Les petits bonheur d`Hervé

LES PETITS BONHEURS D'HERVÉ
Ce samedi de trêve de Noël, sous une fine bruine et dans les tourbillons de vent, j'ai rendu visite à
Hervé.
Rencontre au FI (Foyer d'Insertion du FAC)
Depuis septembre 2013, il habite Lèves, rue de la Butte Celtique, au FI. Passée la porte d'accès du
bâtiment protégé par un code, on grimpe au second et dernier étage par un large escalier d'une
impeccable propreté. Le silence est presque surprenant. En semaine, une équipe de travailleurs
sociaux reçoit les visiteurs du CADA 1) dans les bureaux du rez-de-chaussée. Le week-end, seule
une vingtaine de résidants (hommes seuls ou exceptionnellement, couple sans enfants) vit dans les
studios.
On entre dans l'appartement par un couloir aménagé au fond en kitchenette. De la grande baie
éclairant la pièce principale, on découvre en bas les pavillons et les jardins du quartier.
Ici tout est blanc, hormis deux affiches et le rideau séparant la cuisine de la pièce de vie. Sur fond
rouge grenat, un soleil aux rayons verts encercle un lion : c'est l'empreinte d'Hervé. Ce drapeau
symbolise le Négus Haïlé Sélassié, empereur d'Ethiopie, et le mouvement rastafari cher au maître
jamaïcain du reggae, Bob Marley.
La marque d'Hervé, c'est aussi, au milieu des plantes, le Sanzaru, les trois singes de la sagesse
orientale : Pour éviter de propager le malheur, n'écoute pas ce qui n'en vaut pas la peine, ne regarde
pas ce qui ne le mérite pas, ne dis pas ce qui n'a pas d'intérêt.
En sirotant un café, j'ai écouté son histoire.
Hébergement d'urgence
Un soir glacial de février 2013, Hervé s'est présenté à l'Hôtel social après un appel au 115. Les
demandes d'hébergement de la CARSAT 2) auprès du FAC étaient restées sans réponse. Il en était
de même des dossiers de logement social déposés auprès de six organismes différents et renouvelés
au bout d'un an. Cette fois-ci, il fut chaleureusement accueilli par le plus ancien salarié du FAC,
Abdellah, récemment disparu.
Point de rupture
Trois ans d'arrêt maladie suivis d'un licenciement sans reclassement et une vie conjugale battant de
l'aile expliquent cette arrivée dans l'urgence.
Fuyant Paris et ses embouteillages avant la trentaine, il a totalement rénové sa première maison du
Perche. Il s' est forgé une expérience dans le bâtiment où il a terminé assistant du chef de chantier.
Devenu ensuite chef d'équipe dans un entrepôt d'édition, il change de secteur sans changer de métier
et continue à conduire les chariots de manutention. Cette fois, son corps le lâche et refuse de porter
les sacs de ciment de 50 kg et les parpaings.
Hervé effectue alors à l'AFPA en 2009 un stage de technicien en logistique d' entreposage et obtient
un diplôme de niveau IV. Il ne trouve pas d'emploi. Désormais reconnu en invalidité deuxième
catégorie, il touche une pension de 752 €.
Il se laisse ensuite glisser, selon lui, dans une forme d'apathie. La maison familiale du Thymerais est
vendue, remplacée par un logement en location. La séparation et la nécessaire proximité des
structures de soins l'incitent à se rapprocher de Chartres.
La planche de salut
A l'Hôtel social, Hervé noue de nouvelles amitiés, notamment avec Cyril, boulanger-pâtisser de
vingt ans son cadet. Le week-end, ils forment une équipe reconnue en cuisine. En semaine la
quinzaine d'usagers se nourrit des repas livrés par la Cuisine centrale ; le samedi et le dimanche,
moyennant un petit budget attribué par le FAC, ceux qui restent composent un menu amélioré. Leur
premier repas fut ovationné : Lasagnes (sa spécialité) et tarte au citron meringuée. Son goût pour
cuisiner lui vient de sa grand-mère, paysanne du Loir-et-Cher. Pour la fête des résidants, le 17
janvier 2014, il a été préposé à la fabrication des cocktails sans alcool.
Il fréquente l'espace informatique du FAC, l'Arobase : depuis sa maladie, il se passionne pour les
ordinateurs. Il se rend à la médiathèque de Chartres deux à trois fois par semaine. Il y trouve ce qu'il
aime depuis sa jeunesse. Né en 1968, il écoute Pink Floyd, les Doors, les Rollings Stones, Jim
Morisson et Kurt Cobain. Ses films coups de cœur ? Presque toujours issus de la culture angloaméricaine : Pulp fiction, Le Parrain, Forrest Gump... Il goûte à la lecture, aux finesses du français,
des mots en général, après des études interrompues avec un baccalauréat économique et social.
Il devient délégué des résidants qu'il représente au CVS (Conseil de la Vie Sociale). La démarche
d'évaluation interne du CHRS 3) débutant en cours d'année, il rejoint les membres du COPIL
(Comité de Pilotage). Il a participé aux huit réunions organisées dès juin 2013 sur la qualité du
service rendu aux usagers. La date de remise du rapport à l'administration était fixée au 1er janvier
2014.
L'apaisement
En septembre 2013, Hervé a signé un contrat de trois mois renouvelable pour s'installer au Foyer
d'Insertion, lieu de notre rencontre. Il espère obtenir ensuite un logement social grâce au DALO
(Droit au Logement Opposable) : La loi du 5 mars 2007, créant des voies de recours pour rendre
effectif ce droit constitutionnel, rend l’État garant de l'aboutissement de la demande.
Actuellement Hervé se place un peu en retrait. Il donne priorité à sa santé encore fragile et désire se
reconstruire, tisser de nouveaux liens à l'extérieur. Il a repris ses projets professionnels avec Cap
Emploi. Il aspire à se sentir utile, exister à part entière comme citoyen et travailleur, même s'il ne
peut envisager qu'un emploi à mi-temps.
Un ange à Noël
En attendant, rue de la Butte Celtique, il peut enfin accueillir son fils de 14 ans le week-end et
pendant les vacances. L'enfant au prénom celte s'est assoupi sur le canapé pendant notre entretien.
Avec ses cils soyeux et ses cheveux bruns, l'oreille gauche ornée d'un minuscule brillant, il
représente pour son papa une raison d'être et d'agir, un espoir, un soutien moral. Leur dialogue ne
s'est jamais interrompu. Pour Noël, Hervé doit lui monter un ordinateur. Ce samedi, ils ont à
préparer ensemble des tartelettes poire-amandine.
A ce propos, le jeune garçon veut continuer ses études après la troisième en lycée hôtelier...
1) Centre d'Accueil des Demandeurs d'Asile
2) Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail
3) Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale
M.C.