Infections bactériémiques à Staphylococcus aureus chez les

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Infections bactériémiques à Staphylococcus aureus chez les
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INFECTIONS BACTÉRIÉMIQUES À STAPHYLOCOCCUS
AUREUS CHEZ LES PATIENTS HÉMODIALYSÉS
par
B. HOEN*
Staphylococcus aureus est le principal micro-organisme à l’origine des infections bactériémiques chez l’hémodialysé. Ces infections bactériémiques à S. aureus
ont le plus souvent pour porte d’entrée l’accès vasculaire d’hémodialyse et surviennent principalement chez des patients porteurs de cathéters, qu’ils soient ou
non tunnelisés [1]. Le risque d’infection bactériémique à S. aureus est près de
8 fois plus important chez les patients porteurs d’un cathéter de dialyse que chez
les patients porteurs d’une fistule artérioveineuse [2]. Un pourcentage élevé de ces
infections bactériémiques se complique de localisations secondaires, en particulier
d’endocardite infectieuse [3]. Nous aborderons ici les principales questions pratiques que pose la prise en charge d’une infection bactériémique à S. aureus chez
un patient hémodialysé.
FAUT-IL RECHERCHER SYSTÉMATIQUEMENT
UNE ENDOCARDITE ?
QUELLE EST LA MEILLEURE FAÇON DE LE FAIRE ?
Chez les patients non hémodialysés, il a été montré que 25 p.100 des infections
bactériémiques à S. aureus se compliquent d’une endocardite infectieuse et que
l’échocardiographie transthoracique ne permet le diagnostic que d’un tiers de ces
endocardites, alors que la sensibilité de l’échocardiographie transœsophagienne
est de l’ordre de 100 p. 100, pour une spécificité du même niveau [4]. On peut
conclure de ces résultats que l’échocardiographie transœsophagienne est indispensable au diagnostic d’endocardite et qu’elle doit être considérée comme faisant
partie de l’évaluation des patients ayant une infection bactériémique à S. aureus.
* Service des Maladies infectieuses et tropicale, CHU de Besançon – Hôpital Saint Jacques, Besançon.
FLAMMARION MÉDECINE-SCIENCES
— ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2007
(www.medecine.flammarion.com)
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B. HOEN
Rosen et al. ont également démontré que cette stratégie est coût-efficace et permet
d’optimiser la durée du traitement des infections bactériémiques à S. aureus sur
cathéter vasculaire [5]. À la lumière de quelques études réalisées sur des hémodialysés, cette stratégie semble transposable dans cette population de patients
[1, 6]. Si on veut limiter les indications d’échocardiographie transœsophagienne
chez les patients hémodialysés présentant une infection bactériémique à S. aureus,
on peut sélectionner ceux présentant le risque le plus élevé de complications :
infection bactériémique sur cathéter avec maintien du cathéter, rechute ou récidive
précoce d’une infection bactériémique à S. aureus peu après l’arrêt de l’antibiothérapie.
QUELLE ANTIBIOTHÉRAPIE CHOISIR
POUR LES INFECTIONS BACTÉRIÉMIQUES À S. AUREUS
CHEZ LES PATIENTS HÉMODIALYSÉS ?
Si la longue demi-vie et la faible dialysance de la vancomycine font l’intérêt de
cet antibiotique chez les sujets hémodialysés, il ne faut pas oublier que l’effet bactéricide de ce produit s’établit lentement et que la vancomycine est significativement moins efficace que les bêtalactamines pour le traitement des infections à
S. aureus sensible à l’oxacilline. Ceci a été largement démontré, y compris chez
les hémodialysés [1, 7]. Dans l’étude de Stryjewski et al. évaluant rétrospectivement la prise en charge thérapeutique de 123 patients hémodialysés ayant présenté
une infection bactériémique à S. aureus sensible à l’oxacilline, le taux d’échec
thérapeutique était significativement plus important chez les patients ayant reçu
de la vancomycine (31,2 p. 100) que chez les patients ayant reçu de la cefazoline
(13 p. 100, p = 0,02) [7].
La limitation de l’usage des glycopeptides vise aussi à limiter l’émergence de
cocci Gram positif résistant à la vancomycine. Il faut donc observer strictement
ces recommandations de limiter le recours aux glycopeptides aux seules infections
dues aux souches de S. aureus résistant à l’oxacilline [8, 9].
L’augmentation de la résistance de S. aureus vis-à-vis des bêtalactamines, mais
aussi des glycopeptides, nécessitera probablement de recourir aux nouveaux antibiotiques antistaphylococciques récemment développés, en particulier le linézolide
et la daptomycine.
