DE LA BOULE A LA BRIQUE

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DE LA BOULE A LA BRIQUE
De la boule à la brique / Yveline Dévérin
DE LA BOULE A LA BRIQUE
© Yveline Dévérin
Maître de conférences Université de Toulouse-le-mirail
Laboratoire SEDET (CNRS-Paris 7)
Ce document est inachevé en terme de finitions. Il n’est là que pour illustration de mon propos.
En pays mossi, tenga désigne le village, l'espace. C'est aussi la mère nourricière. Terre des traditions
et terre des cultures, terre des génies et terre des ancêtres, douée de pouvoirs occultes, elle est
aussi terre de civilisation et terre de construction. Tenga (pl.teense) désigne alors le matériau en
place. Retirée du sol, transportée mais non transformée, elle prendra le nom de toom.
BOULES DE BANCO TRADITIONNEL ET CREPIS DE TERMITIERES
Fondamentalement, la terre pour construire reste en place. On la transforme, on la mouille, on la
piétine, mais elle n'est jamais véritablement transportée sur de grandes distances. Telle était tout du
moins la conception traditionnelle. La terre pour construire est le banco* que l'on nomme tando en
moore. On y retrouve la même racine que dans tanga. Le banco est avant tout constitué d'argile
malaxée par piétinement.
Un travail collectif de saison sèche
La construction de la paillote se fait en deux temps : d’abord le corps de bâtiment, puis le toit de chaume,
construit à terre en fonction du diamètre du corps, et posé ensuite sur les murs où il tient par gravité.
La construction traditionnelle du mur se fait en banco1. C'est une activité de saison sèche qui occupait
tout le village, ou au moins tout le quartier. Elle se fait obligatoirement dans le cadre d’un sosoaga
(travail collectif). Elle durait trois jours durant lesquels, le bénéficiaire de la main d'oeuvre se chargeait
de la nourriture et de la boisson (dolo2).
Ziga, région de Ziniaré (Nord de
Ouagadougou), concession dont
les paillotes sont construites avec
la technique des « boules ».
Les constructions dateraient de
1960.
Cliché Yveline Dévérin
1
2
1992
Sorte de pisé.
Bière de mil
1
De la boule à la brique / Yveline Dévérin
Dans un premier temps, les hommes creusaient le sol dans un endroit où la terre était propice à la
réalisation du banco : c'était le tanako3. Celui-ci ne devait pas être trop éloigné de la future construction,
ce qui était une limite au choix de qualité de la terre à banco. Le trou une fois fait, les femmes y
versaient l'eau qu'elles apportaient dans des canaris4. On n'ajoutait pas de paille ou d'autre élément au
banco de base. C'était alors au tour des enfants de descendre dans le trou pour piétiner. Cette opération
réservée aux enfants porte le nom de tandtabre. Celui-ci une fois avancé, les hommes s'asseyaient
autour du tanako et formaient des boules de banco (ou tangilugu5 ) de la taille d'un gros
pamplemousse. Cette opération porte le nom de tangilubu. Les premières boules étaient un peu plus
grosses : de la taille d'un bon melon, elles étaient réservées aux fondations. Les enfants portaient les
boules toutes mouillées au maçon qui était sur le lieu de construction.
La maçon avait creusé une fondation circulaire d'une vingtaine de centimètres de profondeur et
suivant un cercle d’un diamètre de l'ordre de deux mètres à deux mètres cinquante. La technique de
pose était très difficile et supposait un savoir-faire spécialisé. Il fallait en effet pétrir ces boules de banco
en les creusant un peu à la base pour qu'elles épousent parfaitement la forme de la boule sur laquelle
on devait la mettre : c'est le tandmebo. Le mur était monté en tournant autour des fondations, d'un
seul bloc, et sans espace pour la porte. Le maçon était toujours un homme et il n’y en avait guère plus
de deux ou trois dans chaque village.
Il fallait nécessairement trois jours pour monter le mur d'une paillote. En effet, le mur mesurait environ
un mètre cinquante à deux mètres de haut et on ne pouvait pas le monter d'un seul coup: il fallait
nécessairement attendre que la partie montée soit un peu solidifiée par séchage avant de continuer.
C'est donc pendant trois jours qu'il fallait prendre en charge l'ensemble de ceux qui participaient à la
construction.
