Le Monde

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Le Monde
MARDI 22 MARS 2016
72E ANNÉE – NO 22140
2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
La visite historique d’Obama à Cuba,
nouvelle étape du rapprochement
▶ Le président américain devait rencontrer, lundi 21 mars, à La Havane, son homologue cubain Raul Castro
la havane - envoyé spécial
I
LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3
Environnement
Les coûts cachés
et exorbitants
des pesticides
LIR E PAGE 8
l n’a fallu que trois heures à Barack Obama pour remonter le
cours de l’Histoire. Les trois
heures nécessaires à son Air Force
One pour rallier La Havane, dimanche 20 mars, après plus d’un demisiècle d’une guerre froide tropicale
soldée par un rapprochement « historique », le 17 décembre 2014. C’est
d’ailleurs le terme que le président
des Etats-Unis a utilisé pour qualifier sa visite, la première d’un président américain en exercice depuis
1928, lorsqu’il s’est adressé au personnel de l’ambassade – rouverte
par le secrétaire d’Etat John Kerry
sept mois plus tôt –, première étape
d’une visite de trois jours.
Enquête
La vague bague
de Jeanne,
relique épique
du Puy du Fou
Trois mille spectateurs
sont venus admirer
l’anneau acheté à prix
d’or et attribué à la Pucelle.
Une grand-messe
identitaire et catholique,
d’un monde traditionaliste qui attend son
homme providentiel
gilles paris
→ LIRE LA SUITE ET LE REPORTAGE
DE FLORENCE AUBENAS PAGE 2
1
Assurances
Henri de Castries
quitte Axa
sans préavis
LIR E PAGE 1 5
ÉDITORIAL
Barack Obama,
dans la vieille ville
de La Havane,
dimanche 20 mars.
OBAMA EN VEDETTE
AMÉRICAINE
CARLOS BARRIA/REUTERS
LIR E PAGE 2 5
Politique
La droite goûte
fort le cumul
des mandats
LIR E PAGE 1 4
Salah Abdeslam, pivot de la logistique des attentats
▶ La capture de Salah Ab-
▶ Il a affirmé qu’il devait
▶ Il est soupçonné d’avoir
▶Me Sven Mary, le combatif
deslam, le dernier rescapé
des commandos du 13 novembre, devrait offrir un
utile éclairage sur la menace terroriste en Europe
« se faire exploser au Stade
de France » ; les policiers
pensaient plutôt qu’il préparait un attentat dans le
18e arrondissement
accueilli les terroristes en
Europe et a eu, selon les
enquêteurs, « un rôle central » dans la préparation
logistique des attentats
avocat du terroriste en Belgique, est un familier du procès de rupture et déplaire ne
lui a jamais déplu. Portrait
Syrie
Entretien
avec Mohamed
Allouche,
le négociateur
de l’opposition
F RA N CE – LIR E PAGE S 1 0 - 1 1
LIR E PAGE 6
Migrants L’Ofpra refuse les renvois en Turquie
L’
Office français de protection des réfugiés et
apatrides (Ofpra) a déclaré, dimanche
20 mars, qu’il ne participerait pas à la mise
en œuvre de l’accord liant l’Union européenne et la
Turquie. L’Ofpra, seule instance habilitée à délivrer le
statut de réfugié au nom de la France, estime que ce
texte, signé vendredi 18 mars, qui autorise le renvoi
en Turquie de Syriens éligibles à l’asile en Europe, en-
tre en contradiction avec ses valeurs. Si les homologues européens de l’office devaient en faire autant,
l’accord avec la Turquie deviendrait difficile à mettre
en place. En attendant, la position de l’Ofpra pourrait
accélérer l’arrivée des 30 000 réfugiés que la France
s’est engagée à accueillir avant la fin de 2017.
maryline baumard
L A S U IT E PAGE 1 2
→ LIR E
LE REGARD DE PLANTU
Les deux
jeunesses
musulmanes
de France
par HUGUES LAGRANGE
Le sociologue constate
qu’il n’y a pas de communauté homogène chez les
Français issus des migrations musulmanes, mais
deux jeunesses, l’une
ayant rejoint l’élite, l’autre
en échec. Comment
réduire cette fracture ?
DÉBATS – LIR E PAGE 2 3
Rencontre
Comment Iggy Pop
a ravivé
ses années Bowie
MUSÉE DU LUXEMBOURG
9 MARS • 10 JUILLET 2016
CHEFS-D’ŒUVRE DE BUDAPEST
DÜRER,GRECO,TIEPOLO,MANET,RIPPL-RÓNAI…
József Rippl-Rónai, Femme à la cage (détail), 1892. Budapest, Galerie nationale hongroise. Conception solennmarrel.fr
LIR E PAGE S 1 8 - 1 9
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
INTERNATIONAL
2|
0123
MARDI 22 MARS 2016
L’avion
du président
Barack Obama,
Air Force One,
quelques
instants avant
son atterrissage
à l’aéroport
de La Havane,
dimanche.
REUTERS
Cuba, à l’heure d’Obama et du Web censuré
Le président des Etats-Unis effectue une visite historique sur l’île, où les accès à Internet restent sous contrôle
REPORTAGE
la havane - envoyée spéciale
C
hoisir la plus belle chemise et la plier soigneusement. La ranger dans
un sac en plastique à
côté de l’ordinateur, pour la préserver du trajet dans l’étuve rugissante d’un autobus à travers
La Havane. Ne pas oublier le peigne. Descendre à l’arrêt près des
rues Galeano et San-Rafael, un petit square en plein centre-ville. Là,
enfiler la chemise. Se recoiffer au
milieu de la foule, comme pour
un rendez-vous galant. Tout le
monde le fait, même les filles se
maquillent sur la place, il n’y a pas
à se gêner. Puis sortir l’ordinateur.
Et c’est parti. Dans l’arène de ce
petit square, jour et nuit, se joue
une des folies cubaines, des gens
par centaines, de tous âges, venus
parfois de très loin, pour s’agglutiner ici : « Galeano y San-Rafael »
est l’un des rares hotspots de la
capitale, où des citoyens peuvent
se connecter sur Internet.
A Cuba, l’accès au Wi-Fi est un
des plus restreints et contrôlés du
monde : 150 000 habitants sur
11 millions ont pu se brancher
chaque jour en 2015, bien moins
qu’en République dominicaine ou
en Haïti. Ici, sur le Net, tout est à la
fois légal et illégal, permis et interdit, une zone grise, ambiguë pour
laquelle – notamment – un nom a
été inventé : « a-légal ».
Dans le cadre de la visite à Cuba
du président des Etats-Unis,
Barack Obama, du 20 au 22 mars,
la délégation américaine vient encore de le répéter : les télécommunications constituent sa priorité
dans les relations renaissantes
avec le régime castriste, les entreprises du secteur viennent même
d’être les premières autorisées à
rompre l’embargo, imposé ici depuis 1962. Pour réponse, Cuba a
mis sur la table les onze dossiers
dont elle souhaite débattre dans
ce nouveau contexte international : médecine, agriculture, transport… Les télécommunications
Le gouvernement
revendique le
blocage de sites
traitant de
« pornographie,
terrorisme ou
anticastrisme »
n’y figurent pas, ostensiblement.
A vrai dire, le gouvernement cubain s’est longtemps arrangé de
ce sous-équipement technologique. « Il a mis du temps à mesurer
l’intérêt d’Internet », estime Iroel
Sanchez, blogueur local et fonctionnaire au ministère des télécommunications. Et puis, cela
aidait au contrôle, pour ne pas
dire à la censure.
« Ici, il faudrait être fou pour ne
pas y penser », dit Maria, une
jeune chercheuse. Des contestataires sur la Toile en ont été sévèrement victimes, le gouvernement revendique le blocage de sites traitant de « pornographie, terrorisme ou anticastrisme ». Au
sein du régime, quelques voix
tonnent toujours contre « l’utilisation massive d’Internet qui véhicule en soi une idéologie nuisible ».
« Ils vont devoir lâcher du lest »
Chez Coppelia, le grand glacier de
La Havane, un groupe d’étudiants
patiente dans la file au comptoir
qui propose les parfums nougatchocolat. Si on préfère fraise-pistache, il faut attendre dans une
autre queue. Et si on veut chocolat
mais avec de la pistache ? « Impossible : la crème glacée aussi est bureaucratique ici », commente un
petit blond, casquette Batman, un
ordinateur sous le bras, loué 2 pesos cubains convertibles (2 dollars) à un ami pour l’après-midi.
Avant 2008, les citoyens ne pouvaient pas en posséder.
Aujourd’hui, c’est possible mais
trop cher, avec des salaires de
25 pesos cubains convertibles par
mois en moyenne. « Le régime
n’arrive plus à suivre, à tout contrôler : ils vont devoir lâcher du lest »,
reprend le petit blond. « Des pans
entiers de la vie sont en train de
basculer les uns après les autres
dans une sorte d’autogestion, où
chacun pousse pour faire bouger
les lignes rouges. »
Dans le square Galeano-y-SanRafael, la plupart viennent « wifiter » – c’est le terme en vogue –
avec les amis ou la famille à
l’étranger. « Tout le monde a au
moins trois copains qui sont partis. Je dois me refaire de nouveaux
amis tous les cinq ans », dit un vendeur dans le sport. Il fixe sa fiancée, yeux dans les yeux, écran
contre écran, soupirant : « Chaque
fois que je t’appelle, tu es en train
de faire la même chose : tu te regardes dans le miroir. »
A côté, deux cousines sont passionnément connectées avec une
troisième : « Ramène-nous des
chaussures à talons, même si elles
sont cassées. S’il te plaît, ne jette
rien. » Puis, on parle d’un oncle. « Il
nous a bien eues, quand il est arrivé
de Miami. Il portait des chaînes en
or, mais elles étaient louées. »
Une femme vend des gélules de
poisson, envoyées d’Australie.
Une autre des raisins. Ici, on loue
un smartphone à l’heure. Son
propriétaire soutient l’avoir reçu
en s’enrôlant dans les comités de
défense de la révolution (CDR), ces
groupes de citoyens qui surveillent chaque pâté de maison.
« Plus personne ne veut faire de
garde, alors on en promettait un
aux volontaires. Maintenant, ils
ont arrêté : même pour un mobile,
ça ne marche plus. »
Les cartes pour se connecter
s’achètent chez Etecsa, entreprise
d’Etat qui détient le monopole
des télécommunications : l’heure
coûte 2 pesos cubains convertibles, contre 4,5 en 2013, date de
l’ouverture des premiers points
de connexion aux particuliers. De
toute façon, il n’y en a généralement pas assez, la vente se limite
souvent à 5 par personne, les files
d’attente s’éternisent devant les
agences, parfois en vain. Quant
aux connexions chez soi, moins
de 4 % des Cubains en disposent.
Différents trafics se sont immédiatement organisés, des réseaux
Intranet secrets entre jeunes gens
ou le lancement du « paquete », la
dernière invention qui a rallié
98 % des Cubains et pousse jusqu’à la perfection le concept d’« alégal ». Trois jeunes gens ont, en
effet, eu l’idée de commercialiser
chaque semaine 1 000 Go de téléchargements, où se mélangent
tous les programmes télé – ou
presque – piratés les jours précédents sur les grandes chaînes internationales (interdites), séries,
infos, films, auxquels s’ajoutent
des produits cubains spécifiques,
publicité de commerçants (interdits), petites annonces (interdites), un magazine people (interdit). « Le gouvernement sait que ça
existe, fait savoir qu’il le sait, mais
le tolère tant que la politique n’est
pas abordée. Les gens du paquete
s’en tiennent soigneusement éloignés », explique un de leur proche.
La politique ? « Oui, beaucoup
d’officiels à Cuba sont persuadés
qu’Obama veut faire tomber la Ré-
volution en implantant Netflix et
qu’il en va de notre souveraineté
nationale. » L’arrivée du câble de
fibre optique ne remonte ici qu’à
il y a quatre ans, lors d’une opération hallucinante à laquelle assistaient deux ministres et un commandant en chef de la Révolution. Comme un gigantesque fil
électrique qui viendrait enfin
brancher l’île au reste du monde,
le câble Alba-1 a atteint un bout de
plage du côté de Santiago-deCuba, le 9 février 2011, après s’être
déroulé pendant 1 600 km sous la
mer. Il partait du Venezuela, vieil
allié du régime castriste, à qui le
pétrole permettait encore quelques largesses. Miami et son prodigieux réseau de fibre optique ne
sont pourtant pas loin : la qualité
serait incomparable.
« Un jour, j’aurai mon ordinateur »
Peu avant la visite de M. Obama,
Washington avait proposé un
raccordement à La Havane : le régime est ouvert « à la discussion,
mais c’est une discussion qui s’annonce très lente », selon Daniel
Sepulveda, haut responsable
d’Etat américain chargé des télécommunications internationa-
les, au site On-Cuba. « C’est une
question de confiance, confiance
du gouvernement cubain envers
nous, comme gouvernement, et
envers nos entreprises ou opérateurs » de ce secteur. Aucune décision n’a été prise.
