Le patient informé, présentation de Dr med. Wolf Langewitz

Transcription

Le patient informé, présentation de Dr med. Wolf Langewitz
07.09.2015
Un patient bien informé:
nécessité ou illusion?
Wolf Langewitz
Psychosomatique – Médecine interne
Hôpital universitaire de Bâle
Sommaire
• Que sait un patient bien informé ?
• De quelle quantité d’informations les patients
souhaitent-ils disposer ?
• Comment prendre des décisions (avisées) ?
• Combien d’informations pouvons-nous
retenir?
• Comment traiter l’information ?
Un patient bien informé
Le but des informations données aux patients dans le domaine
médical est de leur permettre de comprendre une maladie ou
ses symptômes et d’en saisir la catégorie. Le médecin cherche à
les informer des avantages, des risques et des effets secondaires
d’un traitement, mais aussi à les mettre en garde contre les
mesures inutiles, superflues ou dommageables.
La Ligue allemande contre le cancer soutient le concept du
« patient bien informé », grâce auquel le patient devient un
partenaire du médecin et est en mesure de lui poser des
questions précises. Au début de l’année 2011, une première
édition du « dictionnaire du cancer » est venue compléter une
série de brochures gratuites présentant les pathologies, leur
diagnostic et leurs chances de guérison. Cet ouvrage explique
des termes médicaux techniques.
Traduit à partir de
http://de.wikipedia.org/wiki/Patienteninformation
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07.09.2015
Quand exigences politiques et intérêts
des patients coïncident
• Passer du paternalisme (le médecin sait ce qui est bon
pour vous !) au partenariat patient/médecin: une
transition à la fois intéressante du point de vue
politique et dans l’air du temps.
• Tout partenariat repose sur le partage des
connaissances.
• Lorsqu’on leur pose la question, les patients disent
qu’ils veulent en savoir autant que possible,
– par ex. lorsqu’ils souffrent d’un cancer ;
– par ex. lorsqu’ils sont pris en charge aux urgences en
raison de douleurs thoraciques.
Langewitz, Weber et al., PPmP 2002; Weber et al.; PEC 2007
Sommaire
• Que sait un patient bien informé ?
• De quelle quantité d’informations les patients
souhaitent-ils disposer ?
• Comment prendre des décisions (avisées) ?
• Combien d’informations pouvons-nous
retenir?
• Comment traiter l’information ?
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07.09.2015
Information needs and experience..
Entretien de sortie aux urgences – patient
souffrant de douleurs thoraciques
• Les médecins s’accordent à dire qu’il y aurait
34 informations à donner à un patient lorsqu’il
quitte les urgences.
• Ils évaluent la durée nécessaire pour cet entretien
à environ 45 minutes.
• Ils savent que cette estimation est totalement
utopique : dans le quotidien d’un service
d’urgences, on ne peut consacrer que 5 à 10
minutes à un entretien de sortie.
• Ils trouvent toutefois qu’il est important que les
patients reçoivent ces informations.
Ackermann S, Bingisser R et al, unpublished results
Mais peut-être les patients voient-ils
les choses différemment ?
• Interrogeons donc des patients admis aux
urgences pour des douleurs cardiaques [et
ayant constaté que le quotidien du service
pouvait être quelque peu agité] :
– « Voici une liste de 34 informations qu’on pourrait
donner à un patient souffrant de douleurs telles
que les vôtres lorsqu’il quitte les urgences.
– Pourriez-vous cocher lesquelles sont importantes
à votre sens ? »
Ackermann S, Bingisser R et al, unpublished results
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Table 1. InFARCt Categories, respective 34 Items, and Item Endorsement by Physicians
(Study 1) and Patients (Study 2).
