Fournitures accessoires

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Fournitures accessoires
Chronique TPS / TVQ
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Fournitures accessoires
Louis-Frédérick Côté, LL.M. (L.S.E.), avocat
Mendelsohn Rosentzveig Shacter
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION.................................................................................... 699
I.
FOURNITURE UNIQUE ET FOURNITURES
MULTIPLES................................................................................. 699
II.
ACCESSOIRE .............................................................................. 703
III.
CONTREPARTIE UNIQUE ....................................................... 704
CONCLUSION......................................................................................... 705
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Revue de planification fiscale et successorale, vol. 19, no 3
Chronique TPS / TVQ
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INTRODUCTION
L'article 138 de la Loi sur la taxe d’accise1 prévoit ce qui suit :
«Pour l'application de la présente partie, le bien ou le service dont la
livraison ou la prestation peut raisonnablement être considérée comme
accessoire à la livraison ou à la prestation d'un autre bien ou service est
réputé faire partie de cet autre bien ou service s'ils ont été fournis
ensemble pour une contrepartie unique».
Cet article prévoit donc que tout bien ou service dont la livraison ou la
prestation est accessoire à une autre fourniture est réputé faire partie de cette
autre fourniture. Par exemple, si une boîte de céréales (fourniture détaxée)
renferme un petit jouet (fourniture taxable), la règle de la fourniture accessoire
fait en sorte que la TPS ne sera pas perçue sur la partie du prix qui concerne le
jouet.
Si, à première vue, le concept semble simple, son application est
complexe. Nous analyserons donc l'article 138 L.T.A. sous trois aspects :
1) fourniture unique et fournitures multiples;
2) accessoire; et
3) contrepartie unique.
Nous soulignons que la présente chronique se limite à l'analyse de
l'article 138 L.T.A., mais qu'il faut se rappeler que d'autres articles pourraient
s'appliquer dans certaines situations précises.2
I. -
FOURNITURE UNIQUE ET FOURNITURES MULTIPLES
La simple lecture de l'article 138 L.T.A. implique qu'au point de départ,
il doit y avoir deux fournitures : une fourniture principale et une fourniture
1
L.R.C. (1985), c. E-15 et mod., Partie IX (ci-après «L.T.A.»). Nous soulignons
que les commentaires dans la présente chronique s'appliquent également dans le
contexte de l'article 34 de la Loi sur la taxe de vente du Québec, L.R.Q., c. T-0.1
et mod.
2
Par exemple : par. 136(2) «fourniture combinée d'immeubles»; art. 139
«services financiers dans une fourniture mixte» L.T.A.
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Revue de planification fiscale et successorale, vol. 19, no 3
accessoire. D'ailleurs, voici comment Revenu Canada s'exprime sur cette
question :
«L'article 138 ne s'applique que si l'on détermine, après application et
analyse de la politique concernant les fournitures uniques et les
fournitures multiples, ou après examen des faits lorsque cette analyse
est inutile, qu'au moins deux fournitures sont effectuées
concurremment. Si l'on détermine qu'une seule fourniture a lieu,
l'article 138 ne s'y applique pas.»3
Revenu Canada, dans son Énoncé de politique P-0774, donne son point
de vue sur ce qu'est une fourniture unique ou ce que sont des fournitures
multiples :
«Étant donné que l'analyse d'une fourniture unique ou de fournitures
multiples dépend toujours des faits particuliers en jeu, cette approche
prévoit l'analyse de la substance et de la réalité (les faits et la preuve)
relativement à la transaction dans le but de déterminer la nature d'une
transaction particulière dans des circonstances où une telle
détermination est nécessaire (circonstances que nous abordons plus
loin). L'objectif d'une telle étude est de vérifier l'existence d'une
"fourniture unique" ou de "fournitures multiples" en examinant dans
quelle mesure divers éléments sont liés, quelle est l'importance de cette
interdépendance et de cet entrelacement, et en vérifiant si chaque
fourniture est une partie intégrante ou un élément d'un tout. Une
fourniture unique englobe toujours un certain nombre d'éléments (biens
et (ou) services) fournis ensemble (souvent, mais pas forcément, pour
un montant unique).»
