Musée d`art moderne de Lille Métropole
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Musée d`art moderne de Lille Métropole
74-81 LAM LILLE jb 22/09/10 16:51 Page 74 R É A L I S AT I O N S Extension du musée d’Art moderne de Lille Métropole Architecte : Manuelle Gautrand - Texte : Françoise Fromonot Après plusieurs années de travaux, le musée d’Art moderne de Lille a rouvert fin septembre sous une nouvelle appellation, le LaM. Manuelle Gautrand a réalisé pour les collections d’art brut une extension du bâtiment initial de Roland Simounet (1927-1996) dont elle a également rénové l’intérieur. On prête à l’architecte anglais William Burges, lauréat en 1856 d’un concours pour la reconstruction de la cathédrale de Lille qu’il ne réalisa pas, l’énoncé de trois règles de conduite en or : 1. Get the job, 2. Get the job, 3. Get the job. Ce judicieux conseil laisse de côté un détail : remporter l’affaire, certes, mais comment ? L’art est aussi dans la manière. Il existe peu de documentation sur Roland Simounet, mais quiconque parcourt ses bâtiments se doute que la facilité n’était pas sa muse. En 1978, il avait gagné la consultation lancée par la Communauté urbaine de Lille pour abriter la donation Masurel, plus de 200 tableaux et sculptures modernes et contemporains. Le collectionneur exigea de profondes modifications. Simounet redessina son projet avec le même 74 D’ARCHITECTURES 194 - OCTOBRE 10 vocabulaire inflexible et termina en 1983, au terme d’un chantier terrible, le bâtiment que l’on peut redécouvrir aujourd’hui. Installé au sommet d’une légère déclivité, en limite du parc urbain de Villeneuve-d’Ascq, le musée déploie son ordre constructif suivant deux entités reliées par une entrée commune. Comme certains structuralistes néerlandais, Aldo van Eyck par exemple, auquel il a été parfois comparé, Roland Simounet joue avec un art consommé de la structure modulaire du plan pour inciter à la liberté de parcours. Le matériau à la fois industriel et vernaculaire qu’est la terre cuite est décliné en deux versions : la brique pour les murs et le carrelage pour les sols, répartis selon différents niveaux ouverts reliés par des rampes. Après son magnifique musée de la Préhistoire de Nemours, l’architecte donne ici sa définition du musée d’art moderne : un lieu où la fluidité de l’organisation spatiale, la rigueur de la construction matérielle et l’économie de sa lumière naturelle se conjuguent pour servir la rencontre entre les visiteurs et les œuvres. DÉBUT DE SIÈCLE En 1999, l’association franco-belge L’Aracine léguait au musée une collection considérable d’art brut. Jean Dubuffet avait baptisé ainsi ces « ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique », internés psychiatriques, paysans s’adonnant au spiritisme ou bricoleurs de banlieue. À la suite des surréalistes, il y voyait des manifestations spontanées d’une créativité humaine fondamentale préservée du risque de la convention et de l’académisme : un « art des imbéciles », disaitil avec gourmandise. Le projet d’extension destinée à ces œuvres demandait de réfléchir à au moins deux questions épineuses : quelle relation établir avec le bâtiment existant, du reste classé à l’Inventaire, et plus largement avec le site qu’il avait fabriqué ? Et comment débrouiller par l’architecture le stimulant paradoxe inscrit dans le programme, à savoir l’entrée au musée d’un art rétif par définition à cette sacralisation ? Le choix de Manuelle Gautrand pour traiter de ces délicats problèmes (voir d’a n° 127, mars 2003) se comprend mieux avec un bref 74-81 LAM LILLE jb 22/09/10 16:51 Page 75 ^ En limite et en surplomb du parc du Héron, le LaM déploie les volumétries agrégatives dessinées par Roland Simounet et les formes naturalistes de l’extension conçue par Manuelle Gautrand. < L’ordre constructif du musée d’Art moderne associe la brique, déclinée en murs, colonnes et pilastres, à des linteaux de béton brut. Le système