Décembre 2015 - Guts Of Darkness

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Décembre 2015 - Guts Of Darkness
Guts Of Darkness
Le webzine des musiques sombres et expérimentales : rock, jazz,
progressif, metal, electro, hardcore...
décembre 2015
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Les chroniques
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BORIS : New Album
Chronique réalisée par (N°6)
Alerte ! Alerte ! Générique de fin ! Nouveau départ ! Opening crédits ! Boris, BORIS, oui, Boris, le trio
noise-doom-psyché-expé, celui de "Feedbacker", celui des collaborations avec Keiji Haino, Merzbow et Michio
Kurihara se lance dans le grand bain du racolage pop. Avec un grand J. Le J qui vient pour nous précéder les
substantifs rock et pop, leur prêtant un aspect repoussant bourré de clichés, une identité nationale allant bien
au-delà d'une simple considération géographique. Du J-rock ? De la J-pop ? Paye ton tube au voix claires, aux
refrains très "genki" (énergiques, qui donne la pêche quoi, pour faire de ton mieux, plus Japonais comme idée
tu meurs), prêts à l'emploi pour toute série d'anime, en ouverture ou en fermeture, le redoutable "Flare", boosté
par la production électronique de Shinobu Narita, donne le ton. Et puis on refait chanter Wata, la stoïque
doomstress de la six-cordes transformée en douce voix de dream-pop. Oui mais ça reste du Boris. A savoir, les
riffs sont toujours aussi puissants, les détours soniques sont innombrables et malgré les beats headbangant
idiotement, imprimant une base d'électro-pop à la substance, ça ne cesse pas de jaillir en tout sens, en
arc-en-ciel robotisés, en glougloutements joliment psychédéliques, en nappes bruitistes fleurant avec le
shoegaze voire le post-metal. Y zont tous mis dans la potion. Des chansons pop là où avant il n'était question
que de dégueuli garage-rock crasseux ou de longues dérives doomesque. Mais même sous ce format les trois
de Boris ne peuvent s'empêcher d'être des extrémistes et des expérimentateurs, à l'image des huit minutes
hallucinantes de Luna, improbable version pop d'un post-hardcore hyper-blasté lardé d'électronique
bouillonnante et de sons de cordes imaginaires, qui viennent contredire immédiatement l'idée que ce New
Album (renouant avec le génie du titre simpliste mais parfaitement évocateur du contenu) serait une version
commerciale de Boris. Ou alors on n'a pas la même notion de ce qui est vendeur. Ca faisait un bout de temps
qu'ils commençaient à tourner en rond sur le fameux psychédélisme de "Smile", et les versions déclinées de ce
nouvel opus en deux albums prouveront par la suite qu'ils avaient eu bien raison de ce lancer à fond dans une
nouvelle direction (autant Attention Please, l'album "dream-pop", conserve un charme indéniable, autant le
"Heavy Rock" violet sent la fatigue à l'exception des deux morceaux plus franchement doom). Wata chante
enfin, d'une voix détachée et sensuelle, et Takeshi a du bien profiter des effets de studio pour se planquer
derrière, n'ayant plus à beugler pour percer des strates de riffs maousses. Quoique c'est encore tout le son ici
qui assène sa pesanteur, c'est multi-couche, c'est du HD sonique, c'est de la grosse prod rutillante au service
d'un bordel pop cosmique qui n'est pas sans rappeler certains albums culte de Sheena Ringo. Quelques
moments de répits comme la longue balade "Pardon?" où Wata sort un solo floydien des familles avec cette
touche épicée qui arrache un peu sous le palais. Et beaucoup de machinerie high-tech où il s'agit de faire
tourner du chorus et du refrain imparable, souvent au bénéfice de la voix féminine, "Party Boy" ou "Spoon".
Quand ça envoie du beat en renfort d'un Atsuo volubile quand il faut, ça bastonne en affichant cette volonté
d'en foutre plein la gueule, rythme technoïde et voix robotisée, on frôle le voyage en Capsule. Boris savent très
bien jusqu'au aller trop loin, ne laissant passer aucune occasion de salir la trop belle image d'un riff bien
strident ou d'un bruitage indus sur les bords. Alors, de la J-pop, vraiment ? Ouais. Si Trent Reznor faisait de la
J-pop, peut-être. Je sais, c'est mal de faire du namedropping pour donner envie. Mais New Album est
finalement un truc tellement bizarre, à la fois pop, noisy, metal, techno, orchestral, qu'à un moment on s'incline
et on ferme sa gueule, ce que je ne vais pas tarder à faire moi-même devant mon incapacité à retranscrire
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efficacement la nature du bidule. Ca ne ressemble que de loin au vieux Boris, mais finalement ça y ressemble
encore beaucoup, parce que ça distribue les baffes avec une régularité et une puissance toute familière, parce
que Wata est toujours une reine dans sa nouvelle attribution à chanter derrière ses claviers, et que si on peut
apposer un J devant le rock de Boris, c'est en lui conférant une marque de noblesse et d'audace qu'il n'évoque
pas particulièrement, en tout cas vu de ce côté de la planète.
Note : 5/6
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ARGHOSLENT : Hornets of the Pogrom
Chronique réalisée par Rastignac
Est-ce que n’importe quel nervi aussi raciste qu’un papi du Ku Klux Klan peut s’adonner avec talent à l’art ?
C’est la jolie bizarrerie qui hante l’œuvre d’Arghoslent. Bon, c’est pas compliqué avec ce genre de groupe, on
peut tout à fait vomir en lisant les textes, le propos, le concept, on peut ne pas apprécier les mots employés
dans les interviews concernant les homosexuels, les noirs, les juifs, et une vision biologique de la population
mondiale. On a sûrement le droit de ne pas aimer cette lecture particulière du passé à base de "c’était quand
même mieux quand les blancs exterminaient ou foutaient en esclavage tout le monde, enfin surtout ceux
considérés comme plus faibles génétiquement parlant" - dixit les docteurs en biologie metal, ahah. On
appréciera ce t-shirt du groupe, ou non, représentant ce mec battant un esclave dans la cale d'un négrier. On
pourra aussi écouter en se bouchant un peu les yeux ce death très mélodieux, très bien composé, surbutant
d’énergie, obsédé par la guerre et la conquête, de forme épique et bourré de bonnes idées guitaristiques,
effaçant une voix un peu standard, la batterie elle en faisant des tonnes dans les petits roulements qui
déboulent dans tous les interstices - les poètes nommés ici Pogrom et Holocausto expliquant bien dans une
interview à lire en anglais que ce groupe est monté autour du riff, et que le reste est accessoire. On peut enfin
ressentir à la fois ces deux sensations, satisfaction auditive et répugnance face au scandale intellectuel
balancé par ces gros bœufs, et là c’est possible que ce soit le bordel dans la tête ma foi, mais bon, l’époque est
orwellienne as fuck, c’est quelque part un peu de l’entrainement pour la vie quotidienne à savoir s’amuser des
discours guerre=paix, amour=haine, etc. Bon, c’est pas la première fois que ça m’arrive en écoutant ce genre
de cinglés faire de la musique aussi bonne, cf. d’autres chroniques dans la catégorie Rastignac > metal
extrême, et finalement c’est un peu compliqué d’en échapper si on en croit par exemple cet interview de Famine
sur notre site à propos de la qualité intrinsèquement droitière du black metal. Et puis on est sur un site de
chroniques musicales, même si les œuvres sont traversées de tout un tas de courants non musicaux. Oh, et
puis voilà, je vais trancher pour vous, cet album est vachement bon, ravira ceux qui font des clins d’œil à tout
ce qui est pétaradant dans le death metal cheval cavalerie uhlan comme ça là plutôt que celui gros tank tout
d’acier, genre Grand Belial’s Key si vous en voulez encore du suprémaciste aryen US (des paradoxes en
spirales s’élèvent comme des fractales en fond d’écran de « bureau » windows…) ou bien encore Dissection si
vous en voulez encore des notes qui tombent du ciel comme une pluie maléfique, ou si vous aimez le thrash et
le death de super qualité avec des ritournelles heavy metal aussi, ou bien folk toutes les quinze secondes, le
diplôme de meilleur morceau riffeur étant attribué à l’éponyme sur cet album, instrumental, savoureux comme
un nasi goreng… Il est donc addictif ce dernier album en date du groupe (un autre est sorti depuis mais c'est un
split...), puissant, à écouter en courant (mais après personne SVP), de très mauvais goût et super bien foutu. Et
merde…
Note : 5/6
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Dadalú : Gato Naranja/Perro Amarillo
Chronique réalisée par Dioneo
Illusion possible du net : puisqu’on y trouve toutes sortes de coordonnées, recoupements, informations, on
croit facilement tout y comprendre, tout savoir en quelques liens. Mais c’est un grand nulle-part – un
"entre-tout", surtout. Ce qu’on en ramène ne nous dit souvent pas grand-chose. Ce qu’on en reçoit, aussi – je
veux dire : quand il s’agit d’œuvres, d’ouvrages mis là d’un point donné de la planète, à notre disposition –
n’est pas expliqué, parfois. Pas décodé. J'entends, bien sûr… en dehors des grosses machines à plans
marketing, viraux, pièges à clics. L’hystérique besoin de "buzzer" plus fort, toujours plus fort, par dessus les
autres criailleries, l’écran de pub à côté, à deux sauts d’hypertexte. Buzzer… Ce mot, à force, finit par
m’évoquer une alarme inutile qui vibre sans fin, en vient à irriter tellement qu’elle ne prévient plus de rien. Mais
certes… User du net, ce peut être, aussi, une façon de trouver du monde ailleurs, de par le monde, justement –
cette fois, en dehors de la course maladive à l’écoulement de produits, de la rentabilisation à tant de centimes
d’euros la connexion sur tant ou tant... ou tant de cents de dollars, ou… vous m’aurez compris – yens,
couronnes... de toute façon tout passe en un instant dans les convertisseurs. Faire autre chose, et que ça se
sache ailleurs, autant qu’ici, à côté, devant. Qu’il s’en trouve d’autres, plus loin ou juste là, pour saisir et
répondre… Je ne sais pas grand-chose de Dadalú. Qu’elle s’appelle Daniela, pour l’état civil, et qu’elle vit à
Santiago du Chili. Quelques articles – en espagnol, toujours ou presque – nous disent qu’elle sort des disques
en solo depuis 2009 ; qu’elle a été membre d'au moins deux groupes, avant ça : Celofan et Colectivo Etéreo ;
qu’elle a été fan de Nirvana, comme d’autres jeunes aux Amériques, en Europe, sans doute pas seulement…
Quelques morceaux d’un autre disque nous apprendrons qu’elle s’est aussi nourrie de Brutal Truth et
Sepultura. Sa musique, pourtant, est affaire de montages peu bruyants, assemblages aux modestes amplitudes
– claviers, quelques effets, parfois une guitare sèche. Elle bricole des clips, aussi (souvent assez... hasardeux,
il faut bien l'admettre), avec des amis. C’est un univers curieux. Elle emprunte au hip-hop plutôt qu’à ce métal
grondant ou chaotique juste avant évoqué. Elle rappe, souvent, de fait. Comme une non-rappeuse assumée,
mais – je crois – sans xième degrés, sûrement même sans ironie. J’ignore aussi ce qu’il en est du rap au Chili,
en passant… S’il existe une scène locale importante, active… Les quelques groupes à quoi j’avais pu prêter
l’oreille m’avaient semblés assez portés sur la copie des productions étasuniennes contemporaines – en son,
production, image, flow. Versant plutôt lourd et agressif. Je me dis que Dadalú, avec ses pistes instrumentales
toutes d’électronique pas chère, ses boucles qui saturent par moments comme si elles passaient, avant qu'elle
y place sa sa voix, dans un dictaphone, doit sembler décalée, dans ce milieu-ci. Je crois que de n’importe où,
sa musique sonnerait un peu étrange. Et puis aussi… Dotée de son charme propre. Assez piégeux, à vrai dire.
Car assez vite, passée l’impression première que tout est là "bouts de ficelles", on s’aperçoit en fait que le
détail est travaillé, chaque morceau fignolé dans sa modeste dimension de bout d’artisanat. Elle peut rapper –
très simplement, en mots qui paraîtront peut-être naïfs, presque enfantins ; ou vous la feront prendre pour une
sorte de hippie – sur les cinq sens, la promenade au dehors comme "antidote" aux foutaises télévisuelles, "ces
trucs qui marchent et dont on est si loin"… Elle peut vous dégainer un truc complètement poignant, touchant –
même sans tout comprendre, côté texte – qui s’appelle Ven Ven (Viens, viens), musique bizarre et brillante,
trame apparente, assemblage magnifique et risqué, limite, d’accordéon, de guitare sèche jouée toute en
dissonance, de boîte à rythme millésime… Peu importe, en fait, l’âge du matériel, du matériau – on dirait
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presque du Madvillain, cette courte chose comme enfumée, empoussiérée, mais séduisante. Elle peut
enchainer sur une piste sans voix – sorte de jazz-funk atmosphérique sans budget, avec pourtant de
magnifiques parties de cuivres, sur les synthés à trois balles – qui au lieu de tomber à plat va trouver cette zone
de tristesse lumineuse, jour déclinant ou chaleur d’aube qui cherche encore tout juste à naître, en dépit des
fatigues, des doutes. De fait… On entend sur ces deux "disques" – qui au vrai n’existent pas autrement que
sous forme de fichiers numériques – l’artiste qui avance. La musique se préciser en même temps qu’elle ose,
de plus en plus – d’une piste sur l’autre – des arrangements toujours plus étranges, une manière de plus en
plus maîtrisée de faire avec "peu" – matériellement –, de plus en plus juste. Il semble – en fouillant un peu, on
finit tout de même par débusquer quelques d’indices – que ces pistes aient été enregistrées entre 2003 et 2014.
C’est Oso El Roto – la tête curieuse, joueuse, type qui aime à les brouiller, je crois bien, les pistes… du netlabel
bordelais Los Emes Del Oso – qui les a réunis, les a sortis du disque dur de son amie Daniela pour les rendre
publics. Allez savoir, alors… Si cette impression d’entendre une progression, une affirmation qui cherche, se
trouve à mesure, n’est pas encore le fruit d’un séquençage fait pourtant au hasard, ou délibérément trompeur…
D’ailleurs… Il y a par exemple, vers la fin, ce morceau nommé Celofan – comme son ancien groupe, tiens… Et
dont l’une des versions semble jouée par ledit ensemble. Il y a, entre deux pistes dont on se dit que "ah oui, ça
se sophistique", de soudaines baisses de définition sonore, qui nous font douter de la chronologie… La suite
de sa discographie sera plus lisible, à cet égard, "objets" (toujours immatériels) – formats courts ou albums, et
chaque fois disponibles gratuitement sur son propre site ou ailleurs (Los Emes pour ces deux-là donc, free
music archive…) – plus précisément datés. C’est par la bizarre somme ci-présente qu’elle m’a d’abord intrigué.
J’y ai trouvé, j’y entends souvent quelques bijoux irréguliers, quelques bouts qui me parlent en face ou à
l’oreille, me font sourire, me refilent leur drôle de mélancolie, me passent leur questions, éclairent un instant
des inquiétudes profondes dites avec légèreté. J’aime de plus en plus Perro Amarillio, alors que j’avais d’abord
préféré Gato Naranja (respectivement Chien jaune et Chat Orange, au fait). Je me suis étonné, un moment, de
ne pas me lasser de ces drôles de chansons. Ça me va, maintenant, de me rendre compte que certaines pistes,
sur ces vingt-cinq là, continuent de me plaire plus à chaque écoute, de révéler des détails, de vivre leur vie
singulière. Certaines autres, certes, me sembleront sans doute toujours un peu trop ébauches, par contraste
aussi avec les plus abouties... Trop adolescentes, même – elle-même l'était probablement encore, au moment
de ses premiers essais, dont certaines de ces pistes sont sans doute. Et puis… Quelquefois s’en sont d’autres,
qui soudain, alors que la fois d’avant je ne les avais guère entendus, m’apostrophent, m’abordent. Je crois que
ça me plaît, aussi, de la trouver si changeante.
Note : 4/6
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Bloodthirst : Chalice of Contempt
Chronique réalisée par Rastignac
Du vin, du thrash, et du vin, c’est ce que propose Bloodthirst depuis quelques années, depuis sa Pologne
riante. Enfin, on devrait plutôt dire du thrash, du thrash, et du thrash pour cet album, du thrash et du black
aussi, parce que c'est le genre dominant, parce que ça saute aux oreilles tout de suite pour qui sait ce que ça
veut dire, mais surtout parce que c’est une sauce bien installée dans des clous inamovibles tout au long de
l’album, à savoir ce genre musical plutôt ponctué de gras et de voix gutturale, de transpiration, de passion et de
linéarité, et là, même quarante minutes deviennent un peu trop longues… parce qu’il faut savoir se l’envoyer
cet espèce de condensé de riffs interchangeables entre tous les morceaux, à croire qu’il y avait un morceau
originel, « Le Morceau », avec « Le Riff » d’intro, le riff du couplet, le riff du break, etc. Donc oui, c’est bien
fichu, c’est sombre, c’est pas beau et ça le revendique, c'est en opposition, antichrétien dans un pays très
chrétien mais thrash metal dans un pays très metal, et le rendu est un peu ennuyeux, ce qui fait que j'ai même
beaucoup de mal à parler d'un morceau en particulier plus que d'un autre, comme si en fait on écoutait une
pièce de 40 minutes de musique répétitive, alors que c'est pas trop ce que je cherche en écoutant du thrash.
Bon, oui, ok, la rythmique du genre fait que c'est assez inévitable d'avoir de la redite, mais il faut également une
part de folie et tout simplement de virtuosité quelque part pour changer un genre qui fête presque ses trente
ans aujourd'hui en quelque chose qui vaut le coup d’être vécu parce que ça n’existait pas, ou alors pas de la
même manière. Ici, bon, ça déroule, mais ça n’accroche pas, faut à une inspiration qui a dû tomber dans le
bidon de sang frais ou plutôt dans le tonneau de vodka… pour les amoureux DU riff, car si celui qui est proposé
ici vous sied, vous prendrez votre pied... quant à moi, bof. Ah, ce lancinant besoin de diversité...
Note : 2/6
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Gribberiket : Knefall
Chronique réalisée par Rastignac
J’aime bien Tom Waits, toute sa carrière, du piano bar romantique et humoristique à son espèce de carnaval
permanent qu’il entretient depuis swordfishtrombones : c’est cette dernière période qui me saute aux oreilles
quand j’écoute ce groupe. Pourtant c’est du black metal. Mais pas que : c’est du black metal chanson
désarticulée, un peu comme le fait Tom avec son jazz / rock / blues / opéra de quat’sous désarticulé. Premier
point là dessus qui serait rébarbatif pour certains : la voix, un peu « screamo », vachement poussée aux limites,
musicale par sa rythmique (si ça se dit), comme une espèce de scantion eructée. Un peu comme chez d’autres
groupes norvégiens qui tiennent à mettre leur copain autiste au micro, celui-ci va mettre le paquet sur la voix,
vraiment, une voix qui déclame, qui gueule, qui répète des trucs, qui râle, qui hurle, qui chante comme un fou
en bouffant à moitié le micro. Deuxième point TomTom : ces guitares qui semblent maltraitées par un enfant de
huit ans démoniaque, mais en fait comme chez Waits, c’est faussement bancal et « mal joué » mais épique et
cafardeux et « ballade » en même temps… comment dire… imaginez-vous une araignée à qui on aurait pété une
patte, elle marche en cahotant, pas en boitant vous voyez ? Elle ne marche que sur SEPT PATTES. C’est pas
boiter ça, c’est aut’chose, c’est comme sur ce disque, une virtualisation de souffrances qui semblent bien
humaines, assez incantatoire pour ne pas sombrer dans un ridicule geignard, discours porté par un ivrogne
lacéré de coups de cutters chevauchant un truc pas humain à sept pattes, cf. les guitares tenues par un son
cave sèche avec une entrée secrète qui amène à un temple sous-terrain avec des grandes salles avec des
grands piliers se perdant dans la brume et les ténèbres tout là-haut… mais alors, là où ils vont se détacher des
influences que j’entends sur cet album, c’est par la teinte black metal tout simplement… si on se pose encore la
question de ce à quoi tient un genre comme celui-ci eh bien faut écouter ce groupe, même si c’est lent et qu’on
se dit « c’est du doom c’est lent » car c’est surtout cette odeur de suicide propre à l’Europe du Nord qui
transpire sous la pluie comme Sarah Lund sous son pull noir et blanc, avec ce qu’il faut comme petites pointes
rock tragique mogwaiennes. Bon oui, Sarah Lund elle est danoise, donc euh… on va dire que ça ressemble à
mon cousin norvégien qui transpire sous son pull en laine rouge et vert, mais toujours sous la pluie, pas dans
la neige. Cela sent le chien mouillé quand il rentre chez lui, et qu’il n’arrive pas à se sécher, il souffre d’un début
de mal de gorge et il déprime devant « les restes du monde ». Alors voilà, si vous voulez passer Noël tout seul,
choisissez ce disque, et puis vous mettrez ensuite du Maurice Chevalier, puis du Darkthrone, puis un Tom
Waits cafardeux et un Mogwai du genre « happy songs », ça tiendra à peu près quatre heures, avant de
s’écrouler ivre en beuglant dans du yahourt norvégien que ce sapin sera toujours terriblement moche pathétique, adulte, beau comme un phare qui tourne sans savoir pourquoi.
Note : 5/6
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Israthoum : Antru Kald
Chronique réalisée par Rastignac
La Hollande, l’autre pays des trucs cachés révélés par des artefacts à plusieurs pointes ou chandelles… et
dans ce pays, vous trouverez un groupe comme Israthoum qui se focalise sur cet ensemble de machins
chantés par Psychic TV ou par certains chamans d’heroic fantasy avides de connaissances trucs pour créer
des machins. Bon, et ce bidule c’est quoi ? Ben c’est une chose black metal produite cette année par un groupe
présent depuis le début des années 90 sous d’autres noms (Grendel puis Geryous), originaire du Portugal,
relocalisé aux Pays-Bas, contrée de Mories qui mixe et illustre cet album, d'Urfaust dont on peut aligner les
obsessions rituelles avec le propos d'Israthoum, ou de tous ces bons festivals de metal extrême. Dernière
production en date du groupe, disque court, mais un peu linéaire. Pas très inspiré. Pourquoi ? Des
enchainements déjà bien entendus, la simplicité des mélodies, des gimmicks à voir avec le parler incantatoire
avant le break martial qui fait « hé hé » avec la foule, les montées et les descentes de notes connues par coeur,
un peu comme le chemin pour aller au boulot deux fois par jour (multiplié par 5, multiplié par 52, multiplié par
70), une simplicité des riffs pas sauvés par une production qui pourrait occulter ou ésoteriser ou dégueulasser
le propos, cette astuce pouvant si elle est bien gérée transformer le plomb en or, suffit de voir le nombre de
groupes death ou black qui utilisent ça pour terroriser l’auditeur, un triangle et un noeunoeuil sur la pochette et
c’est parti, on étouffe le son, on sature et c'est l'apocalypse. Disque court pour chronique courte, et mémoire
courte car je ne sais même plus pourquoi j’ai acheté ce disque - peut-être parce que le nom a encore un « th »
dedans. Peut-être pas. Enfin, oui, des ambiances peuvent être retenues dans un giron de ce qui se fait de bon
dans la tentative de psychose induite par les ondes induisant la peur comme dirait Lustmord, mais elles sont
pour ma part un peu trop engluées dans un discours très traditionnel, et n'échappant donc pas à une
stagnation de l'auditeur face au spectacle, même s'il est annoncé avec force clins d'oeil à l'alchimie et à
l'émancipation de l'être face aux contingences sociales bien trop tristement banales. Alors quand l'occulte lui
aussi devient routine, ben on se fait aspirer par le vortex à trois boules comme on dit ici.
Note : 3/6
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WELLENFELD : Elements
Chronique réalisée par Phaedream
Une nuée de brises cosmiques et violonées, des boom-boom pulsatoires, des orchestrations flottantes et des
séquences qui dansottent tout autour du matraquage compulsif des percussions/pulsations basses, "Analog
Tape" fait tressaillir nos tympans avec un rythme vif et lourd orné de séquences plus mélodieuses dont les
chants roucoulent au travers des éléments cosmiques. Le rythme prend une pause, histoire que nos oreilles
dénombrent un peu plus cet éventail de tonalités cosmiques, avant de reprendre cette route rythmique qui fera
bourdonner notre ouïe. Des rythmes lourds, pulsatoires et des basses résonnantes qui acceptent des mélodies
accrocheuses dans des ambiances assez cosmiques, la musique de Wellenfeld n'a pas pris une ride depuis le
dernier opus que j'avais entendu d'eux en 2011; The Big Bang. J'avais certes entendu des morceaux de
Pandemie en 2013 et j'avais trouvé que Detlef Dominiczak et Andreas Braun avaient poussé fort sur les
orchestrations. Ce qui est tout le contraire ici où Wellenfeld est plus résolu que jamais à marcher dans les
sentiers de Pyramid Peak afin d'offrir du bon rock électronique. Notre parcours à la découverte des petits
joyaux de ERM (Electronic Rock Music) de “Elements” se poursuit avec "Ring Modular". Cette fois-ci,
Wellenfeld nous amène vers ses somptueuses ballades électroniques avec un bon down-tempo morphique
gavé d'effets cosmiques et orné de ces séquences, tant hypnotiques qu'harmoniques, qui troquent leurs rôles
dans des corridors discrets où un beau piano étend les mirages de sa solitude. Et que serait une bonne ballade
sans des effets arrache-cœur, "Ring Modular" en propose avec de beaux élans d'intensité. C'est une belle
ballade cosmique dans la plus pure tradition du New Berlin School. Idem pour "Vintage Attack" qui séduit avec
ses nombreux filaments de séquences qui virevoltent tout autour et au travers d'un rythme lent et pulsatoire.
L'effet des denses orchestrations qui enveloppent et ralentissent le rythme à notre oreille, de même que ces
nappes futuristes à la Vangelis, sont de beaux effets de séduction. La mélodie est aussi du genre très intuitive.
Les séquences tourbillonnantes qui éveillent les frêles ambiances de "Human Elements" propulsent le rythme
vers un genre de transe pour plancher de danse. Les séquences hoquètent et caquètent, donnant ainsi toute la
latitude aux percussions technoïdes et à la ligne de basse funky de rattraper cette structure de rythme qui
percute le mur Trance, on reste tout de même dans le domaine lunaire, un peu après la 3ième minute.
"Timeless Gravitation" est plus ambiosphérique. Et comme chaque titre de “Elements” possède assez de
minutes au compteur pour modifier soit le parcours ou l'intensité, "Timeless Gravitation" amène ses belles
orchestrations et ses nappes de voix à peines perceptibles vers un slow-tempo très lunaire. J'entends du
Software ici. "Noize Modular" est aussi créatif et séduisant que "Analog Tape". Le maillage des séquences,
percussions et basses pulsations y est cependant nettement plus élaborée. C'est un des bons titres de
“Elements”. Mais la palme du meilleur vient sans doute à "Dark Sphere". L'enveloppe est cousue de mystère et
de nébulosité avec un bon mouvement de séquences aux tonalités limpides, ainsi que des pépiements
séquencés, qui ceinture un rythme palpitant. Un rythme lent qui, par moments, donne l'impression d'embrasser
une phase techno-lunaire (on entend même des claquements de mains assez suggestifs). Les ambiances ici
sont superbes et les séquences aux entrecroisements tant rythmiques qu'harmoniques et dont les charmes
sont constamment d'alterner la mesure des cadences, ici comme partout dans “Elements”, imposent toute une
dimension à "Dark Sphere". Très bon! "Black Out" et "Sine Wave Machine", qui est nettement plus furieux,
nous amènent dans les corridors de la dance-music de “Elements”. C'est de la musique de danse bien fignolée
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avec de très bons mouvements de séquences. "Day of Silence" offre une autre structure de rythme lourde
nouée autour de séquences circulaires qui s'agrippent aux fortes pulsations basses et aux percussions alliées
à des tsitt-tsitt métalliques. Plus de l'IDM que de l'Électronica, le titre offre de beaux éléments harmoniques qui
ne sont pas loin de créer un ver d'oreille. Motivé par ces voix d'astronautes, que l'on entend en quelques
endroits sur ce dernier opus de Wellenfeld, et arqué sur un mid-tempo enveloppé de suaves orchestrations et
de nappes de voix séraphiques, le rythme pulsatoire de "Time Traveller" accueille aussi ces structures de
mélodies dessinées par des arpèges qui hésitent à tomber, préférant voltiger et errer dans les airs ambiants.
C'est un titre qui est à l'image de “Elements”, un autre bel album de MÉ offert par MellowJet Records. C'est un
album aussi mélodieux que la diversité de ses structures de rythmes qui séduisent par cet intelligent jumelage
des séquences, des percussions, des basses pulsations et des lignes de basse qui sont dans la plus pure
tradition Wellenfeld. Et pourquoi changer une recette lorsqu'elle est aussi appétissante qu'inspirante? Je ne dis
pas que la musique de Wellenfeld tourne en rond. Que non! Detlef Dominiczak et Andreas Braun ont cet art de
ressourcer leur style avec juste ce qu'il faut pour ne pas le dénaturer. Ainsi leur audace est réconfortante. Oui,
un duo qui n'est pas vraiment loin de Pyramid Peak.
Note : 4/6
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Fryderyk Jona : Electronic Ballad
Chronique réalisée par Phaedream
Le son qui sort est celui d'un saxophone. Les oreilles rivées au casque, on entend même les souffles du
saxophoniste. Lorsque Ron Boots parle, les amateurs de MÉ ont généralement les oreilles attentives. Lorsqu'il
mentionne que “Electronic Ballad” est un album à écouter, que Fryderyk Jona est un artiste à découvrir, la
curiosité est vite piquée. Et j'ai fouillé. J'ai reçu la musique de ce synthésiste Polonais qui vit maintenant en
Allemagne et dont le style fut influencé par un Berlin School ambiant et mélancolique. La présentation est très
soignée avec une belle pochette, l'album est uniquement offert en version cd digipack pour l'instant, d'un bleu
astral qui ceinture une image du cosmos. Et le premier son qui sort est celui d'un saxophone. Au début, on est
pas certain. Ça sonne comme In Blue de Klaus Schulze. Rappelez-vous ce synthé parfumé des harmonies d'un
saxophoniste. C'est la première impression qui nous traverse. Et par la suite? On tombe dans l'enchantement!
Une lente et large ligne de synthé vient donner du lustre à ce saxophone, plongeant la longue pièce éponyme
dans une sérénade ambiante où le synthé subdivise ses chants avec des nuages de brume et des nappes de
voix éteintes. Une autre ligne de synthé dessinent des gribouillis électroniques qui font de lentes torsades dans
un mirage sonique qui nous plonge effectivement à plein dans les ambiances de Into the Blue. Des séquences
carillonnent en arrière-fond. Leurs tintements se font de plus en plus persistants alors qu'une ligne de basse et
de fines percussions tambourinent la première structure de rythme de ce long titre fleuve de 35 minutes. Les
percussions et la basse tissent un genre de lent Groove cosmique où tout est doux, où tout est très éthéré. Un
rossignol électronique nous gratifie de chants cocasses qui vont et viennent dans ce ballet pour carillons et
percussions où la chaleur des tons, et ses contrastes, nous guide vers un rêve éveillé. Les nappes de synthé
parfument le décor arrière de brume anesthésiante, laissant plus au saxophone le soin de nous lancer des
harmonies pour âmes fragilisées. La progression est lente. Structurée toujours sur un rythme doux, à peine
ambiant, elle est prisonnière de ce très beau carrousel de carillons où les arpèges de verre tintent de façon
aléatoire et où d'autres éléments de rythmes dissociés alimentent une douceur à peine chaotique. Et toujours
ces chants de rossignols. Et toujours ces parfums de saxophone qui embaument une solitude appuyée par des
nappes de chœurs astraux. Ce rythme doux prend une autre tangente vers la mi-temps avec des sautillements,
ou des pépiements c'est selon notre perception, plus accentués qui se perdent dans un long bourdonnement
grésillant. "Electronic Ballad" plonge alors dans un genre de down-tempo nourri par des pulsations basses qui
sautillent et qui battent une mesure sans pattern précis et où patrouillent des serpentins de séquences. Les
huit dernières minutes amènent "Electronic Ballad" dans une phase très ambiosphérique où l'on réentend plus
clairement ces ondes ondulantes qui structuraient sa muraille d'ambiances depuis le tout début alors que des
torsades et de longs bourdonnements ont raison de ce superbe duel entre synthé et saxophone. "Orient Voice"
est plus animé et respecte ce pattern de duel entre le synthé et le saxophone, tout en y ajoutant une voix
d'Orient. Le rythme s'extirpe difficilement du néant avec des boucles de séquences qui décrivent de petits
cercles répétitifs et dessinent un rythme ambiant sphéroïdal avec des nuances dans les tons et dans la forme.
Ces deux lignes de rythme entremêlent leurs approches minimalistes dans une structure finement saccadée qui
se gave des pulsations basses, des cliquetis de cymbales et des percussions qui mitraillent finalement un très
bon moment de Groove cosmique. Là aussi, le ton et les ambiances sont difficilement dissociable de l'album
Blue de Klaus Schulze. C'est bon et il y a tout un travail au niveau du mixage car chaque élément qui sculpte le
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tempo, et il y en a en masse, est clairement identifiable. De même que ces multi couches de synthé qui se
chamaillent les ambiances et harmonies avec cette délicate voix orientale et ce saxophone que l'on peut
aisément confondre à un synthé. Des lignes de synthé dansent dans le firmament d'ambiances qui conduit "On
the Run" à nos oreilles. Elles dessinent de vives ondes ondulantes où se greffent une ligne de séquences
nourrie de pépiements rythmiques. Ici, comme tout autour des 50 minutes de “Electronic Ballad”, le rythme est
forgé avec un souci pour les détails qui est hors du commun. Fryderyk Jona tisse deux lignes de séquences,
l'une à la tonalité très organique et l'autre très électronique, qui entrecroisent leurs ions sauteurs dans une
figure de rythme en boucle nourrie par des sautillements d'une basse, des pulsations basses, des cliquetis de
percussions et des percussions un brin hip-hop ainsi que des tsitt-tsitt de cymbales. Le résultat est un genre
de Funk et Groove très électronique avec des lignes de synthé tisseuses d'harmonies ondulatoires et de
dialectes électroniques. Ça fait très Schulze contemporain!
Ron Boots avait raison! Fryderyk Jona est un artiste à découvrir. C'est difficile de classifier “Electronic Ballad”
tant le genre est assez loin de ce que l'on est habitué d'entendre. La musique, les ambiances sont
enchanteresses et les rythmes minimalistes sont constamment nuancés par des tricotages très serrés des
lignes de séquences. Et l'agilité des percussions de même que les pulsations basses et de basse ouvrent les
portes d'une Électronica bercée par des raids de Jazz. Il y a du Schulze dans les influences, mais ce qui retient
l'attention est cette signature unique où l'univers Fryderyk Jona laissera définitivement ses empreintes dans les
oreilles de ceux qui veulent explorer une Berlin School nettement plus contemporaine. Très bon!
Note : 5/6
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SPEKTR : Cypher
Chronique réalisée par Nicko
Spektr ne fait pas partie des groupes dont on parle le plus souvent. Niveau discrétion, il n'y a pas mieux. Le
groupe français avait sorti 2 albums avant ce "Cypher" et malgré leurs qualités, on n'a pas trop entendu parler
d'eux. Pourtant le duo ne manque pas d'intérêt. Spektr joue une musique ultra-claustrophobe, extrêmement
noire, froide et mécanique, très portée sur les atmosphères, quasi-instrumentale (à part quelques parties de
chant parlées et chuchotées). Leur troisième album continue là où le mini quatre-titres, "Mescalyne", nous avait
laissé, à savoir une sorte de metal industriel à la croisée des chemins entre Axis Of Perdition, Thorns et
Mayhem. On retrouve cette atmosphère complètement malade où on a vraiment l'impression de se balader dans
un ancien asile désaffecté. En fait, avec ce Cypher, c'est un peu comme si on écoutait la BO d'un film de
science-fiction avec beaucoup de parties distinctes, d'enchaînements et de styles musicaux mélangés (electro,
metal, post-rock, jazz) le tout baignant dans une ambiance de crasse, de mort et de tension. Au début, on peut
trouver la production un peu cheap, surtout au niveau de la boîte à rythmes (qui ne se veut pas du tout
naturelle), mais au fil des écoutes, on comprend rapidement que cette production est là pour servir ces
ambiances glaciales, ultra-agressives et écorchées. La musique est aussi plus accessible ou dirais-je plutôt
moins complexe que par le passé. Cela joue beaucoup sur les répétitions (parfois un peu trop d'ailleurs) et
cette atmosphère totalement délabrée et apocalyptique qui en ressort. Spektr ne fait rien comme les autres. Ils
sont à la croisée des chemins entre indus, ambient et black metal, mais surtout ils proposent une musique
d'une noirceur abyssale avec une bonne variation entre parties bien brutales typées black metal et les parties
plus softs mais très mécaniques et ambient. Quand je vois cet album et le dernier de Mayhem, c'est là où je me
rends vraiment compte que les norvégiens ont joué la facilité parce qu'ici, les parisiens de Spektr, sur leurs
parties black metal, ressemblent aux ambiances et au style de Mayhem, mais ils vont chercher tellement plus
loin et proposent un album bien plus riche et intéressant. L'album est très bien ficelé, j'aurais peut-être aimé
une production un peu plus puissante, mais sur l'ensemble, ce "Cypher" est très convaincant. Voilà en tout cas
une sortie très intéressante, originale et de qualité.
Note : 4/6
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Sarpanitum : Blessed Be My Brothers...
Chronique réalisée par saïmone
J'ai vu ce disque tourner une paire de fois sur des forums, et sa jolie pochette ringarde m'a attiré – et avec elle,
la dithyrambe insensée qui l'accompagne. Sarpanitum, pour ceux qui vivraient encore dans des grottes (j'en
connais), c'est du brutal death mélodique. J'aurais dit symphonique, avec un peu de vice. Aidé par une
production très synthétique et une batterie à l'avenant (d'une rapidité folle), l'album semble avoir été réalisé à la
souris avec un wallpaper de GoT. Autrement dit, ridiculement épique dans ses mélodies, surtout vu la
profondeur du growl, abrutissant dans sa technicité métronomique (c'est sorti sur Willowtip, bien entendu), et
aussi menaçant qu'une attaque de pop-up. Pourtant, et c'est pas rien, vu le handicap de départ, Blessed be my
Brothers – qui aurait pu être un titre de Primordial – Primordial, avec qui le groupe partage sans aucun doute
cet art de la mise en scène – fait son petit effet façon « jouer avec des petits soldats en plastique ». Un plaisir
infantile du too much, de la guerre artificielle avec pyrotechnique hors de prix, à grand renfort de CGI. Kull le
conquérant réalisé par Peter Jackson. On écoute ça comme on regarde une série B sur la pause du midi : juste
de quoi accompagner les conserves réchauffées, sans trop y regarder sur la qualité. Bon appétit.
