Bertrand Charles, Greetings from Bourgogne
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Bertrand Charles, Greetings from Bourgogne
ALMANAC – ALMANACH | DECEMBER _ DÉCEMBRE 2011 Jérôme Giller, Marche Frontière (du Mont à Leux au Risquons Tout), 19/11/2011. © M-C. Couic-BazarUrbain PA R / B Y B E R T R A N D C H A R L E S JÉRÔME GILLER JÉRÔME GILLER Greetings from BourgogneMarlière Greetings from BourgogneMarlière T L’ ambition de la Ville de Tourcoing consiste dans le développement d’une présence artistique forte sur son territoire. En 2011, est institué le projet d’inviter un artiste à mener, en collaboration avec les habitants, une réflexion sur l’urbanisme, l’espace public, les notions de territoire et de frontière. Si le mot « présence » peut recéler nombre de qualificatifs plus ou moins généraux, pour Jérôme Giller, la présence est synonyme d’action partagée, de rencontre qui, même fortuite, engendre la construction d’une réflexion. Le projet de résidence a été porté par la médiathèque de la Bourgogne (qui regroupe une médiathèque de quartier, une ludothèque et un pôle multimédia), le centre social Marlière-Croix-Rouge, le collège Mendès-France et la Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Tourcoing à destination de deux quartiers de la ville : Bourgogne et Marlière. Il a consisté à offrir à Jérôme Giller les moyens de construire, le temps du séjour, un projet artistique fondé essentiellement sur le partage avec la population et l’implication des équipements culturels, sociaux et scolaires de ces quartiers. ourcoing is a town set on developing a strong artistic presence. In 2011, it inaugurated a project, in collaboration with its inhabitants, inviting an artist to reflect upon the nature of town planning, public space and the notions of territory and borders. While the word ‘presence’ conceals a host of more or less common terms, for Jérôme Giller, it is synonymous with a shared initiative, an encounter which, even if unexpected, generates a process of reflection. The residency project, backed by the Pôle Culture et Loisirs Bourgogne (the district multimedia library, the games library and the multimedia centre), the Marlière-Croix-Rouge social centre, the Mendès-France college and Tourcoing’s Direction des Affaires Culturelles (department of cultural affairs), concerned two of the town’s districts: Bourgogne and Marlière. It involved providing Jérôme Giller, for the duration of his residency, with the means to establish an artistic project largely founded on the notion of sharing with the local population and involving the cultural, social and scholastic facilities of these districts. The two districts are side by side but are different in a number of important ways. Bourgogne is classified as a sensitive urban zone (ZUS), with a young population and public housing dating from a redevelopment programme in the 1980s. Marlière is made up of older housing and its inhabitants also tend to be older and own their homes. Another difference is Les deux quartiers se jouxtent mais possèdent des caractéristiques sensiblement différentes. Bourgogne est classé en ZUS (Zone Urbaine Sensible) – population jeune, habitats collectifs issus d’une rénovation dans les années 80. 118 ALMANAC – ALMANACH | DECEMBER _ DÉCEMBRE 2011 their attitude towards their neighbour, Belgium, in spite of the fact that they are both frontier districts. Bourgogne has several buildings (the métro technical centre, the hospital…) that completely separate it from Belgium. According to the initiators of the residency: “[these facilities] form an impenetrable barrier along the border, maintaining the inhabitants at a distance from their Belgian neighbours”. Marlière, on the other hand, has many links with its neighbour, the Belgian border town of Mouscron; a cross-border community garden, for example, is in the process of being created. Jérôme Giller chose to make the main aim of his residency, therefore, the establishment of urban walks involving the inhabitants. As stated in its targets, this involved “reviving [the] concerns [of the invited artist] through contact with the contexts of the two districts, reassessing his work with regard to the areas traversed and the situations encountered”.1 Given the geographic situation of the districts, the border (or borders) was an inevitable stumbling block. Without going into geopolitical considerations, Jérôme Giller’s activity mainly consisted of rediscovering urban spaces and areas through light-hearted observation. Working in small groups, the search for