Nous avons testé pour vous : « le Championnat du Canigou »

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Nous avons testé pour vous : « le Championnat du Canigou »
Nous avons testé pour vous : « le Championnat du Canigou »
Contrairement à ce que pourraient penser certains, ce n’est pas un
concours pour celui qui mangera le plus de ragoût pour chien en 1 heure
! Quoique l’idée ne soit pas si saugrenue, Canigou signifiant « dent de
chien » en Catalan. Mais ces esprits taquins n’ont certainement jamais
vu le Canigou., surnommé l’Olympe des Catalans. Il faudra d’ailleurs
qu’un jour j’aille faire un tour en Grèce pour vérifier cela (un copain
m’a signalé qu’ils organisaient également un trail dans ce coin-là !).
Bref, notre majestueuse montagne culmine à 2784 m. d’altitude et est
visible d’une centaine de kilomètres à la ronde. Que vous visitiez
Carcassonne, les châteaux cathares ou que vous preniez un bain de pieds
sur le littoral perpignanais, sa silhouette ne peut vous échapper.
Après mes pérégrinations dans l'Ultra Champsaur l'année passée (relire le fameux épisode de la série "nous
avons testé pour vous"), j'avais décidé de refaire mes gammes "montagnardes" sur une course plus humaine.
Après avoir fixé la période et le type des vacances familiales ("après les Alpes de l’an dernier, Papa, cette
année tu nous emmènes à la plage hein?!"), le Championnat du Canigou s'imposait à moi de manière
évidente. Soixante kilomètres seulement séparent Port Barcarès, station balnéaire bien connue entre
Narbonne et Perpignan, de Vernet-les-Bains, station thermale de montagne accueillant, à 665 m. d'altitude,
le départ et l'arrivée de la course.
Après une première semaine de vacances, émaillée de
magnifiques sorties d'entrainement dans les Corbières, nous
consacrons notre samedi à aller chercher mon dossard et visiter
l'abbaye du Canigou. Cette escapade fut bien utile pour me
rendre compte du temps de trajet à réaliser le lendemain. De
plus, l'abbaye n'étant accessible qu'à pied, la balade me permit
de tâter le terrain et de visualiser ce qui m'attendait le
lendemain. Chance : malgré le bulletin météo plutôt
pessimiste pour le WE, ce samedi est ensoleillé et nous permet
d'admirer un des plus beaux joyaux de l'art roman, dans un
cadre sauvage qui favorise certainement la méditation.
Dimanche 7 août : lever à 4.30 H., le départ de la course étant programmé à 7.00 H. Cet horaire matinal est
tout à fait justifié par les chaleurs enregistrées normalement à cette période de l'année. Aujourd'hui,
malheureusement, la météo ne s'est pas trompée : le pic du Canigou est dissimulé par les nuages et la
température est plutôt fraîche ; Mimi et Loïc iront visiter un parc animalier en attendant mon arrivée. A
Vernet-les-Bains, je retrouve avec plaisir Marc Hoste qui, sans concertation préalable, avait également
décidé de participer à cette course mythique.
Le qualificatif n'est pas trop fort. Cette épreuve fut organisée la première fois en 1905, en hommage aux
porteurs qui, durant tout l'été, faisaient des allers et retours entre la vallée et le sommet, chargés de plusieurs
dizaines de kilos de glace extraits au glacier du Canigou. Aujourd'hui encore, une course spécifique, avec
une charge de 8 kilos sur le dos, est toujours organisée. Et puis, combien de courses peuvent se permettre
d'afficher des passages aux noms aussi évocateurs que "la cheminée"? De celle-là, tout le monde en parle
au départ et a hâte de vérifier si ce surnom n'est pas un peu exagéré (après tout, on est dans le Sud !). En
tous cas, ses 35 km et 2250D+ en font l'un des trails les plus difficiles de France. Dix-huit km d'ascension et
17 de descente : attention aux quadriceps !
7.00 H.: le peloton est lâché. Deux kilomètres et 100D+, sur une route goudronnée jusqu'au village de
Casteil, histoire d'étirer le peloton. Je pars très prudemment avec Marc mais, dès les premiers lacets, celui-ci
ne se sentant pas bien, nos routes se séparent. A Casteil, je m'amuse des expressions de gens en peignoirs,
ouvrant leurs volets, surpris de découvrir l’énorme peloton envahissant leur village.