Note : 3/6
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Ringo Shiina (Ringo) : – 三文ゴシップ (Sanmon
Gossip)
Chronique réalisée par (N°6)
Shiina Ringo a été qualifiée ici-même de baronne jazz. Et c'est bien vrai qu'elle est aristocratique alors qu'elle
revient présenter un album en solo après quelques années au sein du groupe Tokyo Jihen où elle a
progressivement mis de côté la folie créatrice qui la portait jusque là. Alors, une nouvelle Ringo toute lisse, à
l'image de la pochette, plus soyeuse qu'une publicité pour un sel de bain ? Oui et non. Que la production soit
plus propre, moins schizophrène que par le passé, que Sheena soit plus dans la maîtrise de ses effets, baronne
jazz devenue, c'est parfaitement exact. Mais ça n'empêche pas la démesure ni la folie, celle d'une meneuse de
revue qui se permet tout, parce qu'elle le vaut bien. Plusieurs grands orchestres à ses pieds, Ringo n'est plus la
rockeuse marquée par l'alt-rock des nineties se dévergondant au fur et à mesure de ses albums, Ringo est
devenue une reine, une impératrice, elle chante mieux que jamais (même si l'anglais ne lui sied jamais si bien
que sa langue natale, elle ne sonne plus du tout comme une copie de ses anciens modèles), elle règne tel un
aigle magistral au-dessus de son royaume de musique. Loin du dépouillement de l'artwork, tout de couleur
chair nue, ceci est un album avec des plumes multicolores. Des plumes de cabaret. Ringo est à Broadway, ou
une version de Broadway made in Asakusa. Le jazz, teinté de hip-hop ou de funk parfois (quid de ces
rythmiques terriblement Jackson Five sur le deuxième morceau) le tout dans un bain clinquant, non pas
clinquant, scintillant comme une robe de revue. Du strass et des paillettes, Ringo en héroïne de
comédie-musicale, chaque morceau s'enchainant l'un derrière l'autre sans laisser la moindre respiration au
spectateur, Ringo est une star, une vraie, pas une idoru (une "idol", ces petites chanteuses-produits jetables),
elle monte au ciel jusqu'à finalement heurter à nouveau sa voix aux limites de la stratosphère et de la rupture de
câble sur l'effervescent "Tsugō no Ii Karada" (telle une Björk qui aurait poussé "It's Oh So Quiet" dans ses
derniers retranchements). Fidèle à ses obsessions esthétiques, elle offre une série de titres obéissant à un
visuel symétrique, y compris dans la composition, avec "Shun" en magnifique ballade orchestrale au solo de
piano final plus classieux qu'un Vodka Martini faisant office de pivot entre la première moitié de l'album, la plus
classique (mais néanmoins brillante), et la seconde qui réserve son lot de surprise à ceux qui avaient un peu
vite enterré la Ringo au sein de Tokyo Jihen, formation certes efficace mais qui avait marqué le déclin de la
chanteuse en tant que force créatrice déglinguée. De cocktail il est à nouveau question quand surgissent des
rythmiques latines, du big band à claquettes, le son d'un samba d'émigré Nippon (encore des plumes, toujours
des plumes), un sax qui déraille juste ce qu'il faut, un piano qui virevolte. Et puis sans prévenir, un beat
électronique, une voix de ravissante androïde, mais qu'est-ce donc que ce "Togatta Teguchi" comme sorti de
"Karuki Zamen Kuri no Hana", rentre-dedans, bizarre, métallique, pas jazz pour un sou, électro-pop remuée de
scansions psychédéliques de sitar électrique et achevé par un étrange rap qui repasse sans transition aucune à
un délice sixties suave et caressant digne d'un Pizzicato Five enrobé de cordes soyeuses ? Ah, la soie, on
retombe dedans. Ringo se ballade en talons-aiguilles avec une légèreté déconcertante, passe d'un registre à
l'autre en équilibriste pour qui tout à l'air trop facile, accompagnée par autant de musicos qu'elle le souhaite
(dont ceux de Soil & Pimp Sessions), juste en claquant des doigts. Aux ordres, et faut assurer. Grave ou
espiègle, Ringo maitrise sans jamais assommer, toutes ses mélodies sont mémorables, toujours sublimement
orchestrées, la plupart du temps de la façon la plus maximaliste possible mais parfois aussi le plus simplement
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du monde, comme quand elle ne se fait accompagner que du seul accordéon tragique de Coba, dans une
interprétation où elle se consume littéralement sans tomber dans l'exercice de style. Et pour en terminer, Ringo
rappelle à notre bon souvenir, pauvres de nous, qu'elle fut, avant d'être une baronne jazz, une géniale fille à
six-cordes, même si elle ne serre sa fameuse Gibson cette fois que dans le livret, entre ses cuisses dénudées,
dans un fantastique "Yokyô" qui met la pâtée à toutes ses compositions de jeunesse : c'est comme avant,
comme au bon vieux temps, mais en mieux. Ringo Shiina a 31 ans, elle refait un album solo, elle n'a plus rien à
prouver et le prouve quand même.
Note : 5/6
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Thou : Heathen
Chronique réalisée par Rastignac
Je disais dans une autre chronique que Thou toutournait un peu en rond. Comme les imbéciles changent
toujours d’avis, et bien soit : en fait leur propos après réécoute de leur dernier album est toujours aussi
puissant, désolé monsieur rastignac. Ce qui touche : un talent à faire pleurer la rage… un truc comme ça… ces
couches de guitares toutes bêtes et efficaces, ces textes qui feraient s’exclamer les gens responsables, du
genre « oui mais quand même c’est un peu réducteur non ? », c’est un peu problématique de toujours tout voir
en noir, faites un effort, il nous faut un peu de gnaque, faut savoir encaisser aussi les phénomènes, ils existent
bien pour une raison, non ? Ben non, parce qu’on a de la chance, on a ici les héritiers d’une frange de la culture
américaine restant critique face au monde qui bouge, le monde qui change maintenant mais seulement en
apparence, comme un tourniquet, un manège (« hé, c’était un cheval, maintenant une soucoupe volante, tu vas
pas me dire que c’est la même chose ? Que c’est juste un détail qui se cache derrière un autre ? Une image
derrière une autre ? Allez, quand même, le progrès tout ça »). Ce disque est vraiment parmi les plus touchants
que j’ai pu écouter dans leur discographie, la faute à leur besoin de faire chanter les guitares comme des
sadcoreux (les interludes instrumentaux, les vapeurs sinistres de certaines intros épiques, les notes aiguës qui
pleurent derrière le même chanteur plein de bave monotone, cette chanson sinistre dans "Immorality Dictates"),
j’entends même un peu de Slint parfois dans cet Heathen, un peu plus de post-rock, moins de gros doom, plus
de mise en émotions de la dialectique… faut dire que faire grandir sa musique sur des bases aussi dépressives
que les albums ou splits déjà chroniqués sur vot’ bon site ne présume pas une évolution de carrière comme un
empilement de compétences désignées à développer vos projets les plus radieux… Thou s’enfonce en fait, de
plus en plus profond dans les entrailles de la misère, montre du doigt et déclame avec toujours plein de
confiance, avec un peu plus de grain dans la voix, un peu plus de glaire, un peu plus de désespérance… et je
n’ai donc pas perdu cette empathie envers leur discours, et leur musique de plus en plus éclatante, car en plus
quand on lit les textes de Thou récités sur "Heathen" (ce qui veut dire péjorativement "non déterminé par une
religion monothéiste" si je traduis bien le titre) on retrouve également ce bon sens imparable, qui fait que leur
musique est plus que triste, pathétique, ou "doom" : ils nous racontent qu’il faut arrêter de tergiverser, arrêter
de déléguer toute notre substance vitale à des coquilles vides, arrêter de croire à quoi que ce soit d’externe, et
juste agir en ayant conscience de n'être rien d'autre qu'un corps palpitant car c’est tout ce qui compte, respirer,
tater ses veines, se caresser les cuisses et ressentir cette masse de sang, de viscères, de bouts de molécules
et de bidoche se relever et se baisser, courir, chialer, hurler et rigoler comme un con. Et en plus, encore une
fois, ils balancent toute leur musique et leur paroles gratos sur le web, avec le reste de leurs textes et de leur
discographie. Bon Dieu, mais comment je vais faire pour détester ce groupe ? (note : 6 en devenir).
Note : 5/6
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The Blinding Light : The Ascension Attempt
Chronique réalisée par Rastignac
Est-ce qu’on peut encore écouter des choses un peu datées, d’autant plus quand celles-ci se définissaient
comme avant-gardistes ? Autant dans d’autres scènes dites « extrêmes », le death, le black, le grindcore furent
établis sur des patrons liés aujourd’hui au concept de « traditionnel » (la « source », l’origine, les « maitres »…),
autant le hardcore dit « chaotique » avec ses têtes de proue genre Dillinger Escape Plan ou Converge ont misé
au début des années 2000 sur la rupture, sur un côté fou broyeur de mouvements, du genre qu’on peut pas
tenir et dont la créativité se débride dans la frénésie de leurs batteurs et la dissonance bien réfléchie de leurs
accords de guitare, tout en dégageant une rage et une dépression mastoc selon l’obsession du leader de
chaque groupe… et puis on se retrouve en 2015, je m’achète un lot de disque de chez Deathwish, et plus
j’écoute ce qu’ils m’ont refourgué plus je retrouve des tics, des gimmicks comme on dit, que ce soit dans le
hardcore un peu émotionnel gros bras et surtout chez des groupes comme celui-ci qui font donc dans ce
mélange de grindcore, et de rengaines metalcore bourrines tout en empruntant la complexité de leurs
arrangements au death dit « technique », c’est à dire se posant dans une fourchette entre Azagthoth et
Schuldiner… Donc l’extrême se copie, là ce sont les dissonances, les breaks censés faire bouger les masses
mais qui à la maison ne font pas trop bouger mes plantes, les plans acoustiques qui doivent nous remémorer
comme notre enfance était toute pourrie ou je sais pas quoi d’autre de triste ou de blasé… mais au bout du
compte reste cette sensation de se faire gaver par un discours auto-satisfait, sans trop de sensibilité, lisse et
froid, contrairement à ce que d’autres plus lyriques genre Gaza sauront fabriquer pour toucher mon petit coeur
plein de gras. Bon, on écoutera cela avec un petit intérêt pour les accords pondus les uns après les autres, sur
les schémas de bougeage automatique de mosh pits, on relèvera un peu la tête quand il s’essaieront à une
sorte de sludge finalement pas très puissant et puis on retournera piocher nos vieux CDs qu’on aime, un peu
comme lorsqu’on lit un essayiste français médiatisé juste pour noter les références des maitres dont il parle
avec maladresse et mégalomanie.
Note : 3/6
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Thou : The Sacrifice
Chronique réalisée par saïmone
Guts of Darkness is a hole, qu'on se le dise. Qu'on se tire la bourre ou la nouille sur des groupes de
révolutionnaires dépressifs jouant une musique de pauvres voir de réactionnaires patriotiquement limite, c'est
tout nous, ça. Mike Williams, à qui on ne la fait pas, décrivait, dans un docu, le sludge comme un truc de
lenteur, de crasse, de saleté et de décadance. On veut bien le croire sur parole. Sauf que son groupe ne
présente plus aucun intérêt depuis maintenant vingt ans, ce qui commence à être long. Thou, en revanche,
c'est une autre paire de manche. Disque frère de Heathen (enregistré pendant les mêmes sessions), The
Sacrifice (à la pochette toujours plus éloquente) est une purge des morceaux les plus fuck you du groupe. Le
premier titre, épique, est d'une lourdeur et d'une lenteur pas possible, se prétendant sensible alors qu'il a vite
fait de t'envoyer valser dans le miroir brisé de tes échecs les plus virils. Le second est une blague qui encule le
drone doom en trois minutes quarante trois – juste ce qu'il fallait. Arrive deux tentatives punk difformes, trop
rapides pour les habitués, ou trop lentes, allez savoir. Enfin, la traditionnelle reprise de Nirvana, au poil, d'In
Utero, qu'on dirait taillée pour le groupe. Ce petit EP de vingt cinq minutes est en quelque sorte l'ombre
d'Heaten, inséparable, en négatif, son côté sombre si tant est que l'on considère Heathen comme lumineux (ce
qu'il est, au demeurant), son côté demeuré si l'on considère Heathen comme excessivement sérieux (ce qu'il
est aussi, à demeure).
Note : 5/6
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Billy Idol (Billy) : Charmed life
Chronique réalisée par Twilight
On a beau apprécier certains artistes, il est des albums de leur discographie dont on n’aime pas trop parler.
Dans le cas de mon cher Billy, ce sera ‘Charmed Life’ (le disque de Noël n’entre pas en ligne de compte, faut
pas déconner non plus) que j’ai franchement du mal à m’enfiler. Voyons donc ce qui cloche. Déjà, hein, les
singles, ‘Cradle of love’, la moyenne reprise de ‘L.A.Woman’, on ne peut pas dire qu’ils aient laissé des
marques indélébiles dans les mémoires mais je suis le premier à admettre que les tubes ‘officiels’ ne sont pas
toujours représentatifs. Honnêtement, le disque débute efficacement avec ‘The Loveless’ et surtout ‘Pumping
on steel’, du Billy sans risque mais goûtu, avec ce mélange de hard 80’s mâtiné de new wave dont il a le secret,
punchy et catchy. Mieux vaut en profiter car ce sont les meilleurs moments, la suite s’annonçant nettement
moins prometteuse. Certes, le plus calme ‘Prodigal blues’ mérite d’être signalé car il témoigne une volonté
certaine de l’artiste d’évoluer vers quelque chose de mature et niveau vocal, rien à dire, Billy assure comme un
chef avec son timbre profond. C’est con d’ailleurs car lui qui voulait s’éloigner du côté trop produit de
‘Whiplash smile’, renouer avec son moi le plus émotionnel (le contraire du clip de 'Cradle of love', c'est ça ?),
peine à mener l’entreprise jusqu’au bout. Steve Stevens manque à l’appel, c’est mauvais signe, Billy doute,
craint de ne pas être à la hauteur, se vautre dans la dope, picole…Il ne baisse pas les bras mais rien n’y fait,
‘Charmed life’ sonne mou du genou, c’est comme ça ! Autant niveau vocal, le contrat est rempli, autant
musicalement, c’est plat et générique. Pas totalement foiré, ne soyons pas chèvre, mais pas de quoi remuer
dans les chaumières. L’orchestration est souvent dépouillée et même si Mark Younger Smith balance quelques
beaux riffs, c’est clairement la classe en dessous de Stevens. Quand aux choeurs féminins, même si discrets,
je ne peux pas dire qu’ils apportent grand chose. Au fond, je n’ai pas réellement envie de descendre ce disque
car on sent que Billy y plaçait de grandes ambitions mais le résultat n’est pas à la hauteur malgré de réels
efforts. Manque de mélodies solides, de vrai feeling rock’n’roll, de rythmiques tueuses, d’une véritable
identité…Il se vendra bien pourtant ce qui n'empêchera pas notre pauvre Billy de déconner au milieu de nuages
de poudre et de se payer un mega accident de moto qui manquera de lui coûter une jambe...Une mauvaise
période en somme, révolue heureusement.
Note : 3/6
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BEL CANTO : Birds of Passage
Chronique réalisée par Dioneo
Belle voix claire – qui transmuent les couleurs froides en flux courants, coulées qui éclairent ; chaleur
rayonnante, en même temps, autour, dedans. Curieuse musique. Familière, cependant, presque triviale, en
certains de ses timbres ; d’une beauté vive, pourtant – qui laisse ravi plus qu’interdit. Ce disque est sur le fil.
Tout pourrait tomber à plat, dans un Solennel vulgaire. Au lieu de ça ces chansons s’animent et touchent.
Question de moyens – sans luxe, sans doute mais bien compris. Question de lucidité, de sensibilité juste. Bel
Canto, au moins sur les deux premiers albums du groupe – White Out Condition, le précédent ; et le présent
Birds of Passage – est histoire d’arrangements, alliage fin de matériaux à priori éclectiques ; mélanges délicats,
risqués. L’électronique – populaire, aux dimensions domestiques, pop : synthétiseurs, boîtes à rythmes,
quelques effets simples mais réglés avec précision pour infléchir l’espace, les perspectives ; l’acoustique et
l’électrique : guitares, basses amplifiées, violon, alto, violoncelle, clarinette… joués comme des voix
individuelles, rarement en sections orchestrales ; tous instruments pourtant, parts du relief, jamais vraiment
isolés ; son d’ensemble qui ne lisse pas mais lie ; ouvertures et pleins et profondeurs ; electropop et lais naïfs –
sciemment – qui se rappellent les vieux fonds. Il me semble, là, n’entendre aucune aspiration à quelque
transcendance. Que rien ne vise un art classique – serait-il recréé, modernisé... Peut-être même : surtout pas ça
! Il est question d'une autre grâce : bien plus proche, intime. J’allais dire : naturelle. Et il y a de ça, au vrai. Le
groupe emprunte des formes médiévales ; les joue sur des claviers aux sons manifestement synthétiques,
étranges à toutes mécaniques à cordes, à pistons, à lames et mailloches ; use de l'anglais, du norvégien, de
l'espagnol ; harmonise ses chœurs en les nimbant de réverb'… Rien ne sonne plaqué, distant, mal ajusté. Rien
ne "rend"… Artificiel. Les "contes" ne sonnent pas comme de lointaines fictions, chapitres qui voudraient
enseigner, paraboles compassées. Cette musique est riche – vraiment – d’émotions variées, contrastées,
douées de vitesses, de mouvements autonomes, et qui entre elles composent. La tristesse du deuil,
l’inquiétude même, y sont doux – chaleur, encore, poids partagé. Les joies y sont accès soudains de lumière –
souffle qui pousse et lève et tourne alors que la gravitation talonne. C’est une danse, oui… C’est un jeu. Bien
plus fort, plus attirant, plus intrigant, au fond, que la poursuite d’une esthétique – qui "dirait", elle, une fois pour
toutes. Que ce disque n’ait pas flétri, jamais pâli, c’est presque inexplicable – c’est ô combien heureux. Je crois
– décidément – qu’il ne visait aucun ciel surplombant. Geir Jensen – pas étonnant, d’ailleurs, qu’après la fin du
groupe, celui-là ait créé Biosphère –, Anneli Marian Drecker, Nils Johansen et leurs compagnies, sont de bien
plus curieux et modestes shamans. Artisans d’épiphanies qui ne seraient que retour aux sens, leur
reconnexion avec le vaste, l’informulable vivant. Une "Nature", disais-je – monde animal, végétal, minéral,
solide, liquide, gazeux ; fontes, condensations… – où l’humain serait une présence. Reconnaissable, distincte
de telle ou telle – mais pas enclavée, pas là pour se faire grain ennemi. Plus que de Dead Can Dance et
consorts – à quoi on les compare parfois, au prétexte que tous mêlent folklores et techno, TBR 808 et légendes
passées, vieilles photos et filtres neufs… Bel Canto – si étrange que cela puisse d'abord paraître – me semble
proche, en motifs et intuitions, de Chris & Cosey, le couple d'après Throbbing Gristle. Comme un autre versant,
certes. Comme si ceux-ci – les Norvégiens – trouvaient le dépassement du "texte", de la culture arrêtée,
paralysante, dans les percée au plein air, en pleins lacs et glaciers loin des villes ; quand les autres – les
Anglais – chercheraient à défaire les trompeuses apparences, l’illusion contrite, aux lumières basses des boîtes
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de nuit et des clubs libertins, dans les orgies, le bondage et les contorsions de cuirs, d’autres tangos païens…
Ainsi se dissolvent les mythes. Ainsi leur force libérée s’insuffle au plan de l’existence. Il n’y a plus lieu, alors,
de vouloir vaincre un monde ou l'autre, ou bien, se saisissant d'eux de vouloir les hybrider, de s'attacher à
transposer.
Note : 5/6
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PATTON (Mike) : The place beyond the pines
Chronique réalisée par Nicko
Comme je vous en parlais dans ma chronique de sa BO précédente, "The solitude of prime numbers",
j'attendais avec impatience le résultat du travail de Mike Patton pour la musique du film "The place beyond the
pines". Et là, pour le coup, il s'agit d'une grosse production avec tout de même Ryan Gosling, Bradley Cooper
et Eva Mendes. Patton entre dans une nouvelle dimension concernant ses projets de BO de films. Un peu
comme avec "The solitude of prime numbers", on retrouve cette ambiance à la fois sombre et douce, très posée
mais inquiétante, beaucoup portée sur des chœurs et des cordes très aériennes mais jamais joyeuses. En fait,
un peu comme dans le film, plutôt décevant - à part au niveau de son atmosphère - en ce qui me concerne, on
reste sur le qui-vive en s'attendant à chaque minute à voir un événement dramatique se produire. Une chose est
sûre concernant le film, c'est qu'avec une telle musique bien plombante, le résultat est vraiment noir. Et bien
qu'on ait une musique sombre, quasi-macabre par moment, elle reste trop posée pour être classée dans les
musiques de films d'horreur (ce que, bien évidemment, le film n'est pas). L'ambiance est donc totalement
adaptée au film, le sert complètement, et est réussie. Il se dégage à la fois de la BO et du film des ambiances
très nostalgiques et mélancoliques. Par contre, l'écouter chez soi se révèle un peu lassant. Les 12 titres
composés par Patton pour cette BO manquent cruellement de variété. Certes l'ambiance est posée et réussie,
mais niveau compositions, cela aurait pu être mieux. Elles sont courtes et épurées, et on reste un peu sur notre
faim. On aurait aimé qu'elles soient un peu plus travaillées avec des structures plus recherchées ou bien que
les morceaux se différencient un peu plus entre eux. La fin de la BO, quand même 45% de sa durée, propose
des titres figurant dans le film, composés par d'autres artistes, dans des styles typés années 60 ou de musique
classique, toujours avec une ambiance générale douce et sombre (écoutez un peu Vladimir Ivanoff et les 10
minutes du morceau d'Arvo Pärt...). L'ensemble reste honnête, bien réalisé, mais dont le but était clairement de
se fondre dans les images du film. L'écoute sur CD est un peu moins prenante. Il manque vraiment les images
pour pleinement profiter de cette BO. On comprend bien pourquoi les producteurs du film ont choisi Mike
Patton pour la BO du film, tant les similitudes avec "The solitude of prime numbers" sont présentes, ils ont dû
tomber amoureux de la musique de ce premier film et ont voulu avoir une BO de ce genre pour "The place
beyond the pines". Cependant, je dois avouer que je préfère son précédent travail.
Note : 3/6
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Kahimi Karie : Larme de crocodile
Chronique réalisée par (N°6)
Au sein de la scène Shibuya-key très portée sur la francophonie, Kahimi Karie fait parfaite figure d'égérie
gainsbourienne. Mince, plate diraient certains peu élégants, une petite voix cassée à l'accent aléatoire et
terriblement sexy, ou parfaitement horripilante diraient les mêmes, une nonchalance et une fausse candeur
réminiscente de ces ex-fans des sixties. Expatriée à Paris, loin de l'agitation clinquante du district chic de
Tokyo qui a donné son nom à ce mouvement foutraque et post-moderne dans les années quatre-vingt dix, elle
sort d'abord une poignée d'EP en sachant toujours s'entourer de ce qui se fait de mieux dans la pop rétro et
décalée de l'époque : Bertrand Burgalat, Katerine mais aussi et surtout l'écossais dandy et pervers Momus qui
lui écrira une bonne partie de son répertoire des débuts et connaîtra ainsi un succès Japonais qu'il avait
toujours fantasmé. Japon auquel Kahimi n'a pas renoncé, étant alors la compagne de Keigo Oyamada, aka
Cornelius, le petit génie officiel de la scène. Mais pour ce premier album elle convie d'abord le grand Yasuharu
Konishi, nul autre que Monsieur Pizzicato Five, qui lui concocte une instru comme lui seul sait, à l'élégance pop
et jazzy, un écrin pour la voix susurrée de la belle, qui chante pour tout dire avec encore moins de souffle que
Charlotte, pour rester dans la famille Gainsbourg. C'est là l'écueil à passer pour entrer dans l'univers
délicieusement trouble de Kahimi Karie, passer outre une voix à la joliesse brisée, d'une presque absence qui
pourrait agacer à la longue si elle n'était pas si porteuse d'une personnalité bien plus forte que l'idée qu'on peut
s'en faire à première écoute. Car Kahimi n'est pas une bête égérie, elle pioche dans sa liste de collaborateurs,
qui va compter dans les années suivantes des personnalités toutes aussi singulière que Otomo Yoshihide et
Jim O'Rourke, pour mieux dessiner un univers très personnel. Encore plongé dans le Shibuya-key (style de
Shibuya) de la grande époque, on y trouve donc ces délicieuses chansons jazz-pop, dont l'une est carrément
une reprise de Pizzicato Five, les parrains du genre, dans une version plus nonchalante qui sied mieux à
l'apparente fragilité de Karie, là où Maki Nomiya et son assurance classieuse déambulait sur des arrangements
plus vifs. Toujours sur le versant Japonais, le duo noise rock féminin Seagull Screaming Kiss Her Kiss Her
offre à Karie une étonnante et bourdonnante mélopée entre Paris et Texas, tout en suspension poussiéreuse
comme un titre de Jesus & Mary Chain sous Tranxène. Et c'est donc à Paris qu'on retrouve un peu de douceur
dans les bras de Katerine, en pleine période bossa et poétique, une très mignonne chanson d'amour triste et
puis surtout de délicates "Leçons de français" où Karie, seule à la guitare, noue parties anatomiques de son
amant (Katerine a toujours été friand de décrire les corps) et puis les "merde!" et "fais chier!" si délicieux dans
les bouches accentuées de douces étrangères. Pour lier le tout, les morceaux écrits par Momus qui se régale à
faire chanter à la jeune japonaise son amour des superfreaks tout tordus et une histoire de King Kong aux
proportions inversées, femme géante et singe minuscule, mis en son par l'électro-accordéoniste Coba, vu
également auprès de Björk ou Ringo Shiina au fil des ans. Electropop chiadée au détail près, avec une petite
touche de rythmique drum & bass le temps d'un pont ou ces relents dub qui viennent accompagner
l'instrument fétiche du producteur nippon. Et trois perles à la pure sauce Momus. "David Hamilton", la chanson
la plus évidemment gainsbourienne écrite par l'écossais depuis "Song in Contravention" sur
"Hippopotamomus", où Karie s'offre en modèle légèrement dubitative devant les méthodes du fameux
photographe érotique amateur de jeunes filles, spécialiste des éclairage fumeux et des stores vénitiens, modèle
d'écriture perverse et sarcastique que chantera la même année Laila France, l'autre égérie Parisienne de
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Momus. "Lollitapop Dollhouse", pop song parfaite de fille rock qui pète son coffre à jouet, interprétée
également par Momus lui-même sur "Ping-Pong" mais qui trouve ici sa version ultime, portée par le très
efficace groupe vendéen (et donc logiquement camarades de jeu de Katerine) The Little Rabbits et qui fera
office de tube officiel pour Karie et la renommée japonaise de Nick Currie dans la foulée. "Cat From the Future",
où l'histoire de la compagne d'un samouraï morte d'abandon et de chagrin, revenue faire coucou à son amour
d'antan sous la forme d'un chat renvoyé dans le passé "through an electronic catflap", mélodie à la fois douce
et mélancolique, portant la vision d'un futur froid et déshumanisé où seul le passé reste un territoire encore
digne d'intérêt, où de félins fantômes saluent une ancienne humanité d'un coup de patte bienveillant, petit bijou
d'écriture comme seul Nick Currie peut en tricoter. Pour faire connaissance avec la charmante mais un peu
étrange Kahimi Karie, ceci est la meilleure adresse.
Note : 5/6
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Abyssal : Novit enim Dominus qui sunt eius
Chronique réalisée par saïmone
On a souvent comparé Abyssal à Portal – c'est d'ailleurs comme ça que je suis tombé dedans. Pochette
abstraite supposant du gluant, un nom à promesses, un titre en latin, une signature chez Profound Lore, n'en
jetez plus. Pourtant on ne saurait être plus à côté – oui, à côté, comme la fiction frôlant la réalité, comme les
Anciens rodant dans une dimension parallèle, palpable mais inaccessible. Parallèle, c'est bien le mot. Pas dans
le mystique, mais dans le spirituel. Pas des Esprits, mais des Pensées. Des pensées étrangères mais familières.
Plutôt l'aliénation que la possession. Plutôt Artaud que Yog Sothoth. Une folie littéraire, non pas en tourbillon,
mais en cascade. Non pas en trou noir, mais en surcouche. Massacrez-les, c'est ce que laisse entendre le titre,
sans le dire : le passage à l'acte brutal, à l'aveugle ; à l'aveugle, car le seigneur reconnaîtra les siens (même si
on croise les doigts qu'il n'y reconnaisse pas le citoyen Ménard). Abyssal pousse avec contradiction au
recueillement paroissial (« a mathusian epoch », très clairement), aux pierres humides et aux livres briques.
Plutôt prière qu'incantation ; odeur de renfermé plutôt que feu de forêt. Long comme un dimanche matin. Froid
comme une campagne anglaise dévastée. Seul et massif comme une église au milieu d'un pré d'herbe verte. En
d'autres termes, un disque cousin de Grave Miasma, histoire de pouvoir jouer avec les deux factions.
Note : 5/6
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Sulphur Aeon : Gateway to the Antisphere
Chronique réalisée par Rastignac
Il est facile de deviner qu’un des auteurs les plus cités dans le metal extrême (ou extreme métal en français)
avec Tolkien est notre cher monsieur de Providence tout maigre avec une drôle de tête un peu pincée, alias
Howard Phillips Lovecraft. J’y vois plusieurs espaces communs : l'attrait pour la puissance du discours, ses
nouvelles comme des chansons avec outro de dingue et montées très bien gérées, une fascination pour la
nature incompréhensible in fine, le cosmos et la monstruosité, et aussi pour l’Orient mystérieux, cachant
secrets dans des temples pré-monothéistes, y a qu’à voir le nombre de groupes avec des noms sumériens,
babyloniens, avec des mecs dont les pseudos sont des noms hébreux de démons recyclés de ces mythes…
ceci étant dit il est très facile d’affirmer que les allemands de Sulphur Aeon sont obnubilés par l’HP car tout est
coché dans le cahier des charges : tentacule titanesque comme illustration, incantation à Yog Sothoth en
introduction, des morceaux qui ressemblent un peu à Nile dans l’utilisation de ritournelles orientalisantes, les
termes « gate », « diluvien », « devotion », des moths avec des « th » dans les noms de pistes et dans les
paroles (azathoth, yog sothoth, kadath, throdog, cthulhu…). De là à dire qu’on se retrouve aujourd'hui avec
comme principe vendeur un auteur américain début de siècle… mais on va rester un moment sur la musique
proposée. Vous ne trouverez en fait pas ici de propos particulièrement horrifique, comme chez les artistes
chroniqués par collègue Saïmone sur ce site, pas de portalitude, pas d’impression de se retrouver avec une
présence épaisse à la maison, pas d’incompréhensabilitibitité, mais un death metal assez classique, comme du
Nile je disais, mais avec beaucoup moins de virtuosité, de brutalité éclatante. Ce n’est pas non plus pour
déplaire, mais ça ne colle pas trop avec l’aura de folie que recèle l’oeuvre de Lovecraft, cet album n’étant pas
troublant mais juste entrainant comme un bon album de death, énergique, idéal pour la bagnole les cheveux
dans le vent, les vitres ouvertes en hiver, pas pour faire cramer des bougies dans la cave, un livre relié avec de
la peau humaine entre les doigts. Il n’en reste pas moins qu’on ne s’ennuie pas avec cet album efficace, un peu
calibré mais pas non plus trop prostitué aux désirs des vendeurs de messes noires de masse sponsorisées par
Krone118ourg, l’été, dans le Schleswig-Holstein, ou en Loire-Atlantique, ne laissant malheureusement pas, non
plus, une très grosse envie de reviens-y, toujours parce que le propos ici ne décale pas de frontières, de
limites, alors que c’est ce principe narratif qui me plait le plus chez Lovecraft : bousiller les certitudes, montrer
la conscience humaine comme quelque chose étant malléable à merci, produisant chez le damné une vision de
plus en plus « déshumanisée » du monde et peut-être même finalement très matérialiste du processus de
création, de connaissance et de vie.
Note : 4/6
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ESOTERIC : Paragon of Dissonance
Chronique réalisée par Rastignac
Attendez, hé attendez-moi ! J’en veux bien un aussi de disque d’Esoteric, moi. « Tiens, prends celui-là ».
Consternation : le titre est compréhensible, même pas d’adjectifs sortis d’une chanson de Om ou d’un bouquin
de Deleuze ; la pochette est un peu moche, un peu Josh Grahamesque, synthétique, symétrique, mais pas trop
dérangeante après le monument graphique, esthétique, musical, fou à lier, hénaurme que fut "The Maniacal
Vale". Allez, on ouvre le truc, deux disques, peu de morceaux ? Meuh, ça me fait pas peur, ça va, et puis j’aime
bien quand c’est compliqué et j’aime bien quand ça se veut un peu mystérieux et profond. Esoteric, c’est
ésotérique, mais c'est un groupe qui rencontre du succès quand je lis les chroniques par ci par là et j’avais pu
être en accord avec les réactions face à ces morceaux un peu « compliqués » pour du doom après écoute
d’autres albums, plus compliqués que Saint Vitus quoi, mais denses, tourbillons, implacables, psychédéliques,
inquiétants, hors-normes… je suis prévenu. J’aime les morceaux longs avec mouvements dans le rock, j’écoute
même du Yes des fois, pas trop quand même, j’ai l’impression de me transformer en elfe sinon et ça ne me
rassure pas… là, j’imagine qu’on pourrait se transformer en démon si le pouvoir du crâne ancestral était bien
géré… mais hélas c’est du *trop long*, et le temps ne passe vraiment pas vite en écoutant ce disque pas très
équilibré, cette voix qui beugle au maximum, avec des variations, mais toujours les mêmes, et pourtant la
musique semble être un peu complexe et tout derrière, mais je ne trouve pas grand chose de très enrichissant,
de définitif, j’ai comme plutôt une drôle d'impression d’esbroufe derrière cette quantité de breaks
astronomiconescarumus… je m’ennuie, je stresse. La frontière est souvent ténue entre la réception pleine de
joie et celle pleine de haine avec ce genre d’objet qui se veulent monumentaux, qui peuvent vite devenir plus
bavards qu’autre chose, je veux dire plus bavards qu’insensés ou trippants, un peu comme lorsqu’on a le
malheur de se retrouver happé par le discours d’un vieux hippie qui veut vous apprendre la vie et qui en arrive
juste à vous racketter votre énergie… c’est mon malheur avec cet album, j’ai l’impression de me faire seriner
par un nécromancien de comptoir épuisant : « hé, je t’ai pas raconté cette fois où je me suis planté sur mon
invocation ? Je me suis retrouvé avec une mite et Manuel Balls, alors que j’avais commandé un billard ! ».
Ouais, oui, tu me l’as déjà racontée. Tout ça pour dire que je suis épuisé, et même pas avant la fin de la
première face avec cet album que je trouve laborieux au possible… pourquoi ? Qu’est-ce qui manque ? Ou
plutôt qu’est-ce qu’on pourrait enlever dans tout cet amas de bonnes intentions ? Les mélodies gnangnan ?
Cette voix qui n’en finit pas de beugler devant un parterre qui se bouche les oreilles ? Ma patience ? Surtout la
sensation d’écouter brasser beaucoup pour peu de résultats, ce qui est encore plus triste car on peut écouter
un mauvais groupe de hardcore pas original et mal fichu, ça passe mieux finalement que le propos chroniqué
ici parce que c’est du brut, c’est simpliste… là avec « Paragon of Dissonance » je me trouve noyé, gavé par une
succession d’empilements d’idées mélodiques compassées qui vont jusqu’à la nausée, qui me provoque une
forme de rage assez intense même… c’est gênant, parce qu’on ne parle pas ici de premiers venus, le groupe a
une aura d’entité tissant des liens, happant en loucedé, immergeant mais dans un sens particulièrement riche,
mais bof ici parce que les mélodies sont trop convenues, les surprises qu’on peut avoir aux breaks retombent à
plat sur des recettes pas très prenantes, que ce soit lorsque le groupe veut suggérer le mystère, ou le
cosmique, ou la détresse totale, par des slows, des slows de death doom qui n’en finissent plus de se dire
« tiens on va rajouter quelque chose par dessus les trois couches"… A conseiller en fait aux amateurs de purée
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bien compacte. Avec beaucoup de viande. Et trois sauces différentes, plein de légumes, quinze desserts et
deux pizzas, tout cela cuit au micro-ondes, on se fait engueuler en plus parce qu’on ne mange pas assez vite.
Voilà, non transmission chez moi de ce dernier Esoteric, les récepteurs ne sont pas au bon endroit, peut-être
que je passe à côté de quelque chose de monumental, comme on passe tous les jours devant une meringue
architecturale comme la basilique de Fourvière ou la tour Eiffel, je n’ai pas reçu la bonne initiation, mais
pourtant j’aime bien Yob ! Je m’écoute Earth2 à fond dans la voiture pour me masser les poils des pattes ! J’ai
communié avec Mournful Congregation ! Ou en fait oui, je suis pris par cette musique, je suis trop happé par
ces petits solos inutiles, cette overdose de discours empilé comme un sandwich « Hummer », cette ambiance
qui se veut mystérieuse, opaque et envahissante comme un cyberpoulpe mais qui ne me ratatine juste que de
la patience, et qui ne développe encore juste, ici, à Nagano, que de la détresse mêlée à une envie de
furieusement couper le son. Du kidnapping sonore qui me donne, du début à la fin de cet album la force de dire
NON.