Dans le square, un petit jeune
homme fourgue des cartes Etecsa,
de la main à la main, à peine plus
cher qu’à la boutique. « Je les obtiens par lot de 90, grâce à la
corruption d’employés », expliquet-il, un petit diamant dans la narine. « C’est mon signe commercial. » Au square, officie une trentaine de revendeurs, chacun son
réseau
d’approvisionnement,
mais tous au noir et habitant le
quartier. « Les autres, on les dénonce à la police. » Petit Diamant
s’interrompt pour échanger quelques coups avec un concurrent
afin de savoir lequel des deux vendra une carte à une métisse affolante. Petit Diamant a perdu.
Avant, il faisait vélotaxi, mais « les
cartes, c’est plus chic ». Il n’ose le
dire, puis se lance : « Un jour, moi
aussi, peut-être, j’aurai mon ordinateur. » Sa lèvre tremble un peu
de formuler tant d’ambition. p
florence aubenas
Une première très encadrée
suite de la première page
M. Obama est remonté ensuite en amont – avant
la rupture américano-cubaine et l’imposition
d’un embargo qui continue d’empoisonner l’île
longtemps rebelle – en déambulant en famille,
sous une pluie fine et persistante et sur des pavés glissants, dans le quartier historique de
La Havane. Les autorités cubaines avaient dissuadé la population, les jours précédents, de converger vers un centre-ville placé sous haute sécurité. Les Cubains présents ont pourtant fait bon
accueil au président, accompagné par sa femme
Michelle et ses deux filles, Sasha et Malia.
Un artiste local, Ares, avait adressé quelques
jours auparavant un message de bienvenue
particulier au président, en le revêtant de la
guayabera, la chemise traditionnelle, un cigare
glissé dans l’une des poches, devant le mémo-
rial érigé en mémoire du héros national José
Marti. « Yes we came », proclame le dessin, dans
un clin d’œil au « Yes we can » du candidat
Obama de 2008.
Raul Castro, qui devait recevoir son homologue américain lundi, ne s’est pas déplacé à l’aéroport pour accueillir Barack Obama, ce qui
constitue une entorse au protocole, à moins
que ce ne soit un signe de la santé déclinante du
chef de l’Etat cubain, âgé de 84 ans. Cela n’a pas
empêché sa police politique de sévir, aussi bien
à La Havane qu’en province, contre les dissidents qui s’entêtent, tous les dimanches, à défendre le droit de manifester pacifiquement.
Parmi les interpellés figurait Berta Soler, porteparole des Dames en blanc, l’association des
épouses de prisonniers politiques, invitée à rencontrer M. Obama mardi. p
gilles paris (la havane, envoyé spécial)
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4 | international
0123
MARDI 22 MARS 2016
Black-out électoral au Congo-Brazzaville
Denis Sassou-Nguesso a tout mis en œuvre pour être réélu dès le premier tour de la présidentielle, dimanche
REPORTAGE
LES DATES
brazzaville - envoyé spécial
L’
ambiance était électrique,
dimanche
20 mars, dans la cour
du collège d’enseignement général Angola libre du
quartier Makélékélé de Brazzaville. Mais ce terme était-il tout à
fait approprié ? Il n’y avait pas de
lumière dans les salles de classe à
l’heure du dépouillement des bulletins lors du premier tour de
l’élection présidentielle au Congo.
Les votes ont été comptés sur le
tableau noir à la lueur de lampes
torches ou de téléphones portables. Ceux-ci retrouvaient là une
forme d’utilité, depuis l’ordre des
autorités de bloquer toutes les
communications jusqu’au lendemain soir.
Mais dehors, dans la pénombre,
une centaine de personnes vociféraient contre les « tricheurs du
pouvoir ». Dans leur état d’excitation avancé, difficile de cerner la
nature précise de la « tricherie »
incriminée. Au cœur du fief de
l’opposant Guy Brice Parfait Kolelas – proche du Front national
français –, certains évoquaient de
faux bulletins favorables au président Denis Sassou-Nguesso
(« DSN »). D’autres évoquaient la
carte d’un électeur inscrit dans ce
centre de vote, mais retrouvée
dans de mauvaises mains au nord
de la ville, forteresse politique de
DSN, candidat à sa propre succession après plus de trois décennies
au pouvoir presque sans interruption, hormis la parenthèse d’un
mandat dans les années 1990
conclue par une guerre civile.
Mais dimanche soir à Makélékélé, la petite foule ne cherchait
en réalité qu’à s’enflammer, exprimer un ras-le-bol qui se répand
dans le pays à l’occasion de ce scrutin, théoriquement ouvert grâce à
la participation de neuf candidats,
dont cinq farouchement opposés
au président Sassou.
« Ils ne voleront pas nos voix »
« Trente-deux ans, ça suffit ! Cette
fois-ci, ils ne voleront pas nos voix,
on va défendre nos votes », hurlait
Georges, un mécanicien d’une
trentaine d’années, en référence
aux deux précédents scrutins
remportés dès le premier tour, à
plus de 75 %, par Sassou-Nguesso,
dans des conditions douteuses.
1979
Le colonel Denis SassouNguesso prend le pouvoir.
1990
Fin du parti unique, abandon de
l’idéologie marxiste-léniniste.
1992
Election gagnée par l’opposant
Pascal Lissouba.
1992-1997
Traversée du désert pour l’exchef de l’Etat, exil en France.
1997
Avant la présidentielle, guerre civile gagnée par le camp de Denis
Sassou-Nguesso avec l’appui de
l’Angola. Il redevient président.
OCTOBRE 2015
Réforme constitutionnelle pour
permettre à Denis SassouNguesso de se porter candidat à
un nouveau mandat.
Dans un bureau de vote de Brazzaville, dimanche 20 m ars. MARCO LONGARI/AFP
Puis tout est allé très vite. Une
centaine de policiers armés
comme pour la guerre se sont déployés sur l’avenue devant le collège, certains ont pénétré dans la
cour qu’ils ont vidée en un tournemain. La foule a détalé sous les
lacrymogènes. C’était l’objectif.
Les fusils à pompe n’ont pas été
armés, ni la mitrailleuse 14.7 mm
montée sur un des pick-up. En
octobre 2015, au moins quatre
personnes (près de vingt selon
certaines sources) avaient été
tuées lors de manifestations durement réprimées pendant le référendum organisé, précisément, pour permettre au président Sassou-Nguesso de se présenter à ce scrutin.
Pendant ce temps, dans quatre
salles de classe du collège, le dépouillement continuait. « C’est ça
les Congolais : ça fait du bruit ! », lâchait, fataliste, Bikoy Batoumeni,
qui dirigeait sa petite équipe du
bureau de vote comme un maître
d’école fait répéter la leçon à ses
élèves. « Quand l’encre dépasse du
carré, le bulletin est… ? », demandait le président. « An-nu-lé », répondaient les délégués pendant
que le président écartait le bulletin incriminé.
Dans ce bureau, le résultat fut
sans appel : sur 995 inscrits, 562
votes exprimés dont 482 en faveur de Guy Brice Parfait Kolelas.
Cet ancien ministre de M. SassouNguesso est passé dans l’opposition quand le président imposait
la réforme constitutionnelle, en
octobre 2015. Mais le raz-de-marée Kolelas au collège Angola libre
n’a rien de représentatif. Seulement, l’énervement des militants
de Makélékélé tient à la certitude
que leurs votes ne seront pas pris
en compte. Que tout est joué
d’avance. Et que le président fera
tout pour atteindre son objectif
de victoire au premier tour.
Face à « DSN »,
l’opposition
a choisi
la stratégie de
l’« émiettement »
pour « le forcer
au ballottage »
Dimanche soir, il était impossible d’avoir la moindre idée du déroulement du scrutin hors des bureaux visités. Ni de la date de la
publication des résultats. Deux
jours auparavant, une note signée
du ministre de l’intérieur, Raymond Mboulou, a ordonné aux
compagnies de téléphone de
« bloquer toutes les communications, Internet et SMS compris,
pour les journées du 20 et 21 mars
(…) pour des questions de sécurité
et de sûreté nationales ». « Sauf exception », précise le document,
qui évoque une liste restreinte de
numéros autorisés. La circulation
automobile était également limitée aux véhicules disposant
d’autorisations spéciales, données au compte-gouttes.
« Du grand n’importe quoi »
« Pour un président qui se vante
d’avoir garanti la paix et la sécurité
dans le pays, cette décision n’est-elle
pas contradictoire ? », demandait le
général et candidat Jean-Marie Michel Mokoko. Cet ex-chef d’étatmajor des armées s’est rangé lui
aussi dans le camp des anti-Sassou. « Sans téléphone ni Internet
nous sommes déconnectés du
vote », se plaint-il. « Cette élection,
c’est du grand n’importe quoi ! », at-il lâché dans la cour de son bureau de vote de Poto-Poto, un quartier du centre de Brazzaville, renouvelant sa défiance totale vis-à-
Au Bénin, Lionel Zinsou défait par Patrice Talon
D
préparation des dossiers de transition ». Beau joueur, il n’a pas cherché à discréditer la qualité de la
victoire de son adversaire, considérant que celle-ci clôt une « campagne exceptionnellement sereine
et calme, sans trouble ni tension ».
Le général Mathieu Boni, un responsable d’une plateforme de la
société civile, a estimé que le vote
s’était déroulé sans accroc majeur,
« à part quelques tentatives de
bourrages d’urnes » qui demandaient encore à être vérifiées.
Selon des estimations de l’Institut béninois des sondages, réalisées sur près de 400 bureaux de
vote et publiées par le quotidien
Très proche de
Laurent Fabius,
M. Zinsou
n’a jamais réussi
à gommer
son image de
candidat de Paris
La Nouvelle Tribune, M. Talon
l’emporterait avec près de 65 %
des suffrages. Ces chiffres, qui attendent confirmation, attestent
l’ampleur de la victoire de l’entrepreneur au passé sulfureux sur le
banquier d’affaires au parcours
exemplaire. Les Béninois avaient
le choix entre deux personnalités
aux profils opposés : selon plusieurs observateurs, ils se sont
prononcés pour celui qui incarnait avec le plus de force la rupture avec les dix années de présidence Boni Yayi.
En dépit de son implication
dans le pays d’origine de son père
et de ses efforts pour donner à sa
campagne une teneur plus locale,
M. Zinsou, très proche de l’ex-premier ministre français Laurent
Fabius dont il fut la plume, n’est
jamais parvenu à gommer son
image de candidat de Paris, neuf
mois après sa nomination au
poste de premier ministre au Bénin, pays où il exerçait des fonctions publiques pour la première
fois de son existence. Mais Lionel
Zinsou a échoué à surmonter un
autre obstacle : celui des rallie-
ments, dans un scrutin qui a
donné aux électeurs de ce pays
– régulièrement salué comme
démocratie exemplaire – le choix
initial entre une trentaine de personnalités.
Alors qu’il n’avait recueilli que
23,5 % des suffrages au premier
tour, contre 27,1 % à M. Zinsou, Patrice Talon a obtenu dans l’entredeux-tours l’appui de 26 candidats dont celui, déterminant,
d’un autre homme d’affaires, Sébastien Ajavon, arrivé troisième
lors du vote du 6 mars avec 22,3 %
des voix.
« La honte de notre pays »
Micro en main, le groupe de ses
partenaires du second tour réuni
derrière lui, le vainqueur s’est félicité, dimanche soir, de voir le Bénin prendre un « nouveau départ ». « Il fallait rompre avec ce qui
est devenu un peu la honte de notre pays, un pouvoir qui ne ressemble plus du tout à ce dont nous
avons rêvé il y a quelques années »,
a affirmé Patrice Talon. Ancien financier des deux campagnes du
président Thomas Boni Yayi,
christophe châtelot
S OU DAN D U S U D
Le premier ministre sortant n’est pas parvenu à battre à la présidentielle l’homme d’affaires à la réputation sulfureuse
ans le camp de Patrice
Talon, on a eu le triomphe rapide. Les premières tendances à la sortie des urnes, dimanche 20 mars en fin de
journée, n’ont pas tardé à se
transformer en certitude de victoire, sans même attendre les résultats officiels de l’élection présidentielle béninoise. Les coups
de klaxon de ses militants, les célébrations aussitôt entamées à
son état-major de campagne et
les déclarations satisfaites des
personnalités qui le soutenaient
ont rapidement fait apparaître le
visage du vainqueur.
Patrice Talon, 57 ans, a largement devancé Lionel Zinsou,
61 ans. L’écart entre les deux candidats, au second tour, était si
grand que le premier ministre
sortant n’a pas eu à attendre la
publication des résultats officiels
par la Commission électorale nationale autonome – qui devait livrer ses conclusions lundi – pour
reconnaître sa défaite. Dimanche
soir, il a appelé le vainqueur pour
« lui souhaiter bonne chance et
[s]e mettre à sa disposition pour la
vis de la commission électorale
chargée de compiler les résultats.
Face à la machinerie présidentielle, déployée à l’échelle nationale, l’opposition avait conçu une
stratégie « dite de l’émiettement,
pour le forcer au ballottage », selon
Gérard Boukambou, l’un des porte-parole du général Mokoko. Cinq
candidats s’étaient engagés à voter
pour le mieux placé d’entre eux au
second tour. Pendant la campagne, chacun devait chasser sur ses
terres afin de ne pas disperser de
faibles moyens, face au rouleau
compresseur du pouvoir ; et ainsi
concentrer les votes, tout en présentant des délégués dans les 5 367
bureaux de vote. Ce dernier point,
crucial, devait permettre d’organiser un système de comptage parallèle des voix, recours classique des
oppositions contre la fraude. La
coupure des télécommunications
a fait avorter le projet. p
l’homme d’affaires était devenu,
avec le temps, son pire ennemi.
