LE DYNOSAURE MOLDAVIEN : LA TRISTE HISTOIRE DU

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LE DYNOSAURE MOLDAVIEN : LA TRISTE HISTOIRE DU
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LE DYNOSAURE MOLDAVIEN : LA TRISTE HISTOIRE D'UN SERVICE DE
RADIODIFFUSION PUBLIC
Artur Corghencea
L'histoire du service public de la radiotélévision de Moldavie a deux origines. La
première histoire remonte à la genèse du jeune Etat de Moldavie, il y a de cela douze ans.
Dès le lendemain de la proclamation de son indépendance, le nouveau Parlement avait
adopté, avec les autres emblèmes de l'Etat - drapeau, hymne et Constitution - une Loi sur la
compagnie de radiodiffusion nationale, appelée TeleradioMoldova. Le premier article de
cette Loi stipule : "La compagnie étatique TeleradioMoldova est une institution de
radiotélévision publique qui..."
La première histoire
Dans la fièvre des évènements qui devaient changer la vie de l'ensemble du pays, et
du monde en général (1989-90!), les députés moldaves, manquant d'expérience, avaient
oublié le petit rien qui fait la différence. Même un laïc sait que les termes 'étatique' et 'public'
sont tout à fait distincts et susceptibles parfois de s'exclure l'un et l'autre. Quoi qu'il en soit, la
loi a été adoptée et la Radiotélévision d'Etat publique a continué à émettre. C'est à dessein
que nous parlons de "continuité", vu qu'il s'agissait en fait de la même Gostelradio de la
République socialiste soviétique de Moldavie, mais sous un nouveau nom et sans que rien
n'ait vraiment changé. La seule véritable différence était dans le bulletin d'information, où
étaient présentées des positions nouvelles, des opinions différentes, tout cela avec un très
grand enthousiaste. Malheureusement, la situation a ensuite empiré d'année en année...
La deuxième histoire
La seconde histoire a commencé cette année. Au mois de janvier, l'un des partis
parlementaires de l'opposition - le Parti populaire chrétien-démocrate, a organisé de grandes
manifestations contre la langue et la politique d'éducation de la majorité parlementaire. (Je
dois rappeler ici que le Parlement moldave compte 101 sièges, dont 71 appartiennent au
Parti communiste moldave de gauche, 19 à l'Alliance centriste Social-démocrate et 11 au
Parti populaire chrétien-démocrate, de droite. Le Président de la Moldavie est le leader du
parti communiste et le premier ministre a lui aussi été désigné par ce même parti.
Plus de 30.000 personnes se sont rassemblées tous les jours pendant environ trois
mois sur la Place centrale de la capitale, exigeant que l'on mette fin à cette politique. Ces
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trois mois ont représenté pour tous les mass médias de la capitale Chisinau une véritable
aubaine, car il y avait une histoire à raconter!. Pour tous les médias - sauf un - la
TeleradioMoldava publique et étatique. Pas un seul reportage sur les manifestations n'y a
été diffusé, bien qu'il s'agisse de la seule télévision moldave couvrant l'ensemble du territoire
du pays, et aussi l'unique station de radio dont le signal peut partout être capté.
Deux mois plus tard, au mois de mars, les manifestants ont quitté le centre de
Chisinau pour ses environs... devant la télévision nationale. Le jour même, environ deux cent
employés de TeleradioMoldova (sur 1.500) ont déclaré une grève générale et ont cessé
d'émettre. Ils diffusaient leurs reportages à partir de la rue et c'est ainsi que de nombreux
Moldaves ont appris, pour la première fois, qu'il y avait une grève à Chisinau.
Le pouvoir a eu l'intelligence de ne pas utiliser la force contre les grévistes, ni dans la
rue, ni à l'intérieur de la TeleradioMoldova (TRM). Pourtant, selon la rumeur, telle avait été
leur intention, et ce bruit s'est encore renforcé lorsque le Ministère de l'éducation et des
affaires intérieures s'est retiré du Gouvernement, au mois de mars. Néanmoins, la tactique
utilisée contre les grévistes était beaucoup plus subtile - ceux qui étaient dans la rue ont été
abandonnés à eux-mêmes. Un courant opposé s'est alors formé à l'intérieur de la TRM,
dénonçant les grévistes de la TV.
L'instabilité politique en Moldavie a fini par attirer l'attention des organisations
internationales, et plus particulièrement du Conseil de l'Europe. Deux représentants de ce
Conseil sont venus en Moldavie pour faire le point de la situation et envoyer un rapport à
Strasbourg.
Et voici l'une des fins. Le 24 avril, et pour la deuxième fois dans son histoire (après la
Fédération de Russie et la Tchétchénie), le Parlement du Conseil de l'Europe (PACE), a
examiné le fonctionnement des institutions démocratiques d'un pays-membre de ce Conseil la République de Moldavie - et adopté une résolution contenant quatorze recommandations
adressées aux autorités moldaves. L'une des plus importantes se rapportait à la
TeleradioMoldova. Ce document enjoignait les autorités moldaves à procéder à la
restructuration de cette compagnie de radiotélévision pour la transformer en une véritable
compagnie publique, et ce avant le 31 juillet.