Une fois le mur terminé, on « ouvrait la porte ». Il s'agissait d'une opération rituelle aux gestes précis.
On dessinait les bords de la porte avec un enduit fait de toegvadsom (poudre de feuille de baobab), en
laissant toujours le seuil légèrement surélevé pour éviter la pénétration de l'eau en saison des pluies.
On découpait ensuite à la hache (= rognore kibere) en suivant le dessin. Le bloc ainsi découpé devait
tomber à l'intérieur de la case. On jetait alors à l'intérieur le reste de l'enduit de toegvadsom, ainsi
que deux ou trois boules de sumbala6 (calogo en mooré). On pouvait enfin entrer dans la construction.
Il restait ensuite à faire le toit.
Le toit est toujours fait au sol et
posé ensuite sur le corps de
bâtiment.
Il correspond lui aussi à des
techniques très précises, tant
pour ce qui concerne la collecte
des végétaux que pour ce qui est
de leur traitement et de leur
assemblage.
Cliché Yveline Dévérin
3
Trou du banco
Jarre de terre
5
Nous garderons ce terme de tangilugu pour désigner le banco traditionnel par opposition
briques moulées.
4
6
aux
Terme dioula désignant un condiment fait de graines de néré fermenté.
2
De la boule à la brique / Yveline Dévérin
Les tangilugu sont faites d'une terre qui ne peut être éloignée du lieu de construction. Sa qualité est
souvent médiocre en tant que « terre à banco » car on la prend généralement dans les champs de
cases. Ce n'est pas l'adjonction de paille qui est alors choisie pour lui donner de la cohérence, mais
l'intensité du piétinement. Le banco traditionnel n’était en effet pas mélangé à de la paille, toutefois, si
la terre matière première était se trop mauvaise qualité, on était contraint d’y mêler des herbes.
Présenter le banco comme de la « terre séchée au soleil » est un abus de langage : jamais aucune terre
mouillée et simplement séchée ne donnera du banco... Ce qui fait sa cohérence est le long malaxage
par les pieds. La qualité du banco final dépend alors non seulement de la terre de base, mais aussi de
la façon dont elle a été travaillée. Il est difficile de se faire une idée exacte des différents critères,
puisque s'il existe encore des constructions de ce type, en revanche, on n'en construit plus depuis
longtemps.
Le mur de tangilugu est d'une solidité à peu près constante, quel que soit le lieu considéré. En effet,
toute mauvaise qualité de la terre est compensée par un surcroît de travail de la part des enfants
piétineurs; en revanche, toute qualité naturelle exceptionnelle de la terre permet de diminuer ce travail.
Dans tous les cas, on reconnaît que le mur de tangilugu peut résister environ une trentaine d'années,
mais à condition d'être régulièrement crépi. Une paillote de tangilugu qui ne serait pas recrépie une
année ne pourrait espérer passer la saison des pluies. La méthode de crépissage suppose une
excellente connaissance des qualités de la terre et des éléments naturels entrant en jeu. Le crépi se
fait toujours en mélangeant de la terre (et éventuellement de la bouse de vache) à de la termitièrechampignon (tambekpibri) et de l'eau très gluante car mélangée à du bundu (Cerathotheca sesamoïdes)
ou du hanga (écorce et gousse de roaga, Parkia biglobosa). L'eau gluante sert de colle, accentuant la
cohésion du mélange et le tambekpibri, constitué d'argile « travaillée » par les termites constitue le
« banco naturel » le plus dur qui soit. L'adjonction de terre ne se justifie que parce qu'il est très
difficile de trouver tambekpibri en quantité.
« tambekpibri »
Termitière « champignon » la seule utilisée pour
faire le « crépis » en mélange avec la décoction
d’une plante précise
Cliché Yveline Dévérin
3
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Brisures de tambekpibri devant une paillote à
recrêpir
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LA PORTE DE LA PAILLOTE TRADITIONNELLE
L'ouverture a été taillée à la hache dans le banco à peine sec, lors de la construction. La porte intérieure,
faite en bois est le travail des forgerons. La serrure de bois assure une inviolabilité assez efficace. La
clef en forme de crochet est ici sur le pas de la porte. Toutes les paillotes ne sont pas ainsi équipées.
Aujourd'hui, cette porte est de plus en plus remplacée par une tôle montée sur une armature de bois.
