Projet de Fin d`Etude La musique : d`une industrie de produit à

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Projet de Fin d`Etude La musique : d`une industrie de produit à
Projet de Fin d’Etude
La musique : d’une industrie de produit à
une industrie de services ?
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Sommaire
Introduction............................................................................................................................3
1 Déstabilisation du modèle « CD » par les NTIC................................................................4
1.1 Ampleur de la crise ....................................................................................................4
1.2 Définition du modèle « CD » .....................................................................................5
1.3 Le mp3 : un nouveau format change la donne ............................................................7
1.4 Modèle « CD » et NTIC : une cohabitation difficile .................................................11
1.4.1 Le piratage ........................................................................................................11
1.4.2 Les DRM : dans la continuité d’une logique produit ? .......................................13
1.4.3 Tentatives de réconciliation des majors avec Internet ........................................14
2 Les nouveaux modes de consommation de la musique ....................................................16
2.1 Le marketing classique démodé................................................................................16
2.1.1 Le produit .........................................................................................................16
2.1.2 Le prix ..............................................................................................................17
2.1.3 La place ............................................................................................................18
2.1.4 La promotion.....................................................................................................20
2.2 Panorama de la consommation de musique ..............................................................21
2.3 Nouvelles pratiques..................................................................................................25
2.4 Les portables............................................................................................................26
3 Nouveaux acteurs, nouveaux modèles, nouvelles compétences .......................................29
3.1 Association de la musique et des produits ................................................................30
3.2 Économie des flux ...................................................................................................31
3.2.1 Abonnement forfaitaire .....................................................................................31
a. L’abonnement : eMusic ......................................................................................31
b. La location de musique.......................................................................................32
3.2.2 La musique gratuite en ligne, promotion et rémunération ?................................32
a. La licence globale...............................................................................................32
b. Qtrax et SpiralFrog.............................................................................................33
c. La diffusion libre................................................................................................34
d. Viabilité .............................................................................................................34
3.2.3 Gestion des exploitations dérivées .....................................................................36
3.3 Économie des services .............................................................................................36
3.4 Ajustement de l’offre et de la demande ....................................................................37
3.4.1 Les réseaux sociaux...........................................................................................38
3.4.2 Utilisation des algorithmes ................................................................................39
3.4.3 La location de playlists......................................................................................40
3.5 Investissement pour la création musicale : qui, comment, pourquoi ? .......................41
4 Annexes..........................................................................................................................43
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Introduction
La musique provoque aujourd’hui des débats passionnés et houleux tels qu’elle en a
rarement vécus. Le plus impressionnant est la largeur de l’audience qui débat. Chacun y va de
son avis, depuis l’internaute qui affiche sur son blog le rêve d’une société de la musique
gratuite, aux dirigeants de majors qui doivent justifier l’existence de ces sociétés, en passant
par le patron d’une multinationale du logiciel et du matériel informatique qui leur écrit une
lettre ouverte.
La situation paraît terriblement confuse. Quand la sphère politique a voulu ordonner
les choses, l’opinion publique a réagi, les lobbying ont mis la pression, les artistes connus ou
inconnus se sont exprimés, etc. Après avoir voté pour l’application d’une licence dite globale,
les députés sont revenus en arrière juste après au profit d’une loi appliquant tant bien que mal
les directives européennes.
Alors que se passe-t-il. Le disque est-il mort ? Peut-on vivre sans DRM ? Les majors
ont-elles encore un avenir ? Le téléchargement légal va-t-il devenir la norme ? Chaque groupe
devra-t-il devenir un nouvel Artic Monkeys ? Qui financera la création musicale ?
Les questions autour de l’économie de la musique sont très nombreuses. Nous avons
décidé de les synthétiser autour de cette problématique : face à l’avènement des Nouvelles
Technologies de l’Information et de la Communication, assiste-t-on à une restructuration du
secteur de la musique, d’une industrie centrée autour d’un produit, vers une économie qui
valorise de nouveaux services.
Dans un premier temps, nous rappellerons les évènements qui ont conduit à la
situation actuelle. Nous montrerons en quoi le modèle de l’industrie musicale construit autour
du CD n’est plus adapté aux nouveaux modes de consommation de la musique. Après avoir
analysé les nouvelles pratiques, nous examinerons quelles sont les pistes ouvertes aux acteurs
de la filière, anciens ou nouveaux, pour trouver des modèles économiques viables.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
1 Déstabilisation du modèle « CD » par les NTIC
1.1 Ampleur de la crise
« Le marché du disque en France fait moins 40% sur ces quatre dernières années. (…) On est
pas dans une petite crise, on est dans une crise comme l'a connu le textile il y a 25 ans.
L'industrie est en crise.»
Guy Messina, directeur de la musique et de la vidéo pour les Fnacs1*
En France, on a assisté en 2006, comme ailleurs à deux phénomènes inverses. Le
marché de la vente de musique en ligne est en forte croissance, tandis qu’à l’inverse, le
marché du disque est toujours en régression2 :
Chiffre d’affaires détail de la musique enregistrée
dont
ventes physiques
ventes en téléchargement (hors téléphonie mobile)
-11,2%
-11,8%
23 millions d’euros
862.7 millions
d’euros
-10,7%
ventes physiques
819 millions d’euros
-12,4%
ventes en téléchargement et téléphonie mobile
43.5 millions d’euros
42,0%
Chiffre d’affaires gros éditeur net
dont
1.31 milliard d’euros
1 287 millions
d’euros
45,0%
La vue globale est assez catastrophique pour le marché du CD sans parler du format
single qui lui recule de 35% en valeur sur l’année 2006. Pour les années complètes de 2002 à
2006, le marché du disque a perdu -34,5% en volume et -35,9% en valeur.
La forte croissance du marché du téléchargement ne parvient cependant pas à contre
balancer l’effet de la chute du format physique. En effet, les ventes numériques ne décollent
pas en France. Elles ont représenté, hors sonneries musicales seulement 2,1% du marché de la
musique enregistrée en 20063. Selon l’Observatoire de la musique, elles n’offrent aucune
perspective réelle de substitution.
Les premiers chiffres de 2007 concernant la musique numérique ne permettent pas de
renverser cette impression. Les ventes de téléchargement de musique (full track download,
hors streaming et sonneries musicales) ont représenté un volume de 11,8 millions de titres
téléchargés (dont 9,1 millions sur PC et 2,7 millions sur mobile), en augmentation de +35,6%
par rapport au 1er trimestre 2006 (+26,4% sur PC et +80% sur mobile). Ces ventes ont totalisé
un chiffre d’affaires de 8,1 millions d’euros TTC (dont 6,1 sur PC et 2 sur mobile), en retrait
de -9% par rapport au 1er trimestre 2006 (-3,2% sur PC et -23,1% sur mobile). Cette
décroissance de la valeur doit être analysée au regard de la tarification qui a sensiblement
baissée sur un an.
1
Voir en annexe l’interview de Rock&Folk
Les dossiers du SNEP, les chiffres clés de l’année 2006 :
http://www.disqueenfrance.com/snep/dossiers/2007_01_02.asp
3
Observatoire de la musique : Les marchés du support musical (CD audio et DVD musical) - Rapport 2006
2
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En effet, le prix moyen d’un titre sur mobile tend à s’aligner sur celui constaté sur PC :
tandis qu’au 1er trimestre 2006, le différentiel de prix moyen était de 1,97 au profit du
mobile, il n’est plus que de 1,11 au 1er trimestre 2007.
Cette crise qui se voit dans les chiffres d’affaires se répercute sur tous les acteurs de la
filière. Certes, les majors qui dominent largement le marché sont les premières touchées. Mais
si beaucoup d’internautes déclarent à travers les forums qu’ils sont heureux de la chute des
maisons de disques, ils ne se rendent pas forcément compte que derrière, les indépendants (les
« gentils ») sont aussi affectés. Leurs structures sont non seulement plus fragiles
financièrement, mais ils dépendent pour beaucoup des majors en ce qui concerne la
distribution. Au final, « tout le monde est touché, du parolier au musicien de studio, du rockcritic à l’ingénieur du son au vendeur de la Fnac… »* (Guy Messina)
A la mi-mars, EMI annonçait son deuxième plan de licenciement pour sa filière
française4. Et EMI n’est pas la seule dans cette situation. « Malgré l'augmentation de la part
des marchés de la compagnie ces dernières années et la réduction des coûts (notes de frais,
voyages, séminaires...), nous avons été obligés très récemment de refaire un licenciement
économique de 8 personnes. J'en ai même d'ailleurs profité pour supprimer ma voiture de
fonction. L'effectif de Warner aujourd'hui est de 140 personnes contre 200 il y a 3 ans. »5
nous précise le président de Warner.
Outre les emplois dans la filière de la musique, c’est aussi la créativité musicale qui est
en danger. Le nombre de références vendues à au moins une unité, soit 280 532 (-1,3% vs.
2005), est en baisse pour la deuxième année consécutive. « Avant, on laissait trois albums à
un artiste pour se développer, se constituer un public. (...) Aujourd'hui, c'est au bout du
premier disque qu'on se pose des questions. »* (Thierry Chassagne) « Développer un artiste,
ce n’est pas courir un cent mètres. Il faut entre cinq et dix ans pour qu’un talent atteigne son
plein essor et connaisse un succès qui permettra au producteur d’amortir son
investissement. »6 (Pascal Nègre) Quand on sait qu’il aura fallu 10 années, et attendre le 5e
album du groupe pour que les Red Hot Chili Peppers décollent vraiment et deviennent la
machine à vendre que l’on connaît, les nouvelles tendances des majors laissent songeurs.
Surtout que la concentration du secteur n’a pas arrangé les choses, les années de fusion étant
souvent des années de perdues pour le développement d’artistes au profit de l’ajustement de la
nouvelle structure.
1.2 Définition du modèle « CD »
«Juste après l'installation de rayons de disques en hyper, le CD surgit et les revenus
mondiaux de l’industrie musicale sont multipliés par quatre. Une industrie artisanale est
devenue industrielle.»
Thierry Chassagne, président de Warner Music*
4
Ratatium.com, EMI France supprime 20 % de son effectif, 9 mars 2007 :
http://www.ratiatum.com/breve4573_EMI_France_supprime_20_de_son_effectif.html
5
Thierry Chassagne sur FaceFace : http://faceface.fr/phpBB2/viewtopic.php?t=298
6
Pascal Nègre, PDG d’Universal music France in « Les enjeux du multimédia pour la production musicale », 7
avril 1999
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Pour bien comprendre quels sont les bouleversements que subit actuellement
l’industrie de la musique, il s’agit d’abord d’en définir rapidement qu’elles en sont les acteurs,
et quel est leur fonctionnement en dehors d’Internet, et du mp3.
Depuis l’invention du disque 78 tours jusqu’au SACD, les labels et les majors ont
toujours concentré leur modèle autour de ces supports, et les cycles de l’industrie musicale
était rythmés par les innovations technologiques. Si les nouveautés ont permis d’améliorer la
qualité d’écoute, si elles ont modifié le format (longueur d’enregistrement notamment)
impliquant quelques différences marketing, elles n’ont pas changé fondamentalement le
fonctionnement de la filière que l’on peut décomposer en trois étapes : la production, l’édition
phonographique (incluant la fabrication), et la distribution.
Édition
phonographique
Production
Le producteur est celui qui
finance l’ enregistrement
d’un titre, il en est le
propriétaire.
L'éditeur phonographique
est celui qui prend
l'enregistrement (le
master), en fait un disque
et le commercialise
(pressage, promotion…)
Distribution
Le distributeur est celui
qui met le disque dans
les bacs.
Maison de disques
Labels
Auteur – Compositeur
– Interprète
GSE (50%)
GSS (35%)
Disquaires indépendants
VPC
Autoproduction
Quatre sociétés se partagent l'essentiel du marché de l'édition de disques. Elles
représentent en effet 71,7% de parts de marché sur le marché mondial concernant les ventes
de productions musicales7:
7
Universal Music Group
25,50%
Sony BMG
21,50%
EMI Group
13,40%
Warner Music Group
11,30%
Total
71,70%
Wikipédia, Liste des Majors du disque : http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_majors_du_disque
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Ces 4 entités sont le fruit de la concentration de nombreux acteurs majeurs de
l’industrie musicale du XXe siècle. Jusqu’à aujourd’hui, ces entreprises ont toujours utilisé
des modèles de production, de marketing, de communication, de commercialisation tournés
autour du produit.
Certes, l’industrie du disque diffère beaucoup des autres industries de production de
biens de consommation par le fait que c’est une industrie de l’offre. En effet, personne n’a
encore établi d’études de marché qui permettent de savoir comment il faut enchaîner deux
accords de piano, y ajouter quelle rythmique, ou quelle voix pour faire un hit commercial.
Chaque signature avec un artiste est un pari sur l’avenir. Les directeurs artistiques et les
producteurs ont leur rôle à jouer pour pressentir quels seront les artistes rentables, et ils ne
peuvent se baser que sur leur intuition.
Néanmoins, bien que ce soit un marketing de l’offre, il est possible d’y appliquer les
règles du marketing traditionnel. Dans le schéma traditionnel, la maison de disque découvre
un artiste, soit directement, soit parce qu’il commence à faire du bruit chez un label
indépendant, puis signe cet artiste, produit un disque, et le promeut pour rentabiliser au mieux
cet investissement. Toute la promotion n’a qu’un seul objectif, vendre le disque : publicité,
passages à la radio, offres promotionnelles, tout doit inciter à l’acte d’achat en magasin. Il est
d’ailleurs souvent reproché aux maisons de disques de faire du matraquage sur une minorité
d’artistes (single en boucle à la radio, communication abondante) pour être certains de faire
des profits. Critique qui s’est accrue avec la concentration des majors et les demandes de
profitabilités de plus en plus forte de leurs actionnaires. Or, c’est un cercle vicieux. Plus la
maison de disque investit dans un artiste, plus elle attend de retours.
Le marché CD audio reste fortement concentré : en 2006, 5,7% des références vendues
totalisent 90% du marché en valeur, dû aux effets d’une concentration les impliquant de plus
en plus dans une gestion financière court-termiste qui a prévalu dans cette forme d’ «
industrialisation » de la filière.
1.3 Le mp3 : un nouveau format change la donne
« On se bat contre du gratuit, et c’est compliqué. »
Guy Messina, directeur de la musique et de la vidéo pour les Fnacs*
Avant l’arrivée d’Internet et des mp3, les maisons de disque tablaient sur une certaine
continuité de leur modèle. Après la cassette, puis le CD viendrait un nouveau format qui lui
succéderait, encore plus performant. De nouveaux produits ont d’ailleurs été développés : le
mini-disque qui se voulait l’héritier numérique de la cassette audio, le Super Audio CD,
nouveau support avec une qualité d’écoute encore supérieur au CD, tout comme le DVD
audio, et dernièrement le Dual Disc, qui permet de rajouter de la vidéo au CD classique. Mais
ce schéma relativement linéaire a été bousculé par Internet, le Peer-to-peer et de nouveaux
formats audio.