Category
Item
Information
on diagnosis
(7 items)
Inform the patient that he is ready to go home
Reassure the patient (“you were right to come to the Emergency Department”)
Explaining that blood, heart, and lungs were thoroughly examined
State the presumptive diagnosis
Broad statement: “All the investigations exclude a diagnosis of myocardial infarction at this time”
Explain the significance of the presumptive diagnosis
Explain the association of symptoms with the suspected diagnosis
Follow-up
State why further investigation is necessary
suggestions
State what the planned investigations are
(9 items)
State when the investigations will be carried out
State where the investigations will be done
Describe necessary precautions for the test (no coffee, no tea)
Explain that an information sheet with details of the pre-test preparation will be sent by post
Explain that detailed information on the time and location of the test will be sent by post
Advise the patient to contact his family physician should he have further questions
Encourage the patient to make an appointment with his family physician to obtain more information
Advice on Address risk factors
self-care
Address the need to stop smoking
(4 items)
Address current avoidance of physical stress
Recommend that the patient resumes normal daily activities
Red flags
Stress that the patient should present immediately to the ED in case of chest pain radiating into arms/jaws
(6 items)
Stress that the patient should present immediately to the ED if the symptoms last longer than 10 minutes
Stress that the patient should present immediately to the ED if he is dyspnoeic
Stress that the patient should present immediately to the ED if he experiences chest pain not responding to nitroglycerine
Explain that the ED is open 24/7 (“you may come back any time”)
Reassert the importance of presenting immediately to the ED in case of any complaints or symptoms, even at night
Complete
Explain that treatment has to start immediately
treatment
Explain why treatment has to start immediately
(medication; State the names of the new medications (ASS, beta blocker, nitroglycerine spray)
8 items)
Give the ASS dose and explain when it should be taken
Give the beta blocker dose and explain when it should be taken
Describe the side effects of beta blockers
Give the nitroglycerine dose and explain when it should be taken
Describe the side effects of nitroglycerine
Percent Endorsed
Physicians
Patients
(N = 47)
(N = 51)
89
96
72
73
57
100
83
98
79
94
66
96
62
96
94
92
89
75
77
88
74
82
64
88
57
65
68
78
79
65
68
50
53
94
83
48
81
78
53
90
83
94
81
86
68
92
96
88
68
63
57
53
55
90
70
86
96
76
66
84
64
88
53
85
81
86
62
89
Regardons la dernière partie de la liste…
Méd.
Pat.
Expliquer qu’il faut commencer le traitement immédiatement
55
90
Expliquer pourquoi
76
86
Indiquer les noms des nouveaux médicaments (acide
acétylsalicylique, bêtabloquants, spray à la nitroglycérine)
96
76
Remettre l’aspirine et expliquer quand la prendre
66
84
Donner les bêtabloquants et expliquer quand les prendre
64
88
Expliquer les effets secondaires des bêtabloquants
53
85
Remettre le spray à la nitroglycérine et expliquer quand s’en
servir
81
86
62
89
Expliquer les effets secondaires de la nitroglycérine
Médecins et patients sont unanimes :
plus il y a d’informations, mieux c’est !
• Qu’espèrent les médecins et les patients de
cet échange pléthorique d’informations ?
• Méd. : « Je veux que le patient ou la patiente
sache ce dont il ou elle souffre et ce que je
propose pour son traitement. »
• Pat. : « Je veux savoir ce que j’ai exactement et
ce qu’on peut faire pour me guérir. »
• Mais obtient-on une meilleure compréhension
avec un grand nombre d’informations ?
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Sommaire
• Que sait un patient bien informé ?
• De quelle quantité d’informations les patients
souhaitent-ils disposer ?
• Comment prendre des décisions (avisées) ?
• Combien d’informations pouvons-nous
retenir?
• Comment traiter l’information ?
On souligne l’importance de
l’INFORMATION, car on espère que le fait
d’être bien informé permet de prendre des
décisions avisées.
[Une précision: recevoir des informations
ne signifie pas forcément être en mesure
de les exploiter !]
Combien d’informations pouvons-nous
traiter, lorsque nous devons prendre une
décision avisée ?
On Making the Right Choice: The
Deliberation-Without-Attention
Effect
Ap Dijksterhuis, Maarten W. Bos, Loran F. Nordgren, Rick B. van
Baaren
Science 17 February 2006:
Vol. 311. no. 5763, pp. 1005 - 1007
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Méthode I
• Les participants lisent des informations concernant 4
voitures.
• Les voitures sont décrites soit par 4 caractéristiques (SIMPLE),
soit par 12 caractéristiques (COMPLEXE).
• Il s’agit d’identifier la voiture décrite par une majorité de
caractéristiques positives.
– Une voiture possède 75 % de propriétés positives.
– Deux ont 50 % de propriétés positives.
– Une a 25 % de propriétés positives.
Méthode II
• Dans le groupe de réflexion consciente
(deliberation), les participants comparent les
voitures pendant quatre minutes pour déterminer
quelle est la meilleure.