Parfois, même il n'y a aucune porte « en dur » et la seule fermeture est celle de la porte de séko7
(rig-noore piri) poussée ici à gauche. Cette porte de paille (qui existe dans tous les cas) est maintenue
en place par les deux piquets de bois (lugri) placés de chaque côté de l'ouverture.
La porte (ouverture) découpée à la
hache.
Cette paillote a été détruite par les
inondations de l’hivernage 1992.
Cliché Yveline Dévérin
7
Paille de mopoaka (Andropogon gayanus)
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C'est donc l'association des qualités de la terre piétinée et de la terre mastiquée par les termites qui
donne à la construction traditionnelle toute sa solidité. Que l'on vienne à négliger l'un ou l'autre aspect,
et la maison s'effondre aux premières pluies.
Il y a bien longtemps que les paillotes ne sont plus construites suivant ce principe, la brique ayant
supplanté les boules. En 2000, il n’est pas certain qu’il reste encore une seule paillote de boule dans tout
le « pays mossi ».
Les premières briques moulées ont fait leur apparition en brousse dans les années 1940. Des
migrants partis en Côte d'Ivoire en ont ramené le principe et les moules. C'est seulement vers
les années 1960 que les briques de banco ont véritablement supplanté le tangilugu dans les
campagnes.
LA BRIQUE DE BANCO : UNE AUTRE TECHNIQUE
Méthode de fabrication
La brique de banco obéit à des règles de fabrication quelque peu différentes de celles qui régissaient le
tangilugu. On piétine l'argile avant de la placer dans des moules de bois. Le format s'est peu à peu
standardisé : 40 X 20 X 11 cm. pour un poids de 15 kg par unité. Une fois l'argile moulée et tassée,
on retire le moule qui sert pour la brique suivante. Il suffit donc d'un seul moule par artisan. On laisse
sécher la brique au soleil pendant trois jours. La brique terminée porte en moore le nom de
tandkoemde (pl. tandkoema), c'est à dire textuellement, terre mouillée et desséchée. Elle sera montée
avec un mortier de banco frais.
Le fait qu'elle soit montée une fois sèche permet son transport à plus grande distance et donc le
choix de la terre à banco qui sera, dans tous les cas possibles, de l'argile (boalga).
Cette possibilité de choix permet d'obtenir des constructions éventuellement affranchies de la
servitude du crépi de tambekpibri, mais aussi d'une série de contraintes architecturales liées à
l'usage des boules.
Les modifications paysagiques relèvent alors de la fabrication du banco lui-même, mais aussi des
constructions qui peuvent prendre de nouvelles formes.
Les paysages induits sont donc très différents de ceux du tangilugu. Ce dernier en effet contraignait à
prélever la terre près de la construction. Pour chaque groupe de constructions, on avait ainsi un creux
topographique ponctuel, peu visible dans le paysage, et éventuellement réutilisé pour rassembler les
ordures et déjections servant d’engrais (tampuure) ou comme réserve d’eau (baanka ou bulli). En
revanche, le choix de la brique induit la spécialisation des lieux : on assiste ainsi à la naissance de
véritables
mines d'argile à
ciel ouvert localisées préférentiellement près des points d'eau
naturels. Ceux-ci présentent en effet trois avantages que l'on tient à exploiter :
- L'eau est disponible à proximité, sans qu'on ait besoin de la transporter dans des canaris comme on
le faisait pour le tangilugu.
- Ces lieux gardent l'eau, non seulement parce qu'il y a une dépression, mais aussi parce que le sol est
argileux. On tient donc à profiter de la qualité de l'argile.
- Enfin, tous ces points d'eau sont des lieux de rassemblement régulier et répété du bétail.
L'argile est donc abondamment piétinée plusieurs fois par jour par les troupeaux. Il serait dommage de
ne pas utiliser ce travail animal ! Ainsi, on remarque que bien souvent, il y a une bancotière
précisément là où les animaux viennent boire, alors que le reste du point d'eau est laissé à lui-même.