Note : 2/6
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STARGAZER : A Merging to the Boundless
Chronique réalisée par Rastignac
C’est vrai que Stargazer est un groupe à part dans le monde du metal extrême… on est bien toujours dans une
sphère dite black ou death metal, mais avec un bassiste de rock progressif qui en fait beaucoup beaucoup, et
dont le son de l’instrument est particulièrement mis en avant sur ce dernier album, genre corde qui claque toute
menue, toute mignonne. On reprend plusieurs recettes aussi, celle de King Crimson dans le dévoilement de
paysages accidentés et des refuges faussement sécurisés, la mystique tantrique avec une illustration comme
qui dirait une divinité vénère qui sort du corps d’un sadhu quelque part dans un endroit où il ne faut pas trainer,
une approche de la sombritude de manière très sobre en fait mais douce-amère, dans ce discours pas gras, pas
trop saturé, très clair, très très bien joué, très mélodieux, avec des moments jouissifs de « vieux » rock
seventies gavé de champignons hallucinogènes, calés entre mouvements atmosphériques, petites envolées
heavy metal et infusion de bagarre cosmique black ou death metal. Alors, au pays des kangourous, Stargazer
serait plus proche du post rock genre Dirty Three, des groupes de rock ou death "progressifs" que de la
sauvagerie métallique de Sadistik Exekution ou Deströyer 666 comme le citait Iormungand… voyez ?
Finalement, compte tenu des growls et shrieks et blasts par ci par là, des quelques tritons clichés et soupirs de
serpents venimeux, des incantations assez flippantes comme ne sait plus le faire Morbid Angel eh bien on se
retrouve avec un beau disque de musique contemplative ponctuée de sursauts de démoniaquerie, les éléments
cités amenant un bon bouillon d’inquiétude et de ténèbre dans ce paysage de musique assez savante… un
beau disque en fait pour les amateurs d’étrange virtuosité metal sombre et pour ceux qui ont envie d’écouter de
bons défricheurs des limites des scènes « extrêmes » et de leurs accointances avec des genres plus installés,
plus anciens ou classiques.
Note : 4/6
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Gravehill : Death Curse
Chronique réalisée par Rastignac
Des cochons s’égaient dans la boue fraîche, je regarde ça depuis la haie, et je trouve ça apaisant. Quiconque a
regardé des animaux gambader, bouffer avec délectation, se rouler par terre et se gratter le dos contre une
souche saura de quoi je parle : ça détend car même si la bête est enfermée entre quatre barrières eh bien il se
la coule douce, il bouffe, il chie, il nique, et il vous regarde, et on se dit ben dis donc t’as la belle vie toi ! Voilà
pourquoi ça m’apaise d’écouter des groupes comme Gravehill, parce que c’est tranquille comme un cochon qui
se roule dans sa merde, c’est plein de boue, ça pique le nez, et regardez moi cette trogne, et ils reproduisent le
mouvement depuis déjà dix ans, avec une production parcimonieuse et il semble que chaque pioche dans leur
discographie livre son donnant-donnant de purge infâme death metal crade et jouissive. Ces riffs mi punk
harcore mi metal à l'ancienne, cette voix qui dégueule en serrant les dents, ces petits bouts instrumentaux, ces
râles, ces glaires, ces patches et ces clous, cet amour pour Venom... on peut pas demander mieux pour passer
une bonne après-midi au soleil en écoutant ces gars de Los Angeles déblatérer des conneries agressives en
accélérant le rythme comme un bon vieux groupe de crust afin de rester en 4e puis ralentir un peu, cracher
dédaigneusement et vous insulter comme un cochon qui n’en a absolument rien à faire de vous, qui n’a rien
d’autre comme discours que : « Tu m’as l’air moche et tu sers à rien, t'as peur, je vais te raconter des histoires
de goules et de Satan, et tu vas flipper comme un con parce que t'es con. Moi je vais m’amuser avec mon
caca ». Parmi le public stupéfait par ce discours se détacha un gars aux cheveux gras, avec une cartouchière à
la taille. Il applaudit en grommelant.
Note : 4/6
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Prietto : El Ciruja y los Rayos Solares
Chronique réalisée par Dioneo
Les teintes explosent directement, semblent en même temps tourner – des courants d’airs, des voiles ; des
arômes qui se posent, se déposent sur les papilles ; acides à la pointe de la langue ; sucres sur la grande
surface bombée, fuselée… Une sorte d’arrière-goût, dans la zone du palais – mixte, indéfinissable. On savoure,
sans se méfier… Ce disque est d’une bizarrerie très accomplie. Une sorte de conte tordu, cycle parfaitement
cohérent dans sa singulière fantaisie. Son auteur – l’Argentin Maximiliano Prietto, résident de la "Commune
Autonome de Buenos Aires" ; il semble que l’appellation ne soit plus officiellement d’usage ; lui, du moins, la
garde ainsi pour se présenter – nous donne l’ouvrage comme résultant "d'un simple jeu". Quelques titres
enregistrés en une semaine. Avec comme seules directives – par lui-même, à lui-même imposées ou proposées
– de ne recourir pour cela qu’à un petit clavier Casio, une sorte de jouet ou presque. (Il a triché, d’ailleurs : à un
moment au moins, on entend une guitare). Et que l’imaginaire exploré, développé, soit "spécial et enfantin". Et
pour finir : "avec beaucoup de chorus"… Voulait-il dire par là, seulement, "des chœurs" ? Désignait-il plutôt
l’effet électro-acoustique, ainsi dénommé ? Difficile à dire tant ses chansons regorgent, débordent... Des deux
dites choses. Elles en sont comme le fil, même, qui coure et relie. Quelles chorales, au vrai ! Outre que ledit
effet les vrille – on les voit presque littéralement se déformer sous nos yeux –, d’autres changements
surviennent, à travers les machines ; elles prennent comme une espèce d’accent : empâté, mouillé, aquatique.
Et puis ces timbres, d’abord, n’ont rien de naturel. En fait de voix juvéniles il semble bien que ce soit Prietto
lui-même qui multiplie la sienne, la pitche pour obtenir ces harmonies d’angelots aux teints luisants,
petits-chanteurs-aux-masques-anfractueux, ou curieusement enflés. Les péripéties rapportées ne sont pas
forcément des plus communes, aussi, dans ce supposé cadre de la fable pour petits. Ce titre, déjà : "Le
Clochard et les Rayons Solaires". Ces autres images cosmiques : "À Travers les Soleils Rouges Verts et
Bleus", "Les Étoiles Vertes" ; ou celles d’épisodes plus terrestres mais pas toujours très rassurants : "Huttes
de Feu"… Il est question aussi d’un homme-chat, d’une Jeune Orientale que les autres de son âge regardent
passer, dont ils s’entichent de suite –, écrivant dans la nuit, jurant que, leur amour restant sans réponse, ils ne
voudront alors plus vivre… C’est dit d’une voix chuchotée, ce passage, presque-chanté sur fond de tintements
de sonnette de vélo, de bouts de discussions mélangés en échos et couches envahissantes, matières
mouvantes et perturbantes expurgées de tout sens délimitable, lisible. Il faut le dire : c'est en fait brillamment
écrit – et assemblé, monté. Que Prietto ait enregistré tout ça de manière très spontanée, comme il le dit, à
l’intuition et pour s’amuser, c’est tout à fait possible. C’est une méthode comme une autre. Ça n’enlève rien à
son talent pour camper parfaitement une chanson – quelques détails, des proportions simples mais travaillées,
et voilà : elle se tient debout, roule, s’envole… Ou plonge. Certains de ses autres enregistrements – où les
compositions ne sont pas ainsi triturées, retournées, subverties pour rendre tout ce qu’elles auraient à dire ;
mais jouées souvent à la guitare sèche, sans rien d’autre, et chantées à voix nue – ne laissent d’ailleurs aucun
doute sur ce point. Ici, toutefois, c’est autre chose. Il injecte dans leurs masses ces couleurs saturées,
intoxicantes, trop vives. Les isole en fragments habitables – comme cette plateforme sur la pochette ; lui
appelle ça une planète – mais indéniablement altérés, plongés dans un espace au chromatisme décidément
déréglé, nuée. Ces mélodies simples – certaines récurrentes ; mais on ne sait pas toujours à coup sûr si telle
revient vraiment, si ce n’est qu’un accès de déjà-vu, si c’est une question de porosité, de proximité – tournent
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très vite à l’obsessionnel. Ridiculement euphorisantes. On dirait qu’elles nous entraînent, inexorablement,
vers… Quoi ? Eh bien... Pensez qu’il existe – en science, spéculativement – un objet céleste nommé Trou de
Ver, qui ferait passage entre des strates distinctes d’espace-temps. Parcourez un peu les titres, aussi, voyez
leurs durées… Il y en a une, peut-être, qui vous fera un peu tiquer. Un des index dit : "Chanson pour Shaman et
l’Afro". Un de ces "noms", semble-t-il, serait celui d’un ami de l’auteur... "J’ai présenté le disque à mes proches
[…] c’était comme pointer une arme sur eux ; ils ne savaient pas comment me dire la vérité : c’était inécoutable,
et il fallait que je me fasse soigner"… Je soupçonne le musicien d'inventer encore, d’enluminer de cette
légende ces cinq chansons géniales et impossibles… Ces quarante minutes durant, en tout cas, ne nous
soucions pas de ce qu'en dirait le moindre clinicien.
Note : 5/6
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Prietto : La Serenata del Señor Pelugre
Chronique réalisée par Dioneo
Je le répète : Prietto sait écrire des chansons. Quitte à ensuite les déformer, les trafiquer jusqu’à ce qu’on
tombe dans les trous qu’il y aura ménagés… Seulement voilà : ici, il n’y PAS de chanson. Seulement la
déformation. Seulement cette ouverture aspirante, sans fond visible, insondable. Un espace de chute ou de
montée en flèche, incontrôlée… Me voilà piégé, encore, dans ces onze minutes quarante cinq. Une sorte de
cauchemar venteux qui m’aurait saisi en même temps, pile, que l’assoupissement. Moment d’absence en plein
concert – j’ai toujours cette impression que ça surgit en pleine représentation d’une œuvre pour orchestre,
d’une pièce lyrique ; pour cette espèce de chant grotesque, étiré, bel canto torturé, burlesque, avec ses
volettements de timbres pitchés dans les aigus, autour, en trajectoires torses, voilées ; pour cette image, sans
doute, sur la pochette, l’orchestre et le chœur baignés de vert (encore cette couleur...), le visage de Prietto
superposé, surimposé, devant, en un bleu pas plus naturel ; pour cette survenue de percussions sauvages qui
sonnent comme des timbales, concrétion, compression, accélération d’un certains Sacre, Rites d’un certain
Solstice ; pour… mais ne sautons pas à la conclusion ; écourtons, toutefois. L’accès de narcolepsie a dû me
toucher en plein morceau de bravoure. Ça gueule. Ça pavoise. Impossible de rester debout. Il n’y a presque rien
: cette voix qui répète une seule ligne – ou guère plus –, en un espèce de psalmodie mais sans quitter le rôle du
Bouffe ou de l’Oratorio, la Romance ; qui ralenti, infiniment, l'instant le plus dramatique ; cette foule de
farfadets en houle, aux inflexions nasales et ivres ; cet épisode percussif, déjà cité. Coincé dans ce laps scellé,
maintenu, rendu circulaire. Des effets qui étirent et boursoufflent, donnent à chaque mouvement une amplitude
de tempête. C’est un géant, qui chante, qui braille… Ça doit être ça. Et l’ouragan, ce doit être son souffle. Ou la
vibration d’un archet, son frottement sur la corde. En attendant que la note, émise, nous pulvérise… Mais
pourquoi "nous" ? Je suis seul, au vrai. L’attaque, la crise, la vision, ont vidé la salle… Vision, oui, comme dans
les récits anciens, médiévaux, antiques : le temps d’un "clin de nuit" – comme dit l’une des histoires – un esprit
quitte un corps ; traverse, guidé par son ange, les enfers, leurs affres. Au bout, avant de se réintégrer, l’âme, le
double astral... (ça change de nom, selon les croyances) aura vu le Trône Céleste ou quelque autre Royaume
(idem). Mais là, personne, ni rien, qui montre le chemin. Et il n’y a QU'UNE scène, décidément. Et rien ne dit que
ce ciel soit habité. En fait de Cosmos, pour l'heure, il n'y a que ce Tollé… Bientôt, comme les autres fois, me
revoilà pourtant dans mon siège de velours. Il y a des rires, et ce murmure de public satisfait ou railleur, au
bout de la pièce. Approbateur, toujours. Rendu brume liminale par la réverbération, l’écho, d’autres effets et
montages. Rien ne dit qui est ce "Monsieur Pelugre". Peut-être le musicien lui-même. Peut-être bien moi, ou
n’importe quel autre qui se serait risqué par là, ainsi renommé par le tour. Nous avons oublié l’œuvre, dans cet
engourdi déchaînement, l’histoire pour quoi on était venu. Le plus étrange est que cette "sérénade" – avec sa
dédicace apocryphe, comme échue par erreur – captive bien plus, possiblement, que n'aurait fait la
représentation qu’elle escamote, se fut-elle donnée. Le plus étonnant est qu'on trouve dans ce hiatus, chaque
fois, l’un des inverses possibles de l’Ennui.
Note : 5/6
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Andy Pickford : Vanguard 1
Chronique réalisée par Phaedream
Andy Pickford est tout un personnage qui a connu ses heures de gloire auprès du public Anglais dans le milieu
des années 90 avec une série d'albums qui exploitaient une approche que plusieurs qualifiaient comme du New
Wave électronique. Ce véritable précurseur, on lui doit la paternité de cette enveloppe de Synth-Pop et de New
Wave électronique qui a envahit le marché, et qui l'inonde encore, depuis Maelstrom en 1995, tentait une
merveilleuse aventure avec Paul Nagle en 2002 pour les projets Spank the Dark Monkey et Binar d'où sortiront
de splendides albums d'une MÉ plus sombre et nettement plus expérimentale. Une MÉ bercée et inspirée des
années Rubycon de Tangerine Dream avec une approche de techno pour Zombies affamés d'effets sonores.
Après cette période, intensément productive je dirais, il prend une pause de 5 ans et refait surface en 2011 avec
une série de compilations intitulées Remasters ainsi qu'une multitude de E.P. et des remixes qui sont offert par
plateformes de téléchargements uniquement. “Vanguard 1” est un retour sur un label majeur et comprend des
compositions originales ainsi que des titres qui sont apparus sur l'album Jera, réalisé en 2012. Essentiellement,
la musique de “Vanguard 1” reprend les grandes lignes de cet artiste pour le moins énigmatique en offrant une
musique dynamique et énergisante où le New Wave électronique trône en haut d'une mosaïque de rythmes qui
touche à tout; du rock électronique à de l'Électronica. L'album offre 11 titres, tous rattachés les uns aux autres,
pour plus de 70 minutes de pur bonheur pour les fans d'Andy Pickford qui fait effectivement un retour en force.
Et pour les autres, dont moi, c'est une excellente occasion de découvrir un artiste qui se laisse difficilement
approché.
L'introduction de "Phoenix" est assez cinématographique avec sa muraille de violons qui flotte comme les
milles tourments d'une âme à la dérive. Une mélodie délicatement martelée par des arpèges aussi cristallins
que ceux d'un fragile xylophone perce ce voile mélodramatique, de même qu'un synthé et son approche
mélodieuse finement arabique. Les arrangements sont bien ficelés. Une structure de rythme séquencé fourmille
en arrière. Le mouvement est nerveux et entraîne des percussions et des boucles oscillatrices dans un
énergique pattern rythmique. Et l'univers tout en son de Pickford s'enfonce dans nos oreilles. Si le rythme est
vif, lourd et très entraînant, ses artifices en accentue ses charmes. Des percussions crotales et d'autres aux
tonalités de verre moiré, des voix féminines, des lignes de synthé aux harmonies tisseuses de ver d'oreille et
des arrangements inondent nos oreilles sur un long parcours minimaliste que Pickford n'hésite pas à arroser
de superbes solos de synthé avec le doigté d'un guitariste dans un groupe de rock. On accroche mais nos
émotions deviennent vite nuancées avec le très Chill et Dub ambiant "Angel on the Water" où la voix, éteinte
dans un genre de vocoder, de Pickford, bien que très mélodieuse, ainsi que les nombreux solos de guitare
électrique transportent l'auditeur à mille lieux des territoires de la England School. Ça me fait penser à du
Massive Attack, ici comme le très beau mais dérangeant "Opal" et sa mélodie vampirique qui siffle sur un
rythme bondissant dans des vapeurs d'éther. Mais c'est très bon. J'ai bien aimé et ça donne beaucoup de
profondeur à “Vanguard 1” dont la qualité première, hormis une musique de qualité exceptionnelle, est de tenir
constamment l'auditeur sur le qui-vive. "Wish" est une très belle ballade avec un synthé qui sifflote des
harmonies qui s'ancrent dans nos oreilles. le jeu des percussions, certaines sont enveloppées d'un venin de
crotale, et la lourde ligne de basse donne une infusion quasiment érotique à ce titre pour le moins lascif.
"Brightstar" est lourd et nerveux, la ligne de basse cure les oreilles, avec de bons arrangements, tant
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cinématographique qu' arabiques.
"Quest" nous amène dans des territoires un peu psybient. La musique est lourde et ambiante. Nouée dans
l'intrigue et dans des effets ectoplasmiques, elle irait très bien à des scènes de films où la sueur n'a rien à voir
avec la chaleur. Le rock électronique est très vivant et surtout très créatif avec un maillage de séquences,
basses, percussions, et autres effets de rythmes très attirant pour l'ouïe, qui supportent des mélodies aussi
captivantes que spectrales comme dans le solide "Gardenia". "Rainwashed" est une sombre ballade très
élégiaque avec un piano noir qui pleure ses notes sur une structure de down-tempo solidement ancrée dans
une enveloppe qui s'apparente à du psybient, si ça ne seraient pas que des violons pleureurs. Émouvant! Vous
devinez que mes oreilles ont croquées dedans à plein. "Decay" est violent! Le rythme est noir et assourdissant
avec un mouvement noué dans des saccades pulsatrice. Les effets cosmiques et les nombreux cognements de
percussions lourdes vont réveiller des souvenirs de Jean Michel Jarre chez certains auditeurs, tandis que
l'approche cinématographique et ses voix patibulaires peuvent faire penser à l'univers de Mark Shreeve. C'est
lourd et noir comme c'est pas permis. Mes voisins ont détesté! Moi? J'ai adoré et je l'ai sélectionné pour jouer à
notre émission de radio avec "Phoenix". Malgré le fait que cela soit lourd et très noir, la mélodie qui y niche
travaille constamment ce désir de réentendre à nouveau. Un piège de charmes dans “Vanguard 1”! "Vapour"
n'est pas en reste. C'est un autre titre lourd qui épouse une étrange marche militaire. Les ambiances sont
intenses avec de belles nappes de synthé aux parfums philarmoniques. Pickford utilise les 9 minutes du titre
pour lui donner un fascinant crescendo d'atmosphères. Un titre intense qui démontre qu'Andy Pickford est
autant à l'aise dans des titres d'ambiances que de New Wave électronique. Et c'est tout un solo de synthé qu'il
balance parmi les somptueuses arrangements dramatiques qui nourrissent la stupéfiante progression, tant
dans le rythme que les ambiances, de "Vapour" . "Clear Blue" s'extirpe difficilement de ces ambiances lourdes
et sombres pour conclure “Vanguard 1” sur une structure toujours aussi lourde et bondissante avec une belle
mélodie où un synthé siffloteur d'harmonies fait duel avec un autre aux solos très créatifs. Vivement Vanguard
2!
Note : 5/6
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Gert Emmens (Gert) : Triza
Chronique réalisée par Phaedream
Des effets électroniques et de lentes nappes de synthé qui flottent dans un ciel séraphique ouvrent le paysage
sonique de “Triza”. Déjà, l'enveloppe sonore de Gert Emmens infiltre, et nos oreilles et nos sens. Un délicat
mouvement de séquences fait tinter des ions qui dansent dans des vents creux. La première figure rythmique
de "The Shelter in Sector 5" est fragilisée par ces ions qui sautillent dans un lent mouvement ondulatoire et où
les nuances de les tons se font damer le pion par une muraille de brouillard électronique et ces solos si rêveurs
et si près des fragrances d'un saxophoniste solitaire de l'ami Gert. On nage en pleine signature Emmens avec
cette structure flottante riche en effets et bien nourrie, et par un mouvement de séquences hypnotiques et par
ces solos qui se font un chemin vers notre âme. Et soudain, comme une menace, ces éléments se fanent à
l'orée des 6 minutes. Seules de lentes nappes ocrées flottent et voyagent pour 90 secondes entre deux
horizons. Et c'est là que des séquences pulsatrices jouent du tam-tam avant de développer une splendide
figure de rythme flottant où les ions inter verseront une structure construite sur deux éléments de séquences
qui sautillent et ondulent dans des vents séraphiques et dans ces beaux solos nostalgiques. Ça mes amis, c'est
du vrai bon Gert Emmens! Lorsque je débute l'analyse d'un album je le fais toujours en lisant. Lorsque mes
oreilles me tirent du livre, je comprends qu'il y a quelque chose de très intéressant qui se passe. Les derniers
albums de Gert m'avaient laissé sur mon appétit. Je trouvais qu'il y manquait ce petit quelque chose qui m'avait
tellement séduit lors de ses premiers opus. Eh bien, j'ai été ravi par “Triza”!
Des rythmes mous, ambiants, stationnaires et aussi légèrement entraînants. Des ambiances riches en tons et
hautes en couleurs des sons. Un esthétisme sonore très relevé. Et ces solos toujours aussi enivrant que
pénétrant! “Triza” est sans aucun doute le meilleur album de Gert Emmens depuis fort longtemps. Et c'est sans
doute un retour aux sources pour le musicien/synthésiste Hollandais. Délaissant son approche de rock
progressif électronique et de musique ambiante pour retourner au style de la Netherlands School, qui lui a
ouvert les oreilles des fans de MÉ à travers le monde, Gert Emmens signe ici son meilleur album depuis A
Boy's World en 2007. Et pour mes goûts, depuis son sublime Waves of Dreams en 2004. Fidèle à ses valeurs
artistiques, le sympathique Gert reste toujours dans l'approche d'album concept et à ce niveau “Triza” traite
des différents aspects de la souffrance. Ça s'entend, ça se sent partout au travers les 5 titres et les 73 minutes
de l'album. Et c'est aussi très apparent dans l'ouverture de "When Twilight Announces the Night to Come" où
des brises nasillardes, des woosh et des wiish métalliques ainsi que des vents creux fouettent un piano très
mélancolique. Un fin mouvement de séquences fait dandiner ses ions qui sautillent avec tellement de mouron
dans le rythme que les larmes de synthé qui crissent en arrière-plan nous semble joyeuses alors qu'on les
devine moqueuses, sinon hargneuses. Les notes de piano reviennent hanter ces hurlements alors que le
rythme, toujours placide, semble gagner en vigueur, surtout lorsqu'il nourrit sa force avec de fines pulsations
basses et avec l'ajout d'une autre ligne de séquences qui sculpte un autre de ces rythmes ambiants si chère à
la signature Emmens. Et ce synthé si morose qui chante! La symbiose de tous ces éléments est fascinante
alors que "When Twilight Announces the Night to Come" restera menaçant et flottant sans jamais exploser.
Cette explosion viendra avec "Where is Triza?" mais pas vraiment comme on l'imaginait. Sa structure
d'ouverture est taillée dans la soie avec deux lignes de riffs de guitare, une minimaliste et l'autre plus
harmonique, qui flotillent dans des vents d'Orion. Une ligne de séquences fait galoper ses ions qui s'agitent
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nerveusement et finissent par onduler dans un mouvement ambiant stationnaire. Des percussions picorées par
des effets de crotales s'ajoutent, de même que des nappes de synthé aux caresses d'éther. Ça devient très
séraphique, même si notre main tapote légèrement la cuisse en suivant la courbe d'un rythme que l'on devine
plus sauvage. Des solos nasillards s'offrent en harmonies, traçant un parallèle contrastant avec tous ces
éléments qui font de cette introduction un genre de coït musical qui atteindra son nirvana avec un superbe
mouvement à la Stratosfear vers la 7ième minute. Ayoye! Les flûtes, les effets et la structure pulsatrice
légèrement zigzagante sont des bijoux qui se perdront dans une finale ambiosphérique rongée par la démence.
Tout un titre mes amis! "Nightlife" est aussi séduisant que "The Shelter in Sector 5" alors que "Wanderers of
the Streets" offre une structure plus travaillée qui s'arrime à tous les vaisseaux de la MÉ des années 80. Après
une intro très ambiosphérique où les woosh poussent des particules soniques qui pépient avec un langage
informatique, une ligne de séquences pulsatrices fait sautiller ses ions et leurs doubles qui sont teintés d'une
tonalité plus métallique. Par la suite le rythme se déploie plus en un long squelette ondulatoire qui serpente des
ambiances électroniques parfumées d'effets cosmiques et d'effets électroniques des années Hyperborea.
J'aime cette fusion de Jarre et Tangerine Dream, aussi discrète soit-elle, où les solos et les harmonies de Gert
Emmens maintiennent son identité sonique avec des solos qui sont aussi doux et qui suivent la courbe de ce
rythme un peu mou qui affiche des élans de vélocité passagères. Fidèle à ces longues structures de MÉ,
"Wanderers of the Streets" approche une phase plus ambiante vers la 11ième minute. Ce passage est fortement
appuyé par des nappes de synthé très enveloppantes et des bourdonnements lointains, mettant la table à une
2ième partie qui étalera une structure de rythme plus nourrie avec un mouvement de séquences circulaire où
les ions sautillent avec leurs ombres. L'enveloppe ambiosphérique est plus dense et est nourrie d'un épais
brouillard cosmique où rôdent des nappes de voix et des effets qui sont aussi plus riches que dans les
premiers instants de "Wanderers of the Streets". Un piano émerge de ce brouillard, amenant une dose de
mélancolie qui sera accentuée par de bons solos aussi nasillards qu'un saxophoniste enrhumé et qui sont
aussi parfumés des trompettes astrales. C'est du très bon Gert Emmens. Et ce “Triza” est l'une des bonnes
surprises tout à fait inattendues en cette fin d'année. À se procurer sans hésitation!
Note : 5/6
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INDRA : Archives-Ruby One
Chronique réalisée par Phaedream
Un artiste étonnement prolifique, Indra est le Klaus Schulze de la Roumanie. De 1993 à 2010, il balance près de
40 albums pour le plaisir de nos oreilles. Et dans le lot, il y en a plusieurs qui sont très solides. J'ai découvert
ce fascinant artiste en 2005 avec le très beau Echo in Time que j'avais chroniqué quelque 6 mois plus tard.
Depuis ce fut un coup de foudre pour mes oreilles! Sa musique, hautement inspirée par le modèle Klaus
Schulze, était composé de très longues structures minimalistes dont les charmes résidaient dans des subtiles
évolutions qui se remarquaient bien après leurs apparitions, tant l'envoûtement était au rendez-vous. De
purement Berlin School, la musique du créatif synthésiste roumain prenait une tangente nettement plus
spirituelle Hindoue à mesure qu'Indra estampillait sa griffe dans l'univers de la MÉ. Sa série Tantric Celebration,
de même que les superbes The Call of Shiva Volume 1 et 2, détournait la musique d'Indra vers l'envoûtement de
la spiritualité Hindoue. Sauf que l'artiste était aussi capable de faire la juste part des chose en retournant à la
base et en offrant de très bons albums d'une MÉ plus Berliner, comme The Challenge, The Pyramid Concert et
plus récemment Thunderbolt-Live at the Black Sea. Indra était devenu un peu plus silencieux, moins créatif je
dirais, depuis 2010. Le synthésiste de la Roumanie rééditait peu à peu son catalogue en dépoussiérant de vieux
albums des années 93-94. Je me souviens de lui avoir parlé à cette époque et il disait qu'il avait un énorme
éventail de musique cachée et perdue dans ses innombrables séances de composition ou d'enregistrements. Il
avait aussi des albums complets sur cassettes avec une qualité d'enregistrement très inférieur à la qualité
numérique. Ses fans, dont moi, lui demandions si un jour nous aurions le privilège d'entendre tout de l'univers
Indra. Ce jour est arrivé avec la série Archives. Répertoriée en 25 albums qui sont divisés en 5 catégories,
Archives est l'équivalent, ni plus ni moins, de cette titanesque aventure sonique de Klaus Schulze avec son
Ultimate Edition. Ce coffret d'une valeur inestimable pour les fans d'Indra suit un ordre chronologique et couvre
les périodes 1993 à 2015 avec un nouvel album qui sortira à chaque semaine à partir du printemps 2015. La
série Ruby nous entraîne dans l'univers le plus ancien d'Indra en couvrant les années 94 à 98, avec des titres
plus contemporains que l'on retrouve dans Ruby Four et Ruby Five. Les albums visés par “Ruby One” sont Self
Game et Magic Collection, réalisés en 1994, de même que The Way Out et Tales from Arabia, réalisés en 1995.
On avait eu un avant-gout de ce garde-manger sonique avec Interactive Play (The Essential) Vol. I et Vol. II,
parus en 2011, où Indra était parvenu à remixer des vieux titres en leur donnant une sonorité qui répondait aux
standards de l'industrie. Et c'est important de faire cette mise au point, car Ruby One et Ruby Two (les seuls
que j'ai entendu à date) sonnent comme ces vieux enregistrements que nous faisions sur cassette dans les
années 70. Et Indra avait averti son public de cette possibilité. Mais la demande étant forte, le sympathique
synthésiste roumain a fini par céder et nous offre finalement cette musique que ses fans attendaient avec
impatience.
C'est dans les très vieilles voûtes d'Indra que "Self Game" nous amènes. L'introduction est pompeuse à souhait
avec une tempête des mouvements staccatos qui déchirent le silence avec éclat. Oui le son est vieillot, mais la
signature Indra est très présente avec des orchestrations vives où se cache un mouvement de séquences
saccadées qui étire un débit spasmodique. Le ton des séquences est hybride, comme l'est souvent l'univers
Indra, et les coups secs bondissent avec la complicité de percussions, autre élément qui ajoute à la profondeur
des rythmes d'Indra, alors que les synthés tissent des nappes de voix qui flottent avec la violence des
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orchestrations. Et comme souvent, le rythme est aussi entraînant, je dirais violent ici, qu'assez mélodieux. Ça
sonne vieux. Très vieux! On entend des hiss un peu partout et ça me fait penser aux cassettes de Baffo Banfi
et d'Earthstar, mais l'essence Indra est déjà reconnaissable entre mille. "Ascending" vient sans doute de la
même époque avec des arrangements qui sont plus fluides. Des orchestrations d'un genre cinématographique
Arabique qui englobent la vélocité des séquences, que l'on devine à peine ici, mais pas des percussions qui
matraquent un rythme nettement plus lent que les envolées orchestrales. La délicatesse d'Indra, son côté
romanesque, a souvent nuancé ses approches pour le moins violentes ou encore minimalistes éthérées. Des
perles de tendresse nichent ici. Comme la très belle berceuse lunaire qu'est "Land of Peace" où les étoiles
scintillent parmi les gémissements du cosmos. "Angel Day" est une autre belle berceuse pour âmes à la dérive
avec des séquences qui chantent autant qu'elles pleurent. C'est émouvant et le nuage de hiss fini par
disparaître dans la tendresse du titre qui assume ses parfums de Vangelis. "Dawn" va nous lever le poil du dos
avec une superbe flûte cosmique qui a sans doute charmer les lutins du Moyen Âge ou à tout le moins alimenté
leurs fantaisies. Idem pour "Eleodor" qui est par contre un peu plus ambiant que mélodieux. On dirait que l'eau
qui suinte pleure avec ces nappes de voix séraphiques. "Centre" est plus un titre d'ambiances avec des effets
électroniques qui alimentent des chants de flûtes alors que l'introduction soufflée d'ambiances de "Dance of
the Fairies" amène vers un fascinant mouvement de danse paysanne des années du Moyen Age; Un parfum qui
repose délicatement sur plusieurs des titres ici. Le mouvement devient bondissant, vrombissant même avec
des pulsations sourdes mais lourdes qui palpitent avec trop de force dans de belles lignes de synthé porteuses
d'élixir de sommeil. Le son est immensément riche, trop même pour les possibilités d'enregistrement de
l'époque. C'est définitivement un titre que j'aimerais bien qu'Indra reprenne, rejoue un de ces 4! "Weeping
Spirits" est un titre ambiant nourri de longs drones, de longs woosh et de couches de synthé aux couleurs
ocrées où tonne un maillage de percussions et de pulsations saccadées. "Mecca" est un autre titre ambiant à
saveur spirituelle cette fois-ci avec des effets de guitares qui grattent un rythme tribal Hindoue supportée par
des percussions manuelles et des larmes de violons. Le son est difficile à discerner ici, mais on découvre le nid
de l'univers Indra. "Ever Point" est autre titre ambiant avec de lourdes nappes d'orgues qui créent un
environnement genre Fantôme de l'Opéra. Des percussions secouent un peu les ambiances, amenant
l'approche cathédralesque vers ces structures de rythmes minimalistes ambiants d'Indra. Après une intro
ambiante, où des accords de guitares gitanes errent dans des bancs de brume patibulaire, "Late in the Night"
se tourne vers un rythme délicatement sautillant. Les pulsations vrombissent et les cliquetis dansent alors
qu'Indra balance cette structure minimaliste où des percussions changent quelque peu une vélocité
stationnaire nourrie par des parfums d'Arabie. "The Calling" est un peu dans le même genre alors que "The
Way In" est plus dans le genre ambiant très Schulzien avec des nappes d'orgues, de voix et des percussions
qui tonnent et roulent dans une finale qui refuse de se départir de son manteau d'ambiances.
Essentiellement pour les fans d'Indra, “Ruby One” est une compilation de titres récupérés dans des
enregistrements qui subissent l'usure, et du temps et de l'avancée technologique en matière d'enregistrement.
La musique y est charmante, parfois même très belle. Seule la limitation des sources d'enregistrement de
l'époque empêche nos oreilles de la déguster sans avoir des frissons de d'agacement dans les tympans. Mais
peu importe, la machine est en marche et j'attends cette série Archives avec la plus grande impatience car Indra
est synonyme de très belle musique ambiante, méditative ou séquencée à faire rouler les têtes. La preuve est
ici et j'attaque Ruby Two sans autres délais!
Note : 4/6
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INDRA : Archives-Ruby Two
Chronique réalisée par Phaedream
Après un premier Ruby qui comprenait une série de 14 titres récupérés dans les années 94 et 95, “Ruby Two”
conclut cette période avec 2 titres tirées des albums Tales from Arabia en 1995 et Space réalisé en 1994. Par la
suite “Ruby Two” fait un énorme bond dans le temps avec 6 titres composés à la même époque que Echo in
Time, un des premiers CD officiel d'Indra, qui étaient perdus dans les nombreux enregistrements qui jonchent
les voutes du synthésiste Roumain. Contrairement à Ruby One, ce 2ième volet de la gigantesque série Archives
offre une meilleure qualité sonore, mise à part des percussions qui résonnent trop fort dans le succulent
"Equilibrium", et nous amène littéralement là où Indra commençait peu à peu à charmer les sens des amateurs
d'une MÉ minimaliste qui était imbibée des parfums de Klaus Schulze, périodes Agnst à Miditerranean Pads.
Moi j'ai adoré car, et ce comme dans chaque album d'Indra, se cache une perle ou deux qui font sourire, et nos
oreilles, nos sens et notre âme.
Et ça débute avec "Maya", tiré de l'album Tales from Arabia. Déjà nous sentons la prémices de la signature
Indra avec un mouvement de séquences minimaliste qui zigzague en douceur et subtilité et où s'intègrent des
accords de synthé qui sont vêtus de tonalités de guitares méditerranéennes. Des nappes de synthés embuées
de brumes et de chœurs astraux assurent la portion ambiances alors que ces accords de fausse guitare
dirigent la portion des harmonies. Ça me fait penser à un conquistador jouant de la guitare sur le dos d'un âne.
Envoûtant et magnétisant, même paré de cette vieille enveloppe sonore, "Maya" est la porte d'entrée d'un
univers que l'on ne connaissait pas encore spirituel d'Indra. "The Deep (Excerpt)" est l'un des rares fragments
sonores récupérables de l'album Space. C'est un titre ambiant avec de belles orchestrations qui sont secoués
par des percussions armées de frappes arythmiques. Les violons, les nappes et les pépiements des synthés
ainsi que ces chœurs que l'on devine à peine nous plonge dans un univers de méditation trouble. Après nous
tombons dans l'inédit avec le très beau "A Walk in the Clouds" et, croyez-moi, le titre porte ses intensions à
merveille. Au tout début, le mouvement des séquences est furtif avec des pas incertains qui sculptent la
marche d'un canard sur des nuages stigmatisés dans des couleurs irisées. Façonnées dans une fumée bleutée,
les harmonies sont divines même si ambiantes. L'architecte des sons de la Roumanie ajoute ces percussions
aux frappes si désordonnées ainsi que des séquences en verre qui tintent sur les pulsations de ces pas qui
sont maintenant plus vifs, plus rapides. C'est un bref passage accélérant où les synthés gémissent
merveilleusement dans une mosaïque de sons et de tons qui reprendra la marche boiteuse de son introduction
mais enrichie de tonalités organiques, on croirait vraiment entendre un canard caqueter, et de ces perpétuelles
caresses de violon qui donnent tant de profondeur à la musique d'Indra.
Ces violons pleureurs nous porte aux nues avec la très belle berceuse morphique qu'est "Living on a
Rai118ow". Un autre titre que j'aimerais entendre dans une version totalement refaite par Indra. Très beau! Le
piano m'arrache les larmes de l'âme. Les limitations des sources d'enregistrement sont encore plus
omniprésente dans "Equilibrium". Les tintements et surtout ces percussions décousues qui meublent les
ambiances méditatives d'Indra, de même que certaines explosions feutrées (sont-ce toujours des
percussions?) agacent un peu l'ouïe. À ce niveau, le très ambiosphérique "Ancestor's Legacy" aurait nettement
plus d'impact ici. Mais pourquoi mettre un tel morceau si la sonorité fait tant défaut? Parce que c'est un pur
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bijou! La berceuse cosmique qui gravite comme si nous montions une escalier en colimaçon vers le ciel est
tout simplement divine. Les arrangements sont soyeux. Et la finale! Tout simplement divine avec son
mouvement fluide et vif des séquences qui semblent courir comme une armée de petit pas dans un labyrinthe
orné de mini haut-parleurs qui diffusent des nappes fumigènes et des harmonies vampiriques. Du New Berlin
School magnétisant. Et ça me fend le cœur de savoir un titre aussi génial perdu dans une enveloppe sonique si
limitée. "Oldie but Goldie" est un autre titre intéressant dont l'intro semblait pourtant dégagée rien de vraiment
captivant. Ça démarre lentement avec des couches de synthé aux formes contrastantes. On dirait des chants
de baleines qui se meurent sur les banquises du cosmos. Des bruits hétéroclites et des percussions
éparpillées, ainsi que leurs ombres et l'écho de ces ombres, tentent de sculpter un rythme ambiant qui
accompagne les chants d'un synthé nasillard. Peu à peu ce mouvement plutôt inorthodoxe prend forme avec
des séquences plus harmoniques qui tintent dans les sillons de percussions de plus en plus entraînantes.