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Evolution des formats
audio
mp3
Dual Disc
DVD Audio
SACD
Mini-disque
CD
Cassette
Disque Vinyle
78 tours
1890
1910
1930
1950
1970
1990
2010
Le CD avait déjà consacré l’avènement de la numérisation de la musique, mais elle a
su s’émanciper encore plus grâce aux portes ouvertes par Internet. L’industrie du support
découvre peu à peu l’étendue de cette révolution : si les copies de supports numériques sont
parfaites et relativement peu chères à produire, les fichiers numériques ont l’avantage d’être
potentiellement gratuits et à la portée de tous. Cette « gratuité » est difficile à avaler pour une
industrie qui a basé une grande partie de sa raison d’être sur la fabrication, la duplication et la
vente de la musique sur des supports. Cette capacité de copie, aujourd’hui à la portée du
simple utilisateur, aura vite fait d’aller au-delà des supports physiques. Déjà 2,6 milliards de
fichiers circulent via les réseaux d’échanges, englobant musique, films, jeux, images….
Dans le passage de l’ère industrielle à l’ère des services, ce sont tous les fondamentaux
de la musique qui sont alors à reconstruire : ce qui était cher auparavant est accessible
gratuitement aujourd’hui. Le support est devenu inutile, l’accès au contenu, une commodité.
L'effet économique de la numérisation de la musique enregistrée et de leur circulation sur les
réseaux consiste à transformer des biens privés en biens non-rivaux et non-exclusifs, ce qui
correspond à la catégorie économique des "biens collectifs". Appropriables ou distribuables à
coût marginal quasi nuls, leur consommation par un agent ne diminuant pas celle d'un autre,
comme la radio ou TV hertzienne, ils tendent à la gratuité pour les consommateurs. Ce qui,
bien évidemment, laisse entier le problème du financement de sa création.
Le codage MPEG-1/2 Layer 2 est né avec le projet Digital Audio Broadcasting qui
faisait partie du programme EUREKA qui exista de 1987 à 1994. La norme ISO MPEG
Audio avec ses trois couches de codage Layer I, Layer II (Musicam), Layer III fut achevée
officiellement en 1992 et constitua la première partie du MPEG-1, le premier travail du
groupe MPEG, le quant à lui MP3 voit le jour en 1995. Ce format audio autorise une
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compression qui permet à un fichier d’occuper jusqu’à douze fois moins de place qu’un
fichier audio normal, cette particularité lui confère ainsi d’être facilement échangeable sur le
net et notamment via les réseaux peer-to-peer.
Les réseaux poste à poste permettent à plusieurs ordinateurs de communiquer, de
partager simplement des informations : des fichiers le plus souvent, mais également des flux
multimédia continus (streaming), le calcul réparti, la téléphonie (comme Skype), etc. sur
Internet. Des logiciels tels que Napster en 1999 puis Gnutella en 2000 et plus récemment
Kazaa ou Emule sont des outils gratuits que les internautes ont rapidement appris à utiliser
pour échanger toute sorte de fichiers, notamment des fichiers mp3. Les majors et les
distributeurs n'étaient pas préparés à un accès si facile aux fichiers et aux contenus. La
récupération de ces fichiers étant devenue banale, ces sociétés peinent maintenant à faire
valoir leurs droits.
L’histoire du téléchargement de médias sur le net a toujours été rythmée par les
évolutions technologiques (amélioration du débit et des logiciels). Mais ce qui l’a réellement
fait évoluer et muter ce sont des facteurs commerciaux (baisse des prix, banalisation du web
dans les foyers, équipement des ménages), juridiques (la fermeture de Napster a poussé à la
décentralisation des réseaux poste à poste …) et sociologiques (changement des
comportements des utilisateurs et utilisation consciente, massive). Le téléchargement n’est
pas seulement le fruit de la technologie mais également un véritable phénomène de sociétés.
Parallèlement au phénomène de piratage se développent les plates-formes de
téléchargement légales qui misent sur une offre large et de qualité pour séduire les internautes.
Les premières sont lancées en 1990 sous la forme de sites web vendant des fichiers audio. En
septembre 1997, MP3.com est lancé pour permettre la promotion de groupes et interprètes
indépendants, mais c'est eMusic qui en juillet 1998 est le premier site à vendre de la musique
sous la forme de fichiers MP3.
Par la suite c’est Sony qui prendra le relais et deviendra la première société à vendre
en ligne légalement la musique d’une major. Une kyrielle de plates formes de téléchargement
légal verront le jour dans le sillage de leurs aînés. Ainsi la Fnac, Universal Music, Sony,
VirginMega, MusicMe, … sont autant de plates-formes qui verront le jour en proposant aux
internautes de télécharger légalement de la musique sur Internet.
C’est le cas d’iTunes Music Store d’Apple qui est lancé le 28 avril 2003 et qui compte
parmi les changements majeurs introduits par les nouvelles technologies d’information et de
communication offrant ainsi une alternative aux personnes désireuses de se procurer de la
musique sur Internet. iTunes gère les transferts de musique et vidéos sur les différents
périphériques multimédias d'Apple tels que l’iPod, intimement lié au succès de la plate-forme
de téléchargement qui offrait à son lancement 300 000 titres pour aujourd’hui arriver à un
total de 5 millions de titres audio8.
On se rend compte que c’est toute la chaîne de valeur qui est bouleversée par l’arrivée
des nouveaux moyens de consommation, les baisses des ventes de CD ne sont qu’une
illustration d’un modèle qui prend d’autres marques, faisant intervenir d’autres acteurs à
8
Communiqué de presse d’Apple, 30 mai 2007, Apple lance iTunes Plus :
http://www.apple.com/befr/pr/press/2007/05/30_iTunesPlus.html
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d’autres endroits de la chaîne de valeur. Traditionnellement les acteurs résument la chaîne de
valeur du disque par le schéma suivant :
C’est de cette chaîne de valeur relativement stable que s’inspirent les acteurs de la
vente de téléchargement. Le mécanisme en est similaire : les détaillants doivent négocier avec
les distributeurs (majors) le droit de vendre leurs fichiers, et les conditions tarifaires de ces
droits sont une fonction linéaire du nombre de téléchargements. Au lieu de négocier un prix
de gros du disque, les acteurs négocient un montant de droits voisins pour un téléchargement.
Néanmoins, cette nouvelle chaîne de valeur fait intervenir quelques acteurs nouveaux,
notamment les fabricants de systèmes de protection informatique. En outre, l’abaissement des
barrières à l’entrée (Bourreau, Labarthe-Piol, 2004) et la nature des compétences techniques
requises par la distribution en ligne ont attiré beaucoup de nouveaux entrants sur ce marché de
la distribution en ligne : les distributeurs traditionnels affrontent la concurrence de pure
players, d’autres acteurs de la chaîne de valeur musicale, et d’acteurs d’industries voisines.
Ce schéma est souvent mobilisé par les acteurs pour présenter leur stratégie et
interpréter les stratégies industrielles des concurrents. Il montre que la multiplication des
acteurs du commerce de détail peut être lue comme la résultante de stratégies d’intégration
verticale : les producteurs (Universal), les fabricants de systèmes de protection (Microsoft,
Apple, Sony), les fournisseurs d’accès (Wanadoo, Tiscali), les fabricants d’appareils d’écoute
(Apple, Sony, Samsung) viennent concurrencer sur leur terrain les distributeurs traditionnels
(Virgin, Fnac). Les nouveaux venus des secteurs voisins présentent parfois, sous couvert
d’anonymat, le fait de s’essayer à la distribution musicale comme l’éventuelle première étape
d’une « remontée de la chaîne de valeur » qui conduit au final à prendre en charge des
activités d’édition en ligne. Cette stratégie est plus ou moins explicite dans le cas d’Apple et
de Sony, plus mesurée et discrète dans le cas des fournisseurs d’accès et de logiciels.
Quelques nouveaux entrants :
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1.4 Modèle « CD » et NTIC : une cohabitation difficile
« Je pense que le jour où le piratage sera endigué, on revendra des CD »
Thierry Chassagne, président de Warner Music*
1.4.1 Le piratage
Face à leurs difficultés croissantes, les dirigeants des maisons de disques trouvent un
bouc-émissaire : le piratage. Certes, le développement du haut débit à partir des années 2002
est corrélée à la chute des ventes constatée depuis. Bien qu’il y ait plusieurs raisons à cette
crise, comme nous l’avons montré, on ne peut pas nier l’impact du piratage sur les ventes de
disques. Cependant, c’est également une erreur de penser qu’il en est la seule cause.
Pourtant, pour la profession, le constat est clair, et la solution est simple : il faut réduire
le piratage à zéro. À partir de là, elles pourront ramener le prix des CDs à un prix
raisonnables, développer plus de nouveaux artistes, récupérer une bonne santé financière, etc.
En bref, elles pourront récupérer la place qui a toujours été la leur, Internet sera un outil de
promotion de plus, et les gens qui téléchargent la musique légalement une curiosité. C’est
pourquoi, un grand nombre d’acteur de la profession se sont mobilisés pour alerter les
pouvoirs publics, intenter des procès contre des pirates (même si en France, les organismes
comme la SACEM ou le SNEP sont un peu moins agressifs que leur homologue américain la
RIAA).
Les pouvoirs publics sont néanmoins bien en peine pour légiférer, et les cafouillages ou
remises en cause sont nombreux. Tout d’abord, les pouvoirs publics sont pris entre deux feux.
D’une part, lobbying des industriels du disque et des sociétés d'auteur qui souhaitent une
tolérance zéro vis-à-vis du piratage, les développeurs informatiques qui ont montré qu’à
travers leur savoir-faire ils avaient devancé les maisons de disques dans l’évolution des offres
et de la consommation et qui considèrent la loi comme une atteinte à leur liberté de
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développement. Entre ces deux positions, le gouvernement doit aussi contenter l’opinion
publique, qui est indifférente, ou hostile aux DRM, voire concernée par le piratage et n’a pas
spécialement envie d’être inquiétée.
Après les soubresauts rocambolesques qu’a connu l’Assemblée Nationale en décembre
2005, c’est finalement la loi DADVSI (Droit d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de
l’Information) qui a été publiée au Journal Officiel le 3 août 2006. Transposition d’une
directive européenne, cette loi essaie de contenter tout le monde en voulant imposer
l’interopérabilité. Elle admet ainsi que la musique doit être protégé par des DRM et donc les
pirates poursuivis, mais elle impose aussi aux industriels de se mettre d’accord pour que
l’utilisation des DRM soit transparente pour le consommateur. Or cette dernière tâche est
quasi-impossible à mettre en œuvre. D’une part, les industriels qui agissent à une échelle
internationale et développent chacun leur système ne pourront pas s’entendre. D’autre part,
les DRM ne s’appliquent pas de la même façon ni avec le même but. Imposer un standard
risque aussi d’être illusoire.
Du point de vue judiciaire, les organismes français tentent des coups d’éclat, par des
condamnations très lourdes envers les pirates et qui doivent servir d’exemples au reste des
internautes. Par exemple, un pirate a été condamné à 6 mois de prison et 2000 d’amende.9
Outre-atlantique, ces actions ont même conduit à quelques dérives malheureuses. En effet, la
RIAA est parvenue à poursuivre une mère de famille sans ordinateur, ou une personne
décédée.
Dans le même ordre d’idée, ces organisations essaient de faire fermer les sites qui
diffusent illégalement des contenus de leur catalogue. Ainsi, des sites comme Youtube,
Bolt.com10, les éditeurs des logiciels comme Kazaa, LimeWire ou Bearshare sont hardiment
poursuivis.11
Pourtant les résultats de cette stratégie ne sont pas probants. Il ne s’agit pas de remettre
en cause la légitimité de ces attaques, mais force est de constater qu’après plusieurs années de
lutte contre le piratage, les maisons de disques ont plutôt réussies une contre-performance.
D’une part, les condamnations des internautes ne dissuadent pas vraiment les pirates puisque
les ventes de CDs continuent de dégringoler. Ensuite, dès qu’un site pirate est fermé, ce sont
plusieurs clones qui fleurissent sur le net. Un site comme The Pirate Bay se paye le luxe de
narguer les maisons de disques en profitant de sa localisation en Suède où les lois sont très
souples. Quant aux logiciels de peer-to-peer, les développeurs auront toujours un temps
d’avance sur leurs poursuivants. De même qu’il est illusoire de supprimer tous les virus
informatiques, les moyens de pirater la musique ne disparaîtront pas.
Pire que cela, ces poursuites ont eu un impact très négatif sur l’image de marque des
majors ! Pour beaucoup d’internautes, le piratage est presque devenu un acte militant face à
des maisons de disques qu’ils considèrent comme des multinationales hyper rentables
uniquement à l’affût d’un argent malhonnêtement gagné.
Extraits de forums webs :
9
Journal du net, brêve du 29 novembre 2005 : http://www.journaldunet.com/0511/051129brefrance.shtml
Journal du net, Bolt.com dédommage Universal Music : http://www.journaldunet.com/breve/lenet/10070/droit-d-auteurs-bolt-com-dedommage-universal-music.shtml
11
Journal du net, Après Kazaa et Bearshare, LimeWire est épinglé par la RIAA :
http://www.journaldunet.com/dossiers/musiconline/index.shtml
10
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
12/45
La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
« S’attaquer au système de peer to peer (P2P) c’est s’attaquer au symptôme en oubliant
l’origine de la maladie : la cupidité des majors et la pauvreté de la création musicale
disponible! Productions de déchets, qui amène au téléchargement de mp3. Je précise aussi que
le P2P permet de télécharger des logiciels et fichiers libres de droits, donc aucun piratage dans
ce cas. Mais aussi des artistes non réédités, car pas assez rentable pour les majors. Le P2P est
le contre pouvoir du consommateur. »
« Voila à quoi servent les maisons de disques, à faire des procès aux logiciels de P2P,
et aux utilisateurs. Voila bien long temps que la musique ne les concerne plus, ce qui compte
maintenant c'est d'être réactionnaire au maximum, afin de récolter le maximum de blé (OGM
si possible) »12
« J'ai largement payé les maisons de disques pour la musique que j'ai téléchargée, et
même largement trop d'après mes calculs. »
« Je préfère filer 100 à the pirate bay que 1 aux maisons de disques sans aucune
hésitation ! »13
Certes, il est possible de créditer ces internautes comme des pirates de mauvaise foi,
mais ce genre de propos est tellement généralisé que les majors doivent se préoccuper de leur
image. Si les noms Universal ou Sony riment aujourd’hui avec « cupidité », « déchets »,
« pauvreté musicale », on peut aisément craindre que remonter la pente va être très difficile et
qu’elles se sont coupées d’une partie de leurs clients potentiels.