Loi sur la radiodiffusion publique
Quelqu'un aurait pu penser : "o.k., voilà, c'est la fin", mais...ça ne l'était pas. Bien que
certains des dirigeants aient déclaré que le PACE avait émis des recommandations et non
des sommations, le 26 juillet, à Chisinau, le Parlement a adopté une LOI SUR LA
RADIODIFFUSION PUBLIQUE. L'un des premiers articles de cette Loi stipule ::
"TéléradioMoldova est non lucrative, son fonctionnement est autonome et elle mène une
politique rédactionnelle indépendante (...). Elle est tenue de respecter le droit des citoyens à
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l'information, en présentant de manière impartiale et objective la vie sociale et politique
intérieure et extérieure grâce à la libre expression des idées et opinions et la libre circulation
de l'information".
Après sa restructuration, la Compagnie devrait être gérée par un Conseil
d'Observateurs chargé de nommer le Conseil d'administration et le Directeur général de la
Compagnie. Tout cela semble parfait, mais la suite ne l'est pas. Aux termes de la loi, le
Conseil des observateurs est composé de quinze membres, nommés à la proportionnelle par
le Président, le Parlement et le Gouvernement. La "nouvelle" compagnie est toujours
financée par le budget de l'Etat, adopté, de toute évidence, par les organes législatifs et
exécutifs.
Et si les pouvoirs disposent de deux armes importantes leur permettant d'influer sur
l'activité du Service de la radiodiffusion publique - administrative et financière - comment en
garantir "le fonctionnement 'autonome et la politique rédactionnelle indépendante" ? Il
s'agirait en fait de la même Compagnie étatique publique, avec une différente structure
administrative. Quant aux obligations de la TV et de la radio dictées par la Loi, il serait très
difficile de prouver devant la Cour que la RTV moldave a diffusé hier, ou il y a deux
semaines, ou même diffuse tous les jours - des informations partiales et tendancieuses. Cela
reviendrait à accuser un journaliste de n'avoir pas respecté l'éthique du journalisme. Le fait
que ces deux obligations aient été inclues à la loi soulignent la tendance des autorités à
essayer de conserver leur contrôle sur l'unique média couvrant l'ensemble du territoire du
pays. Car l'obligation de présenter une information claire, impartiale et objective fait
généralement partie de la réglementation intérieure de toute radiotélévision publique (par
exemple, le Manuel des producteurs à la BBC ).
Sans doute le Secrétaire général du Conseil de l'Europe Walter Schimmer et les
leaders de l'opposition moldavienne se sont posé la même question lorsqu'ils ont envoyé, il y
a de cela deux mois une lettre au président de la Moldavie. Dans sa lettre, Walter
Schwimmer suggérait aux autorités de Chisinau d'amender la Loi sur la RTV publique, afin
d'inclure la société civile à la gestion de la nouvelle TeleradioMoldova. L'idée étant que si la
compagnie devenait publique, elle devait être contrôlée par le public.
On n'a pas répondu à cette lettre et il n'y a eu aucune déclaration officielle. Jusqu'au 26
septembre, lorsque l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a étudié la mise en
œuvre, par les pouvoirs moldaves, de la résolution du 24 avril. Les députés européens ont
adopté une nouvelle résolution, recommandant de nouveau aux autorités moldaves
d'accorder plus d'attention au processus de restructuration de TeleradioMoldova et
demandant à ce qu'il soit terminé avant le mois de décembre 2002. A Chisinau, les
dirigeants ont répondu que ce serait chose faite.
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Pourtant, rien n'a bougé jusqu'à présent. Il reste moins d'un mois et il n'y a eu aucune
proposition ou nouvelle initiative législative de la part du Parlement.
Certaines propositions ont été faites par la société civile, surtout par des ONG de
journalistes - l'Union des journalistes de Moldavie, l'Association de la presse indépendante,
etc.. D'une manière générale, ces projets proposent d'utiliser le modèle de financement de la
RTV publique de la Grande-Bretagne - à savoir que tout propriétaire d'un téléviseur devra
verser une petite somme mensuelle destinée à la RTV publique. Les employés de
TéléradioMoldova éliraient la direction de la Compagnie, et il pourrait aussi y avoir, au sein
de l'organe exécutif suprême, un ou deux représentants nommés par les pouvoirs. Les
journalistes ont déclaré que ce sont là des standards généralement respectés par les
organismes des radiodiffusions publiques du monde entier, qui devraient être adoptés par le
Parlement, s'il désire vraiment créer une radiodiffusion publique en Moldavie. Néanmoins, il y
a là un mais. C'est un fait connu que les pouvoirs essayent toujours de contrôler les mass
médias les plus influents de la société, ce qui se voit malheureusement confirmé dans le cas
de la Moldavie.
Et les seuls à en souffrir sont les Moldaviens (un million environ), qui une fois rentrés
chez eux après le travail, n'ont qu'une idée - enlever leurs chaussures et s'effondrer devant
leurs téléviseurs.
Artur Corghencea, diplômé de journalisme et communication, reporter à
Pro TV Chisinau. Traduction: N. D. © Media Online 2002. All rights reserved.