Dans un discours aux accents
martiaux, il a appelé ses concitoyens à l’encourager à tourner la
page du pouvoir sortant : « J’ai le
sentiment d’être un soldat en train
de faire son paquetage pour aller
au front. Ce n’est pas un jour de
gloire, le pays va très mal (…). C’est
une mission qui va démarrer (…).
Nous mesurons ce qui nous attend
et nous serons à la hauteur. »
En octobre 2012, Thomas Boni
Yayi avait accusé Patrice Talon
d’avoir tenté de l’empoisonner
lors d’un voyage en Belgique. Le
président sortant et le magnat du
coton avaient depuis opéré une
réconciliation, mais celle-ci demeurait superficielle. L’affaire est
en cours d’instruction par des juges français. La République du Bénin s’est portée partie civile. Le
nom de M. Talon, première fortune béninoise (plus de 350 millions d’euros selon le magazine
Forbes), est également cité, selon
M. Zinsou, « dans une dizaine de
procédures judiciaires ». p
cyril bensimon
L’ONU veut un embargo
sur la vente d’armes
aux belligérants sudsoudanais
Face au drame du Soudan du
Sud, Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint de
l’ONU, chargé des opérations
de maintien de la paix, a
plaidé, dimanche 20 mars,
dans l’émission « Internationales » sur TV5 Monde, avec
Le Monde et RFI, pour l’imposition d’un « embargo sur les
fournitures d’armes à toutes
les parties », ainsi que
des « sanctions pénales contre
tous les acteurs qui se livrent
à des crimes massifs ».
ES PAGN E
Treize étudiantes tuées
dans un accident
d’autocar
Treize étudiantes sont mortes, dimanche 20 mars, dans
un accident d’autocar dans le
nord-est de l’Espagne. Sept
étaient originaires d’Italie,
deux d’Allemagne, une de
Roumanie, une de France,
une d’Ouzbékistan et une
d’Autriche. Le véhicule aurait
heurté de plein fouet une voiture à la suite d’une embardée
sur l’autoroute. – (AFP.)
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6 | international
0123
MARDI 22 MARS 2016
Syrie : « Moscou entend manipuler les pourparlers »
Pour Mohamed Allouche, négociateur en chef de l’opposition, le régime Assad tente de gagner du temps
D
ENTRETIEN
u 14 au 24 mars se tient
à Genève le deuxième
round des négociations intersyriennes
sous l’égide des Nations unies.
Dans un entretien au Monde, au
Guardian et à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Mohamed Allouche, négociateur en chef de la délégation du Haut Comité des négociations (HCN), qui représente
les principaux groupes de l’opposition, est revenu, dimanche
20 mars, sur ces pourparlers.
Le chef de la délégation gouvernementale, Bachar Al-Jaafari, vous a qualifié de « terroriste », ajoutant qu’il n’y aurait
pas de pourparlers directs tant
que vous ne vous serez pas excusé pour avoir dit que la transition débuterait « avec le départ [du président] Bachar AlAssad ou sa mort ». Allez-vous
vous excuser ?
Ce n’est pas exactement ce que
j’ai dit. J’ai transmis le message du
peuple syrien, à savoir que la
peine de mort attend Bachar AlAssad dans un procès équitable.
Or, il sera bien déféré devant un
tribunal. Comment pourrais-je
m’excuser d’avoir énoncé l’un de
mes objectifs ? Pour Bachar Al-Assad, tout opposant est un terroriste. Il est normal qu’un de ses
employés [M. Al-Jaafari] pense de
la même façon.
LE PROFIL
Mohamed Allouche
Originaire de Douma, dans la
banlieue de Damas, ce Syrien de
45 ans est membre du bureau politique de Jaïch Al-Islam (« Armée
de l’islam »), un groupe armé salafiste soutenu par l’Arabie saoudite. Cousin de Zahran Allouche,
le chef de cette brigade tué dans
un raid en décembre 2015, Mohamed Allouche a été nommé négociateur en chef de la délégation de l’opposition par le Haut
Comité des négociations.
Pensez-vous que la décision
russe de retirer « la majeure
partie » de ses troupes de Syrie
puisse changer le cours des négociations ?
L’intervention de la Russie était
illégale, 90 % de ses raids ont visé
des civils alors qu’elle disait cibler les terroristes. Samedi encore, à Rakka, elle a ciblé des zones civiles.
Nous sommes contre Daech
[acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] et nous le
combattons, mais Daech ne peut
être vaincu par des raids aériens.
Le retrait partiel de ses troupes
est seulement une façon pour la
Russie de minimiser les coûts.
C’est la preuve d’un échec. Elle a
annoncé qu’elle pourrait se redéployer en quatre heures, ce qui
montre qu’il ne s’agit même pas
d’un retrait partiel.
La Russie fait du chantage
auprès des Syriens. Elle a établi
un comité, avec des membres des
renseignements russes et syriens, qui négocie l’acheminement de nourriture contre cessez-le-feu et « réconciliation »
[qui implique l’abandon par les rebelles de leurs armes lourdes].
Ils ont commencé autour de
Damas. C’est un crime au regard
des Nations unies. C’est un signe
de la manière dont Moscou entend manipuler les pourparlers
et la transition politique.
Dans le premier round des négociations, vous aviez critiqué
les concessions faites par les
Etats-Unis à la Russie. Cela at-il changé ?
Il y a une différence dans la
pression que les Américains
exercent. Certaines questions
ont été résolues grâce à leur intervention. C’est positif, mais
nous demandons encore plus de
pression pour que soient mises
en œuvre les mesures humanitaires. Les Américains en ont le
devoir moral.
De plus en plus de réfugiés arrivent en Europe. La communauté
internationale doit s’attaquer à la
racine du problème. Une seule
personne [Bachar Al-Assad]
pousse des millions de Syriens à
quitter leurs maisons.
J’ai dit au Groupe de soutien international à la Syrie : « Prenez
Bachar Al-Assad et mille criminels, alors la Syrie pourra reprendre les réfugiés. » Ce serait une solution juste.
Manifestation marquant le cinquième anniversaire du conflit syrien, le 15 mars, à Alep. ABDALRHMAN ISMAIL/REUTERS
La trêve pourrait-elle déboucher sur un cessez-le-feu complet ?
Les groupes militaires de l’opposition ont démontré leur bonne
foi et leur volonté de la respecter.
De notre côté, les violations ont
totalement cessé. Dans l’autre
camp, il y a eu plus de 600 violations. Ces deux derniers jours, les
forces de Bachar Al-Assad ont procédé à des frappes et lancé des barils explosifs. Pourquoi cela n’at-il pas été dénoncé ? Le régime est
embarrassé par les négociations
et veut faire dérailler la transition
politique.
La délégation du régime a surtout soulevé des questions de
procédure. Cela vous déçoit-il ?
Quelles sont vos propositions ?
Nous avons présenté un plan,
que les Nations unies ont salué
comme détaillé, positif et modéré : former un organe de gouvernement transitoire avec les pleins
pouvoirs, ainsi que des conseils
militaires, sécuritaires et judiciai-
« Le retrait partiel
des troupes
est une façon
pour la Russie
de minimiser
les coûts. C’est
la preuve
d’un échec »
res qui géreront la transition. La
continuité des institutions de
l’Etat et des corps élus sera assurée. Bachar Al-Assad n’aura
aucune place dans ces institutions
ou dans l’avenir de la Syrie.
Le régime a soumis huit points,
qui nous ont été transmis samedi.
Ils évitent la question qui est au
cœur de la résolution 2254 des Nations unies : la transition politique. Par exemple, ils demandent
la libération du plateau du Golan
[occupé par Israël], ce qui n’a rien
à voir avec la résolution de l’ONU.
Etes-vous favorable à intégrer
l’armée de Bachar Al-Assad à
la future armée nationale ?
Cette question doit faire l’objet
de négociations. Nous voulons
former une armée nationale qui
comprenne toutes les factions du
peuple syrien, mais les personnes
qui ont du sang sur les mains ne
pourront pas l’intégrer.
Est-il possible que ce round
de négociations amène si peu
de résultats que vous décidiez
de ne pas revenir à Genève ?
Nous sommes à Genève pour
faire valoir nos droits et nous ne
ménagerons pas nos efforts. Nous
avons formulé des questions claires et nous attendons la réponse
de l’ONU et du régime.
Nous pourrons évaluer le succès
de ce round quand il sera achevé.
Le monde entier pourra voir qui
est en train de gagner du temps,
qui entrave ce processus.
dans le nord de la Syrie. Ils
dénoncent le fait de n’avoir
pas été associés aux négociations…
Nous ne considérons pas le Parti
de l’union démocratique [PYD] et
son bras armé, les YPG (unités de
protection du peuple), ainsi que le
Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], comme représentatifs
des Kurdes. Ces organisations,
surtout les YPG, sont des soutiens
du régime.
Au sein du HCN, nos frères kurdes sont représentés de façon
juste et équitable. Il y a deux Kurdes dans l’équipe de négociation.
Le PYD a commis des crimes
contre le peuple syrien, notamment aux côtés des Russes dans la
province d’Alep.
Ils disent combattre Daech,
mais nous ne les avons pas vus libérer beaucoup de villages. Samedi, nous avons libéré sept villages et nous espérons en libérer
des dizaines d’autres. p
Les Kurdes ont annoncé la
création d’une entité fédérale
propos recueillis par
hélène sallon
La Turquie sidérée par la succession des attaques terroristes
Un nouvel attentat attribué à l’Etat islamique a fait quatre morts samedi à Istanbul, mais le pays est aussi la cible des combattants kurdes
istanbul - correspondante
L
es autorités turques ont attribué à l’organisation Etat
islamique (EI), dimanche
20 mars, l’attentat-suicide qui a
causé, la veille, la mort de quatre
personnes sur l’avenue Istiklal,
l’artère piétonne la plus fréquentée d’Istanbul.
Il était environ 11 heures du matin, samedi, lorsque le kamikaze a
actionné sa ceinture d’explosifs à
quelques pas d’un groupe de touristes. Quatre personnes ont été
tuées – trois ressortissants israéliens et un Iranien –, 36 autres ont
été blessées. L’attaque n’a pas été
revendiquée.
Selon le ministre de l’intérieur,
Efkan Ala, l’auteur de l’attentat
était Mehmet Öztürk, un jeune
homme de 24 ans, « membre de
Daech [acronyme arabe de l’EI] ».
Originaire de Gaziantep, une ville
du sud de la Turquie, non loin de
la frontière syrienne, l’homme
aurait effectué des séjours en Syrie, mais il n’était pas sur la liste
des personnes recherchées. Son
identité a pu être établie grâce à
une analyse ADN. Cinq suspects
ont été arrêtés. « Nous savons que
ces attentats perpétrés sur des
lieux publics visent à provoquer la
peur et l’abattement de la population, mais la Turquie ne cédera pas
au terrorisme », a déclaré le président Recep Tayyip Erdogan.
Double spirale de violence
Voici des mois que la Turquie est la
cible d’attentats visant les touristes étrangers, les fonctionnaires,
les civils. Le 12 janvier, onze touristes allemands ont perdu la vie lors
d’une attaque déclenchée par un
kamikaze dans le quartier touristique de Sultanahmet. L’attaque,
non revendiquée, a aussi été attribuée à l’EI.
La capitale, Ankara, a été ébranlée récemment par deux attentats
meurtriers à la voiture piégée. Le
13 mars, 37 personnes ont péri lors
d’une attaque perpétrée dans le
quartier central de Kizilay, où se
trouvent les sièges des principaux
ministères et le quartier général
des forces armées. Le 17 février,
une attaque similaire avait fait
29 morts dans le même quartier.
Ces deux attentats-suicides ont
depuis été revendiqués par les
Faucons de la liberté du Kurdistan
(TAK), un groupe ultra-violent situé dans la mouvance du Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit en Turquie).
Toutes ces attaques sont liées au
conflit syrien. Fâchée avec la Russie, en guerre avec les Kurdes turcs
comme syriens – ceux du PKK, actifs en Turquie, et ceux du Parti de
l’union démocratique (PYD), qui
gagnent du terrain en Syrie –, en
froid avec les Américains, la Turquie est happée par une double
spirale de la violence.
Repartis en guerre contre l’Etat
turc après l’échec des pourparlers
de paix, les rebelles du PKK sont
désormais résolus à frapper aveuglément. Les djihadistes de l’EI,
forts des réseaux de soutien et de
la liberté de mouvement dont ils
disposent de fait dans le pays,
commettent un attentat-suicide
tous les trois mois depuis
juillet 2015.
L’attentat survenu samedi à Istiklal, lieu de promenade prisé des
touristes, a sidéré les esprits. Dans
les heures qui ont suivi, un silence
de plomb s’est abattu sur le quartier de Beyoglu, bouclé par la police. Mis en garde par leurs consulats, les touristes étrangers sont
restés consignés dans leurs hôtels.