1.4.2 Les DRM : dans la continuité d’une logique produit ?
L’autre tentation des maisons de disques est donc de vouloir contrôler la diffusion de
fichiers musicaux de la même façon que celle des CDs. Les morceaux de musiques des majors
qui sont disponibles en téléchargement légal comme sur iTunes sont soumis à des DRM
(Digital Rights Management). Le raisonnement est très simple, il s’agit de vendre le mp3
comme un produit matériel. À travers l’acte d’achat, le client devient propriétaire d’un droit
sur le fichier, mais il n’a pas le droit de le copier pour le diffuser, ou alors il est limité à
quelques copies privées, « un nombre raisonnable ».
Cette logique est-elle bien adaptée aux nouvelles formes de consommation ? En
général, les DRM sont très mal vécus par les consommateurs. Pour l’internaute qui a
l’alternative du téléchargement illégal, la pilule est difficile à avaler. D’un côté, il peut obtenir
gratuitement un mp3 qu’il pourra utiliser comme bon lui semble, alors que de l’autre il doit
payer pour obtenir un fichier bridé, qui l’empêche d’écouter sa musique comme bon lui
semble : manque d’interopérabilité, impossibilité de copier la musique sur des supports pour
une écoute en voiture, obligation de rentrer des codes…etc.
Les DRM sont souvent pointées du doigt comme un frein au développement de la vente
de fichiers numériques via Internet. Le 6 février dernier, dans une lettre ouverte aux majors,
Steve Jobs, président directeur général d’Apple, les incitent à le laisser commercialiser les
12
13
Faceface.fr
Clubic.com
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
13/45
La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
morceaux de leur catalogue sans DRM14 : ceux-ci sont facilement contournables (on sait
qu’un hacker, DVD Jon a proposé une méthode pour acheté des musiques sur l’iTunes Music
Store en brisant les DRM), que la mise à jour de l’efficacité des DRM demande des efforts de
coordination insurmontable dans le cadre d’une hypothétique interopérabilité, que de toute
façon 97% du contenu des iPods est constitué de musique non protégé…etc.
Quelques observateurs n’auront pas manqué de signaler que le catalogue
d’indépendants sur l’iTunes Music Store pourrait déjà être vendus sans DRM15 et que le
principal bénéficiaire des ces mesures de protection est bien Apple16.
François Moreau, Marc Bourreau et Michel Gensollen17 vont encore plus loin :
"Chaque bien réel est unique et ne peut être consommé qu’une fois. Les économistes parlent
dans ce cas de “bien rival”. Mais les fichiers, une fois que les ménages se sont légalement
équipés des moyens de duplication, deviennent des biens non-rivaux ; la consommation d’un
fichier par un consommateur ne s’oppose nullement à l’utilisation de sa copie par quelqu’un
d’autre. Tout au contraire, ceux qui entravent cette copie font acte de sabotage : ils tentent de
s’opposer au progrès technique pour conserver une rente qui n’a plus de justification
économique.
Dans la mesure où les fichiers numériques constituent des biens collectifs, il convient de fixer
le prix unitaire au niveau du coût marginal, qui est nul : c’est ce qui assure la consommation
la plus large et une situation optimale (dite “de premier rang” par les économistes)."
Autrement dit : non seulement il est difficile, pour le même "produit" (un fichier
numérique), de concurrencer sa propre gratuité, mais le paiement d'un tel bien n'a guère de
sens économique. Il convient de pondérer ce propos puisque qu’à ce compte, dans l’économie
numérique, tout (musique, vidéos, logiciels, images, etc.) devrait être alors gratuit et la
propriété intellectuelle n’aurait plus de sens.
1.4.3 Tentatives de réconciliation des majors avec Internet
Depuis quelque temps, on assiste de la part des majors à une vraie prise de conscience
de la place qu’Internet va désormais occuper dans le paysage de l’industrie musicale, et
chacune essaie de se placer en multipliant des accords avec les nouveaux acteurs de cette
révolution. Néanmoins, elles se cherchent et adoptent des stratégies propres, et pas toujours
très claires.
La mesure la plus spectaculaire concerne l’accord entre EMI et Apple. Le 30 mai
2007, Apple annonçait sur son site la mise à disposition d’une offre iTunes Plus, des
morceaux avec un encodage de meilleure qualité et surtout, exempt de DRM, mais pour un
prix 0,30 supérieur pour les singles, et 3 pour les albums.18 Le groupe EMI s’est déclaré
14
Steve Jobs, Thoughts on Music, 6 février 2007: http://www.apple.com/fr/hotnews/thoughtsonmusic/
Defective by Design, an Open Letter to Stece Jobs :
http://defectivebydesign.com/actions/open_letter/steve_jobs
16
Journal du net, le marché du DRM bénéficie surtout à Apple, Borey Sok :
http://www.journaldunet.com/itws/it-sok.shtml
17
Quel avenir pour la distribution numérique des oeuvres culturelles ?", Internet Actu, 2006 :
http://www.internetactu.net/?p=6401
18
Apple.fr, Apple lance iTunes Plus : http://www.apple.com/befr/pr/press/2007/05/30_iTunesPlus.html
15
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
satisfait des ventes de musique sans DRM qui ont dopé la vente de certains albums. Les autres
plates-formes ont suivi le mouvement.19
Peu après, Universal a annoncé qu’elle abandonnait son accord à long terme avec
Apple. Est-ce un signe que la major ne suivra pas l’exemple de sa concurrente ? De son côté,
Universal a signé des accords avec Daily Motion, SpiralFrog, eMusic, Rhapsody, tandis que
Warner signait avec YouTube, Sony-BMG avec Last.fm…etc
Puisqu’elles n’ont pas réussi par elles-mêmes à trouver des solutions pérennes sur
Internet, et qu’elles ont également peur de la concurrence des nouveaux acteurs du web, les
majors sont parties dans une course folle à la passation d’accords. Mais ces tentatives restent
parfois frileuses, à l’instar de l’accord Universal – eMusic dans lequel le premier ne mettait
que 1000 albums du catalogue UMG à la disposition du second et pour la plupart des albums
déjà commercialement amortis. Ou alors elles ont pour objectif de calmer les velléités, c’est le
cas des accords avec les diffuseurs de contenues vidéos (YouTube, DailyMotion) afin de
récupérer une partie des recettes publicitaires et de freiner la pluie de procès possibles.
19
Clubic.com, la musique sans DRM se vend bien : http://www.clubic.com/actualite-75505-emi-musique-drmvend.html
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
2 Les nouveaux modes de consommation de la musique
2.1 Le marketing classique démodé
Il s’agit ici de comprendre pourquoi le modèle « CD » ne correspond plus aux besoins
des clients, et comment les nouveaux modes de consommation déstabilisent le marketing mix
des maisons de disques.
2.1.1 Le produit
Alors que le contenu (la musique) était intrinsèquement attaché à son contenant qu’il
soit vieux comme le vinyle ou récent comme le SACD, l’ordinateur et les nouveaux formats
numériques (wma, ogg, flac, aac, atrac…etc) dont le mp3 est devenu le symbole ont
bouleversé toutes les données du marché. Cela n’est pas sans conséquence sur les maisons de
disque dont les procédés marketing et le modèle économique ne pourront plus être en
adéquation avec cette nouvelle technologie.
Tout d’abord, le CD a déjà plus de 20 ans, et l’on peut concevoir qu’il arrive à la fin de
son cycle de vie. Jusqu’ici, le critère principal de l’évolution des supports était la qualité
audio. D’ailleurs, à l’apparition du CD, les maisons du disque ont profité d’un boom dû au
renouvellement des bibliothèques sonores des consommateurs, notamment de la part des
amateurs de musique classique, population très attachée à la qualité d’écoute. Même s’il reste
quelques amateurs acharnés de l’analogique et en particulier du disque vinyle, (et pour les
plus passionnés du 78 tours !) en général, le CD a été considéré comme un progrès.
En toute logique, tout le monde pensait que le remplaçant du CD serait un nouveau
support avec une qualité d’écoute encore meilleure. C’est ainsi que Sony et Philips
Electronics ont développé le Super Audio CD qui a une qualité sonore bien supérieure au CD,
ce format devant se battre contre le DVD audio qui a non seulement une meilleure qualité,
mais permet également de nouvelles possibilités musicales comme le mixage de la musique
en 5.1. Universal music, EMI et Warner Bros. Record et quelques labels comme AIX Records
ou DTS Entertainment continuent toujours de distribuer des albums sur ce support. Mais à
part quelques audiophiles qui ont la passion et les moyens de s’équiper, il faut se rendre à
l’évidence, ces tentatives sont des échecs commerciaux. Les majors ont tenté de communiquer
sur quelques sorties DVD Audio pour lancer une dynamique. Ce fut le cas en 2004 avec
l’album AERO (Anthology of Electronic Revisited Originals), dans lequel on peut entendre
des musiques de Jean Michel Jarre remixées en son surround 5.120, ou de même en 2003 avec
le remix en 5.1 de l’album Dark Side of the Moon des Pink Floyd. Dans les studios
d’enregistrement, l’idée a circulé : d’ici 5 ans, tous les disques seront mixés en 5.1. Quelques
années plus tard, les rayons DVD audio ou SACD des GSS comme la Fnac ne représentent
qu’une portion congrue de la surface des magasins.
En effet, les attentes des clients ont changé. Pour le consommateur lambda, il faut bien
avouer que la qualité du SACD, si elle est supérieure sur papier est difficile à attendre. Quant
à la musique en 5.1, il est hasardeux d’en profiter s’en avoir les moyens de s’équiper d’un
grand salon et d’un lourd équipement Hifi.
20
RFI Musique, biographie de Jean Michel Jarre :
http://www.rfimusique.com/siteFr/biographie/biographie_8816.asp
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Aujourd’hui, c’est donc le mp3 qui a remporté la bataille, bien que de l’avis des
professionnels la qualité sonore soit bien inférieure à celle du CD (ou du mini-disque). Le
désarroi est grand pour certains musiciens : « Quand je pense que j'essaie d'avoir le meilleur
son pour les auditeurs et que je vois écouter ça sur des PC portables avec deux petites
enceintes pourries, ça me rend dingue »*. La qualité n’est donc plus le critère dominant pour
le consommateur dont le son du mp3 est largement suffisant.
Désormais, et notamment chez les jeunes consommateurs, les ordinateurs et lecteurs
mp3 sont rois. Il n’a jamais été aussi facile de gérer sa bibliothèque audio, de créer ses propres
playlists, de les emmener partout dans un petit appareil, léger et efficace. Les nouveaux
formats de musique permettent une plus grande souplesse dans les supports. Fini les vinyles
encombrants et le lecteur platine volumineux. Le nouveau consommateur écoute sa musique
via des appareils portatifs qu’il branche sur sa mini-chaîne. La miniaturisation est passée par
là et les formats ont suivi la tendance. Le mp3 incarne cette dématérialisation, qui elle-même
induit une modification comportementale du rapport qu’a l’utilisateur avec le produit musical.
En plus de la perte de qualité, le désarroi est également grand pour les labels et maisons
de disques puisque la numérisation de la musique a mis à nu le produit : disparition du boîtier,
du livret, du travail sur le artbook… Il ne reste plus qu’au produit un nom.mp3 et quelques
tags. Comment travailler son marketing sur un produit si pauvre en image ? Cela peut
d’ailleurs expliquer le faible investissement des maisons de disque dans le développement et
la promotion d’un album en ligne.
Le CD est-il pour autant voué à disparaître ? On le voit, le vinyle résiste bien aux
innovations technologiques par sa nature même, par le son qu’il délivre et par les nouveaux
usages que l’on en fait. Il existe même de sites Internet où l’on échange encore des 78 tours21.
Quoiqu’il arrive, le CD va encore continuer de vivre un certain temps. Même si les attentes
des consommateurs changent, cette évolution amorcée chez les jeunes n’a pas encore atteint
toutes les tranches d’âge.
2.1.2 Le prix
Face à ce dépouillement du mp3 comparé au CD, le prix de ce dernier s’est retrouvé
dévalorisé. Le prix des nouveaux CD apparaît clairement trop cher avec une fourchette
oscillant entre 15 et 20. En téléchargement, à 0,99 le titre, la musique coûte moins chère
qu’un CD. Alors pourquoi payer pour un livret et un boîtier ? Pourtant, le pressage du CD et
son packaging ne représentent pas plus de 10% du coût d’un CD22. Quoi qu’il en soit, l’image
du CD s’est beaucoup dévalorisée tandis que son prix a été maintenu.
Entre 2000 et 2002, alors que le haut-débit n’avait pas encore fait sa percée en France,
la stratégie des maisons de disque portée sur l’évolution du prix du disque a alors porté ses
fruits. En effet, après la stabilité des années 1999 et 2000, la hausse du marché constatée en
2001 (+ 7%) perdure en 2002 à un rythme encore plus soutenu (+ 10.6%)23. C’est l’apparition
du CD « discount », ou les maisons de disques ont réussi à casser la chaîne de valeur en
exploitant les fonds de catalogue, se défaisant ainsi des coûts d’enregistrement.
21
http://www.78tours.com/
Hervé Rony, directeur général du SNEP sur Faceface.fr : http://www.faceface.fr/phpBB2/viewtopic.php?t=221
23
Disque en France.com : Les ventes de disque en France :
http://www.disqueenfrance.com/actu/ventes/commentaire2002_3.asp
22
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Le CD « low cost » quant à lui a été introduit tout d’abord par Universal, son objectif
était de lutter contre la baisse de ventes en volume. Il s’agit en fait d’un nouveau système à
trois niveaux de prix et de conditionnement :
-
La version Deluxe, réservée aux sorties d’albums d’artistes connus dont le
prix avoisine 19,99.
La version Standard qui bénéficie d’un prix à 14,99
La version Basic, destinée aux albums de back-catalog au prix de 9,99 .
Ainsi Universal améliore sa capacité à s’adapter au budget des consommateurs et
couvre tout le marché.
Mais cette stratégie qui semble favoriser les artistes installés est peu propice à la
découverte de nouveaux talents. En outre, à long terme, cette stratégie se mord la queue. En
effet, les consommateurs qui ont eu le temps de comprendre le cycle des prix ont tendance à
anticiper les promotions et le passage en midprice. Quant au niveau général des prix du CD,
on se renvoie la balle entre les maisons de disque et les GSS. Ainsi l’ancien directeur du
secteur disque de la Fnac Rodolphe Bauet accuse les éditeurs d’être seuls responsables de
l’augmentation du prix des CD. Pourtant des Fnacs ont pratiqué des « prix verts » à hauteur de
20 sur des nouveautés.