Séquences et percussions ajustent leurs cadences et amènent "Oldie but Goldie" vers un tempo aussi lent
mais plus lourd et plus dynamique. Sans doute composé dans les cendres et ambiances de "Oldie but Goldie",
"In the Army" offre une structure superbement plus animée avec un bon jeu de séquences et de percussions où
éclatent de beaux effets sonores et s'extirpent une splendide mélodie séquencée et tisseuse de ver-d'oreille.
Depuis les 7 dernières minutes de "Equilibrium" nous sommes dans un univers qui mérite amplement ce “Ruby
Two”. Dans un univers unique à Indra qui mérite certainement son alliance sonique avec Klaus Schulze. Il y a
du très bon matériel ici. À date, l'exploration des deux premiers volets de Ruby sont à la hauteur de mes
attentes. Je plonge dans Ruby Three la semaine prochaine.
Note : 4/6
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INDRA : Archives-Ruby Three
Chronique réalisée par Phaedream
Deux lignes orchestrales où les caresses des violons dansent dans les morsures saccadées des autres,
"Concerto for Two Guitars and Orchestra in F sharp" débute ce 3ième volet de cette vaste série de musique
oubliée dans les voutes d'Indra avec une approche symphonique et acoustique qui laissera ses empreintes tout
au long de ce “Ruby Three”. La guitare acoustique, sculptée dans le Kurzweil ou le Wavestation, fait courir ses
notes tout au long du clavier avec la même dextérité qu'un guitariste de Flamingo. Ces notes dansent et
virevoltent avec des airs flûtés et des arrangements autant soyeuses que vifs et saccadés, amenant la musique
du synthésiste Roumain vers un niveau plus symphonique qu'électronique, même si le tout est imagination
auditive et puisé dans des équipements électroniques. “Ruby Three” nous présente une autre facette d'Indra.
Même si l'on entend certaines influences Schulziennes, je pense entre autre à "Gipsy Dance", cette collection
de titres composés à la même époque que le très beau Echo in Time, soit entre 1998 pour les 7 derniers titres et
1999, nous présente une approche plus acoustique et symphonique d'Indra.
En fait seulement le rythme ondulatoire et zigzagant de "Taurus" nous ramène sur le versant électronique à
celui que l'on doit la fascinante série Tantric Celebration. Le mouvement de séquences est vif. Il claque comme
des mini Glockenspiel sur une ligne de basse discrète et efficace. Les claquements de sabots, les brumes
d'éther, les lents et enveloppant mouvements orchestraux ainsi que les percussions aléatoires sont la
signature usuelle d'Indra qui reste tout de même assez sobre dans son approche. Et ce même si le rythme
devient plus vif et pulsatoire. Ce qu'il faut remarquer est ce petit penchant qu'a l'artiste Roumain à vouloir
constamment charmer nos oreilles avec une palette de sons qui suit la parade du mouvement. "Let's Do It" est
aussi un titre très électronique avec un mouvement régulier d'un métronome où se greffe un amalgame de
percussions aux tonalités hétéroclites et aux frappes imprévisibles, on reste toujours dans l'univers d'Indra,
ainsi qu'une nuée d'effets et d'harmonies électroniques empruntés au répertoire des années où la MÉ faisait
éclater ses charmes avec Pop Corn. Par la suite nous tombons dans un univers particulier où une séduisante
approche tsigane se dévoile à nos oreilles. "Pixies, Gnomes and Fairies" s'extirpe d'une introduction rongée
par des percussions et des arrangements aussi aléatoires que soudaines pour offrir une fascinante berceuse
pour enfants attirés par un univers de fantaisies. On dirait même une comptine pour Noël avec des
mouvements très orchestraux qui sont aussi élégants qu'une valse ambiante à trois temps. "Easy Tempered"
est une très belle ballade électronique falsifiée par un synthé qui a volé des accords de guitare acoustique. Le
rythme est lent, même lorsque persécuté par des martèlements de batterie, et offre sa fragilité à de beaux
arrangements très oniriques. Sans ces percussions qui claquent constamment, on croirait entendre du
Vangelis dans l'époque d'Opera Sauvage. C'est assez émouvant! On aime? On va dévorer "When in Dreams",
est une longue berceuse acoustique très éthérée qui s'apparente tellement à l'univers tout en rêve du célèbre
musicien Grec. Ça mes amis, c'est de la belle musique pour se réconforter dans les bras de Morphée! "Titans at
Work" débute comme ces danses folkloriques du temps des années Games of Throne. Peu à peu le lent
mouvement se pare d'effets électroniques pour adopter un style plus Méditerranéen où la signature d'Indra
relève le tout d'une approche orchestrale gangrenée par l'indécision des mouvements. La 2ième partie est plus
soyeuse avec de bons arrangements orchestraux (roulements de batterie symphonique et caresses
d'instruments à cordes) qui plombent les harmonies évasives d'une guitare méridionale. Ai-je besoin de décrire
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"Romance"? Des accords de clavier, imbibés d'incertitude, hésitent à se lover entre nos oreilles après une
ouverture nourrie de vents creux et de tintements de cymbales. Peu à peu ces accords, qui sonnent comme des
riffs de guitare, décrivent des cercles harmoniques qu'un synthé parfument de lignes sculptées dans la
tendresse. "Romance" éclot définitivement avec des délicats coups de percussions basses. Plus rêveur
mélancolique que romanesque pensif, le mouvement est lent. Les harmonies revêtent un caractère plus gitan
alors que les pulsations accélèrent la cadence sans jamais faire déborder "Romance" de son lit contemplatif.
Ce “Ruby Three” respecte en tous points les visés d'une telle collection; soit de mettre en valeur la diversité
d'un artiste avec une musique qui lui ressemble sans pour autant qu'il soit prisonnier de son étiquette. Nous
avons une belle collection de musique ici qui dévoile un côté, déjà senti faut l'avouer sur l'album Echo in Time,
d'un artiste qui aime challenger les limites de sa signature. C'est du Indra, il n'y a pas de doutes! Un Indra
différent qui démontre son côté plus romanesque et seigneurial que spirituel et électronique. J'ai bien aimé et il
y a des petits bijoux ici qui m'accompagnent maintenant pour mes dodos ou mes soirées de rêverie près d'un
feu de foyer. Cela devrait vous donner une idée de l'esprit qui entoure “Ruby Three”.
Note : 4/6
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ARCANE : Black Knight
Chronique réalisée par Phaedream
Paul Lawler s'amuse comme un petit fou avec ses nouveaux jouets. Et c'est nous, amateurs d'Arcane et des
inexplicables mouvements de la MÉ, qui en bénéficions. “Black Knight” est déjà le 4ième E.P. d'Arcane en 2015.
Et cette fois-ci, l'aventure est différente! Paul Lawler nous amène dans des territoires noirs. Dans des corridors
ambiants où la musique épouse à merveille cette illustration qui sert de pochette sur la page Bandcamp de
l'artiste Anglais.
On dit souvent que certaines réponses du cosmos se trouvent au fond de nos océans. C'est ce qu'il faut
comprendre lorsque des meuglements de baleines, des chants d'étoiles des mers et des pépiements de sternes
ouvrent "Black Knight 1". En fait, ce premier titre qui ouvre les quatre volets de “Black Knight” est un genre
d'immersion océanique nappé de voix céleste qui errent dans des profondeurs abyssales. Peu à peu le titre
délaisse les vestiges du fabuleux M'ocean de Michael Stearns pour emprunter un virage cosmique où des
larmes de violon caressent des pépiements électroniques et où cette chorale océanique élève ses harmonies
ambiantes d'un cran pour rivaliser avec une forme de dialecte numérique. Un dialecte qui ouvre "Black Knight
2". Ici, les ombres des sourdes pulsations tissent un aura aussi nébuleux que ténébreux. Figeant même une
marche rédemptrice, un peu comme les lents battements d'un cosmonaute qui peu à peu découvre un univers
aussi magnétique qu'hostile. Les nappes de chœur sont toujours aussi présentes ainsi que de belles
orchestrations cosmiques qui bercent une nuée de tonalités aussi informatiques qu'interstellaires. Nous
flottons dans l'espace. Nous dérivons au travers la musique de “Black Knight”. Gazouillis électronique, dialecte
électronique et effets électroniques embuent l'introduction de "Black Knight 3" où les sourdes réverbérations
des pulsations chassent peu à peu ces bruits afin d'y installer une quiétude astrale. C'est ici que le vide est le
plus présent avec de belles nappes de chœurs et des larmes de synthé qui jettent des harmonies spectrales sur
un rythme ambiant qui a pris racine dans les échos des pulsations. "Black Knight 4" nous ramène à des
années-lumière dans le temps avec une lourde intro engorgée de tonalités hétéroclites, de bruits électroniques,
de nappes violonées et de voix aussi noires que dans les années Phaedra. Le rythme pulsatoire émiette l'écho
des pulsations en un longiligne chapelet dont le fin mouvement de saccades se refugie dans une finale plutôt
musicale.
L'une des grandes forces de “Black Knight” est cette muraille de tonalités d'outre-monde et de nappes gorgées
de chœurs mystiques qui nous enfonce de plus en plus dans un néant cosmique. L'autre est ce souci du détail
que Paul Lawler déploie afin de nous envahir de cette muraille. C'est noir et enveloppant, intrigant et intimidant,
comme une excursion, que l'on imagine, dans le cosmos. Mais sommes-nous vraiment dans le cosmos?
Note : 5/6
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Perge : Scattered Thoughts
Chronique réalisée par Phaedream
Perge assume pleinement les pouvoirs de ses influences. Depuis le premier album Dyad, paru en 2012, le duo
Anglais s'est donné comme mission de remodeler en version studio les grandes performances en concert de
Tangerine Dream, périodes Baumann à Schmoelling. Et Matthew Stringer et Graham Getty sont très à l'aise
avec cette mission qui soulève peu de controverses dans un cercle de fans qui s'arrachent pourtant le poil des
yeux à la moindre étincelle. Ça mes amis, c'est le signe d'un immense respect à l'égard des deux musiciens.
C'est aussi le signe que Perge fait très bien les choses. Sous une pochette qui ressemble à White Eagle,
“Scattered Thoughts” est offert en CD manufacturé comme un mini album, l'album est aussi disponible en
téléchargement, et enveloppé dans une belle pochette plastifiée. Comme à la belle époque des 33 tours. Le
contenant est très professionnel. Et le contenu?
Des lamentations de métal en douleur ouvrent "Deja Entendu". Il n'y a pas 10 secondes au compteur que déjà
un mouvement de séquences fait sautiller et galoper des ions qui se parent de tonalités infectées de
résonnances. Une autre ligne de séquences émerge une minute plus loin. Son mouvement en zigzag amène un
chant flûté et fait disparaître momentanément la première ligne de rythme. On cherche dans notre tête, et nos
souvenirs, d'où peut bien être extraite cette musique. De quelle époque! La réponse peut se trouver entre
Phaedra et Stratosfear, car malgré toutes les subtilités apportées, les essences de cette période parfument nos
oreilles même si "Deja Entendu" est plus basé sur le concept de l'originalité. Le Mellotron est fabuleux et son
solo flûté trône sur cette chorale chtonienne, qui est plus séraphique que menaçante, et ce mouvement de
rythme dont l'intonation monte et descend comme un serpent repu. Des nappes de clavier aromatisent les
ambiances qui se dorent des années 80. C'est comme unir White Eagle à Phaedra. De flûte, le Mellotron se
transforme en synthé et lance des solos torsadés alors que le rythme devient plus électronique et que les
nappes de claviers envahissent nos oreilles. "Deja Entendu" entre dans une autre phase avec une cette même
structure de rythme circulaire où les ions sautillent dans une plaine sonique gorgée de nappes bruineuses et
où les synthés remplacent ces chants de flûtes avec des solos perçants et harmoniques dans une enveloppe
sonique enrichie des parfums de White Eagle. La finale nous amène vers un moment pensif avec une guitare
acoustique qui étale ses notes et sculpte une délicate berceuse dans les jardins de l'Eden. Vous vous doutez
bien que "Hyperbole" est modelé sur la précieuse ballade Hyperborea? Et c'est très beau. Plus un remix qu'une
refonte d'une interprétation en concert, je ne pense pas qu'Hyperborea fut joué en concert dans la période visée
par Perge, "Hyperbole" est superbement bien amélioré ici.
Idem pour "Troposfear" où les nuances contemporaines en feront un de vos titres préférés du répertoire de
Perge. "Horizane" est une fascinante fusion entre ces deux titres cultes du célèbre album Poland. Les parfums
soniques flottants y sont. Ces brises métallisées qui viennent des déserts industriels. Il y a un habile mélange
de nappes flutées et angoissées qui flottent dans une intro bourrée de clins d'œil soniques à Horizon. Le
synthé qui y siffle avec tant d'acuité embrasse ces airs célèbres avec une brise de nouveauté dans l'approche
et les premières minutes sont conformes avec la vision des ambiances qui sont redessinées. La structure de
rythme est légèrement plus flottante avec des boucles qui pétillent comme des ressorts dans les sillages de
cliquetis métalliques. Les pulsations basses et les lignes de synthé apocalyptiques. Nous sommes si près et si
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loin en même temps, d'où la séduction. On ne saurait le titre, que peu ferait le lien. Le rythme se développe avec
des pulsations perpendiculaires, un peu comme un techno morphique qui est embrasé par de bons solos d'un
synthé aux harmonies torsadées et un brin nasillardes. Le titre plonge dans un néant ambiosonique vers la
13ième minute. Là où les percussions électroniques et séquencées de Barbakane, de même que ces effets
sonores à la White Eagle, martelaient nos haut-parleurs en 1984. Encore là, tout est nuancé. On ne connaîtrait
pas la genèse que l'on penserait entendre un excellent truc de MÉ. Et c'est sans contredit la grande force de
Perge. Faire du neuf avec du vieux qui sonne comme quelque chose que l'on reconnait vaguement entre les
méandres du temps. Très bon. Le meilleur de Perge? On dit ça à chaque fois. Je ne sais pas s'il en reste des
copies, mais je vous le recommande fortement. C'est plus que du Tangerine Dream. C'est comme le fils spirituel
du Dream qui s'est accrochée dans les corridors du temps.
Note : 4/6
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PJ Harvey (Pj) : Live at Reading 2001
Chronique réalisée par (N°6)
Mon premier vrai bon souvenir de Paris, c'était PJ Harvey à l'Olympia, deux jours avant mon anniversaire qui
plus est. C'était l'époque de son album New-Yorkais, décrié à tort par certains parce que PJ y était plus
accessible, plus classiquement sexy aussi, peut-être parce qu'elle y chantait mieux, avec presque des échos
d'une Chrissie Hynde des débuts (celle qui avait une classe d'enfer). "Stories of the Sea, Stories of the City"
dans la tête, en route vers l'Olympia. Cet album me rappelle la ligne 14 du métro alors quelle était encore vierge
de souvenir, tout comme ces boulevards, ces rues alors déconnectées de mon isoloir personnel, ce "cube"
dans lequel j'aurai passé quinze ans. PJ Harvey à l'Olympia, avec Giant Sand en ouverture. je ne savais même
pas qui étaient Giant Sand, moi qui allait devenir quelques temps plus tard un inconditionnel de Howe Gelb. Y
avait même des musiciens de Grandaddy en renfort. Mais je diverge. PJ Harvey à l'Olympia, souvenir d'un
concert immense, d'une salle qui entre en résonance au moment du rappel. C'était ça Paris, ça allait être ça
avant tout, des concerts que je n'aurais pas pu voir ailleurs. Finalement, tout allait bien se passer à Paris.
Qu'est ce qui peut vous arriver quand vous avez 24 ans et que vous sortez voir un concert de rock à Paris ? Au
pire, discuter avec une nana sympa et peut-être bien… Mais c'est pour plus tard, à ce moment-là, j'étais trop
hypnotisé par Polly Jean Harvey. Celle que je garderai quand j'aurai abandonné tous les autres. Sans elle, pour
moi, pas de Murat, pas de Nick Cave, pas de Howe Gelb, pas de Steve Albini, pas de Beefheart, et tant d'autres,
par ricochets et associations. Polly Jean, c'est avec elle que ça a commencé. Et je la voyais enfin. La trentaine
impériale, sexy as fuck comme il convient de dire, et un répertoire déjà fabuleux. Et puis je l'aimais bien moi cet
album plus direct, moins torturé, moins théâtral. Plus urbain. Ca tombait bien, j'étais devenu moi-même un
citadin. Y avait dedans plein de très bons morceaux qui trouvent en live une nouvelle dimension, à commencer
par "This is Love", dont la simplicité apparente ne m'a jamais rebuté. Et puis les déjà assez abrasifs "The
Whores Hustle & The Hustlers Whore", "Big Exit" ainsi que le terrible et dissonant "This Wicked Tongue" qui
prennent sur scène une ampleur encore plus impressionnante. Et quand elle va piocher dans les bruitistes "The
Sky Lit Up" (extrait de "Is This Desire") et "Somebody's Down, Somebody's Name" (face B de l'époque "To
Bring You My Love"), elle démontre qu'elle n'a absolument rien perdu de ses angles tranchants, de sa féminité
rageuse et agressive. Le concert était bien plus long, tout comme celui-ci, enregistré au festival de Reading par
une forte chaleur à en juger par la tenue de scène minimaliste de PJ (quoiqu'elle était coutumière du fait à
l'époque, assumant de se présenter sans les fards et les masques du passé). Elle avait commencé avec "Rid of
Me", seule à la guitare. J'étais monté direct au septième ciel dès les premières notes pour ne plus redescendre.
Ca allait être ça Paris, ça allait bien se passer. C'était il y a quinze ans. Peut-être qu'il y a quelques semaines,
j'aurais été voir un concert de plus dans une de ces salles parisiennes maintenant familières, en passant par
des rues depuis longtemps beaucoup trop familières, saturées, usées de souvenirs, et puis… D'ailleurs très
bientôt, j'aurai vu mon dernier concert à Paris. Après quinze ans. Une éternité. C'est suffisant. Et puis j'ai vu PJ
Harvey à l'Olympia. Je peux bien partir. D'ailleurs, à ce qui ce dit, il n'est plus très sûr d'aller à des concerts à
Paris. Alors j'irai à des concerts ailleurs.
Note : 5/6
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Mare : Mare
Chronique réalisée par saïmone
Il y a douze ans de ça (putain, 12) - une époque où les mp3 étaient réservés aux nantis – une pochette absurde
dénichée au hasard chez mon disquaire (une race que les moins de vingt ans blablabla) m'avait fait forte
impression, d'un album donnant classiquement dans le style à la mode du moment – HxC chaotique étou mais sur un versant particulièrement obscur et tortueux ; je parle bien sûr du premier EP de The End. Peu après
cette sortie, le chanteur désertera le groupe (qui s'enlisera dans le pire puis splittera tout aussi logiquement) et
s'en ira fonder Mare, groupe lui aussi à l'existence plus qu'éphémère, petite comète traversant le paysage de
l'époque (à la mode, du post-hardcore) avec une luminosité certaine, et auteur d'un unique EP, celui dont je
souhaite vous parler aujourd'hui. Dix ans après sa sortie, l'album est devenu une sorte de classique, et déjà à
l'époque on sentait que quelque chose allait se passer ; pas la disparition pure et simple de la « tête pensante »
(le batteur ira, lui, s'amuser avec succès auprès de Circle Takes the Square), mais bien l'avènement d'une
nouvelle forme de « metal » lourd et positif, romantique en quelque sorte – et dont Thou est en quelque sorte le
relais dans sa forme la plus austère. Mare est, à rebours, bien plus ambitieux, voir baroque – style New York
quand l'autre est plutôt Bayou. Assez proche de ce qu'offrait Kayo Dot sur son premier album, voir des
premiers albums de S.U.P. (influence probablement inconsciente mais évidente à l'écoute du second titre), à
grand renfort de cuivres tristes (que d'aucuns qualifieraient de bourgeois), de vocalises Buckleyienne un rien
chouchou, on voit tout de suite que Mare vise haut, loin, et propre. Le son, énorme, donne de l'épaisseur aux
arpèges titanesques, tout comme les hurlement surmixés donnent une coloration
screamo-souffrance-authentique à un ensemble légèrement trop clinquant. Malgré ça, je ne peux pas lui
attribuer moins que la note maximale, tout simplement parce qu'il entrecroise les trajectoires de mes groupes
fétiches, avec une préciosité obscène qui me touche, qui me donne l'impression d'être un homme de meilleur
goût, un homme plus beau, un homme séduisant – et que si je découvrais ce disque aujourd'hui, probablement
que je tomberais aussi fatalement amoureux de lui que je le fus à l'époque. Miroir, mon beau miroir, as-tu peur
du noir ?
Note : 6/6
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Versailles : Pointers
Chronique réalisée par Twilight
Swiss Dark Nights était jusqu’alors plutôt spécialisé dans la production de disques de groupes débutants afin
de leur offrir un tremplin de qualité mais le duo Versailles fait exception puisqu’il signe ici son troisième essai.
À l’inverse de bien des formations portant le même nom plutôt versées dans le progressif ou le symphonique,
les Italiens ne sont pas des royalistes, ils expriment le mécontentement populaire, la voie de l’action directe…
Pas de fioritures, d’introductions à rallonge, pas même besoin de titres, on lance les boucles, le rythme, et on
laisse tourner en travaillant l’intensité, le charme hypnotique des ténèbres, avec le chant en retrait légèrement
spectral dans ses sonorités. Moins tourmentés que Killing Joke, plus glauques que The Fall, plus
psychédéliques que Joy Division, Versailles ne relâchent pourtant pas un seul instant la pression, l’album
s’écoule comme un torrent noir, pas vraiment bouillonnant mais impétueux de sa source au saut final de la
cascade, avec des instants magistraux comme le numéro 4, bouleversant dans l’intensité continue de la
rythmique et des nappes de guitare qui s’échappent en lambeaux couinant par moments, ou le 5, plus haché et
consciemment punk dans l’âpreté violente de ses riffs. Les fans de goth et de post punk goûteront à la touche
tribale des rythmiques, les amateurs de noise rock se rongeront les ongles devant ces guitares qui titillent la
saturation sans jamais y céder et même les punks secrètement amoureux de shoegaze y trouveront leur
compte (la piste finale). Recommandation : à écouter d’une traite et fort !
Note : 5/6
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Shadowhouse : Hand in hand
Chronique réalisée par Twilight
‘Play loud, dance slow’, peut-on lire sur les t-shirts du groupe Shadowhouse… J’aime assez, même si il serait
erroné d’en déduire que leur musique est lente et molle. Elle est plutôt intense, sans que le groupe ne
recherche la cavalcade effrénée ; il n’en nul besoin, sa rythmique est pêchue et énergique à souhait, ses
guitares n’ont su se purger entièrement d’une certaine force héritée du punk et cela s’entend, se ressent, dans
la froideur grinçante de leurs cordes. Un peu de synthé glacé pour renforcer les atmosphères et le tour est joué.
Shadowhouse sonne comme un groupe intègre qui n’a nul besoin d’esbroufe, un peu à l’image de la voix de
Shane McCauley, grave, assurée, très légèrement plaintive, héritière de Play Dead et des Chameleons, en plus
retenu, plus triste. ‘Hand in hand’ est le type de disque qui s’impose l’air de rien, qui n’était pas là une seconde
auparavant et qui soudain squatte la chaîne hi-fi. Le truc qu’on écoute en hochant la tête, l’air content de soi,
mais bon, des trucs du genre, il en sort un paquet par les temps qui courent…Oui, mais ces ambiances…C’est
là que réside le petit plus. Tout en conservant une production spontanée, le groupe travaille ses mélodies et le
halo qui s’en dégage et c’est ce halo qui s’insinue sournoisement dans l’esprit de l’auditeur, l’en imprègne, à tel
point que les chansons de ce disque se révèlent assez vite indispensables. Jamais dans la retenue mais jamais
à 100% dans le lâcher prise, les Américains tissent une forme de post punk goth hanté qui pourrait bien au final
avoir été enregistrée dans une demeure hantée mais pas dans la cave, dans le hall.
Note : 5/6
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Cruciamentum : Charnel Passages
Chronique réalisée par saïmone
L’entre soi. Entre deux, entre nous. Nos caractéristiques communes, qui nous font nous sentir à l’aise ; les
mêmes odeurs, les mêmes choix de vies, les mêmes goûts. Le prélassement dans son rapport à l’altérité. C’est
notre raison d’être, sur Guts. Les accolades, les private joke, les clins d’œil ; et bien que ce soit en net déclin,
c’est toujours sur ce mode que fonctionne la fidélité. Les métalleux ont quasiment désertés le site, depuis un
moment déjà. Voilà qui devrait les faire revenir : Cruciamentum. Râles de portes Azagthothiennes sur cavalcade
de limace amputée, propulseurs antigrav sur guet apens LV-426. Les têtes butées d’Immolation refusant le
demi-tour devant les phénomènes cosmique de Nocturnus. Le moine de Lewis s’est gouré de bouquin, se
retrouvant dans un pastiche de Clive Barker. Ou, pis encore, des mâchoires Obituary se refermant sur le biceps
saillant des premières pompes de Glenn Benton. Bon, on pourrait continuer longtemps comme ça – c’est l’entre
soi, la familiarité, le confort, que ce premier album de Cruciamentum ne perturbe pas - incluant, ça n’étonnera
personne, deux des gaziers de Grave Miasma, un autre d’Indesinence, un autre d’Atavist, dont il fait la synthèse
distorsion de l’espace/mythologie bestiale/écrabouilli-main-de-Raspoutine. En d’autres termes, un feel good
death metal projekt, habillé de toute cette morgue anglaise des campagnes mais aussi de ce culot
spasmodique, celui d’une ironie nerveuse des lendemains dégueulasses. Comme sa pochette le laisse
entendre : ce disque est une fête. Entre amis.
Note : 5/6
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Alien Nature & Stan Dart : Accelerator
Chronique réalisée par Phaedream
Une note de piano résonne. Un peu comme figée dans le temps, elle accroche son rayonnement dans des
lignes de synthé aux couleurs azures qui ondoient comme des filaments que l'on tassent du bout des doigts.
"Xterminator 17" s'accroche à nos oreilles avec un synthé pleureur qui affiche autant de morosité que ce piano
et son accord esseulé dans les lentes caresses de nappes de synthé aux parfums d'un gros orgue ténébreux.
Deux minutes plus tard, les ambiances introductives de "Xterminator 17" troquent cette enveloppe bourrée de
mélancolie pour une approche de boom-boom-klang-klang. Le ton est donné! On comprend de quoi sera fait
“Accelerator”. Sauf que nous ne surferons pas dans des ambiances de techno simplistes. Le martèlement des
basses pulsations/percussions fouettent des séquences qui clignotent comme deux abeilles devant l'attaque
d'un gros ours, alors que d'autres effets de percussions et de voix ainsi que des saccades de violon digne des
bons moments de la disco des années 70, des voix d'astronautes et de bons effets électroniques ornent le
rythme semi-vif de "Xterminator 17" d'éléments électroniques qui le différenciera des albums de ce genre.
Les amateurs de MÉ étaient très curieux face à cette collaboration entre Wolfgang Barkowski et Stan Dart; un
artiste qui est plutôt reconnu pour faire de l'Électronica et du Chill avec le concept de Cinematic Electronic Chill
Art. Qu'allait donné cette fusion entre le rock électronique cosmique d'Alien Nature, dont le splendide The
Airtight Garage of Jerry Cornelius avait amené Wolfgang Barkowski à un autre niveau, et les rythmes de
l'Électronica de Stan Dart? Eh bien le résultat est une fascinante fusion entre deux univers qui se respectent
mutuellement. Structuré dans une mosaïque sonique de 80 minutes bourrée de rythmes explosifs, tantôt
ambiants et parfois très entraînants, éparpillées sur 10 titres qui arriment leurs structures de danse cosmique
en une longue fresque continuelle, “Accelerator” est une agréable surprise remplie de trucs qui accrochent. Il y
a de merveilleux refrains électroniques, sculpté dans de bons mouvements de séquences, qui hantent les
oreilles ici et des rythmes robotiques qui martèlent leurs empreintes dans notre cerveau où le synth-pop des
années 70 et 80, le Chill, le techno morphique et le rock électronique n'ont jamais si bien parus ensemble.
"Chrome" est un bel exemple où la titubante marche sournoise épouse graduellement les armoiries du
synth-pop. Les percussions robotiques des années 70 sont aussi agréables qu'inattendues et forcent un
rythme bondissant. Un genre de hip-hop emmitouflé dans des solos de synthé sinueux qui sont très présents
dans cet album. Des solos ou harmonies, parfois plaintifs sinon criards et aussi très vaporeux, qu'un piano
agrémente avec une mélodie aussi mélancolique que ces larmes du synthé. Le tout se poursuit jusqu'aux
portes de "Am Morgen" qui propose une longue structure ambiosphérique où le clavier ramasse ses notes afin
de proposer un intéressant duel avec des séquences pulsatrices. Le rythme devient lourd avec des élans de
percussions dont les brèves attaques saccadées se chamaillent avec des effets de claquements de mains et
ces notes qui sont devenues des filets de séquences qui scintillent vivement dans une structure de rythme
sans issue.
"Evening Lights" épouse un peu le même pattern que "Xterminator 17", la structure y est aussi riche et vive,
sauf que le rythme est plus électronique, plus fluide, moins minimaliste et plus entraînant. Très bon! Ça fait
circuler le sang. Les ambiances de "Ambios 1" nous amène à "Sleeping Madness", un solide titre très
technoïde avec de bons effets électroniques. Ça fait très Jarre. Le rythme est lourd, sec et sautillant avec de
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belles variances qui étoffent une approche harmonieuse qui fait vibrer nos oreilles. Mais pas autant qu'avec
"The Grind" qui va vous enfoncer une mélodie séquencée qui va rouler en boucle toute la journée dans votre
tête. Simpliste avec 8 notes de séquences qui volètent dans une riche enveloppe cosmique, la mélodie est
appuyée par de solides orchestrations. Le rythme évapore ses ambiances technoïdes robotiques dans une
approche de transe collectif digne des planchers de rave. C'est un petit bijou obsessionnel! C'est du
Moo118ooter mais dans du plus lourd. Après le petit pont ambiocosmique de "Ambios 2", "The Heist" reprend
cette structure de rythme infernal avec un vif mouvement pulsatoire où se greffent des percussions martelées
sur du bois mou et des chapelets de séquences qui décrivent des filaments stroboscopiques. Le genre de
fusion entre la musique de danse et la techno me rappelle les structures de Visage dans son album éponyme
de même que celles de Jarre dans Teo & Tea mais dans une vision nettement plus vigoureuse. "Requiem"
conclut “Accelerator” avec une approche théâtrale qui se développe au fil de ses minutes en un bon rock
électronique symphonique. Un piano et un clavier échangent des notes mélancoliques en ouverture, tissant
une mélodie sombre qui peu à peu troque ses ambiances mortuaires pour un rythme qui croisse graduellement
dans des caresses orchestrales pour atteindre un lent staccato câliné par les lentes caresses de violons,
transpercé par des solos de synthé très envahissants et transporté par des boom-boom assourdissants. C'est
la signature de “Accelerator”.
Lorsque le nom de Wolfgang Barkowski apparaît quelque part, il faut toujours faire preuve d'ouverture car ses
œuvres sont majoritairement de beaux petits bijoux qui ont ce don d'amener l'artiste à un autre niveau. Et c'est
exactement le cas avec ce projet-ci. “Accelerator” est un percutant album d'une MÉ qui joue constamment
entre les frontières du modèle de la New Berlin School et la IDM (ou EMD c'est selon) où le rock électronique et
symphonique d'Alien Nature cohabite sans ombrage avec l'approche Électronica de Stan Dart. C'est très bon!
Et au risque de me répéter; les effets électroniques et les arrangements sont à couper le souffle...
Note : 5/6
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Brückner & Betzler : Two
Chronique réalisée par Phaedream
Michael Brückner est sans contredit une des figures montantes de la scène de MÉ Allemande qui se démarque
le plus depuis que One Hundred Million Miles Under the Stars a atterri dans les bacs en 2012. Depuis il collecte
des albums solos très intéressants et surtout des projets de collaborations qui éveillent l'appétit vorace de
ceux qui espèrent toujours un peu plus de la musique . Composée entre 2013 et 2015, la musique de “Two” est
son 3ième album en collaboration à paraitre depuis ce temps. Flanqué essentiellement de Tommy Betzler, qui a
déjà joué avec Klaus Schulze et P'Cock, aux percussions électroniques, Michael Brückner s'est aussi adjoint
les services de Sammy David à la guitare et de Fryderik Jona à la clarinette et au Moog. Synthés, percussions
électroniques, guitare, clarinette et Moog! Ce cocktail sonique offre des perspectives très intéressantes qui se
concrétiseront à mesure que l'on avance dans ce merveilleux album, dont la musique fut composée entre 2013
et 2014, où chaque minute est rodée au quart de tour, faisant de “Two” un album aussi fascinant, aussi
séduisant que le superbe Sparrows, paru en début 2014.
"(Not) Too Late" attaque nos oreilles furieusement! Un coup de percussion est à l'origine de son explosion qui
débute timidement avec une nuée de nappes suspendues qui frétillent sous les morsures des percussions que
Tommy Betzler alimente avec des frappes éparses. Un effet de voix vocodeur articule un genre de décompte et
lorsque cette voix étranglée annonce qu'il n'est pas trop tard; un effet de synthé interpelle nos oreilles avec un
bref mugissement strident. Une ligne de basse s'excite sous des nappes vaporeuses. Elle oscille vivement
alors que le synthé tente d'ajuster ses harmonies avec des torsades qui respirent les années psychédéliques.
Le ton est donné lorsque Tommy Betzler assène ses premiers coups de percussions. Les riffs de Sammy David
ne font aucun doute quand à l'orientation de "(Not) Too Late". C'est du rock électronique pur! Le rythme est
entraînant. Galopant à vive allure, il est ensevelie par de très bons effets de synthé, genre pépiements
électroniques qui sont la base harmonique de "(Not) Too Late", que Michael Brückner manipule avec doigté
tout en multipliant des solos aux torsades créatives et en étendant ce nuage de brume mystique si cher aux
mouvements électroniques. Le son est riche. Les percussions sont dans le ton et la guitare n'est pas trop
intrusive, éparpillant riffs et surtout un juteux solo en 2ième partie, dans cette avalanche sonique riche en tons
et en couleurs des sons. C'est l'équilibre parfait entre le rock électronique et ce bout de musique progressive
déjantée qui plait tant aux amateurs d'Ozric Tentacles. C'est un très bon titre en 2015. Mes oreilles vibrent
encore! "Two Worlds (Inside one Mirror)" propose un cadre plus relaxe avec une très belle mélodie arquée sur
un mouvement pianoté à la Tubular Bells. Les brumes d'éther la chasse aux frontières des 2 minutes, entraînant
nos oreilles dans un univers sonore où les whiish, woosh, bruits électroniques et bourdonnements accueillent
les douces complaintes de Fryderik Jona à la clarinette. Audacieux, Michael Brückner nous tire dans un décor
surréaliste où une voix shamanique, genre gutturale d'un chant Khöömei, remplace les charmes de Fryderik
Jona alors que peu à peu "Two Worlds (Inside one Mirror)" propose une structure de rythme appuyée sur un
mouvement circulaire minimaliste que Tommy Betzler restructure en bon down-tempo lunaire. Un tempo
morphique qui est copieusement arrosé par un Michael Brückner et ses solos de synthé toujours très créatifs.
"Gaia (A Suite in two Parts)" est un titre ambiosphérique qui a trouvé ses origines au début de 2014 avec la
pièce Ambient Percussion Sketch que l'on peut entendre sur la page Soundcloud du duo Brückner/ Betzler. La
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musique évolue dans un long canevas de 25 minutes où le rythme et le non-rythme sont divisés par de riches
enveloppes ambiosphériques. Les résonnement d'un gong et des percussions tribales d'un genre Tibétain se
veulent une approche clanique ambiante d'où s'échappent de beaux filaments de séquences ambiosoniques. La
structure, notamment ces vents gutturaux, me fait penser énormément à du Steve Roach. Et ce rythme!
Ambiant et savoureusement groovy, il obsède jusqu'à ce que des éléments d'ambiances l'avalent aux portes
des 6 minutes. "Gaia (A Suite in two Parts)" devient alors comme un gros nuages d'atmosphères où des
éléments de la nature et ses contrastes électroniques cohabitent dans un univers tissé dans la complexité,
dans la créativité. Des larves de six-cordes, des lamentations stridentes d'un synthé qui renifle en boucles, des
solos de guitares pleureurs, des tam-tam métalliques oubliés et des lourdes nappes de synthé très ésotériques
tapissent ces ambiances où le rythme renaît aux alentours des 12 minutes. À ce point, "Gaia (A Suite in two
Parts)" passera de Groove ambiant à un rythme tribal effréné avant de se repaître encore de ces ambiances qui
sont toujours aux portes d'un univers en extinction. C'est un long parcours qui trouve ses charmes à mesure
qu'on l'explore avec plus d'attention aux détails. L'introduction de "Monsoon (Too Soon)" va nous faire
sursauter. Le titre est fort et l'approche est nettement plus tribale africaine avec de belles fragrances arabiques
dans les vaporeuses lignes de synthé. Les séquences sont agiles et dansent à contre-courant des percussions
qui sont nettement plus fortes et plus féroces ici, amenant même le titre vers un rock électronique aussi
fougueux que "(Not) Too Late", nuances et subtilités dans l'approche en moins. "(One) To the Flame of Hope"
est le joyau de “Two”! Les 5 premières minutes sont tissées dans une riche enveloppe d'ambiances avec le
chant aigu d'un synthé qui vient vous chercher l'âme. Ses harmonies d'errant dominent un champs de drones
qui ondulent comme des vagues soniques, faisant éclabousser des sparages de percussions et de cymbales
d'où s'échappe un mouvement de séquences qui fait osciller ses ions dans des chants de clarinette. Les
ambiances sont riches et truffées d'effets électroniques ainsi que d'effets cosmiques où les solos de synth
chantent avec une clarinette qui se veut discrète devant la turbulence des percussions. Ce rythme échevelé
perd sa fougue dans un dense panorama ambiant où la clarinette trône sur une nuage de drones. Et peu à peu,
"(One) To the Flame of Hope" réoriente son approche ambiante vers une autre turbulence des rythmes qui croît
constamment sous la menace des synthés et de leurs ombres soniques aussi riches que difformes, guidant
l'auditeur vers une finale musclée. Une finale où les essences de la Berlin School embrassent un genre
d'Électronica raffiné par un Groove qui est soudoyé par de bons effets électroniques et par un synthé toujours
aussi dominant.
