plaisantais un peu;
qa
"je
n'est pas defendu quand on est honhBte«"98
B 8autre part, en ce qui coneerne les idees du paysan sur le
cure et la religion, Maupassant les resume d8une faqon tres explicite
dans son conte "Le Pere Amahle":
Dans I8esprit du paysan, tout 18effort de la religion
consists a desserer les bourses, a vider les poches des
hommes pour emplir le coffre du del. C 8est une sorte d8im­
mense maison de commerce, dont les cures sont les commis,
96. Maupassant, Une Vie, p. 244.
97.
Ibid., 237.
98.
Ibid., 237.
56
eommls sournois, ruses, degourdis comme personne, qui font
les affaires du bon Dieu au detriment des campagnards.
II sait fort bien que les prStres rendent des services,
de grands services aux plus pauvres, aux malades, aux mourants, assistant, consolent, conseillent, soutiennent, mais
tout eela moyennant finance en echange de pieces blanches,
de bel argent luisant dont on paie les sacrements et les
messes, les eonseils et la protection, le pardon des peches
et les indulgences, le purgatoire et le paradis, suivant les
rentes et la generosite du pecheur.99
De plus, si leon croit ce que dit 1*abbe Pieot a son suecesseur,
lfabbe Tolbiac:
"les hommes n'ont pas plus de religion qu'il ne faut."100
II doit savoir ce queil dit, car apres tout 11 a quand mSme passe dixhuit ans de sa vie dans cette paroisse.
©n voit que ees lormands, quoi qu’ils soient ou quo! qu'ils fassent, ont toujours dans leur caractere cette durete, cette opiniStrete,
cette eupidite legendaires. Heureusement que dans leur vie qui n'est
qu’un dur et long labour, ils ont quelques fStes qui eoupent la monotonie de cette Spre existence.
99°
10©.
Maupassant, "Le Pere Amable", Contes et Nouvelles„ t.I, p. 2l6 „
Maupassant, Une Vie, p. 242.
CHAPITRE 5
COHEDIE HUMA.IKE DU MOHDE PAYSM
Maupassant n'a pas tout simplement trace le portrait de ce paysan;
il le fait agir sous toutes les circonstances importantes de sa vie,
t
1■
v
Dans ses contes et nouvelles il presente un tableau complet des diverses
etapes de la vie du paysan, et des f@tes et des ceremonies qui, a la
'campagne, marquent ces etapes,
A travers les evocations de scenes de
la vie rurale, on assiste a tous les evenements essentials de 1‘existence
des paysans depuis leur naissance jusqu’a leur mort.
Maupassant decrit plusieurs fois dans son oeuvre le premier eche­
lon de la vie qu’est la naissance.
Parmi les scenes d*accouchement^ il y en a une ou il ne s'agit .
uniquement que de la naissance d 8un petit paysan» C'est dans le conte
"La Mahtine".
L ’histoire' en elle-mSme est tres simple et se passe de la
maniere: suivante: Benbist, 111ancien ami de la Martine, passait on ne
sait-pburquoi devant la feme de cette derniere;
Tbute la demeure semblait vide, les gens etant partis aux
champs pour les travaux printaniers. II s'arrGta pres de
la barriere et regarda dans la cour.,., Mais tout a coup,
ilentendit un grand cri, un grand cri d ’appel qui sortait
de la maison...c'etait elle qui criait comme- gaI
II s’elanqa, traverse la prairie, poussa la porte et la
vit, etendue par terre, crispee, la figure livide, les yeux
hagards, saisie par les douleurs de 1*enfantement.,.
Soudain un bepoin furieux envahit Benoist de la secourir, de
I'apaiser, d’Ster son mal... Alors, il fit comme il avait
coutume de faire aux bStes, aux vaches, aux brebis, aux juments; il I ’aidq et regut dans ses mains un gros enfant qui
geignait,
57
58
II 1'essuya, 18enveloppa d8un torchon qui sechait devant
le sfeu et le posa sur tin tas de linge a repasser demeure sur
la table; puis 11 revint vers la mere.
Sur ces entrefaites, le mari de La Martine arrive d'une manlere inattendue ehez lui et trouve son ancien rival.
bord; puis soudain devina.
"II ne eomprit point d*a-
Benoist, consterne, balbutiait:
1J8passais,
je passais corame ga, quand j eai entendu qu8elle eriait et j 8suis venu
...via t 8n 8enfant Vallin.8"102 Et ce dernier lui donnant une solide
poignee de main, lui dit:
vois-tu, tout est dit:
"Tope la, Benoist, maintenant entre nous,
Si tu veux, j8serons une paire d8amis, mais
la une paire d8amis."103
Et Benoist de repondre:
"J8veux bien, pour
s#r, j8veux bien."104
G 8est avec beaucoup de simplicite que Maupassant a decrit eet
accouchement.
II en a decrit encore d'autres dans son oeuvre. En effet, on
volt comment Rosalie Prudent aceoueha dans, sa ehambre, non sans peine,
mais a l8insu de ses maltres, ou ancore Rosalie, la soeur de lait de
Jeanne de Lamare dans Une Vie, qui accouche d 8tine manlere inopinee en
nettoyant la ehambre de sa maltresse et plustard lorsquecettederniere
eut aenfanter. a son tour et qu8elle souffrait le martyr enmettant
au
monde son fils, "Elle pensait sans cesse a Rosalie qui n8avait point
101. 3&upassant, "La Martine", Contes et Wouvelles, t.I, pp.