Bien que les rayons de CDs à prix déclassés aient fleuris, ces prix, relativement bas sont
souvent réservés aux catalogues d’invendus tandis que les nouveautés restent chères. Et la
situation ne risque pas de changer. En effet chez Warner, on n’est pas prêt à baisser les tarifs
des CDs tant que les ventes n’auront pas redécollées*.
2.1.3 La place
Avec le mp3, il n’est plus question de parler de questions de distribution, de place en
magasin, de têtes de gondoles, d’opérations spéciales en magasins, de segmentation par
circuits de distribution (disquaire, GSS, hypermarché). À ce titre, alors qu’une bonne partie
des effectifs des majors (principaux distributeurs, notamment des labels indépendants) sont
constitués de commerciaux, l’utilité de cette force de vente est complètement remise en cause
par les nouvelles technologies, dont les plates-formes de téléchargement. On comprend dès
lors pourquoi les majors refusent de se convertir entièrement au tout Internet, ce qui
équivaudrait à éliminer une grande partie de leur savoir-faire et de leurs ressources humaines.
Pourtant, contrairement à l’idée reçue, les majors n’ont pas refusé tout de suite Internet,
et ont même tenté de mettre en place leurs propres plates-formes de téléchargement. Cela a
commencé avec Universal France qui a créé son propre site de téléchargement en novembre
2001. L’exemple a été suivi ensuite avec l’apparition de Virgin Méga en avril 2002, Sony
Connect en mai 2004. Pourtant, sur ce marché, les majors se sont fait damées le pion par des
concurrents, a priori non issu de la sphère musicale. Virgin Mega est la seule à apparaître dans
le top 4 plates-formes de téléchargement qui vendent le mieux. Or nous remarquons que son
succès s’est réalisé en se conformant au modèle d’iTunes. Son catalogue est constitué de titres
des 4 majors, d’indépendants (Naïve, Wagram, etc.) et d’artistes autoproduits, les singles
coûtent 0,99 et les albums 9,99.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Top 4 des plates-formes de téléchargement musical en France
Plate-forme
Actionnaire
sites
E-compil
Universal
ecompil.fr
Fnac Music
Fnac
fnacmusic.com
Chiffres-clés
Article JDN
300.000 titres au catalogue, 60.000 titres
vendus par mois, 450.000 visiteurs
uniques par mois*.
Lire
NC
Lire
iTunes
Apple
apple.com/itunes/store
1,5 million de titres au catalogue, 500
millions de titres vendus dans le monde,
50 millions en Europe**.
Virgin Mega
Virgin
Stores,
Lagardère
Active
virginmega.fr
700.000 titres au catalogue, 400.000
titres vendus par mois, 1,2 million de
visiteurs uniques par mois***.
Lire
Lire
* 4ème trimestre 2004 - ** juin/juillet 2005 - *** août 2005
Sources : Journal du Net avec les éditeurs, 2005
À cela, nous pouvons ajouter un défaut inhérent aux plates-formes de téléchargement
des maisons de disques : l’aspect restreint de leur catalogue. En effet, il est difficile pour elles
de négocier la cession d’une licence à leurs concurrentes directes, ce dont ont pu s’affranchir
Apple ou eMusic.
Ensuite, les majors n’ont pas forcément le savoir-faire nécessaire pour réaliser des
plates-formes de téléchargement. Savoir vendre du disque permet-il de savoir réaliser un site
de vente efficace ? Dans le cas de l’iTunes Music Store, Apple a développé un logiciel
plébiscité pour son ergonomie. Sony a tenté de reproduire le succès d’Apple avec son propre
logiciel (SonicStage) et sa propre plate-forme (Sony Connect). A l’heure qu’il est, Sony
Connect a fermé. « Sony Connect n'a jamais vraiment connu le succès, son promoteur ayant
tout fait pour le rendre impopulaire et inutilisable face à iTunes, le leader du secteur.
S'appuyant sur un logiciel lourd et franchement peu convivial, le magasin Sony Connect
dispose qui plus est d'un catalogue particulièrement restreint et pratique des prix plus élevés
que la concurrence. En outre, il utilise un format propriétaire bourré de DRM qui complique
la vie des utilisateurs légitimes tandis que le système FairPlay d'Apple est pour le coup,
beaucoup plus... fair play ! »24
Outre les problèmes de catalogue et de savoir-faire pour s’imposer face à la
concurrence, les majors se sont heurtées à un autre écueil. Avec les prix imposés par Apple
les plates-formes de téléchargement ne sont pas rentables. Pour les maisons de disque, il est
donc plus facile d’imposer leur marge aux autres plates-formes qui auront de plus un meilleur
savoir-faire et leur laisser en subir le coût. “Nous sommes pris entre deux feux, admet un
professionnel du secteur. D'un côté les éditeurs veulent conserver leurs marges offline et de
l'autre, certains marchands cassent les prix en vendant sous le seuil psychologique du 1 euro.
Si ce métier devient un métier de volume, seuls les gros pourront s'en sortir et les
intermédiaires disparaîtront.”
24
Clubic.com, Sony Connect bientôt… déconnecté : http://www.clubic.com/actualite-75359-sony-connectdeconnecte.html
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Les maisons de disque ont donc tendance à considérer les plates-formes de
téléchargement comme un nouveau canal de distribution, et ils y appliquent une logique
simple : ils imposent leur marge, et c’est au distributeur de se débrouiller pour fixer son prix,
même si celui-ci n’est pas en adéquation avec la réalité du marché.
D’ailleurs, les majors font tout pour augmenter le prix imposé par Steve Jobs. Si elles
n’ont pas réussi à plier Apple à leurs exigences, elles ont réussi à réformer les prix de MSN
Music : Bien que la plus grande partie du catalogue disponible reste inchangée (0,99 par titre
et 9,99 par album), après le 7 mars 2006, certains titres « premium » (principalement
certaines nouveautés et avant-premières) vont passer à 1,19. De même, certains albums «
premium » vont passer à 11,99. En contrepartie, un nombre important d'albums (+ de 25
000) sera vendu au nouveau prix budget de 6,99.25
2.1.4 La promotion
Les maisons de disques ont mis un certain temps à appréhender le phénomène Internet,
et ont donc démarré assez lentement leur campagne de communication via ce nouveau moyen
de communication. Or Internet et ses forums est devenu l’endroit le plus important pour le fan
qui veut récupérer des informations sur son artiste préféré : rumeurs, nouvelles sorties…etc
Elles ont commencé par créer des sites dédiés à leurs artistes, sites qui devaient faire
office de vitrines. Les dépenses des maisons de disques restent limitées, les budgets
s’étendant de 50 000 à 75 000, dépendant de la qualité du site et de la rentabilité de l’artiste.
25
Communiqué de MSN Music
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Si la création d’un site coûte peu pour une exposition permanente, le nerf de la guerre reste la
génération de trafic qui peut vite coûter chère : emailing, bannières, renouvellement des
contenus du site, mises à jour. Or ces coûts sont ignorés par les maisons de disques. Alors
qu’elles pensent avoir pris le train des nouvelles technologies, elles se fourvoient en gardant
des réflexes orientés « produit ». En effet, Internet est utilisée comme une vitrine qui doit
promouvoir l’artiste et ces disques et uniquement provoquer l’acte d’achat du CD. Internet
n’est alors pas compris comme une nouvelle opportunité de business.
Internet est intégré dans le plan promotionnel comme un nouveau média mais n’a pas
d’implication en termes de business model. Sur la promotion d’un disque en 2005, Internet ne
représente que 5,6% du budget.
Voici un petit récapitulatif de la différence entre les 4P classiques et les nouveaux 4P
engendrés par les NTIC26.
Les 4P classiques
Produit
Prix
Promotion
Place
Qualité
Tarifs
Publicité
Canaux de distribution
Caractéristiques
Remises
Promotions des ventes
Détaillants
Style
Rabais
Relations publiques/presse
Entrpôts et stockage
Marque
Ristourne
Force de vente
Mode de livraisons
Conditionnement
Conditions de paiement
Sponsoring…
Technique de vente…
Taille…
Crédit accordé
Garanties…
Les 4P "virtuels"
Produit
Prix
Promotion
Format
Tarifs
Bannières
Place
Plates-formes de
téléchargement
Protection
Abonnement
Webzines
Réseaux peer-o-peer
Webradios
Podcast…
Compressions… Gratuité
Financement par la publicité… Blogs
Marketing viral
Réseaux
communautaires
2.2 Panorama de la consommation de musique
« Oui, mais la musique, et c'est ça le côté positif, n'a jamais autant intéressé les gens. Et ça,
c'est de la folie. »
Thierry Chassagne, président de Warner Music*
26
Borey Sok, Musique 2.0, Solutions pratiques pour nouveaux usages marketing, Révolutic, 2007, p27
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Examinons les répartitions des ventes de CD par canaux de distribution. Pour les
grandes surfaces alimentaires (GSA), les ventes de CD audio ont baissé de -29,9% en volume
et de -23,9% en valeur. Ce circuit voit sa part de marché reculer en volume de -7,2 points
contre -5,2 points en valeur. Pour les grandes surfaces spécialisées (GSS), la baisse des ventes
est relativement faible au regard de celle constatée pour les GSA, soit -5,3% en volume et 5,9% en valeur. Leur part de marché s’accroît de +5,6 points en volume et de +3,9 points en
valeur.
Notons la bonne santé du canal Internet pour la vente de support physique CD audio,
dont les ventes augmentent de +14,9% en volume et de +13% en valeur.
On constate alors que c’est le client/consommateur qui fréquente les GSA qui voit sa
consommation décroître de manière significative en 2006. On peut penser que le client de
grande surface spécialisée apporte beaucoup plus d’importance à la qualité du produit et a un
rapport plus spécifique au support physique que son homologue arpentant les allées des
grandes surfaces alimentaires. Il faut donc être très précis quand on parle de régression du
marché du CD et bien identifier quels sont les consommateurs types concernés.
Les maisons de disques ont d’ailleurs développé des produits destinés aux très jeunes
et aux seniors, populations qui ne téléchargent pas. Thierry Chassagne explique dans une
interview donnée dans le Point27 « on sait que les seniors téléchargent moins que les 15/-40
ans, dit-il, et qu’il y a un marché émergeant sur les 6-12 ans, qui ne téléchargent pas non
plus. La stratégie d’entreprise d’Up Music est donc claire : on tape sur les 6-12 ans, car c’est
un marché single fort, et sur le marché des seniors » Une stratégie efficace à en juger les
ventes du label Up Music qui atteint trois fois la place de numéro dans le classement de
singles, et a réussi à vendre 300 000 exemplaires de l’album de Franck Michael dont le public
27
« Quand le disque ne tourne pas rond », Le Point n°1624
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
est composé à 80% de femmes de plus de 60 ans. De même, parmi les sept meilleures ventes
de singles en 2005 en France on trouve selon l’Ifop cinq titres destinés au moins de 15 ans.
Concernant le piratage, d’après une étude de TNS-Sofres, 17 % des Français auraient
téléchargé de la musique au cours des 12 derniers mois, 14 % l'auraient fait gratuitement, 5 %
seulement des Français seraient passés par des plates-formes payantes, tandis que 2 %
cumulent téléchargements payant et gratuit.
Le marché le plus important reste celui des 15-25 ans. Selon une enquête TNS Sofres,
écouter de la musique est la deuxième activité à laquelle ils consacrent le plus de temps. Cette
cible est donc primordiale pour deux raisons. D’abord, c’est un marché énorme. Ensuite, la
façon dont ils vont consommer la musique aujourd’hui va conditionner leur consommation et
celle des générations futures. Or une étude de Médiamétrie28 montre que cette génération est
celle qui télécharge le plus illégalement:
Classe d'âge
se sont déjà
connectés à
Internet
Internautes
réguliers
ont téléchargé
de la musique
ont téléchargé
de la vidéo
11-12 ans
64%
76%
24%
19%
13-14 ans
81%
84%
35%
28%
15-16 ans
92%
89%
31%
31%
17-19 ans
96%
84%
45%
34%
ensemble 11-19
85%
84%
37%
29%
Les plus jeunes sont davantage adeptes du peer-to-peer (34 % des 18-24 ans ont
téléchargé gratuitement au cours des 12 derniers mois), puis la proportion décroît avec l'âge.
Au-delà des chiffres, c’est la qualité de la consommation de musique qui est en jeu.
Tout internaute disposant d’une bonne connexion Internet peut désormais acquérir n’importe
quel titre (ou presque) en quelques minutes, la musique est devenue un objet de désir impulsif
et immédiat chez certains consommateurs. Si par certains aspects cette facilité d’accès peut
présenter des avantages pour l’industrie de la musique, elle implique également une
vulgarisation de l’acte de consommation qui dégrade l’image de l’œuvre produite par l’artiste.
En effet, par un effet boule-de-neige, l’internaute a tendance à abuser de son privilège et à
surconsommer, ce qui a pour conséquence une boulimie musicale qui impacte négativement
sa consommation ultérieure en matière de musique.
Le consommateur n’a plus le temps de profiter : 85 % des jeunes n’écoutent plus
d’albums en entier mais seulement titre par titre. Cette musique instantanée, jetable, perd sa
valeur à leurs yeux, ils n’hésitent plus à télécharger illégalement car ils se perdent dans un
processus de consommation mal jalonné qui propose une offre surabondante en comparaison
de la demande effective. C’est tout le modèle économique de base qui est balayé par les
nouvelles technologies et l’avènement de l’Internet haut débit : la valeur n’est plus créée par
la rareté, l’offre déferle sur le net sans aucune restriction hormis le prix, les limites sont
bouleversées et c’est tout le système qui est affecté.
28
Médiamétrie : « baromètre jeunes – 5e vague », décembre 2002
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Voici les chiffres de l’achat de musique en multicanal aux Etats-Unis en mai 2007 :
Il en découle une tendance globale : le format même de l’album est remis en cause.
Exit les Best-of et autres compils de l’été, les albums dépassent maintenant rarement la
douzaine de titres. L’acheteur est sevré et cherche un produit facile à consommer, rapide à
écouter.
Parallèlement, l’un des phénomènes que constatent les GSS est un report du pouvoir
d’achat vers d’autres biens culturels comme les jeux vidéos, ou les DVDs. Guy Messina à la
Fnac constate, « le consommateur aujourd'hui dans les magasins ne demande pas que du
disque. Il demande du jeu vidéo, tout ce qui est produit de haute technologie, de la vidéo. »*
Mécaniquement, la surface des rayons CD diminue au profit de ses nouveaux concurrents
culturels.