“Two” est pour deux, comme dans duo! Un duo qu'on peut entendre et voir sur You Tube et qui semble avoir
beaucoup de ressources dans le réservoir des surprises, notamment cette délicieuse version de House in the
Storm de P'Cock. Et il y aura une suite à ce premier album du duo Brückner/ Betzler. Dans un échange de
courriels avec Michael Brückner, ce dernier m'a annoncé un probable album pour le printemps prochain et c'est
tant mieux. Tant mieux parce que cet artiste respire la créativité et cette joie de faire quelque chose de différent
à chaque projet. C'est un artiste rafraichissant qui ose et qui défie ses limites d'album en album. “Two” est
l'aboutissement d'une réflexion où Michael Brückner a accepté de prêter sa musique à un percussionniste qui
l'a tabassée et déchiquetée sans jamais qu'elle ne perde son identité. Le plus grand tour de force de “Two”!
Note : 5/6
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Bertrand Loreau : Correspondances
Chronique réalisée par Phaedream
Des bruits de voitures, ou de scooters, sur les routes. Une circulation fluide et dense! Des bruits de ville en
éveil. Des pas dans un terrain maculé de brindilles. Des bruits de portes grillagées qui grincent. Du vent, des
carillons, des voix et une flûte! Elle chante un chant mélancolique à travers des voix et des crépitements de feu
et surtout sur les courbes des notes d'un piano aussi pensif que ces harmonies flûtées qui y flottent mollement.
Cette flûte perd ses airs dans le brouhaha des autos qui perd son tintamarre dans des carillons d'église qui
perdent leurs tintements dans les rondeurs d'une brève ligne de séquences. Et c'est le retour des crépitements
d'un feu de jardin. Bienvenue dans “Correspondances”! Bienvenue dans cet univers très personnel de Bertrand
Loreau. Et ceux qui espèrent en ce tout dernier essai sonique du synthésiste de Nantes un album à la From
Past to Past ou encore Spiral Lights, seront quitte pour un bon désappointement qui graduellement tournera en
fascination devant cette mosaïque de sons, d'ambiances et de mélodies qui sont éparpillées dans l'œuvre la
plus avant-gardiste de celui à qui l'on doit le superbe Nostalgic Steps en 2013.
Il y a peu à dire, ou beaucoup c'est selon, sur ce dernier opus de Bertrand Loreau qui se sert de la plate-forme
de Patch Work Music afin de mettre sur le marché un album très intimiste. Un album dédié à Jean Paul Vince,
un professeur de Français qui a initié Bertrand à la poésie et dont la musique a guidée ses pas vers son dernier
repos, et qui possède tous les attributs de premières œuvres de Vangelis; Sex Power et Fais que ton Rêve soit
plus long que la Nuit, aspect mélodie vivante en moins. Place à la mélancolie! Bertrand Loreau se promène ici
sur les rives d'un passé composé avec de douces mélopées qui sont pianotées sur un piano, tantôt acoustique
et tantôt électrique, dirigé par des doigts très nostalgiques qui ont tant à conter. Un pianiste dans un bar pour
âmes en dérive qui erre sur les réminiscences de sa période de jeune adulte avec des morceaux choisis et
insérés ici et là entre de longs parchemins d'échantillonnages qui sont reliés de près ou de loin à cette époque
que Bertrand Loreau a capturé sur un magnétophone numérique. Ici pas de longs mouvements aux spirales et
aux rebondissements cachés dans les lourds parfums de la Berlin School. On peut entendre certaines des
influences musicales qui ont bercées la jeunesse de Loreau dans l'ouverture de "Correspondances II", qui fait
très Klaus Schulze période Monndawn, ainsi que ces séquences lourdes qui sautillent rondement dans un petit
segment de l'ouverture de "Correspondances I". Il y a aussi ces nappes de chœurs sibyllins et ces brumes
mystiques qui sont des vestiges de la Berlin School. Mais pour le reste, nous sommes dans des territoires
avant-gardistes. Bien que “Correspondances” soit niché dans deux longs mouvements, il s'agit plus d'un
album d'ambiances avec une pléiade de mélodies sombres. Il y en a plus d'une douzaine, dont quelques unes
qui sont forgées dans des six-cordes acoustiques et/ou aromatisées par une flûte pleine de sérénité. Ces
mélopées sont tristes et semblent façonnées dans la solitude alors que certains échantillonnages, notamment
les chants d'oiseaux et les babillements des chérubins, dictent une approche plus heureuse, plus sereine. Ces
airs de mélancolie sont emmurées dans des murailles d'échantillonnages et d'effets électroniques qui amènent
“Correspondances” sur les rives de la musique concrète et des œuvres très modernistes où
l'électro-acoustique domine l'électronique. Comme on peut le constater, nous sommes loin de la Berlin School
mais pas de la créativité. L'exercice peut sembler lourd, mais tout réside dans la façon d'aborder
“Correspondances”. Si l'on se laisse aller et que l'on écoute une plage à la fois les oreilles bien rivées à un
casque d'écoute, on se surprend à errer nous-mêmes dans les couloirs de notre cheminement. Là où nos
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souvenirs finissent toujours par se fondent peu importe où et peu importe qui, comme des correspondances
entre des destins entrecroisés.
Note : 4/6
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Taedium Vitae : Tanz und schrei
Chronique réalisée par Twilight
Moi, j’aimais bien cette époque où les groupes Français s’appelaient Dies Irae, Lucie cries, Taedium Vitae, tout
le monde se lançait à fond dans le trip gothique avec références littéraires, occultes, historiques, on avait le
sentiment que tous prenaient ça avec beaucoup de sérieux et de passion…Contrairement aux ides reçues, les
années 90 ont été un bouillonnement créatif très intéressant et c’est toujours avec beaucoup de nostalgie que
j’en parle. Quant à ce maxi de Taedium Vitae, je ne sais quoi penser, soit il ne sert rien à rien, soit il est très
audacieux. Il précède de peu, l’album ‘Fleisch und Blut’ qui marque un changement clair d’influence pour le
groupe, notamment celle assez fraîche de Das Ich et de la vague allemande. On le ressent clairement avec ‘Tanz
und Schrei’, à ceci près que Jérôme G. opte pour une approche dépouillée, limite minimale, loin de
l’exubérance symphonique de Bruno Kramm. Le titre est en effet emmené presque uniquement par le beat et
quelques lignes de synthés. Cette économie de moyens, on la trouve dans sa version la plus extrême sur ‘Dead
can dance’: deux notes inquiétantes en boucle, quelques carillons, un peu de tambourin synthétique glaçant et
c’est tout. Juste, au milieu du titre, une brève partie chant dans une pure lignée Virgin Prunes, du plus bel effet
d’ailleurs. Peut-être un peu facile et longuet mais j’en goûte volontiers l’audace quand même. Difficile d’être
neutre sur ‘Die böse Engel’ qui sonne très cliché dans son orchestration romantico-synthétique (arpège de
piano, nappes mélancoliques, récitation féminine en allemand, cordes électroniques), ultra banal de nos jours
mais peut-être moins courant à l’époque…Très bien, mais tout ça est très atmosphérique, ça manque un peu de
rythme et ce n’est pas l’ultime titre, très nocturne, lugubre, qui va modifier la donne. Nappes de clavier
sombres, faux clavecin, percussions aux sonorités de samisen métallique…Pas mauvais en soi mais cette
impression d’entendre la troisième marche funèbre du maxi commence à lasser. Rien de franchement raté mais
un maxi mal équilibré dans ses atmosphères, un peu à l’image de l’album qui suivra, qui manque de punch par
abus de pièces purement atmosphériques. L’inverse de son titre.
Note : 3/6
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DOMINION : Storm
Chronique réalisée par Twilight
Super, ce nouveau Dominion ! Bien différent du précédent album où le côté dark wave occupait un peu trop de
place à mon goût, il nous balance cette fois un gothic rock électrique pêchu aux riffs burnés, à l’ambiance
puissante et riche. Etonnamment, j’ai parfois l’impression d’écouter un croisement entre Fields of the Nephilim
et Heroes del Silencio (c’est flagrant sur ‘Mandirigma’, interprété en tagalog, langue natale du chanteur) et je
dois avouer que ce cocktail est explosif. On sent le groupe bien dans ses bottes, donnant libre à court à sa
passion d’un rock aux limites hard dans le jeu de guitare (‘The last time’) mais clairement marqué d’une
décadence purement gothique. Doi Porras n’a jamais été si bon derrière le micro, se laissant aller comme
jamais auparavant, entre instants sur le fil du rasoir et éclats, la petite touche désespérée ponctuelle en plus. Si
je ne suis pas convaincu de la nécessité des quelques notes de piano sur l’entrée de ‘Storm’, le rôle du clavier
en tant que soutien des atmosphères est des plus pertinents. Contrairement à moult formations du style,
Dominion opte pour la générosité du son, évitant une production trop froide, pour laisser l’électricité exprimer
toute sa profondeur, d’où cette impression de fougue qui traverse les trois compositions. L’orage, oui, de ceux
qui battent à l’intérieur du crâne et du coeur.
Note : 5/6
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LIMBO : My whip, your flesh
Chronique réalisée par Twilight
Magica Sexualis, Eros et Thanatos, ta chair dont je suis le bourreau, ta beauté dont je suis la victime, ton sexe
qui me me dévore, nos orgasmes comme un missel liturgique, chaque souffle, chaque parole est mesurée, si le
rituel est modifié, c’est la peur qui ressurgit…Les contraintes de l’époque avaient pourtant conduit à la
déformation de la cérémonie puisque pour leur premier album, les Italiens de Limbo avaient dû modifier
l’agencement des titres pour des raisons de durée excessive par rapport au support vinylique. Vingt-cinq ans
après, la poussière balayée, le rituel peut être mené dans sa pureté originelle grâce au cd. On comprend dès les
premières secondes de ‘Meopenisintuavulva’ le pourquoi du statut culte emporté par les Toscans dans la scène
new-wave transalpine…Dix minutes d’une messe sexuelle rythmée par les incantations jusqu’à la transe, avec
en arrière-fond des boucles malsaines, un beat cérémoniel…Impressionnant. Et que dire de cette reprise de
‘Venus in furs’ si ce n’est qu’elle est grandiose dans ses atours gothiques (l’orgue notamment) ? Il en a
toujours été ainsi avec cet insaisissable projet…Expérimental sans virer dans l’indus, gothique tout en maniant
l’électronique, new wave mais en poussant le style dans ses recoins les plus obscurs, dansant parfois, créatif
toujours. L’importance de la structure rituelle est ici fondamentale d’où un travail sur le rythme calqué sur les
influences tribales pour développer des ambiances hypnotiques, renforcées également par les modulations de
la voix, partie intégrante du processus de ritualisation…On superpose les couches de chant
(‘Meopenisintuavulva’), on passe certains vocaux aux effets (‘This fire trinity’) et surtout on joue sur les boucles
et la répétition, avec quelques brefs intermèdes musicaux pour consolider l’impression générale. Pratiquement
aucun son clair sur ce disque, tout est souterrain, marqué de fréquences basses, de nappes grouillantes, de
percussions lourdes, d’échantillons déformés; les quelques sonorités claires sont froides et synthétiques. ‘My
whip, your flesh’ est un disque d’exploration de la douleur plus que de souffrance, un dépassement de soi plus
qu’une soumission à la torture, toujours aux limites sans jamais franchir le cap de l’insupportable. La peine
est-elle un plaisir ? Ou est-ce le plaisir qui est une peine ? Après écoute du disque, je crains d'opter pour la
première solution.
Note : 5/6
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Vîrus : Huis-Clos
Chronique réalisée par saïmone
Rouen c'est mon fief, ma ville, mon identité. J'y suis né, j'y ai grandi, j'y suis devenu adulte. Ce n'est pas une
confession, c'est une responsabilité : celle d'entretenir les semblants à travers une vérité (après tout, c'est de là
que vient notre actuel « président de la république ») ; celle qui consiste à creuser l'écart entre Le Horla et
David Douillet. Entre Monet et Frank Dubosc (putain, ce boloss était le voisin de mon frère à grand cul), ou la
diagonale tracée de Corneille à Trézéguet. Pour le domaine qui nous intéresse, plus contemporain : de Lagaf' à
Casey. Rouen, c'est le berceau de Gericault, ça n'étonnera personne. Ici, quand on joue du metal, ça donne
Ataraxie - dont le dandysme réel n'a rien à envier à l'ancien patron de la boite à bière, rue cauchoise ; c'est vous
dire. Notre terrasse, c'est la Cathédrale. Notre arrêt de bus, c'est l'Abbaye St-Ouen. Notre artiste, c'est Alain, le
SDF. Notre prison, historique, hardcore, putain, elle s'appelle Bonne Nouvelle – on y bouffe le poumon de nos
codétenus, ça vous situe l'ambiance – à qui Vîrus rend donc hommage sur son nouvel EP, Huis-Clos, qui n'a de
hip-hop, dommage, que le semblant (de huit titres, doublette d'avec Faire Part). Sa face toute blanche annonce
la couleur, en tout cas sa carence: ici c'est pas noir, c'est gris, comme la ville et ses trottoirs, son ciel, il faut
plisser les yeux pour croire voir. Banane – oui c'est son nom – n'offre pratiquement plus de beat ; instrus
spectrales, d'après la mort. Les morceaux de bravoure sont absents quand les paroles crèvent l'abscès : le flow
trébuche sur des paroles que le mec a trop buché. Difficile d'y voir clair dans ce brouillard, le mec embrouille
tout : il met « du vin dans son vin – et balance ses pires pensées qu'il avait cru ôter ». On est où, en taule, à
Navarre (l'HP des beaufs du 27 qui cherche à devenir le Rouvray à la place de Sotteville), au CSAPA ?
Impossible de savoir. Un type qui considère « le flou comme un début de lumière », ça pointe là où les murs
s'effritent mal comme du vieux shit, ceux des Sapins, du Chateau Blanc, la Grand Mare, sauf qu'on n'est plus en
94, les émeutes n'existent plus, la seule cause qui mérite un peu de baston c'est la sortie du trou – des trous,
des petits trous là où pousse un peu de gazon ; l'honneur est une blague qu'on passe à tabac ; l'amour est un
sketch mal joué qui termine dans le scotch ou c'est à cause du scotch que ça a mal tourné ? On peut pas être
sûr, on peut juste être sûr de rien. Dans le doute, Vîrus enquille les haikus définitifs, les jeux de mots tournés
sur eux-mêmes, en spirales, tourné vers le vide – vers le trou. Rouen, double visage, les chiures sur le palais de
justice (rénové, parait-il), les colombages qui s'écroulent, le style et l'esbrouffe dans les reflets des flaques qui
puent de la place de la pucelle. Une ville d'enculés d'une grâce obscène. Une ville teubé de petits malins. Une
ville qui n'a jamais demandé Vîrus, mais qui l'a bien mérité.
Note : 5/6
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Compilations - Bandes originales de films : Sliver
Chronique réalisée par Raven
Sliver, thriller érotique velouté à souhait, m'a révélé la beauté de Sharon Stone à son climax esthétique ainsi
que celle de Massive Attack. Sliver n'était peut-être pas aussi chaud-tatin que 9 semaines et demi, j'en
conviens... mais j'imagine que c'était toujours un peu plus savoureux que de fantasmer sur 50 nuances de Raie.
Sliver surfait surtout sur le succès de Basic Instinct, et la vague hollywoodienne très lucrative des thrillers
érotiques. Une bonne manne bien juteuse. Un scénario écrit sur un coin de nappe, quelques plans léchés avec
des seins et des fesses, ombres portées si possible, éventuellement une partie très intime pour le climax de
l'intrigue... et il suffisait de se baisser pour ramasser la thune. Sans avoir oublié la bande originale à distribuer
aux gogos qui, encore émoustillé par le corps de Sharon, iraient découvrir sans le vouloir les Young Gods au
détour d'une sélection très chill-out avec des groupes attendus sur le thème de la bagatelle (Lords of Acid et
Enigma en tête). Sharon Stone toute nue + un tube des Young Gods, pensez-y. C'était ça, la magie des années
90. Sliver ne fût que l'un de ses produits, mais un peu plus pour moi... Basic Instinct était certes supérieur d'un
point de vue purement cinématographique, mais Sliver avait son petit charme et une sensualité plus,
notamment parce que Sharon Stone n'y était pas une prédatrice glaciale, mais s'y montrait vulnérable, petite
fleur moite mouillée de rosée, et cela sans perdre cette ambivalence caractéristique de la femme trop
intelligente pour être aussi canon. Sharon incarnait le rôle d'une femme non plus manipulatrice mais aux mains
- littéralement - d'un homme manipulateur, incarné par l'un des frères "regard-de-clébard"-Baldwin, en
l'occurence le plus "teckel-abandonné" des trois, le jeune bellâtre de Backdraft (autre film que je kiffais et qui a
rapport avec la lance à incendie aussi, mais ne digressons pas). Une bonne petite ambiance à la Sea of Love
(ah cette grande époque des sexy thrillers) avec un soupçon d'American Psycho de mémoire. M'bref pas un
grand film, mais son utilité était un peu ailleurs pour moi, comme pour la majorité des spectateurs j'imagine.
Vous l'aurez compris, l'intérêt que je pouvais porter à Sliver s'achevait en général dans le froissement du tissu
et la darkness de la puberté. Et justement c'est là que la musique entre en jeu, à ce moment secret où l'homme
n'est qu'une barre à un neurone et que la magie l'irradie sans prévenir : alors pas du tout concentré sur la
musique, je découvris Massive Attack pendant la scène-clé de Sliver. "Unfinished Sympathy", en pleine scène
de baise Stone-Baldwin, avec ambiance tamisée et le corps absolument parfait de Sharon Stone ondulant à la
perfection avec un jeu de bassin... parfait. Une lava-lamp dans le décor probablement, mes souvenirs ne sont
pas aussi précis, ils restent granuleux comme l'image de la VHS sur pause avec les parasites de la bande
magnétique qui impriment des traits tremblants. Enfin je me souviens qu'à ce moment en entendant pour la
première fois ce titre je me suis dit "wow, c'est beau", et j'ai lâché la...télécommande, pour étendre mes bras en
position christique avant de murmurer solennellement : "Merci mon Dieu". Bien plus tard j'en suis toujours à la
même conclusion : ce morceau est d'une éternelle fraîcheur, et le réentendre est toujours un plaisir, B.O. ou
pas. Pour le reste, cette bande originale incarne la compilation grand public typiquement 90's versant lounge
putassier et clubbesque, ou juste soupasse hip-pop (Aftershock) avec en tâche de javel un tube 80's de vieux
waveux au blase burgessien (Heaven 17), mais heureusement avec une petite portion de top notch, car comme
souvent dans cette décennie une B.O.-compile contient au moins une tuerie "underground" : Young Gods en
l'occurence, et le génial "Skinflowers", tube qui ne parle évidemment pas de fleurs, tube imparable des années
90 alternatives au même titre que "Any Day Now" de Cop Shoot Cop ou "Hey Man Nice Shot" de Filter entre
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autres... D'ailleurs j'avoue tout : je ne chronique cette B.O. que pour crier mon amour de ce titre, le reste n'est
qu'enrobage, vous vous êtes fait escroquer. L'achat de cette compile a bien été amorti par le simple fait que j'ai
écouté cette piste en boucle, eh oui ! Moisson maigre, mais au rayon (petites) bonnes surprises il y a aussi les
gros germains cheesy de Bigod 20, un de ces groupes d'EBM de seconde zone plutôt buvables, avec "Wild at
Heart" qui reste un de leurs bons titres (pas du Nitzer Ebb mais pas de la merde non plus). Et pour finir Verve,
groupe que j'ai toujours dédaigné comme Silverchair mais qui à leurs débuts évoluaient semble-t-il dans un
genre de bouillie psyché-shoegaze pas renversante mais mignonne comme tout, "Star Sail" n'ayant rien à
envier aux Black Angels. Voilà, tout ça pour dire que les mecs qui ont confectionné cette B.O. étaient de petits
farceurs, en plaçant ces titres au milieu de crèmes légères comme ces chansons d'amour r'n'b ou la new age
frelatée d'Enigma. M'enfin c'était aussi ça les 90's : même quand on travaillait pour des producteurs cyniques,
on pouvait pas s'empêcher de placer un peu de sombrex dans la variété.
Note : 2/6
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Compilations - Bandes originales de films : Natural Born Killers
Chronique réalisée par Raven
Un coup d'œil rapide sur la liste de blases compilés par Trent Reznor pour la B.O. de Tueurs-Nés suffit à
comprendre qu'avec celle-ci, on est pas sur de la compile lambda. Non : on est sur de la compile 90's de haute
couture. Le mot "culte" n'est pas galvaudé : ça bande original, question invités de marque. Anecdotiquement,
dites voir mais...on dirait pas un peu une compilation qui aurait été signée par l'équipe de Guts of Darkness - à
quelques détails de tracklist près bien sûr, mh ? Oui, je vois déjà dans cette tracklist au moins Sheer-Khan,
Twilight, Saïmone, Dariev et Dioneo se chamaillant comme des geeks en transe pour demander un morceau
qu'ils kiffent au DJ Reznor. Pour tout dire - et m'adresser à notre vaste lectorat qui n'a que foutre de ces affaires
de boutique - NBK ça va quand même un trentinet plus loin que les compilations des films de Lynch par
exemple. On parle ici du possible caïd d'un format bâtard qui n'intéresse plus grand monde. Natural Born
Killers, c'est un casting musical massif. Les compilations de musiques de films ont souvent un intérêt frivole il
faut bien le dire, simples sélections de pistes mises bout à bout, mais pas celle-ci. Ici, tout est découpé et
reconstitué façon Frankenstein, dans l'esprit d'une mixtape deluxe, par un taulier qui connaît bien son affaire
puisque ses propres albums sont eux-mêmes le fruit d'influences entrechoquées qu'on ne croit pas faites pour
se rencontrer (pose tes lunettes mon garçon). C'est un barnum de pur gourmet, expérimental clairement,
sombre évidemment vu la corbakitude du DJ, mais surtout captivant de part en part, avec des extraits du film
incorporés qui ont rarement été aussi non-parasitaires, participant pleinement comme chaque détail à
l'ambiance envoûtante et étrange de cette B.O. Reznor a vraiment ciselé son mix, pensé sa tracklist comme un
album très varié mais cohérent, et plaçé des transitions mortelles (exemple parmi d'autres : Jane's Addiction
plus La Galas - featuring ou collage malin ? C'est ce doute induit par Trent qui est exquis), confirmant sa
filiation hip-hop au passage. Bref il a suivi à la lettre l'esprit du montage bordélique du film de Stone,
augmentant considérablement l'impact de certaines scènes, comme la halte hallucinée et nauséeuse vers
l'Indien (un souvenir marquant si vous avez eu ou quand vous aurez l'occasion de découvrir ce film dans un
état second). Cette bande originale contient des inédits perso du Trent, aussi, tel ce "Burn" monumental
notamment, et puis elle a ce côté "B.O. de Pulp Fiction en dix fois plus original et varié" puisque Tarantino a
écrit le scénar. Combien d'entre nous ont découvert Nusrat via ce recueil, sans forcément chercher d'emblée le
nom derrière ce chant possédé à vous faire fondre en larmes en deux-deux ? Mais avant Sheer-Khan et
Saïmone on avait Trent pour nous en refourguer. Et puis beaucoup d'ados ont juste découvert Leonard Cohen
grâce à Trent, ainsi que Diamanda Galas, Jane's Addiction et Lard. C'est pas mal. Le film, maëlstrom nauséeux
et drogué d'images en vacarme visuel, genre junk-food visuelle agglomérée où merde et sublime se
confondent, reste un incomparable n'importe-quoi mais un vrai film générationnel, comme Fight Club, mais
dans un esprit beaucoup plus cynique et psyché à la fois, Oliver Stone se lâchant complètement côté
expérimentation (accolé à "stérile" et "tape à l'œil" pour les détracteurs). Une sorte de "cinéma alternatif"
versant Hollywood, patchworkesque et tout-à-l'égout en chaos ordonné, plus ou moins équivalent visuel du
deuxième et troisième album de Public Enemy si on veut pousser l'analyse jusqu'au sujet qui nous intéresse.
L'intro avec le sublime "Waiting for the miracle" du vieux Leo, un de ses titres les plus magnétiques si pas Le,
l'outro magique avec ce grandiose morceau de crooner maugréant la déchéance socio-politique à venir sur ce
"Future" dont Oliver Stone semble avoir bien lu les paroles (je crois que l'outro est, avec la scène bad-trip, celle
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qui m'a le plus marqué de tout le film, je sais pas pourquoi, je me souviens des lapins j'ai bloqué dessus), et
puis évidemment tout ce qu'il y a entre - speech de Robert Downey Jr. inclus (j'adore ce con, le petit malin
ricain sur-aware de lui-même et de sa smartitude totale, dans toute sa splendeur, mais tellement charismatique
que t'as envie de l'avoir comme meilleur pote, enfin pas son personnage insupportable du film pour le coup,
qu'on aurait pu voir dans Groland joué par Francis Kuntz) - et, euh, ou j'en étais ? Oui : Nine Inch Nails, "a beat
that I can never have" ou "a love that I can never have", au choix, puis "Shitlist" de L7 qui reste un de leurs
tubes les plus carnivores, etc etc, de la batucada house à la Yello Tarantino, et du gangsta rap glauquasse plus
loin avec un des titres les plus sinistres de Dr. Dre et le crew de Snoop dans un exercice de menace torve, et
puis un tas d'autres trucs en patchwork salade de fruits magique, sans parler des extraits du film incrustés
pour mieux troubler, je ne vais pas griller par exhaustivité tous les bons moments et les contrastes du DJ, j'en
ai déjà trop dit, autant disserter sur l'érotisme de Juliette... Disons juste pour finir que cette B.O. est sans nul
doute l'une des rares des 90's qui soit indispensable... Tout ça est excellentissime, ultra-varié mais
magiquement cohérent, et gaulé pour de nombreuses réécoutes. Pas sûr que je pourrais revoir le film sans mal
de crâne (ce montage inhumain...) mais cette saloperie de mixtape tient encore salement la route. Et petit
mystère à la clé : quel est ce groupe du nom de A.O.S. ? C'est quoi ce projet référencé nulle part en dehors de
ce titre ? Alias de ce malin de Trent qui a manifestement voulu brouiller les pistes dans cette B.O. et a
embauché une groupie pour chantonner une petite ballade pastorale ? Toujours est-il que ce titre est magique,
comme qui dirait d'une banale étrangeté, il me trouble toujours autant, lynchien et secret... Superbe compilation
fractale, l'une des plus denses possibles dans ce style-bazar à curieux fainéants, chaque piste ou presque étant
une passerelle vers des univers différents. Merci Trent.
Note : 5/6
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Compilations - Bandes originales de films : Kalifornia
Chronique réalisée par Raven
Voici une petite B.O. de l'ère alt-grunge (early 90's) moyenne mais assez sympathique, agrémentée d'un thème
clavier-basse crépusculaire de Carter Burwell - énième compositeur secondaire d'OST. Kalifornia était une série
B surfant sur la vague serial killers (très très juteux dans les années 90, comme créneau), en l'occurence pas
dégueu mais surtout grâce à Juliette "raaah lovely" Lewis et ce qu'on peut considérer comme une performance
de Brad Pitt dans le rôle d'un cul-terreux psychopathe, white-trash crari Charles Manson. Rien de très
mémorable pour sûr, mais une bande originale qui claque d'entrée deux morceaux alt-metal bien cools : celui
de Mind Bomb étant un croisement de Soundgarden, de Corrosion of Conformity et d'Infectious Grooves, et
celui de Quicksand étant du Quicksand, donc du Fugazi en veste cuir, avec une basse bien gaulée. Vous
rajoutez un peu plus loin "Accelerator" de Therapy?, pas un de leurs grands morceaux mais un de leurs titres
enragés et petits bras issu de leur période charnière, et vous avez un triplé gagnant. Le reste oscille entre le
moyen plus et le moyen moins, et je suis un peu déçu qu'il n'y figure pas ce morceau power pop de Pere Ubu
extrait de Story Of My Life et crédité au générique. J'admets quoiqu'il en soit être assez sensible à la ballade
bien cliché southern de Drivin' N' Cryin', et aussi celle de Sheryl Crow, mais c'est mon côté road-movie-addict
qui s'exprime, ce genre de morceaux n'ont à peu près aucun intérêt en dehors d'un plan de bagnole roulant en
respectant la vitesse réglementaire sur une route lancée à perte de vue pendant un coucher de soleil. X ? J'ai
envie de dire osef pour le coup, comme mon collègue Dariev ce groupe ne me parle pas des masses, mais ce
titre est gentiment accrocheur. À part ces trois-quatre morceaux qui surnagent, la bande originale de Kalifornia
n'est pas dégueulasse mais ne casse pas non plus trois pattes à un canard, assez routinière et cliché rock/pop
californiens, avec le petit zeste alt-pop anglaise cliché (Soup Dragons, groupe très sympa mais que t'as comme
qui dirait pas envie d'écouter hors compilation) et un titre pop-rap choupinou par East 17 qui avait eu son petit
succès mais qui daube un peu le rien du tout quand même... Donc une certaine tiédeur nineties fort à propos
pour un thriller qui, comme Copycat et Oxygen et j'en passe, ne restera pas dans les annales du genre. Natural
Born Killers, avec la même Juliette et avec la même thématique, en effacera tout souvenir cinématographique
comme musical, ce qui me permet de vous inviter à bifurquer vers la bande originale en question... Parce que
Mallory, c'est juste la même fille paumée que dans Kalifornia, mais qui a appris à pas se laisser faire par les
hommes.
Note : 3/6
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Compilations - Bandes originales de films : City Of Industry
Chronique réalisée par Raven
B.O. des années 90, volume je sais plus combien... Vous parler de chacune d'entre elles c'est aussi jeter des
passerelles vers plusieurs groupes pas forcément proches. Celle-ci en revanche est plutôt cohérente dans son
genre - mattez un peu la liste - amalgamant un genre de condensé cliché des 90's versant trip-hop big beat. J'ai
un souvenir assez flou mais persistant de City Of Industry, recommandé par un daron qui s'y connaît en années
90 puisqu'il les a traversées adulte ou à peu près, contrairement à bibi qui n'y a été que chiard, et qui m'a fait
découvrir le tube de Death In Vegas, un des meilleurs remixes de ces années fastes en remixes-qui-butent. City
Of Industry, neo-polar à la Michael Mann en vacances, film à ambiance avec son Keitel viok de chez viok et son
Dorff crevard de service. Son De Niro et son Val Kilmer maison, donc... Plus quelques second rôles de fond de
bac (type celle qui faisait la russkoff de Goldeneye là, avec son coup de ciseaux jambal à la Kathleen Turner
dans la Guerre des Rose). Et B.O. on ne peut plus nineties. Dans le versant 100% anglais, principalement
trip-hop et breakbeat, gentiment expé (le psyche-sampling pépère de "Call A Cab") et abrutissant ("Degobrah"),
mais hormis trois-quatre titres spécifiques rien de mémorable. Intro évidemment imparable avec la house
rampante et sexuelle de Massive Attack sur "Three". Doublé gagnant avec l'un des titres les plus cliché mais
les plus vénéneux de Tricky, avec lequel seul "Sex" de Lovage peut sérieusement rivaliser dans ce style précis
de trip-hop plus moite qu'une entrecuisse dans un sauna. Le breakbeat funky-glacial de Photek le fait pas mal
du tout et me donne à chaque écoute de cette B.O. envie de tester leur disco, sans jamais me décider à franchir
le cap. Merde, y a même du Bomb The Bass, le truc que je n'ai jamais écouté qu'en compilation pour faire
simple, ici dans un exercice The Prodigy discount plutôt gouleyant. Le shoegaze remixé (Lush, groupe dont je
n'ai toujours esgourdé aucun album mais qui pourrait me plaire), même constat que pour Photek. Mais la pièce
de choix reste bien le Death In Vegas, la suite étant de l'ordre du gadget nineties. Pur remix, à coup sûr la
meilleure chose qui aie jamais été certie de leur blase, montée, montée... Grisant. Le remix rêvé que Leftfield
feraient à partir d'un tube quelconque de Moby par Leftfield ou un truc du genre, mais à coup sûr une petite
tuerie. On restera là-dessus, ça évitera de parler de ce morceau abstract-downtempo un peu tofu de Palm Skin
Productions, pas mauvais mais parfaitement lisse en dehors du film. Une compile-B.O. fonctionnelle tout
connement, que je note au nombre de pièces d'un euro qu'elle m'a coûté puisqu'elle ne vaut guère plus.
Note : 3/6
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Compilations - Bandes originales de films : True Romance
Chronique réalisée par Raven
True Romance ? Trois scènes. Trois scènes ne font pas un grand film. Mais ces trois scènes pourraient servir
pour dérouler trois films. Freak-attitude, noire drôlerie, violence débile... Culte n'est pas galvaudé. On peut
canoniser Gary Oldman et Dennis Hopper pour ces succintes mais glorieuses minutes, mention plus
qu'honorable à Patricia pour un catch dangereux. D'ailleurs concernant Hopper, le Delibes m'y renvoie dès que
j'entends le duo de sopranos archi-célèbre, je pense pas à une des nombreuses pubs qui ont utilisé cette
musique non, mais glousse systématiquement comme un demeuré en me remémorant le rire nerveux du
mafioso après cet exposé jouissivement roublard des origines siciliennes... Et question soprano tant que j'y
suis, Patricia prend cher avec Gandolfini, mais la parité homme-femme est magnifiquement rétablie, c'est
encore tout l'art de la fiction. "Come on baby stick it in daddy". Du reste je me rends compte que le gros rital
m'a plus marqué que Walken et son écharpe fine, une de ses prestations de porte-flingue qui éclipse tranquillou
le capo di tutti capi. Superbe brochette de seconds rôles. En fait, True Romance est un peu le film oublié de
Tarantino, le petit frère friandise de Tueurs-Nés (ou un Sailor & Lula pour prolos), un film dans lequel Tarantino
a mis trois dialogues dans son style de fiston ricain dégénéré d'Audiard, qui reflètent bien sa période Pulp
Fiction, son junk-ciné avec des acteurs et textes jouissifs... On peut en revanche considérer la B.O., autant que
la partie eau-plate du film, comme la parfaite petite compilation sympathique-anecdotique ("very cool music"
dixit la pochette), le classique goodie pour radio-cassette, même si j'adore cet hommage mignon à souhait de
Hans Zimmer au "Glassenhauer" de Carl Orff servant de thème à Badlands (dont True Romance est un peu la
descendance discount, c'est cohérent) car c'est un peu la ritournelle innocente de ces matins où je me lève en
me disant "cette fois-ci je plaque tout, et je me barre loin, avec un xylophone dans la tête"... Hélas, tous ces
disques, quel boulet ! Zimmer tiens, c'est bien un compositeur grand public des moins fins qui soient, mais son
deuxième thème réminiscent des plus énergiques de Rain Man me donne envie de débarquer à Vegas avec mon
autiste et de rafler la mise (le troisième thème est un mélange de musique soap et de Hisaishi que tous ne
supporteront pas)... Je ne résiste pas non plus au plaisir de m'enquiller un petit Nymphomania (on peut faire
des chorégraphies effrayantes là-dessus) et son style mortellement snapien agrémenté de samples
orgasmiques pur PVC, car la dance de qualité a existé. Si vous n'aimez pas n'en dégoutez pas les autres (or
"you're too SCAYYYRED of eatin'" comme dirait mon Drexou). Seul passage stroboscopique dans un ensemble
assez "poster Marlboro". Soundgarden brille certes mais "Outshined" est un choix très classique (pour la très
succinte scène avec Bardou Pittou en squatteur ensuqué, de mémoire). Chris Isaak est toujours bienvenu dans
le quotidien, mais pour le célibataire c'est un peu couillon... Le reste contient du rock, pop et crari americana, et
du crooner, aussi stupéfiants qu'un one dollar bill. Easy-listening. Oui, on ne gagne pas à tous les coups avec
les B.O. compilations sur Guts of Darkness... Celle de True Romance, gentiment bigarrée, et perdant sûrement
à ne pas comporter au les samples des répliques de Drexl au moins, trouvera toute son utilité dans un bouge
paumé en plein désert californien type resto-route, au crépuscule. Serveuse vieille fille en 501 moulant et
steak-frites. Casual road-movie-music.
Note : 3/6
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COMPILATIONS - DIVERS : La maisniee du Maufe : A Tribute to the Dark Ages
Chronique réalisée par Rastignac
Les « âges sombres », c’est une autre expression qu’on utilise communément pour désigner le Moyen-Âge,
enfin, c’est une autre manière de dire qu’environ mille ans se sont passés dans des ténèbres épaisses, une
espèce de trou noir où l’infamie se serait mariée avec la peste et la décadence d’un monde qui fut et qui n’est
plus, un univers vulgaire à tous les niveaux, ignare et violent. Évidemment c’est bien plus compliqué que ça, je
vous laisse potasser vos bouquins de Le Goff… de toute façon, ici on parle musique d’aujourd’hui, de gens de
maintenant qui sont fascinés par cette représentation d’un moment déconstruit et reconstruit récemment avec
tous les clichés et têtes de gondole qui vont avec, cette période étant représentée comme une espèce d’enfer
où les femmes se font exterminer, les hommes s’avilissent, où le diable et le dieu sont omniprésents, où la
désolation envahit les cœurs et les paysages. Quatre groupes français pour un petit EP compilation autour des
« dark ages », avec Aorlhac en début de bouche qui va nous jouer un air folk aspirant à la fois James Hetfield et
Malicorne dans le même vortex pour ensuite décrire par un black metal furieux la dépravation d’une jeune et
innocente vierge qui sera souillée, et souillée encore, se reproduisant ensuite avec difficulté, tout cela hurlé en
français, pas en auvernhat ni en english. Voilà, les âges sombres ! De la guitare sèche, des cris, du metal et des
viols. On passe ensuite à Darkhenhöld qui va utiliser la même recette qu’Aorhlac, un morceau « sarabande »
avec guitare folk mariant ritournelles metal et chansons d’chez nous pour finir sur un morceau mid tempo avec
cloches et désolation black metal version Villeneuve-Loubet. La suite avec Ossuaire sera death metal, très bien
ficelé, encore avec une introduction acoustique mais là ça va vite rentrer direct dans le gras du flanc avec leur
putain de bon poutrage à la Morbid Angel Sud-Ouest… enfin, en dessert, Ysengrin nous donne un black metal
bien crado à base de sorcières et de grognements, de teintures gothiques, d’orgues qui grincent et de guitares
qui soloïsent comme au bon vieux temps du hard rock, de toiles d’araignée dans les caveaux pour finir l’album
sur un clin d’oeil inconscient ou non à la ritournelle C93 d’ « All the Pretty Little Horses » mais version un peu
flamencallica, très romantique avec de la belle guitare qui fait froncer les sourcils devant les orages à venir, on
est devant la hutte, les goules se rapprochent de plus en plus, on les entend grogner la nuit - pour ensuite nous
hurler le sabbat dans la grande tradition du metal sorcier, avec grandes orgues et cadavres au fond de la
crypte. Alors, les âges sombres, qu’est-ce que c’est si on écoute et regarde ce disque ? Déjà, formellement, une
très bonne petite compilation black / death / folk, et allez, goth, de quatre groupes de qualité, bien underground,
et ça j’aime, ah, ça j’aime ! Quatre groupes chez moi, qui s’invitent, se prennent un bière, et s’installent dans
mon salon, ahah ! Sinon, un packaging bien soigné, des paroles bien (d)écrites, la qualité nique la quantité en
somme, avec en haut du panier Aorlhac et Ossuaire, par leur maîtrise de la Sainte Guitare et de la Mélodie Qui
Bute. Sur le fond du sujet âge sombre, et bien comme prévu nous aurons des saints, des diables, des
sorcières, des orcs, des trolls et des jésus, un mélange de peur et de dépravation, d’obscurité et de crasse… en
somme, un moyen-âge black metal. Et je suis pas loin de regretter que tout ceci n’ait jamais vraiment existé
comme c’est décrit dans ces textes sortis en 2011 (déjà), car les âges sombres de l’ennui, c’est maintenant ! Et
le temps oublié de nos aïeux, tout barbouillé par les mouvements de la terre, des populations et des guerres
ben je dis qu’on a le besoin et le droit de s’imaginer quoi que ce soit à son égard… à part bien sûr si on devient
spécialiste du Moyen-Âge, là, faut trouver une autre période pour fantasmer, désolé ! Allez, ceci est une très
bonne compilation / quadrisplit, qui donne envie évidemment de gratter dans la production de ces quatre
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groupes réunis ici.