Durant tout le week-end, les cafés et les restaurants sont restés
désespérément déserts, il n’y avait
pas âme qui vive dans le métro. La
place Taksim, située non loin d’Istiklal, était vide et silencieuse,
troublée par le seul cri des mouettes. « On commence déjà à se demander où aura lieu le prochain »,
explique Kadir, un jeune électricien rencontré aux abords de Taksim juste après l’attentat. « C’est
vous, les journalistes, qui êtes responsables de cette attaque. Vous
écrivez n’importe quoi. Vous allez
sans doute dire que c’est le prési-
Quinze policiers égyptiens tués par l’EI
Quinze policiers égyptiens ont été tués, samedi 19 mars, dans un
assaut revendiqué par l’organisation Etat islamique (EI) à un poste
de contrôle près d’Al-Arich, chef-lieu du Nord-Sinaï, a annoncé,
dimanche 20 mars, le ministère de l’intérieur. Ce dernier a évoqué
une attaque au mortier tandis que la province du Sinaï, affiliée à
l’EI, affirme avoir utilisé un kamikaze à bord d’une voiture piégée,
avant que ses combattants ne lancent l’assaut. L’insurrection
djihadiste qui sévit dans la péninsule désertique a fait des centaines de morts dans les rangs de la police et de l’armée depuis 2013.
Le Caire a annoncé avoir signé avec Riyad un accord de 1,5 milliard
de dollars (1,3 milliard d’euros) pour tenter de développer le Sinaï.
dent Erdogan qui l’a perpétrée », vitupère un boulanger du quartier.
Le sentiment d’insécurité est si
fort qu’une rencontre de football
prévue entre les clubs stambouliotes Fenerbahçe et Galatasaray, dimanche soir, a finalement été annulée, les autorités évoquant une
« menace sérieuse ».
Israël, qui déplore la mort de
trois de ses ressortissants tandis
que dix autres ont été blessés dans
l’attaque, a recommandé à ses citoyens d’éviter ce pays.
Dimanche, Dore Gold, le directeur général du ministère israélien
des affaires étrangères, est arrivé à
Istanbul pour une rencontre avec
des officiels turcs. Il s’agit de la
toute première visite d’un haut
responsable israélien depuis la
brouille survenue en 2010 entre Israël et la Turquie après l’assaut des
forces israéliennes contre le MaviMarmara et la flottille turque décidée à en finir avec le blocus de
Gaza, au cours duquel dix Turcs
avaient été tués. p
marie jégo
international | 7
0123
MARDI 22 MARS 2016
Moqtada Sadr
mobilise ses
partisans pour
réformer l’Irak
Le dirigeant chiite lance un
mouvement de rue pour presser
une réforme de l’appareil d’Etat
M
oqtada Sadr a engagé
l’affrontement avec son propre camp, qui rassemble les partis chiites au pouvoir en Irak, pour le forcer à
engager des réformes. Le 18 mars,
le chef politique chiite a mobilisé
des milliers de ses partisans pour
un sit-in illimité devant la « zone
verte », le centre ultra-sécurisé de
Bagdad où se concentrent les institutions et les ambassades. « Il est
temps pour vous d’éliminer la
corruption et les corrompus », at-il appelé, dans un communiqué
adressé aux jeunes hommes et
partisans plus âgés, venus des
quartiers défavorisés de la capitale et des villes du Sud chiite, drapés des habits noirs du courant
sadriste et du drapeau irakien.
Leurs tentes pourraient rester
plantées jusqu’à ce que le premier
ministre, Haider Al-Abadi, annonce la nomination d’un gouvernement de technocrates.
Entre conviction et calcul, le dirigeant chiite a repris le flambeau
d’un vaste mouvement civil dont
l’appel aux réformes, né dans les
chaleurs étouffantes et les coupures d’électricité de l’été 2015, s’est
perdu dans les méandres politiques. Après avoir annoncé à plusieurs reprises son retrait de la vie
politique, Moqtada Sadr revient
auréolé de sa popularité pour soutenir M. Abadi dans sa tentative
d’imposer les réformes promises
pour mettre fin à la corruption et
au clientélisme qui gangrènent la
classe politique et ont provoqué le
délabrement des services publics.
Les promesses de M. Abadi se sont
heurtées à des blocages jusqu’au
sein de son parti islamique Dawa
et aux résistances d’une classe politique déterminée à l’empêcher
de s’attaquer à la source du problème : le système de partage du
pouvoir sur des critères ethniques ou religieux, instauré après
l’invasion américaine de 2003.
Quand le mouvement populaire de l’été 2015 s’est essoufflé, le
noyau dur de quelques dizaines
de militants civils et laïcs – journalistes, artistes, intellectuels et
communistes – s’est découvert
dans son combat contre le confessionnalisme politique deux alliés
inattendus. L’ayatollah Ali Al-Sistani, le plus haut dignitaire chiite,
a multiplié en vain les sermons en
faveur de réformes et d’un Etat civil jusqu’à se retrancher, en février, dans le silence. Moqtada
Sadr, descendant d’une influente
famille religieuse de la ville sainte
de Nadjaf et chef de file du parti
religieux Al-Ahrar, est venu à
l’automne gonfler les rangs du
mouvement, suscitant à la fois
soulagement et malaise.
Système politique corrompu
« Le courant sadriste est pour nous
paradoxal. D’un côté, ses partisans
sont issus des mêmes couches sociales et ont les mêmes revendications que nous. De l’autre, le parti
appartient à un système politique
gangrené par la corruption. Mais
nous sommes contents de voir les
manifestations croître pour montrer au gouvernement que nous
sommes toujours là », déclarait
alors au Monde Jassim Al-Helfi,
membre du comité central du
Parti communiste irakien. Présent au gouvernement avec deux
ministères et au Parlement avec
34 députés, le courant sadriste n’a
pas été exempt d’accusations de
corruption et Moqtada Sadr a dû
se démarquer de sa formation
politique quand des responsables
ont été confondus.
Les deux courants civil et sadriste se sont toutefois retrouvés
dans un même attachement au
nationalisme irakien et dans un
rejet de l’ingérence iranienne. A la
différence des autres partis chiites, le courant sadriste se tient à
En Tunisie, la famille politique
« moderniste » se recompose
Mohsen Marzouk, dissident du parti Nidaa Tounès au pouvoir,
a créé une formation qui entend tenir l’islam politique à distance
tunis - correspondant
B
asma Ayed, cou ceint
d’une écharpe aux couleurs tunisiennes, vibre au
diapason de l’ambiance surchauffée de la salle de sport. « Le bourguibisme doit exister pour toujours ! », clame la femme d’affaires
à la chevelure blonde, toute enthousiaste à l’issue du lancement,
dimanche 20 mars à Tunis, de Harakat Machrou Tounès (Le Mouvement pour le projet de la Tunisie). Fondé par Mohsen Marzouk,
l’ancien secrétaire général de Nidaa Tounès, la formation qui domine la coalition gouvernementale à Tunis, ce nouveau parti politique s’inscrit dans une recomposition de la famille « moderniste »
qui s’était fédérée au lendemain
de la révolution de 2011 contre
l’essor de l’islam politique en Tunisie. « Nous avons besoin de l’héritage de Bourguiba pour protéger
le pays contre le terrorisme et préserver les libertés des femmes »,
assure Basma Ayed.
La crise au sein de Nidaa Tounès,
qui a abouti à la formation de
cette dissidence de Harakat Machrou Tounès, avait plongé la politique tunisienne dans un psychodrame permanent tout au long de
l’année 2015. Il est encore trop tôt
pour évaluer les chances de ce
nouveau parti de ravir à Nidaa
Tounès le statut de force dominante au sein de cette famille
« moderniste »
tunisienne.
M. Marzouk peut déjà se réclamer
du soutien de 26 députés qui ont
quitté les rangs de Nidaa Tounès,
lequel en dispose toutefois encore
de 58. La principale tâche pour Harakat Machrou Tounès sera de
planter ses racines au-delà de Tunis et des grandes villes. En dépit
« Nous avons
besoin
de l’héritage de
Bourguiba pour
protéger le pays »
BASMA AYED
partisane de Harakat
Machrou Tounès
de son affaiblissement et de son
image dégradée, Nidaa Tounès
peut toujours compter sur des
réseaux locaux hérités du
maillage de l’ancien parti unique,
le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD).
En finir avec « l’Etat-providence »
Sur le podium érigé au cœur du
palais des sports d’El Menzah, un
quartier de Tunis, Mohsen
Marzouk a déployé ses talents
d’orateur. L’homme est une « bête
politique » qui a conservé de son
passé d’étudiant syndicaliste d’extrême gauche le sens de l’organisation et de l’agit-prop. Il est surtout animé d’une farouche ambition qui l’avait conduit à entrer en
collision avec d’autres figures de
Nidaa Tounès, en particulier Hafedh Caïd Essebsi, le fils du président de la République, Béji Caïd
Essebsi. Le choc des ego avait
tourné, fin 2015, au désavantage
de M. Marzouk, qui a dès lors
perdu son statut de dauphin pressenti du chef de l’Etat. Hafedh
Caïd Essebsi a gagné la bataille
d’appareil mais pour diriger un
parti laissé exsangue par la crise.
M. Marzouk définit Harak Machrou Tounès comme un parti
« nationaliste » et « moderniste ». Il
prône la méthode dure contre le
terrorisme qui frappe la Tunisie
depuis un an, l’assaut militaire du
7 mars contre la ville frontalière
avec la Libye de Ben Gardane par
des djihadistes se réclamant de
l’organisation Etat islamique ayant
confirmé la gravité du péril. Critiquant en termes voilés la politique
sécuritaire du gouvernement,
M. Marzouk a regretté : « Il s’agit
d’une guerre mais le pays semble ne
pas avoir de chef de guerre. »
Au
plan
économique,
M. Marzouk est partisan de réformes d’inspiration libérale, même
s’il préfère se présenter comme un
« réformateur » plutôt que comme
un « libéral ». Il veut en finir, dit-il,
avec « l’Etat-providence ». « Nous
avons besoin de produire des richesses avant de réfléchir à la manière de les répartir », déclare-t-il.
Politiquement, la grande question qui l’attend est celle de sa relation à Ennahda, la formation islamiste partie prenante de la coalition gouvernementale et dont
l’influence s’est renforcée à la faveur de la crise au sein de Nidaa
Tounès. Le rapprochement entre
Nidaa Tounès et Ennahda, qui
s’étaient âprement combattus
jusqu’en 2014, a nourri un malaise
au sein de l’électorat historique de
Nidaa, qui a aggravé ses querelles
intestines. Les plus hostiles à cette
réconciliation ont rallié Harakat
Machrou Tounès.
Dimanche, M. Marzouk a admis
que « l’islam politique est une composante de la vie politique tunisienne », tout en précisant que son
parti est favorable à une « séparation entre la politique et la religion ». Il a critiqué le « consensus
fusionnel »
qui
caractérise
aujourd’hui les relations entre Nidaa Tounès et Ennahda. p
frédéric bobin
Pour les
militants civils,
l’ex-premier
ministre Maliki
incarne la dérive
dictatoriale
du pouvoir
bonne distance de l’Iran. Mais ce
qui les lie est surtout un même
ennemi : l’ancien premier ministre et actuel chef du parti Dawa,
Nouri Al-Maliki. Pour les militants civils, M. Maliki incarne la
dérive dictatoriale du pouvoir et
le règne des « grosses baleines »,
ceux qui ont profité de leur proximité avec le pouvoir pour s’enrichir et restent aujourd’hui au
sommet de l’Etat, sans craindre
d’être inquiétés par la justice.
Pour Moqtada Sadr, M. Maliki
est aussi un rival de longue date,
qu’il espère enfin écarter du pouvoir. Ce dernier est accusé de
manœuvrer en coulisses pour
tenter de saper l’autorité du premier ministre Abadi, pourtant
issu du même parti, et revenir à la
tête de l’Etat. ll a refusé la suppression de son poste de vice-président, décidée en août 2015 par
M. Abadi. « Moqtada Sadr essaie
de récolter le bénéfice des manifestations pour pouvoir influencer M.
Abadi et sa coalition gouvernementale afin de réduire l’influence
de Nouri Al-Maliki et de son parti
Dawa », estime Patrick Martin, de
l’Institute for the Study of War
(ISW). Pour cela, estime le chercheur américain, Moqtada Sadr
est prêt à renoncer à des portefeuilles ministériels, en exigeant
un gouvernement entièrement
remanié, composé de technocrates choisis hors des partis politi-
ques. Le parti Dawa et les autres
partis chiites de la coalition gouvernementale insistent pour un
remaniement partiel et la nomination de technocrates issus des
partis.
L’ultimatum de quarantecinq jours qu’a lancé, le 13 février,
Moqtada Sadr à M. Abadi pour
procéder au remaniement ministériel arrive bientôt à terme. Face
à la détermination et à la capacité
de mobilisation du chef sadriste,
Haider Abadi a plaidé auprès des
blocs politiques et de leurs milices, dont le courant sadriste et sa
milice Sarayat Al-Salam, pour
qu’ils s’abstiennent d’une dangereuse escalade, alors que le pays
est engagé dans une lutte de longue haleine contre l’organisation
Etat islamique (EI). Sous la pression du sit-in, le président Fouad
Massoum a convoqué, le 19 mars,
une réunion d’urgence avec le
premier ministre et le président
du Parlement, Salim Al-Joubouri,
ainsi que les dirigeants de l’ensemble des blocs politiques.