established or buried urban signs was transformed into discursive walks that revealed the existence of a collective unconscious favouring “togetherness”. While the act of residing or of the residency implies the presence of the artist within the area, the artist’s practice is sometimes twisted or stretched to match a particular request. This posture (if it really is one) pulls the work towards something akin to a reply… In Jérôme Giller’s case, a rationale of encounter is already present in his practice. There’s no “reply” here. The involvement of Others, that lies at the centre of his work, is what encourages him to “reside”. Jérôme Giller operates within the area literally, whether physically, geographically or socially. He acts like a resident, by residing. The residency consequently is not only a context but an intrinsic part of his work. Jérôme Giller, Dériviation 22/10/2011. © Kim Bradford Marlière est constitué d’habitats anciens, ses habitants y sont plus âgés et propriétaires. Ce qui les différencie également, bien qu’ils soient tous deux frontaliers de la Belgique, c’est leur rapport à ce pays voisin. Bourgogne est totalement séparé de la Belgique par plusieurs bâtiments (centre technique du métro, hôpital…). Selon les initiateurs de la résidence « [ces équipements] forment une barrière imperméable le long de la frontière et tiennent à distance les habitants de leurs voisins belges ». À l’inverse, frontalier de la ville belge de Mouscron, Marlière est totalement connecté avec son voisin : un jardin communautaire frontalier est notamment en cours de réalisation. In Jérôme Giller’s own words, the challenge of the residency was “to establish the conditions for the emergence of a collective, participative artistic project, in order to create a political forum for talks, exchange and thought about public space.” 2 These conditions include complete mobility, nomadism, which becomes the physical means for urban recognition: moving about within the city in order to inhabit it better, “unusual” experiments with spaces to “take the commonplace out of its usual context” and “break up its layout” in order to reclaim the territory stolen by habit and outstrip existing communal portrayals of the area. Jérôme Giller advocates: “casting off urban reality, too often experienced as a lack of space, in order to produce experiences, reintroducing subject-matter into the anonymous urban space, one for discussion, bearing meaning, memories and stories.” This gave rise Le principe sur lequel s’est fondé l’acte de résidence de Jérôme Giller est la mise en place de marches urbaines auxquelles étaient conviés les habitants. Selon les objectifs fixés, il s’agissait de « réactiver [les] préoccupations [de l’artiste invité] au contact des contextes des deux quartiers, de remettre en jeu son travail au regard des territoires traversés et des situations rencontrées »1. La situation géographique des quartiers faisait de la problématique de la frontière 120 JÉRÔME GILLER PAR/BY BERTRAND CHARLES (ou des frontières) une pierre d’achoppement inévitable. Sans entrer dans des considérations géopolitiques, l’activité de Jérôme Giller aura essentiellement consisté en la redécouverte, par l’observation joyeuse, d’espaces ou de territoires urbains. En petits groupes, la quête de signes urbains maintes fois expérimentés ou enfouis s’est transformée en promenades discursives révélant la construction d’un inconscient collectif et favorisant ainsi « l’être ensemble ». Si l’acte de résider ou l’acte de résidence implique la présence de l’artiste sur le territoire, parfois la pratique de l’artiste vient se tordre ou s’étirer pour correspondre à une demande. Cette posture (mais en est-ce vraiment une ?) tire l’œuvre vers quelque chose qui est de l’ordre de la réponse… Dans la pratique de Jérôme Giller, préexiste une logique de la rencontre. Ici point de « réponse ». Cette évidence de l’Autre au cœur même de son art le pousse à « résider ». Jérôme Giller œuvre littéralement dans le territoire qu’il soit physique, géographique ou social. Il agit comme un résident, en résidant. Ainsi la résidence ne constitue plus seulement un contexte, elle est une partie intrinsèque de l’œuvre. Selon les propres termes de Jérôme Giller, l’enjeu de la résidence était de « créer les conditions de l’émergence d’une création artistique collective et participative pour faire apparaître un espace politique de parole, d’échange et de réflexion autour de l’espace public2 ». Cette condition-là revêt l’habit de la mobilité totale, du nomadisme, qui devient