Par conséquent, d'après Revenu Canada, si, suite à une analyse de la
substance et de la réalité, divers éléments sont liés, interdépendants, entrelacés,
et si chaque fourniture est une partie intégrante ou un élément d'un tout, nous
faisons face à une fourniture unique, qui sera taxable, exonérée ou détaxée. De
plus, dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de recourir à l'article 138 L.T.A.,
qui implique au point de départ qu'au moins deux fournitures sont effectuées
concurremment. Enfin, d'après Revenu Canada, qu'un montant unique
apparaisse sur la facture ou que plusieurs montants apparaissent sur la facture
3
REVENU CANADA, Énoncé de politique P-160, «Sens de l'expression " ... est
réputé faire partie de cet autre bien et service s'ils ont été fournis ensemble"...»,
14 juin 1994.
4
REVENU CANADA, Énoncé de politique P-077, «Fourniture unique et
fournitures multiples», 8 août 1993.
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n'est pas un élément déterminant dans le cadre de l'analyse dans le but de
déterminer si nous faisons face à une fourniture unique ou à des fournitures
multiples.
À notre connaissance, la Cour canadienne de l'impôt s'est prononcée
clairement trois fois sur le concept de fourniture unique. Premièrement, dans
l'affaire Club Med Sales Inc. c. La Reine5, la Cour canadienne de l'impôt avait à
décider si les frais payés par des contribuables pour être membres du Club Med
étaient taxables alors que la fourniture du voyage était détaxée. La facture que
Club Med Sales Inc. faisait parvenir au contribuable montrait d'une façon
séparée le coût du voyage et les frais pour devenir membre. Voici comment la
cour pose la question :
«Here, one consideration is given for a vacation package and another is
paid as a membership fee. Do they each represent a partial payment for
the same supply or do they each relate to a distinct or separate supply of
property or service, bearing in mind that if one concludes that there is a
supply separate from the supply of the vacation package it must be of "a
useful article or service".»6
La cour décide qu'il s'agit d'une fourniture unique détaxée :
«(...) the membership fee and the vacation package or packages are so
interdependent and intertwined that they cannot be considered separate
supplies. As a matter of common sense, the supply of memberships
cannot realistically be considered otherwise than as being an integral
part of a composite whole that is one or more vacation packages
abroad.»7
Deuxièmement, dans l'affaire Oxford Frozen Foods Limited c. La Reine8,
la Cour canadienne de l'impôt avait à décider si des frais de location qui
apparaissaient séparément sur la facture de vente de légumes congelés à des
non-résidents, donc détaxée, étaient taxables ou détaxés. Voici comment la
cour se prononce :
5
5 G.T.C. 1067.
6
Id., 1072.
7
Id., 1074.
8
4 G.T.C. 3180.
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«The Minister argues that the storage charges are a separate item apart
from the sale of frozen product and is taxable. The Appellant's position
is that it stores its frozen products so that it can supply its customers
with frozen products. The Appellant is not engaged in the business of
supplying storage for frozen products. Even though the storage
component is itemized separately on the Appellant's invoices, it is so
interdependent and intertwined with the supply of frozen products that
it constitutes a single supply of frozen product. It is just a way of
calculating the eventual price of a zero rated product. I am satisfied the
Appellant's position is correct.»9
Par conséquent, la cour conclut qu'il s'agit d'une fourniture unique
détaxée.
Troisièmement, dans l'affaire O.A. Brown Ltd. c. Canada10, la Cour
canadienne de l’impôt avait à décider si le contribuable avait à percevoir la TPS
sur des commissions et des déboursés, qui apparaissaient séparément sur la
facture, relativement à la vente de bétail qui était détaxée. La cour établit le test
de la façon suivante :
«The test to be distilled from the English authorities is whether, in
substance and reality, the alleged separate supply is an integral part,
integrant or component of the overall supply. One must examine the
true nature of the transaction to determine the tax consequences. (...)