114-115.
102.
Ibid., I, 116.
103.
Ibid., I, 116.
104.
Ibid., I, 116.
59
souffert, qui n *avait presque pas gemi, dont I senfant 'batard etait
sorti sans peine et sans tortore.”105
Ainsi par ces diverses descriptions Maupassant fait comprendre
qu’a la campagne un accouchement n fest rien d'autre qu’un evenement
tout natural.
Si dans son oeuvre Maupassant ne fait pas grand cas des accouchements, par contre 11 donne au baptSme une place plus grande, puisqu’il
eonsaere a cette f@te de familie deux nouvelles toutes entieres. En
effet, cette ceremonie eonstitue en Normandie uh ^vehement d 6importance
pour le village entier.
Quoique le paysan normand ne soit pas extrSmement religieux
il s8arrange quand mSme--peut-Stre par esprit de superstition— a ce
que le baptSme de ses enfants ait lieu, autant que possible, au mois
de mai, le mois de la viefge Marie. En faisant de la sorts, il pense
appoSter a ses enfants un presage de honheur futuri;
Voici maintenant comment Maupassant decrit un de ces baptSmes
campagnards:
•
'
.,: Devant la porte de la ferme, les hommes*endimanches attendaient. Le soleil de mai versait sa claire lumiere sur les
pommiers epanouis, ronds comme d*immense bouquets blancs,
roses et parfumes et qui mettaient sur la cour entiere un
toit de fleurs.
Tout a coup, la-bas, derriere les arbres des femes la
cloche tinta..„ tfof des hommes debout devant;;la porte se teurna vers la maison et cria: "Allons, allons, Melina, v ’la
que qa sonne!"106
..
I .. ,
105.
Maupassant, Une Vie„ p. 180.
106.
Maupassant, "Le BaptSme", Contes et Nouvelles, t.II, p. 44.
Alors le cortege se forma de la sorte et tout le monde se mit, en route
vers l8eglise.
A la t§te du cortege, 11 y avait le grand-pere qui etalt}
suivant 1 *expression de Maupassant, "noueux comme un tronc de chSne,
avec des poignets "bossues et des jambes torses"107 et qui avait a son
bras I'une des deux grand*meres qui etaient "fanees ainsi que de vieilles
pommes, avec une fatigue evidente dans leurs reins forces, tournes depuis longtemps par les patientes et rudes besognes.”108
U s etaient
suivis par la sage-femme, d’une taille assez opulente, qui tenait dans
ses bras 16enfant qui etait deja Sge de deux moisj puis venaient, derriere, le pere du nouveau-me, qui "avait peut-Stre trente ans.
C8etait
un grand paysan que les longs travaux des champs n ’avaient point encore
courbe ni deforme"109 et qui avait a son bras, sa femme "grande et forte
.,.a peine Sgee de dix-huit ans, fralche et souriante." H O
Le reste
de la famille et des amis suivaient le cortege a travers les champs
avec "les plus jeunes qui portaient des sacs de papier pleins de dragees."HI
Bien emtendu, tout le village etait la sur le bord de la route
a regarder passer cette bande joyeuse, mais "le pere et la mere allaient
gravement, plus serieux, suivant cet enfant qui les remplaceralt, plus
107.
Maupassant, "Le BaptSme", Contes et Nouvelles, t.II, p. 44.
108.
Ibid., II, 45.
109»
Ibid., II, 44.
110.
Ibid., II, 45*
111.
Ibid.. II, 45.
tard., dans la vie, qui continuerait dans le pays leur nom, le nom de
Bentu, M e n eonnu par le canton, "H2
A I’eglise, le prStre, oncle de 1®enfant, les attendait et bap­
tise son petit neveu du nom de Prosper-Cesar, nom bien caracteristique .
pour urn jeune Normand.
Apres la ceremonie, la garde, qui etait un pen fatiguee, demande
au prStre, oncle de 1 ®enfant, qui marchait a cBte d'elle en se rendant
au diner, "Bites done, m'sieu le Cure, si qa ne vous opposait pas de
m'tenir un brin vot®neveu pendant que je m®degourdirai."113
- ■
^
Efaturellement, tous les enfants du pays suivalent le cortege
et de temps a autre, on jetait, eomme 11 est de eoutume, des poignees
de dragees qui dechainaient a chaque fois "une mSlee furieuse, des luttes
corps a corps, des cheveux arraches; et le chien aussi se jetait dans
le tas pour ramasser les sucreries, tire par la queue, par les oreilles,
par les pattes, mais plus obstine que les gamins.
A la f e m e , une bonne table attendait tous les convives, qui
commencerent aussitSt a boire et a manger a ne plus en finir:
"Les
viandes, les legumes, le cidre, le vin s'engouffraient dans les bouches,
gonflaient les ventres, allumaient les yeux, faisaient delirer les esprits."
Encore de nos jours on fBte partout dans la campagne normande
les baptSmes de la sorte. Cette ceremonie est une des rares occasions
ou le paysan cauchois s®amuse d'une faqon assez primitive.
