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Pour un CHAOSMOS Un cylindre de cinq mètres de diamètre, d’une profondeur de un mètre est creusé dans le sol. Sa paroi est imperméable (une tôle blanche cerclée de métal noir), le sol est perméable (de la terre). L’hiver, ou à la fin de l’automne, lorsque l’atmosphère se charge d’humidité, le sol se gorge d’eau. Le cylindre se remplit d’eau, par le bas et le haut, la terre et le ciel. Le temps passe. L’atmosphère se réchauffe, l’humidité est absorbée, le cylindre se vide. Dès l’apparition de la nappe d’eau au fond du cylindre, un tissu est découpé au format (composé de plusieurs morceaux cousus, étant donné la surface de cinq mètres de diamètre), ce tissu est un filtre, une membrane (c’est un non-tissé synthétique employé dans les usines de laiterie), il est déposé à la surface de l’eau. Cet espace apparemment clos comporte quelques ambiguïtés: bien qu’étant circonscrit en ses bords, le temps s’y écoule littéralement. Fermé sur son contour, sa surface est ouverte au dessus et au dessous, de ce fait il est à la fois un espace intérieur et extérieur, protégé et exposé aux assauts du temps. C’est un espace intermédiaire, un milieu dont l’intérieur se fait et se défait constamment. Une succession de « structures » ou de formes émergeantes se dessinent, se tracent selon les facteurs atmosphériques. Il s’agit, par la photographie d’en trouver les signes, les indices, les symptômes du changement au gré des saisons. Un évènement au sein de la peinture… Discerner : cerner les faits, les transformations, les changements. Serait-ce cela un évènement ? Cette tranche qu’est l’eau, sur laquelle se rabattent le dessus et le dessous est une peinture immanente. Une question de dosage dans l’intervention (et donc de pollution). Le cylindre est saupoudré de pigments blancs d’origine minérale. Les pigments sont-ils considérés comme « naturels » ? Lorsqu’ils sont répandus en trop grande quantité au sein de cet écosystème, ils chassent les amphibiens, tuent les insectes, opacifient la transparence de l’eau. …Artificielle, naturelle… à quel moment la matière passe-t-elle d’un statut à un autre ? Serait-ce une question de quantité et de qualité pour en déterminer la nature? L’enjeu est de discerner les accords de la matière, ses interactions, sa composition et sa décomposition. Un corps atmosphérique entre transparence et opacité. L’usage des pigments, secs ou liquides révèle les structures a priori imperceptibles à l’œil - ou tout au moins, imperceptibles à la lentille de l’objectif photographique. L’eau transparente véhicule le changement, le temps. Elle véhicule le changement rendu visible par la déclinaison de ces seuils d’opacités. Pour un CHAOSMOS « Justement la notion de milieu n’est pas unitaire : ce n’est pas seulement le vivant qui passe constamment d’un milieu à l’autre, ce sont les milieux qui passent l’un dans l’autre, essentiellement communicants. Les milieux sont ouverts dans le chaos qui les menace d’épuisement ou d’intrusion. Mais la riposte des milieux au chaos c’est le rythme. Ce qu’il y a de commun au chaos et au rythme, c’est l’entre-deux, entre deux milieux, rythme-chaos ou chaosmos : entre la nuit et le jour, entre ce qui est construit et ce qui pousse naturellement, entre les mutations de l’inorganique à l’organique, de la plante à l’animal, de l’animal à l’espèce humaine, sans que cette série soit une progression…. C’est dans cet entre-deux que le chaos devient rythme, non pas nécessairement, mais a une chance de le devenir. Le chaos n’est pas le contraire du rythme, c’est plutôt le milieu de tous les milieux. » G. Deleuze, F. Guattari, Mille plateaux, pp. 384, 385. La toile, sous l’eau, est la trace, la mémoire floue des changements du milieu. La photographie mesure le temps. Des insectes, un petit rongeur, un lapin, meurent dans cet écosystème. Que faire ? Jusqu’au petit rongeur (disparu au fond de l’eau) la question de l’intrusion de la mort dans ce cercle ne se posait pas vraiment. Avec la présence du cadavre de lapin, la question se pose, probablement par le fait que cet animal nous affecte, par son aspect peut-être, probablement par le fait de l’avoir domestiqué. Le voir mort, piégé par le cylindre, noyé, c’est sur une part de nous même que nous nous apitoyons. Alors que faire, faut-il se comporter en humain et retirer l’animal du cercle pour lui donner une sépulture? Ou faut-il le laisser se décomposer en sachant que rien n’est plus grouillant de vie(s) qu’un cadavre ? Quel est le statut de la personne qui regarde à travers l’appareil photo? Tantôt venant perturber l’équilibre du cylindre par l’ajout de pigments, tantôt sujet indifférent à sa condition d’être moral…. Le partit pris est d’observer le changement avant tout. Le vivant prime ici sur l’humain. Observer le temps, jusqu’à en oublier notre condition de sujet, « devenir moléculaire, devenir imperceptible ». Voir le vivant se faire et se défaire. Il n’est donc plus question de la vie et de la mort, il est seulement question de rapport de composition et de décomposition, dans un système aveugle, inconscient, sans objectif. amoral, Observer une nature indifférente à la mort, une nature qui survie aux espèces qu’elle produit.