Ils sont peu nombreux à connaître l`importance qu`ont

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Ils sont peu nombreux à connaître l`importance qu`ont
Le troisième facteur
Exposition à Courtrai jusqu’à 7 janvier 2007
Dans la librairie:
Editeur Groeninghe, Courtrai
« Kortrijkse Kunstwerkstede Gebroeders De Coene »
256 pages - 24 €
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Ils sont peu nombreux à connaître l’importance qu’ont eu les Ateliers d’Art De Coene
de Courtrai au niveau du mobilier et du
design et cela jusque loin dans la deuxième moitié du 20ème siècle. De temps
en temps, lors du déménagement d’une
grand-mère ou d’un vieil oncle, on trouve
sur l’arrière d’un lit le cachet avec la
feuille de chêne et la mention “De Coene
Courtrai”. L’art Déco et le style typique de
l’Interbellum étaient la marque de fabrique de cette étrange maison. A une époque
où le mot “International” avait encore son
vrai sens, De Coene recevait des commandes du monde entier et réussissait des
projets complets qui, cinquante ans plus
tard fonctionnent encore parfaitement ou
sont caractéristiques d’un style.
Les Ateliers d’Art doivent leur renommée
à la persévérance, l’enthousiasme, l’audace
et la foi dans son propre savoir-faire. Chez
De Coene tout était possible disait-on. Si
cela n’existait pas encore, ils l’inventeraient sur place. “Ces bacs à fiches” c’est
nous qui les avons inventés. Le système
à glissière était bien conçu et fonctionne
encore maintenant. Seules les plaquettes
sur les côtés extérieurs sont légèrement
jaunies”. Celui qui s’exprime ainsi est
un ancien collaborateur de De Coene, qui
parle avec amour d’un produit. Son témoignage fait partie de ceux que vous trouverez, nombreux, à l’expo sur les Ateliers
d’Art De Coene à Courtrai. Ils parlent des
produits qui y furent fabriqués, des styles
et des collaborateurs. Une histoire de
style, d’érudition, de savoir-faire, d’amour
et de liberté.
50 années de travail d’un pionnier
Compétence, maîtrise, innovation, qualité … ce sont les fils
conducteurs de l’existence de De Coene. C’est ce qui ressort
aussi de l’exposition. On entend ainsi Arthur De Leu, le petit-fils,
raconter l’histoire d’un divan De Coene qui, lors d’un déménagement, tomba du sixième étage avec le résultat que l’on imagine … un des pieds était cassé. Trois générations ont grandi
- souvent sans le savoir - avec les meubles et les intérieurs De
Coene. Beaucoup d’entre nous ont vécu dans des fabrications
De Coene: dans l’immédiat après-guerre, dans les écoles en
bois, préfabriquées, construites à la hâte, et, par la suite, dans
des halles, des entrepôts, des salles de sport et des halls d’exposition montés avec des chevrons en bois lamellés qu’ils avaient
eux-mêmes courbés. La totalité de l’intérieur de la Bibliothèque
DOSSIER
Quand on regarde attentivement les installations de De Coene,
qu’on les compare et les replace dans leur époque, on ne peut
qu’arriver à la conclusion que tout ceci n’était pas seulement possible à partir de la combinaison entre l’homme et la machine. Il y
avait un troisième facteur, peut-être introduit par le romantisme
de l’époque et le hasard de la famille, car les deux beaux-frères,
tout autant que Joseph lui-même étaient à la base du succès. Il
y avait le côté artistique, l’érudition, le style, la bravoure et l’ambition dans la gestion. Il y avait l’aspect méthodique et éthique
de la formule de l’atelier de travail où les spécialistes d’une branche entraient en compétition les uns avec les autres. Ainsi par
exemple, les nouveaux collaborateurs pouvaient observer tous
les ateliers pendant des mois jusqu’à ce qu’ils trouvent l’endroit
et l’activité qui leur convenaient.
Sans oublier et ni surtout sous-estimer les nouvelles possibilités
et techniques qui, à chaque fois, repoussaient les limites. Des
nouveaux défis pour le professionnel. Ce “melting pot” était
certainement le troisième facteur qui a “boosté” De Coene pendant près de trois quarts de siècle.
Royale à Bruxelles. Tous avec la signature de De Coene.
Dans la période de l’entre-deux guerres, Courtrai s’est révélé
le plus grand centre de production de meubles Art Déco en
Belgique, jouissant d’une renommée et de débouchés internationaux. Après la deuxième guerre mondiale, De Coene a non
seulement répandu le meuble moderne dans toutes les classes sociales mais l’entreprise était aussi le producteur pour le
Benelux des meubles de luxe Knoll. Dans le cadre de l’Expo 58,
les Ateliers d’Art ont collaboré à l’agencement de 28 pavillons.
Peu d’amateurs de design savent que De Coene, entre 1903 et
1958, a remporté plusieurs prix à l’occasion de salons et d’expositions mondiales.
La manière
L’histoire des “Ateliers d’Art courtraisiens De Coene Frères”
fondés par Joseph et Adolphe De Coene, débute avant 1905,
l’année de naissance officielle de la firme. En 1888 Joseph De
Coene, alors âgé de 13 ans, après la mort soudaine de son père
Adolphe, fait ses débuts dans l’affaire familiale de tapisserie-décoration: De Coene-Tavernier.
L’affaire tourne bien et en 1893, Joseph part à Bruxelles pour y
faire son expérience et suivre les cours de l’Académie de dessin.