Note : 5/6
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INCANTATION : Live - Blasphemy in Brazil Tour 2001
Chronique réalisée par Rastignac
Incantation en concert ça doit vraiment être l’enfer sur terre, genre Belzébuth qui danse la lambada avec un
Bézu les yeux pleins de flammes, un sourire plein de canines titanesques, crachant du sang frais sur les restes
de l’âme de Jean-Marie Bigard agonisant pour l’éternité en répétant la blague de la valise RTL, dans le public un
troupeau énorme de métalleux qui ENFIN peut prendre son pied sans avoir peur du regard de l’Autre, cornes
érectiles sur la tête, groin sur le front, hurlements de jouissance transperçant les cieux, manifestant sa
créativité purulante par une dégoulinade de foutre suitant du sol palpitant pour tomber sur le front des culs
bénits de l’étage du dessous : oui, en fait le paradis se situe *en dessous* de l’enfer, c’est pour ça qu’y en a
plein qui montent pour dire de baisser la musique (demain on travaille merde). Bref. Ce live a été enregistré au
Brésil en 2001, période Mike Saez au micro, c'est à dire un des multiples musiciens "live" d'un groupe en ayant
collectionné des brouettes... le gars a une voix juste limite, ne rivalisant pas trop avec d'autres étant passés par
là, comme Craig Pillard par exemple... le son peut paraitre un peu faiblard, les accordages au début du concert
semblent avoir un peu souffert de la préchauffe backstage mais tout cela est évidemment rattrapé par la rigueur
et la folie de la composition de ce groupe fantastique, sachant allier lenteur et grosses baffes de riffs dans la
tronche à ta maman, virtuosité et sens de la chanson, de la mélodie, sachant attraper l’auditeur par les deux
oreilles pour le secouer dans tous les sens… voilà, pas non plus indispensable, à l’image de l’illustration bête
et simple dérogeant un peu à la règle des pochettes d’albums dantesques d’Incantation… mais un bon petit live
qui saura quand même se faire apprécier des fans et foutre le bordel chez vous quand il faut, comme il faut,
malgré tout.
Note : 4/6
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THE MISFITS : Vampire girl/Zombie girl
Chronique réalisée par Twilight
Hey mec ! T’es plutôt vampire ou zombie ? Laquelle te lacèrera la carotide le plus sensuellement ? Si j’en crois
Jerry Only, Vampire Girl est plus classique dans ses goûts, il lui a écrit un bon petit rock, sympa, punk-metal, ni
trop lent ni trop rapide (légèrement poussif quand même ?). Visiblement, il a passé un bon moment avec elle
mais ça n’a pas été l’extase. Zombie girl, je sais pas, à en juger par le départ tristounet, elle lui manque mais la
vie continue et Jerry a encore bien des cimetières à parcourir (ou des rings puisque c’est la catcheuse Britani
Knight qui a inspiré le morceau), alors il préfère se la jouer plus rapide, reprendre goût à la vie, et accélérer le
tempo. Du bon Misfits, sans prise de risque mais sympathique (avec le fiston Only à la guitare, le groupe
devient une histoire de famille)…De toute manière, vampire ou zombie, ce sont les deux côtés de la même
médaille et tu as des chances de leur retomber dessus un de ces soirs au coin de la rue, sauf si elles croisent
Van Helsing ou Rick Grimes avant.
Note : 3/6
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Arctic Flowers : Procession
Chronique réalisée par Twilight
Quoi ? Je ne vous ai toujours pas parlé de Arctic Flowers ? J’aurais dû commencer par là…Inspiré
(probablement) d’un titre de Rubella Ballet, ce groupe américain fait partie des fers de lance de cette fameuse
scène deathrock/anarcho-punk dont je ne cesse de vous vanter les mérites. Quiconque connaît la scène
anarchiste ou la première vague post goth de Grande Bretagne ne sera pas surpris question sonorités, c’est
clairement inspiré du punk, avec ce quelque chose de sombre qui fait la différence. Difficile de ne pas penser à
des formations telles que Rubella Ballet, Lost Cheerees, Skeletal Family, Siouxsie and the Banshees première
époque, à ceci près que Alex a une voix légèrement plus douce (mais non moins convaincue) que Suzanne.
C’est flagrant sur une chanson tells que ‘The Sleeping and the Dead’ et cela participe à l’ambiance. Le reste,
c’est niveau riffs que ça se passe et l’influence de l’école deathrock américaine y joue un petit rôle dans le côté
incisif des guitares. Si j’ai opté pour ce mini en amorce de la discographie du combo, c’est simplement qu’il
contient quelques-unes de mes pièces favorites: ‘True words’ tout d’abord avec son riff meurtrier à la Peter and
the Test Tube Babies, ‘Procession’ ensuite, plus menaçant avec son accord appuyé glacé mais à dire la vérité,
aucune chanson n’est faible, même si ‘Strange ports of call’ surprend par sa qualité d’enregistrement, comme
si elle avait été capturée live avec un fade out maladroit en guise de conclusion. Globalement, les Arctic
Flowers privilégient une production compacte, pas trop lisse (pas pourrie non plus) pour conserver intacte
l’énergie développée en concert. Finalement, leur nom, leur sied à ravir, la beauté émergeant d’un
environnement rêche et rude.
Note : 5/6
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Revenge (CAN) : Behold.Total.Rejection
Chronique réalisée par Rastignac
Chez Revenge tout est explicite et roule dans une continuité esthétique inamovible : pochette noire et blanche,
trois mots, deux points, tête de mort barbelés ou lauriers et rouleau compresseur d’une brutalité hallucinante à
l’intérieur. Nous sommes en 2015 et tout est toujours explicite ! Lisez les titres, c’est juste ce qu’il faut comme
description et d’ailleurs ils arrivent depuis quelques années à nous offrir un éventail remarquable des adjectifs
et des noms concernant la destruction, l’annihilation, le coup de boule contre les murs, la force et la haine
pure… car autant leurs pochettes se ressemblent, autant leur discours arrive à se balader dans un champ
lexical et musical toujours renouvelé tout en restant dans un cadre complètement dingo de solos déments, de
batterie qui part dans tous les sens, de soubresauts bizarres, d’un « chant » variant les plaisirs, de l’éructation
atonale jusqu’au « greeeuh » avec de l’écho dessus, et un sens du crescendo dès la première seconde, un peu
comme si on démarrait en cinquième sans caler et qu’on se retrouvait à 300 à l’heure en deux deux, mention
spéciale à leur talent pour conclure des morceaux en apothéose, cf. à ce sujet les immondices « Wolf Slave
Protocol (Choose Your Side) » ou « Mobilization Rites », à planter des gros coups de drapeaux dans le bide,
comme ces espèces de drôles de breaks porcins qu'on retrouve tout au long de l'album regroupant de juteux
morceaux de bidoche fruit d’une composition et d’une maîtrise technique deluxe se cachant bien derrière cet
aspect Tourette détraqué… de toute manière, et c’est ça qui est beau à chaque sortie de Revenge, la sauvagerie
est bien toujours au rendez-vous tout en faisant tendre l’oreille de l’auditeur patient, sachant aller au-delà de
l’apparent fracas incohérent pour découvrir tout un tas de petits trésors dans la construction des morceaux,
dans les montées de l'Everest régulières seulement équipé d'un duo guitare / batterie me laissant toujours la
bouche ouverte à faire « wwwaaaahh », ou « ah tiens, ils ont fini ? les salauds ». Voilà Revenge, c’est
total.plaisir.des sens, un kif particulier, assez compliqué à partager mais qui, lorsque les portes s’ouvrent à
l’esprit aguerri, prêt à s’en prendre plein la tronche, donne à voir un aspect du metal extrême que peu ont
atteint, à savoir une ballade à rythme forcé au bord de l’inaudible, entraînée avec une dextérité, un flair et un
jusqu’au boutisme assez équilibrés pour ne pas tomber dans un amateurisme bourrin ou des concessions
faciles destinées à gagner des parts de public... et ça, c’est bien car c’est exigeant, et des disques exigeants
c'est aussi enrichissant qu'un bonzaï qui ne veut pas pousser comme on veut, mais Revenge c'est également
aussi vicieux qu'un vieux maître qui décapiterait tous ses padawans pas foutus de bien beurrer ses biscottes le
matin - le message est clair de toute façon, "on va pas tous pouvoir passer l'exam'", y aura des chutes à
l'arrière, même si certains rigoleront étrangement quand Read nous chantonnera presque cette drôle de
chanson cochon sur le morceau conclusion ("gro gru gri gré gru... waah bu ebwe gruuu"). Behold ! The cochon
! The destruction. The tas de boue dans la tronche. The piece of boudin in your oreilles, Behold ! Ze total
rejection.
Note : 5/6
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Eucharist (AUS) : Demise Rites
Chronique réalisée par Rastignac
Eucharist est un groupe australien formé en 2011 ayant sorti deux démos, puis une compilation de deux titres
de ces deux démos, rééditée cette année par Iron Bonehead sous la forme d’un vinyle à deux titres… alors on
voit un nom de groupe d’inspiration chrétienne, on voit Australie, des formes dans le brouillard sur la pochette
et on se dit : « je vais ouvrir une porte de l’enfer tiens ». Contrairement à d’autres groupes qui peuvent se
prévaloir de références glauques pour faire du rock and roll, et seulement ça, Eucharist va lui exploiter à fond le
travail du son pour faire ressortir une ambiance particulière, de la brume épaisse de ses morceaux de quinze
minutes avec des accords de guitare tous bêtes… imaginez les (le ?) donc jouer de loin, sous votre sol, comme
si vous entendiez des sons pas humains la nuit, vous vous réveillez, vous avez l’impression d’avoir entendu un
bruit, mais ça va c’est juste Eucharist qui ressuscite à minuit après avoir été remodelé par un magicien
schizophrène… donc oui, vu de près ou de loin la musique de ce groupe a l’air bateau mais dès les premières
secondes on se retrouve devant un objet à vibrations très graves, très étouffées et claustro… rien n’est
vraiment articulé, que ce soit la voix qui braille comme si elle s’endormait, comme si c’était un rêve, les guitares
d'une distorsion banale mais planquées sous une tonne d’oreillers 100% plumes d’oie et cette batterie qui
semble faite d’ossements et de vaisselle démoniaque. Vu l’embarras du choix en Australie concernant les
groupes occultes et dérangeants, et vu aussi le nombre de membres qu’ils se partagent, on retrouverait bien ici
des mecs de Portal ou Nazxul… enfin voilà, de toute façon on ne connait officiellement pas qui se trouve
derrière ce projet ayant touché les oreilles un peu partout alors qu’il n’avait sorti que des démos cassette à
quantités extrêmement limitées, projet étant apparemment retourné dans le néant duquel il était sorti….
Aujourd’hui on peut néanmoins avec cette jolie réédition se régaler les oreilles avec cette petite demi-heure
d’incantations machouillées au fond de la cave donc pas besoin de se creuser la tête, faut juste allumer les
bougies, sortir les crânes et baver sur le sigil tracé par terre, mettre ce disque, et passer un bon moment entre
soi et soi et ce petit truc en plus qui n’a pas de nom, un peu visqueux, puissant comme un ours, dangereux
comme un animal difficilement apprivoisable, généreux comme un musicien.
Note : 5/6
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Alien Deviant Circus : Ananta Abhâva
Chronique réalisée par Rastignac
Alien Deviant Circus est un groupe français ayant sorti trois albums en dix ans, dans une sphère qu’on
appellerait « black metal industriel » sans doute parce que les machines sont très présentes, que la voix aussi
est très présente, grognée et rageuse, que les guitares jouent des ritournelles graves, que la répétitivité y a fait
son nid, que l’ambient à base de vibrations et discours occultes y prennent particulièrement place. Ajoutons à
ces jalons peut-être vite dits une concentration sur la mystique du sous-continent indien… sans explications,
glossaires ni index vous trouverez illustrations, textes, figures directement issues des connaissances
psycho-physiques venues de là-bas. Le lien avec la musique se trouve vite dans la répétitivité, l’aspect
« mantra » du propos étant figuré par ces chansons martelées par de gros coups de marteaux numériques
censés créer, comme dans les chants rituel répétés sans cesse quelque chose de plus ou moins subtil chez
son locuteur ou son environnement. On imagine comme on peut l'action voulue de ces mantras en se disant
qu’on met un pied dans la tradition luciférienne compte tenu du titre évocateur d'un de leurs précédents opus
et de la dédicace aux randonneurs gauchers dans le livret… on peut y ressentir une quête de la connaissance
sans avoir peur de se faire du mal propre au black metal, propre à la musique industrielle, ou propre à chaque
mouvement voulant sonder les apparentes abysses de l’âme, du tout et du pas grand chose… Musicalement,
l’album donnera des boutons à ceux qui ne peuvent supporter les sons synthétiques ou l’aspect rituel qu’on
peut retrouver chez Blut aus Nord par exemple, à savoir des chants religieux en arrière plan sur guitare
pathétique et profonde entrecoupés de grands moments méditatifs et furieux, un besoin d’écrire de longs
morceaux et de conceptualiser le propos tout en le gardant hermétique. Il plaira aux auditeurs qui ont besoin de
passer un moment à la fois puissant et méditatif, sombre et massif, d’une placidité aussi menaçante qu’un
océan qui ne semble pas bouger du point de vue de notre regard figé par l’illusion des sens, et qui surtout n'ont
pas peur de la répétitivité parfois bien bourrine qu'on peut trouver au long de l'album dans ces moments boite à
rythmes / cris / guitares metal… je me situe pour ma part plutôt dans la deuxième catégorie, car le fracas mal
géré me casse vite les oreilles, et ici ce n’est pas trop le cas je trouve, je suis aussi assez facilement hypnotisé
par la répétition, selon des critères qui parfois m'échappent, et donc oui, parfois certaines minutes coulent
mieux que d'autres dans cet album, la sauce peut prendre après des dizaines de battements de marteau
piqueur dans mon salon, des fois un peu moins. Je passe finalement un moment assez agréable dans cette
galerie de grandes trompettes soufflant ces lettres anciennes dans nos poumons car les inspirations indiennes
ne sont ici pas trop mal ingurgitées du point de vue du pauvre disciple mondain que je suis, je ne trouve pas
que le propos soit vérolé, à l’instar, par comparaison, pour vous faire une idée d’un Attila Csihar nous lisant
des lignes du Bhāgavata Purāṇa sur ce disque de Sunn... de quoi me situer entre trois et
quatre chakraboules du dragon, pour le propos, la volonté assez évidente de ce groupe d'aller au fond de ce
propos, même si son enthousiasme peut chez moi, par moments, me sortir de ma torpeur pour me demander
qui tape depuis tout à l'heure dans le mur à côté de moi...
Note : 3/6
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SAMARKANDE : Ordo ab Chao
Chronique réalisée par Phaedream
Ah j'aime, j'aime, j'aime! J'aime cette opportunité de découvrir de nouveaux artistes, des nouvelles musiques
pour des fins de chroniques ou pour notre émission de radio. Surtout lorsque j'ai l'occasion de vous parler d'un
artiste de chez moi. SAMARKANDE c'est le projet d'Éric Fillion. Pianiste et claviériste classique de Montréal, il
débute sa découverte des synthétiseurs vers les 15 ans en jouant dans divers groupes de rock progressif, dont
on retrouve certaines essences ici, notamment Filber Basco, de 88 à 1992, et Talisma avec lequel il donne ses
premiers concerts. C'est en 1999 qu'il créé avec Sylvain Lamirande SAMARKANDE, un duo qui donne dans une
MÉ expérimentale et avant-gardiste et qui compte 4 albums à son actif. Des albums qui ont connu un bon
succès d'estime auprès de la presse de même qu'un certain succès national avec l 'album Douglas' Basement
en 2006. Le duo se scinde au début des années 2010. Et c'est un Éric Fillion en solo, toujours accompagné par
son bon ami Sylvain Lamirande aux synthés, aux claviers et au saxophone qui délicieusement dissonant dans
"TM-SW7905.1", qui mijote et concocte ce fascinant album qui se veut un véritable voyage au travers les
époques la MÉ en faisant un superbe survol des genres; du Berlin School à la musique ambiante sans oublier
la England School, et les racines progressives d'Éric Fillion, de même que l'ambiant noir à déterré les yeux et la
folie intrusive de la musique concrète. Aiguisé vos sens car “Ordo ab Chao” arbore fièrement la nature de cet
Ordre par le Chaos!
Un mouvement de séquences noires et pleines de résonance fait alterner deux ions qui sautillent comme des
Gobelins sur le point de foutre le bordel. L'effet de réverbération tisse un mouvement vif, surtout avec les
ombrages qui se détachent pour danser avec ces deux ions. Des riffs de clavier tonnent, libérant un synthé qui
tricote des solos fantomatiques dont les harmonies roulent en boucles dans un dense brouillard métallisée
créé par un Mellotron très pénétrant. Toujours rattaché à cette structure de rythme forgé par les vives
oscillations des séquences, et de leurs ombres, le Mellotron est aussi incisif que le synthé et grave des
harmonies diaboliques où une chorale des ténèbres ajoutent au poids du désordre de "Ordo ab Chao". Le ton
est donné, nous avons ici une fascinante mosaïque de rythmes et d'ambiances qui est nouée dans les intrigues
des abysses. Chaque titre de “Ordo ab Chao” est rabouté, créant ainsi une symphonie méphistophélique.
"Hotel Bilderberg" nous plonge dans un univers baroque avec un sublime clavecin dont les notes agiles volent
sur un rythme sculpté dans une approche progressive. Bien que l'approche me fait penser énormément à
Synergy, le synthé et l'orgue respire les charmes de la musique progressive Italienne des années 70. Les
ambiances sont toujours teintées de noir. Et l'introduction de "TM-SW7905.1" nous rappelle les prémices de ce
dernier album de SAMARKANDE avec un nuage de voix abscondes et des radiations électroniques qui triturent
un battement qui se fait de plus en plus faible. Nous pénétrons ici l'univers ambiosphérique sombre et intrigant
de “Ordo ab Chao”. Les lignes de synthé sont remplies de parfum d'éther et nouent un long mouvement linéaire
bourré de réverbérations. Un mouvement ambiant qui respire comme une machine industrielle alimentée par
une banque d'âmes déchues. Nous sommes dans la musique abstraite. Dans la musique concrète qui explose
dans une finale tonitruante à faire pâlir les folies de Art Zoyd. "Digital Angel" s'abreuve de cette finale avec un
nuage d'ondes soniques radioactives qui sort des entrailles de la Terre. La machine respire toujours et libère
des poussières de prisme noir tandis que le Mellotron respire la vie. Deux contrastes qui s'affrontent dans un
mouvement ambiant dont les ambigüités rappelleront à certains ces ambiances noires que Tangerine Dream
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exploitaient dans Zeit, de même que dans l'album Aqua d'Edgar Froese dont “Ordo ab Chao” est figé en sa
mémoire. Un très beau mouvement de séquences s'extirpe de ce néant à l'aube des 7 minutes. Le mouvement
devient fluide avec des séquences qui tournent en rond, comme des petits pas perdus, dans un lourd nuage de
radiations électroniques. Une autre ligne de séquences émerge, structurant un rythme ascensionnel avec des
ions qui rebondissent vivement dans deux directions de rythmes qui s'entrecroisent dans un schéma
chaotique. Le chant des anges n'apaise en rien cette turbulence statique qui peu à peu perd ses battements
vers la 12ième minute, plongeant encore "Digital Angel" dans une phase ambiante qui débouche vers le très
sombre et ténébreux "Bohemian Avenue".
Ici, l'orgue est envahissante. Elle étend le parfum de ses charmes harmoniques au travers un lourd nuage de
brume et au-dessus d'un délicat mouvement de séquences qui active tranquillement sa phase de rythme. Le
mélange de rock progressif et de MÉ est savoureusement équilibré avec un lit de séquences qui grouillent
aléatoirement. Des battements connexes alimentent la structure ambiante qui devient animé d'un mouvement
de plus en plus structuré, amenant le titre vers une superbe structure de rythme très magnétisante qui ondule
comme un carrousel dans une foire érigée dans l'imaginaire. Des parfums de White Eagle, de même que Logos,
virevoltent tout autour de cette phase qui atteindra son pinacle avec de savoureux solos d'un synthé qui hurle
dans des vents bourrées de soupçons démoniques. Un cliquetis d'horloge nous amène à "La Sombre
Noblesse" et ses lointaines harmonies de synthé qui roulent en boucles sur une structure de rythme similaire à
la pièce-titre. Le tapage est chronométré en une forme de rythme stationnaire où grondent et râlent les souffles
de l'enfer ainsi que de bons solos de synthé, une des armes de charme dans “Ordo ab Chao”. Ça et ces
agonies d'une orgue qui parfume ce 5ième album de SAMARKANDE d'une approche si luciférienne. Ça fait très
Tangerine Dream des années Ricochet et Phaedra. Par la suite nous tombons dans le rythme délicatement
pulsatoire, et tout de même assez harmonique, de "Faction" qui est nappé d'ondes spectrales plus ou moins
abstruses et où des notes de claviers limpides et un chant flûté unissent leur dissonance dans une finale qui
explose en un gros rock progressif, bourré de nappes et de chants d'orgues, de "Hotel Bilderberg (Reprise)".
"Resistance" suit la parade avec un lourd rock progressif nuancé par des solos de synthé incisifs.
Incroyablement délicieux!
Incroyablement délicieux? Tout à fait! “Ordo ab Chao” est un véritable tour-de-force où chaque seconde est
imbibée des différentes étapes de la MÉ contemporaine, approche cosmique en moins. Il y a de tout dans ce
splendide album de SAMARKANDE qui est étonnement musical pour un album aussi lourd. Amateurs de
Tangerine Dream, des années Phaedra à Logos, de Redshift, pour les ambiances lucifériennes, les séquences
analogues et pour ce merveilleux Mellotron, et de Genesis pour les claviers et l'orgue, ce “Ordo ab Chao”
s'inscrit dans les albums à posséder. Et non je ne dis pas cela parce qu'Éric Fillion vient de chez nous! Je dis
cela parce que c'est un splendide album qui ne mérite absolument pas de passer inaperçu, Chapeau Éric, c'est
tout un album que tu nous mets entre les oreilles!
Note : 6/6
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The Tower Tree : Transposing
Chronique réalisée par Phaedream
D'étranges murmures (des chants de spectres africains?) qui virevoltent dans une enveloppe sonique gorgée
de tons biscornus (des bruissements de feuilles?) tournoient comme étant propulsés par une fronde. Des
ondes révérbérantes s'infiltrent entre les jets qui pivotent en boucles, créant une ambiance apocalyptique où
des murmures et des chants sectaires nous plonge littéralement dans un univers hostile. Ces 90 secondes qui
meublent l'introduction de "The Tree" sont les témoins de l'esthétisme sonore qui enveloppe “Transposing”; le
tout premier album de The Tower Tree. Et qui est The Tower Tree? C'est l'union de deux artisans de la MÉ
Belge; Didier Dewachtere (BySenses) et Johan de Paepe (Owann) qui se sont réunis dans le cadre du dernier
B-Wave Festival qui a eu lieu à Limbourg, Belgique, en novembre dernier. En solo, chaque artiste avait plutôt
séduit les sphères de la MÉ avec des albums passablement différents où les influences de Klaus Schulze,
BySenses pour Frigments-Fragments, étaient stigmatisées dans une approche de psybient et de down-tempo,
et celles d'un Tangerine Dream à cheval entre les années 70 et 80, Owann pour Particles, étaient
particulièrement imbibées d'une approche très onirique. D'ailleurs les titres "Destination Unknown", quoique
légèrement différent ici, et "One Day we will Walk Together", sont respectivement soutirés des albums
Frigments-Fragments et Particles. Et considérant la beauté de ces albums, les attentes étaient assez élevées
pour ces deux amis qui étaient très intimidés à l'idée de participer à ce festival. Et au final, “Transposing” se
veut un solide opus où les structures minimalistes sont les offrandes idéales à un enchantement sonore qui va
au-delà de nos attentes.
La délicatesse des séquences qui sautillent dans les résidus carbonisant de ces 90 secondes est vite
harponnée par une ligne de basse sournoise qui flotte comme une ombre de rythme afin de stimuler des
percussions dont les vifs roulements structurent un up-tempo gesticulant par cahots brefs et dynamiques. "The
Tree" cahote et crache un rythme fluide malgré les saccades et les incisifs mouvements orchestraux. Des
nappes de synthé bourré d'oniricité infiltrent ce tempo vif et lourd qui reste tout de même musicalement
séduisant. Un rythme qui s'affaisse autour des 3 minutes, histoire de rebondir de plus belles avec des tonalités
organiques qui pétillent dans les brusqueries des pulsations et des percussions dont le débit frôle maintenant
celui d'une mitraillette crachant des balles de hip-hop et des morceaux d'élytres métalliques. Un 2ième passage
ambiant, toujours aussi bref, amène cette structure de rythme dans un passage bourré d'éléments de
psy-trance avant qu'il ne ressorte encore plus violement dans des parfums synthétisés d'un certain Tangerine
Dream. "The Tree", comme les 4 autres titres de “Transposing”, vous séduira encore plus aux écoutes
subséquentes tant la richesse de sa faune sonique est brodée dans l'originalité et l'audace. Comme la signature
de BySenses! Après ce rythme spasmodique, le superbe "Transposing Mind" nous transporte dans les
territoires d'un Klaus Schulze contemporain. C'est 18 minutes de pur bonheur exploratoire où l'amplitude des
tons est telle que nous avons l'impression de découvrir des nouveaux horizons à chaque nouvelle écoute.
Après une ouverture cérébrale où le cerveau tente de discerner une flore bruiteuse qui scintille dans les
charmes sonores des pulsations mouillées, d'autres pulsations plus franches et plus soutenues percent un
nuage de voix errantes gorgées de brouillard bitumineux. Cette première structure de rythme minimaliste est
magnétisante et son parcours hypnotique s'orne de parures à séduire les plus difficiles avaleurs de sons
d'entre vous. Tout d'abord le reflet du rythme, son ombre crache un genre de gargouillis tribal qui amplifie sa
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mesure relativement passive. C'est entraînant! Assez pour stimuler un genre de transe ésotérique où le cosmos
enserre ce désir de s'éclater. J'ai cette vague impression ici d'entendre l'ancêtre rythmique de Chronologie Part
8, à tout le moins son ossature primaire. Des accords traînent à la dérive, tissant des solos faiblards dont
l'approche mélancolique se fond dans ces nappes de synthé bourrées de murmures éteints et d'effets
cosmiques. Cette structure est tellement envahissante que l'on remarque à peine le crescendo qui la militarise
à bout des 10 minutes. Des riffs lents galopent maintenant sur un passage ambiant, avec un parfum dans les
tons assez industriel, où le psybient de BySenses se chamaillent avec le lyrisme d'Owann. Les nappes de
synthé, et ces chœurs qu'elles crachent, jettent ici une ambiance vampirique qui s'apparente à du Schulze
post-In Blue ou encore à ces ondes cauchemardesques de Remy. Et ce crescendo! Il déborde de son axe avec
des tonalités organiques qui amplifient une approche soit tribale ou soit ésotérique, comme du Roach pris dans
un engrenage de séquences des années Jerome Froese de Tangerine Dream. C'est très bon. Et "The Tower"
n'est pas en reste! Des séquences tintent dans des brouillards de voix et de nappes aux couleurs de l'aridité. Le
mouvement vif et ondulatoire se voit greffer de murmures ectoplasmiques, d'ombres de basses et de soyeuses
orchestrations. Lorsque je fouille dans ma mémoire à sons, j'entends ici la prémisse de Melt par Leftfield. Après
un bref passage ambiosphérique les nappes de synthé orchestrales propulsent à nouveau la structure
rythmique de "The Tower" dans une approche spasmodique, plus légère par contre que celle de "The Tree", où
les séquences répondent à leurs échos, forgeant un hymne électronique plus près des terres de l'Électronica
avec un effet de stop'n'go où les lourdes nappes de synthé finissent par envelopper "The Tower" dans une
phase ambiante. Il y a peu à rajouter sur "Destination Unknown" et "One Day we will Walk Together" si ce n'est
que ces deux titres démontrent qu'en duo The Tower Tree transcende leurs styles respectifs. Et que
“Transposing” est l'aboutissement de deux musiciens qui ont décidé de laisser leurs empreintes dans ce
merveilleux univers qu'est la MÉ. Superbement délicieux et hautement musical, ça dépasse mes attentes du
début à la fin!
Note : 5/6
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Grief : Dismal
Chronique réalisée par Rastignac
Grief, quand t’as la haine ! Quand ça va pas, quand surtout personne et que rien ne va comme il faudrait… on
tourne la tête dans tous les sens et le vertige monte, on écoute Grief, et on en remet une couche dans la
conscience qu’il y a trop, pas assez, trop de destructions stupides à tous les étages, trop de bourrinages
aveugles des travailleurs, d'annihilation des chômeurs, de mépris des pauvres, de mépris de l’intelligence, trop
de haine de tout ce qui pourrait faire avancer quoi que ce soit, pas assez d'oxygène, trop de bêtise, chape de
plomb sur l'individu bêta, chape de napalm sur les enfants, transformations en monstres de ce qui doit être
l'ennemi, création de conflits, expérimentations sur la psyché et le corps, traitement de l’humanité comme un
tas de bûches, gazages, bombardements médiatiques, rasages physiques, internements dans les usines et les
bureaux, les armées et les familles, où est ma thorazine, où se trouve mon zoloft, où t’as caché ma bible, il est
où mon shit, je trouve plus ma picole, je trouve plus d’intérêts, plus de désir, un peu comme si le tableau le plus
net du monde c’était cette photo de gamin dans les ruines, de visages émaciés entre deux barbelés, de Charles
Manson jouant de la guitare très content de lui, il est raccord, Grief est raccord aussi. En ces éons d’optimisme
obligatoire, de "triomphe de la raison et de la joie", de résilience et de je sais pas quel autre terme assez
marketé pour qu’on l’achète avec confiance il faut savoir revenir aux fondamentaux, reprendre la discographie
de Grief là où elle a commencé avec ses deux premiers EPs, celui-ci, et le bien nommé "Depression" qu'on peut
écouter en bonus sur la version CD de Dismal. Il faut en profiter pour pouvoir l’écouter avec un son mammouth
comme il faut grâce à l’inespérée réédition du label macédonien Fuck Yoga, déjà responsable entre autres du
dépoussiérage des démos de Noothgrush ou de l’édition d’un pourcent de la discographique de Sete Star Sept.
Cette réédition, la version avec l’ajout d’un EP et un split, cette nouvelle masterisation démonte ma chaine là,
bien plus que les mp3 pourris qu’on était obligé de se fader pour écouter ces morceaux de misanthropie pure,
ou alors fallait casser la tirelire tel un collectionneur de vieux disques de Mayhem. Il faut donc reprendre goût à
la genèse d’un groupe raclant les fonds de bidet de la réalité pour l’envoyer à la gueule à qui est volontaire,
grâce à une maitrise du rasoir d’Occam, et ce dès leurs premiers pas : « plus c’est simple, plus c’est bien »,
accords lugubres et riffs démonteurs de nuque, voix dégueulasse, lenteur mortifère, talent pour ne laisser plus
aucune prise sur leur discours imparable. Il faut se taper Grief pour casser un tant soit peu cette illusion
fantomatique qui ne tient plus que sur trois béquilles, ce rêve bidouillé qui tiendrait sur un désir de
reproduction et d’enjolivement d’une réalité qui est bien plus simple, à savoir que cette planète est un véritable
enfer et qu’à force c’est à se demander si l’apprenti chef de l’endroit n’est pas juste un putain de virus. Allez,
bonnes fêtes !
Note : 6/6
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PRYAPISME : Hyperblast Super Collider
Chronique réalisée par saïmone
Gambit d'ouverture : 3 hits stun, 4 hits mort. Deuxième round : le mec bourre les milles mains, me colle dans le
coin, oicho loop, au revoir merci. Dernière chance : zoning à l'ancienne, airslasher, glissade, jackknife ;
emballez c'est pesé. Pryapisme surpasse ses objectifs jusqu'à l'absurde : speedrun sur du RPG, random
rogue-like, run and jump sur navigateur internet. Succession de plans hystériques, gif animé, nintendocore.
Science fiction cheap en option select, synthwave grind imblocable, cross up de funk abyssale. Être l'enfant du
produit, c'est terrible. Un enfant qu'on aurait trop gavé d'émissions télé, de surf internet non sécurisés
parentalement, de piratage mp3 en trop grande quantité. Le mot « influence » n'a jamais eu autant et si peu de
sens. Ryu dans Castlevania, Richter Belmont dans Dodonpachi. Dominante metal, okizeme progressive,
distante – mention spéciale au jeu ahurissant d'Aymeric, on se demande ce que ce mec donnerait sur un disque
de war metal. Trop plein, aussi, écœurement, débordement – les guitares sont insuivables : pas de super à la
relevée. Épuisant comme l'intitulé de ses titres ou qu'un tournoi de Karnov. Bref, le genre de kaléidoscope
hyper musclé pour lequel il vaut mieux être préparé, d'autant que ça dure un bon moment – seul regret d'un
disque aux longueurs trop saillantes, pourtant retrogaulé comme la réalisation des vieux fantasmes auxquels la
technologie nous permet désormais d'accéder – c'est pourquoi il faut acheter l'album en cassette, c'est plus
marrant – zapping fou furieux des meilleurs moments de notre enfance, de tout ce que le japon a pu produire de
pire (et c'est incalculable) condensé en une petite heure de musique – car le groupe n'a rien d'une blague, c'est
même plutôt l'inverse : donner dans la folie mathématique, calculée – trop, peut être, des fois.
Note : 5/6
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Der Himmel Über Berlin : Emesys
Chronique réalisée par Twilight
Et ça continue…Toujours plus assurés, perfectionnant sans cesse leur technique, Der Himmel über Berlin ne
s’arrêtent plus. Un an après leur deuxième album, voici déjà du nouveau travail, cinq chansons qui témoignent
une fois encore du caractère inclassable du groupe qui complexifie ses compositions sans leur faire perdre
leur immédiateté. Si ‘The chosen ones’ démarre comme du gothic rock assez traditionnel, il s’oriente soudain
vers quelque chose de plus musclé niveau guitare, laisse la mélodie muer imperceptiblement pour un final
ayant pris ses distances avec le début. ‘Kafka Motel’ s’oriente vers le deathrock avec des sonorités plus
grinçantes. Cette vision sombre, intense, paraît convenir aux Italiens qui poursuivent ainsi sur ‘Poison on your
tongue’, lui aussi pas banal avec son final instrumental de presque une minute. Les deux chansons suivantes,
l’excellent ‘Dead cities’ et ‘My rubber queen’ ne font que confirmer ce que ‘Shadowdancer’ démontrait, Der
Himmel über Berlin a noirci son son, obscurci ses ambiances, laisser le vice pénétrer ses lignes… Beaucoup
d’énergie, de conviction et un Teeno Vesper prouvant qu’il est vraiment le chanteur dont le combo avait besoin.
La rythmique assure impeccablement laissant une place importante à la guitare de Davide Simeon qui semble
se lâcher pleinement aussi bien dans ses suites d’accords, que les passages atmosphériques. Comme je le
mentionnait dans ma chronique précédente, il a fallu un certain temps pour une stabilisation du personnel mais
nul doute que cette fois, c’est la bonne et qu’on risque d’entendre encore de bonnes choses de la part de ce
groupe qui gagne gentiment sa place parmi les projets moteur du style.
