"Ripaille pour les loups" (scène 1) [PDF - 200 Ko ] - UT2J

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"Ripaille pour les loups" (scène 1) [PDF - 200 Ko ] - UT2J
MATTHIEU DESPEYROUX – MASTER MÉTIERS DE L’ÉCRITURE
1. INT. JOUR – TRAIN
LUNA est assise en silence. C’est une jeune fille de vingt ans, un peu négligée,
vêtue chaudement. Elle est absorbée par son portable et de la musique s’entend à
peine à travers ses écouteurs. À côté d’elle un INCONNU téléphone en prenant ses
aises. Il la heurte parfois dans des gestes amples sans s’excuser – mais elle l’ignore
totalement.
INCONNU
(au téléphone, à voix haute, un peu
énervé)
Non, tu ne peux pas dire ça. (Un temps) Non,
c’est pas vrai, je l’ai pas fait exprès. (Un temps)
Si tu avais vu tout le verglas… (Un temps). Oui,
c’est ce que je me tue à te dire. (Un temps) Voilà,
c’est ça. Un froid de canard. (Un temps) C’est
complètement vrai, en plus ! Même mon grandpère n’a jamais vu ça. L’autre jour, il me dit… (Un
temps) Quoi ? Mais tu rigoles ? (Un temps, il rit)
C’est ça, l’hiver approche !
Tandis qu’il parle, elle reçoit un SMS.
SMS OFF
J’ai une réunion urgente avec la Direction. Je
reste à Paris pour le week-end. Lucille sera à la
maison, ça vous permettra de faire plus ample
connaissance ! Désolé. Bises.
LUNA
(murmure avec colère)
Putain !
Elle regarde par la vitre. Le ciel est nuageux. La neige recouvre le paysage – une
campagne désertée, inhospitalière. Ses yeux sont tristes, pensifs. Elle soupire. À
côté l’inconnu continue à parler.
2. EXT. JOUR – QUAI DE LA GARE
C’est une gare minuscule, possédant seulement deux quais où la neige est
partiellement déblayée. Quelques personnes attendent, emmitouflées. LUCILLE se
tient debout, droite, élégante dans son manteau de fourrure. Elle a deux ans de
moins que Luna. Elle est belle, son visage est sans expression. Elle fait un peu
penser au stéréotype de la Russe blonde.
Le train arrive et freine. Dedans, depuis sa place, Luna regarde la gare. Elle
aperçoit Lucille et la reconnaît. Luna descend, encombrée de sa valise. Elle est
surprise par le vent glacial qui secoue ses cheveux. Lucille la reconnaît également
et s’avance vers elle. Luna la rejoint mais ne répond pas à son sourire.
LUCILLE
(chaleureuse)
Salut, Luna !
[email protected]
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MATTHIEU DESPEYROUX – MASTER MÉTIERS DE L’ÉCRITURE
LUNA
(laconique et froide)
Lucille.
Elles restent face à face pendant quelques secondes, immobiles, puis Lucille
s’avance et lui fait la bise. Luna se laisse faire.
LUCILLE
Comment tu vas ? (Luna hoche la tête) Papa t’a
prévenue ?
Luna fait une moue à peine perceptible, son regard se durcit ; elle acquiesce de
nouveau. Son regard ne lâche pas Lucille, un peu hostile. Celle-ci n’en tient pas
compte, elle reste souriante, détendue.
LUCILLE
On va à la maison ?
3. INT. JOUR – VOITURE
Dehors, le village est recouvert par la neige, et passants ou voitures sont rares.
Lucille conduit, Luna se trouve sur le siège du passager avant.
LUCILLE
(son œil se concentre sur la route, elle
regarde peu Luna)
Ça me fait plaisir de te voir, tu sais ! (fait un large
geste de la main droite qui quitte le volant
quelques instants) J’étais aussi vraiment
curieuse de te connaître, j’avoue. Papa me
parlait de toi, parfois (Luna grimace en entendant
« parfois »). Je suis contente d’avoir une sœur,
tu sais…
LUNA
(maussade)
Demi-sœur.