C'est ici que les choses sérieuses commencent. Le ciel est bas, menaçant et gris. La route fait place à un
petit chemin qui serpente dans la forêt jusqu'au col de Jou : 2,5 km avec une pente moyenne de 16%.
J'adopte immédiatement une alternance marche/course et dépasse plusieurs concurrents. Le chemin devient
ensuite une piste empierrée, toujours sous le couvert des arbres. La pente s'accentue encore (1,6 km à du
19%). Nous sommes dans la brume puis, brusquement, au dessus des nuages : le soleil nous réchauffe enfin.
Des bruits de cloches ! Est-ce un berger qui descend avec son troupeau ? Non! Ce sont les premiers
supporters catalans, super-enthousiastes qui nous encouragent. La pente s'adoucit et nous arrivons au refuge
des Marialles, porte des alpages et lieu du premier ravitaillement (9 km et déjà 1068D+ !). Le paysage
change radicalement : nous sommes sur un plateau de pelouses et le pic du Canigou se dresse devant nous.
Le sentier conduisant à la cabane Arago, lieu du 2ème ravitaillement, est un vrai bonheur. Plutôt technique
avec ses nombreux cailloux, la légère pente nous permet de courir en dosant notre effort. Deux petits
torrents à traverser et une végétation luxuriante nous permettent de profiter des paysages splendides. Seul le
fond de la vallée n'est pas visible, caché par les nuages se trouvant en-dessous de nous. Nous croisons de
nombreux randonneurs dont les encouragements trahissent l’origine : venga, venga !
Après 14,4 km, voici la cabane Arago, à 2.141m d'altitude. Il est 9.30 H. et je suis surpris par le monde à cet
endroit : autour du refuge, les pelouses sont envahies de tentes de randonnées. La majorité appartient à des
supporters, montés la veille ; ils nous attendent sur les pentes du Canigou. Et c’est au travers d'une haie
d'honneur et d’un tonnerre d'applaudissements que nous passons, émerveillés par la chaleur de l’accueil :
wouaouw, quelle ambiance ! Le Canigou est toujours là mais de légers nuages s’attroupent autour du
sommet. Le vent se lève et le froid s'intensifie à mesure que l'on monte.
Une dernière pelouse, de jolies vaches blanches qui, tout en broutant, nous regardent passer et voilà enfin
"la cheminée" qui se profile parmi un énorme pierrier. C’est une sorte de faille dans la roche qui mène au
sommet. Elle semble proche mais je mettrai encore une petite heure pour parcourir en marchant les 3,4 km
qui nous séparent (18 % de pente moyenne !). Les nuages deviennent plus denses, l'oxygène se fait plus
rare, mes doigts s'engourdissent et j'ai froid. Je protège mes oreilles avec mon "buff". De nombreux
supporters sont assis dans la pente, emmitouflés dans leurs doudounes, gants et bonnets : "Allez les gars ! Il
y a 6 degrés, vous êtes supers !". Je pense, moi, que ce sont eux qui le sont d’attendre ainsi dans le froid
pour nous soutenir et nous encourager.
Je finis par arriver à la cheminée et comprends enfin son nom : nous devons carrément escalader les 350
derniers mètres en nous aidant des bras. Je dois tordre la tête vers le haut pour voir le sommet et regarder
mes pieds pour apercevoir les poursuivants. Mais au bout de cette cheminée, nouvelle haie d'honneur et
satisfaction d'avoir vaincu les 18 km et 2.250 m de dénivelé en 3h30'. Je ne manque pas d'aller toucher la
croix (2.784 m d'altitude), geste sensé porter bonheur. Pour le paysage, malheureusement, c’est raté : tout
est bouché par les nuages qui nous ont envahis.
Je ne traîne pas et bascule sur l'autre versant de manière prudente : nous sommes toujours dans le pierrier et
il faut bien lever les genoux pour éviter de buter sur les cailloux. Très vite, après 3 km, les quadriceps sont
déjà en feu et je dois ralentir l'allure pour éviter que les crampes ne surgissent. Des concurrents me
dépassent : j'admire, impuissant, leur agilité. C'est clair que, si j'ai bien progressé en montée depuis un an,
je dois encore m'améliorer en descente. La pluie s'invite : d'abord un léger crachin qui, en s’intensifiant,
rend les rochers glissants et la descente beaucoup plus délicate.