112. Maupassant, "Le BaptSme"., Contes et Mouvelles, t.II, pp. 45-U6
113. Ibid., p. 46.
114. Ibid., p. 46,
115. Ibid., p. 48.
62
Quant au cure:
habitue a ces debauches paysannes, 11 restait trangullle,
assis a cBte de la garde, agaqant du doigt la petite bouche
de son .neyeu pour le faire rire, II semblait surpris par
la vue de cet enfant, eorame s'il n'en avait jamais aperqu,
II le considerait avec une attention reflechie, avec une gravite songeuse, avec une tendresse eveillee au fond du lui s
une tendresse inconnue, singuliere, vive et un pea triste
pour ce petit Stre fragile qui etait le fils de son frere»^°
La f#te battait son plein et continuait toujours; le prStre,
lui, avait disparu depuis deja un long moment sans que personne n'y
ait prSte attention.
C'est alors que la mere de 1*enfant, decidant
d'aller voir si son bebe dormait toujours, entendit en entrant dans
la chambre quelque chose qui remuait.
A ses cris, tous les invites se leverent brusquement et se precipiterent pour attraper le malfaiteur qui s'etait cache dans la chambre
du nouveau-ne. Stupefaction generale, au lieu de trouver un malfaiteur,
on trouve agenouille aupres du bebe
le prStre en train de pleurer.
II pleurait a la pensee de n*avoir jamais lui-mSme un enfant, pensant
ainsi que sa destinee ne serait jamais complete.
L'histoire de ce bapteme est une histoire tres touchante comme
on le voit, montrant une fois de plus que Maupassant n*etait pas un
anti-clerical, comme certains 1 'ont affirme, mais qu'il considerait
bien le cure de campagne un homme comme tout le monde, capable de ressentir les itiBme peines et plaisirs de la vie.
Le mariage etant une autre grande ceremonie de la vie, Maupassant
n*a naturellement pas manque de le decrire pour souligner 1 ‘importance
ll6 . Maupassant, "Le Bapteme", Contes et Nouvelles„ t.II, p. 48.
63
que eette f@te a pour le paysan.
Le marlage represente pour lui un
important chapitre, car les jeunes paysannes normandes, pleines de vie
et de temperament, se retrouvent bien souvent avee un enfant a leur
charge avant leur mariage. Bn effet:
le pays,
"Biles sont toutes eomme qa dans
C 8est une desolation, mais on n cy peut rien, et 11 faut bien
un peu d’indulgence pour les faiblesses de la nature« Elies ne se marient
jamais sans 6tre enceintes, jamais "H7 et il ajoute en souriant, "On
dirait une eoutume locale " H 6 pUis d'un ton indigne, "Jusqu'aux enfants
qui s°en itiBlent, N'ai-je pas trouve I6an dernier dans le eimetiere
deux petits du catechisme, le garqon et la filleS
parents I
Savez-vous ce quails m'ont repondu?
J'ai prevenu les
'Qu'voulez-vous, monsieur
I 8cure) ce n'est pas nous qui leur avons appris ees saletes-la0, j*y
pouvais rien."119
Be ce qui precede on peut eonclure que le paysan considers bien
1 6amour eomme une force elementaire de la nature, mais en ce qui concerns
le mariage la question est differente, il depend de la raison,
En ef­
fet, eomme je I’ai mentionne deja precedemment, la cupidite du paysan
transforms le mariage en une question d’interSt.
Par exemple, une fille-
mere ayant un enfant "avee un bien de vingt mflle francs, ne manquera
,
pas d 6amateurs.
■
Bile a*aura que I'embarras du choix."120 Mais malheu-
reusement, elles ne disposent pas toutes d 11une telle fortune, aussi
117»
Maupassant, One Vie, p. 168.
118. Ibid.,
168.
119o Ibid.. 168-169.
120.
Ibid., 172-173.
6h
la question se pose souvent sous un angle different. Toyons ce qui
arrive a Celeste Levesque, "cette grande fille rouge, large du flanc,
de la taille et des epaules, haute femelle normande, -aux cheveux jaunes,
au thint de sang."121
"Alors, que qu'i dit, ton pe?
:
T-I dit qu’i n ’veut point.
••••.<
--Pourquoi q a qu'i n’veut point ?
Le garqon mohtra d’un geste I1enfant qu9il venait de remettre
a terre.... Cest parce que e’est a li, ton efant."
La fille haussa les epaules, et d’un ton de colere:
;"Pardi, tout le mondeib salt ben, qu’ e ’est a Victor. Et
pi apres? J’ai faute! J’suis-ti la seule? Ma me aussi avait faute, avant me, et pi la tienne itou, avant d’epouser
ton pe! Qui qa qui n’a point faute dans 1’pays? J’ai fau­
te avee Victor, vu qui m ’a prise dans la grange comme j’dormais, qa, e’est vrai; et pi j’ai r ’faute que je n’dormais
point. J’l’aurais epouse pour stir, n’eut-il point.et© un
serviteur, J’suis-ti moins vaillante pour qa?"122
Tout le drame de cette fille est resume dans cette citation.
Celeste Levesque a eu un enfant d’un des valets de la ferme de son pere;
hi elle ni ses parents ne pensent au mariage.