L’annonce de la formation de
trois comités – pour établir un
programme de réformes, sélectionner les personnalités compétentes en vue d’un « prochain » remaniement ministériel et faire la
liaison avec les manifestants – a
été jugée comme un « point positif » par le porte-parole de Moqtada Sadr, le cheikh Salah AlObeidi, quoique un peu tardive et
superflue. « Les revendications des
manifestants sont connues », a
abondé auprès du journal électronique Al-Mada press, Jassim AlHelfi, qui craint, comme beaucoup, une nouvelle tentative des
autorités pour gagner du temps.
Pour Patrick Martin, « l’issue de ce
bras de fer dépendra du compromis que Moqtada Sadr est prêt à
accepter. Il joue sa réputation ». p
hélène sallon
LE PROFIL
Moqtada Sadr
Fils de l’ayatollah Mohammed
Sadeq Al-Sadr, l’un des dignitaires religieux chiites les plus révérés en Irak, exécuté par Saddam
Hussein en 1999, Moqtada Sadr
est, à 42 ans, « l’enfant terrible »
de la politique irakienne.
En 2003, il crée son mouvement
politique et mène la rébellion
contre l’occupation américaine.
Sa milice, l’Armée du Mahdi,
est accusée par l’armée américaine d’avoir constitué la plupart
des escadrons de la mort qui
ont commis des exactions contre
les sunnites entre 2006 et 2008.
Depuis le départ des troupes
américaines en 2011, le chef
chiite était davantage en retrait.
Nationaliste, moins lié à l’Iran
que d’autres personnalités
chiites, et fort du soutien
des classes populaires,
Moqtada Sadr a repris
le flambeau du mouvement
en faveur des réformes apparu
à l’été 2015.
8 | planète
0123
MARDI 22 MARS 2016
Les coûts cachés exorbitants des pesticides
Une étude de l’INRA remet en cause le bénéfice économique d’une agriculture fondée sur la chimie
H
asard du calendrier, le
lancement de la semaine mondiale des
alternatives aux pesticides, organisée du 20 au
30 mars, coïncide cette année
avec la publication d’une vaste
étude sur les « coûts cachés » de
l’utilisation de ces substances. Ce
travail de longue haleine, entrepris par deux chercheurs de l’Institut national de la recherche
agronomique (INRA) et publié
dans la dernière édition de Sustainable Agriculture Reviews, est le
premier à colliger l’ensemble des
connaissances disponibles sur ce
que les économistes appellent les
« externalités négatives » liées à
l’utilisation des produits phytosanitaires. Ce fardeau économique,
estiment les chercheurs, peut
dans certains cas excéder largement les bénéfices offerts par les
herbicides, fongicides et autres
insecticides.
Selon leurs estimations, le rapport coûts-bénéfices des pesticides de synthèse était ainsi largement défavorable aux Etats-Unis
au début des années 1990. Alors
qu’ils apportaient environ 27 milliards de dollars (24 milliards
d’euros) par an à l’économie américaine, ils pesaient pour au
moins 40 milliards de dollars…
« L’utilisation des pesticides procure
des bénéfices économiques bien
connus en termes de productivité
de l’agriculture par exemple, explique Denis Bourguet, chercheur au
Centre de biologie pour la gestion
des populations (INRA, Cirad, IRD,
SupAgro Montpellier) et coauteur
de ces travaux. Mais ils entraînent
aussi des coûts économiques très
variés qui font l’objet de peu de travaux, voire aucun. Et lorsqu’ils sont
évalués, ces coûts sont généralement lourdement sous-estimés. »
Le peu de données disponibles
n’a pas permis aux chercheurs de
conduire une estimation pour la
période actuelle. « On ne peut rien
dire de ce rapport coûts-bénéfices,
car un certain nombre de produits
utilisés à l’époque ont été interdits,
mais de nouveaux sont aussi apparus, dont les effets ne sont pas
encore pleinement connus, explique M. Bourguet. Nous ne pouvons tenter qu’une analyse rétros-
« Le poste de
dépense le plus
important reste
le traitement
des maladies
chroniques »
THOMAS GUILLEMAUD
chercheur
Epandage de pesticides dans l’Etat du Maryland, aux Etats-Unis, en mai 2014. EDWIN REMSBERG/ZUMA/REA
pective, lorsqu’il y a suffisamment
de données. » Exercice d’autant
plus délicat que certaines externalités sont décalées dans le
temps : des maladies d’aujourd’hui peuvent être le fait d’expositions passées.
Le rapport
coûts-bénéfices
des pesticides
de synthèse était
déjà défavorable
aux Etats-Unis,
au début
des années 1990
« Ces travaux, juge François
Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures,
montrent que le discours sur la
soi-disant rationalité économique
d’une agriculture dépendant de
l’utilisation massive des pesticides
est largement basé sur des études
incomplètes qui ne prennent pas
en compte la réalité des coûts sanitaires et environnementaux. »
« Boîte de Pandore ouverte »
L’étude liste quatre catégories de
coûts cachés : environnementaux, sanitaires, réglementaires et
les frais d’évitement. Les premiers
chiffrent les dégâts sur les services
écosystémiques offerts par la nature (pollinisation, etc.) ; les coûts
sanitaires incluent les frais de
santé, la perte de productivité des
travailleurs, etc. ; les coûts réglementaires englobent les fonds publics pour réglementer et contrôler ces substances, ou assainir les
eaux et les milieux contaminés…
Quant aux frais d’évitement, ils
sont principalement induits par
les excédents de dépense des ménages qui optent pour l’alimentation biologique, afin de minimiser
le contact avec les pesticides.
Parmi les grands postes de dépense, les auteurs mentionnent
les pertes de rendements dues
aux résistances aux pesticides développées par les mauvaises herbes ou les ravageurs (soit 2,3 milliards de dollars aux Etats-Unis
en 1992), la surveillance des points
de captage d’eau (3 milliards de
dollars aux Etats-Unis en 1992), la
mortalité des oiseaux (6 milliards
de dollars aux Etats-Unis en 1992),
etc. « Ce qui apparaît comme le
poste de dépense le plus important
reste le traitement des maladies
chroniques liées à l’exposition à
ces substances, précise Thomas
Guillemaud, chercheur à l’Institut
Sophia Agrobiotech (INRA, CNRS,
université de Nice-Sophia-Antipolis) et coauteur de l’étude. Mais il
existe très peu d’études permettant
de chiffrer précisément ces coûts
sanitaires. On dispose de beaucoup de travaux sur l’exposition au
tabac et à l’alcool et leurs effets,
par exemple, mais presque rien sur
les pesticides. »
Des études d’ampleur commencent toutefois à être menées,
comme celle publiée en 2015 dans
la revue Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism. Elle estimait les dégâts sanitaires de
l’exposition de la population
européenne aux seuls pesticides
organophosphorés et organochlorés à quelque… 120 milliards
d’euros par an.
« Lorsqu’on envisage des changements de pratiques agricoles,
comme c’est le cas avec le plan Ecophyto [destiné à réduire de moitié
l’usage de pesticides à l’horizon
2025], on n’évalue généralement
que les impacts sur les systèmes
agricoles, explique M. Guillemaud. Notre principale conclusion
est qu’il est urgent de produire et
de rassembler les connaissances
nécessaires pour évaluer correctement les effets économiques de ces
changements de manière beaucoup plus large. »
L’économiste de l’agriculture
Marion Desquilbet, chercheuse
(INRA) à la Toulouse School of
Economics (TSE), qui n’a pas participé à l’étude, salue « un travail
énorme, qui ouvre une boîte de
Pandore ». « Les auteurs ont conduit leur analyse de manière assez
conservatrice sur plusieurs aspects, estime cependant Mme Desquilbet. Ils n’ont ainsi pas pris en
compte les effets des pesticides sur
les malformations congénitales,
de la surproduction agricole sur
l’obésité, etc. Il aurait aussi été
possible d’inclure les “externalités
sociales” liées à l’utilisation des
pesticides : ces derniers jouent sur
la taille des exploitations, l’emploi,
le tissu social… » Des questions si
diverses qu’il serait illusoire de
chercher à y répondre sans recours à une expertise collective
pluridisciplinaire. p
stéphane foucart
Le Queensland part en guerre contre la déforestation
BI OD I VERS I T É
Le déboisement intensif met en péril le climat australien, la Grande Barrière de corail et l’habitat des koalas
Vingt nouveaux sites ont été
ajoutés, les 18 et 19 mars, au
Réseau mondial des réserves
de biosphère de l’Unesco.
Dans ces zones, qui comprennent des écosystèmes terrestres, marins et côtiers, sont
développées des solutions
conciliant conservation de
la biodiversité et développement durable. Le parc de Tsa
Tué (Alberta), au Canada, qui
comprend le dernier lac arctique vierge et abrite une importante faune sauvage, a notamment été retenu. Le réseau
compte désormais 669 sites
dans 120 pays. – (AFP.)
sydney - correspondance
D
ans l’Etat du Queensland,
dans le nord-est de l’Australie, le déboisement est
au plus haut. Près de 300 000 hectares de végétation ont été détruits entre juillet 2013 et
juin 2014, soit presque deux fois
plus que deux ans plus tôt – un record depuis 2006. Le gouvernement travailliste veut arrêter cette
« montée en flèche », dangereuse
aussi bien pour les animaux vulnérables que pour la Grande Barrière de corail. Il vient d’introduire
un projet de loi au Parlement, déclenchant la furie de l’opposition
et des agriculteurs.
La question de la déforestation
dans le Queensland ressemble à
une partie de ping-pong. Après
des sommets atteints au début
des années 2000, un gouvernement travailliste avait fait voter
des lois qui avaient entraîné une
chute du déboisement à partir de
2006. Mais en 2012, un gouvernement libéral a considérablement
assoupli la législation, pour « développer les projets agricoles à
haute valeur ajoutée ». Selon les
travaillistes au pouvoir depuis
début 2015, leurs prédécesseurs
n’ont fait qu’introduire des
Grande Barrière
de corail
Townsville
Abbot Point
OCÉAN
PACIFIQUE
QUEENSLAND
Gladstone
AUSTRALIE
250 km
« vides » dans la loi, permettant un
déboisement « à grande échelle ».
Ils veulent à nouveau renforcer la
législation.
« Près de 300 000 hectares détruits en un an, c’est énorme, dénonce le ministre de l’environnement du Queensland, Steven
Miles. Cela pose de nombreux problèmes, en particulier au niveau du
changement climatique. » Le
Queensland, qui est « de loin le
pire des Etats australiens, est responsable de 90 % des émissions de
gaz à effet de serre du pays liées à
la déforestation », explique le ministre. Pour l’ONG de défense de la
nature Wilderness Society, l’augmentation des émissions à cause
de la déforestation dans le
Queensland – ainsi que, dans une
moindre mesure, dans les autres
Etats australiens – pourrait compromettre les chances de l’Australie, l’un des premiers pays pollueurs par habitant, d’atteindre
les objectifs qu’elle s’est fixés dans
le cadre de la conférence mondiale sur le climat (COP21). L’îlecontinent a promis de réduire ses
émissions de gaz à effet de serre
de 26 % à 28 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005.
Protéger rivières et littoral
Le Fonds mondial pour la nature
(WWF) s’inquiète, lui, pour les espèces vulnérables. Plus de 40 000
hectares d’arbres où habitaient
des koalas ont ainsi été rasés en
deux ans, selon l’organisation. Si
la loi proposée par le gouvernement n’est pas votée, jusqu’à
400 000 hectares d’arbres où vivent ces icônes australiennes
pourraient être détruits, met en
garde le WWF.
Le projet de loi vise en particulier à arrêter la destruction de la
végétation le long des rivières et
Plus de 40 000
hectares d’arbres
où vivaient
des koalas
ont été rasés
en deux ans,
selon le WWF
du littoral, afin de protéger la
Grande Barrière de corail, au large
du Queensland. « La végétation
au bord des rivières retient la terre,
et donc souvent les engrais. Ce sont
autant de sédiments en moins
dans les eaux de la Grande Barrière », explique Steven Miles.
Celle-ci a perdu plus de la moitié
de ses coraux en trente ans, principalement à cause du réchauffement climatique et de la détérioration de la qualité des eaux, qui
provoquent leur blanchissement.
Ces arguments permettront-ils
de convaincre les députés de voter
la loi ? Steven Miles se prépare à
un « vote très serré ». Pour Andrew
Cripps, chargé des ressources naturelles dans l’opposition, le gouvernement est « dans les mains de
groupes écologistes extrémistes »,
et « refuse de reconnaître l’importance du secteur agricole pour
l’emploi et la prospérité du
Queensland ». Le lobby agricole
AgForce, qui promet de peser de
tout son poids pour bloquer la loi,
a qualifié le projet de loi d’« attaque directe » contre les agriculteurs. Ceux-ci doivent développer
leurs exploitations car l’Asie demande de plus en plus les produits australiens, soutient ce
lobby. Les opposants à la loi ont
reçu le soutien inattendu de Noel
Pearson, un représentant des
Aborigènes. « Nous n’allons pas
sortir de la misère si nous n’avons
pas l’opportunité de développer
notre terre » pour de nouveaux
projets agricoles, a-t-il déclaré à la
radio ABC.