permet de moduler à volonté les relations visuelles entre l’intérieur et le paysage. La complexité des volumes et des façades qu’il engendre ne compromet pas l’unité d’ensemble. L’approche du musée depuis l’entrée se fait de manière latérale, en longeant la partie administrative, puis par ascension frontale vers l’accueil vitré. > © EC © EC © Max Lerouge - LMCU D’ARCHITECTURES 194 - OCTOBRE 10 75 74-81 LAM LILLE jb 22/09/10 R É A L I S AT I O N S 16:51 Page 76 > E X T E N S I O N D U M U S É E D ' A RT M O D E R N E D E L I L L E M É T R O P O L E < Plan de sol : l’extension occupe le terrain jusqu’à ses limites. Sa forme de « bras » relie la conservation aux nouveaux espaces logistiques, à gauche. Les salles d’exposition logées dans les « doigts » sont raccordées en deux autres endroits à celles du musée d’Art moderne. V Coupe en long : les toitures en pente continues et opaques de l’extension contrastent avec les variations de hauteur et les lanterneaux vitrés du musée d’origine. > Les volumes organiques du concours se sont transformés en boîtes de béton couvertes en bac acier. Pour renforcer la continuité des façades, les panneaux perforés en Ductal® qui masquent les ouvertures filent au nu du béton banché des parties pleines, imprimées en bas-relief avec un motif décoratif identique. Les tons rosés ou verts des lasures de finition visent à adoucir l’ensemble. détour historique. En ces temps reculés – cinq, six ans avant la crise de 2008 – l’organique est très à la mode et l’architecture dite « numérique » se porte bien. Ses recherches, ses débats techniques et théoriques, mais surtout ses figures et ses formes, l’ont hissée au rang de nouvelle avant-garde. Les maires, les promoteurs et même des industriels, qu’ils caressent l’espoir d’améliorer leur image de marque ou qu’ils espèrent réitérer l’effet Bilbao, invitent les quadras les plus en vue de cette mouvance à toutes les consultations qui comptent. Le jeune tandem de Foreign Office Architects vient de livrer le terminal maritime de Yokohama, considéré comme une démonstration en vraie grandeur des nouvelles possibilités de la CAO ; avec Greg Lynn et Ben van Berkel, ils sont invités à proposer de nouvelles tours pour Ground Zero. Tandis que le blob de Future Systems pour le grand magasin Selfridges ouvre à Birmingham, Zaha Hadid entame la réalisation du musée d’Art moderne de Rome, le désormais célèbre Maxxi, remporté 76 D’ARCHITECTURES 194 - OCTOBRE 10 en 1998 en association avec le théoricien du parametric design Patrik Schumacher. À Paris, ce sera bientôt l’exposition « Architectures non standard » du centre Pompidou (2003), montée par l’ex-directeur du Frac Centre passé au CCI, Frédéric Migayrou ; puis à Venise, une Biennale d’architecture placée peu ou prou sous la même enseigne (« Metamorph », 2004) par l’historien de l’art Kurt W. Forster. S’il s’institutionnalise, le bouillonnement esthétique engendré par cet engouement s’étale également dans les catalogues de styles comme le magazine Wallpaper, où certains architectes et leurs clients vont puiser leurs références. RETOUR À LA RACINE Pour l’extension pourtant modeste du musée d’Art moderne, la Communauté urbaine de Lille va alors lancer un concours de maîtrise d’œuvre international (il opposera en fait quatre équipes françaises et une belge), réservé à de jeunes talents (moins de 45 ans, pour « changer de génération »). Le jury s’est adjoint pour consultant Aux origines du « concept » : l’analogie avec une « racine » (croquis de Manuelle Gautrand) ; le parti de Zaha Hadid pour le Maxxi de Rome (projet : 1998). Ci-dessous, la maquette de présentation en bois et plexiglas réalisée après le concours. 