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La gravure
Proséminaire SE 2002
«La suite des 347»
de Picasso
La Celestina
Stella Wenger
[email protected]
Histoire de l’art en branche principale.
© by www.schulnotizen.ch
Table des matières
1.
Introduction
1
2.
Biographie de l’artiste
1
3.
Picasso graveur
3
4.
4.1
4.2
« La suite des 347 »
Le personnage de la Celestina
La Celestina dans la suite des gravures
5
6
7
5.
Conclusion
9
6.
Bibliographie
10
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1.
Introduction
L’œuvre complète de Picasso est impressionnante de part son abondance et sa
diversité. Elle s’étend de la période bleue de ses vingt ans aux gravures érotiques de
sa vieillesse et touche à toutes les méthodes artistiques imaginables, que se soit la
peinture, le collage, la sculpture ou la gravure.
Dans ce travail, je vais me concentrer sur les dernières années de sa production,
auxquelles correspond un ensemble de 347 gravures. Il s’agit d’une série de
planches illustrant quelques thèmes déjà présents dans les œuvres antérieures de
l’artiste, comme nous allons le voir par la suite.
2.
Biographie de l’artiste1
En tout premier lieu, j’aimerais souligner que la vie de Pablo Picasso fut longue et
qu’il m’est ici impossible de la rapporter toute entière. J’ai donc choisi les
événements qui me semblaient les plus importants, en rapport également à
l’évolution de son art. Sa production se divise en plusieurs phases successives.
Pablo Ruiz Picasso naît le 25 octobre 1881 à Málaga, ville d’Andalousie, sur la Costa
del sol. En 1892, il s’inscrit à l’école d’art de la Coruña et, lorsque son père décide de
déménager en 1895, il continue ses études à l’Académie des Beaux-arts "a Lonja“ de
Barcelone.
Picasso se rend à Paris en octobre 1900, au centre de l’avant-garde européenne. Il
ferra d’autres voyages en 1901 et 1902 avant qu’il ne s’établisse définitivement à
Paris en 1904.
Après le suicide de son ami Carlos Casagemas, le 17 février 1901, ses tableaux
sombrent dans les bleus de la mélancolie. Les thèmes d’évasion et de misère et les
contradictions de la vie métropolitaines dominent son travail. C’est le commencement
de la «période bleue» qui durera jusqu’en 1905 et qui est également caractérisée par
1
Les données biographiques sont tirées de Elke Linda BUCHHOLZ et Beate ZIMMERMANN, Pablo
Picasso. Vita e opere, Cologne : Könemann, 1999, pp. 7-9, 13, 16, 18, 21-23, 27, 33, 46 et 8 et de
Anne BALDASSARI, L’ABCdaire de Picasso, Paris : éd. Flammarion, 1996, pp. 116-117.
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la présence, dans les tableaux, de personnes errantes, de vagabonds, de mendiants
et de femmes seules. Les figures sont empreintes de désespoir, elles semblent
rigides, renfermées sur elles-mêmes, isolées et seules.
Ambroise Vollard, (1868-1939) marchand de tableaux et galeriste français, est le
premier à exposer les œuvres de Picasso dans sa galerie de la rue Laffitte, à Paris.
Picasso acquière, en 1904, un atelier au Bateau-Lavoir, une grande bâtisse de bois
dans laquelle vécurent plusieurs artistes et où naquirent les grands mouvements du
début du XX ème siècle, comme, par exemple, le cubisme.
Puis vient la «période rose», de 1905 à 1906. A cette époque, Picasso rencontre
Fernande Olivier qui deviendra sa maîtresse. En réponse au tournant qu’a pris sa vie
privée, l’artiste change la composition de ses couleurs : le rose pâle, le rouge et
d’autres couleurs claires envahissent les toiles. Il s’intéresse pour un nouveau sujet
qui est celui du monde des jongleurs et des acrobates. Le peuple nomade revête une
place principale et remplace les mendiants de la «période bleue». Cependant, les
gens du cirque ne sont pas représentés radieux sur scène, mais plutôt derrière les
coulisses dans des attitudes pensives. Le sentiment de mélancolie demeure, mais il
n’est plus empreint de désespoir.