Note : 5/6
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Les Rita Mitsouko : Rita Mitsouko
Chronique réalisée par Twilight
Rita pour Rita Hayworth, Mitsouko pour une fragrance signée Guerlin… Pas une chanteuse (d’où l’ajout du ‘les’
par la suite pour éviter toute confusion), un duo bricolo-wave improbable né de la rencontre du guitariste Fred
Chichin (déjà nanti d’une certaine expérience dans des combos rock et punk) et de la chanteuse Catherine
Ringer (également danseuse). Atypique, imaginatif, provocant, le groupe parviendra à se tailler une place de
choix dans la variété française sans renier son intégrité ni son univers coincé entre une version seconde-main
des cabarets de Pigalle, les tentations new wave, un goût du DIY hérité du punk, et une boulimie d’influences
musicales allant du folk aux musiques du monde. Premier album et un hit énorme, ‘Marcia Baïla’, dédié à la
danseuse Marcia Moretto qui avait donné des cours à Catherine. Non prévu comme single par la maison de
disque, son passage intensif sur les ondes des radios libres inversera la donne. Guitares de guingois, cuivres
synthétiques limite too much, un chant poussé dans des intonations aux limites de la caricature et pourtant, on
ne rit pas du tout: faire danser sur le thème du cancer, tel était le pari. Ne pas sombrer dans le tragique, garder
l’énergie pour immortaliser Marcia telle qu’elle était dans son art. Mission accomplie, on devine l’émotion dans
les intonations d’une Catherine au top de sa forme et on peut bouger sans remord. En face B, ‘Jalousie’,
nettement plus grinçant, témoin de la gouaille franche de l’interprète avec ses phrases comme des rasoirs (‘À
ta merci tu voudrais l’avoir, cette pute, cette femme, cette salope, chéri, merde à la fin’…), rythmé par les
accords secs de Chichin. Un de mes favoris du groupe, simplement. Ah oui, je glisse un mot sur ‘le Futur no 4’ :
de la pure cold wave, avec boîte fraîche, groove mutant disco glacé, sonorités synthétiques distordues. Une
perle (de glace) dont la séquelle, ‘La fille venue du froid’, confirme l’intérêt du duo pour la new wave malgré les
allures de titi des années 30. Revenons à nos moutons, secouons la boîte à surprises et voilà ‘In my tea’ avec
ses rythmes folklo-tziganes urbains décalés et froids, ‘Oum Khalsoum’ plutôt asiatique dans ses lignes et son
dépouillement. Et n’oublions pas la fête foraine cold wave emballée sur synthé à piles ('Amnésie') ou ‘Restez
avec moi’, le single voulu à la base par la maison de disques et qui rencontrera peu de succès. Le moins bon de
l’album à mon sens. Oui, il bouge bien avec son petit côté rock acoustique mais bon, ça ne tient pas la
comparaison face à la créativité que représente le disque, véritable fourre-tout et mine à découvertes. Il donne
l’impression d’avoir été enregistré au fond d’une cuisine et pourtant a été produit avec soin par Conny Plank (la
version CD mériterait par contre un remastering pour plus de punch). À l’image du groupe apparemment peu
soucieux de son visuel (rappelez-vous Catherine et sa dent en moins) qui y accordait au contraire une grande
attention. D’où la vraie cohérence de cet amas hétéroclite de new wave, de rock, de cabaret et de chanson,
comme sa pochette colorée, nocturne, mécanique, onirique… À noter cinq chansons supplémentaires sur la
version CD qui n’ont rien d’un remplissage inutile, à commencer par l’excellent ‘Galoping’ avec sa touche wave
fofolle, idem pour ‘Minuit dansant’ capable de fusionner bal ambiance Butte Montmartre et pop synthétique,
tout ça sous le signe de l’éthylisme… 4,5/6
Note : 4/6
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Wild Roses For The Exit : Wild Roses For The Exit
Chronique réalisée par Twilight
Bandcamp, c’est le mal ! Tant d’excellente musique à portée de main, en contact direct avec les artistes, de
ceux qui écrivent un mot pour remercier de l’achat, ajoutent un badge, un petit dessin et je ne sais quoi
d’autre…Pour quiconque commence la recherche par styles, l’endettement financier guette. C’est via la
plateforme que je suis tombé sur Wild Roses for the Exit, typiquement le genre de nom qui claque, rend
curieux…Curiosité récompensée. Bien évidemment ma recherche concernait le tag ‘gothic rock’ et gothique, le
projet l’est assurément. Il suffit d’écouter l’excellent ‘Chasing the ghost’ qui ouvre le cd pour s’en rendre
compte. On comprend pourtant vite que Fiction, géniteur du projet, a une passion immodérée pour la new wave
et la pop (je parle de la pop noble, créative, comme savaient en distiller des formations telles que Duran Duran,
Inxs, Visage et consorts). La dark wave de Wild Roses for the Exit marie ces deux goûts, bien moins
antagonistes qu’il n’y paraît. Le jeune homme semble plutôt bon dans l’exercice, avec un vrai sens de la
mélodie et un chant séduisant, tantôt grave et mélancolique, tantôt plus léger, sans jamais perdre de sa
crédibilité. Les merveilles s’enchaînent, le fabuleux ‘Fear of the light’ dont la ligne de clavier tristounette est à
tomber avec un appui de choeurs féminins fort à propos, ‘Neon flight to heaven’, ‘Mirrors in the dark’ qui
pourrait titiller les nostalgiques du Clan of Xymox période 4AD, un ‘Nightlife’ plus gothique, idem pour le
superbe ‘Indigo lovers’. Ce goût assumé pour la pop permet à l’artiste de se risquer à un ‘Dog rose of the wild
forces’, 100% léger mais étrangement séduisant et addictif contre toute attente. Bien que seul aux commandes,
Fiction maîtrise non seulement sa musique mais aussi la production, solide, et le mixage. Une autre qualité du
disque demeure son agencement, jamais on ne s’enfonce trop longtemps dans un spleen brumeux qui pourrait
s’avérer lassant, un titre plus dynamique venant sans cesse relancer l’intérêt. A voir le soin apporté au
packaging, simple mais très beau, on comprend que Fiction est un esthète humble qui compose avec son
coeur et le résultat est plus que satisfaisant. Un vrai petit coup de foudre en cette fin 2015 que j’espère vous
avoir donné envie de découvrir; une pop de cette qualité, on aimerait en écouter plus souvent.
Note : 5/6
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Masses : Horde mentality
Chronique réalisée par Twilight
Quand j’écoute des groupes comme Masses, je me dis que l’héritage semé par UK Decay n’aura pas été vain.
Je sais, on me rétorquera qu’on est en 2015 et que ce mini aura pu être enregistré en 1980, fort bien, mais le
monde a-t-il donc tant changé ? Pas sûr et ce n’est certainement pas un hasard si autant de formations se
réclament de la philosophie anarcho-punk. Mes goûts en tout cas, c’est sûr que non car quand j’entends cette
rythmique de guerre, ces guitares puissantes et ce chant passionné, mon coeur bondit dans ma poitrine.
Masses, c’est ça, c’est l’émotion brute qui te prend, ces morceaux cavalcade, c'est noir comme noir de monde,
comme une foule immense qui se regroupe…Après, ils ont aussi leur petite patte à eux comme les passages
avec duo chant masculin/féminin (‘Blind’) et ça ajoute un effet sympa. Mais l’important n’est pas là, ce qui
compte, c’est cette envie de ramasser les oriflammes, de ne pas se résigner, de continuer à croire en ses rêves,
à un meilleur futur possible…Comme les tambours battaient la marche au combat, des groupes tels que
Masses sont nos tambours, ceux qui nous aident à avancer le regard fier, bien droits dans nos rangers et cette
émotion-là, elle est addictive, se fout de la modernité.
Note : 5/6
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Masses/Death Church : Split
Chronique réalisée par Twilight
La foule, toujours la foule, noire, compacte, inquiétante, celle qui lynche ou qui se disperse au premier
lacrimo…La foule, l’église, celle de la mort, indissociables ? Comme il est de plus en plus régulièrement l’usage
pour celles et ceux qui désirent un support physique, les Australiens de Masses ont sorti une cassette en
partenariat avec leurs compatriotes de Death Church, chaque formation proposant deux compositions. Masses
envoie du lourd d’emblée avec le trop court ‘Disperse’ totalement possédé et génial. ‘Providence’ est excellent
aussi, un brin plus mesuré, avec apport substantiel du clavier. J’adore ce groupe, leur excellent post punk goth
épique, dynamique et puissant. Death Church, c’est la version deathrock, plus rêche, avec des vocaux sonnant
légèrement plus punk et des guitares grinçantes du plus bel effet, mais c’est tout aussi bon, notamment pour
l’impression écorchée d’urgence dégagée. Pour l’heure, le combo n’a pas une discographie très riche mais ce
split est une bonne occasion de découvrir leurs débuts et en espérer toujours plus. On note une bonne
production sans pour autant sonner trop lisse, histoire de garder intacte l'émotion directe, juste ce qu'il faut:
DIY attitude forever !
Note : 5/6
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From The Fire : Through the oceans of time
Chronique réalisée par Twilight
Démarche originale, inattendue et audacieuse que celle de Michele Piccolo, chanteur et guitariste au sein de
diverses formations culte de la scène goth italienne (Ordeal by fire, Burning Gates): revisiter une série de ses
compositions de manière semi-acoustique en compagnie de Fabrizio Busso, guitariste folk de ses
connaissances. Through the oceans of time repose donc uniquement sur le chant et un subtile échafaudage
d’électricité et de guitare sèche. Pas évident de s’envoyer quatorze chansons sans la moindre percussion d’une
traite quand on est un vilain goth comme moi mais force est d’admettre que les deux Italiens parviennent à en
faire quelque chose d’intéressant et de séduisant. Le plus étonnant est que l’on parvient à se détacher des
origines pour écouter ces relectures presque comme de nouvelles pièces. Le projet permet aussi de découvrir
deux titres d’un combo plus ancien baptisé Sister Zaus dont je n’avais jamais entendu parler, ainsi qu’un
morceau écrit spécialement pour cette compilation atypique (‘Oceans of time’). La conviction du chant est un
élément essentiel ainsi que les agencements des guitare, notamment quelques lancées électriques
(‘Re-creations’, ‘Fields of rape’,…) bien senties pour provoquer des pics d’intensité au sien d’arrangements
globalement dépouillés mais jamais secs. Les disques acoustiques ne sont pas des raretés mais ‘Through the
oceans of time’ se distingue de par le background gothique de son géniteur dont il ne se détache jamais
vraiment. Pour être plus clair, on devine aisément que ces titres n’ont pas été écrits par un artiste folk, qu’ils
portent une certaine obscurité en leurs lignes et cela fait leur force, leur spécificité. Pas le genre d’album qu’on
écoute n’importe quand mais un exercice plutôt brillamment mené, il faut bien l’admettre, malgré une durée
légèrement excessive à mon goût (dix chansons auraient suffi).
Note : 4/6
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Luminance : Sans visage
Chronique réalisée par Twilight
Tiens, quelque chose de plus électronique au milieu de toutes mes post-punk/deathrock/gothic rockeries… Du
Belge. Du bon. Très bon, même. À une époque où l’aggro-merde, la cyber-chiotte ou l’electro-indus bourrin
raflent l’adhésion d’un public néophyte peu exigeant en matière de musique (ouf, ça soulage ces coups de
gueule ponctuels), Luminance rappelle que electro peut rimer avec qualité. La première du groupe est de
s’inspirer d’un savoir-faire old school sans pourtant trop jouer sur la corde nostalgique ; la seconde est de faire
danser avec de vrais morceaux écrits à la main (avec des paroles intelligentes) dont la mélodie trotte dans la
tête toute la journée. Impossible de ne pas remarquer ce que le duo doit à Skinny Puppy, Front 242, Yelworc,
Psyche mais aussi Delerium (peut-être même Mentallo and the Fixer ou Clock DVA) sur les passages les plus
aériens mais c’est assemblé d’une manière personnelle et maîtrisée. Quelque chose de froid et sombre mais
lumineux et aérien aussi comme si rien n’était joué d’avance. Cette cohérence dans la diversité est d’ailleurs un
troisième point positif à retenir pour parler de ‘Sans visage’. J’ai encore un atout à sortir de ma manche, il y a
des miettes de cold wave qui flottent de-ci de-là, histoire d’épicer encore le tout; c’est dire si le bouillon est
délicieux. La musique parle d’elle-même, c’est composé avec soin, avec un vrai travail sur les sonorités, les
atmosphères, une programmation réfléchie, et une production solide. Rien à jeter ; que ce soit dans les
tentatives spatiales (‘The bleeding eye’), les interludes souterrains ou les moments les plus rythmés,
Luminance fait mouche. Mentionnons logiquement le vrai travail du chant qui participe clairement lui-aussi à la
réussite de ce disque (la technique de le mixer distant dans un léger halo fonctionne à merveille). D’ailleurs si
Darrin C. Huss (Psyche) a accepté de chanter sur une des chansons (‘Left out’), ce n’est pas pour rien. ‘Ce rite
solitaire comme une rengaine rance d’amertume épaisse sublime ton fardeau’… Luminance ou le cœur qui bat
au milieu des circuits.
Note : 5/6
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Réseau D'Ombres : Ireos
Chronique réalisée par Twilight
Pierre-Louis et Pierre-Yves estimaient que leurs prénoms ne collaient pas pour la scène, alors les deux Pierrots
se rebaptisèrent Ernst et Karl… Normal, le premier est fan de Kraftwerk et de musique électronique et fonde
même un groupe éphémère, Km-55. Mais à Laval, au début des 80’s, l’ambiance est plutôt au punk. Le
comparse de Ernst s’en va non sans lui avoir présenté Karl qui lui-même amène son frère Jean-Marc (aaah,
cette époque des prénoms composés). Réseau d’Ombres est né. Les débuts sont particuliers, le groupe est
convié à une sorte de challenge organisé pour financer l’enregistrement de singles pour dix formations quasi
inconnues sous forme d’un concert. Vu le manque de renommée des combos planifiés, c’est un flop mais
Réseau d’Ombres impressionne par la fougue de sa prestation et son line-up peu banal : basse-batterie-synthé.
Une K7, ‘Ireos’, est enregistrée, aujourd’hui rééditée sous forme de Lp par le label grec
εἰρκτή. Un nom vient automatiquement aux lèvres : Killing Joke. Comme
les Anglais, le trio semble possédé, sa musique dégage une puissance impressionnante menée par la
rythmique et les sonorités grinçantes du synthé qui fait vite oublier l’absence de guitares. Bien sûr, il s’agit
d’un enregistrement live, mais le son demeure très correct, presque tous les bruits d’applaudissements ont été
gommés, la musique remixée (remasterisée pour le LP aussi) et cette production un peu rêche sied
parfaitement à la philosophie du groupe. Le chant de Karl est totalement habité, ce qui renforce l’impression
guerrière des compositions. Poésie de la noirceur, on reste abasourdi devant la maturité musicale des titres
conjuguant violence existentialiste et mélodies puissantes ; c’est simple, ‘Ireos’ est un défilé quasi continu de
brûlots irrésistibles (‘Instants’, ‘Mercenary’, ‘Folie’, ‘Natural gestures’…). Le succès d’estime de cette simple K7
et son statut culte hier et aujourd’hui n’en sont que plus compréhensibles ; on frise le chef-d’œuvre. Elle
ouvrira d’ailleurs bien des portes à Réseau d’Ombres qui pourra enregistrer un premier single dont la face B,
‘Mirrors’, remportera un certain succès, avant la sortie de deux LPs. Remercions donc
εἰρκτή pour ce repressage grandiose ; voilà un groupe qu’il est
pratiquement impossible d’écouter sans sentir ses battements de cœur accélérer : la rage conquérante dans
toute sa pureté ! 5,5/6
Note : 5/6
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Motörhead : Ace of spades
Chronique réalisée par Raven
Lemmy n'a jamais fait qu'une musique : du Rock n' roll. Overkill est le Rock. Ace Of Spades est le n' roll. C'est
un mouvement, c'est quelque chose qui ne se saisit pas vraiment, qui n'a rien du cristallisable, les suffrages qui
en ont fait l'ami public numéro un dans les journaux n'y changeront jamais rien (les détracteurs mettant quant à
eux l'amour pas assez raisonnable pour l'As de Pique sur le compte du single-titre ; mais on a vu tenir le même
propos contre Overkill... qu'ils aillent tous se faire mettre). A.O.S., c'est une pulsion. Le plus vite possible...tout
vandaliser, encrasser, assécher comme la gorge de Lem' dans cet album. Traverser ce désert en
incandescence existentielle. Speed ? Speed ! Leur disque le plus sec (dry, neat). Rocks = glaçons. Whiskey
sans glace, pour accompagner mon Ace of Spades - elle n'aurait pas le temps de fondre de toute façon. Gosier
cramé au cigarillo inhalé à pleins poumons ? Inspiration totale même quand il est à bout de souffle, moyens
limités qui ne limitent rien du tout. Rythme d'une cavale pour sauver sa peau. Reptile. Si tu n'as pas vu le
'Wanted : dead or alive' placardé sur tous les murs de Bastard Town depuis le temps... c'est que tu l'as cherché,
inconsciemment, et peut-être bien toute ta vie... Le Venin. De ta vie. Revivre par-delà le fantasme d'être un
flibustier dans le sillage de Kilmonsieur, rien qu'un peu. Avoir les éperons qu'il faut aux santiags pour piquer
les flancs du destin jusqu'au sang. Tenir les rênes de cet étalon d'un aller sans retour, lançé vers où tu sais
depuis que tu as réalisé que tu y allais comme tous les autres. Pouvoir être le bandit en cavale, insaisissable,
rapide et liquide, dans un Ouest de shérifs emprisonneurs de riffs comme tous ces hommes de loi qui veulent
la chose solide et inerte (sur Ace of Spades Lemmy ne fait pas étalage d'insignes militaires, une carte suffit) et
cherchent sans cesse à stopper ce qui ne peut s'arrêter, dans un Ouest de chercheurs d'or qui ne voient pas la
banque à portée de canon ; c'est pas de la fiction tout ça ; c'est en toi, en ce moment... Renouer avec l'essence
de cette musique dans son Far West qui peut être le plus anonyme des terrains vagues périurbains (pochette
culte au passage et seul grand Motörhead qui ne soit pas orné de l'habituel Bastard), vivre sa jouissance brute
ne serait-ce qu'une demie-heure, cribler le pied-tendre juste avant la provocation en duel, gronder le chinois et
piétiner ses draps, rouler libre au vent comme la tumbleweed. Ces douze balles fusent telles des cartes de
poker lancées par la plus habile des canailles (leur tranche peut réellement couper une pastèque et en faire
jaillir toute la belle pulpe). Tu perds / tu gagnes, c'est du pareil au même. Il n'y a aucune chanson figée sur Ace
of Spades, il n'y a pas d'objet de célébration froid appelé "morceau", aucune de ces tristes statues empilables
pour ceux qui voudraient chosifier la flamme : tout est chaud, tout noircit les veines pour mieux les réveiller.
L'éponyme en introduction est une accélération démente à la suite des plus cools coups de pétoires de
Bomber. Le reste suit dans une même trajectoire, chacune des suivantes est une carte sublime qui fait
mouche. À ce niveau Ace of Spades est aussi l'album le plus homogène de Motörhead. Se poser en adoration
devant un moment plus qu'un autre c'est déjà se fourvoyer sur ce qu'est ce disque de Lemmy Luke dépravé
mais galant homme. (Si vous insistiez vraiment, je choisirais alors en petit crevard ces quelques secondes en
suspension qui sont la seule "accalmie" objective d'Ace of Spades, soit le faux-break de "The chase is better
than the catch", avec la basse nue et ces râles du père Lemmy qui m'irradient jusqu'aux tripes - "let me hear
you"...) L'effet Ace of Spades est celui d'une déflagration vitale, forcément courte mais intense. C'est aussi le
disque sur lequel Lemmy a le plus réussi à jouer les yankees, en étant ultra-rosbiff dans sa manière
(authentiquement vicieuse et spontanée, à rendre tous les punks jaloux). Il faut aussi dire qu'Ace of Spades ne
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s'auto-célèbre pas comme certains des disques suivants aimeront le faire. D'abord parce qu'il a pas le temps. Il
vit ; est vit. Lemmy ne s'y adresse qu'à ses maîtresses ou à ses victimes. La volonté du Lemmy d'Ace of Spades
est de vivre le plus intensément, pas éternellement - et qui l'aime le suive (mais il va falloir s'accrocher !) Douter
d'Ace of Spades ? Bordel de merde, mais c'est réfléchir pendant un hold-up !!! Tu restes sur le plancher, tu
refuse de suivre la guitare venimeuse, velue et liquide d'Eddie ? La frappe animale de Philthy ne te met pas des
frissons un peu partout ? Va chez le croque-mort, il prendra tes mesures. Tu n'iras pas à tombeau ouvert. Le
magot ne sera pas à toi, ni les joies de ces dames, ni le butin. Comment ça, cet album n'est pas barraqué et
écrasant comme d'autres Motörhead ??! En effet ! Il est svelte, oui ! C'est un crotale, bête furtive qui t'injecte
son venin dans les guibolles sans prévenir, si par accident tu marches trop près, dans le désert arride. Le Venin
! Et un serpent sur lequel tu auras du mal à foutre un coup de talon, car il est de poudre, car il est de sang, car il
se jette sur sa proie sans réfléchir. Snake eyes watching you. Svelte comme Eastwood dans sa jeunesse,
Motörhead est déjà ridé jeune. Motörhead se font pistoleros, leurs guitares ou baguettes des colts qu'ils
manient avec autant de spontanéité que leurs quéquettes. Ace of Spades est western-record à l'urgence de
combustion spontanée ; ici on ne temporise jamais façon Leone, juste shoot sur shoot sur shoutout. Le seul
"artifice" restera - non pas la reverb qui donne cette teinte délicieusement sordide aux vieux Motörhead - le
barillet-crécelle, repris à Bomber mais plus à sa place ici que sur aucun autre car les sonnettes du crotale sont
dans leur élément. Majeur vertical, serpent en position d'attaque ; mineure à l'horizontale, juste après la mue.
Ce disque est le Motörhead le plus chroniqué mais le plus stupide d'espérer chroniquer, derrière son statut de
Never Mind the Bollocks de Lemmy, d'album craché à l'arrache : le temps de faire un blabla lourdingue sur cette
musique qui ne l'est jamais une seule fraction de seconde, et c'est laisser le n'roll se faire la malle loin devant,
bite the bullet it's leaving you. "Quand on veut tirer, on tire, on raconte pas sa vie." Ace of Spades m'appelle à
suivre la direction évidente qu'il m'indique dans sa légèreté de flamme ; le bolide est vie et le statique est mort ;
je dois me faire bullet ; alors je ne serai plus ce boulet lourd bloqué au sol et enchaîné, qui a raté le hold-up, ce
sous-vivant, en un mot ce chroniqueur. Je saurai que la locomotive ne passe plus dans cette ville cernée par
les vautours... Et je serai de l'autre côté du zinc, très loin d'ici. Vivant ou vif.
Note : 6/6
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Les Rita Mitsouko : Rita Mitsouko
Chronique réalisée par dariev stands
Libres et affamés. Les Rita Mitsouko sont aux abois quand paraît ce premier album. Illustres inconnus en
décalage avec le tout-synthé qui ravage alors les charts, ils vont décrocher la lune avec le classique que l’on
sait, mais les choses sont loin d’être évidentes à l’écoute... Déjà, le ton est bien moins accrocheur qu’on
pourrait y penser. La froideur et raideur de la face A prend même de court pour qui connait les sempiternels
succès radiophoniques du groupe. Sans aller jusqu’à parler de dichotomie, on peut quand même déceler une
face A aux sonorités brutes, tendance cold (wave ?), avec raideur-froideur surlignée de khôl de rigueur (goth ?
non, mais les goths ne peuvent que tomber amoureux, ici). La face B ? Méditerranéenne, chaloupée des
hanches et parsemée de touches de couleurs nerveuses comme une toile de Braque (aucun jeu de mot sur le
hold-up Marcia Baila, aucun !!). Et la face A est donc la face plutôt Vasarely, suivez un peu les mickeys. Ainsi
les motifs répétitifs de « Reste Avec Moi » sont l’idéale illustration du trait de caractère éminemment féminin
dont Catherine fait l’éloge. C’est Calypso qui retient Ulysse au fond du congel, entre les claviers-glaçons qui
tintent et la bouteille de rhum oubliée au fond. Ici, petit détail à divulguer, Ulysse est un dealer d’héro repenti
ayant tâté du caniveau dans ses années de punk toxico, et Calypso est une ex-actrice porno assumant
parfaitement et arborant un air un peu cinglé et un regard fou qui transforme le décalage en génie pur. C’est
bon, le mythe peut continuer à rouler malgré le passé trouble, on ne séparera pas ces deux-là de sitôt, d’ailleurs
la carrière cinématographique de la Ringer est mine de rien évoquée dans « La Fille Venue du Froid » (j’y viens),
ce qui reste une forme de courage iconoclaste quand on sait que la dame avait déjà d’autres expériences à
raconter, dont on ne parle que trop rarement… Comme une carrière au théâtre (avec un passage sous la
direction de … Xenakis !) et un père peintre à la vie mouvementée, Sam Ringer… Et donc « La Fille Venue du
Froid », chanson énigmatique, aux synthés dégoulinants et à la boîte à rythme bien poisseuse comme on savait
les pondre en 84. Zéro souplesse, mais des hectolitres de crampes au cerveau, contrepied absolu et radical à
Marcia Baila. Catherine semble vouloir s’anesthésier, foutre son corps à la morgue et plonger dans l’« Amnésie
» qui sera d’ailleurs le troublant mot de la fin. Autre correspondance d’une face à l’autre, l’acidulé « Oum
Kalsoum » (au texte à la limite de la folie douce, digne de Brigitte Fontaine) qui répond à la candeur de « Reste
Avec Moi ». « J’ai sans trop d’histoires, un grand espoir » chante-t-elle timidement sur un de ces refrains
matinaux et embués dont l’album est étonnamment rempli. Sentait-elle que le méga-carton était à portée ? De
chaque côté, chaque titre est un petit monde en miniature, aux timbres et délices synthétiques adaptés à
chaque chanson, collant au plus près aux textes spontanés et merveilleusement évocateurs de Catherine.
Ulysse-Fred Chichin, biberonné aux 70’s, aurait pu faire des Rita une opération séduction à la Bashung, et
foutre de la guitare partout, il n’en est rien. L’homme a le génie de la discrétion, comprenant surtout qu’il faut
servir au mieux la divine vocaliste dont il est question ici. L’ossature rock est là, mais cachée. Citations de «
You Really Got Me » par-ci, arpèges stoniens par là… Tout est discret, seule la dynamique (glam on vous dit !)
rock charpente le tout. Car oui, il faut assurer derrière une performance comme celle de « Jalousie », monstre
absolu de vérité et hargne où la diva se grime en macho pour mieux viser juste, salement juste, redevenant
chipie narquoise à l’œil rieur sur le pont sautillant, avant de rebasculer dans la rage grimaçante la plus
masculine (rage restant un mot féminin…) quand repart le binaire fatal. En plus de parler d’enculer des mères
(je cite !!), cette chanson justifierait à elle seule la note maximale sur n’importe quel album, tant chaque
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seconde transpire la sincérité la plus bassement humaine… Suffit d’observer autour de soi. On se gardera bien
d’imaginer qui du muet Chichin ou des éventuels ex de la Ringer a inspiré ce brûlot sans concession. Et donc,
vous l’avez vu venir, on en vient nécessairement à l’autre pièce maîtresse, éclairant la face B comme une lava
lamp rose et verte, l’immortelle Marcia Baila, festival de mélodies et de groove qui portera logiquement le duo
vers la popularité jamais démentie qui fut la leur. Ça frise le cartoonesque, ça jungle en carton, ça monte en
bulles de sève jusqu’à la supplique la plus déchirante, ça se déhanche dans les synthés-cuivres rigolos comme
dans un boa en plume, ça se trémousse dans un jeu de miroirs en grosses notes givrées-glaçées, ça décolle
dans les graves façon Nina Hagen-Daasz, et en définitive ça ne se refuse strictement rien comme une nuit
d’ivresse un soir où c’est Michou qui paye, vous pouvez y aller, l’addition sera réglée, c’est la maison qui
offre… Une citation absurde et débile de « Let’s All Chant » comme si on était au Studio 54 ? Allez-y, c’est pour
moi. Un solo de piano empreint de saudade juste avant, aussi humidifié que celui du break de « Halleluwah » de
Can ? Faites-vous plaisir, comme si on était dans le studio de Conny Plank, le gourou du krautr… eh mais,
attendez voir, on y est justement. Y’a pas de hasard si ce très grand malade de Conny Plank, dont je vous laisse
chercher l’incommensurable pedigree, a produit une partie de ce disque, lui qui arrive à garder la même
fraîcheur qu’il bosse avec un groupe de pop ou bien de crevards psyché-drone teutons défoncés. Ne restait
plus qu’à emballer le tout dans une pochette parmi les plus originales qui soient (sorte de crèche futuriste
bricolée dans une télé démontée, avec mise en abyme et détails à scruter en version vinyle), et on avait un des
plus grands, un des plus cool, un des plus improbables albums de pop toutes catégories. Si les Rita Mitsouko
n’avaient fait que ce disque, n’en avaient vendu que 30 exemplaires, sans clips, ni costumes délirants, ni
exubérance, eh bien ils n’en seraient pas moins ce qu’ils sont au plus profond : un duo couvert de gloire. La
Gloire d’être parmi les tout meilleurs.
Note : 6/6
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Sierpien : Zawsze Nasze
Chronique réalisée par Twilight
Incroyable, cette vision étriquée du monde et des choses qu’on peut avoir quand on est jeune…Quand j’y
repense, ces yeux que j’ai ouverts à la chute du Mur quand je me suis rendu compte qu’il existait une culture
punk et des groupes new wave en Europe de l’Est…Et comme je me suis rué sur les disques que j’ai trouvés !
Enfin, c’est pas venu tout de suite car outre le silence des médias, les problèmes de distribution n’étaient pas
une vue de l’esprit. Aujourd’hui, c’est différent et vu la richesse de la scène dans certaines villes de l’Est, j’en
suis bien heureux. D’autant qu’avec l’avènement d’internet, les communautés sombres sont devenues de
vraies familles; on échange, on se produit, on distribue les disques des potes, on les invite en concert, on
achète le merchandising, on les promeut comme on peut. C’est ce plaisir que j’éprouve notamment en
chroniquant des projets tels que Sierpien, un combo originaire de Moscou oeuvrant dans un post punk goth
assez direct dans la production. Il faut dire que Artem, le géniteur, assure tout lui-même (artwork y compris) à
l’exception de la batterie. On cherchera les influences philosophiques et musicales vers CRASS, UK Decay,
Part1, Gang of Four même, soit un goût pour un jeu de percussions travaillé avec beaucoup de roulements, une
basse lourde, des guitares crues mais pas trop non plus. Les morceaux de Sierpien évoquent une touche
froide, moins flamboyante que chez UK Decay par exemple, de par des tempi plus retenus, une certaine
électricité dans la guitare qui ne sonne pas punk pour autant (les mélodies sont trop travaillées pour ça), que
renforce le choix du russe pour le chant. La voix elle-même évite de trop se laisser aller à l’émotionnel, comme
si elle se voulait narratrice plus que actrice, ce qui n’a rien à voir avec de la monotonie, au contraire. L’album
s’écoute tout seul, sans temps mort ni longueur superflue, avec une ambiance cohérente du début à la fin; il
sait se montrer sombre, dynamique, mais surtout équilibré entre ces deux pôles. Rouge comme la Place, gris
comme le béton, 100% sincère. 4,5/6
Note : 4/6
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Stage B : People of the book
Chronique réalisée par Twilight
Une lumière sur le flanc de la colline ? Je ne sais pas, c’est une image qui me parle très fortement, qui me
replace en mémoire nombre d’images nocturnes avec des lumières éparpillées comme autant d’étoiles
accrochées à la terre, la roche…Facile quand on vit dans un pays aussi montagneux que le mien. Passons,
Stage B sont Irlandais donc pas grand chose à voir avec les Alpes, sauf qu’on retrouve cette impression de
beauté, de mélancolie, de force et de doute, dans pas mal de leurs compositions. Bien que le nom du label soit
‘Punkerama records’, le groupe se profile davantage du côté du post punk, voir même d’une forme de goth
rock…Heu, stop, oui, sur ce disque mais en réalité nous tenons effectivement un combo pur punk de la fin des
70’s. Le truc, c’est qu’il se sont assez vite orienté dans la voie des Banshees et de Adam and the Ants, qu’ils
n’ont enregistré qu’un seul single avec notamment ‘Light on the hillside’. Je me rappelle d’ailleurs avoir lu un
article où le journaliste regrettait que nombres de bonnes chansons n’aient jamais pu être enregistrées,
sentiment partagé par certains ami(e)s irlandai(se)s de la vieille école. Le mal est aujourd’hui réparé même si à
petite échelle, cette édition étant limitée à cent copies. Ne connaissant rien des versions originales, je ne vous
livrerai mon sentiment que sur le cd entre mes mains. Il est clair qu’on reconnait la patte old school dans la
manière d’agencer les morceaux mais il est évident que si certaines guitares ont des consonances punk, Stage
B est un groupe qui n’a pas peur des mélodies notamment de par l’ajout de synthés qui jouent un rôle
prépondérant dans cet aspect. Il est clair également qu’il s’agit d’une volonté délibérée de soigner les
ambiances, d’appuyer des mélodies fortes. Des chansons telles que ‘Light on the hillside’, ‘Open up’ sont de
vrais tubes; même celles qui sonnent plus âpres (‘People of the book’, ‘Landing hours’, ‘Lizzie Borden’…) le
sont aussi. C’est flagrant sur le génial ‘Landing hours’ avec vocaux féminins en intro et superbes lignes de
clavier ou 'You & him' et ses guitare vaguement arabisantes. Old school mais un pied dans son temps, avec
production adéquate, un peu crue mais pas trop et l’aspect sombre travaillé. A mon sens, seul le bonus, trop
pop, n'était pas nécessaire mais c'est un moindre mal. 4,5/6
Note : 4/6
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Motörhead : The Birthday Party
Chronique réalisée par Rastignac
En 1985, Motörhead fêtait ses dix ans. Ça me fait aussi drôle que cette déclaration de Lemmy en train de faire le
couillon avec Philthy Animal Taylor dans une chambre d’hôtel déglinguée quand le journaliste lui demande
depuis quand il tourne… : il répond tranquille « vingt ans ». Mais il dit ça au début des années 80… à peine
babillant, le Rastignac vivait donc dans un monde où un gars avait vu en concert les Beatles avant qu’ils soient
connus, avait joué du rock and roll dans son Angleterre toute barbouillée de bonne conscience hypocrite avant
de balancer la sauce psyché chez Sam Gopal et Hawkwind en plein boom d’une période stupéfiée que jamais
votre chroniqueur ne retrouverait, et arrivait à nous pondre Motörhead, ce monstre plein de bave et de rage,
plein de barbe, de speed et de vestes en cuir qui sentent fort. Ce live a donc été enregistré pour les dix ans du
groupe mais sorti cinq ans après (wtf les maisons de disque de Motörhead, comme d'hab), en atteste le public
beuglant un « happy birthday to you » choupinet au groupe le plus fast and loose du monde, en témoigne aussi
les invités qui poussent la chansonnette sur certains titres… 1985, c’est la période qui rebondit encore chez
Motörhead, après un enchainement de disques désormais classiques, et l’écriture de morceaux devenus
aujourd’hui des hymnes à la débauche et au train de vie le plus complet possible… Ce live est néanmoins un
peu différent du « No Sleep ’til Hammersmith », le son est moins propre, le groupe n’est plus le même, le drôle
de Wurzel à casquette à la guitare, l'arrivée aussi d'un futur pilier du groupe alias Phil Campbell, exit l'animal,
bienvenu Peter Gill, et puis un son, une atmosphère générale qui laisse un peu pénétrer l’air du temps
guimauve qui avait envahi le hard rock par ses chevelures permanentées et spandex à couleurs unies ou
zèbres... mais vous aurez quand même une set list presque classique déjà, Iron Fist, The Hammer, Metropolis,
Ace of Spades, No Class, Bite the Bullet, Motörhead… et d’autres petites nouveautés comme « On the Road » (y
a ksa d’vrai la route), enchainé avec un surbootivitaminé « We are the Road Crew », le tout joué plus vite que
sur les versions studios, ou alors c’est moi qui ai bu trop de Jack Coca… Un album à l’image d’un groupe mal
entouré par des maisons de disques rapaces et incompétentes, mais qui a su fédérer tous les dingos autour
d’une famille où sexe débridé, picole, défonce heureuse et rock and roll se retrouvaient lors de rites réguliers,
d’où cette série de live anniversaires, de célébrations autour du grand barbu et sa Ricke118acker, jalons d’une
carrière exceptionnelle, fruit d’un amour inconditionnel pour Little Richard et les gonzesses, les vibrations et
les éructations du corps. Alors si par hasard vous n’aviez pas écouté Motörhead aujourd’hui, faites donc,
peut-être pas forcément avec ce live là, mais avec ceux qui enchainent les boules jaunes comme des forgerons
cosmiques, enchainés aux pistons de la moto de l’espace, d’ici, jusqu’à ce que la mort vous nique. Allez, bon
anniversaire Motörhead, bon anniversaire Lemmy, repose en paix, enfin, tu fais comme tu veux, et merci pour la
surdose d’énergie, on en aura besoin pour longtemps, mais ça va, y a de la réserve dans cette discographie
exemplaire.
Note : 4/6
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Sequential Dreams : Lost Dimensions
Chronique réalisée par Phaedream
Il y a Perge! Il y a maintenant ce consortium international de musiciens émergents, Sequential Dreams.
Composé en collaboration d' Altocirrus, Johan Tronestam, Synthesist et David Bruce Davis; Kuutana puise son
inspiration et calque sa musique dans les paysages soniques de Tangerine Dream, période Green Desert à Exit
tout en faisant un clin d'œil au fougueux rock électronique des années Seattle. Offert dans un format
téléchargeable, la pochette de Andreas Schwietzke est tout simplement sublime, “Lost Dimensions” est une
ode électronique à saveur futuriste où un voyageur du temps échappe à un danger imminent sur Terre en
voyageant 1 000 plus tard dans le futur. Mais ce n'est pas cette histoire qui retient notre attention sur cet album.
C'est la musique! J'ai rarement entendu une musique sonner aussi près de Tangerine Dream que ce 6ième opus
de Sequential Dreams. Ron Charron a épié les sonorités du Dream à travers ses âges, reproduisant avec
succès les riffs métalliques, les solos d'Edgar, les séquences de Franke et les percussions de Camaa dans une
mosaïque de rythmes et d'ambiances qui ne renie en rien ses sources d'inspirations.
Une flûte aux doux parfums du mysticisme de Legend flotte dans l'ouverture de "Journey to the Heart of Time".