On ehasse naturellement le coupable, mais Victor, qui n’a aucune
honte de ce qu’il a fait et qui n’est point mal juge pour cela par les
gens du pays, retrouve immediatement du travail dans le mSme village.
La situation aurait ete toute autre si Celeste avait ete 1’heritiere
de la ferme paternelley:car comme le dit Maupastant^',"aux champs, les
hierarchies de caste h?existent point, et si le valet est econome, 11
devient en prenant mae?ferine a son tour, 1’egal de son ancien maftre."123
121.
Maupassant, "Le Pere Amable", Contes et louvelles, t.I, p. 212.
122.
Ibid.. I, 213.
123.
Ibid., I, 214.
65
Mala Celeste n ’etalt point 10heritiere d6une fenne s au contraire elle
cherehait un homme qui en eut une.
Elle le trouva en la personne de
Cesaire Houlbrequej eomme mentionne ci-dessus, le pere de Cesaire seopposait formellement a ce mariage a cause de son enfant. La raison etait
M e n simple et voici comment Maupassant I'explique;
"son avarice, son
instinct profond, feroce, d’epargne, s'etait revolte a I1idee que son
fils eleverait un enfant qu'il n'avait pas fait lui-mSme<,
En vrai
paysan qu'il etait "11 avait pense tout a coup, en une seconde, a toutes
les soupes queavalerait le petit avant de pouvoir etre utile dans la
fennei 11 avait calculi toutes les livres de pain, tous les litres de
cidre que mangerait et que boirait ce galopin jusqu’a son Sge de quatorze ans; et une colere folle s'etait deehainee en lui contre Cesaire
qui ne pensait pas a tout qa. "^5
De ce qui precede on peut se rendre eompte que le pere Amable
etait maintenant bute et qu'il n ‘etait pas prSt a qhangersa maniere
de voir, seulement 11 restait a son fils encore un espolr de le faire
changer dsopinion;
"Le pere Amable avait peur du cure par apprehension
de la mort qu'il sentait appfocher."^26
gur I'instancl de Celeste,
-
.t',
Cesaire eut recours alors a l8intervention de I'abbe Baffin pour obtenir
de son pere 1'assentiment a ce mariage, demarche qui reussit pleinement=
".it
.5 nr.124.
125=
Maupassant,v%e Pere Amable", Contes et Nouvelles, t.I, p« 218.
Ibid,a I, 2l8 o
,5-in r126o Ibid.»
,2l!t°
66
Ce fat beareax pour Celeste et Cesaire car sans cette permission I1union
n'aurait jamais eu lieu; en Normandie les enfants ne se marient jamais
centre le gre de leurs parents.
Maupassant ne se borne pas uniquement a decrire le mariage de
petits paysanq, 11 lui arrive aussi de parler da mariage d'un riche fermier cauchois da nom de Jean Patu, beau gargon et chasseur frenetique
"qui perdait le bon sens a satisfaire cette passion."127
n
se marie
avec Rosalie Roussel qui avait ete "fort courtisee par tous les partis
des environs} car on la trouvait avenante et on la savait bien dotee."128
Celle-ci, au eontraire de eelles que j’ai deja decrites, n®avait
eu que I'embarras du ehoix pouf se marier "mais elle avait choisi Patu,
peut-Stre parce qu*il lui plaisait mieux que les autres, mais plutSt
encore en Normande reflechie, parce qu'il avait plus d8ecus.."129
Encore one fois on peut voir que tous ees mariages entre paysans
mormamds sont la plupart du temps bases sur one question dginterSt pur,
le reste etant plus ou moins secondaire.
En effet, en Normandie on ne se marie pas avec n8importe qui,
on se marie d 8abord avec one "belle feme", ga fait avaler n8importe quoi.
Geei dit, Maupassant decrit le cortege nuptial passant a travers
les champs a son retour de l”eglise;
127«
"les jeunes maries venaient d8abord,
Maupassant, "Farce Normande", Contes et Nouvelles, t.I, p. 63.
128. Ibid., 63.
129.
Ibid., 63.
/
.
6?
puis les parents, puis les invites, puis les pauvres du pays et les
gamins qui tournaient autour du defile comme des mouches,"130 mais soudain, en entrant dans la ferme maritale, ils furent salues "par quarante
coups de fusil qui eclaterent sans qu'on vtt les tireurs caches dans
les fosses",131 puis le cortege se remit en route a travers la cour de
V '
la ferme. C’est alors que Maupassant donne une description amusante
„
de 16accoutrement des invites qui composaient cette procession;
Les riches etaient coiffes de hauts chapeaux de sole luisants qui semblaient depayses en ce lieu; les autres portaient
d*ahciens couvre-chefs a polls longs, qu* on aurait dit en peau
de taupe; les plus humbles etaient couronnes de cas.quette6«.
Toutes les femmes avaient des chSles laches dans
et dont elles tenaient les hemtsi aur lews hras avec
nie. Ils etaient rouges, Mgarres, flamboyants, ees
et leur eclat semblait etonner les poules noires sur
mier, les canards au bord de la mare, et les pigeons
toits de ehaume.^32
le dos
ceremochales;
le fusur les
Apres avoir atteint la grande ferme d?pu "une sorte de fumee
sortait de la porte et des fen@tres puvertes et une odeur epaisse de
mangeaille,"133 les invites se mirent a table dans la cuisine qui pouvait contenir une centaine de personnes. Comme de coutume le repas
dura tout l eapres-midi et le soir il continuait encore.