La loi devrait être soumise au
vote au deuxième semestre,
mais le gouvernement, qui craint
un pic du déboisement d’ici là, a
annoncé qu’elle serait rétroactive. Les agriculteurs qui auront
déboisé illégalement après le dépôt du projet de loi, à la mi-mars,
encourront une amende. Les
autorités ont prévenu que les terres seraient surveillées par satellite afin de détecter des activités
suspectes. p
caroline taïx
Vingt nouvelles réserves
de biosphère sur la liste
mondiale de l’Unesco
S AN T É
Contamination
de l’eau en Isère
Une « importante contamination microbiologique » a été
décelée dans le réseau d’eau
potable de deux communes
de l’Isère, Vif et Le Gua (près
de 10 000 habitants au total),
a annoncé le 20 mars la préfecture, qui recommande de
ne pas la consommer. Cette
mesure a été prise après plusieurs signalements d’un
nombre élevé de gastro-entérites à la maison de retraite de
Vif et un absentéisme important au collège local. Une distribution d’eau embouteillée
va être assurée. – (AFP.)
10 |
FRANCE
0123
MARDI 22 MARS 2016
AT T E N TAT S D U 1 3 N O V E M B R E
Salah Abdeslam, pierre angulaire de l’enquête
La capture du dernier membre des commandos de Paris ouvre des perspectives inédites
A
u cours de ses quatre
mois de cavale, Salah
Abdeslam a progressivement abandonné
derrière lui toutes ses armes. Ses
dernières munitions, il les a laissées dans l’appartement bruxellois dont il est parvenu à s’enfuir
par les toits, le 15 mars, lors d’une
opération de police. C’est donc un
homme désarmé que les forces de
police belges ont interpellé, vendredi 18 mars, dans son dernier refuge, un appartement de Molenbeek mis à disposition par un ami.
La capture du dernier membre
des commandos du 13 novembre
ouvre des perspectives inédites
aux enquêteurs. Outre sa mission
le soir des attentats, qui reste à
éclaircir, il a joué un rôle central
dans la préparation des attaques
et offrira, s’il collabore avec la justice, un éclairage inédit sur la
structuration du projet et l’ampleur de la menace terroriste qui
perdure en Europe.
Inculpé samedi en Belgique pour
« participation à des meurtres terroristes », ce Français de 26 ans a
déposé, par l’intermédiaire de son
avocat belge, Me Sven Mary, un recours contre le mandat d’arrêt
européen délivré par la justice
française. La décision finale de son
transfèrement devra dans tous les
cas être prise dans un délai maximal de trois mois. Il pourra cependant être entendu avant cette date
par des policiers français dans les
limites de l’équipe commune d’enquête franco-belge mise en place
au lendemain des attentats de Paris et de Saint-Denis.
De « faux migrants »
Sans attendre sa remise à la
France, Salah Abdeslam a déjà fait
quelques déclarations aux enquêteurs belges. Dès les premières
heures de son audition, il a affirmé
qu’il avait souhaité « se faire exploser au Stade de France » et « avait
fait machine arrière », a précisé samedi le procureur de la République de Paris, François Molins. Des
déclarations « à prendre avec précaution », a souligné le magistrat,
qui « laissent en suspens toute une
série d’interrogations ».
Cet aveu de Salah Abdeslam a
surpris les enquêteurs, qui imaginaient jusqu’ici qu’il devait commettre un attentat dans le 18e arrondissement de Paris. Le lendemain des attaques, un communiqué de revendication de
l’organisation djihadiste Etat islamique (EI) avait en effet évoqué
« huit frères portant des ceintures
d’explosif » et un attentat dans
le 18e arrondissement. Or, seuls
sept kamikazes se sont fait exploser cette nuit-là. Et aucune atta-
L’avocat de Salah Abdeslam, Sven Mary, à Bruxelles, samedi 19 mars. PETER DEJONG/AP
que n’a eu lieu dans ce quartier.
Quelques minutes après avoir déposé en voiture trois kamikazes
devant le Stade de France, le soir
du 13 novembre 2015, le jeune
homme est justement localisé
dans le 18e arrondissement vers
22 heures. Il traverse ensuite la capitale vers le sud, et reste toute la
nuit à Châtillon (Hauts-de-Seine)
en attendant son exfiltration par
deux amis venus de Molenbeek.
A quelques centaines de mètres
de sa planque, dans une poubelle
de Montrouge, les enquêteurs retrouveront sa ceinture explosive.
S’il a renoncé, comme il le prétend, à passer à l’acte, pourquoi at-il pris le risque de traverser Paris
avec ce gilet explosif ? Si le Stade de
France était son unique objectif,
qui devait commettre l’attentat
prévu dans le 18e arrondissement ?
Les enquêteurs le savent, de nombreux « faux migrants », susceptibles d’être liés aux attentats de Pa-
Une vaste toile de complicités
Salah Abdeslam « était prêt à recommencer quelque chose. Nous
avons trouvé beaucoup d’armes lourdes durant nos investigations
et nous avons vu un nouveau réseau graviter autour de lui à
Bruxelles », a déclaré, dimanche 20 mars, le ministre belge des affaires étrangères, Didier Reynders. Ces déclarations font écho aux
11 personnes aujourd’hui mises en examen, en Belgique, dans le
cadre de l’enquête sur les attentats de Paris. Elles ont été interpellées au fil des mois. Généralement pour des soupçons d’aide
logistique à Salah Abdeslam, en amont des attaques ou durant
sa cavale. Huit individus sont actuellement en détention provisoire, trois sous contrôle judiciaire. Parmi eux : le logeur du djihadiste présumé dans sa dernière planque de Molenbeek.
ris, sont arrivés en Europe ces derniers mois. Salah Abdeslam en
connaît quelques-uns.
Durant plusieurs mois, il a effectué un travail de logisticien qui lui
a sans doute donné une vision assez large de la planification des attaques. Selon M. Molins, il a joué
« un rôle central dans la constitution des commandos du 13 novembre, dans la préparation logistique
des attentats », et « a participé à l’arrivée d’un certain nombre de terroristes en Europe », multipliant les
déplacements en Italie, en Grèce,
en Hongrie, en Autriche, en Allemagne et en France entre l’été et
l’automne 2015.
Quinze litres d’eau oxygénée
On connaît déjà certains des complices qu’il a accueillis en Europe.
Le 3 octobre, il avait ainsi rendu visite à Ulm, en Allemagne, à un faux
migrant arrivé par l’île de Leros,
comme deux des kamikazes du
Stade de France, avec de faux papiers syriens au nom de « Mounir
Ahmed Alaaj ». Cet homme a été
Outre
sa mission le soir
des attentats,
Salah Abdeslam
a joué un rôle
de logisticien
interpellé à Molenbeek à ses côtés
lors de l’assaut de vendredi.
Le 9 septembre, Salah Abdeslam
avait été par ailleurs contrôlé à la
frontière austro-hongroise avec
deux autres complices, porteurs
de fausses pièces d’identité belges.
L’un de ces deux hommes, l’Algérien Mohamed Belkaïd, aurait
coordonné les attentats à distance
depuis Bruxelles. Il est très vraisemblablement l’homme qui a été
tué le 15 mars, lors de l’opération de
police au cours de laquelle Abdeslam était parvenu à s’enfuir.
Deux autres faux migrants, arrivés par l’île de Leros et porteurs de
faux passeports syriens comme
les kamikazes du Stade de France,
ont, eux, été interpellés en Autriche le 10 décembre 2015. Ils avaient
auparavant été incarcérés durant
trois semaines à leur arrivée en
Grèce pour « possession de faux
passeports », un contretemps qui a
pu les empêcher de rejoindre les
commandos qui ont frappé Paris.
Devaient-ils commettre l’attentat
prévu dans le 18e arrondissement,
une attaque ultérieure dans un
autre pays européen ?
Salah Abdeslam a sans doute les
réponses. Outre son rôle d’agent
d’accueil pour djihadistes de retour de Syrie, il a participé à l’armement des commandos du 13 novembre en achetant, à l’automne
2015,
douze
déclencheurs
et quinze litres d’eau oxygénée, un
composant utilisé dans la fabrication du triperoxyde de tricycloacétone (TATP), l’explosif contenu
dans les ceintures explosives des
kamikazes. Une pluralité de rôles
qui pourrait donner un nouvel
élan à l’enquête sur les attentats. p
soren seelow
Hollande reçoit les associations de victimes du 13 novembre
L’exécutif assure ne pas vouloir utiliser l’arrestation de Salah Abdeslam pour presser le Parlement de voter la révision constitutionnelle
L
a rencontre était dans les
tuyaux, mais l’arrestation
de Salah Abdeslam, vendredi 18 mars, a accéléré le mouvement. François Hollande reçoit
les associations de victimes des
attentats du 13 novembre, lundi
21 mars, à l’Elysée, avec le garde
des sceaux, Jean-Jacques Urvoas,
et la secrétaire d’Etat chargée de
l’aide aux victimes, Juliette Méadel. « Le président leur parlera de
l’arrestation d’Abdeslam et des suites judiciaires bien sûr, mais aussi
du suivi des victimes : prise en
charge, question de l’indemnisa-
tion, accompagnement psychologique… Il s’agit d’être à l’écoute et
dans l’échange », indique l’Elysée.
Les représentants des associations, dont certains s’étaient montrés plutôt critiques, ont accueilli
favorablement cette annonce.
« Cette rencontre, que nous avions
demandée fermement, est très positive », estime Georges Salines, de
l’association 13 novembre : fraternité et vérité. « L’attaque terroriste
du 13 novembre 2015 est la plus importante jamais survenue en
France, cela mérite une attention
au plus haut sommet de l’Etat.
Nous souhaitons parler avec le président de la prévention du terrorisme au-delà du discours du 13 novembre qui reste trop étroitement
lié à l’état d’urgence et à la déchéance de nationalité. »
Responsable de l’association Life
for Paris : 13 novembre 2015, Caroline Langlade estime pour sa part
qu’« après la mise en place début février du secrétariat d’Etat chargé de
l’aide aux victimes, c’est le bon moment pour être constructif. Nous
demanderons au président de faire
en sorte que ce secrétariat d’Etat
perdure au-delà de la prochaine
élection présidentielle sous la
forme d’un ministère ou d’une
agence nationale afin de pouvoir
travailler sur le long terme ».
« Le risque est là »
Les victimes ont nombre de difficultés à faire valoir, selon Françoise Rudetzki, conviée à la réunion en tant que « personnalité
qualifiée » et qui officie depuis
trente ans dans l’aide aux victimes
d’attentats : « Rencontrant de nombreux blessés et des proches de personnes décédées, je veux faire remonter les dysfonctionnements du
fonds de garantie dont je suis membre du conseil d’administration. »
Samedi, un conseil de défense
s’était tenu à l’Elysée « pour débriefer et échanger des informations car une étape importante
[avait] été franchie dans le démantèlement du réseau ». « Mais nous
ne sommes pas au bout de la lutte
contre le réseau terroriste qui a organisé les attentats du 13 novembre », indique l’Elysée. Manuel
Valls le rappelle : « La menace terroriste est toujours très élevée »,
explique-t-il. « Comme en janvier 2015, comme en novem-
bre 2015, le risque est là, plus que jamais », précise-t-il.
Au plan politique, cette arrestation ne change cependant pas
grand-chose à l’agenda politique
de l’exécutif, ni à sa stratégie. Pas
question d’utiliser cette interpellation pour mettre la pression sur
le Parlement alors que la révision
constitutionnelle est toujours en
débat entre l’Assemblée nationale
et le Sénat et que les deux Chambres ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le périmètre de la
déchéance de nationalité. p
patricia jolly et service france
france | 11
0123
MARDI 22 MARS 2016
Sven Mary, avocat bouillonnant et procédurier
Le pénaliste qui défend Salah Abdeslam a annoncé vouloir déposer plainte contre le procureur de Paris
A
PORTRAIT
dire vrai, il est le seul à
avoir accepté de prendre le « job » à bras-lecorps, au barreau de
Bruxelles. Tête de baroudeur sur
corps d’ado, air faussement excédé, Sven Mary, 44 ans, l’avocat
de Salah Abdeslam, n’a pas particulièrement eu à jouer des coudes
pour récupérer la défense du
dixième homme du commando
djihadiste qui a semé la terreur à
Paris, la nuit du 13 novembre 2015.
On lui a même plutôt volontiers
laissé la mission.
L’histoire l’oubliera vite, mais
c’est par un simple avocat de permanence que Salah Abdeslam a
été accompagné lors de sa toute
première audition devant les enquêteurs belges, samedi 19 mars
au matin, au lendemain de son arrestation. Le commis d’office qui
se trouve à ses côtés en ce début
de week-end est un peu désarmé
devant la tâche qui l’attend. Il
passe des coups de fil tous azimuts dans l’espoir de s’adjoindre
les services d’un confrère plus
aguerri. En vain. « Qui d’autre
mieux que Sven Mary ? », répond-on en substance.