l’instrument physique de l’appréhension urbaine : déplacements dans la ville pour mieux l’habiter, expérimentation « hors normes » des espaces pour « dépayser le quotidien » et « en fracturer l’ordonnancement » afin de se réapproprier le territoire volé par l’habitude et dépasser les représentations territoriales communes. Jérôme Giller énonce : « Muer le réel urbain, trop souvent vécu comme une privation de l’espace, en fabrique d’expériences. Réintroduire du sujet dans l’espace anonyme de la ville : un sujet verbal, énonciateur de sens, porteur de souvenirs et d’histoires ». Ceci a donné trois phases au travail : Serendipity, Stratification et Revue, cette dernière ayant été présentée sous forme de deux expositions in progress, à partir de novembre au centre social Marlière et à la médiathèque de la Bourgogne. to three phases of work: Serendipity, Stratification and Revue (review), the latter taking the form of two in-progress exhibitions, from November, at the Marlière social centre and the multimedia library in Bourgogne. Serendipity Random walks with the ‘dériviation’ game (an urban game for pedestrians) lent on serendipity, the notion of making chance finds. ‘Dériviation’ is a game combining ‘deviation’ and Debord’s Situationist notion of ‘dérive’ (drifting), coupled with the Surrealist understanding of chance. The dice-throw determines where you go and establishes connections that are invisible or have not yet been experienced; like losing yourself to find yourself all the better, experiencing situations that are sometimes insignificant but ultimately experimenting with lots of different states of perception and sharing them with the group. These walks started out from the media library in Bourgogne or the social centre in Marlière, and took place in the afternoons, with ten or so people present for each one.3 Serendipity Les marches aléatoires avec le jeu dériviation (jeu urbain à l’usage du piéton) prenaient appui sur la serendipity, concept qui revendique la productivité du hasard. Le jeu dériviation associe la déviation à la dérive situationniste de Debord et y ajoute la pratique surréaliste du hasard. C’est le lancer de dé qui vous dit où aller et ainsi établit des connexions invisibles ou in-vécues auparavant ; comme se perdre pour mieux se retrouver, vivre des situations parfois anodines mais finalement expérimenter des états de perceptions multiples et les partager avec le groupe. Ces marches, dont le point de 121 ALMANAC – ALMANACH | DECEMBER _ DÉCEMBRE 2011 Jérôme Giller, Greetings From Bourgogne-Marlière, affiche de résidence, impression jet d'encre sur papier, 84 x 112 cm, 2011. © Jérôme Giller Jérôme Giller, Revue de Résidence, Médiathèque de la Bourgogne, vue d'exposition, novembre 2011- janvier 2012. © Jérôme Giller Stratification départ était la médiathèque de la Bourgogne ou le centre social Marlière se sont déroulées en après-midi3 et ont réuni à chaque fois une dizaine de personnes. The planned walks, on the other hand, were based on routes that the artist had previously tested for their ability to disorientate. Each of these walks was posted up to inform the local population. They resembled strolls and their titles hinted at their aims. Hence panoramique, on 5 November, took the walkers to the town’s panoramic viewpoints, while Au crépuscule (at dusk), on 12 November, referred to the time of the walk which began at dusk and ended at sunrise. For Frontière (border) on 19 November, Jérôme Giller took a group of residents walking as close to the Franco-Belgian border as possible. Upper-ground & underground, on 10 December, took the protagonists from the highest point in the town to one as far below ground as possible. Stratification Les marches ciblées, à l’inverse, se fondaient sur des trajets repérés à l’avance par l’artiste pour expérimenter le dépaysement. Chacune des marches était communiquée à la population par voie d’affichage. Elles s’apparentaient à des flâneries dont l’objet est contenu dans le titre : pour panoramique, le 5 novembre, le but consistait à marcher vers des points de vue panoramiques sur la ville. Au crépuscule, le 12 novembre, fixait le temps d’une marche qui commençait à l’heure du crépuscule et se terminait au coucher du soleil. Le 19 novembre, pour Frontière, Jérôme Giller emmenait un groupe d’habitants marcher au plus proche de la frontière franco-belge. Upper-ground & underground, le 10 décembre, a déplacé les protagonistes du point le plus haut de la ville jusqu’à son point le plus bas dans le sous-sol. Review In addition to experimenting with the walk-experience, it was vital for Jérôme Giller to share this experience with those who hadn’t partcipated “physically”. The form chosen was that of a review, but rather than a periodical, it was a large report, both written and visual, on the walls of the Marlière social centre and the Bourgogne multimedia library. The sequence of texts, photographs and posters echoed Jérôme Giller’s idea: a continuous flow, an active mind, walking, Revue Au-delà de l’expérimentation de la marche vécue, il était essentiel pour Jérôme Giller de faire partager l’expérience auprès de ceux qui n’avaient pas participé « physiquement ». 