Inutile de
dire qu'entre les plats "on faisait un trou, le trou normand, avec un
verre d'eau de vie qui jetait du feu dans les corps et de la folie dans
130. Maupassant, "Farce Normande", Contes et Nouvelles, t.I, p. 63.
131. Ibid., I, 63.
132. Ibid., I,
6k.
133. Ibid.. I, 64.
68
les t@tes,"13^
Et la noce continue de plus belle, le cidre, le vin,
tout coule a flot ce jour-la.
On entend. maintenant "des bordees d'ob-
seenites lachees a travers la table et toutes sur la nuit nuptiale.
Depuis cent ans, les mSmes grivoiseries servaient avqc mSmes occasions,
et, bien que chacun les conn'dt, elles portaient encore."135
Cependant la farce traditionnelle q.u'on va jouer aux maries
est a 19ordre du jour.
Comae Patu est un "chasseur ffenetique" quelques-
uns des invites lui parlent de braeonniers qui pourraient bien profiter
de sa nuit de noce.
A cette idee, le nouveau marie se fSche a la grande
jbie des convives qui boiverit encore un peu d'eau de vie et qui partent
se coucher.
AprIs le depart des derniers invites, les maries monterent dans
la chambre conjugale et lorsque finalement ils furent prSt a jouir de
leur bonheur, ils entendirent soudain des coups de feu dans la campagne,
O'est alors que
Jean, seeoue d’une colere tumultueuse, jura: "Horn de D...S
Ils croient que je ne sortirai pas a cause de toi?... Attends,
attends!" II se chaussa, decroeha son fusil toujours pendu
a la portee de sa main, et, eomme sa femme se trainait a ses
genoux et le suppliait, eperdue, il se degagea vivement, courut a la fenStre et sauta dans la cour.136
La pauvre mariee pleura et attendit avec impatience le retour
de son mari.
Finalement comme les heures passaient et que son mari
ne revenait toujours pas, inquiete et eraignant que quelque chose ne
lui soit arrive, elle reveilla les valets et les voisins qui partirent°
13^.
Maupassant, "Farce Hormande") Contes et Uouvelles, t.I, p. 65.
135.
Ibid., I, 65.
136.
Ibid., I, 67.
69
a sa recherche. Ce n‘est gu'a la polnte da jour qu’on le retrouva a
deux lleaes de sa ferine, attache a an arbre, trois lievres autour du
cou et sor la poltrine une pancarte oa 1‘on pouvait lire nQui va & la
chasse,. perd sa place."137
Et Maupassant d8ajouter MVoila comment on
s8amuse les jours de noee, au pays normand.
Maupassant parle egalement des noces plus solennelles qui se
passent au chSteau.
En effet, les paysans fBtent non seulement leurs
propres noces, mais aussi eelles de leurs chStelains. Dans Une Vie,
Maupassant decrit d8une maniere tres realists une de ces noces. On
voit cette fois-ci que, eontrairement a la tradition, le baron et la
baronne Le Perthuis des Vauds avaient "resolu de n ’inviter personne
au mariage»"3.39 La ceremonie se deroula done dans la plus striete intimite, mais quand ils sortirent de I'eglise, "un fracas formidable
fit faire un bond a la mariee et pousser un grand cri a la baronne:
c'etait une salve de coups de fusil tiree par les paysans; et jusqu'aux
Peuples les detonations ne eesserent plus."1^0
A
leur retour au chateau, la famille, le cure, le maire et les
temoins, de gros cultivateurs de la region, prirent une petite collation
en attendant le repas traditionnel, pendant que de Isautre
cdte
du chS­
teau tous les gens endimanehes du pays s8amusaient et buvaient du cidre.
137•
Maupassant, "Farce Eformande", Contes et Nouvelles, t.I, p. 67.
1380
Ibid., I, 67.
139°
Maupassant, Une Vie, p. 65.
ikQ.
Ibid., 74.
70
Finalementlorsg.ue le soir arriva, on servit les invites.
"Le diner fut simple et assez court, contrairement attx usages normands.
Dne sorte de gene paralysait les convives...et..«le rire semblait mort."1^-1
Mais chez les paysans c'etait tout le contraire, pour eux la f@te battait
son plein et I son pouvait voir sous les pommiers;
Eustres et rustaudes qui sautaient en rond en hurlant un air
de danse sauvage. qu*aceompagnaient faiblement deux violons
et une clarimette juchee sur une grande table de cuisine en
estrade. Le chant tumultueux des paysans couvrait entierement
parfois la chanson, des instruments5 et la frSle musique -dechiree par les voix deehainees semblait tomber du d e l en
lambeaux, en petits fragments de quelques notes eparpillees.