Si le peer-to-peer a rendu la musique gratuite, faut-il pourtant en conclure que les
internautes ne dépenseront plus d’argent pour la musique ? Une étude menée à travers les sites
web d’une douzaine de radios rock et publiée en août 2006 par SBR Creative Media29 tente de
savoir si la gratuité de la musique empêche tout acte d’achat. Son but est de comprendre
l’impact des nouveaux médias numériques (streaming, MP3, téléchargement,etc.) sur
l’industrie de la radio et du disque. On y apprend que :
depuis deux ans, le nombre d’auditeurs qui font d’autres choix d’écoute que
celui de la bande FM croît,
ils sont 48% à posséder un baladeur mp3, contre 18% il y a deux ans,
les propriétaires de baladeur mp3 et les téléchargeurs (33%) passent beaucoup
moins de temps à écouter de la musique sur les radios FM que le total
il y a plus de lieux où acheter de la musique
de ceux qui ont déjà acheté de la musique en ligne (plus de 43%), un tiers
achète désormais plus de musique qu’avant grâce au téléchargement payant,
29
John Bradley & Dave Rahn, « how triple a listeners buy and hear music », août 2006, SBR Creative Media
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
-
-
l’achat de CDs en tant que premier moyen d’acheter de la musique a diminué
mais plus de la moitié des personnes interrogées achète au moins un CD ou
plus par mois,
plus de deux tiers du panel est allé voir un concert au cours du mois qui a
précédé l’enquête,
le public de plus de 50 ans qui écoute de la musique en ligne augmente.
Il semble donc que l’accès à la musique gratuite n’empêche pas l’acte d’achat.
Néanmoins, il agit très certainement sur le nombre et la fréquence des achats.
2.3 Nouvelles pratiques
Désormais, la musique est omniprésente, désacralisée, elle se consomme à outrance au
gré du hasard. L’exemple de cette tendance est incarné par le succès des Radio Blogs qui
proposent une alternative à l’achat de musique et démontrent parfaitement comment le
consommateur parvient à se substituer à l’acte d’achat. Loin des radios conventionnelles qui
diffusent en ligne leurs programmes, les Radios Blogs représentent un nouveau moyen de
diffusion de musique sur le Net.
Leur principe est relativement simple : moyennant une inscription, en général gratuite,
l’internaute peut accéder à une « playlist » générée par un « radioblogeur », comme une «
sélection » de morceaux choisis. Dans ce cas, il n’y a pas de téléchargement de musique à
proprement parler, mais une diffusion « en ligne », ou podcasting. Le hic c’est la qualité du
son qui est altérée à cause de mode de diffusion qui suppose une compression extrême du
fichier à l’origine. On peut en conclure que le nouveau consommateur de musique ne se
soucie plus tant de la qualité de ce qu’il écoute que de la possibilité d’écouter n’importe quoi,
n’importe comment. Ceci explique aussi en partie le succès des sites tels que Myspace ou
YouTube qui regorgent de ressources accessibles directement selon le même mode de
diffusion, mais qui souffrent d’une qualité moindre que si elle était fournie sur support CD ou
DVD.
L’arrivée du haut débit a permis le développement d’une multitude d’outils
technologiques facilitant la diffusion des contenus musicaux. Les blogs sont par exemple
devenus une vitrine indispensable à tout nouvel artiste afin de créer du buzz autour de lui et de
son œuvre. C’est leur ergonomie qui les a rendus si populaires. Nikesh Arora, patron de
Google Europe, affirme qu’un tiers des bloggeurs européens est en France. Au-delà de cette
popularité, le blog se démarque vraiment de la promotion traditionnelle du fait qu’il est
indépendant. L’internaute s’exprime sans contraintes et donc sa faculté de juger n’est pas
soumise à une influence extérieure.
Le Podcast quant à lui est un excellent outil pour fidéliser les internautes. Contraction
d’iPod et de broadcast, c’est un moyen de diffusion sur Internet de fichiers audio ou vidéo le
plus souvent gratuits. En s’abonnant à un flux d’informations RSS ou Atom, ceci permet aux
internautes d’automatiser le téléchargement d’émissions audio ou vidéo sur tout ordinateur ou
baladeur numérique pour une écoute immédiate ou ultérieure. Ce flux permet également
d’être tenu au courant des éventuelles actualisations ou mises à disposition de nouveaux
contenus.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Aux Etats-Unis, le podcast commence à rencontrer un réel succès et à rentrer dans les
habitudes de consommation de contenus numériques. D’après une étude du cabinet Nielsen
NetRatings, 9.2 millions d’américains, soit 6.6% de la population internaute, auraient
téléchargé un podcast audio en juin 2006. Le profil de la cible correspond majoritairement à la
tranche d’âge 18-24 ans, suivie des 25-34 puis des 35-44 ans.
Face à cette évolution, les artistes pourraient bien profiter du podcast audio pour se
faire connaître et conquérir leurs premiers fans. Combiné avec des flux RSS ou autres, le
podcast audio pourrait bien accroître la qualité des liens entre l’artiste et le public. Une
relation qui pourrait, par la suite, entraîner un ou plusieurs actes d’achat…
2.4 Les portables
Plus qu’un formidable outil de communication, les portables ont été assimilés par les
nouvelles générations comme une véritable interface leur permettant à la fois d’échanger, de
communiquer, de télécharger, de voir, etc. L’évolution technologique est telle que l’industrie
musicale fait maintenant partie intégrale du monde de la téléphonie mobile. Si les fabricants
de téléphones tels que Nokia, Samsung ou Sony Ericsson approvisionnent le marché avec des
appareils désormais dotés de la fonction lecteur mp3, ce sont les opérateurs téléphoniques qui
ont un gros coup à jouer auprès d’une clientèle vaste et jeune qui désire plus que tout acquérir
dans l’instantané.
Créé en 2005, l’Observatoire Sociétal du téléphone mobile étudie chaque année les
usages, comportements, discours, valeurs et opinions qui sont associés au téléphone mobile.
L’édition 2006 de l’Observatoire a été réalisée auprès des 12 ans et plus. Cette entité a en
2006 érigé un rapport sur la téléphonie mobile mettant en avant le caractère singulier du
téléphone mobile au sein des objets communicants. Sa diffusion, rapide et massive, se
poursuit en 2006 :
-
77% des Français de plus de 15 ans utilisent en 2006 un téléphone mobile
personnel ou professionnel, pour 72% en 2005
-
50% des utilisateurs actuels n’avaient pas de téléphone mobile en 2000.
Il est présent dans toutes les catégories sociales, contrairement aux autres objets
communicants qui sont des marqueurs sociaux :
-
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
80% des ouvriers, 83% des employés et 86% des cadres ont un téléphone
mobile personnel.
72% des ouvriers, 74% des employés et 92% des cadres ont un téléphone fixe
38% des ouvriers, 54% des employés et 88% des cadres ont à leur domicile
un ordinateur connecté à Internet.
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Le téléphone mobile dessine trois générations originales dans la société française : les
12-24 ans, les 25-39 ans et les 40 ans et plus. La catégorie qui nous intéresse ici est celle des
12-24 ans : ils sont 44% à écouter de la musique avec leur téléphone portable.
D’une manière générale, les ventes mondiales de musique sur mobile explosent, avec
une croissance plus forte que sur Internet. Opérateurs, maisons de disques et fabricants de
téléphones fondent sur un marché qui pèserait 14 milliards de dollars en 2011, selon Juniper
Research.
Le 8 août dernier, le finlandais Nokia, numéro un des téléphones mobiles, rachetait
Loudeye, un grossiste de musique en ligne qui alimente plusieurs dizaines de sites de
téléchargement en Europe et aux États-Unis, avec un catalogue de quelques millions de titres.
Avec cette opération, d'un montant de 60 millions de dollars, Nokia se positionne
désormais comme un fabricant de hardware susceptible de concurrencer Apple, leader
mondial des baladeurs MP3 et de la musique en ligne, encore peu présent sur les mobiles.
Mais le géant finlandais entre surtout en concurrence frontale avec ses principaux
clients, les opérateurs. Pour la plupart, ils ont lancé leurs propres services de téléchargement
ou d'écoute interactive illimitée de musique, dont ils espèrent tirer des revenus conséquents
tant les perspectives économiques de la distribution numérique sont prometteuses.
En 2005, les ventes mondiales de musique sur les mobiles ont rapporté 500 millions de
dollars aux seules maisons de disques, selon un rapport récent de l'IFPI (International
Federation of Phonographic Industry). Soit près de la moitié des ventes de musique digitale
(1,1 milliard de dollars), alors que le marché américain n'était encore qu'embryonnaire.
Au Japon, où elles ont pesé 221 millions de dollars la même année, elles ont
représenté 96% des revenus tirés par l'industrie du disque des ventes numériques. En Corée du
Sud, pays qui compte 10 millions d'abonnés à la téléphonie 3G, les ventes sur les mobiles ont
été également supérieures en valeur aux ventes de musique sur Internet.
Une tendance qui se vérifie dans la plupart des pays émergents d'Asie, comme l'Inde
ou la Chine, où le taux de pénétration des téléphones mobiles progresse beaucoup plus
rapidement que celui des baladeurs MP3 et du haut débit. Selon Juniper Research, ce
continent générera 40% des revenus de la musique sur les mobiles à l'horizon 2011, contre
27% pour l'Europe et 18% pour les États-Unis.
En France, Musiwave, dont la plate-forme de téléchargement de musique alimente les
offres de nombreux opérateurs dans le monde, vient de s'associer à la maison de disques
Universal Music pour «pousser» les services sur abonnement en France. Racheté par
Openwave en septembre 2005, c'est le premier accord qu'il signe avec une major du disque
pour ce type de service au forfait sur les mobiles.
L'opérateur SFR est le premier à avoir lancé un « Pass Musique illimitée » à l'occasion
du dernier Midem en janvier, ainsi qu'un service de radio interactive, Radio DJ. Ces deux
services sont basés sur la plate-forme de Musiwave, ainsi que son offre de téléchargement full
track (titres entiers). SFR n'a pas encore communiqué sur son offre d'abonnement illimité
auprès de sa cible potentielle. Il y a 100.000 abonnés qui disposent d'un combiné compatible
dans le parc de SFR, et un quart d'entre eux a déjà téléchargé des titres entiers sur son mobile.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Même si SFR ne communique encore aucun chiffre sur le succès de ce Pass, son
chiffre enregistré sur le téléchargement global au dernier trimestre 2005 semble confirmer une
progression. « Nous enregistrons une moyenne de quatre téléchargements par utilisateur et par
mois sur notre plate-forme, indique Nicolas Pelletier chez Musiwave. C'est deux fois plus que
pour les sonneries hi-fi. Même si c'est deux fois plus cher que sur Internet, les consommateurs
sont prêts à payer. Si vous leur proposer une offre riche et diversifiée, ils ne se contenteront
pas de quatre titres. Nous sommes loin d'avoir saturé le marché.» affirme-t-il.
Le fait que le mobile favorise essentiellement l'achat impulsif n'interdit pas que se
développent par ailleurs d'autres formes de valeur ajoutée. Par exemple les playlists
initialement programmées par Musiwave génèrent beaucoup plus de profit que les playlists
natives des opérateurs, de l’ordre de cinq à six téléchargements par utilisateur et par mois.
Mais le risque d'essoufflement est réel. L'entrée des maisons de disques dans la chaîne
de valeur de la musique sur les mobiles, avec l'apparition des sonneries hi-fi et du
téléchargement à la carte, réduit significativement la marge des détaillants.
Certains opérateurs, qui ont joué la carte de la musique comme produit d'appel pour la
3G, commencent à se tourner vers des contenus plus juteux, comme les jeux vidéo. Un
meilleur partage des revenus est nécessaire et les maisons de disques, qui touchent 35% du
prix de vente TTC d'un titre ou d'une sonnerie en moyenne, devront peut-être revoir leurs
prétentions à la baisse.
À défaut, le mobile pourrait devenir, comme l'Internet, un nouveau paradis de la gratuité.
Il ne faut pas oublier que la première fonction des "musiphones" - dont l'environnement
s'ouvrira de plus en plus, notamment au Wi-Fi et au logiciel libre - est de lire des fichiers
MP3.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
3 Nouveaux acteurs, nouveaux modèles, nouvelles
compétences
« C'est le vrai problème de notre industrie. Aujourd'hui, il n'y a plus de gens qui soient
capables de vendre de la musique en conseillant les clients, en leur apportant, un service de
qualité. »
Thierry Chassagne, président de Warner Music*
Résumons brièvement ce que nous avons appris. Les NTIC ont bouleversé l’industrie
du disque. Le CD ne correspond plus aux attentes d’une majorité de consommateurs.
Pourtant, ces derniers n’ont jamais eu autant appétit de musique. Ils sont prêts à dépenser,
mais plus pour le produit en lui-même. Pour l’industrie de la musique, le défi est désormais de
monétiser leurs attentes : accès immédiat à la musique, exclusivités, relation intime avec
l’artiste, découverte, etc.
Les acteurs économiques de la musique ont donc l'obligation d'innover. Et ils le font,
même si c'est d'abord sous la pression de "nouveaux entrants". L'analyse de quelque 50
entreprises et de plus de 30 modèles économiques différents a ainsi permis d'identifier un
grand nombre d'initiatives innovantes, tant dans la création de valeur économique que dans la
monétisation (le recouvrement de cette valeur). La Fondation Internet Nouvelle Génération
les résume de la façon suivante :
Six sources innovantes de création de valeur économique :
Accroître la valeur économique d'un enregistrement, en le transformant en
une "expérience" personnelle, en multipliant ses formats et "créneaux"
d'exploitation,
Valoriser la relation avec les artistes, du "fan club" en ligne à la souscription,
du merchandising à la Star Ac, en passant par les "amis" artistes de MySpace
Développer la valeur économique des concerts par la publicité et le
sponsoring, la complémentarité avec le disque ou encore l'accès distant et/ou
différé
Valoriser la construction et l'enrichissement de son univers musical
personnel: vivre "sa" musique où l'on veut, quand on veut et comme on veut mais aussi partager ou étendre son univers musical
Proposer des services destinés à faciliter l'accès d'inconnus à des moyens de
production, de diffusion, d'échange avec des communautés d'amateurs, etc.
Développer l'usage de la musique comme "supplément de valeur" associé à
d'autres produits et services : marques, espaces, offres de services …
Trois sources innovantes de monétisation des contenus musicaux
Paiement direct par les consommateurs : achat (avec une infinie diversité de
modes de paiement), "location", abonnement, vente liée, souscription, don…
Paiement par des tiers : licences de diffusion publique, publicité, grands
portails, fabricants de baladeurs, fournisseurs d'accès…
Les systèmes de gestion numérique des droits (DRM) comme sources de
mesure et de collecte de valeur, plutôt que de "protection" contre le
consommateur.
Le rapport de la FING souligne 3 possibilités pour créer de la valeur et construire l’économie
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
de la musique du futur.
• L'économie des flux, qui consiste à passer d'une économie fondée sur des prix unitaires et
des quantités faibles, à des volumes élevés et des prix unitaires faibles – voire nonmesurables, le consommateur ne payant alors qu'un droit d'accès aux flux.