Le linézolide est le seul représentant d’une nouvelle classe d’antibiotiques
actifs sur les cocci Gram positif, les oxazolidinones. Même si son AMM n’inclut
pas actuellement le traitement des infections bactériémiques, des données provenant de l’analyse groupée de 5 essais randomisés suggèrent que le linézolide pourrait être efficace dans le traitement des infections bactériémiques à S. aureus
résistant à l’oxacilline [10]. Il ne devrait pas être nécessaire d’ajuster les doses de
linézolide chez les hémodialysés [11]. La fréquence des effets indésirables hématologiques (thrombopénie, anémie) est toutefois significativement plus élevée chez
les sujets en insuffisance rénale terminale que chez les sujets à fonction rénale
normale [12], ce qui justifie une surveillance hématologique renforcée (hémogramme 2 fois par semaine) en cas d’utilisation du linézolide chez l’hémodialysé.
La daptomycine est un lipopeptide cyclique actif sur les cocci Gram positif. Son
efficacité dans le traitement des infections bactériémiques à S. aureus aussi bien
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sensible que résistant à l’oxacilline, avec ou sans endocardite, a été confirmée dans
un essai comparatif randomisé [13]. Des données expérimentales suggèrent de réadministrer le produit après une séance d’hémodialyse [14] à la posologie proposée de 4 mg/kg toutes les 48 heures. On ne dispose cependant pas de recul suffisant
pour l’évaluation de la sécurité de ce produit chez l’hémodialysé.
La durée du traitement antibiotique doit être d’au moins 14 jours pour les bactériémies à S. aureus non compliquées et en l’absence de cathéter, ou à condition
que le cathéter ait été retiré. Dans tous les autres cas, la durée du traitement doit
être au minimum de 28 jours.
FAUT-IL RETIRER LE CATHÉTER DE DIALYSE ?
Cette question reste débattue. Une des premières études l’ayant évaluée est celle
de Marr et al. [15], qui avait montré que le maintien du cathéter était associé à un
risque plus grand d’échec du traitement des infections bactériémiques chez le sujet
hémodialysé, en particulier lorsque l’infection était due à un micro-organisme
Gram positif. Des études plus récentes confirment que le non-retrait d’un cathéter
de dialyse augmente significativement le risque d’échec du traitement antibiotique
[5, 7, 16].
L’échange du cathéter sur guide peut constituer une alternative au retrait pur et
simple du cathéter, permettant d’assurer à la fois le retrait d’un cathéter colonisé
et la conservation d’un abord vasculaire. Plusieurs études ont démontré l’efficacité
de cette stratégie [5, 17, 18], à laquelle il paraît possible de recourir dans la mesure
où le trajet de tunnelisation et le point d’insertion cutanée ne présentent pas de
signe évident d’inflammation et d’infection.
QUELLES SONT LES MESURES DE PRÉVENTION ?
La fréquence et la gravité des infections bactériémiques à S. aureus chez les
patients hémodialysés justifient que des mesures drastiques de prévention, primaires et secondaires, soient prises dans chaque centre d’hémodialyse. Des mesures
d’hygiène sont indispensables, à la fois dans le domaine de l’éducation du patient
et dans les procédures des centres d’hémodialyse. Les indications de cathéter de
dialyse doivent être limitées ; il n’est pas inutile de rappeler que ces cathéters
étaient initialement réservés à deux situations seulement : accès temporaire en
attendant la maturation d’une fistule artérioveineuse, et accès de dernier recours
lorsque les autres solutions ont été épuisées [19]. Toutefois, parce qu’ils sont
d’insertion facile et immédiatement utilisables, les cathéters continueront d’être
largement utilisés pour l’hémodialyse. Cette pratique nécessite alors un respect
strict des règles d’hygiène et des recommandations de prévention existantes [20].
La décontamination nasale par l’utilisation de mupirocine ou de rifampicine a
été évaluée dans plusieurs études et cette stratégie paraît efficace à court terme. Par
contre, son efficacité à long terme est mal connue. On sait que la recolonisation par
S. aureus est rapide après l’arrêt de l’application de ces produits. Malheureusement
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leur poursuite prolongée expose d’une part à des risques d’effets indésirables et
d’autre part à des risques de sélection de bactéries résistantes. L’application de
mupirocine au niveau du site de pénétration du cathéter permet également de diminuer l’incidence des infections bactériémiques à S. aureus. Plus récemment, l’utilisation de miel s’est avérée aussi efficace que la mupirocine, et présente l’avantage
de ne pas exposer aux risques de sélection de bactéries résistantes [21].
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