Tous ignorent que le pénaliste a
été contacté depuis la veille par la
famille Abdeslam et qu’il est retenu par une obligation professionnelle loin de Bruxelles. Il arrivera quelques heures plus tard.
Les motifs de refus des avocats
bruxellois sont à l’aune de la misère judiciaire des dossiers terroristes. En Belgique comme en
France, les djihadistes ont rarement les moyens des honoraires.
Les défendre fait régulièrement
fuir le reste de la clientèle. Seuls
les passages médias font la paye
grâce à la notoriété qu’ils permettent d’acquérir. Pour s’embarquer
à leur côté, mieux vaut donc y
chercher moins d’argent qu’un
goût pour l’épique ou le défi.
Bouledogue
C’est sans doute le cas de Me Mary.
Tous les barreaux ont leur avocat
bouledogue. Il est de ceux-là. A
peine entre-t-il dans la danse, sur
les coups de midi, samedi, qu’il
démarre bille en tête. Adepte des
procès de rupture, il trace sa ligne.
Après l’audition manquée devant
les policiers, il assiste Salah Abdeslam pour celles qui suivent devant le juge d’instruction. A leur
issue, il est un peu plus de 16 heures, et il déclare que la Belgique
doit « cesser de s’agenouiller » devant la France. Puis, dès le dimanche, il fait savoir qu’il a l’intention
de déposer plainte contre le procureur de Paris, François Molins.
Avec son crâne rasé et sa parka à
capuche qui participent de son
personnage, Me Mary reproche
devant les caméras au magistrat
français d’avoir violé le secret de
l’instruction. Le tort de M. Molins,
selon lui : avoir dévoilé en conférence de presse, à Paris, ce que Salah Abdeslam avait déclaré à
Bruxelles, le matin même, lors de
son audition devant les policiers.
Soit qu’il devait « se faire exploser » au Stade de France avant de
renoncer… Inimaginable, il est
vrai, dans le système judiciaire
belge, où le porte-parole du par-
« Il n’hésite pas
à s’exposer
et à se mettre
en danger dans
des dossiers très
impopulaires »
CHRISTOPHE MARCHAND
avocat
quet fédéral se contente généralement de lire un communiqué,
sans livrer le moindre détail.
La stratégie de Me Mary est habile. Elle surfe d’un côté sur l’opinion belge, toujours prompte à
soutenir les piques contre le présupposé sentiment de supériorité
français vis-à-vis de la Belgique.
De l’autre, elle laisse planer la menace de la spécialité du pénaliste :
les recours procéduraux. Le parquet de Paris se défend en invoquant son droit à s’exprimer, conformément au code de procédure
pénale français. Mais Me Mary
soutient que les propos de son
client ont été tenus hors du cadre
couvert par ce même code. Soit
devant les policiers, mais pas au
moment de l’audition liée à son
mandat d’arrêt européen. Lors de
celle-ci, il aurait justement « gardé
le silence », assure-t-il au Monde.
« Comme un poisson dans l’eau »
Bref, une bataille technique
comme il les aime. « Je
suis comme un poisson dans
l’eau », savoure-t-il. Rien ne dit
qu’il gagnera son coup de menton
judiciaire face à la gravité des accusations qui pèsent sur son
client. Mais Me Mary est justement redouté en Belgique pour
ses succès dans la traque des zones grises. C’est au civil, dans le
droit de la construction qu’il a fait
ses premières armes. Contentieux ingrat mais formateur. Un
apprentissage doublé d’un goût
pour l’engagement, cultivé notamment auprès d’Anne Krywin :
l’une des avocates, aujourd’hui
décédée, de la « bande à Baader »,
cette organisation d’extrême gauche qui a semé la terreur en Allemagne de 1968 à 1998.
Depuis, le nom de Me Mary est
presque devenu un slogan-repoussoir. Lors de débats au parlement, en 2009, sur une loi concernant les méthodes d’enquête des
services de renseignement qu’il
avait attaquée – avec succès –, des
élus s’étaient mis comme objectif,
à l’avenir, de rendre les procédures « imperméables à Me Mary ».
« Il n’hésite pas à s’exposer et à se
mettre en danger dans des dossiers
très impopulaires », détaille son
confrère Me Christophe Marchand, autre ténor du barreau. Ensemble, les deux avocats ont
passé des années à défendre avec
acharnement parmi les figures les
plus importantes du terrorisme
belge. Me Mary s’est ainsi embarqué dans le conseil, par le passé,
de Ali Tabich, tête de pont d’un
important réseau de recrutement
de volontaires à des attentats
pour Al-Qaida en Belgique. Ou
Fouad Belkacem, le leader du
groupe Shari4Belgium, ce mouvement qui réclamait ouvertement
Débat sur les déclarations de François Molins
Dimanche 20 mars au matin, l’avocat de Salah Abdeslam, Me Sven
Mary, a déclaré son intention de déposer plainte contre le procureur de Paris, François Molins, pour « violation du secret de l’instruction ». Il reproche au magistrat français d’avoir communiqué
à la presse, samedi, au lendemain de l’arrestation de son client,
une partie des déclarations faites par celui-ci durant son audition,
concernant sa volonté de se faire « exploser au Stade de France ».
Dans le cadre de l’équipe commune d’enquête franco-belge, l’article 11 du code de procédure pénale autorise pourtant le parquet
à « rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure » afin
d’éviter « la propagation d’informations parcellaires ou inexactes
ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public ». Or cette déclaration de Salah Abdeslam avait déjà fuité sur BFM-TV… un média
contre lequel l’avocat n’a pas déclaré vouloir porter plainte.
l’instauration de la charia, y compris par la violence.
La particularité de Me Mary :
s’être spécialisé, comme Me Marchand, dans les attaques procédurales diverses et variées au nom
des droits de l’homme. Leur analyse : les terroristes présumés font
plus souvent que d’autres face à
des abus de droit, il convient donc
de les défendre avec cran.
L’un de leurs principaux faits
d’armes s’est joué lors du procès
de la cellule belge du Groupe islamique combattant marocain. Les
prévenus étaient soupçonnés
d’avoir participé aux attentats de
Madrid en 2004. Les deux pénalistes ont attaqué en nullité toutes
les notes des services de renseignement les mettant en cause.
L’issue du procès n’en a pas été
changée. Mais la loi belge a par la
suite encadré la pratique.
Me Mary est parfaitement bilingue – il plaide indifféremment en
néerlandais et en français, ce qui
est très rare en Belgique. ll est le
fils de l’ancien patron de la radiotélé publique flamande. Père
de deux enfants, divorcé, il est
aussi passionné de football. Un
sport dans lequel il s’est un
temps destiné à une carrière professionnelle en jouant dans
l’équipe espoir du club d’Anderlecht, à Bruxelles, le plus grand
club de Belgique. C’est après
s’être blessé qu’il a bifurqué vers
les études de droit.
lument éviter ce qu’a fait le procureur de Paris, qui risquerait de le refermer comme une huître. »
« Si je me retrouvais au trou, c’est
clairement Me Mary que je prendrais pour me défendre », abonde
un jeune pénaliste, Me Steve Lambert, avocat d’un important recruteur de djihadistes belge, récemment jugé : Khalid Zerkani.
Certains barons de la mafia ne s’y
Une « montagne d’or »
Me Mary dit ne pas avoir hésité
longtemps avant d’accepter de défendre Salah Abdeslam, même s’il
ne cautionne en rien ses actes.
C’est une « montagne d’or », plaide-t-il. Selon lui, le djihadiste a de
lui-même commencé à « collaborer » avec la justice. Sous-entendu
divulguer des noms et des détails
sur l’organisation des attentats.
« Je veux bien l’emmener sur la
route du repenti mais il faut abso-
Selon Me Mary,
les terroristes
présumés font
plus souvent que
d’autres face à
des abus de droit,
il convient donc
de les défendre
avec cran
sont pas trompés. Jusqu’à son assassinat fin août 2015, Me Mary
conseillait le parrain de la drogue
d’origine italienne Silvio Aquino.
Un client pour lequel il a appliqué
ses méthodes habituelles, aidé
dans sa mission par ses quatre
collaborateurs qui épluchent avec
lui les failles oubliées du droit.
Cette approche lui a valu attaques et soupçons en tout genre
sur sa probité. Mais jusqu’à présent, il s’en est toujours relevé.
Durant le week-end, il a envoyé
par texto cette citation de l’ancien
premier ministre anglais Winston Churchill, à l’un de ses bons
confrères avec un smiley : « You’ve
got ennemies ? Good ! That means
you’ve stood up for something sometime in your life » (« Vous avez
des ennemis ! Bien ! Cela veut dire
que vous vous êtes battu contre
quelque chose au moins une fois
dans votre vie »). p
jean-pierre stroobants
(à bruxelles) et élise vincent
12 | france
0123
MARDI 22 MARS 2016
Migrants : la France suspendue à l’accord turc
L’Ofpra refuse le renvoi de demandeurs d’asile en Turquie. L’arrivée de réfugiés en France pourrait s’accélérer
suite de la première page
Selon l’Ofpra, une vingtaine
d’agents de protection de l’Office
devraient bien s’envoler pour la
Grèce dans les jours à venir. Mais
leur mission se cantonnera à proposer aux migrants déjà arrivés à
Athènes, ou bloqués à la frontière
macédonienne, de rejoindre
l’Hexagone dans le cadre de ce
« quota » de 30 000 réfugiés.
Ce week-end, la France s’est dite
prête à fournir des renforts pour
épauler l’Agence européenne
chargée de l’asile (European Asylum Support Office). Elle enverra
donc, en plus des agents Ofpra,
quelque 80 fonctionnaires de l’Office français de l’immigration et
de l’intégration (OFII) et des préfectures, pour enregistrer les entrants en Europe, selon le ministère de l’intérieur. Ils s’ajouteront
aux 200 officiers de police déjà
envoyés pour soutenir l’agence
européenne de surveillance des
frontières, Frontex. Lundi 21 mars
au matin, toutes les directions du
ministère de l’intérieur concernées étaient conviées à une réunion d’urgence de mise en œuvre
du dispositif.
L’accord, qui veut inciter la Turquie à bloquer les départs depuis
ses côtes vers les îles grecques,
oblige le pays dirigé par Recep
Tayyip Erdogan à reprendre les
migrants qui en seraient partis à
l’insu de ses gardes-côtes. En
échange, puisque la Turquie
compte déjà 2,7 millions de réfugiés syriens, l’UE propose, pour
chaque Syrien réadmis depuis la
Grèce, de soulager la Turquie d’un
Syrien jugé vulnérable (selon les
critères du Haut-Commissariat
aux réfugiés des Nations unies –
HCR). Ces « élus à la réinstallation » pourront être envoyés dans
un pays européen dans le cadre
des engagements passés entre les
Etats et le HCR.
Sans préjuger de sa faisabilité,
l’accord – qui ne change en aucun
cas la politique globale d’accueil de
la France – pourrait, selon la manière dont il est mis en place, accélérer ou non l’arrivée dans l’Hexagone des 30 000 « relocalisés » que
François Hollande s’était engagé à
accueillir en septembre 2015. Plusieurs cas de figure se dessinent.
D’abord, si le dispositif fonctionne, et si l’effet escompté est
obtenu, la Turquie contrôlera ses
206 kilomètres de côtes et parviendra à endiguer les départs
pour la Grèce. Dans ce cas, la politique du « un pour un », à laquelle
l’Europe s’est engagée à hauteur
de 72 000 places, n’aura même
pas à être mise en œuvre – ou à la
marge seulement – et l’impact sur
l’accueil en France sera nul.
Il reste des places
Si le mécanisme du « un pour un »
se met en place, les arrivées en
France se feraient dans le cadre
des engagements déjà pris, et non
encore remplis, de réinstallation
des personnes vulnérables. Un
bon millier de « réinstallés » sont
déjà arrivés en 2015, en provenance de Jordanie, du Liban et
d’Egypte. Le gouvernement Valls
avait pris l’engagement d’en accueillir 2 375, il reste donc des places. Et si le nombre de personnes à
réinstaller devait être supérieur,
le surnombre serait pris sur le
quota européen initialement destiné à la Hongrie mais que cette
dernière se refuse à honorer.
Migrants
pakistanais
sur l’île
grecque
de Lesbos,
le 16 mars. AFP
Si l’accord se met en œuvre dans
le respect des textes européens,
c’est-à-dire si les renvois hors de
l’Union européenne n’ont lieu
que pour des migrants non éligibles à l’asile, la Grèce deviendra le
« hot spot » où la France – comme
les autres pays – ira chercher les
migrants qu’elle a promis d’accueillir d’ici à 2017. La mise en
œuvre de l’accord aura alors pour
effet de précipiter la relocalisation
des 160 000 réfugiés décidée par
l’UE à l’automne.
En effet, tous les Syriens arrivant
par la Grèce seraient contraints
d’y déposer une demande d’asile.