• L'économie des services, qui retrouve le chemin de la rareté, de la singularité et de
l'exclusivité dans l'expérience musicale, la relation avec une oeuvre ou un artiste.
• L'économie de l'attention, l'intermédiation entre une "offre" surabondante, diverse,
mondiale et une demande de plus en plus individualisée et mobile.
Nous ajouterons à ces trois pistes pour créer de la valeur l’association de la musique
avec les produits.
3.1 Association de la musique et des produits
Comme nous l’avons vu précédemment, les plates-formes de téléchargement sont
aujourd’hui difficilement rentables. Cela est dû aux prix standards imposés par Apple. Chez
Apple, on ne communique ni sur la rentabilité de la plate-forme musicale, ni sur son business
model. Le sujet est tabou. Lors d'une présentation des résultats de la société en novembre
2004, Steve Jobs admettait pourtant, en parlant d'iTunes, que "ce n'est pas avec ça que nous
gagnerons de l'argent". . Et d'ajouter, en pensant cette fois à la concurrence, "ils ne vendent
pas d'iPod, donc ils n'ont pas d'activité associée pour gagner de l'argent". L'enjeu pour Apple
n'est pas, il est vrai, le même que pour les autres services de téléchargement. La société mise
avant tout sur les ventes de son iPod, le seul baladeur numérique qui permet aux clients
d'iTunes Music Store d'écouter leurs fichiers musicaux téléchargés. Porté par le succès du site
de vente en ligne, Apple a annoncé en avril dernier avoir vendu 100 millions d’iPods depuis
leur lancement en 2001.
Depuis le lancement de l’iTunes Music Store, Apple a diversifié les contenus
disponibles. Au-delà du catalogue de 5 millions de titres, on trouve désormais des clips
vidéos, des films, des podcasts ou des livres audio. Au final, la musique est un contenu
comme un autre qui doit servir à remplir les iPods. L’iTunes Music Store est un service
proposé au consommateur pour rendre le produit plus compétitif. La musique n’est plus tant
considérée comme un produit à vendre que comme un service rendu à l’utilisateur de l’iPod.
Aujourd’hui, il y a un bras de fer entre les professionnels du software et de l’hardware,
et les maisons de disque. Les deux industries ont besoin l’une de l’autre. Les majors ont
besoin du débouché de la vente sur Internet, et les fabricants profitent de l’appétit musical des
consommateurs pour vendre leurs produits.
Les maisons de disques demeurent attachées aux produits physiques, mais elles ont vu
dans le succès des nouveaux supports numériques et des appareils de stockage, la possibilité
de créer une nouvelle source de revenus. L’idée étant de vendre de la musique ou de la vidéo
pré-chargée dans les baladeurs MP3, sur les clés USB ou dans les chaînes HIFI. On observe
en ce moment un intérêt des majors relatif aux contenus et aux supports.
Universal Music s’est positionné sur les baladeurs MP3 en partenariat avec le fabricant
Neo en proposant trois clés USB de 512Mos comprenant 20 titres des compilations Starfloor,
Hits 2006 et Teckno.com 2006. Ces clés ont été vendues 24,99 et 12 000 unités ont été mises
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
en places uniquement dans les hypermarchés Carrefour au rayon disques. Sony BMG de son
côté a également choisi de fournir ses contenus sur les clés USB et les lecteurs MP3, alors que
Warner Music se démarque davantage en mettant en place une chaîne HIFI où 300 à 400 titres
(back catalog et nouveautés) seront pré chargés. Ce produit devrait être lancé dans plusieurs
pays d’Europe.
Avant l’arrivée du peer-to-peer, la copie illégale de musique existait déjà. Les
législateurs ont eu alors l’idée d’imposer une taxe sur les supports vierges : cassette, CD,
mini-disque, disque dur… L’industrie qui vivait du piratage devant ainsi contribuer à la
production musicale. Aujourd’hui, l’idée peut s’appliquer également aux lecteurs mp3. Un
lecteur de 4 Go peut contenir jusqu’à 1000 titres, et il existe des lecteurs qui vont jusqu’à 80
Go, soit 20 000 titres. Personne n’est dupe, avec de telles capacités, il est quasi-impossible
pour un consommateur moyen d’avoir acheté légalement les morceaux qui remplissent son
lecteur. S’il existe effectivement une taxe sur les baladeurs qui utilisent des disques durs, cette
technologie est en train d’être remplacée par des mémoires flash, n’impliquant pas de taxes.
Comme l’industrie du hardware profite de la croissance de l’écoute de musique, il paraîtrait
juste que ces entreprises participent également à la production musicale.
Un accord entre Universal et Microsoft va dans ce soft puisque Microsoft reversera 1$
sur chaque Zune vendu. Cependant l’objectif de la firme n’est pas à but non lucratif. En effet,
le Zune a comme spécificité de pouvoir partager dans une certaine limite des morceaux entre
utilisateurs. Pour ne pas s’attirer les foudres des maisons de disque, Microsoft a donc pris les
devants.
3.2 Économie des flux
3.2.1 Abonnement forfaitaire
Dans cette formule, l’internaute s’abonne soit à des chaînes musicales personnalisées
(sur le web, les mobiles, les radios et télévisions par satellite...), soit même à des catalogues
écoutés à la demande. En général, l'abonné écoute la musique, mais il ne la conserve pas.
Dans certains cas, il la "loue", il peut la télécharger, mais si son abonnement s'achève, il ne
dispose plus des clés nécessaires à son écoute.
Avec ce type de formule, on ne vend plus la musique en tant que tel, mais l’on vend
son accès. La création de valeur pour le consommateur ne se fait pas tant sur l’accès lui-même
que sur les services qui y sont associés : on aidera l'abonné à découvrir des musiques à partir
de ce qu'il aime, à entrer en contact avec d'autres abonnés aux goûts similaires, à constituer
des communautés, etc.
a. L’abonnement : eMusic
Bien qu’iTunes soit le leader incontesté du marché de la musique en ligne, la plateforme a réussi à s’emparer de 11% de parts de marché sur les cinq premiers mois de l’année
2006 aux Etats-Unis. Cette plate-forme propose une base forfaitaire à ses clients. Sa grille
s’étale sur trois échelles :
30 titres pour 12,99 par mois
50 titres pour 16,99 par mois
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
75 titres pour 20,99 par mois
En moyenne, cela fait un prix au titre à 0,43, soit deux fois moins cher que les platesformes où l’on télécharge titre par titre. Comment est-ce rentable ? Selon une étude de « The
Leading Question »30, un utilisateur de peer-to-peer dépense en moyenne 8 par mois sur des
plates-formes de téléchargement légal, tandis que les autres internautes ne dépensent en
moyenne que 1,80 par mois. L’objectif d’eMusic est d’amener l’internaute à dépenser plus.
Il est plus intéressant qu’un internaute dépense plus de 12,99 chaque mois plutôt qu’à peine
8 sur des plates-formes à téléchargement unitaire.
De plus, eMusic a choisi de mettre à disposition des fichiers mp3 non protégés. Ils
sont donc compatibles avec tous les lecteurs mp3 du marché, sans restrictions. Pour parvenir à
garder cette offre, eMusic a volontairement décidé de ne pas traiter avec les majors mais de
favoriser les indépendants. Ce qui n’empêche pas d’avoir accès à des morceaux d’artistes
célèbres, puisque aujourd’hui, la réduction des investissements des majors aidant, beaucoup
de grands artistes émergent des indés.
Le PDG d’eMusic explique dans le USA today : « iTunes a vocation à vendre du
hardware (…) celle d’eMusic est de vendre de la musique. C’est comme un petit disquaire
indépendant face à Wal-Mart ». Son modèle se base également sur un service de qualité pour
ses clients, mais il prend le risque de se cantonner à un marché de niche.
b. La location de musique
Dans cette formule, l’internaute télécharge autant de fichiers qu’il le souhaite, mais ils
ont une protection. Il ne pourra les écouter que tant qu’il paiera son abonnement sans quoi les
titres seront bloqués par les DRM.
Le problème de cette formule est le manque d’interopérabilité car les appareils
électroniques utilisés pour la lecture des morceaux doit être compatible avec ce mode de
gestion des DRM.
Pour surmonter cette lacune, MusicMe a imaginé un modèle comparable à la
téléphonie, où c’est le baladeur qui prend la place du téléphone. Le prix du baladeur serait
diminué en fonction de la durée d’engagement pour l’abonnement.
3.2.2 La musique gratuite en ligne, promotion et rémunération ?
a. La licence globale
Puisque la gratuité du piratage a porté atteinte aux revenus des maisons de disques,
pourquoi ne pas vaincre le piratage par une gratuité légale ? Avant la promulgation de la loi
DADVSI, la licence globale a longtemps été discutée en France. C’est la forme la plus
extrême d’une économie de flux rémunérée par des tiers. Le principe en est très simple.
Puisque les gens utilisent leur connexion Internet pour télécharger, il suffirait que les
Fournisseurs d’Accès à Internet soient taxés, et qu’ils répercutent ce coût dans le prix de
30
www.theleadingquestion.com
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
l’abonnement. En payant cette taxe, les internautes auraient le droit de télécharger toute la
musique qu’ils veulent légalement. Cette idée est pertinente pour sa simplicité : l’internaute
ne se pose plus de questions sur ce qu’il peut faire ou pas sur Internet, consomme de la
musique à loisir et grâce à la taxe, l’industrie de la musique est assurée d’une rente et donc la
création musicale protégée.
Cependant cette apparente simplicité n’est pas sans poser des problèmes nombreux et
complexes. Tout d’abord, la licence globale légitime une perte de valeur de la musique.
Simplement ramenée à sa valeur marginale, presque égale à zéro, le consommateur risque de
confondre la valeur économique et la valeur artistique de la musique. La création artistique
serait banalisée, les efforts des artistes réduit à peu de chose.
Outre le problème de la valeur de la musique, il y aura aussi un problème d’efficacité
économique. La taxe peut-elle être suffisante pour rémunérer tous les acteurs de l’économie
de la musique ? Problème majeur, comment répartir cette manne entre tous les acteurs ? En
outre, l’internaute étant complètement libre de télécharger et copier comme il le souhaite et
sous aucun contrôle, comment savoir qui est téléchargé, écouté ? Comment répartir les
droits ?
Plébiscitée par un certain public du côté des consommateurs, cette idée a été très décriée
du côté des professionnels de la musique pour qui elle n’aurait pas résolue de problèmes, mais
en aurait plutôt créé.
b. Qtrax et SpiralFrog
EMI d’une part et par Universal d’autre part tentent de mettre en marche des modèles qui
se basent sur une gratuité pour le consommateur, rémunéré par des tiers, ici des annonceurs.
L’idée consiste à mettre sur une plate-forme une partie du catalogue à la disposition du public.
Cette offre crée du trafic vers le site qui génère ainsi d’importants revenus publicitaires. En
outre, ces plates-formes doivent détourner les téléchargeurs des réseaux peer-to-peer pour les
rediriger vers l’écoute de musique légale. Ce modèle a toujours été exploité avec la télé et la
radio. Les téléspectateurs ou les auditeurs n’ont jamais eu à payer pour écouter de la musique
à travers ces moyens de diffusion.
Afin de développer ce modèle sur le net, EMI a signé un accord avec LTDnetwork qui
développe le service Qtrax et Universal avec SpiralFrog. Sur Qtrax, le consommateur pourra
télécharger de la musique gratuite ou payante. La partie gratuite du site permettra aux
internautes de louer des titres musicaux. Ils pourront lire 5 fois le fichier a format .mpq avec
pour choix d’acheter ce titre définitivement ou de laisser le fichier disparaître du disque dur.
EMI partagera les revenus de la section gratuite financée par la publicité ou de la section
payante.
Grâce à ce modèle, EMI pourra gagner de l’argent là ou elle en perdait, pousser à l’achat
de musique numérique et favoriser la découverte musicale. Elle pourra étudier à loisir les
comportements des internautes qui choisiront de payer ou non, de d’abord lancer des artistes
avec une promotion limitée pour voir s’il se crée naturellement un buzz ou si cette artiste
nécessite plus d’investissement marketing.
Sur SpiralFrog, les fichiers seront téléchargés au format wma et protégés par des DRM.
EMI, Sony-BMG et Warner se sont également associés à SpiralFrog. Les internautes
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
bénéficieront d’une licence temporaire activée à chaque connexion à ce site. Celle-ci expirera
au bout de six mois. EMI a apporté une exclusivité en plus : les paroles des chansons. Une
clause qui permet à EMI de mettre en avant son catalogue.
c. La diffusion libre
Pendant longtemps, l’industrie musicale a été très divisée sur l’attitude à adopter avec les
sites de diffusion tels que YouTube, DailyMotion ou MySpace. L’une des tentations est
d’attaquer ces sites en justice car ils ne reversent aucun revenus aux ayants droits. L’autre
tentation est de signer des accords pour récupérer une partie des revenus publicitaires.
Actuellement, la tendance semble de menacer par la première option pour négocier la
seconde.
Bien que YouTube soit un diffuseur de vidéos, son public est très demandeur de musique.
D’après le Wall Street Journal, les mots clés les plus recherchés sur le moteur de YouTube
sont « dance, love, music, girl » . Warner a ainsi renforcé son partenariat avec YouTube, initié
il y a quelques semaines avec la diffusion de la première publicité sur ce site, pour le nouvel
album de Paris Hilton. Le 18 Septembre 2006, Warner Music et YouTube ont annoncé un
accord: la major autorise désormais la plate-forme à diffuser les clips de son catalogue en
échange d’un reversement sur la publicité générée. Désormais, la maison de disques va ellemême proposer aux utilisateurs de YouTube d'incorporer de la musique signée Warner dans
les vidéos qu'ils mettent en ligne.31
La major a ainsi réussi à négocier une avance qui correspond aux pertes liées aux
exploitations illégales passées. Cet accord que l’on pourrait appeler une licence légale de
streaming peut remplacer le manque à gagner des maisons de disque en source de revenus.
Par la suite, Universal et Sony-BMG ont signé un accord similaire avec YouTube, Warner et
Universal ont signé avec DailyMotion, Sony-BMG a signé avec Last.fm, etc.
Tout comme les clips diffusés à la télévision, les clips diffusés sur YouTube permettent de
faire la promotion des artistes, sans compter que sur la toile on peut profiter des effets de
viralité. En outre, grâce à ces accords, cette promotion est rémunérée, c’est une aubaine.
d. Viabilité
Cependant, ces accords suscitent de nombreux doutes. D’après Thierry Chassagne,
président de Warner Music, « Les essais de musique gratuite avec de la pub n’ont pas
marché. »*. Malheureusement, il ne précise pas sa pensée. Nous pouvons néanmoins
remarquer que malgré les effets d’annonce autour de SpiralFrog ou de Qtrax, ces projets n’ont
pas beaucoup avancés. Spiralfrog se fait désirer, en sortant tout juste sa version beta après des
mois d'attente, et Qtrax retarde son arrivée initialement prévue pour début 2007. Il faudra
attendre le mois d'octobre pour le voir en activité.