En 1906 débute l’intérêt de Picasso pour le cubisme. Cherchant comment
représenter ce qui a trois dimensions sur une surface qui n’en a que deux, sans
recourir aux procédés illusionnistes traditionnels, et tout en conservant le sentiment
de la réalité, Braque et Picasso répondent par de nouvelles conventions qui rendent
la lecture des œuvres difficile. Les repères habituels, tels les couleurs, la lumière, les
volumes et la perspective, sont remplacés par un système de signes géométriques
non imitatifs et par une stricte monochromie ; en effet, seuls les beiges et les gris ont
droit de cité. Ces aspects renforcent le caractère purement mental et conceptuel de
la représentation. Mais la peinture abstraite à proprement parler n’intéressera jamais
vraiment Picasso.
La recherche de nouveaux modes d’expression pousse l’artiste à approfondir ses
connaissances de l’histoire de l’art. Introduit par Apollinaire (1880-1918), poète
français, dans le monde des théâtres et des ballets, il se met à peindre des décors
de théâtre et des costumes et entreprend un voyage à Rome au cours duquel il fait la
connaissance d’Olga Khokhlova (1891-1955), une ballerine russe avec laquelle il
aura son premier fils, Paul, né le 4 février 1921. Picasso s’installe à Fontainebleau et
épouse Olga le 12 juillet 1918 à Paris. Mais ce mariage n’est pas heureux et en
2
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1927, Marie-Thérèse Walter devient la maîtresse de l’artiste et elle l’incite à peindre
des portraits très intimes, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. Il aura d’elle une fille,
Maya, née le 5 septembre 1935.
Françoise Gilot devient sa nouvelle compagne et il aura d’elle Claude et Paloma, ses
plus jeunes enfants. La naissance de ses deux enfants replonge Picasso dans le
monde enfantin, ce qui est perceptible dans certaines de ses œuvres. C’est pour
Picasso une période d’allégresse. L’artiste vit une période d’allégresse à Vallauris,
petit village des Alpes-Maritimes, au Nord est de Cannes, jusqu’à ce que Françoise
le quitte, en 1953, pour retourner à Paris avec ses enfants.
Jacqueline Roque, la femme que Picasso a épousée en 1961, partage les dernières
années de sa vie qui se termine le 8 avril 1973, dans sa villa Notre-Dame-de-vie à
Mougins, dans les Alpes-Maritimes. Il avait 91 ans et fut atteint d’un œdème
pulmonaire. Picasso est actuellement enterré dans le parc de son château de
Vauvenargues. Durant les dernières années de sa vie, son activité productrice était
devenue frénétique, comme nous allons pouvoir le constater avec «la suite des
347». Il réalisait 3 à 5 peintures ou gravures par jour, toutes sur les thèmes suivants:
déguisements, capes et épées, couples d’amants, autoportraits et nus.
3.
Picasso graveur
Avec humour il intitule sa première planche, faite à Barcelone en 1899, alors qu’il n’a
que 18 ans, Le Gaucher, car il avait été surpris de voir son matador apparaître dans
l’autre sens à l’impression. Sa deuxième gravure est Le repas frugal (ill.4) et est
réalisée à Paris en 1904. Un choix de cent gravures réalisées par l’artiste entre 1930
et 1937 est communément appelé Suite Vollard, du nom de son commanditaire,
Ambroise Vollard, et dont une première édition fut imprimée en 1939, en deux
formats et à quelques exemplaires seulement. Cette suite présente une grande
diversité dans ses thèmes et dans les techniques employées (eau-forte, pointe
sèche, aquatinte).
Picasso emploie principalement la technique de la taille-douce, bien qu’il ait très
certainement touché à toutes les autres techniques existantes. La taille-douce2
2
Les données au sujet de la taille-douce sont tirées de Jean ADHÉMAR, la gravure, Paris : Presse
Universitaires de France, 1972, pp. 16-18.