C'est très éthéré, même si un petit mouvement de rythme ambiant secoue ses os qui sautillent furtivement. Les
percussions qui tombent partagent le décor avec des nappes ronflantes dont les ondes vampiriques ondulent
lentement. Il y a un filet de séquences qui s'active nerveusement en arrière-scène, mais l'amorce de ce long titre
fleuve reste voilé de mystère. Les couches de synthé jettent un aura arabique. Elles sont au cœur du premier
mouvement transitoire de "Journey to the Heart of Time" qui se dirige vers un up-tempo structuré sur des
percussions électroniques nerveuses. Le est rythme vif et saccadé avec des séquences qui oscillent
lourdement et des percussions dont les échos des roulements tissent une structure qui a des parfums de
Green Desert. La guitare de Kuutana fait très Edgar Froese avec des solos éthérés qui roulent en boucles alors
que les riffs de clavier incitent nos souvenirs à se remémorer les années Exit. Il y a des parfums arabiques qui
rôdent tout autour, détonnant de ce décor futuriste. Mais on s'en fout. Seule la musique importe! Et elle est
bonne. Si "Journey to the Heart of Time" s'avère être un difficile combat afin d'y assimiler tous ces charmes qui
transitent autour d'une longue structure divisée entre des phases de rythme légèrement modifiées, entre du
up-tempo et du down-tempo, entre des passages ambiants plus ou moins brefs, "Across Dimensions" frappe
en plein dans le mille. Composé avec Altocirrus son ouverture est séduisante avec ce chapelet de séquences
qui oscille dans un mouvement ascendant ambiant. Des riffs de clavier et des brises de voix enjolivent cette
présentation où le mouvement de séquences délie peu à peu un filet légèrement stroboscopique. L'approche
fait toujours très TD, le but résolument recherché par Sequential Dream, et le rythme fond en une structure plus
fluide avec un beau mouvement de séquences que Kuutana fait fondre dans des parures soniques à l'image
des années Virgin du Dream. Ron Charron a fait tout un travail de moine ici en décortiquant les sons et les
ambiances du Dream de cette époque pour les recréer dans une parfaite illusion. Tout est dans le ton! Le
rythme épouse les tempêtes des séquences et percussions de Franke alors que la guitare et les nappes de
clavier respirent les rêveries de Froese et le romanesque de Schmoelling. La 2ième partie est tout simplement
jouissive avec des séquences taillées dans de la verrerie et dont la fragilité harmonique résiste aux frappes de
percussions. Ici nous plongeons dans l'univers de Stratosfear (par moments nous y sommes) avec des riffs de
guitare acoustique et ces ambiances empruntées aux mystères de 3 A.M. at the Border of the Marsh. Mais
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Kuutana reste dans l'originalité en concoctant des rythmes et des ambiances qui s'inspirent de cette période,
notamment un superbe solo de synthé, tout en ayant un cachet très personnalisé. "One Thousand Years",
composé avec Johan Tronestam, de même que "Brave New World" sont des rock électroniques nerveux qui
sont inspiré des années Seattle et TDI, notamment Mars Polaris pour "Brave New World" avec des rythmes
nourris par un jeu de percussions très près du style de Iris Camaa. Bien que centré sur la même approche de
rock électronique, "Distant Signals" se démarque par ses séquences lourdes et juteuses qui oscillent
pacifiquement dans des riffs résonnants, des brises de flûtes ornées de voix éthérées et par un backgrounds
psychédélique s'inspirant des bonnes années de Pink Floyd, comme de White Eagle. "Descendants" se pare de
ces éléments métalliques avec une longue structure stationnaire où séquences et percussions tissent un
rythme nerveux qu'un synthé caresse de belles nappes enveloppantes. Un mélange de Green Desert et White
Eagle! Un mélange qui fait de “Lost Dimensions” un incontournable pour les amateurs d Tangerine Dream,
toutes périodes confondues. Il y a Perge et il y a maintenant Sequential Dreams!
Sylvain Lupari (16 Décembre 2015)
Note : 4/6
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BINAR : Mushroom Vimana
Chronique réalisée par Phaedream
Dès que l'on entend ces brises sombres nuancées par des voix et des murmures de chèvres, ces bruits venus
d'outre-tombe et ces distortions électroniques qui n'ont d'équivalence que la fumée bleue issue des nuages
psychotiques; l'empreinte Binar est de retour. "Delayed Orders" s'extirpe de ce décor ambiosonique avec des
pulsations qui crachent des grésillements et qui remuent un nuage de séquences chétives dont les sauts dans
l'ombre tisse une délicate approche mélodique. Les pépiements de ces séquences se moulent à des tintements
qui illuminent un dense nuage de brouillard mellotronné. Les ambiances sont chloroformisées et le rythme est
délicieusement envoûtant. Andy Pickford dénoue ses accords de guitare électronique alors que graduellement
"Delayed Orders" délie une structure de down-tempo un peu cahoteux où les vapeurs d'une England School
tempérée dans une approche progressive ambiante à la Pink Floyd, pour le clavier qui fait très Rick Wright,
continuent d'enserrer ces battements toujours lunatiques de "Delayed Orders". Le duo Pickford/Nagle déploie
peu à peu sa toile électronique qui servira d'ancrage aux prochaines 60 minutes de “Mushroom Vimana”; album
retour après près de 10 d'absence de ce célèbre duo qui a marqué l'imaginaire de plus d'un fan de l'école
d'Angleterre.
Improvisé, et sans doute pratiqué dans l'antre de leur démesure, “Mushroom Vimana” fut enregistré lors de la
prestation de Binar au festival Awakenings de juillet 2015 devant une foule de chaises vides en délire, dixit le
site Bandcamp d'Andy Pickford. Et le moins que l'on puisse dire est que l'énigmatique duo réussit toujours à
harmoniser la folie créatrice de ses deux créateurs dans une mosaïque sonore qui reprend à peu près là où
Spindragons avait laissé l'aventure. En ce sens que les rythmes sont majoritairement tempérés par des nuages
d'ambiances et que les mouvements des séquences se chamaillent entre des avenues rythmiques ou
mélodiques. En fait, Andy Pickford et Paul Nagle se sont assagi. Ils sont toujours très imaginatifs, mais ils ont
troqué leurs habits de rockers de l'électronique afin de nous amener vers des rivages plus éthérés. Sur un
rythme très doux, un rythme sautillant sur un maillage de pulsations bondissantes et de percussions sobres,
"Prangfoo Vindaloo" nous offre une superbe sérénade pianotée dans une enveloppe électronique qui crache
ses venins de la discorde autour de la 7ième minute avec des harmonies sibyllines. Des harmonies qui
tournoient en boucles sur une structure devenue moins clémente de la douceur du piano électronique en
restructurant son approche avec des séquences qui bondissent aléatoirement dans une pochette qui restera
toujours prisonnière de ses ambiances électroniques. Des vagues d'harmonies errantes gavent une finale qui
nous conduit vers "Psychotic Samosa". Ça aura pris 30 minutes d'ambiance et de charme avant que Binar se
décide à nourrir des oreilles, toujours sur le qui-vive, de cette armada de rythmes qui resteront toujours aussi
difficiles à saisir qu'à décrire. Les séquences sont vives et sculptées dans l'impatience avec des filaments qui
tournoient dans ces délicieuses ambiances Binardesques. Des pulsations laconiques invitent leurs battements
stoïques à cette danse tournoyante, amplifiant un rythme statique qui se pare de picorements des cymbales. Un
nuage de Mellotron enveloppe cette danse irréelle que des cliquetis engraissent avec un objet de séduction
auditive. Les pulsations deviennent plus lourdes, plus vives. Et ça décolle! Le rythme est lourd et vicieux. Des
nuages bleus tournoient tout autour, de même que ces voix éteintes et ces percussions dont les échos
résonnent constamment, alors qu'Andy Pickford déjoue nos oreilles avec des solos d'une guitare façonnée
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dans les secrets de son synthé.
Du bon rock électronique bourré de pastiche Krautrock, "Psychotic Samosa" s'enfuit vers le délicieux
"Electribe Sag" et sa structure qui clopine comme un cheval blessé et qui trottine maladroitement dans le
funeste décor Binar, là où suintent des murs de lamentations. Le trot s'accélère et on devine une série d'ions
séquencés qui se disloquent. Ils se détachent afin d'émietter une structure qui niche dans un mysticisme
amplifiée par une finale gorgée de tonalités discordantes. Ces nuages soniques difformes abreuvent
l'introduction de "Floatylite" et de son amorce de rythme qui uni ses séquences limpides dont les sauts
s'harmonisent avec une nuée de tonalités électroniques biscornues. Une incroyable horde de séquences
s'enfuient, comme un troupeau de chevaux sauvages, et sautillent dans les plaines électroniques où un clavier
à la Rick Wright instaure un climat de quiétude, l'autre versant de "Floatylite". Court mais vif et lourd,
"Afterfloater" pulse ardemment dans un décor électronique nourri de strates momifiées par des orchestrations
et par une imposante muraille de brouillard électronique très emblématique au style Binar qui a sans nul doute
enflammé cette horde de chaises vides qui se sont empiffrées d'une MÉ toujours imaginée dans les complexes
corridors visionnaires de Paul Nagle et Andy Pickford. "Vimanarama" est un titre en prime qui fut aussi
enregistré lors d'une session d'improvisation du duo Pickford/Nagle. L'empreinte est la même que celle du
concert au Awakenings avec un rythme sautillant dans les vagues résonnances des pulsations symétriques où
s'ajoutent des percussions claquantes. Des ombres de solos de synthé très fantomatiques virevoltent tout
autour alors que la fausse guitare d'Andy Pickford inonde nos oreilles de solos très éthérés. Le rythme devient
plus vif et incisif mais reste toujours sans route secondaire. Une vision qui agacera sans doute les non-initiés à
la magie de Binar qui fait un retour timide faut l'avouer mais qui est tout de même à la hauteur de mes attentes
car Binar n'a jamais rien fait comme les autres et c'est la nature de ses charmes! Et ce “Mushroom Vimana” est
truffé de ceux-ci.
Note : 4/6
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PJ Skyman : Public Glass World Extends Bordel
Chronique réalisée par Phaedream
Ça faisait un bail que je n'avais pas entendu parler de P J Skyman. Pourtant le sympathique
musicien-synthésiste Français n'avait pas abandonné son projet de revenir avec un 3ième album. Et c'est
quelque 8 ans plus loin qu'il nous revient avec un CD manufacturé qui s'intitule “Public Glass World Extends
Bordel”, un langage code Java qui veut dire que notre monde est construit sur une base désordonnée. L'album
présente une MÉ qui puise ses influences entre du Jean Michel Jarre cosmique, quoique "The end is nighT" fait
très Schulze des années Blackdance avec une touche d'ambiances très contemporaines, et du Orbital sur le
bord de caresser les beats saccadés d'Underworld. Composé essentiellement entre les années 2007, soit après
l'aventure Walkers, simply we are (il y a une certaine corrélation à faire entre ces deux albums), et 2010 “Public
Glass World Extends Bordel” a vu le jour pour une 1ière fois en 2010 en format téléchargeable. Pierre-Jean
Asmus, l'homme derrière P J Skyman, a entrepris alors une véritable levée de fonds sur Internet afin de
financer son projet pour que son 3ième album soit réalisé en véritable CD manufacturé. Fallait que cela soit bon
pour que les gens y croient...et c'est effectivement bon. À tout le moins très créatif!
Et ça débute de façon séduisante avec "Extra-easy Listening". Après une intro ambiosphérique, chargée de
nappes d'orgue très vampiriques et d'ondes inter spatiales, une immense ombre de basse rampe
sournoisement. Son corps flasque éveille des cliquetis des cymbales et se mute en pulsations déréglées avant
de devenir des pulsations stables et soutenues, guidant les errances ambiosphériques de "Extra-easy
Listening" vers un solide techno dont les boom-boom/tsitt-tsitt restent toujours dominés par des ambiances
cosmiques. Chaque titre de “Public Glass World Extends Bordel” sont attaché en une immense toile sonique de
80 minutes qui sont assujetties par des éléments de cosmique psychédélique. Comme l'ouverture de
"Zeemoshonawlpeace" qui graduellement voit ses notes de piano sortir de sa prison de tonalités
interplanétaires pour se sauver avec des cliquetis. Peu à peu une structure du genre Acid House secoue
timidement ces ambiances avant que "Zeemoshonawlpeace" ne replonge dans son immense mosaïque
ambiant-cosmique chargée d'éléments interstellaires qui chantent et scintillent sur un nuage de pulsations
industrielles. Bon...Certains diront que c'est très long! Ça dépend des points de vue. L'idée de PJ Skyman est
de faire planer et il atteint on but. "À écouter sans Substance Particulière" s'accroche à cette étiquette
ambiosphérique avec une pièce sans rythmes et dont les vents et les nappes arides ont été conçues avec boîte
de synthèse sonore faite-maison; le NE555Synth. C'est très atonal. "Rien ne s'invente, tout s'hérite" secoue pas
mal les ambiances avec un lourd rythme technoïde bien juteux, genre drum'n'bass, où courent les notes agiles
et harmoniques d'un clavier. C'est de l'IDM à son meilleur avec beaucoup de créativité, notamment au niveau
des spirales d'harmonies. Sa finale d'ambiances se jettent dans les ruisseaux expérimentaux de "Private String
Utopia;" qui fait très Pierre Henry avec ses bribes de mélodies ambiantes qui sont liquéfiées dans de denses
nappes planantes. Nous sommes aux portes de la musique d'ambiances extra expérimentale ici. Les dernières
minutes sont estampillées par des boum-boum technoïdes qui se transportent jusqu'aux premières minutes de
"The end is nighT" dont le rythme affolé s'évanouira dans les parfums d'éther de Klaus Schulze. Ça fait très
Blackdance, surtout avec la finale techno. "Starfloor Anthology" nous amène à un autre niveau avec un son
électronique très français (genre Zanov) où une intro ambiante, nourrie par du texte sur Vocodeur, plonge vers
une structure qui mélange le synth-pop des années 80 à un down-tempo martelé par des percussions
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acidifiées. Le titre mélange ses phases d'ambiances et de rythme dans un univers où Schulze et The Orb aurait
bien pu s'entendre. Un plaisant décor je dirais où P J Skyman a surement sa place!
Note : 4/6
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Motördamn : Over the top
Chronique réalisée par Twilight
On m’accusera d’un hommage hâtif dans l’émotion intense de la perte d’un des plus grand noms à inscrire au
Panthéon du rock’n’roll mais il n’en est rien… Une ironie chronologique plutôt. Cette chronique se voulait
effectivement un hommage à Lemmy mais plutôt dans le but de célébrer ses 70 ans. ‘Laisse-toi aller, offre-toi ce
single’, me suis-je dit, ‘le bonhomme va fêter ses septante balais, un vingt-quatre décembre en plus, c’est
symbolique’ ; en réalité, je l’ai trouvé dans ma boîte le lendemain de sa mort. Inutile de larmoyer, Lemmy aura
vécu fidèle à ses principes, la tête haute, le cœur intègre jusqu’au bout, apprécié de tous ceux qui l’auront
rencontré. Beaucoup de punks parmi eux. Notre homme avait toujours refusé les chapelles trop fermées et
s’est toujours aussi bien entendu avec les métalleux que les rockers ou les keupons ; chacun connaît son
amour (réciproque) des Ramones, par exemple. Les Damned ont été des grands potes. On sait qu’il a traîné en
studio avec eux lors de l’enregistrement de ‘Machine gun etiquette’ , ainsi que le temps de projets éphémères
tels que The Doomed (en pirate principalement) et Motördamn qui sortiront même un single que je me suis pris
en vinyle rouge (Père Noël attitude !). À dire vrai, je ne connais pas tous les détails de cette sortie, la
collaboration date de la fin des 70’s mais ne sortira officiellement en single (projet avorté à l’époque, me suis-je
laissé souffler) qu’au début des 90’s (je l’ai découverte sur une compilation des Damned en 88) avant d’être
rééditée avec diverses pochettes (une copiant même le logo Marlboro) et vinyle de différentes couleurs à la fin
des années 2000. ‘Over the top’ est une composition signée Motörhead assez typique du style du groupe avec
une touche légèrement plus punk avec Lemmy au chant et une répartition des musiciens des deux formations
pas très claire. ‘Ballroom Blitz’ est une chanson des Damned présente sur leur 45T ‘I just can’t be happy today’
(ou sur le flexi single du même nom) et une pléthore de best of sur laquelle Lemmy tiens la basse. Plus
clairement punk rock. Ces deux morceaux sont bons, pas franchement révolutionnaires mais plaisants.
Historiquement, une telle collaboration prend réellement son sens car l’influence de Lemmy sur la scène
keupon est considérable (The Ramones, The Damned, G.B.H., Amebix, et j’en passe) et peu de combos
labellisés ‘metal’ peuvent s’enorgueillir d’un tel fait. Et puis, le rock, c’est ça aussi, le fun, collaborer avec les
potes, se bourrer la gueule ensemble, jouer sur les disques des uns et des autres, se faire plaisir sur divers
projets. R.I.P. Lemmy, fallait bien que je finisse par le placer, et bon anniversaire puisque c'est ça qui était
prévu à la base ! 4,5/6
Note : 4/6
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PARADISE LOST : The Plague Within
Chronique réalisée par Raven
2015, année de merde. Maintenant que c'est constaté, âtre de mon humeur éteint et froid, et que j'entends "No
Hope in Sight" - un de leurs plus grands morceaux assurément - résonner dans mon bagne au milieu d'un
océan de gens qui s'en foutent, l'occasion est idéale de parler de musique doom, et en l'occurence du Paradise
Lost le plus funeste depuis... un sacré bail. Peut-être même depuis toujours. La suie est tombée, le bistre colle
aux parois. The Plague Within est comme un Faith Divides dont le gris serait plus profond. Le morne salaud de
disque goth-metal à l'ancienne, trop rare, l'album fané comme je les aime, planté dans leur discographie comme
une tombe. Il est récent, mais en le ressortant j'ai cru souffler la poussière sur sa couverture. Un album de
vieux garçons. Avec des riffs de vieux, des solos de vieux, un chant de vieux. Inutile de préparer le vin chaud
pour cet hiver, ils ont pensé à tout. D'abord regardez-moi cette pochette. Mieux que ça. On ne regarde pas
assez de près les pochettes qui sont moches vues de loin. Celle-ci m'évoque le monde de Peter Pan. C'est une
histoire de vieux. Encore un truc d'outre-Manche, cette littérature de mort... Cruelle comme les pierres. Une
putain de grosse jarre en grès ouais ! Gras-de-gris. Paradise Lost ont a la fois le courage et la lâcheté de jouer
la fusion qui a fait leur jeunesse ; refusent-ils de vieillir comme Peter, ou l'acceptent-ils comme Crochet ? Les
deux. L'épaisseur de l'âge les trahit mais surtout elle donne une toute autre dimension à cette musique,
comparé à un album comme Draconian Times que j'ai eu un peu de peine à réécouter à la suite de celui-ci je
dois l'avouer... Bien des morceaux sur The Plague Within puent le regret, parlent du temps qui passe, du passé,
charriant au détour d'une mélodie naïve ou d'un agglo-riff les souvenirs d'une époque d'innocence perdue
durant laquelle certains d'entre nous aimaient commander leurs disques chez Adipocere ou Holy Records,
acheter le dernier Hard'n'Heavy, et autres désuétudes avant de tomber un jour sur Guts of Darkness pour s'y
(en)terrer. Paradise Lost revivent aussi cette époque, et c'est douloureux, autant que délectable. Ce qui en sort
est, lentement mais sûrement, obsédant - du moins pour l'auditeur de sensibilité gothique. Un grower pataud, à
la prestance lasse. Les landes grisâtres, et la mer encore plus grise au loin. Découvrir les tous premiers albums
death de Paradise Lost c'était pas aussi bien. Là ce qu'ils ont fait c'est mieux. Comme rentrer à bon porc.
Revenir vers ces terres qu'on a laissées pour un long voyage à travers les mers turquoises ? Retourner à Icon,
voire à Shades of God ?... Ce serait de la formule chic et choc pour oublier Tragic Idol, Faith Divides Us Death
Unites Us... Avec ce troisième de ce qui apparaît maintenant comme leur meilleure - première ? - trilogie,
Paradise Lost enfonce le clou, comme le dit mon collègue ci-dessus. Il y a de grands morceaux dans cette
Peste intime. Et puis Nick Holmes a une belle barbe drue qui va bien avec sa voix bestiale mâtinée de chant
clair juste ce qu'il faut, gravité, je crois qu'il a atteint sur cet album le point d'équilibre absolu de son blend goth
& guttural, c'est une cuvée tradition rien qu'à ce niveau. Les autres sont sobres comme des tailleurs de pierre
qu'on a payé pour tailler de la pierre : voilà ce que j'appelle une belle carrière. Et ces prolos d'anglais
vieillissent un peu comme Neurosis. L'expression "poivre et sel" prend tout son sens - mais attention, c'est pas
du Pierre Arditi tout ça. Pensez plutôt Nick Nolte crari Luck avec son regard de vieux poteau délaissé qui vous
serre le bide, ses façons d'ours paumé. Allez me matter le clip de "Beneath Broken Earth" en lien plus haut si
ça peut vous aider, c'est explicite. Ce son est poivre noir et fleur de sel de calibre caillouteux. Ces riffs sont
connus, joués et rejoués. Vous connaissez déjà cet album avant de le découvrir, vous le connaissez par cœur.
Les mélodies des guitares sont les lamentations de vieilles reines fatiguées dans un palais en ruine, les violons
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sur deux ou trois morceaux - l'orchestral et l'autre et un autre - détonnent autant que le lierre sur la vieille
maison d'un aïeul. Holmes est sub-ronchon, outre-grognon ; sa voix est l'équivalent sonore de l'odeur d'une
viande des Grisons. Tout ça embaume le vieux cellier, et dans les passages les plus plombants c'est une
ambiance façon Grand-Saint-Antoine vu des cales. C'est du port-salut. Un sépulcre magnétique. Et ça vous
hantera, comme ça me hante... Un album fait à cœur, profond, du genre doomembert au fumet bien persistant.
Osons même : digne. Très digne. Un grand cru Paradise Lost pour une année de merde.
Note : 5/6
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Kylesa : Exhausting Fire
Chronique réalisée par Raven
2015, année pourrie. Mais pas pour Kylesa, ce groupe-fruit en perpétuel mûrissement qui ne sera jamais pourri,
mais générateur d'albums-pots pourris. Déjà une belle collection de classiques qui embaument à mort et
ponctuent mon existence d'incendies humides. Après l'avoir cru juste mignonne flammèche, j'ai vite été léché
par ce ce Feu épuisant. Il m'a séduit, jusqu'à l'écouter plusieurs fois par nuit. La passion, le drame, la fougue ne
semblent pas prêtes à quitter Kylesa. Dès "Crusher" ça allume sévère. Kylesa, c'est un double-effet fatal. C'est
une nana avec une haleine de clope. Look mi grunge mi métalleuse, des tatouages cliché qui font un peu
sourire, un air innocent mais un regard pénétrant à la Kathryn Cartlidge, laissant juste entrevoir l'envie vorace
de tester tes limites. Une cruelle alliance de familier et de singulier ; de frais et de maladif ; de colombe et de
corbeau... Elle sait prendre des airs de chose légère pour mieux t'avoir. Même assise sur tes genoux elle te dit
que vous êtes potes ; que c'est pour jouer, que vous aimez aller aux même concerts, qu'il ne va rien se passer "ce serait tout gâcher" - mais tu sais que tu vas brûler, et elle sait que tu sais. C'est une amie, une belle amie...
et vous avez besoin l'un de l'autre pour jouir à fond. Le fruit défendu ? Par qui ? Pourquoi ? Tu doutes du
pouvoir de Kylesa, de t'ensorceller et de te donner le plaisir ? Salaud, tu veux être objectif, tu méprises ta
boussole intime même quand elle t'indique mordicus la direction à prendre. Prends-la. Comment peux-tu nier
que la beauté et l'envie de ce putain de groupe DOIVENT te pousser à agir avant qu'il ne soit trop tard ? Quoi,
cette mélodie est trop cliché, trop téléphonée ? Quoi, cette intro c'est stupide comme du Tiamat en jean troué ?
Quoi, ces passages full ambiance goth-grunge ne valent pas les années Alice in Chains ? Quoi, les arpèges
pleins de réverb, déjà entendu ? Quoiquoi ? Tu as déjà la main qui brûle de finir glissée dans le fute de Kylette...
de toucher ce qu'il faut à travers le tissu intermédiaire. Devenir un peu violent une fois que tout s'emballe,
casser du mobilier tout en s'empoignant en sueur, se raconter des rêves une fois épuisés... Savourer la nuit au
max... Non, même toi l'amoureux de Kylesa tu te fais un film, ce n'est pas en train d'arriver, là tu te projettes,
elle se joue de toi. Cette fois-ci tu vas résister, tu as déjà tout ce qu'il faut d'eux et ça n'ajoute rien aux albums
précédents, cet album a trop des airs de best-of d'inédits trop bien calibré, d'ailleurs tu lui mettras pas une note
supérieure parce que tu sais pas vraiment lequel tu préfères... C'est vrai, elle te dit des mots que t'as anticipé
mais tu les avais jamais entendus dits comme ça. Elle a sa manière de dire les choses banales la petite Kylesa,
de te glisser tes piques assassines entre deux amabilités...Trop tard, c'est la galoche décisive - on n'peut plus
faire marche arrière - quand le feu t'appelle faut jamais faire demi-tour ; mais ce sera épuisant. "Two souls lost
and confused, with nothing to lose". Exhausting Fire est Fureur et Douceur. Crème noire zébrée de mauve.
Comme un Ultraviolet enrichi en thanatos sans perdre de son éros, c'est l'album de Kylesa ultimement persillé,
le gras et le maigre marbrant jusqu'au sublime la chair du Kyle-wagyu de Kobe-sa. À tel point que les amateurs
de leur période "fureur brute" passée pensent la fureur absente depuis quelques temps... Las ! Elle s'est fondue
dans des influences veloutées que ce groupe de fusion (une fusion qu'eux seuls pratiquent) a intégré mieux
qu'aucun autre. La musique de Kylesa coule sur Exhausting Fire avec une fluidité incroyable en ayant l'aplomb
d'un granit parfait de leur mystique. L'âme qui supure de ce chant mâle et de ce chant femelle est une et
indivisible (l'union de l'homme et de la femme pour former un seul être - à la fois la plus belle et la plus cruelle
des idées), à tel point que je ne peux même pas imaginer de solo de Laura Peasants ou de Phillip Cope qui ne
soit pas un four malgré leur talent insolent, solaire... Tiens, ceux qui veulent plus de "dream pop" ou de
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"shoegaze" sur notre site - surtout certains de mes collègues qui se reconnaîtront - ont-ils seulement écouté ce
bel album ? Pourquoi dédaignent-ils Kylesa, malgré mes signes insistants ? Exhausting Fire leur offre au creux
de sa langue le magique "Lost and confused", entre autres titres qui donnent envie de griller clope sur clope
jusqu'au bout du bout dans son plumard. Les entames sont toutes celles de tubes, puis inévitablement, Kylesa
ne peuvent s'empêcher d'être généreux, mouillent et salivent ces mélodies qui leurs viennent comme des
épiphanies, ne font jamais dans le plan, mais dans l'ambiance et la matière, le tourment et l'extase entrelacés.
Chaque passage inspiré est comme une révélation sur soi, et il y en a beaucoup, et finalement c'est bien une
machine à tubes qu'ils nous ont sorti, peut-être encore plus dense que Spiral Shadow... Plutôt qu'un metal prog
il s'agit d'une fluidité encore impressionnante, d'un metal multifaces instinctif. Kylesa n'ont toujours pas peur
de flirter avec le kitsch ("Blood Moon"), de frôler le goth-metal de prolos ou le rock à crépuscule californien,
mais, doués du don et de la mystique qu'un paquet de groupes peuvent leur jalouser, ils transcendent presque
systématiquement, jusqu'à cette reprise neurasthénique de "Paranoid" qui est tout sauf impersonnelle. Au pire,
c'est douillet. Au mieux, c'est orgasmique à carboniser les chairs, comme l'élévation sublime de "Shaping The
Southern Sky" à partir d'une entame Motörhead. Voire délicieusement étrange à la façon des couplets
masculins de "Night Drive". Obsédant, Exhausting Fire m'obsède, comme m'ont obsédé les précédents... C'est
la vie la nuit à fond d'ivresse, des caresses langoureuses et des embruns de riffs qui vous fouettent avec
ferveur et vous font ressentir au maximum l'intensité des lumières qui défilent, de l'air frais qui vous décoiffe et
fait voltiger les cendres, la moiteur d'un été en agonie, l'eau qui reflète ces visages ébahis et les déforme, des
solos qui vous ensorcellent, tout un amalgame de clichés transformés en vagues d'évidences.
Note : 5/6
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La Société Étrange : Au Revoir
Chronique réalisée par Dioneo
Une de plus qui se termine, allez. 2015, à celle où j'écris ces mots, finit dans quelques heures. "Au Revoir", oui.
Ne nous étendons pas… À ce moment précis, ce disque-là, sorti celle-ci, émane entre mes murs, avec les
parfums de cuissons, les fragrances, les couleurs, la lumière – je baisse l’intensité de l'allogène, voilà ; je
monte le son ; prêt à partir, bientôt, pour aller l’achever ailleurs, l'an. Je me souviens deux autres soirs, parmi
ces trois cent-soixante cinq bientôt révolus. Ils y étaient, eux – La Société Étrange. Les deux fois, je crois,
j’avais à peine parcouru le programme, les noms sur les flyers. La première des deux, j’en suis sûr, j’avais
oublié que c’étaient ces trois là, sous celui-ci. À coup sûr, l’une et l’autre, ça m’a saisi. Le relâchement soudain,
le sourire aux oreilles ; l’envie de crier, la deuxième, avec l’inconnue juchée sur le caisson de basses, qui
roulait du corps à côté d’une autre au prénom pas commun : "La Sociétééééé". Elle faisait des signes curieux
avec ses mains. Je crois que je roulais aussi… La Société Étrange – est-ce un pléonasme, ce nom, ou bien
autre chose, ou bien un oxymore ? – fait rouler du boule. Les femmes belles, les hommes laids, inversement,
toutes variantes et variables et transformations imaginables ; et puis dans-l'œil-qui-regarde, etc. ; on n’y vient
pas tous avec la même chose dans le crâne, le ventre, le cornet, ce qu’on voudra ; on ne se lasse pas de se voir
tous si diversement constitués, foutus, mis, mus. Dans ces endroits-ci, il y a des Gros, des Osseux, des Ivres et
des Qui Tournent à L’Eau (bon… sans doute assez peu), toutes sortes d’allumés, un peu, d’autres qui viennent,
peut-être, pour échapper un peu à l’extinction – des feux, tout court, d’un truc qui les regarde. C’est ouvert. Je
me souviens d’un type, une des deux nuits, que je n’avais jamais vu là et plus jamais croisé, ensuite, qui avait
l’air de trouver fou d’avoir envie de s’asseoir, juste en face d’un ampli, relaxé apparemment comme il ne savait
pas qu’on peut. On avait dit "eh ben vas-y", en le laissant passer. On avait continué,
nous-quelques-uns-toujours-collés-devant, à remuer, faire l’onde, en embrasser la courbure, les renflements, le
remous. Cette basse pèse, ancre, en même temps – décidément – fait roulement. Épaisse et pointillée, ligne
pulsée. Surface oscillante. Le batteur couvre ses toms mais joue debout. Il coure, d’un élément à l’autre. La
battue soudain lévite. Les machines du troisième vrillent un espace, exsude son volume, sa résonance. Pour
moi – et pas seulement pour ces circonstances ou je l’ai découverte ; pas uniquement pour l’heure tombante où
j’écris ces lignes – c’est une musique nocturne. Vaste, opaque mais parcourue de luisances, profondeur,
dehors habité. Ce nom leur va bien : ils jouent les places d’une civilisation rêvée, pressentie, encore poursuivie,
peut-être. Peuplées non pas de cohortes anesthésiées, venues là pour oublier ; mais quand ils s’y mettent, où
ceux qui écoutent se trouvent dans ce moment-là, vraiment, l’attention stimulée. Le mouvement qui touche au
corps, tout de suite et longuement, mais sans court-circuiter la tête, l’organe cérébral, où ça circule de plus
belle. Une sorte d’état rare, calme vif, excitation lucide et sans soubresaut, sans peur des redescentes. Ces six
plages – et les dérives et variations qu’ils donnent en direct, donc, en concert – tiendraient d’une sorte de dub,
si l’on veut ; mais "versions", alors, dont les "originales" n’existeraient pas, seraient perdues, seraient le secret
véritable ; les transformations, plutôt, jouées tout de suite, telles quelles, visées autant que réminiscences,
idées prises à ce point-là d’elles-mêmes. D’autres, en parlant, évoquent les mutations des musiques
industrielles… Pourquoi pas. Mais on se défera l’esprit, alors, de tout l’appareil théorique, du souci
"d’anti-musique" ou autre explications. On pourrait très bien dire simplement "électro", allez, si l’on croit ce qui
nous prend encore aux centres de gravité, même "techno", comme on le sent, puisque c’est fait pour ça, ces
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formes qui bougent. Ou bien – au hasard ; si c’est ce qu’on a dans l’oreille – calypso, steelband passée dans
les circuits imprimés, avec même les criquets de la lagune, comme il m’amuse d’entendre, à cet instant, sur
Première Valise. On inventera le nom adéquat. Ou bien on se contentera – au sens le plus plein, le plus réjoui
du terme – de son absence permanente ou momentanée. Les machines sont des instruments comme les
autres. C’est à dire des prolongements, des possibles incarnés dans des choses qui ne vivent que quand on les
touche, quand on les met sous tension. Ceux de La Société Étrange ont trouvées celles là – basse et batterie,
donc, et appareils à touches, potentiomètres, pads. Des organes de plus, des objets qu’ils se greffent. Ils en
font des agencements, singuliers, familiers. C’est heureux qu’ils tournent beaucoup, par là ou plus loin. Je
vous souhaite de les croiser. J’espère que ce disque vous en filera l’envie – et qu’après, avant, au bon moment,
vous y prendrez comme moi ce plaisir du flottement pas engourdi, de l’emballement tranquille. Pour le moment,
je vous laisse… Une autre fête m’attend, une autre compagnie. Le changement de chiffre, sur le cadran, ne sera
guère plus que le prétexte. C’est une manière, encore, de toujours continuer.
Note : 5/6
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Table des matières
Les chroniques ........................................................................................................................................................................... 3
BORIS : New Album ......................................................................................................................................................... 4
ARGHOSLENT : Hornets of the Pogrom.......................................................................................................................... 6
Dadalú : Gato Naranja/Perro Amarillo............................................................................................................................... 7
Bloodthirst : Chalice of Contempt...................................................................................................................................... 9
Gribberiket : Knefall ........................................................................................................................................................ 10
Israthoum : Antru Kald..................................................................................................................................................... 11
WELLENFELD : Elements.............................................................................................................................................. 12
Fryderyk Jona : Electronic Ballad .................................................................................................................................... 14
SPEKTR : Cypher ............................................................................................................................................................ 16
Sarpanitum : Blessed Be My Brothers... .......................................................................................................................... 17
Ringo Shiina (Ringo) : – 三文ゴシップ (Sanmon Gossip) ................... 18
Thou : Heathen ................................................................................................................................................................. 20
The Blinding Light : The Ascension Attempt .................................................................................................................. 21
Thou : The Sacrifice ......................................................................................................................................................... 22
Billy Idol (Billy) : Charmed life....................................................................................................................................... 23
BEL CANTO : Birds of Passage...................................................................................................................................... 24
PATTON (Mike) : The place beyond the pines ............................................................................................................... 26
Kahimi Karie : Larme de crocodile.................................................................................................................................. 27
Abyssal : Novit enim Dominus qui sunt eius ................................................................................................................... 29
Sulphur Aeon : Gateway to the Antisphere...................................................................................................................... 30
ESOTERIC : Paragon of Dissonance............................................................................................................................... 31
STARGAZER : A Merging to the Boundless .................................................................................................................. 33
Gravehill : Death Curse.................................................................................................................................................... 34
Prietto : El Ciruja y los Rayos Solares ............................................................................................................................. 35
Prietto : La Serenata del Señor Pelugre................................................................................................................ 37
Andy Pickford : Vanguard 1 ............................................................................................................................................ 38
Gert Emmens (Gert) : Triza.............................................................................................................................................. 40
INDRA : Archives-Ruby One .......................................................................................................................................... 42
INDRA : Archives-Ruby Two ......................................................................................................................................... 44
INDRA : Archives-Ruby Three ....................................................................................................................................... 46
ARCANE : Black Knight ................................................................................................................................................. 48
Perge : Scattered Thoughts............................................................................................................................................... 49
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PJ Harvey (Pj) : Live at Reading 2001............................................................................................................................. 51
Mare : Mare ...................................................................................................................................................................... 52
Versailles : Pointers.......................................................................................................................................................... 53
Shadowhouse : Hand in hand ........................................................................................................................................... 54
Cruciamentum : Charnel Passages ................................................................................................................................... 55
Alien Nature & Stan Dart : Accelerator ........................................................................................................................... 56
Brückner & Betzler : Two ................................................................................................................................................ 58
Bertrand Loreau : Correspondances ................................................................................................................................. 60
Taedium Vitae : Tanz und schrei ..................................................................................................................................... 62
DOMINION : Storm ........................................................................................................................................................ 63
LIMBO : My whip, your flesh ......................................................................................................................................... 64
Vîrus : Huis-Clos.............................................................................................................................................................. 65
Compilations - Bandes originales de films : Sliver.......................................................................................................... 66
Compilations - Bandes originales de films : Natural Born Killers................................................................................... 68
Compilations - Bandes originales de films : Kalifornia ................................................................................................... 70
Compilations - Bandes originales de films : City Of Industry ......................................................................................... 71
Compilations - Bandes originales de films : True Romance............................................................................................ 72
COMPILATIONS - DIVERS : La maisniee du Maufe : A Tribute to the Dark Ages .................................................... 73
INCANTATION : Live - Blasphemy in Brazil Tour 2001 .............................................................................................. 75
THE MISFITS : Vampire girl/Zombie girl ...................................................................................................................... 76
Arctic Flowers : Procession.............................................................................................................................................. 77
Revenge (CAN) : Behold.Total.Rejection ....................................................................................................................... 78
Eucharist (AUS) : Demise Rites....................................................................................................................................... 79
Alien Deviant Circus : Ananta Abhâva............................................................................................................................ 80
SAMARKANDE : Ordo ab Chao .................................................................................................................................... 81
The Tower Tree : Transposing ......................................................................................................................................... 83
Grief : Dismal................................................................................................................................................................... 85
PRYAPISME : Hyperblast Super Collider ...................................................................................................................... 86
Der Himmel Über Berlin : Emesys .................................................................................................................................. 87
Les Rita Mitsouko : Rita Mitsouko .................................................................................................................................. 88
Wild Roses For The Exit : Wild Roses For The Exit....................................................................................................... 89
Masses : Horde mentality ................................................................................................................................................. 90
Masses/Death Church : Split ............................................................................................................................................ 91
From The Fire : Through the oceans of time.................................................................................................................... 92
Luminance : Sans visage .................................................................................................................................................. 93
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Réseau D'Ombres : Ireos .................................................................................................................................................. 94
Motörhead : Ace of spades............................................................................................................................................... 95
Les Rita Mitsouko : Rita Mitsouko .................................................................................................................................. 97
Sierpien : Zawsze Nasze................................................................................................................................................... 99
Stage B : People of the book .......................................................................................................................................... 100
Motörhead : The Birthday Party..................................................................................................................................... 101
Sequential Dreams : Lost Dimensions ........................................................................................................................... 102
BINAR : Mushroom Vimana ......................................................................................................................................... 104
PJ Skyman : Public Glass World Extends Bordel.......................................................................................................... 106
Motördamn : Over the top .............................................................................................................................................. 108
PARADISE LOST : The Plague Within ........................................................................................................................ 109
Kylesa : Exhausting Fire ................................................................................................................................................ 111
La Société Étrange : Au Revoir...................................................................................................................................... 113
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