Qtrax promet l’accès gratuit à un catalogue de 20 à 30 millions de morceaux. Le site se
targue d'ailleurs de proposer un service qui "ne pourrait pas seulement être considéré comme
une menace pour l'iTunes d'Apple, qui contient seulement 5 millions de morceaux, mais aussi
31
Journal du Net : http://www.journaldunet.com/0609/060919-youtube.shtml
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
comme une meilleure proposition économique". Les labels gagneront-ils donc plus que les 61
centimes de rémunération d'iTunes ? En effet, ces modèles alléchants reposent entièrement
sur la masse des revenus publicitaires. Or la génération de revenus publicitaires est sous le feu
de 3 menaces.
Premièrement, les fichiers que l’on peut télécharger sur SpiralFrog ou Qtrax sont sujets à
des DRM, DRM qui sont un frein à la consommation de musique numérique. Aux Etats-Unis,
la RIAA avait réussie à convaincre les universités de payer pour les élèves afin qu’ils
téléchargent légalement de la musique. Les étudiants sont très friands des réseaux peer-topeer, d'après deux études, la moitié des étudiants américains téléchargeraient illégalement de
la musique et des films. En outre, alors que 16% de la musique d'un américain moyen
provient du peer-to-peer, ce taux monterait à 25% chez les étudiants. Cette mesure devait
donc endiguer cette situation et habituer les étudiants à utiliser des canaux légaux. Pourtant
bien que l’université payait leurs achats de musique légale, les échanges de musique en peerto-peer n’ont pas diminué. Les étudiants ont argué qu’ils préféraient manipuler des mp3
pirates plutôt que les fichiers en format bloqué avec des DRM. Il n’est donc pas certain que
les formules gratuites attirent les anciens pirates vers la légalité.
Deuxièmement, la maintenance des sites comme YouTube ou SpiralFrog engendre
d’importants frais. Plus l’audience est importante, plus il est nécessaire d’investir pour
sauvegarder sa bande passante. Un analyste américain, Fred Wilson, affirme que si le CPM
(coût pour 1000 contacts) de YouTube était de 15$ et qu’un clip publicitaire de 10 secondes
était inséré au début de chacune des 100 millions de vidéos, alors YouTube toucherait 150
millions de dollars nets par mois après avoir versé 280 millions de dollars aux ayants droit. En
revanche, selon Jason McCabe Calacanis, fondateur de Weblogs, un CPM de 15 dollars est
plus qu’illusoire. D’après lui, il s’élèverait plutôt à 3 dollars car le trafic n’est pas ciblé,
l’audience est dispersée, et les vidéos de mauvaise qualité. Avec ce nouveau CPM, le chiffre
d’affaire de YouTube ne serait que de 20 millions de dollars par mois, ce qui suffirait tout
juste à faire face aux dépenses liées à la bande passante, et ne permettant pas de rémunérer les
maisons de disques.
Troisièmement, les outils qui bloquent les bannières publicitaires et les pop-up se
multiplient. L’internaute est habitué désormais à profiter de YouTube, DailyMotion ou
d’autres encore sans publicité. Il est très probable qu’il existera des outils pour faire
disparaître la publicité des vidéos. C’est donc la source des revenus qui est mise en danger. Si
trop d’internautes bloquent les contenus publicitaires, les annonceurs ne risqueront pas
d’affluer.
Il reste aussi des doutes concernant la répartition des revenus. Si ceux-ci profitent au
major, il va y avoir un enjeu de taille autour du tracking pour savoir quel contenu a engendré
quel clic, puis les agréger pour rémunérer justement les artistes.
Enfin, les plates-formes de diffusion doivent faire face à la violation des copyrights. Les
internautes continuent de mettre continuellement en ligne des extraits de la télévision ou du
cinéma sans autorisation des ayants droits. À cet effet, MySpace a par exemple annoncé la
mise en place d’un filtre en partenariat avec GraceNote pour vérifier que les contenus
musicaux n’enfreignent pas les lois de la propriété intellectuelle.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Le modèle de rémunération basé sur la publicité en est donc à ses balbutiements, et
chaque acteur se jauge, et teste des solutions. Si de nombreuses incertitudes planent encore, il
n’y a pas de doute que ces modèles seront incontournables dans l’avenir, ne serait-ce que du
point de vue de la promotion des artistes.
Les dépenses publicitaires en ligne en Europe (e-mail marketing, liens promotionnels,
bannières) devraient être multipliées par plus de deux entre 2006 et 2012 selon Forrester
Research. En six ans, elles devraient passer de 7,5 milliards de dollars à 16 milliards de
dollars. Une croissance qui devrait s'accompagner d'une progression de la part de l'e-pub dans
les dépenses publicitaires totales : de 9 % en 2006, elles devraient atteindre 18 % en 2012.
L’industrie du disque devra être capable de tirer des ressources de cette croissance.
Dans les maisons de disques, il sera de plus en plus nécessaire de bien connaître Internet
et ses business model. CPM, CPC, taux de clic, génération de trafic, etc. Tous ces termes vont
devoir enrichir le vocabulaire du personnel.
3.2.3 Gestion des exploitations dérivées
Il s’agit des droits suivants :
Des droits de performance - radio, télévision, lieux publics, spectacle vivant,
internet, etc.,
Des droits de reproduction mécanique - payés par les producteurs sur le
nombre de disques "pressés",
Des droits de synchronisation (pub, films, émission audiovisuelles) ,
Et de diverses exploitations (sonneries, merchandising, édition de partitions,
etc.).
Cette activité existe naturellement depuis longtemps, mais il semble que plusieurs
acteurs considèrent que cette source de revenus devient de plus en plus déterminante dans
l'économie de la musique.
Cette exploitation permet à l’édition musicale de récupérer un certain manque à gagner.
Au plan mondial, Philippe Astor32 estime le poids de ce marché à 9 milliards de dollars (près
de 7 milliards d'euros) en 2005, en croissance presque constante depuis une dizaine d'années.
La baisse des droits issus du la vente de disques est en effet compensée par l'augmentation des
autres formes de valorisation des droits, qui traduit l'importance croissante que joue la
musique dans la vie quotidienne et dans de nombreuses activités économiques.
3.3 Économie des services
Au contraire de l’économie des flux, celle des services veut revenir à la rareté, jusqu’à
arriver à l’unicité. Ici, on fonde la valeur sur l’unicité de la relation entre le consommateur, et
une écoute, un artiste, un univers musical. L’expérience doit apparaître, unique, singulière,
non-reproductible. Certaines idées s’inspirent très nettement du marketing en mettant en avant
la co-production du consommateur.
32
Journaliste, auteur du blog "Digital jukebox", http://blogs.zdnet.fr/?cat=2
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Pour cela les labels redoublent de créativité afin de créer une relation unique entre le
consommateur et l’artiste mis en avant. Les fans se retrouvent alors subitement plongés au
cœur des nouvelles stratégies. En développant des stratégies marketing sur les mass médias,
les maisons de disques ont un peu délaissé les fans ou du moins peu innové afin de répondre à
leurs attentes. Or, l’arrivée des nouvelles technologies permet désormais de personnaliser les
messages en termes de communication mais aussi de diversifier l’offre afin de satisfaire des
demandes différentes. Avec la crise que cette industrie traverse, une partie de l’offre doit être
concentrée sur le cœur de cible : les fans.
Pour les satisfaire, on peut également améliorer qualitativement leurs relations avec
l’artiste. Les nouvelles technologies permettent de créer plus d’interactivité entre les fans et
l’artiste. Un artiste peut par exemple exploiter le peer-to-peer, mettre en ligne des contenus
exclusifs sur son site ou inclure des plus-produits sur les supports (DVD Bonus, etc…).
EMI est sans doute la major qui a le plus innové à ce niveau. La maison de disques a
de multiples positionnements, exploitant des contenus et des supports différents. Les bonus
vidéo et audio ne permettent pas de convaincre le consommateur d’acheter le CD, puisque ces
contenus peuvent être dématérialisés et téléchargés sur les réseaux peer-to-peer. Il s’agit de
développer l’univers de l’artiste sur papier afin de réconcilier les amateurs de musique avec le
support physique.
C’est pour cette raison qu’EMI a inventé le DigHit Book, un livre dans lequel le
groupe raconte son aventure musicale et se dévoile à travers un album photo, assorti de
commentaires et des paroles des chansons.
On parle aussi de « marketing participatif », pourquoi le consommateur n’achèterai-t-il
pas un album s’il avait lui-même contribué à sa réalisation ? Pour le dernier album de Janet
Jackson, Virgin, son label, a organisé un concours auprès de ses fans qui devaient réaliser
eux-mêmes la pochette. Une trentaine de photos, certaines récentes, d’autres remontant à
vingt ans étaient mises à disposition afin de servir de support. L’artiste a ensuite elle-même
choisi quatre pochettes, qui seront publiées et imprimées en séries limitées. Un autre exemple
est celui de Lilly Allen. Les internautes cette fois ont été invités à créer des smileys à l’image
de la chanteuse, insérés dans des emails notamment. C’est lorsque l’internaute a le choix qu’il
y a légitimité. Ainsi, quand un internaute participe volontairement à la construction de la
notoriété de l’artiste, il se sent plus proche du projet et donc est susceptible d’acheter l’album.
3.4 Ajustement de l’offre et de la demande
François Moreau, Marc Bourreau et Michel Gensollen, résument particulièrement bien
comment un tiers capable d’ajuster offre et demande peut être valorisable33:
« La valeur (au sens de la disposition à payer) d’un certain morceau de musique pour
un certain consommateur est loin d’être nulle mais désormais concentrée dans (1) ce qui
33
François Moreau, Marc Bourreau et Michel Gensollen, "Réponses aux commentaires sur l’avenir de la
distribution numérique des œuvres culturelles", Internet Actu, 2006 : http://www.internetactu.net/?p=6415
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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permet de trouver dans cet ensemble ce que l’on cherche (algorithmes de classement) ; (2) ce
qui permet de trouver ce qui pourrait plaire et qu’on ne connaît pas encore (algorithmes de
recherche des œuvres "proches" des goûts du consommateur) ; (3) ce qui permet de trouver
ce qu’on n’aime pas encore mais qui serait susceptible de plaire après une acculturation
convenable (algorithmes d’acculturation). Dans cette situation, la valeur est toute dans
l’élaboration et l’utilisation de la méta-information, c’est-à-dire des algorithmes de
traitement des contenus. En plus d’un droit forfaitaire d’accès à la richesse, le consommateur
pourrait rémunérer, directement ou indirectement, un guide qui lui indiquerait où trouver ce
qu’il cherche, ce qu’il aime sans penser à le chercher et ce qu’il pourrait aimer!
Sur cet exemple, on s’aperçoit que la valeur n’est pas créée uniquement par les auteurs mais
aussi par le système de relation entre des consommateurs, qu’il faut aider, former, acculturer,
d’une part, et d’autre part, des auteurs, qui ne peuvent s’empêcher de créer et qui,
essentiellement, ne savent pas contrôler la qualité de ce qu’ils font. Il se trouve aujourd’hui
qu’Internet permet aux consommateurs eux-mêmes de devenir, dans une certaine mesure,
coproducteur de ce système essentiel de formation de la demande : sur des sites comme
Amazon.com, sur des forums ou sur des blogs. »
Il existe deux grands types de dispositifs : les réseaux sociaux, et des organisations qui
proposent des algorithmes.
3.4.1 Les réseaux sociaux
Les sites de réseaux sociaux dont MySpace est l’emblème met en relation des amateurs
qui peuvent échanger des recommandations musicales.
Certains artistes sont assez bien inspirés pour profiter de tous les avantages que peuvent
fournir les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Prenons
l’exemple des Artic Monkeys qui font figure de phénomène dans le registre des groupes qui
ont rencontré le succès grâce au webbuzz.
Mené par Alex Turner, ce quatuor originaire de Sheffield (Grande-Bretagne) se forme
en 2002 au Collège de Barnsley et propose depuis 2004 ses démos sur le Web. En 2005, il
lance un premier single indépendant intitulé « Five Minutes With Arctic Monkeys », tiré à
1’000 copies et disponible sur iTunes.
Après quelques concerts affichés complets, ils sont remarqués par la BBC et signent
sur le label indépendant Domino qui compte également dans ses rangs les Franz Ferdinand.
En janvier 2006, leur premier album « Whatever people I am that’s what I am » connaît un
succès phénoménal avec la vente en une semaine de 363’735 exemplaires, ce qui constitue un
record absolu en Grande-Bretagne. Nick O’Malley, bassiste du groupe, est conscient du
formidable apport de l’Internet pour son groupe : « C’est sûr que l’Internet a été très utile pour
que les gens entendent les chansons (….) L’Internet ne crée pas le talent, mais accélère
seulement le cours des choses ».
Pour tout artiste il s’agit de conquérir puis de fidéliser les internautes. Exploiter la
« viralité » d’Internet et le bouche à oreille est le meilleur moyen de se faire connaître. Mais il
n’est pas évident de déclencher une « contamination » sur la toile.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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Avant toute chose il est important de préciser que le talent demeure une qualité
indispensable pour la construction d’une notoriété. En effet, lorsque l’émotion produite par un
artiste touche directement le public à travers une expérience musicale unique, il désire
renouveler cette expérience et la faire partager. L’internaute devient alors un « découvreur de
talent » et souhaite faire découvrir aux autres sa trouvaille. Malgré tout, le talent à lui seul ne
fait pas tout, du moins c’est rarement le cas.
C’est là qu’intervient le buzz, c’est une technique de marketing qui peut être utilisée
par tous les artistes. D’ailleurs beaucoup d’amateurs arrivent très souvent à le déclencher.
C’est un message, peu importe le format, qui vise à surprendre et à susciter la curiosité pour
faire sensation et donc faire parler. L’avantage est qu’il ne nécessite pas de budget important
puisque sa réussite se mesure à sa capacité de générer du bouche-à-oreille. Connaître sa cible
est donc important pour choisir la bonne tonalité afin de les interpeller. Humour,
provocations, sérieux ou encore mystérieux, tout est possible du moment que l’univers de
l’artiste est respecté. L’un des avantages du buzz est donc cette appropriation du message par
les internautes qui le relaient de poste à poste.
Pourtant il n’est pas évident d’obtenir de la visibilité pour se faire connaître. D’abord,
il faut que l’artiste acquière les compétences nécessaires pour savoir gérer ce genre de
réseaux. Afin d’être visible sur le web, il faut être capable d’animer ses pages sur un
maximum de réseaux. Or cela demande beaucoup de temps et une certaine maîtrise technique
de son ordinateur. Il sera donc nécessaire que des professionnels fassent ce travail de
promotion pour eux. Ici encore, les employés des maisons de disque doivent désormais être
parfaitement capable de gérer ces nouveaux outils du marketing.
