A livre ouvert
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50 À L I V R E P h i l i p p e Comment devient-on amoureux ? de Lucy Vincent Odile Jacob, 2004 homme naît amouL’ reux, commence Lucy Vincent. Dès la première relation à la mère “la suite de sa vie ne sera qu’une longue quête d’amour, parfois satisfaite (…) souvent contrariée, tragique enfin.” Lucy Vincent, qui est Docteur en Neurosciences, parle en neurobiologiste et analyse le comportement amoureux sous ses aspects comportementaux et psycho-biologiques pour comprendre les déterminants de l’attraction, mais aussi de la séparation. Son travail est intéressant à plus d’un titre, il fait la synthèse de nombreuses observations scientifiques convergentes pour nous aider à comprendre le phénomène amoureux. Tous les couples se ressemblent, nous dit-elle tout d’abord. Notre regard clinique n’est pas aussi certain d’une telle affirmation. En réalité, les travaux scientifiques sur la rencontre amoureuse montrent cette convergence de nombreux facteurs non décelables par le seul jugement : convergence de paramètres comme la taille des parties du corps, des facteurs du métabolisme, de la personnalité, de la susceptibilité à certaines maladies psychiques, l’intelligence, les niveaux d’éducation, des événements de vie… Dans toutes ces études (et au monde entier), les couples se ressemblent plus que deux personnes tirées au hasard. Parmi les facteurs non décelables, on peut même remarquer la proximité des taux de cholestérol ou de pression sanguine ! En réalité, ces travaux nous montrent que les individus se rencontrent sur des critères de ressemblance dans lesquels des marqueurs comme les odeurs semblent jouer un - VOL. XIII, N°51 O U V E R T B R E N O T rôle particulièrement important. Les odeurs cutanées, ou métaboliques, des membres d’une même famille sont proches, cela a été démontré. C’est peut-être aussi l’un des déterminants premiers de l’inhibition de l’inceste par répulsion des trop proches : on a ainsi remarqué une aversion olfactive dans les couples pères-filles et frères-sœurs, mais pas entre les demifrères ou demi-sœurs. Nous sommes ici au début de la chaîne de l’attraction. Autant de faits aujourd’hui bien documentés existent qui nous permettent de comprendre ces déterminants bio-psychologiques. Bien sûr, l’ocytocine, la dopamine, les endorphines, sont encore des médiateurs de l’amour, mais ce sont les stratégies adoptées par les deux amoureux qui rendront ensuite l’amour durable, ou pas. À part la troisième partie qui s’essaie au jeu de la sociobiologie du couple à travers les modèles de Buss ou de Gottman, le grand intérêt de ce livre est sa documentation, riche et rigoureuse, sur les concomitances psychobiologiques de l’état amoureux, pour en proposer un système cohérent. Éros parmi les dieux de Joël Schmidt La Musardine, 2004 a chrétienté a beauLdivinités coup polémiqué sur les grecques et romaines, accusées de toutes les turpitudes sexuelles. En s’appuyant sur les écrivains de l’Antiquité, qui n’ont pas caché dans leurs écrits, les amours des dieux, des déesses et des héros, leurs jeux érotiques et leur libre pratique du sexe, Joël Schmidt a fait sauter les censures des traditions pudibondes, a ouvert ce qui était allusif, a com- plété les sous-entendus et développé une érotique de la mythologie en une trentaine de séquences, comme autant de petits romans amoureux, autour de personnages phares, classés par ordre alphabétique, qu’un double index renvoie les uns aux autres. Telle l’histoire de Danaé, fille d’Acrisios, roi d’Argos, animée d’un amour incestueux. “Tant que Danaé fut une fillette, Acrisios ne craignit rien, mais sitôt que se manifestèrent précocement chez elle les premiers signes de la puberté, il fit preuve d’une fébrilité dont sa femme et toute la cour ne comprirent pas les raisons. Il se rendait chaque jour dans les appartements de Danaé, exigeait que celleci fût déshabillée, et devant les servantes effrayées