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BANCOTIERE A SAWANA
Les briques de Sawana8 sont réputées dans toute la région. L'argile de la bancotière est
particulièrement résistante. Les constructions réalisées à partir de ces briques peuvent résister
plus de dix ans sans aucun crépi ni entretien. On vient donc de très loin (plus de 15 km)
acheter les briques de Sawana. La bancotière ne cesse de s'étendre. La technique de prélèvement
relève de la carrière à ciel ouvert. On remarque au second plan, le paysage caractéristique
des dépressions circulaires qui finissent par être coalescentes. Au fond, les briques empilées déjà
sèches sont prêtes à être vendues. Tout-à-fait à l'arrière-plan à droite, la ligne de briques
séparées et posées à plat est constituée de briques en train de sécher. Au premier plan, l'argile
vient d'être prélevée et est prête à être piétinée avant qu'on ne la mette dans les moules. On
remarque l'homogénéité et la finesse de la texture, expliquant la résistance des briques obtenues.
Bancotière réputée
Avoir de la « bonne terre à banco »
Cliché Yveline Dévérin
Le système s'auto-entretient, puisque en creusant pour obtenir de la terre pour faire le banco, on
agrandit (ou crée) la dépression dans laquelle les eaux de pluies vont stagner. C'est ainsi que bien
souvent, il est difficile de faire la part exacte du « naturel » et de « l'anthropique ».
Ces paysages totalement inconnus du « pays mossi » au milieu du siècle, en font maintenant intimement
partie. On ne peut pas circuler en brousse, ou dans les quartiers périphériques sans rencontrer ces
paysages lunaires de terre nue trouée de dépressions circulaires coalescentes généralement
remplies d'eau. L'étendue dépend de la demande : parfois moins de 300 m², parfois, comme à Sawana,
la bancotière s'étend à perte de vue.
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Village situé à une dizaine de km à l’est de Ziniaré et à une trentaine de km de Ouagadougou.
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La bonne terre à banco
La qualité demandée est avant tout la solidité. Compte tenu des intempéries et des conditions de
construction, « solide » signifie d'abord compact, non friable, ne risquant pas de se désagréger en cas
de fortes pluies. Mais cela signifie aussi que la brique ne doit pas se fendre en séchant. Elle doit rester
d'un seul tenant. C'est donc l'argile (boalga) qui est choisie de préférence à toute autre terre.
La bonne terre à banco est de l'argile « qui ne se fendille pas ». L'exemple de la « mauvaise argile »
est décrit comme une argile bien collante, mais qui forme des polygones dès qu'elle sèche. La
montmorillonite est donc peu prisée. Trop gonflante, elle se fend au séchage. On l'utilise tout de
même, à cause de ses qualités de finesse et de compacité, mais on est obligé de la mélanger à de la
terre ordinaire pour diminuer les problèmes de rétraction liés au séchage. L'argile de Sawana est une
argile blanche, très homogène et d'une extrême finesse (comprenant probablement un fort
pourcentage de kaolin). Elle ne contient pratiquement pas de particules sableuses rouges .
Malgré tout, chaque pluie importante voit sa cohorte de maisons de banco effondrées. Cela peut
arriver en brousse, mais sur le Plateau, c'est relativement rare, car on a généralement la possibilité de
choisir de l'argile pour faire les briques.
A Ouagadougou, la situation est bien différente et chaque année, des dizaines de maisons s'effondrent.
Brique de Ouagadougou / brique de brousse
C'est que la brique de Ougadougou est de particulièrement mauvaise qualité. Plusieurs raisons
convergent pour créer cette situation : difficulté de trouver de la matière première, mauvais travail des
mouleurs de briques, et indifférence ou ignorance des maçons et des propriétaires.
Il est d'abord difficile de trouver des zones où prendre de l'argile. L'extension de la ville a tout digéré
dans un conglomérat de parcelles. Il n'y a point de lieux où peuvent venir s'abreuver les animaux.
Les alentours des barrages sont occupés par des maraîchers : cette exploitation du sol est plus
rentable que la fabrication de briques. On les fabrique donc avec ce qu'on trouve. Il s'agit le plus
souvent de matériau de très mauvaise
qualité.
La
providence
est
alors
dans
les
déguerpissements9. Les maisons rasées à coup de bulldozer sont en banco. Elles ont été construites il
y a longtemps, à une époque où la matière première était moins rare et donc mieux sélectionnée,
et où le fabriquant n'hésitait pas à piétiner longuement son tando avant de le mettre dans le moule.