Enfin, percer comme l’ont fait les Artic Monkeys avec une musique auto-produite va
être de plus en plus difficile. La capacité d’absorption des affiliés au réseau risque d’atteindre
un seuil critique tandis que le nombre de groupes qui utiliseront ces mécaniques
communautaires va terriblement croître. La distinction entre musique amateur ou semiprofessionnelle et la pratique véritablement professionnelle devenant de plus en plus flou, le
nombre d’adeptes de ces techniques risque de se multiplier.
3.4.2 Utilisation des algorithmes
Des sites comme Amazon.com ou Last.fm fondent leurs recommandations soit en
fonction de données déclaratives (les utilisateurs du service font connaître leurs préférences),
soit en fonction de données comportementales, c’est-à-dire qu’ils analysent leurs achats dans
le cas d’Amazon, ou la musique que les gens écoutent pour Last.fm. Les algorithmes peuvent
alors être plus ou moins complexes.
Ces dispositifs ont d’ailleurs permis le fondement de la théorie de la longue traîne,
proposée par Chris Anderson. Grâce à ces algorithmes, les marchés culturels trouveraient leur
futur dans l’exploitation et l’agrégation d’une somme astronomique de marchés de niches qui
étaient jusqu’ici occultés.
Au départ, le consommateur demande un produit très demandé, au niveau Head, un
produit comme un album de U2. Le site lui recommande alors d’acheter la musique des White
Stripes, puis des Dead 60’s pour enfin arriver à un groupe comme The Velvet Underground.
On arrive alors au milieu de la longue traîne.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
La longue traîne n’est pas une panacée. Tout d’abord, dans les chiffres, nous
n’assistons pas encore à une déconcentration des ventes de musiques. La part du top 10 a pris
5 points dans le total du top 200 entre 2003 et 2006. De plus, même si le total des marchés de
niche est important, la faible vente d’un groupe justifie-t-il le coût de son enregistrement ?
Il faut plutôt garder cette notion pour l’exploitation du back catalog. Pour l’artiste, la
gestion de son répertoire ancien risque ainsi de prendre de plus en plus d’importance.
3.4.3 La location de playlists
Nous pouvons enfin mettre en exergue l’initiative de PlayTheList, à mi-chemin entre
l’économie de flux via abonnement, et de l’économie de service via la recommandation de
musique. Le site PlayTheList propose une nouvelle façon de commercialiser la musique, dans
l'espoir de séduire les internautes qui ne se sentiraient pas comblés par les offres d'achat à
l'acte, telles que celles proposées par des services comme iTunes, FnacMusic ou VirginMega,
ou les offres de téléchargement illimité à valeur temporaire telles qu'en propose MusicMe. Le
principe : louer une liste de lecture d'une vingtaine de titres pour une durée de 48 heures ou de
7 jours, pour un prix compris entre 3 et 4,5 euros.
« Aujourd'hui, l'industrie de la musique a besoin pour évoluer de proposer des
innovations en terme de modèle. Notre proposition avec PlayTheList est claire : offrir un
service d'organisation de la musique pour l'utilisateur et lui proposer un modèle de location
court qui correspond au prix qu'il est prêt à payer », commente Alexandre Saboundjian,
fondateur de MusicMatic, la société qui édite PlayTheList.
Le service a retenu le format audio Windows Media Player (WMA), accompagné des
mesures techniques de protection de Microsoft, indispensables pour limiter l'accès aux
fichiers musicaux à la période de la location. Les morceaux pourront être transférés une fois
vers un lecteur compatible PlaysForSure. « Dans ce cas précis, l'utilisation de DRM est un
avantage, et non une contrainte. Elle permet de limiter et de déterminer une durée d'écoute et
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
donc de proposer un prix attractif », ajoute Alexandre Saboundjian. Aujourd'hui, quelque
cinquante listes de lecture sont proposées, classées selon des thématiques telles que Lounge,
Disco Fever, R&B, Reggae ou Hot & Sexy.
3.5 Investissement pour la création musicale : qui, comment, pourquoi ?
Comme nous l’avons vu, le paysage de l’industrie musicale ses dernières années a été
profondément bouleversé. D’un système centré autour du CD, composé d’acteurs aux places
bien délimitées, nous assistons à une restructuration profonde du secteur. Les nouveaux
acteurs sont nombreux et de nature très diverses, de la multinationale qui produit du matériel
aux petites structures qui proposent une offre innovante. Au milieu de ces nouveaux arrivants,
les artistes, les labels, les disquaires peinent à retrouver leur place, et sous la pression des
innovations, ils se voient obliger de tenter de nouvelles choses ou de passer des accords dans
le cas des organisations solides, ou bien elles sont vouées à disparaître dans le cas des plus
fragiles. Ces dernières, studios d’enregistrement, labels ou distributeurs indépendants
souffrent et ne voient pas toujours ce que les nouvelles technologies peuvent leur apporter au
quotidien.
Les innovations sont nombreuses, et pourtant aucune ne paraît une solution idéale. Il va
falloir s’habituer à la multiplicité des modèles économiques et savoir les utiliser de façon
complémentaire. L’aval prend de plus en plus de place dans la filière. En effet, beaucoup des
innovations présentées supposent un fort rapprochement avec le client, il faut savoir répondre
à ses attentes, ses goûts, ses disponibilités.
Les nouveaux rapports de force ont un impact direct sur la création musicale. Selon une
idée répandue, nous nous dirigerions vers une plus grande démocratisation de la musique, les
gens y ont de plus en plus accès, ils ont de nombreux moyens pour faire de nouvelles
découvertes. C’est le consommateur qui rendrait populaire les artistes qui le méritent sans être
influencés par le marketing traditionnel de l’industrie musicale. Ce genre d’exemples restent
toutefois limités.
Les nouveaux intermédiaires de l’économie de la musique n’ont a priori pas vraiment
d’intérêt dans l’investissement culturel. Nous assistons déjà à une forte concentration des
réseaux sociaux, qui risquent alors d’imposer leurs formats. Actuellement sur MySpace, un
artiste peut mettre en écoute 4 chansons. Cela va-t-il devenir un nouveau standard ?
Dans le cas des industriels qui utilisent la musique comme support de leur produit,
comme les fabricants de mp3, l’investissement dans la production musicale est le cadet de
leur souci. Peu importe à Steve Jobs quelles playlists écoutent les clients des iPods. La
production doit fournir un catalogue aux statistiques impressionnantes pour attirer le client,
mais finalement la qualité de celle-ci n’est guère importante.
Enfin, le financement via des annonceurs risque de formater la musique de la même
façon qu’on l’a reproché aux majors ses dernières années. Les annonceurs voudront
concentrer leurs budgets sur les segments de consommateur importants et solvables,
entraînant les intermédiaires dépendants de cette forme de rémunération. La marque
Starbucks s’est d’ailleurs payée le luxe de produire un groupe de musique.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Les professionnels de la musique, avec leur expérience, leur intuition seront toujours
nécessaires pour permettre une production musicale diverse et de qualité. Si l’on ne conserve
pas des organismes qui ont pour mission de produire et d’animer la création musicale, on
risque de la voir passer entre les mains d’intermédiaire pour qui la musique ne joue qu’un rôle
secondaire. Pour conserver un certain poids, les maisons de disques devront être capables
d’exploiter toutes les formes de musique vivante et enregistrée, et de valoriser les relations
entre les artistes et leur public, de proposer du service et non plus seulement un produit, sans
quoi elles risquent d’être assommées par les nouveaux géants. Cela va entraîner certaines
mutations dans leur façon de travailler. Elles devront avoir des ressources humaines capables
d’utiliser et de maîtriser toutes les ficelles des NTIC, et pourquoi pas un jour de devancer les
nouveaux entrants en terme d’innovation.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
4 Annexes
*Extraits de Rock&Folk, numéro 479, Juillet 2007, débat: « Mort du disque? », pages 27
à 31
Guy Messina: directeur de la musique et de la vidéo pour les Fnacs
Thierry Chassagne: président de Warner Music
Georges Fangon: réprésentant des disquaires indépendants réunis sous le blason Starter
GM: Le marché du disque en France fait moins 40% sur ces quatre dernières années.
TC: Il se trouve que, mécaniquement, plus l'ADSL est entré en taux de pénétration, plus on a
vu le marché chuter.
TC: Quand les entreprises fusionnent, ce qui a été le cas avec Sony et BMG, on a vu que
mécaniquement, ces boîtes arrêtent de bosser pendant 12 mois.
GM: On constate qu'évidemment, il y a le piratage qui ne nous aide pas, on a les fusions des
majors qui n'investissent plus et ont du mal à chercher des artistes, et puis surtout, le
consommateur aujourd'hui dans les magasins ne demandent pas que du disque. Il demande du
jeu vidéo, tout ce qui est produit de haute technologie, de la vidéo.
TC: Oui, mais la musique, et c'est ça le côté positif, n'a jamais autant intéressé les gens. Et ça,
c'est de la folie.
GM: On est d'accord, c'est l'industrie qui va mal.
TC: J'ai rencontré un artiste l'autre jour qui me disait: « Quand je pense que j'essaie d'avoir le
meilleur son pour les auditeurs et que je vois écouter ça sur des PC portables avec deux petites
enceintes pourries, ça me rend dingue »
TC: baisser le prix du disque est envisageable dès lors que le piratage est endigué.
TC: C'est le vrai problème de notre industrie. Aujourd'hui, il n'y a plus de gens qui soient
capables de vendre de la musique en conseillant les clients, en leur apportant, un service de
qualité.
GM: on est pas dans une petite crise, on est dans une crise comme l'a connu le textile il y a 25
ans. L'industrie est en crise. Mais la musique ne s'est jamais autant consommée et écoutée
sous toutes ses formes.
TC: Avant, on laissait trois albums à un artiste pour se développer, se constituer un public.
(...) Aujourd'hui, c'est au bout du premier disque qu'on se pose des questions.
GM: Aujourd'hui, même avec moins de moyens, j'ai le sentiment que vous avez arrêté
d'investir. (...) J'ai l'impression que les indés s'en sortent mieux parce qu'ils ont toujours été
plus légers. On voit bien que la partie hot, les 10 premiers sont trustés par du marketing mais
tout le reste entre dans le top parce que la presse fait son boulot.
TC: Effectivement, juste après l'installation de rayons de disques en hyper, le CD surgit et les
revenus mondiaux de l’industrie musicale sont multipliés par quatre. Une industrie artisanale
est devenue industrielle. C’est l’époque où CBS a changé de nom, été racheté par Sony, etc.
On passe alors dans une logique marketing où tous les fonds de catalogue étaient repassés, les
moindres compilations vendaient 800 000…
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
TC : (…) aujourd’hui, quand on sort un album à 1500 ou 2000 pièces, mécaniquement, on
perd de l’argent dessus. Multiplié par 200 ou 300 références par an, on perd énormément
d’argent.(…) même si on fait un minimum de marketing, de promo, une simple demi-page de
pub dans un magazine, à l’arrivée on perd beaucoup d’argent. Avant, ça nous était égal parce
qu’on gagnait bien nos vies, donc on pouvait ces albums-là, leur donner une chance.
Aujourd’hui, on a perdu 50% de notre business. Désolé, on ne peut plus être aussi aventureux.
TC : Quand le camembert se réduit, les coûts ne se réduisent pas. On en est arrivés au
maximum de ce qu’on peut réduire partout : les salaires ont baissé, les frais aussi, etc.
GF : L’idée que je veux défendre c’est que le disque n’est pas mort
TC : Je pense que le jour où le piratage sera endigué, on revendra des CD. Pourquoi ? Parce
qu’aujourd’hui, les minots ne savent pas ce que c’est qu’acheter un disque. Ils le piratent en
P2P, ils le regravent, etc. Le jour où ça ne sera pas possible, il y en aura qui l’achèteront sur
une plate-forme légale et d’autres qui prendront le CD. Je suis persuadé que si le piratage est
endigué, il y aura un redécollage du CD.
TC : Le vrai problème de tout ça, au final, c’est que tout le monde croit que seules les maisons
de disque sont touchées, mais c’est tout une filière. Aujourd’hui, tu prends les studios
d’enregistrement : certains importants à Paris sont à vendre alors qu’avant, il fallait réserver
des mois à l’avance.
GM : Tout le monde est touché, du parolier au musicien de studio, du rock-critic à l’ingénieur
du son au vendeur de la Fnac…
TC : On parle de 100 000 emplois menacés dans la filière. Il faut savoir aussi qu’il y a plein
d’indés qui vont fermer, ils n’ont plus les moyens. Quand on prend la création française, il y
en a 80% qui est faite par les majors. Or, il y a un problème. Les indépendants sont en
majorité distribués par qui ? Par les majors.
GM : On est tous d’accord. Cette industrie, si elle veut continuer, doit se retrouver une vraie
économie.
TC : Malheureusement, s’il y avait une solution pour rendre la musique gratuite, ça se saurait.
Les essais de musique gratuite avec de la pub n’ont pas marché. (…) Qu’est-ce qui se
passera ? Il y aura de gros artistes choisis par Starbucks ou n’importe quel autre mécène… Ce
sera l’appauvrissement de la musique.
Il y a une autre solution. Sarkozy est le seul à avoir dit que pirater était du vol, les autres pour
des raisons populistes préféraient se taire. Soit le gouvernement prend de vraies mesures pour
éviter le pillage de la culture, soit l’industrie est tirée vers le bas.
GM : il faut stopper le piratage. On sait que le business du disque va baisser puis se
reconstruire. Je suis convaincu que le pris du disque doit baisser, il faut retrouver des modèles
économiques viables. Et tout ça fait qu’entre les concerts, les téléchargements, les produits
physiques, on va retrouver des revenus qui permettront de refaire votre boulot.
TC : Je pense qu’on pourra baisser le prix du disque quand on sera à pirateries zéro. On
décide qu’on vendra plus et on baisse le prix. Le seul problème, c’est qu’on a beau baisser le
prix, ce sera toujours plus cher que zéro.
GM : C’est vrai qu’on se bat contre du gratuit, et c’est compliqué. On a fait des tests qui sont
révélateurs où l’on voit qu’il y a une élasticité volume/prix indéniable. Le fonds de catalogue
qui était au-delà de 20 euros, on voit que ce sont des produits qui ne se vendent plus.
TC : Les maisons de disque n’ont jamais autant intéressé les investisseurs. Il y aura un modèle
qui émerger. C’est obligatoire.
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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La musique : d’une industrie de produit à une industrie de services ?
Taux d’évolution mensuelle des ventes de CD audio 2006 vs. 2005
Jérémy Gasnier
Maxime Morelli
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