Il y découvre les idées de Henry Van de Velde. Le climat culturel
international résultant de la rencontre de l’art, de l’artisanat et
de l’industrie fut une source d’inspiration et l’amenèrent à de
nouvelles idées. Lors de son retour Joseph De Coene les met en
pratique. Son frère Adolphe est envoyé vers 1895 chez le fabricant de meuble courtraisien Victor Acke et à la firme parisienne
de décoration des Frères Mercier, pour y apprendre le métier.
Début 1900, lors d’une exposition dans la maison communale
de Courtrai, Joseph présenta pour la première fois un “nouveau
meuble” qu’il avait lui-même conçu. Il exposait également des
dessins de meubles, des vitrages colorés et des peintures. Pour
pouvoir faire face à la demande croissante, des dizaines de spécialistes furent engagés parmi lesquels Arthur De Leu: concep-
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développement de De Coene Frères, l’année aussi où la firme
obtint le Grand Prix à l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes à Paris. Ceci apporta de nombreux
nouveaux clients internationaux aux Ateliers d’Art Décoratifs.
De plus en plus souvent, on faisait appel à De Coene pour des
aménagements complets. Par exemple, la firme signa l’aménagement intérieur de la Résidence Palace à Bruxelles et de l’hôtel
Carlton à Amsterdam. Les Pays-Bas, la France et la Grande-Bretagne étaient les principaux marchés des Ateliers d’Arts.
Le rideau tombe
teur génial et ami de la famille. A partir de 1905, De Coene Frères
fabriquaient dans leurs ateliers la plupart des fournitures nécessaires à l’aménagement complet d’un intérieur. Ils disposaient
d’un personnel qualifié et il y avait un atelier spécial pour chaque
type d’artisanat et pour chaque phase de la production des meubles. Ce professionnalisme était la clé du succès international.
Triplex et les années à succès de l’Interbellum
Déjà avant la première guerre mondiale, la demande d’objets de
luxe était en forte progression. Dans la partie avant de l’usine,
dans des locaux spacieux, des salles à manger, des chambres
à coucher et des salons étaient exposés. Les clients pouvaient
circuler librement entre les meubles, ce qui était très inhabituel à
l’époque. Malgré la mécanisation de la fabrication du meuble, il
n’était pas encore question de meubles de série.
La guerre provoqua un ralentissement de la production et de
l’expansion de la firme, mais n’y mit pas fin. La période qui suivit
la première guerre mondiale fut au contraire pour De Coene le
point de départ d’une nouvelle ère dorée. A cause de la reconstruction, la demande en mobilier était énorme. Entre-temps,
Joseph De Coene était parti à la recherche de nouvelles possibilités d’expansion. Il les trouva aux Etats-Unis, où il découvrit la
toute jeune industrie du triplex. Contre l’avis de son banquier,
il importa des machines des Etats-Unis. La chasse à la formule
exacte de la colle fut difficile, mais une fois découverte - en 1922
- De Coene Frères démarrèrent une section triplex. Le triplex
était un beau matériau de base qui permettait de réaliser de
beaux intérieurs en fabriquant des produits meilleur marché.
Ou, comme Stijn Streuvels - qui faisait partie du petit groupe
d’artistes qui se sentaient comme chez eux chez De Coene l’exprima en 1932: “Faites construire, décorer, meubler, équiper
votre maison par des spécialistes - c’est une façon d’apporter le
bonheur dans votre vie”. L’année 1925 fut le point culminant du
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La crise des années trente alla de pair avec des années difficiles
pour De Coene. Le développement et les possibilités offertes
par les produits en triplex percèrent également sur de nouveaux
marchés comme ceux des transports ferroviaires et de la marine.
De Coene fut aussi le premier à utiliser énormément de bois
en provenance du Congo. A partir de 1934, De Coene produit
en série des caisses en bois pour les radios Philips. Au moment
où De Coene se trouvait au top de l’industrie européenne du
bois, la deuxième guerre mondiale éclata. Le prix à payer fut
très lourd, mais la firme su renaître de ses cendres. Début 1944,
De Coene faisait travailler plus de 2000 ouvriers. Dans la période qui suivit la deuxième guerre mondiale, c’était comme si le
“troisième facteur” avait disparu. Des procédures administratives rigides, apportées par des professionnels du management
ont tranché dans l’espace de liberté qui était si typique des Ateliers d’Art. Les problèmes allèrent en s’accumulant et en 1952,
on retourna au management familial. Joseph De Coene était
déjà décédé à l’époque. Au plan international les Ateliers D’art
connurent un boom comparable à celui de l’interbellum. Mais
l’expansionnisme forcené n’était plus compatible avec les marchés qui s’étaient fortement modifiés, de sorte que vers le milieu
des années septante, le rideau tomba sur cette firme “tout en
un”. L’entreprise ferma en 1977, un chapitre qui se termine par
une liquidation, stylée comme on pouvait s’y attendre.
“On peut découvrir beaucoup de l’approche de De Coene”
conclut Terenja Van Dijk. “De Coene a su combiner conception,
professionnalisme et production. Actuellement, l’attention est
trop focalisée sur le hype et la facilité. Même dans le monde
du design, par facilité et ce souvent via les média, on glorifie
l’individu, trop de hype pour le nom, pas assez pour l’histoire, le
produit. Ceux qui travaillaient pour De Coene le faisaient avec
enthousiasme, pour le métier, pour la firme et le produit, pas en
leur propre nom” … Le troisième facteur. «
www.kunstwerkstede.be

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