3
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consiste à recouvrir un cuivre d’un vernis protecteur, puis à y tracer un motif avec
une pointe d’acier. Ainsi, les lignes qui se dégagent, laissant le cuivre à nu, vont être
creusées par l’acide lorsque la plaque sera plongée dans un bain de perchlorure de
fer. Du temps dans l’acide dépend la profondeur de la morsure, et donc, la densité
du trait à l’impression. Après avoir encré toute la plaque, le taille-doucier en essuie
les surfaces à la tarlatane, un chiffon de gaz souple, puis de la paume, de manière à
laisser dans les creux l’encre qui sera démoulée sur le papier lors du passage sous
presse. La taille-douce convient parfaitement à la manière de travailler de Picasso
puisque ce dernier crée par étapes, en effaçant et recréant constamment ses
compositions. De plus, il grave directement sur le cuivre, sans aucun dessin
préparatoire. Cette spontanéité est la preuve de l’impulsivité et de l’impatience de
l’artiste lors de la création d’une estampe. La taille-douce l’oblige à attendre le tirage
pour pouvoir voir le résultat de son travail. Mais ce procédé laisse en même temps
beaucoup de liberté à l’artiste, qui peut retoucher indéfiniment sa planche. Picasso
peut donc réaliser autant d’états que nécessaire en ponçant, creusant et gravant à
nouveau ses plaques jusqu’à satisfaction, technique dont il ne s’est jamais privé.
Certaines planches de «la suite des 347» comportent jusqu’à sept états (ill.5).
Les frères Aldo et Piero Crommelynck3, les amis taille-douciers de Picasso, lui
préparaient à tout moment une réserve de plaques de différents formats, vierges et
polies, vernies ou grainées de sorte que l’artiste n’avait plus à se préoccuper des
aspects matériels et pouvait poursuivre dans son élan. Le petit atelier était situé à
Mougins même, au bas de la «route du cuivre», nommée ainsi par les deux frères et
menant au mas de Notre-Dame-de-Vie. Il était très mal équipé, car provisoire, mais
disposait toutefois de l’indispensable «boîte à grains». Diffusant une poussière très
légère de grains de colophane, elle permettait de préparer des plaques pour
l’aquatinte. Cette fine résine était chauffée afin de fondre et d’adhérer à la surface du
cuivre. Lorsque Picasso prenait une des plaques préparées avec un grain
d’aquatinte, il avait deux possibilités : choisir une méthode donnant un résultat en
négatif ou, au contraire, en positif. La première était curieusement la plus simple :
elle lui permettait de dessiner librement avec un pinceau trempé dans du vernis,
lequel protégeait ensuite le cuivre de la morsure et créait des zones blanches à
3
Les éléments concernant les frères Crommelynck sont tirés de Nicole MINDER (éd.), Picasso: les
« 347 », collection de Jean Planque, Vevey : cabinet cantonal des estampes, 2001, pp. 7, 17 et 25.
4
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l’impression, alors que le fond devenait noir. Pour obtenir un dessin en positif, il fallait
opérer avec l’aquatinte dite «au sucre». Cette technique consiste à exécuter un motif
au pinceau avec une solution sirupeuse composée d’encre de Chine et de sucre.
Puis la plaque est vernie et rincée à l’eau. Le sucre dissout le vernis et libère ainsi les
endroits peints, de façon à les rendre réceptifs à l’acide. Curieusement, Picasso
n’employa l’aquatinte au sucre quasiment que pour illustrer le thème de la Celestina.
Les représentations érotiques dominent la production des dernières années,
culminant avec les 347 gravures exécutées à Notre-Dame-de-Vie, en 1968. La
totalité de l’œuvre gravée de Picasso comporte environ 2430 planches.
4.