One factor to be considered is whether or not the alleged separate
supply can be realistically omitted from the overall supply. This is not
conclusive but is a factor that assists in determining the substance of the
transaction. (...) The fact that a separate charge is made for one
constituent part of a compound supply does not alter the tax
consequences of that element. Whether the tax is charged or not
charged is governed by the nature of the supply. In each case it is
useful to consider whether it would be possible to purchase each of the
various elements separately and still end up with a useful article or
service. For if it is not possible then it is a necessary conclusion that the
supply is a compound supply which cannot be split up for tax
purposes.»11
La cour décide qu'en l'espèce, il s'agissait d'une fourniture unique
détaxée.
9
Id., 3183.
10
[1995] G.S.T.C. 40.
11
Id., 40-6 et 40-7.
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Il semble donc que le test élaboré par Revenu Canada dans son Énoncé
de politique P-07712 a été suivi par la Cour canadienne de l'impôt. Par ailleurs,
déterminer, dans un cas précis, s'il s'agit d'une fourniture unique qui est taxable,
détaxée ou exonérée, ou s'il s'agit de deux fournitures auxquelles l'article 138
L.T.A. s'applique, demeurera une question complexe et difficile à trancher.
II. -
ACCESSOIRE
Si nous arrivons à la conclusion que nous faisons face à deux
fournitures, il faut déterminer si l'une est accessoire à l'autre. À cet égard,
Revenu Canada donne son point de vue dans l’Énoncé de politique P-15913.
D'après Revenu Canada, la livraison ou la prestation d'un bien ou service peut
être considérée comme accessoire à la livraison ou la prestation d'un bien ou
service principal, lorsque ce premier bien ou service est sans importance ou peu
important. De plus, la livraison ou la prestation d'un bien ou service ne peut
raisonnablement être considérée comme accessoire à la livraison ou à la
prestation d'un autre bien ou service que si elle joue un rôle mineur par rapport à
cet autre bien ou service.
Revenu Canada a donc pris une position administrative très étroite. En
effet, la fourniture accessoire ne doit pas avoir d'importance et doit jouer un rôle
mineur.
Or, la Cour canadienne de l'impôt a eu à se prononcer sur cette question
dans l'affaire Interior Mediquip Ltd. c. Canada14. Dans cette affaire, la Cour
canadienne de l'impôt a décidé que la fourniture principale était une rampe qui
donnait accès à des chaises roulantes dans un véhicule et que tous les autres
biens et services (modifications au véhicule) étaient accessoires. Il semble donc
que la Cour canadienne de l'impôt interprète le concept d'une façon beaucoup
plus large que Revenu Canada. Cela pourrait forcer Revenu Canada à revoir
son Énoncé de politique P-159.15
12
REVENU CANADA, op. cit., note 4.
13
REVENU CANADA, Énoncé de politique P-159, «Sens de l'expression "peut
raisonnablement être considéré comme accessoire"», 14 juin 1994.
14
[1994] G.S.T.C. 86.
15
REVENU CANADA, op. cit., note 13.
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III. - CONTREPARTIE UNIQUE
Lorsque nous faisons face à deux fournitures et que l'une est accessoire à
l'autre, il y a lieu de déterminer si les deux fournitures sont effectuées pour une
contrepartie unique.
À cet égard, dans une note explicative, le ministère des Finances du
Canada émet l'opinion que l'article 138 L.T.A. ne s'applique pas lorsqu'on peut
déterminer que la fourniture accessoire a été facturée de façon distincte16. Par
conséquent, d'après le ministère des Finances du Canada, la façon de facturer
serait déterminante quant à l'application de l'article 138 L.T.A.