Deux grandes barriques entourees de torches flambantes
versaient a boire a la foule. Deux servantes etaient oecupees a rineer ineessamment les verres et les bols dans un
baquet pour les tendre, encore ruisselants d'eau, sous les
robinets d8ou coulait le filet rouge de vin ou le filet d,or
du cidre. Et les danseurs assoiffes, les vieux tranquilles,
les filles en sueur, se pressaient, tendaient les bras pour
saisir a leur tour un vase quelconque et se verser a grands
flots dans la gorge, en renversant la t#te, le liquids qu'ils
preferaient.
Sur une table on trouvait du pain, du beurre, du fromage
et des saucisses. Chacun avalait une bouchee de temps en
temps, et, sous le plafond de feuilles illuminees, eette fSte
saine et violente donnait aux convives mornes de, la salle
(du chateau) 1?envie de danser aussi, de boire au ventre de
ees grosses futailles en mangeant une tranche de pain avec
du beurre et un oignon cru."1^2
De tout ce qui precede, on peut voir que Maupassant, en relatant
tous les menus details d'une noce normande, nfa pas invente et de plus
on peut affirmer sans se tromper qu’il n ea fait que puiser dans ses
souvenirs d’enfance pour nous raconter tout eela.
141.
Maupassant, Une Vie, p. 76.
142.
Ibid., 76-78.
71
En resume j Maupassant a decrit dans s©n oeuvre le mariage du
paysan normand d'une telle faqon que I1on pent eonelure aisement que;
1 . la raison guide son choixj
2 . I'interSt y joue un r6le preponderant j
3. les enfants ne se marient jamais sans 1‘assentiment de leurs
parents;
4. leon ne regarde pas a la depense a I soccasion d'une noce,
vu I’abondance des mets et la longueur du banquet j
5« la farce traditionnelle jouee aux maries ne doit en aucun
eas faire defaut un jour de noee.
Toutes les bonnes cboses ont toujours une fin et eomme on ne
peut pas s’amuser eternellement, le lendemain d’un jour;de noce le pay­
san doit se lever eomme a I8ordinaire, e’est a dire entre cinq heures
et cinq heures et quart du matin pour surveiller son personnel qui se
met au travail. Voila le portrait que Maupassant dqnne de ce paysan
a cette heure matinale:
Rouge, mal eveille, l8oeil droit ouvert, l ,oeil gauche presque
f e m e , 11 boutonnait avec peine ses bretelles sur son gros
ventre tout en surveillant, d8un regard entendu et cireulaire,
tous les coins eonnus de la feme.
Le soleil coulait ses rayons obliques a travers les Litres
du fosse et les pommiers ronds de la eour, faisait chapter les
eoqs sur le fumier et roucouler les pigeons sur le toit. La
senteur de 18etable s8envolalt par la porte ouverte et se
milait, dans I sair frais du matin, a l8odeur Sere de l 8ecurie ou hennissaient les chevaux, la tite tournee vers la lumiere.
Des que son pantalon fut soutenu solidement, maftre Lecacheur se mit en route, allant d8abord vers le poulailler,
72
pour eotopter les oeufs du matin, car 11 eraignait des maraudes
depuis quelque temps.^ 3
Aims! I9on voit comment commence ehaque jour la penible exis­
tence du paysan normand.
D'apres cette description tres pittoresque,
on peut s0imaginer sans dlfficulte comment s'effeetue le lever de tous
ces fermiers qui ont passe une partie de la nuit a denser et a boireI
La naissanee, le mariage et la mort sont trois grandes etapes
dans la vie.
En etudiant ee dernier theme, je me propose de montrer
comment Maupassant a decrit Isattitude du paysan normand en face de la
mort.
Tout d°abord, 11 faut comprendre que le Normand est une personae
qui n9a pas peur de la moft ear 11 salt bien qu'il faut y passer, un
jour ou I8autre, et ceci est un trait earaeteristique de sa race.
En
consequence, 11 I8envisage tornjours avee beauceup de ealme, comme la
vleille femme de ce garde-chasse qui mentionnait ehaque annee a son
maltre en lui disant au revoirt
"Faut penser que e8est p 8t-#tre la
derniere fois, notre cher Monsieur."1^
B 8autre part, comme le Normand est un barbare envers tout le
mOnde comme envers lui-mSme, 11 n 8admet en aueune sorte la pitie et
envisage avee cynisme et mepris sa fin.
Maupassant nous donne un ex­
cellent example de cela, dans son eonte'sIaut@t Fere et fils".
En effet,
nous voyons que lorsque le pere HautSt fut mortellement blesse au eours
d8une partie de ehasse, 11 dit d8une maniere tres simple a son fils;
143,
Maupassant, "Le Lapin", Contes et Nouvelles, t.I, p. 242.
144.
Jfeupassant, "Le Garde", Contes et Nouvelles, t.II, p. 979=
73
”C 8est bom mom fils. Embrasse-moi. Adieu. Je vas claquer,
j8en smis sSf. Dis-leur qu8ils entrent." HautBt fils embrassa son pere.en gemissant, puis toujeurs docile ouvrit la porte
et le prStre paruts em surplis blame portamt les saintes huiles.
Mais le moribomd avait ferae les yeux et 11 refusa de les
rouvrir, il refusa de repondre, 11 refusa nSme de momtrer
mSme par un sigma, qu'il eomprenait.