Après les déguerpissements, on vient donc récupérer les briques entières, mais aussi les brisures : en
mouillant et en moulant à nouveau untel matériau, on obtiendra la meilleure brique qu'on puisse
trouver en ville. Ceci n’est envisageable qu’en ville (on ne pratique pas de déguerpissements en brousse,
bien sur, mais de surcroît, la tradition interdit de réemployer les matériaux de construction abandonnées).
A défaut, on voit dans les périphéries urbaines des paysages inimaginables en brousse : ainsi, à
Taptenga, le trou creusé par les cantonniers qui construisaient la grande route circulaire a été
transformé en briqueterie. Pourtant, la terre est du type zeka, terre sablonneuse rouge, tout juste bonne
pour damer les pistes. En brousse, c'est la dernière terre qu'il viendrait à l'idée d'utiliser pour faire des
briques. Ici, on n'a guère le choix. Il faut un espace non attribué et accessible. Les clients sont
prisonniers des contraintes géographiques.
Enfin, le passage à la brique suppose la commercialisation et ce, en brousse comme en ville. Au
village, celui qui ferait des mauvaises briques aurait vite des problèmes avec ses clients qui sont souvent
aussi des parents : la pression sociale assure un minimum de conscience professionnelle. A
Ouagadougou, l'anonymat et la possibilité de dire au client qu'il n'était pas obligé d'acheter chez soi
permettent de faire des briques dont le banco a été piétiné au minimum. Ce qui compte n'est plus la
qualité mais la rentabilité : la brique est en effet vendue environ 25 FCFA pièce10. Pour faire
9
Opérations par lesquelles les pouvoirs publics chassent la population d’un quartier et procèdent à la
destruction des habitations.
10
Prix de 1993, avant la dévaluation.
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De la boule à la brique / Yveline Dévérin
beaucoup de briques, on réduit le soin apporté à la fabrication, car le facteur limitant devient le temps
(puisqu'on est peu regardant sur la matière première).
Briqueterie de Taptenga
terre est du type zeka, terre
sablonneuse rouge
Cliché Yveline Dévérin
De surcroît, en ville, on confie généralement le travail à un maçon qui ne voit pas toujours l'intérêt d'aller
loin chercher une brique de meilleure qualité. Le propriétaire lui-même n'a pas toujours les
connaissances l'autorisant à pouvoir faire attention aux détails permettant de mesurer la qualité de
la brique. Enfin, en particulier dans les zones d'habitat spontané, on construit en provisoire, pour
occuper le terrain « en attendant l’opération de lotissement », il n'est donc pas nécessaire d'investir dans
le banco. En brousse, en revanche, la construction est toujours définitive, c'est le propriétaire luimême, aidé de ses parents, qui construit. L'attention portée ne peut être que plus forte.
A priori, le passage de la boule à la brique semble être une simple amélioration technique.
Toutefois, le fait que celle-ci n'ait pas été adoptée dès sa première apparition conduit à se
demander s'il ne s'agit pas d'une mutation qui toucherait à un ensemble beaucoup plus vaste que la
simple boule de banco.
De la boule à la brique
L'introduction de la brique de banco est une modification technique qui est à la base de tout un
cortège de bouleversements, tant paysagiques que sociaux.
Un entretien avec un « vieux » de Ziga11, entouré d'hommes plus jeunes nous a permis de retracer
l'historique de l'introduction des briques moulées dans la région. En effet, les jeunes ont toujours
connu les briques moulées (coexistant avec les bâtiments en tangilugu); on peut dire qu'aujourd'hui,
toutes les nouvelles constructions sont faites en briques moulées.
Les première briques moulées sont apparues dans cette région aux environs de 1944 / 1945. C'était un
« grand-frère » qui était parti à Ouagadougou chercher du travail qui avait ramené le premier moule.
Il a lui même fabriqué ses propres briques et s'est construit une maison carrée avec un toit en paille.
Ce jour-là fut un jour exceptionnel, l’initiative provoquant une grande surprise : tout le village est
accouru pour le voir faire.
Puis pendant bien longtemps, cette initiative n'a pas été reprise par d'autres.
La deuxième phase se situe à l'époque du président Maurice Yaméogo, vers 1963 / 1964. Le fils du
Chef était alors secrétaire de canton et servait d'interprète. Ses fonctions l'ont amené à partir en
11
A une vingtaine de km à l’est de Ziniaré.