• Dans le groupe de décision inconsciente
(deliberation without attention), l’attention des
participants est détournée pendant quatre
minutes, au terme desquelles ils doivent choisir
«spontanément» la meilleure voiture.
Pourcentage des participants qui ont choisi la voiture décrite comme la
plus avantageuse; influence du nombre d’informations et du mode de
décision.
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Sommaire
• Que sait un patient bien informé ?
• De quelle quantité d’informations les patients
souhaitent-ils disposer ?
• Comment prendre des décisions (avisées) ?
• Combien d’informations pouvons-nous
retenir?
• Comment traiter l’information ?
Résumé des ouvrages sur ce thème
• La quantité d’informations que nous pouvons
gérer dans le cadre d’une réflexion et d’une
analyse contrôlées est extrêmement limitée
• Selon la Cognitive Load Theory:
– Seules 2 à 4 informations nouvelles passent
simultanément dans notre «mémoire vive» et
peuvent être prises en compte quand nous devons
prendre une décision.
– Si on ne nous les rappelle pas, elles sont effacées
après 20 secondes.
– Au total, nous enregistrons 7 +/- 2 nouvelles
informations.
Langewitz et al.; PEC 2015
Sommaire
• Que sait un patient bien informé ?
• De quelle quantité d’informations les patients
souhaitent-ils disposer ?
• Comment prendre des décisions (avisées) ?
• Combien d’informations pouvons-nous
retenir?
• Comment traiter l’information ?
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Dès lors, on peut emprunter deux
voies pour analyser la pertinence
de la transmission d’informations
• A: les informations me fournissent des arguments
individuels à présenter à mon épouse lorsqu’après la
consultation, elle me demande: «Alors, qu’est-ce qu’il a
dit?»
• B: à partir des informations reçues, je me fais une certaine
représentation des choses, que je peux rendre par exemple
en répondant: «Je crois que ça va aller, il sait ce qu’il fait.»
A: Les informations sont présentées
individuellement, comme les points d’un
procès-verbal établi par la mémoire
• Le problème, c’est que la mémoire qui enregistre des
informations individuelles est réduite et ne peut être
améliorée que de manière limitée.
• Toutefois, nous retenons davantage de choses
lorsque nous avons des connaissances préalables,
par exemple d’une maladie ou de son traitement:
– Les bons joueurs d’échecs qui voient une partie réelle en cours
pendant 5 secondes sont en mesure de replacer correctement
93 % des pions;
– Par contre, si les pions sont placés au hasard sur l’échiquier, les
joueurs chevronnés ne sont pas vraiment plus à l’aise que
d’autres personnes pour les replacer ensuite.
Les experts retrouvent un
«ordre implicite» qui échappe
aux profanes.
Les éléments de cet «ordre
implicite» sont p. ex. des
positions typiques sur
l’échiquier, résultant d’une
ouverture précise et des coups
suivants usuels.
Gobet et al.: Chunking mechanisms in learning, 2001
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Si nous croyons qu’une décision avisée
se prend en analysant intelligemment
des informations individuelles, il ne
faut pas évoquer plus
de 7 informations
Une étude l’a prouvé: des étudiant(e)s en
psychologie ayant vu un film dans lequel un
médecin donne au total 28 informations n’en
retiennent que 7 ± 2 !
Langewitz et al.; PEC 2015
Suite de la théorie A (traitement des
informations individuelles)
• Demander des informations complètes n’a donc
pas de sens, puisque la majorité d’entre elles
sombreront dans l’oubli sans être exploitées:
– Sur les 34 informations que les patients estimaient
extrêmement importantes et que les médecins
tenaient à transmettre, seules 7 leur seraient vraiment
parvenues !
• Les patients des hôpitaux se plaignent de ne pas
être correctement informés, alors qu’ils reçoivent
20 informations par jour…
Weber et al.; PEC 2009
Suite de la théorie A (traitement des
informations individuelles)
• Il y a un problème plus important que la capacité
limitée de la mémoire: le manque de pertinence
de la sélection. Les patients ne retiennent pas les
trois informations qui pourraient leur sauver la
vie, mais choisissent au hasard:
– Ils se rappellent le nom du chirurgien, mais oublient le
risque d’infection due à la prothèse.
– Ils savent qu’ils doivent prendre de l’aspirine une fois
par jour, mais oublient que si les douleurs thoraciques
réapparaissent, ils doivent venir aux urgences sans
attendre.