Lucille rit.
LUCILLE
(continue sur sa lancée, tant elle a
envie de parler)
Oui, une demi-sœur, désolée. (geste de la main)
Mais bon, c’est un peu la même chose, tu ne
penses pas ? (Elle jette un œil rapide en
direction de Luna)
Luna hésite, se détourne vers la fenêtre de façon éloquente.
LUNA
Oui.
[email protected]
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MATTHIEU DESPEYROUX – MASTER MÉTIERS DE L’ÉCRITURE
LUCILLE
(sans faire attention à l’attitude de
Luna)
De toute façon, on a le même père… (geste
ample de la main) J’adore regarder les albums
photos qui sont chez moi. C’est dommage qu’il
se soit coupé de la famille, j’aimerais les
connaître, tous ! (geste de la main) Il n’y a que
Grand-Père qu’on voit de temps en temps. C’est
vrai qu’Oncle André parle toujours de son boulot
au ministère ?
LUNA
Oui. Il est chiant.
La voiture s'arrête à un feu rouge. Un temps. Au démarrage, elle cale. Lucille éclate
de rire en redémarrant le moteur.
LUCILLE
Je suis désolée, je n’ai le permis que depuis
quelques mois ! (passe une main machinale à
ses cheveux) J’ai encore un peu du mal, parfois !
(Un temps) Et le froid qui n’arrange rien.
Pour toute réponse, Luna relève le col de son manteau
4. INT. SOIR – SALON (FLASH-BACK)
Luna (15 ans) se trouve avec le PÈRE. Ils sont avachis dans un canapé. Sa tête à
elle est posée sur l’épaule du père, son apparence est négligée et un peu sauvage.
Ils regardent la télé en silence – il s’agit du journal de 20 heures.
LUNA
Dis, Papa, est-ce qu’elle me ressemble, l’autre ?
LE PÈRE
(hésite, gêné)
Non, pas beaucoup. Elle est plutôt… Elle
ressemble à sa mère, tu sais.
LUNA
La pute pour qui t’as abandonné Maman ?
Le père sursaute.
LE PÈRE
(d’un ton sec mais peu autoritaire)
Tu ne parles pas d’elle comme ça.
LUNA
(indifférente)
Pardon. (Elle insiste sans quitter la télévision des
yeux) Je te vois presque jamais. Tu es plus
souvent avec elle qu’avec moi et quand tu
passes me voir, tu me parles toujours d’elle.
[email protected]
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Le père prend le bras de Luna tout en la regardant.
LE PÈRE
Luna…
LUNA
(le coupe sans bouger la tête)
Tu ne nous as jamais présenté. Je suis sûr que
tu as honte de moi, parce que c’est elle ta
préférée. Elle a quoi de mieux, dis ? Pourquoi tu
la préfères à moi ?
LE PÈRE
(embarrassé)
Mais rien, rien. Luna, écoute. Luna. (Il cherche
son regard mais elle fixe obstinément la
télévision) Elle n’a rien de mieux que toi, ma
chérie.
Le père entoure d’un bras les épaules de sa fille. Son geste est maladroit. Elle se
laisse faire.
5. INT. JOUR – VOITURE
De nouveau dans la voiture, que Lucille a arrêtée devant le portail d’une maison
entourée par un jardinet. La rue est assez large, tout à fait déserte. Lucille détache
sa ceinture de sécurité.
LUCILLE
C’est là ! Comme tu vois, le quartier est calme. Il
faudra que je te le fasse visiter à l’occasion, c’est
très agréable !
Luna est pensive. Elle regarde Lucille de profil. Celle-ci enlève la clé de contact,
prend ses affaires dans des gestes coquets, sensuels.
LUNA
(murmure, amère)
Rien. Elle n’a rien de mieux que moi…
Elle sort à son tour de la voiture, mais ses gestes à elle sont brusques.
[email protected]
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