8
De la boule à la brique / Yveline Dévérin
voyage. Il a eu l'occasion de voir les constructions en briques et il s'est acheté un moule à Ziniaré
ou à Ouagadougou. A l'époque, on fabriquait les moules avec des planches de kapockier (voaaka,
Bombax costatum). Dès son retour avec le moule, il a construit sa propre maison rectangulaire. Le
Chef, séduit par l'opération, en a fait autant. Ces maisons furent les toutes premières maisons en
briques de Ziga. Celle du chef eut même une destinée historique : l'année de sa construction, Naaba
Kougri, Mogho Naaba12 de l'époque, est venu rendre visite au Chef de Ziga et c'est dans cette nouvelle
maison qu'il a été reçu. Cette maison a donc reçu le Mogho Naaba qui s'est déchaussé pour y
pénétrer.
L'usage des briques s'est ensuite diffusé dans l'ensemble du village.
Les avantages de la brique moulée
Ce succès des briques moulées s'explique par un certain nombre d'avantages économiques et
pratiques très importants par rapport à la construction traditionnelle.
Si les briques sont très lourdes, ce qui serait plutôt un inconvénient, leur compacité est le gage de leur
solidité. On peut les stocker plusieurs mois, ce qui n'est évidemment pas le cas des tangilugu qui
doivent être utilisées immédiatement. Ceci suppose qu'on peut préparer la construction des murs bien
avant la mise en route du chantier, ce qui permet une meilleure gestion du temps à l'intérieur de la
saison sèche. Cet aspect est d'autant plus important que le bâtiment de terre se monte en une seule
journée au lieu de trois pour la construction traditionnelle (il n’est point besoin d’attendre que le
banco sèche avant d’élever la suite).
Gain de temps, la construction en briques est aussi un gain d'argent, même s'il faut financer le moule.
La construction traditionnelle suppose l'aide de tout le village et celui qui est demandeur doit alors
prendre en charge nourriture et boisson pour tout le monde pendant toute la durée des travaux. Ceci
ne supportait déjà pas la concurrence avec les briques lorsqu'on nourrissait tout ce monde avec sa
propre production agricole. Depuis que l'usage massif de la monnaie conduit tout un chacun à acheter
une part de plus en plus grande la nourriture et surtout de la boisson, le mode traditionnel a un
véritable coût monétaire qu'on cherche à limiter. Il est donc plus économique de payer une personne
pour faire les briques et une autre pour vous aider à monter les murs, que d'acheter du dolo pour tout
le village pendant trois jours. Enfin, il est de plus en plus difficile de faire intervenir les travaux
collectifs (sosoaga). Les mentalités ont changé sous l'influence des migrants de retour de Côte
d'Ivoire ou de Ouagadougou. L'argent a fait une irruption massive jusque dans la vie la plus
traditionnelle et aujourd'hui. Celui qui voudrait organiser des travaux collectifs ne devrait pas se
contenter d'acheter du dolo et de la nourriture. Cela n'intéresse plus personne de travailler contre
un paiement en nature. Il faudrait obligatoirement rémunérer aussi en argent.
Enfin, spécialisation professionnelle et progrès ne vont pas toujours de pair. Alors que le travail
traditionnel supposait un travail spécialisé de chaque villageois (enfant, homme, femme),et surtout
l'intervention d'un véritable technicien de la construction (et on se souvient que très peu de gens
savaient monter correctement un mur en boules), les briques ne supposent aucune qualification.
N'importe qui peut les fabriquer, tout un chacun peut monter un mur en briques. La technique de
construction est alors accessible à tous, ce qui limite encore les obligations de faire appel à une aide
extérieure et donc coûteuse.
Gain de temps, gain d'argent, gain d'indépendance, la brique assure également un gain de travail sur
la longue durée. En effet, parce qu'elle est lourde et compacte, elle est solide, et surtout, elle permet
la construction de murs épais. Il arrive même qu'on l'utilise dans le sens de la largeur pour obtenir un
mur de 40 cm d'épaisseur. Il n'est pas nécessaire de crépir chaque année avec autant de soin que
pour les fins murs de banco traditionnels. Un mur non crépi peut traverser une saison des pluies.
Nous avons même vu à Sawana des constructions faites avec les fameuses briques du même lieu,
12
Empereur des Mossi
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De la boule à la brique / Yveline Dévérin
âgées d'une « trentaine d'années» 13 , elles ont été abandonnées par les occupants il y a 10 ans. Si le
toit est en mauvais état, les murs, bien que non entretenus, sont toujours là. La construction dure plus
longtemps avec moins d'entretien.