.11 fut administre, purifie, absous au milieu de ses amis
et de ses serviteurs agenouilles, sans qu-un seul mouvememt
de son visage revel&t qu'il vivait encore.
II mourut vers minuit apres quatre heures de tressaillements indiquant d’atroces souffranees .^5
Comme le vrai Uormand qu'il etait, on peut voir que le Pere
HautBt etait d'une part dur au mal et que d8autre part il etait stoi'que
devant la mort malgre une tres grande douleur.
On cemprendra cette attitude lorsqu'on saura que le paysan mormand aceepte la mort avee beaucoup de calme, lorsqu'il a eu le temps
de mettre en regie toutes ses affaires personnelles— ee qui etait le
cas ici, puisque le Pere HautBt avait eu encore la possibilite de mettfe son fils au courant de certaines ehoses et de lui donner ses instruc­
tions a ce sujet. Done, il avait a ee point la conscience tranquille
et il pouvait mourir sans angoisse pour ses affaires personnelles,
D 8autre part dans cette citation, Maupassant mentionne que le
Pere HautBt avait requ I 8extreme pnetion.
Ceei peut sembler bizarre
lorsqu'on salt que le paysah normand n 8est pas partieulierement croyant,
mais eependant cela s'explique par le fait que le paysan est superstitieux au fond de lui-mBme et quoiqu8il n'ait pas une confiance absolue
1^5. Maupassant, "HautBt Pere et fils", Contes et Nouvelles,
t.I, p. 262.
Jk
.
dans l°effet de ce sacrement sur sa personne, 11 ne le refuse pas par
prudence et ceci pour deux raisons;
l!une par souci d8avoir tout fait
avant de mourir et I”autre, eomme on ne salt jamais, 11 vaut mieux avoir
une eventuelle assurance de ne pas aller aux enfers, au cas ou..»
Bans son conte "Le Vieux", Maupassant montre encore un autre
aspect du caractere du paysan normand et qui est son manque total de
sentiments pour qui que ce soit, ti§me pour sa familie, surtout si une
question d1inter&t entre en jeux,
En effet, dans eette Mstoire on assist© a 1 6agonie du beaupere d'un paysan et eomme eelui-ei pense que "C’te feis, c'est finij
i n cira pas seulement la nuit "3.^-6 Ce pays an et sa femme, certains de
la fin prochaine de ce vieillard, allerent froidement "se coucher sans
dire un mot, eteignirent la lumiere, fermerent les yeuxj et bientSt
deux ronflaments inegaux, 1*un plus profond, I"autre plus aigu aceompagnerent le rSle ininterrompu du mourant"j3-^7 mais le lendemain matin
le beau-pere vivait toujours a la surprise general© de sa famille, et
malgre le manque de soin apparent des siens, son gendre decida:
y a qu'a le quitter finir. J'y pouvais rien. Tout de mSzne
c’est derangeant pour les cossards, vu 1 *temps qu8est bon
qu’il faudra r 8piquer.3-^8
dre.
I n ’passera point I sjour pour sllr. K'y a point n8a crainPour lors que I ’maire n ’opposera pas qu’on I ’enterre
1U6.
Maupassant, "Le Vleux", Contes et Wouvelles, t.I, p. 132.
14?.
Ibid., I, 135.
148.
Ibid., I, 132.
75
tout de mSlne domain, vu qu'on I"a fait pour mattre Renard le
pe, qu°a trepasse Juste aux semences .^9
Ainsi pour arranger les ehoses, le maire promet d9autoriser
1 9enterrement pour le lendemain et le docteur de son eBte, gu9ils sont
egalement alles consulter, s9engage pour obliger Malt9 Chicot a antidater le certificat de decesI
Comme on peut le constater si tous ees gens sont d9accord pour
que I9enterrement ait lieu tin dimanche, c9est que pour tous ces paysans,
le travail des champs est saere et qu9il ne doit en aucun cas souffrir
d9un retard,
Cette maniere d9agir et de penser de Malt9 Chicot, quo!que revoltante, existe encore de nos Jours dans la campagne cauchoise, elle
denote, a mon avis, chez ce paysan un instinct de brute et de barbare
qui n9a pas pu, malgre les siecles, Stre dompte.
La mort du paysan a beaucoup impressionne Maupassant et ceci
mSme de bonne heure dans sa vie car nous trouvons dans ses vers, le
poeme suiyant:
L 9Afetib
L 9ai!eul mourait froid et rigide.
II avait quatre-vingt-dix ans.
La blancheur de son front livide
Semblait blanche sur ses draps blanes.
II entr9ouvrit son grand oeil ptle,
Et puis parla d9une voix
Lointaine et vague comme un rSle
©u comme un souffle au fond des bois,
"Est-ce un souvenir, est-ce un rSve?
Aux clairs matins de grand soleil
L 9arbre fermentait sous la seve,
Mon coeur battait d9un sang vermeil.
149,
Maupassant, "Le Vieux", Contes et Nouvelles, t.I, p. 136,
76
Est-ce un souvenir, est-ee un r@ve?
Corame la vie est douce et breve!
Je me souviens, je me souviens
Des jours passes, des jours aneiens!
J’etais jeune! Je me souviens!
Est-ce un souvenir, est-ce un r@ve?
L'onde sent un frisson courir
A toute brise qui s’elevej
Mon sein tremblait a tout desir.