«La suite des 347»
Du 16 mars au 5 octobre 1968, à Mougins, à l’âge de 86 ans, Picasso se met à
graver 347 plaques de cuivre, représentant une moyenne de deux eaux-fortes par
jour. En marge de chaque plaque, l’artiste note soigneusement la date et un chiffre
romain correspondant au numéro de la gravure fait durant la journée. Un peu plus de
la moitié des planches de «la suite des 347» sont des eaux-fortes au trait. Lors de la
première édition en 1968, ces œuvres furent imprimées dans un fascicule à part, en
tant que groupe obscène. Cette suite fut réalisée avec la collaboration constante des
frères Crommelynck, qui se mettaient à entière disposition de l’artiste plusieurs mois
par an, lorsqu’ils quittaient, ensemble ou à tour de rôle, leur atelier parisien pour se
rendre à Mougins et fut éditée à 50 exemplaires par la galerie Louise Leiris à Paris. A
la fin de l’année 1968, cet ensemble fut exposé également à la galerie Louise Leiris à
Paris et à l’Art Institute of Chicago. Picasso ne voulut refuser aucun de ces 347
cuivres. Quant au titre, la suite n’en a pas, ni les gravures individuelles qu’elle
contient. Picasso estimait que le spectateur devait être libre d’interpréter le sujet à sa
guise4.
Cette suite comprend quelques-uns des thèmes majeurs de l’artiste espagnol, tels le
cirque, la femme, le peintre et son modèle- ce dernier sujet étant notamment illustré
par la série érotique de vingt-cinq eaux-fortes représentant Raphaël et la Fornarina.
Mais c’est le regard surtout, qui est l’objet principal de toute «la suite des 347», ainsi
que la relation regardant-regardé. Les femmes y sont regardées par un peintre ou un
4
Nicole MINDER (éd.), Picasso… p. 18.
5
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voyeur, les scènes d’étreinte plus ou moins constantes dans la production
picassienne sont remplacées par des copulations explicites. L’atelier devient celui du
peintre, représenté à plusieurs reprises en train de peindre littéralement son modèle.
Au fil des planches sont évoqués Rembrandt, Velázquez, Goya, El Greco et Ingres.
Picasso se représente lui-même en grotesque, comme un bouffon sur lequel pèsent
des vices qu’il avoue cependant ouvertement. Chaque illustration semble être le
chapitre d’une histoire, qui fournit le dialogue, spécifie l’espace, raconte et précise le
mois de l’année pendant lequel se déroulent les faits. Ce sont des histoires de
visites, au bordel, au cirque, au bal ou à l’atelier. C’est un mélange de figures,
mélange entre jeunes et vieux, acteurs et spectateurs, personnages confortablement
assis et figures raides, debout.
Picasso a eu recours à la gravure pour réaliser cette suite car ce procédé offre,
comme déjà mentionné auparavant, la possibilité de reprendre les planches autant
de fois que l’artiste le désire.
Malgré leurs thèmes et leurs techniques si variés, ces 347 gravures peuvent
entièrement prétendre au statut de suite. Ce terme peut en effet être défini comme
un ensemble d’estampes se rapportant au même sujet ou au même auteur, et
généralement publié comme un tout.
4.1
Le personnage de la Celestina4
Le personnage de la Celestina est né de la plume de Fernando de Rojas (14651541), dans la tragi-comédie «Calixte et Mélibée» ou «La Celestina» datant de 1499,
époque de la Renaissance espagnole. L’intrigue se joue autour de trois personnages
principaux : Calixte, un jeune homme bon et de famille de rang moyen, Mélibée, une
femme généreuse issue d’une famille noble et seule héritière de ses parents,
Pleberio et Alisa. Le troisième personnage est Celestina, une vieille entremetteuse
borgne. Mélibée rejette les avances de Calixte qui ne veut pas l’épouser. Le jeune
homme fait recourt à la Célestine qu’il paie en échange de son aide. Calixte accède
ainsi dans la maison de Mélibée et cette dernière perdra sa chasteté. Lors d’un
5
Les informations concernant la Celestina sont tirées de Fernando DE ROJAS, La Celestina, s.l.:
Plaza & Janes, 1984, pp. 23-48.
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rendez-vous nocturne, Calixte franchit le mur du jardin et se tue en tombant. Mélibée
se suicide en se jetant du haut d’une tour. Celestina est arrêtée et exécutée
publiquement avec deux valets, complices de l’intrigue.