En dehors de ces avantages directement perceptibles, il existe une part non négligeable d'avantages
perçus comme tels et induits de l'adoption de la brique.
LES MODIFICATIONS INDUITES
Les premières modifications sont de type paysagique.
Autrefois, le paysage de la concession était un camaïeu d'ocre du banco et de jaune d'or des roogo et
des séko de paille de l'enceinte. Aujourd'hui, même si on a conservé des paillotes aux murs de
briques, le mur d'enceinte est en brique de banco
(les boules ne pouvaient permettre la
construction d'un mur n'ayant pas la forme d'un cercle à faible rayon) et c'est l'uniformité des
couleurs qui est de règle, seulement brisée çà et là par les bouquets de greniers de paille.
L'alternance des couleurs a fait place à la variété des formes.
La technique des tangilugu obligeait à la construction circulaire, ce qui n'est plus le cas avec la
brique. Les formes rectangulaires sont de plus en plus nombreuses.
Dans
le
même
village…
construction rectangulaire en
briques moulées et séchées.
En effet, à partir du moment où on construit avec des boules de banco empilées les unes sur les
autres, et sans aucune armature, cela oblige à construire en cercle, chaque boule s'appuyant sur ses
voisines (suivant le même principe que l'arc roman). Toute tentative de construction d'un mur rectiligne
sans armature est vouée à l'échec : au bout d'une certaine hauteur, tout s'écroulerait car il est très
difficile d'obtenir une verticalité parfaite avec des éléments aussi petits et il n'y a pas de forces
latérales pour maintenir l'édifice. Avec les briques, la ligne droite retrouve son élément. Le jeu des
forces se fait uniquement à la verticale, compte tenu de l'assise liée à la taille des briques : la base
d'appui étant large, le centre de gravité du mur est toujours au-dessus de celle-ci.
13
En fait, « trente » signifie souvent seulement « très nombreux » et n’a donc pas forcément valeur de
nombre précis.
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De la boule à la brique / Yveline Dévérin
C'est ainsi que les formes rectangulaires se multiplient dans le village. Il y a même des variations
entre ces formes : les premières maisons construites en briques étaient carrées, avec un toit de paille
ciculaire. La brique a permis l'apparition de deux types de constructions ayant chacune leur nom en
moore :
- gasago (on dit beongo dans certaines régions). Il s'agit de maisons à toit plat, en terrasse de banco. Le
terme beongo est révélateur : il signifie « maison fermée ». Puis est apparue la maison de la quatrième
génération :
- tole-roogo : dont le nom formé sur le modèle de sug-roogo14. Sugri était le toit en paille, tole
est une déformation de « tôle ». Il s'agit bien sûr des constructions à toit de tôle ondulée.
Ces nouveaux types de maisons sont apparus les uns après les autres, grâce aux innovations
techniques permises par l'emploi de la brique.
Les innovations techniques en aval
La première innovation obligée a plutôt été une innovation de géométrie appliquée. On mesurait avec
grand soin le diamètre du roogo pour calculer celui du toit devant s'emboîter parfaitement dessus. On
garde bien entendu la même technique aujourd'hui alors que les murs sont en briques et le bâtiment
circulaire. Mais lorsqu'on a commencé à construire des maisons carrées, il a bien fallu adapter le toit
qui doit correspondre exactement au corps de la maison. On utilise les diagonales comme mesure
de base et on fabrique un toit circulaire de telle façon que chaque coin du « carré » corresponde
exactement au cercle.
La seconde série d'innovations vient de ce que la brique a permis. Le mur de briques résiste aux
intempéries et au temps. Il est massif et peut supporter des poids beaucoup plus importants.