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Conclusions de la théorie A
• Informer les patients comme la loi l’exige et
comme les patients le souhaitent (c.-à-d. de la
manière la plus complète possible) n’a pas de
sens: cela n’aide pas les patients à prendre des
décisions avisées en évaluant les différents
arguments pour ou contre une intervention.
Théorie B: ce ne sont pas les différents
arguments qui comptent mais
l’essence de l’information
• «L’essence» correspond à une impression
viscérale, comme on peut en avoir de
quelqu’un qu’on ne connaît pas, d’un paysage
ou d’un appartement: sans pouvoir le justifier,
une personne nous sera sympathique, nous
trouverons un paysage magnifique ou un
appartement chaleureux.
Schmitz: Was ist Neue Phänomenologie?
Ingo Koch Verlag 2003
La transmission de l’information et la théorie B
• Lorsqu’un entretien est efficace, le patient a le
sentiment d’en avoir assez entendu et le
médecin d’en avoir assez dit.
• Il s’agit d’un «sentiment», car on ne peut pas
le quantifier comme la partie définie d’un tout
(p. ex. j’ai transmis 27 % des informations dont
je disposais). Ce n’est que l’impression que les
informations transmises sont SUFFISANTES.
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D’où vient ce sentiment?
• On le sent «dans ses tripes», on parle aussi
souvent d’intuition.
• S’il est probable que les patients aient souvent ce
sentiment, ils expriment par contre rarement
qu’ils en savent assez.
• Les médecins ne remarquent pas que les patients
sont satisfaits de la quantité d’informations
reçues parce qu’ils ne remarquent pas le signal
STOP donné par les patients et qu’ils ne prêtent
pas attention à leur propre sentiment d’en avoir
ASSEZ dit.
Langewitz 2008a, 2008b,
Dans ce cas, comment procéder?
Résultats: lors d’une prise de décisions complexes, il est
souvent préférable de se concentrer sur les sentiments plutôt
que sur les détails. Lorsque les participants essaient aprèscoup d’étayer une décision intuitive par des arguments
rationnels et la corrigent lorsque cela est possible, la qualité de
la décision en pâtit.
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Pourquoi est-ce si difficile?
• Parce que nous ne comprenons le besoin
d’informations des patients que selon la théorie A
• Parce que la législation soutient la théorie A
• Parce que nous n’avons pas appris à écouter
notre instinct
En conclusion, pour réconcilier les
deux camps…
Il faut bien sûr prendre en compte le
type de problème et sa complexité
• L’exemple d’un achat immobilier:
– Le ressenti (good feeling) dit: maison de rêve, à commencer par
le jardin…
– La raison impose de faire des calculs: quelle somme avons-nous
à disposition et combien la maison nous coûterait-elle ?
– Ici, il est pertinent de modérer la décision affective en mettant
dans la balance les arguments rationnels individuels.
• L’exemple d’une demande en mariage:
– Le ressenti (good feeling) dit: c’est une femme extraordinaire,
ne parlons même pas de la dot.
– Une vérification chiffrée (QI de 128; blonde; mensurations xx-xxxx) n’a par contre guère de pertinence.
– On remarque qu’il est difficile d’expliquer à son ami pourquoi
c’est «elle», on ne peut pas le justifier.
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Merci
Site internet: www.unispitalbasel.ch/psychosomatik
Le processus du diagnostic se fonde:
• sur une procédure analytique: traitement des
éléments individuels (p. ex. identification des
valeurs pathologiques);
• sur une démarche non analytique (pattern
recognition): prendre des décisions avisées en se
basant sur un petit nombre d’informations
individuelles;
• sur l’intuition, en particulier sur le sentiment
d’ALARME.
Cognitive Continuum Theory
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Cognitive Continuum Theory
• L’analyse rationnelle et l’intuition sont les
deux extrémités d’un continuum, sur lequel
les processus décisionnels se déplacent.
• L’intuition est un processus rapide, qui vient
du subconscient, sans le moindre contrôle;
l’analyse rationnelle est un processus lent,
conscient et contrôlé.
• Lorsque l’expertise augmente, la pensée
penche du côté de l’intuition.
Eraut M., 2000; Lykke et al.; 2008; Dreyfus & Dreyfus, Oxford 1986;
Barnacle R, 2006, Barnaby et al.; 2006
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