74-81 LAM LILLE jb 22/09/10 16:51 Page 77 © EC > © Max Lerouge - LMCU D’ARCHITECTURES 194 - OCTOBRE 10 77 22/09/10 R É A L I S AT I O N S 16:52 Page 78 > E X T E N S I O N D U M U S É E D ' A RT M O D E R N E D E L I L L E M É T R O P O L E ILLUSIONS PERDUES © EC À visiter aujourd’hui l’ensemble achevé, on constate qu’est arrivé ce qui était à craindre : les hypothèses toutes rhétoriques qui avaient emporté l’affaire – get the job – n’ont pas survécu à la mise en œuvre. Parfois pour le meilleur : à l’embarrassante métaphore de la racine, la terminologie officielle a substitué celle d’un bras « qui vient enserrer l’existant », prolongé par une main dont chaque salle serait un doigt. Mais en fait d’anatomie, les volumes organiques souples, d’apparence unitaire promis par la maquette en plexiglas mauve se sont traduits par des murs en béton et une toiture en bac acier, que trahissent en façade des couvertines omniprésentes. Au lieu d’effacement, l’épaule qui articule le nouveau bras au corps de bâtiment existant bouche l’horizon libre voulu par Simounet depuis l’accueil vitré. Et en guise de topographies naturelles, ce sont quatre © Philippe Ruault François Barré, lequel, après avoir quitté la Dapa au ministère de la Culture, a déjà joué ce rôle pour le concours de la Fondation Pinault sur l’île Seguin qui a vu la sélection surprise de Manuelle Gautrand. À 41 ans, celle-ci a déjà acquis une belle notoriété grâce à ses images concepts habiles, branchées en temps réel sur les frémissements tendanciels de l’époque, servies par un dispositif de communication performant. Si, pour son projet de Fondation Pinault, elle s’était inspirée de trouvailles néerlandaises déjà largement vulgarisées (plateaux décalés, rubans continus, polychromies acides…), son parti pour le musée de Lille reprend littéralement celui de Zaha Hadid pour le futur Maxxi. Un faisceau de lanières creuses cerne le bâtiment existant sur deux côtés consécutifs, en complément et en contraste avec sa trame orthogonale. La greffe s’étire pour relier les bureaux de la conservation, d’un côté, aux nouvelles salles, de l’autre ; tandis qu’elle semble prolonger naturellement la topographie du parc : « l’architecture peut être douce ». Son effacement relatif derrière l’ensemble de Simounet fait preuve d’une déférence envers le patrimoine qui rassure ses gardiens. Ses torsades en bouquet l’apparentent aux expérimentations les plus en vue du moment, un signe de bon augure pour un musée à la recherche d’un nouveau souffle. Le tout s’accompagne d’un bon slogan marketing (« une racine pour L’Aracine »), annonciateur de correspondances subtiles entre le contenant et son contenu. © EC 74-81 LAM LILLE jb 78 D’ARCHITECTURES 194 - OCTOBRE 10 22/09/10 16:52 Page 79 © EC 74-81 LAM LILLE jb ^ Le branchement de l’extension sur le musée d’Art © EC moderne barre la perspective depuis l’accueil et forme un patio non accessible. < Les ouvrants vitrés de la cafétéria sont condamnés par la résille fixe (mobilier provisoire, avant aménagement). V L’escalier qui la dessert débouche sur le mur en brique d’une ancienne façade du musée d’Art moderne. < En haut : la façade du « doigt » donnant sur l’interstice latéral avec le musée de Simounet. Au centre : le chevauchement des phalanges anime la volumétrie côté parc. En bas : extrados du « bras », à l’arrière du musée. Des plantes grimpantes doivent venir recouvrir la longue paroi qui longe l’allée John-Coltrane et fait face au quartier habité. © EC > D’ARCHITECTURES 194 - OCTOBRE 10 79 R É A L I S AT I O N S 16:52 Page 80 > E X T E N S I O N D U M U S É E D ' A RT M O D E R N E D E L I L L E M É T R O P O L E boîtes grises surmontées d’une cinquième que l’on découvre posées là, pour peu qu’on s’écarte de l’entrée pour aller vers le parc. En prévision des accrochages, les torsions initiales des salles ont été rectifiées. Afin de ménager des vues sur le parc tout en respectant le faible niveau d’éclairement exigé par les conservateurs, les baies vitrées placées à l’extrémité des « doigts » ont été doublées de moucharabiehs : en fait, des plaques en Ductal® perforé très épaisses. Cette solution rapportée après le concours est-elle inspirée par la