Comme son adoption correspond à une phase de mutations importantes à Ziga (diffusion de la
monnaie, enrichissement lié aux quelques migrants de Côte d'Ivoire), on a tout de suite songé à l'utiliser
pour de nouveaux besoins. Ainsi, dans un premier temps, ce sont des habitants revenus d'autres
régions du Burkina qui ont eu l'idée de fabriquer le toit en terrasse de terre. Cette terrasse de terre,
beaucoup plus lourde que le sugri ne pouvait pas être envisagée avec des murs de banco traditionnel,
alors qu'elle ne pose aucun problème lorsque les murs sont en briques. Ainsi est né le gasago. Son
intérêt est double : en terre uniquement, il ne craint pas les incendies15; pourvu d'une porte solide, il
résiste aux voleurs. Chaque famille ayant quelques biens a donc très rapidement construit un
gasago afin d'y mettre tous les objets de valeur : « Comment veux-tu mettre des objets de valeur dans
une paillote? »
Plus tard, la construction de briques, grâce à ses murs rectilignes, a permis l'adoption plus facile de la
tôle ondulée comme couverture. Ici le phénomène est double : d'abord, l'habitude de construire
des rectangles à toit plats était déjà prise; ensuite la charpente de bois, même rudimentaire,
nécessitée par la tôle n'aurait pas pu être supportée par le banco traditionnel : on ne « pose » pas
un toit de tôle sur le corps de la maison, la charpente doit être « prise » dans le gros-oeuvre, et ce,
d'autant plus solidement que les vents sont très violents. Même si la température est très élevée sous
un toit de tôle, ce dernier présente l'avantage d'être durable, étanche et ignifuge.
Aujourd'hui, on ne construit plus de gasago à Ziga. Les « tole-roogo » les ont remplacées.
Les bouleversements culturels
- Le plus évident est bien entendu la perte d'un savoir-faire traditionnel. La technique n’est plus
transmise aux jeunes (mais pourquoi un jeune s'y intéresserait - il ?).
- De plus, l'adoption de la brique moulée suppose et induit une redéfinition des systèmes de solidarité
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Terme qui désigne en moore la paillote.
La crainte des incendie est une obsession.
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De la boule à la brique / Yveline Dévérin
et le déclin des travaux collectifs.
Aujourd'hui, même à Ziga, plus personne ne peut imaginer faire appel à la solidarité des voisins pour
lancer des travaux collectifs (sosoase, sing. : sosoaga). A la fin des années 60, cela se faisait encore
beaucoup, non seulement pour les constructions, mais aussi pour les cultures.
Il est à noter que si les travaux des champs peuvent se faire sans sosoaga, en revanche, les
constructions en tangilugu ne pouvaient en aucun cas être le fait d'une seule famille. On peut alors se
demander si l'adoption des briques moulées n'a pas contribué au déclin général des travaux collectifs en
en faisant une tradition qui n'était plus indispensable. Il est certain que si les sosoase étaient encore
indispensables à certains travaux, ils n'auraient pas été abandonnés aussi vite pour les autres.
N'ayant plus de raison impérative d'être, elle disparaît.
Cette disparition est relativement brutale à Ziga. Les phénomènes observés par Jean-Yves Marchal
dans le Yatenga sont apparus beaucoup plus tard, mais beaucoup plus rapidement.
- Tout le monde regrette l'ambiance de fête qui prévalait à ces moments. C'est un pan entier de mode
de vie que le village abandonné.
- Enfin, l'adoption de la brique moulée conduit à abandonner certaines pratiques religieuses, en
particulier le rite d'entrée dans la maison. Avec les briques sont apparues les maisons construites dès
le départ avec une ouverture pour la porte. Plus besoin, ni question, d'ouvrir à la hache dans des briques
! Cette opération n'était possible et nécessaire que dans le cadre de banco frais. L'opération
d'ouverture n'existant plus, les cérémonies rituelles qui les accompagnaient ont elles aussi disparu.
CONCLUSION : Ces changements n'ont pu se produire que dans le cadre d'un bouleversement
structurel
Ces innovations se sont produites dans un cadre historique précis. Ce n'est pas un hasard si la
première maison en briques de Ziga est restée vingt ans sans faire école. Les conditions d'alors ne s'y
prêtaient pas. L'ensemble des mutations induites par les briques moulées n'ont pu s'épanouir que
dans le cadre du bouleversement d'un système de gestion de l'environnement naturel et humain qui
s'est trouvé brutalement déstabilisé. On passe d'une gestion collective, assurant la pérennité du
groupe et la simple quête de nourriture, à une stratégie individuelle fondée sur la monétarisation et la
quête d'argent et de bien-être matériel. Tant qu'il n'y avait pas ces derniers éléments, la brique ne
pouvait s'imposer car elle n'avait aucun intérêt.
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