122 JÉRÔME GILLER PAR/BY BERTRAND CHARLES La forme choisie a été celle de la revue, mais plutôt que périodique, elle a pris la forme d’un grand compte-rendu à la fois écrit et plastique sur les murs du centre social Marlière et de la médiathèque de la Bourgogne. L’ordonnancement des textes, photographies, affiches, renvoie à la pensée de Jérôme Giller : un flux continu, une pensée active, en marche, toujours en éveil, à l’affût de l’insolite mais toujours ouverte à l’autre – une forme intelligente de générosité à laquelle on laisse aujourd’hui peu de place. Pointe ici une figure de la résistance non révolutionnaire qui, dans un agir social, produit du politique. Jérôme Giller marche pour intensifier la perception, pour littéralement donner à voir. Cette valeur de l’expérience est bien le symptôme d’un art « résident » au sens qu’il habite le territoire et lui laisse toute sa place. Son art ne recouvre pas mais agit avec toute l’humilité de l’effacement et du laisser-faire. Si l’auteur de ces lignes n’évoque pas la posture d’un Courbet4 pour souligner l’importance de l’ancrage territorial, la marche de Jérôme Giller, créatrice de paysage, peut contenir des résonances « réalistes ». Elle ouvre des horizons, des marges de liberté à l’intérieur d’un réel codifié et astreignant qui rend singulièrement actuelle la pensée de Pierre Francastel : « L’art ne manifeste pas seulement les mythes individuels et sociaux d’une époque qui correspondent aux cadres acquis et volontairement préservés de la connaissance, il exprime aussi ses utopies – c'est-à-dire les principes suivant lesquels toute société tente d’informer l’avenir »5. ● BERTRAND CHARLES always alert, on the lookout for the unusual but always open to others – an intelligent form of generosity that is given little consideration nowadays. The image of non-revolutionary resistance comes to mind, where politics is produced through social action. Critique d’art - http://bertrandcharles.blogspot.com _1 Extrait de l’appel à résidence publié début 2011. | Extract from the invitation for a residency published in early 2011. _2 Jérôme Giller, 2011, note d’intention de la résidence. | Jérôme Giller, Jérôme Giller walks to intensify perception, literally to enable seeing. This experiential value is entirely a symptom of art resulting from a residency, in the sense that he inhabits the area and gives it pride of place. His art does not conceal things but acts with all the humility of deletion and non-interference. While I would not go so far as evoking the posture of Courbet4 in underlining the importance of territorial roots, Jérôme Giller’s walks create landscape with Realist echoes. They open up horizons, scope for freedom within a codified and demanding reality that makes Pierre Francastel’s idea particularly topical: “Art does not only illustrate the individual, social myths of an era corresponding to the acquired and intentionally preserved framework of knowledge, it also expresses its dreams – namely the principles by which every society tries to guide the future.”5 ■ 2011, statement of intent for his residency. _3 Les 21, 24 septembre, 6, 15, 17, 22 octobre et 8, 10 décembre 2011. 21 and 24 September, 6, 15, 17 and 22 October and 8 and 10 December 2011. _4 Cf. Bertrand Charles « Jérôme Giller : Dépayser le Quotidien », in Jérôme Giller-Greetings From Bourgogne-Marlière, [catalogue], Ville de Tourcoing, 2012, non paginé. | Cf. Bertrand Charles “Jérôme Giller: Dépayser le Quotidien”, in Jérôme Giller – Greetings from Bourgogne-Marlière, [catalogue], Tourcoing, 2012, no page numbers. _5 Pierre Francastel, Histoire de la peinture française, Éditions Meddens, 1955. Jérôme Giller, Greetings From Bourgogne-Marlière Médiathèque de la Bourgogne, Tourcoing (résidence de création proposée par la Direction des Affaires Culturelles et du Patrimoine de la Ville de Tourcoing, septembre 2011 à janvier 2012). http://www.jeromegiller.net 123