Sur cette base, certains pourraient être tentés d'émettre plusieurs factures
ou de séparer certains éléments sur une même facture, dans le but d'éviter
l'application de l'article 138 L.T.A. Par exemple, dans le contexte où la
fourniture principale est taxable et la fourniture accessoire est détaxée,
l'application de l'article 138 L.T.A. ferait en sorte qu'il y aurait une taxe facturée
sur la partie accessoire. Dans ces circonstances, il pourrait être intéressant de
facturer séparément la partie accessoire ou d'identifier séparément sur la facture
la partie accessoire afin d'éviter l'application de l'article 138 L.T.A.
Ce type de planification est, à notre avis, risqué. En effet, dans l'affaire
Oxford Frozen Foods Limited c. La Reine, où des frais d'entreposage
apparaissaient séparément sur la facture de vente de légumes congelés, la Cour
canadienne de l'impôt a indiqué dans un obiter dictum qu'elle aurait de toute
façon appliqué l'article 138 L.T.A. :
«If I had not found for the Appellant as I have above, I would have said
that the maintaining of the frozen product in that state was incidental, as
the whole purpose was to supply the Appellant's customers with frozen
product on request.»17
Par conséquent, la Cour canadienne de l'impôt ne semble pas avoir été
impressionnée par le fait que les services de location apparaissaient séparément
sur la facture de vente de légumes congelés.
16
Taxe sur les produits et services - Notes explicatives du Projet de loi C-62,
février 1990, p. 40.
17
Précitée, note 8, 3183.
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De plus, dans l'affaire O.A. Brown Ltd. c. Canada, où les commissions et
les déboursés apparaissaient séparément sur la facture envoyée au client pour la
vente de bétail, la cour a émis le commentaire suivant :
«The services are rendered under a single contract, for a single
consideration, albeit the invoice is itemized.»18
Par conséquent, la Cour canadienne de l'impôt semble être d'avis que,
même si des montants sont montrés séparément sur une facture, il s'agit d'une
contrepartie unique.
Par ailleurs, dans l'affaire Club Med Sales Inc. c. La Reine, où les frais
pour devenir membres étaient indiqués séparément sur la facture, la Cour
canadienne de l'impôt a écrit ceci :
«We are not here in a situation where there has been an incidental
provision of property or service together with the supply of another
property or service for a single consideration thus requiring the
application of section 138 of the Act, although the same principle, i.e.
that underlying section 138, might be applicable. Here, one
consideration is given for a vacation package and another is paid as a
membership fee.»19
Par conséquent, dans cette affaire, la cour semble conclure qu'il y avait
deux contreparties.
Il faut donc conclure que la réponse à la question de savoir si nous
faisons face à une contrepartie ou à deux contreparties n'est pas claire. Plusieurs
éléments identifiés séparément sur une facture, chaque élément ayant un prix,
pourraient être considérés comme étant une contrepartie unique par certains, et
être considérés comme étant plusieurs contreparties par d'autres. Il faut
s'attendre à des développements sur cette question.
CONCLUSION
Si, à première vue, l'article 138 L.T.A. semble être facile à appliquer,
l'analyse qui précède et la jurisprudence à laquelle nous référons démontrent
clairement le contraire.
18
Précitée, note 10, 40-08.
19
Précitée, note 5, 1072.
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Quant au concept de fourniture unique, si Revenu Canada et la Cour
canadienne de l'impôt semblent avoir adopté le même concept, ces deux
institutions ont des points de vue très différents lorsque vient le temps
d'appliquer le concept dans un cas particulier.
Deuxièmement, quant au concept accessoire, il semble que la vision
étroite de Revenu Canada tranche clairement avec l'application beaucoup plus
large qu'en a fait la Cour canadienne de l'impôt.
Enfin, quant au concept de considération unique, il faut espérer que
Revenu Canada publie une politique claire sur cette question, et nous souhaitons
que la Cour canadienne de l'impôt établisse clairement sa position.