par tant d’audace, il examinait en détail le corps de sa fille, passait ses mains sur ses seins naissants, caressait ses hanches (…). Il arriva un jour où Acrisios, conscient que les premières fleurs de sangs coulaient du sexe de sa fille, comprit le danger que cette nubilité représentait pour lui et que désormais sa vie était peut-être menacée, si jamais Danaé était engrossée. (…) Danaé ne se privait pas de caresser son clitoris, ses lèvres, ses seins, de ses mains fiévreuses pour jouir en haletant et en criant, en attendant la pénétration tant espérée d’un homme aimé qui, elle n’en doutait pas, lui révélerait des voluptés (…) Acrisios prit une mesure indispensable. Il fit enfermer sa fille et garda sur lui l’unique clé.” La suite de l’histoire est évidemment terrible mais magnifique. À lire, ces scènes érotiques de la mythologie, des textes peu connus, un véritable bijou de sensualité qui nous fait rencontrer Cybèle et Adonis, Didon, Attis, Priape, Europe, Galatée… à savourer pendant vos douces soirées de printemps ! Femmes/hommes – L’invention des possibles sous la direction d’Armand Touati Cultures en mouvement, 2005 e volume rassemble les actes du C beau colloque organisé par le mensuel Sciences de l’Homme et Sociétés à Cannes en juillet 2004, réunissant de très nombreux intervenants, 51 chercheurs en science de l’homme, de la sociologie à la philosophie, de la psychanalyse à l’anthropologie, pour préciser les fondements de la relation femmes/hommes. Parmi les nombreuses interventions, l’analyse de Jean-Claude Kaufmann sur les rôles imposés que sont les rôles masculins et féminins : “L’équation familiale a été renversée en moins d’un demi-siècle. Tout partait naguère du mariage, institution sociale qui intégrait en son sein, pour la vie, les deux partenaires. Tout part désormais de l’individu, seul face à son futur ; le couple, réalité seconde et incertaine, est surbordonné à la réalisation de soi.” Kaufmann précise bien que cette “rupture historique”, marquée par le processus identitaire, représente aujourd’hui un phénomène capital dans cette évolution : l’émergence du sujet, devenant maître de son futur. Margaret Maruani analyse très clairement la dette de cette évolution au mouvement féministe. Cette évolution n’a été rendue possible que par les avancées sociales considérables de la position féminine, la réduction des inégalités et l’arrivée des femmes dans le monde du travail. Geneviève Fraisse rappelle la controverse historique et politique de cet affrontement hommes-femmes, contribution complétée par le très intéressant texte d’André Rauch sur “le Crépuscule du masculin ?”, qui revient sur la pseudo-disparition de la domination masculine pour comprendre l’évolution de la position des hommes. Celle-ci sera enfin largement développée par Daniel WelzerLang qui analyse la plasticité des genres et l’évolution des attitudes masculines. Un livre de grand intérêt pour comprendre une évolution fondamentale de notre époque, qui n’est jamais terminée. Vivre sans violences – Dans les couples, les institutions, les écoles Érès, éditeur, 2004 et ouvrage cosigné par C plusieurs auteurs, dont Micheline Christen, Charles Heim, Michel Silvestre, Catherine Vasselier-Novelli, rend compte du travail de Michel Silvestre et de l’équipe du Service provençal d’encouragement et de soutien (SPES) développé en continuité du PRO-GRAM que Robert Philippe a mis en place au Québec depuis 1983, pour prendre en charge la violence dans les couples et en institution. Cet ouvrage analyse toutes les composantes de cette réflexion et des actions thérapeutiques engagées. Les grandes lignes du PRO-GRAM de Robert Philippe sont à rappeler : - un programme d’intervention pour hommes violents ne devrait pas être considéré comme une alternative à l’emprisonnement et à la judiciarisation ; - la cessation du comportement violent doit être le premier objectif du programme de traitement. En ce sens, les thérapies familiales