Après 4 km, le chalet des Cortalets marque la transition entre les alpages et la forêt, à 2.150 m d’altitude.
De ce côté-ci aussi, de nombreux supporters, montés la veille, nous gratifient d’encouragements chaleureux.
Le sentier dégringole ensuite entre les arbres. Au refuge de Balatg, je pense avoir parcouru le plus dur : 8
km de descente à 11 % de pente moyenne. Mais, celle-ci s'accentue encore brutalement : 19 % pour les 2
km suivants ! Freiner et avoir mal aux jambes ou se lâcher au risque de jouer au capitaine Haddock dans
Tintin au Tibet; là est la question que je n'arrive pas franchement à trancher.
"Arrivée - 8km" : je suis surexcité et me sens en pleine forme. Je dépasse un coureur pris de crampes.
Mais, très vite, mon tour arrive sans prévenir. C'est l'arrière de la cuisse qui se bloque et la douleur
augmente encore lorsque je m'arrête. Après quelques timides pas, elle disparaît et je me remets à courir plus
prudemment. Un km plus loin, nouvelle alerte : je me tords la cheville droite, cette fois. Traversant une
garrigue, le chemin poussiéreux est rendu fort glissant par la pluie.
Encore un km et j'atteins "les citernes", sorte de grandes vasques creusées par le torrent dans le granit.
L'endroit est magique. Le temps de me dire que ces rochers glissants sont aussi particulièrement dangereux
et zipppp… mon pied gauche file en avant alors que le droit reste bloqué : je tombe lourdement sur le genou
droit. La douleur est atroce et je me relève tant bien que mal. A peine debout, re-zippp… les deux pieds
cette fois-ci glissent en avant sans crier gare : poignet droit et épaule gauche tordus... je suis sonné. Le
concurrent suivant s'arrête gentiment pour prendre de mes nouvelles. Après avoir repris mon souffle, tâté et
testé mon genou, je le rassure et repars clopin-clopant. Repensant à mes chutes, je me dis que si elles
avaient été filmées, elles étaient dignes de passer à vidéo gag.
Enfin, j'aperçois la route goudronnée : il ne reste qu’1 km. Fatigue ? Déconcentration ? Les deux sans
doute car je me tords la cheville droite pour la deuxième fois, un "crac" audible accompagnant cette
nouvelle torsion. C’en est trop, cette fois : j'hurle de douleur. Des spectateurs et un concurrent
m'encouragent à essayer de courir afin que la cheville ne gonfle pas immédiatement. Assez curieusement,
leur conseil est bon et j'arrive à rejoindre la ligne d'arrivée. Que c'est bon de retrouver les sourires de Mimi
et Loïc, surtout après autant de déboires en si peu de temps. 5h22’, juste au milieu du peloton : j'ai
l'impression d'avoir réussi ma course malgré mes mésaventures finales. Une gloire du coin, Jacques Nou,
âgé de 58 ans et ancien vainqueur de la course me le confirmera. Selon lui, je peux être fier de ma
prestation car arriver en moins de 5h30' n'est pas donné à tout le monde.
Le rituel de la douche passé, je me présente à l'infirmerie. Un gros œuf de poule a eu le temps de pousser
sur la cheville. Un kiné me manipule et arrive à croquer mon poignet pour lui rendre un peu de souplesse.
Par contre, en ce qui concerne la cheville, ce sera peine perdue et je m'en sortirai avec un gros strapping.
Mimi, Loïc et moi ayant grandement envie de nous retrouver, nous optons pour un resto à Villeneuve-deConflent, petit village piétonnier tout à fait charmant, situé en-dessous de Vernet-les-Bains. Nous y sommes
accueillis très chaleureusement et c'est tout juste si la patronne ne me prend pas dans ses bras lorsqu'elle
apprend que je viens de terminer le Championnat du Canigou. Comme j'ai pu m'en rendre compte tout au
long de la course, c'est un véritable événement dans le coin et chaque "finisher" est un petit peu considéré
comme un héros.
Alors ? A recommander ? A refaire ? Eh bien, oui, sans hésitation ! Par beau temps de préférence. C'est
vraiment une course ex-tra-or-di-nai-re, tant par sa beauté que par l'engouement des spectateurs qui rappelle
un peu, toute proportion gardée, le public de l'avenue de Tervueren lors des 20 km de Bruxelles. C’est
certainement l’un des trails où il y a le plus de spectateurs !