Est-ce un souvenir, est-ce un rSve,
Ce souffle ardent qui nous souleve?
Je me souviens, je me souviens!
Force et jeunesse! 0 joyeux Mens!
L ’amour! I®amour! je me souviens!
Est-ce un souvenir, est-ce un rSve?
Ma poitrine est plein du bruit
Que font les vagues sur la greve,
Ma pensee hesite et me fuit.
Est-ce un souvenir, est-ee un r@ve
Que je commence ou que j’acheve?
Je me souviens, je me souviens!
On va m'etendre pres des miens;
La mort! la mort! je me souviens!
150=
Maupassant, "L’Ai'eul", Des Vers, pp. 63-64.
CHAPITRE 6
CONCLUSION
Maupassant a decrit d’apres nature la Normandie et ses paysans
sans les ideal!ser mais aussi sans les denigrer. Si ses types de pay­
sans ne sont ni sympathiques ni antipath!ques, ils restent cependant
interessants en eux-mSmes ear ils personnifient toute une classe de la
societe a cette epoque.
Ses portraits sont extrSmement realistes car ses personnes agissent et pensenb exactement selon leur nature. Par leur physique, leur
naturel, et par la couleur locale, Maupassant revele bien leur caractere, ce qui aide a les comprendre. Cependant, Maupassant ne livre ja­
mais son opinion, il reste toujours impersonnel et ne juge personnel
etant beaucoup trop subtil pour cela, il prefere faire appel au bon sens
de son lecteur et lui laisser le soin de juger et de tirer lui-mSme
la morale de ses histoires.
Maupassant a depeint non settlement la Normandie mais aussi le
paysan.
Ainsi il le montre comme un homme asservi a la loi de la nature,
primitif, sauvage et brutal, mais aussi comme un homme plein de sagesse
et de raison.
Toute cette comedie paysanne, Maupassant 1*a decrite au ralenti
avec beaucoup de simplicite et de comprehension.
Ainsi, on peut voir
que non settlement Maupassant etait un vrai Normand, mais aussi qu'il
etait un excellent sociologue pour qui la nature du Normand et du paysan
77
78
normand n ’avait plus aucun secret et qui n'hesitalt pas le cas echeant
a "blSmer .les vices de I’humanite,
D ’ailleurs il le dit Imi-jmSme d'une
maniere generale en parlant des hommes de lettres:
S 6il cause, sa parole semble souvent medisante, uniquement
parce que sa pensee est clairvoyante et qu'il desarticule
tous les ressorts caches des sentiments et. des actions des
autres. S*il ecrit, il ne peut s8ahstenir de Jeter en ses
livres tout ee qu’il a vu, tout ce qu'il a eompris, tout ce
qu’il saitj et eela sans exception pour les parents, les amis,
mettant a nu, avec une impartialite cruelle, les coears de
ceux qu’il aime ou a aimes, exagerant mSme pour grossir 1 ’effet, uniquement preoccupe de son oeuvre et nullement de ses
affections.151
Tout, autour de lui devient de verre, les eoeurs, les
aetes, les intentions secretes, et il souffre d’tm mal etrange,
d’une sorte de dedoublement de 1'esprit qui fait de lui un
Stre effroyablement vibrant, machine, complique et fatiguant
pour lui-mSme.
Sa sensibilite particuliere et raaladive le change en outre
en ecorche vif pour qui presque toutes les sensations sont
devenues des d o u l e u r s .152
En conclusion Maupassant a eertainement deerit a merveille la
Normandie et le earaetere normand tout au long de son oeuvre, et:
e ’est dans cette peinture du terroir que 18oeuvre de Guy de
Maupassant est la plus originale; c'est par la qu’elle demeure
le plus solide, subit le moiris les marques du temps et des
changements de mode. Si elle n’avait ete d’une verite eternelle, elle se flit demodee; ses nouvelles n’eussent pas depasse 1’interSt du pays qu'elles decrivent. Ses histoires
paysannes, ses recits de chasse, de farces, des milles drames
et comedies des champs ne se liraient plus que sur le triangle
calcaire du pays de Caux. Sams son talent, tout eela ne serait plus que 1*anecdote locale de 1 ’element folklorique.
II n ’y a pas d*autre example dans notre litterature de descrip­
tions locales depassant aussi largement leur cadre. Maupassant
151• Maupassant, Sur 1’Eau (Paris:
du livre, 1964), pp. 86-87.
152.
Ibid., 88.
Editions du Club franqais
79
a si magnifiquement, si justement, si adroitement interprets
sa race, il en a si M e n decrit les elements, si M e n peree
le caractere, qu9il a permis a d’autres, aux strangers, aux
"horzains" de la comprendre et de s'y interesser<,-^53
Malgre quelques descriptions un pen noires de la vie de certains
de ees paysans normands, Maupassant avoue quand mSme d'une maniere op­
timists :
"La vie, voyez-vous, 9a n'est jamais si bon, ni si mauvais
qu'on croit,"15^
153. Fernand Lemoine, "Maupassant peintre cauchois", Revue de
Psychologie des Peuples, l6^ trimestre, 1951, p. 52.
„
154,
Maupassant, tfae Vie, p. 350■>
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