Celestina est une femme mauvaise qui, en plus de créer des intrigues entre les deux
amants, a pour tâche de conduire des hommes, des mousquetaires, dans des
chambres où attendent des femmes ; c’est son travail de maquerelle. Celestina dit
d’elle-même : «je suis une créature en décadence, usée et pleine de rides et
personne ne me regarde. Toutefois ma pensée est toujours la même, je préfère
l’adresse au désir. Suivez votre fantaisie messieurs, copulez et baisez ! Quant à moi,
je n’ai autre à faire que d’observer et complaire mon œil. C’est encore un réconfort
pour moi de pouvoir être spectatrice de vos divertissements»6. Avec l’œil sain, elle
observe, et avec son œil aveugle, elle semble lancer des malédictions autour d’elle.
Cet œil qui scrute est celui d’un voyeur et celui également de Picasso.
4.2 La Celestina dans la suite des gravures
La Celestina ponctue toute «la suite des 347» et est présente sur plus d’un tiers de la
série.
L’idée de publier et d’illustrer une traduction de la Celestina (moins connue alors,
surtout en France) était de Picasso.
Les gravures illustrant la tragi-comédie de «La Celestina» sont issues du projet d’un
éditeur qui avait demandé à Picasso d’illustrer le «Don Quichotte». Mais en France,
ce personnage était trop fortement lié à Honoré Daumier (1808-1879) qui avait déjà
réalisé une série de gravures intitulée Don Quichotte. Picasso avait cependant fait un
essai d’illustration vers 1937 (probablement pour Vollard car une des deux planches
comporte un essai de couleurs et que, alors que Picasso haïssait la couleur en
gravure, Vollard en était extrêmement friand), mais il avait vite compris qu’il ne
pourrait pas éviter d’être mis en relation avec Daumier. C’est ainsi qu’il fait la
proposition d’illustrer «La Celestina».
Pour cette édition, le format devait être exigu et se présenter comme une sorte de
livre de poche7. Cette caractéristique obligeait l’artiste à travailler sur des cuivres aux
6
7
Cité chez Margherita ZIZI, Picasso. 200 capolavori dal 1898 al 1972, Milano: Electa, 2001, p. .
Nicole MINDER (éd.), Picasso... p. 37.
7
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dimensions inhabituelles. Mais loin de le freiner dans son élan, cette contrainte
représentait pour lui un nouveau défi à relever et il réalisa une centaine de gravures,
dont soixante-six furent retenues pour l’édition. Pour traduire la richesse du texte, la
violence de la satire, les caractères des tristes héros Calixte et Mélibée et l’ombre
diabolique de Célestine qui plane sur toutes les têtes, Picasso adoptera de nouveaux
langages techniques. Il a ainsi inauguré pour le personnage de la Celestina ce qu’on
a appelé «l’aquatinte au sucre sur cuivre gras», un mélange d’encre et de sucre dilué
à l’eau. La graisse fait que l’eau se rétracte à certains endroits. La première planche
effectuée de cette manière est datée du 24.5.68 I (ill.6).
Dans l’œuvre La Celestina (ill.7) de la « période bleue », exposée au musée Picasso
de Paris, la vieille femme se tient seule, isolée sur un fond bleu uni, la tête recouverte
d’un voile noir. C’est une des premières représentations de Picasso de la Celestina
et les figures qui suivront reprendront constamment le même schéma. On trouve déjà
la Celestina dans d’autres dessins de jeunesse de Picasso, comme par exemple
dans une copie du Caprice 17 : Bien tirada està (ill.8) de Goya, qui lui-même y a
représenté la Celestina.
Dans «la suite des 347», Celestina apparaît pour la première fois le 8 mai 68, dans la
planche n° 69 (ill. 9). On peut la voir toute ridée au côté d’une femme nue assise à
une table avec trois hommes. Une seconde femme, en retrait de la scène, tient un
instrument à la main. Picasso privilégie la présence du voyeur, dissimulé ou présent,
jouant un rôle dans la tension de la scène.
On observe également dans les gravures de la suite, un mélange d’époque et de
culture : les mousquetaires de Dumas rencontrent les personnages de Fernando de
Rojas et Picasso s’inspire à la fois de Velázquez et de Rembrandt.