résille, pour l’instant plus arachnéenne, de Rudy Ricciotti pour le Mucem de Marseille, apparue entre-temps dans les revues ? Ou par la façade trouée de la Maison de l’emploi de Saint-Étienne que construit Ricciotti non loin de la très attendue Cité des affaires de Manuelle Gautrand ? En ne laissant voir le parc que par ses capricieuses découpes, la résille du musée de Lille réduit le paysage au rôle de fond vague et décoratif. À l’extérieur, il a fallu toute l’ingéniosité de l’entreprise pour répéter en creux le même motif, qui s’imprime ici et là dans le béton brut des parties pleines. Et en guise de touche sensible, chacun des deux matériaux a reçu une lasure qui le moire de tonalités roses ou vertes. © Vincent Fillon 22/09/10 © Max Lerouge - LMCU 74-81 LAM LILLE jb L’intérêt des technologies numériques, on le sait, tient moins aux effets esthétiques qu’elles autorisent qu’à leur capacité potentielle à mettre en continuité l’engendrement virtuel des formes et leur fabrication matérielle. Ici, la réalisation est d’autant plus maladroite que l’architecte a dédaigné de poursuivre la conception dans la réalisation : ce que Simounet appelait justement « la créativité du chantier ». Un petit espace inutilisable en mezzanine 80 D’ARCHITECTURES 194 - OCTOBRE 10 © Max Lerouge - LMCU UNE OCCASION MANQUÉE Salles d’exposition d’art moderne dans le musée d’origine : à la variété des espaces d’exposition et de repos correspond la spécificité des conditions d’éclairement des œuvres. Dispensée par des exhaussements des toitures, la lumière zénithale peut capter les quatre orientations pour servir divers types de présentation. 74-81 LAM LILLE jb 22/09/10 16:52 Page 81 © Max Lerouge - LMCU © Max Lerouge - LMCU < Salles d’exposition d’art brut dans l’extension : la « paume » de la main constitue une large salle ouverte et peu éclairée ; les « doigts » qu’elle dessert contiennent des espaces longitudinaux plus étroits, orientés par la lumière directe qui filtre de la résille à leurs extrémités. d’une des salles occupe la boîte qui couronne les autres, construite sans doute pour suivre le profil de la maquette. Les panneaux de résille qui passent devant les baies vitrées du café condamnent les ouvrants donnant sur le patio. On ne cesse d’être gêné, ici par le raccordement brutal des nouveaux volumes à ceux de Simounet, là par le contresens du remplacement de certains sols d’origine par le même bambou que dans l’extension ; ailleurs encore par l’abandon, faute de moyens, des sheds prévus pour l’éclairage naturel des salles (un dégât collatéral de l’emploi du coûteux Ductal® malgré des coupes budgétaires imposées par la maîtrise d’ouvrage ?). Reste une collection d’œuvres extraordinaires dont la liberté, les convulsions, les obsessions froides ou ludiques qui les traversent nous émeuvent, nous déconcertent et nous provoquent. Elles vont devoir apprendre à habiter tant bien que mal de longs couloirs trop hauts, et nous à méditer cette occasion manquée d’inventer aujourd’hui, au prétexte et au bénéfice de l’art brut, le digne pendant de ce que Roland Simounet avait su offrir hier à l’art moderne. ! [ MAÎTRE D’OUVRAGE : LILLE MÉTROPOLE COMMUNAUTÉ – URBAINE MAÎTRE D’ŒUVRE DE L’EXTENSION DU MUSÉE ET DE LA RÉNOVATION INTÉRIEURE DE L’EXISTANT TOUGARD, : MANUELLE GAUTRAND ARCHITECTURES. YVES CHEF DE PROJET (COÛT : 20,3 MILLIONS D’EUROS TTC) – SCÉNOGRAPHIE DE L’EXPOSITION D’ART BRUT : RENAUD PIÉRARD – MAÎTRE D’ŒUVRE DE LA RÉNOVATION DES FAÇADES ET TOITURES EXISTANTES : © Max Lerouge - LMCU ÉTIENNE SINTIVE, ARCHITECTE DU PATRIMOINE (COÛT : 5,7 MILLIONS D’EUROS TTC) – PAYSAGISTES POUR LE RÉAMÉNAGEMENT DU PARC : AWP (COÛT : 1,7 MILLION D’EUROS (82,6 %), TTC) – FINANCEMENT : LILLE MÉTROPOLE DÉPARTEMENT DU NORD (6,7 %), EUROPE (5 %), ÉTAT (5,7 %) – SURFACES : EXISTANT, 8 400 M2 ; EXTENSION, 3 200 M2 – CALENDRIER : LANCEMENT DU CONCOURS, 2002 ; CHANTIER, 2006-2009 ] D’ARCHITECTURES 194 - OCTOBRE 10 81