ou de couples ne peuvent pas être proposées aussi longtemps que subsiste un danger de passage à l’acte ; - la sécurité de la compagne et des enfants doit être une priorité ; - la violence est un comportement appris. Par voie de conséquence, l’homme ayant des comportements violents peut donc apprendre de nouvelles stratégies de fonctionnement dans la gestion de son stress… - la violence conjugale n’est pas une maladie mentale ; - l’homme ayant des comportements violents est responsable de ses actes et a le contrôle et le pouvoir sur son comportement. La femme n’est pas responsable de la violence de son conjoint ; elle est victime mais responsable de son propre comportement et peut également changer quelque chose pour elle-même ; - l’intervention dans le cadre des violences conjugales nécessite une réflexion de la part de l’intervenant sur la distance à prendre avec le client. Cet ouvrage très riche d’une longue réflexion d’équipe propose notamment une modélisation des violences conjugales ainsi que des stratégies de traitement de ces violences. - VOL. XIII, N°51 52 S U R L E S P h i l i p p e É C R A N S B R E N O T Dr Kinsey – Parlons sexe ! Un film de Bill Condon Avec Liam Neeson et Laura Linney (sorti aux États-Unis fin 2004, dans les salles en Europe en avril 2005) e 5 janvier 1948, jour de la publication de l’étude d’Alfred Kinsey Sexual Behavior in the Human Male, la culture amériLsexe… caine connut un bouleversement sans précédent. Ce jour-là reste celui où l’Amérique puritaine commença à parler de Le “Rapport Kinsey” fut non seulement un best-seller et un événement médiatique, mais il fut aussi l’étincelle qui déclencha la révolution sexuelle des années 1960. Il marqua le tout début de la tolérance sexuelle qui se fit jour pendant les décennies suivantes. À l’époque, Kinsey fut surnommé le “Freud américain” et comparé à d’autres scientifiques pionniers tels Galilée ou Darwin. En 1953, paraissait le deuxième volet de son étude Sexual Behavior in the Human Female, qui souleva un véritable tollé et précipita la chute et la mort de Kinsey. Tous les sexologues connaissent Kinsey, et le formidable impact de son rapport sur le comportement sexuel de l’homme, marquant le début de la connaissance scientifique de la sexualité humaine. Peu d’entre eux connaissent l’homme Kinsey, sa vie, ses paradoxes, ses contradictions, et tout ce qui a déterminé cette œuvre monumentale. Alfred Kinsey est né en 1894 dans le New-Jersey, d’un père croyant rigoriste et d’une mère soumise à la domination de cet homme qui imposera une morale quasi-biblique à sa famille. Le jeune Alfred échappera à cette contrainte par un investissement défensif dans des études de zoologie, seule opposition qu’il put formuler. Diplômé en biologie et psychologie, Alfred Kinsey obtint son doctorat à Harvard en travaillant sur la taxinomie des insectes, et devint à 26 ans professeur à l’université d’Indiana. Il se maria un an plus tard, “en toute naïveté”, avec l’une de ses étudiantes, n’ayant jamais séduit ni connu aucune autre femme. Cette “naïveté maritale”, alliée aux interrogations de ses étudiants sur les “choses du sexe”, va le mener à faire publiquement un cours sur le mariage, cours d’éducation sexuelle qui heurtera la société américaine pudibonde. Dans la suite de ce cours, il développera, dès 1938, une technique d’interview en 350 questions pour recueillir le témoignage des gens sur leur vie sexuelle. À partir de 1940, Kinsey se consacra à plein temps à l’étude de la sexualité. Avec son équipe, il voyagea à travers les ÉtatsUnis en rassemblant plus de 18 000 témoignages. Il reçut, non sans difficulté, le soutien de la fondation Rockefeller qui permit ainsi la création de l’Institute for Sex Research et la publication du rapport Kinsey. Ce film remarquable et profondément émouvant nous permet de comprendre la formidable évolution qu’ont permis Kinsey et le début de la recherche scientifique sur la sexualité. - VOL. XIII, N°51