Si la Celestina reste ce qu’elle a toujours plus ou moins été dans l’œuvre de Picasso
depuis le tableau de 1904, et si la plupart des jeunes femmes sont montrées nues
comme dans la majeure partie de la production de Picasso, il fallait trouver une tenue
pour les hommes. L’artiste décide de les costumer plus ou moins en mousquetaires,
une sorte de mélange de Rembrandt, Velázquez et … Alexandre Dumas. La raison
de ce choix reste pour moi, malheureusement, une énigme. Une des raisons pourrait
être que Picasso ne désirait pas montrer les hommes dans les vêtements du XV ème
siècles, qu’il trouvait ridicules. Picasso est efficace dans ses traits : une cape relevée
derrière par une épée, un chapeau et des cheveux longs, un haut-de-chausses défini
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par la maigreur des jambes, et nous avons tout de suite l’impression d’avoir affaire à
un mousquetaire (ill. 10).
Un motif récurrent sur les plaques de Picasso met en scène un trio composé de la
Celestina, d’une femme nue et d’un mousquetaire. Ces trois figures sont toujours
illustrées selon le même principe ; la Celestina entraîne par la main ou le bras la
femme dévêtue qui est poursuivie par un mousquetaire (illustrations 10-14).
Comme il est de coutume lors de négociations pour une exposition, le musée envoie
à l’artiste quelques catalogues, pour le persuader de la qualité du travail. Ca a
certainement été le cas de l’Art Institute de Chicago qui a fait parvenir à Picasso le
catalogue de la grande exposition de 1966-1967 sur Manet8. Ce fait expliquerait
pourquoi le peintre français apparaît soudainement le 1er octobre sur la planche n°
345 (ill.17), avec son ami Marcellin Desboutin (1823-1902), peintre, graveur et poète.
Picasso les représente dans une maison close où la Celestina les introduit auprès
d’une femme nue trônant dans un fauteuil rembourré. Picasso s’est basé sur un
portrait de Manet fait par Fantin-Latour (ill.15) pour réaliser la caricature du peintre. Il
est vieillit, grossit et habillé un peu différemment, mais il garde l’attitude, le jonc, le
chapeau, la ressemblance générale. Quant à Marcellin Desboutin, il est exactement
lui-même quoique de profil et non de face comme dans le portrait fait par Manet
(ill.16) dont s’est inspiré Picasso. Mais ces deux personnages ne sont pas les seuls
que Picasso a tenté de caricaturer ; le pape, Michel-Ange et d’autres figures célèbres
sont illustrées tout au long de la suite.
5.
Conclusion
Durant les dernières années de sa vie, Pablo Picasso retravaille de manière
intensive le thème de l’érotisme, fortement lié, dans «la suite des 347», au thème du
voyeurisme. Cette seconde thématique, d’une grande importance dans ces ultimes
gravures est visible dans la planche 191 notamment (ill.14), sur laquelle l’artiste trace
le trait de la direction du regard de chacun des personnages. Derrière la femme et le
mousquetaire, ce tient discrètement la Celestina et au mur est accroché le tableau
d’un vieillard. La relation regardant-regardé ne pourrait être plus présente que dans
cette œuvre.
8
Nicole MINDER (éd.), Picasso... p. 39.
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6. Bibliographie
Jean ADHÉMAR, la gravure, Paris : Presse Universitaires de France, 1972.
Anne BALDASSARI, L’ABCdaire de Picasso, Paris : éd. Flammarion, 1996.
Elke Linda BUCHHOLZ et Beate ZIMMERMANN, Pablo Picasso. Vita e opere, Köln :
Könemann, 1999.
Jean CLAIR et al., Picasso érotique, Connaissance des arts Numéro hors série, s.l. :
Société française de promotion artistique, 2001.
Fernando DE ROJAS, La Celestina, s.l.: Plaza & Janes, 1984.
Karen KLEINFELDER, The artist, his model, her image, his gaze. Picasso’s pursuit of
the model, Chicago: The University of Chicago Press, 1993.
Nicole MINDER (éd.), Picasso: les « 347 », collection de Jean Planque, Vevey :
cabinet cantonal des estampes, 2001.
Giorgio SOAVI, Picasso. 347 immagini erotiche, Milano : Gabriele Mazzotta editore,
1982.
Margherita ZIZI, Picasso. 200 capolavori dal 1898 al 1972, Milano: Electa, 2001.
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