Ce à quoi beaucoup se refusent à
ce jour, rêvant d’Allemagne ou de
Suède. Ce cas de figure pourrait
accélérer l’arrivée en France des
30 000 migrants promis, alors
qu’à l’heure actuelle seuls 300
sont là. Mais ce n’est pas le cas de
A Lesbos, le « hot spot » de Moria est devenu un camp de rétention
aux termes de l’accord conclu vendredi
18 mars entre l’Union européenne et la Turquie, tous les « nouveaux migrants irréguliers » arrivant en Grèce peuvent, depuis le
dimanche 20 mars, être refoulés en Turquie. Sur l’île de Lesbos, en mer Egée, principale porte d’entrée de réfugiés en provenance des côtes turques, la situation est
pour l’instant chaotique. « Nous ne savons
rien. Ni comment traiter les nouveaux arrivants ni comment vont s’organiser ces fameux renvois », expliquait, dubitative, une
source policière, dimanche.
Seule certitude, les rotations de navires se
sont multipliées pour vider l’île et transférer les migrants présents avant dimanche
vers le continent et des centres d’accueil
temporaires. Le camp d’enregistrement
(« hot spot ») de Moria est désormais exclu-
sivement réservé aux nouveaux arrivants.
Sur la seule journée du 20 mars, environ
800 réfugiés et migrants ont débarqué sur
les plages de l’île. Une fois transférés à Moria, l’habituel protocole d’enregistrement
leur a été appliqué : entretien pour établir la
nationalité, prise d’empreintes et de photo.
Ne plus délivrer de laissez-passer
Mais en bout de chaîne, les policiers chargés des opérations ont reçu l’ordre de ne
plus délivrer les laissez-passer qui permettaient jusqu’ici aux Syriens ou Irakiens de
bénéficier de la libre circulation sur le territoire pour une durée de six mois (contre un
mois pour les migrants d’autres nationalités). Désormais, tous les nouveaux arrivants sont contraints de rester dans le
camp, fermé à tous et notamment à la
presse, là où jusqu’ici ils étaient libres d’aller prendre un ticket pour continuer en
ferry leur route vers le continent. Moria est
de fait devenu un camp de rétention.
Ces nouveaux arrivants auront-ils tous le
droit de déposer une demande d’asile en
Grèce pour éviter d’être refoulés en Turquie ? Si oui, seront-ils tous détenus à Moria le temps de l’examen de leur dossier ?
D’où, comment et par qui seront renvoyés
les autres ?
Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a
créé ce week-end un conseil gouvernemental pour coordonner lui-même la mise en
œuvre du plan UE-Turquie et promet d’apporter des réponses concrètes dans les tout
prochains jours. p
adéa guillot
(athènes, correspondance)
figure le plus plausible, car il
transformerait la Grèce en un gigantesque camp. Ce que l’UE veut
justement éviter.
Dans le cas du renvoi de demandeurs d’asile, option qui figure
dans le texte de l’accord, la Grèce
serait soulagée d’une part des
flux entrants, réexpédiés vers la
Turquie même lorsqu’ils ont déposé une demande d’asile en Europe. C’est le point qui pose juridiquement et déontologiquement
problème et a valu une forte émotion tout le week-end au sein du
HCR. Le dispositif promet des batailles juridiques. Il risque aussi
de déplacer les voies d’entrées en
Europe. Comme d’autres spécialistes des migrations, François Gemenne, professeur à Sciences Po,
estime que « nous assisterons à la
création de nouvelles routes migratoires, ou au retour vers des
routes utilisées antérieurement ».
Retour vers la Méditerranée
Si depuis le début de l’année, plus
de 143 000 personnes sont arrivées en Grèce par la Turquie, la
voie dominante d’entrée dans
l’UE était la Méditerranée centrale
durant le premier trimestre 2015.
Le basculement vers la route des
Balkans ne s’est fait que tardivement. On pourrait assister à un re-
Si l’accord se met
en œuvre, la
Grèce deviendra
le « hot spot »
où la France
ira chercher les
migrants qu’elle
doit accueillir
d’ici à 2017
tour vers la Méditerranée, facilité
par la fin de l’hiver. Plus
de 900 migrants ont d’ailleurs été
secourus samedi 19 mars dans le
détroit de Sicile entre la Tunisie
et l’Italie.
Ce changement de route placerait la France dans une position
différente. A l’été 2015, c’est l’accroissement du flux de migrants
en provenance d’Italie qui avait
poussé le ministère de l’intérieur
à réinstaurer des contrôles aux
frontières à Vintimille. Pays en
bout de chaîne sur la route des
Balkans, la France se retrouverait
de nouveau pays de transit entre l’Italie et l’Europe du Nord ou
le Royaume-Uni. p
maryline baumard
A Lyon, les fidèles font bloc autour de l’archevêque Barbarin
Mis en cause pour sa gestion d’affaires de pédophilie, le cardinal s’est borné à un discours religieux lors de la messe des Rameaux
lyon - correspondant
L
a rumeur prétendait qu’il ne
viendrait pas, fatigué par
une semaine de tempête
médiatique, craignant même un
incident. Dimanche 20 mars, à
Lyon, branche de buis à la main, les
fidèles se pressent sur le parvis de
la primatiale Saint-Jean-Baptiste,
au pied de la colline de Fourvière,
pour la messe des Rameaux, dans
l’attente de Mgr Barbarin. L’archevêque de Lyon a été mis en cause
pour sa gestion d’anciennes affaires de pédophilie présumée. Critiqué par les victimes, attaqué par
des personnalités politiques, jusqu’au premier ministre Manuel
Valls qui a suggéré sa démission,
Philippe Barbarin s’est défendu
péniblement, accablé de révélations quotidiennes.
Les fidèles sont tous choqués par
la façon dont il a été désigné à la
vindicte. « Je ne dis pas qu’il a tout
bien fait mais là, c’est de l’acharnement sur sa personne », confie Marie-Claudine, 61 ans. D’autres parlent de « lynchage médiatique »
avec plus de véhémence. Mais ce
qui frappe, dans la fraîcheur ensoleillée de la place Saint-Jean, c’est la
volonté générale de chercher à
comprendre. On interroge l’Eglise,
en posant en préalable la souffrance des enfants et des familles
qui ont subi les comportements
des prêtres déviants.
Pierre, 88 ans, médecin à la retraite, résume l’état d’esprit ambiant : « On a beaucoup fait d’articles impliquant le cardinal, or il est
arrivé en cours de route dans cette
histoire. Cette affaire est une souffrance pour toute l’Eglise. Dans le
passé, on ne parlait jamais de ces
problèmes, on les cachait. Comment tolérer le mal infligé par des
prêtres ? Il faut que les choses
s’éclaircissent. » Fanny et Esra,
24 ans, ont toutes deux été bapti-
sées par le cardinal Barbarin. Elles
sont troublées, indécises : « On ne
sait pas trop quoi en penser, c’est
délicat, on ne sait pas tout, c’est à la
justice de nous dire. »
Des questions
La justice, elle, avance très prudemment, aux limites de la prescription. Une information judiciaire est ouverte sur des faits reprochés à un prêtre. Deux enquêtes préliminaires étudient la
« non-dénonciation » ou « la mise
en danger d’autrui » qui vise plutôt la hiérarchie catholique.
Pour la plupart, les fidèles n’éludent pas le débat que soulèvent ces
cas de pédophilie. « Il faut assumer,
sans faux-fuyant, sans dérobade,
faire la part des choses. Le pape a
clairement donné la direction à mener », dit Paul, 27 ans, pour qui
« aujourd’hui, on doit agir d’une
manière différente ». Claire, 27 ans,
enseignante, affirme que ce pro-
blème touche plus souvent les établissements scolaires que les paroisses religieuses.
Des secrets trop longtemps enfouis, une institution maladroite,
une époque attachée au droit des
victimes : tout en soutenant le
cardinal, les catholiques lyonnais
se posent des questions. « Bien sûr
que c’est scandaleux, ces histoires
internes, dans le diocèse », dit
Emile, 17 ans, scout venu distribuer des rameaux. Sans craindre
de s’exprimer ouvertement, le
jeune homme tient à préciser : « Il
ne faut pas juger trop vite. Moi sur
Facebook, je vois tout ce que des
prêtres font de bien partout dans
le monde. » Certains suggèrent
des réformes en profondeur :
« Cette affaire renvoie à des sujets
complexes, le système catholique
étant ce qu’il est, assez fermé, on
ne progresse pas. On devrait reparler du mariage des prêtres par
exemple », avance Jérôme, 27 ans.
A 10 h 30, Mgr Barbarin apparaît à
l’horaire prévu par son agenda officiel. Il commence la messe à l’extérieur de la cathédrale. Comme le
veut la tradition, en rappel de l’entrée du Christ à Jérusalem, il
frappe à la porte avec sa crosse.
Dans sa longue lecture des Evangiles, il est beaucoup question de
miséricorde et de pardon. Philippe Barbarin a toujours eu un
ton incantatoire, grave et appuyé
en fin de phrases. Si sa voix a pu se
faire plus profonde lors de cette
messe inaugurale de la semaine
pascale, c’est bien le seul signe inhabituel. Le cardinal se borne à un
discours religieux, sans référence
à l’actualité qui secoue le diocèse.
Une pique contre Valls
La pique viendra d’un autre orateur. Au moment de la « prière
universelle », Tanguy Angleys, intervenant laïque, propose des
« intentions de prières » pour le
pape, pour les frères et sœurs religieux, confrontés aux « difficultés
de leur ministère » et « pour tous
les hommes et femmes responsables publics afin qu’ils puissent
garder la réserve, la lucidité, la
force et le courage pour une société plus fraternelle, juste et remplie d’espérance ».
Garder la réserve ? Une allusion
claire aux propos du premier ministre et à ceux de la secrétaire
d’Etat chargée de l’aide aux victimes, qui ont demandé que le cardinal prenne « ses responsabilités ».
« Il ne faut pas surinterpréter »,
tempère l’entourage du cardinal. A
la sortie de la messe, Tanguy Angleys assume et confirme son intention, en ironisant : « L’Etat n’est
pas assez laïque, il n’a pas à s’en mêler. » Si les fidèles lyonnais appellent l’Eglise à prendre ses responsabilités, ils demandent aussi un
peu de mesure aux politiques. p
richard schittly
france | 13
0123
MARDI 22 MARS 2016
Aéroport : le référendum agace la Bretagne
Si la région finance Notre-Dame-des-Landes, elle doit voter, estiment nombre d’élus bretons
rennes - correspondance
E
n annonçant l’organisation d’une consultation
sur le projet controversé
d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique),
François Hollande espérait-il mettre enfin tout le monde d’accord ?
Peut-être. Pour l’instant, c’est raté.
En Bretagne, région limitrophe, la
décision du gouvernement de ne
consulter que les habitants de la
Loire-Atlantique provoque chez
les élus des réactions contradictoires, entre exaspération, résignation et silences gênés.
Présenté par ses promoteurs
comme le futur « aéroport du
Grand Ouest », le nouvel équipement est censé remplacer l’actuelle plate-forme nantaise, mais
aussi desservir les territoires voisins, parmi lesquels la Bretagne.
Cinq collectivités bretonnes adhèrent au Syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest, qui
« représente les intérêts des populations riveraines et des territoires
concernés ». Le conseil régional de
Bretagne a financé cette instance
à hauteur de 29 millions d’euros,
soit 25 % du total abondé par les
collectivités – moins que la part
de la région Pays de la Loire, mais
davantage que celle du département Loire-Atlantique.
Dans ce contexte, de nombreux
élus ont exprimé leur désaccord
avec le périmètre choisi pour la
consultation. Leur credo : puisque
les Bretons payent, ils doivent pouvoir voter. Des représentants de la
droite, des écologistes, des régionalistes et de l’extrême droite se
sont exprimés – chose rare – à
l’unisson. Dans un communiqué,
Ronan Loas, maire (Les Républi-
cains) de Ploemeur et vice-président du conseil départemental du
Morbihan, affirme que « cet équipement impactera obligatoirement le réseau des petits et moyens
aéroports bretons, indispensables à
notre économie locale et à notre attractivité ». Il ajoute que le Morbihan « devra investir lourdement
pour la construction de routes départementales permettant de desservir correctement cet aéroport ».
Infrastructures coûteuses
Matthieu Theurier, vice-président
(EELV) de Rennes Métropole,
membre de la majorité rennaise
cornaquée par la députée et maire
socialiste Nathalie Appéré, considère que la définition d’un périmètre restreint confine à la « mascarade » : « Rennes est dans le syndicat mixte et dispose déjà d’un aéroport. Il est absolument anormal
que les Rennais et les Bretons ne
soient pas consultés. C’est à la limite de la manipulation citoyenne », s’emporte-t-il. Un avis
que partage Gilles Pennelle, président du groupe FN au conseil régional : « Tous les habitants des régions Bretagne et Pays de la Loire
sont concernés et seront appelés à
payer par leurs impôts les infrastructures coûteuses reliant cet aéroport au réseau existant. »
Dès lors, les socialistes bretons se
retrouvent en position inconfortable. Au choix, pour eux : soutenir la décision gouvernementale
et dénier à leurs administrés le
droit de s’exprimer sur un sujet
qui les concerne, ou réclamer une
voix au chapitre mais au risque
d’apparaître comme déloyaux à
l’égard de Matignon et de l’Elysée.
Après l’annonce de M. Valls de limiter la consultation à la seule Loi-
Près de Lille, Valls défie Aubry
et sermonne en creux Hollande
La région a
donné 29 millions
d’euros pour
le Syndicat mixte
aéroportuaire
re-Atlantique, Nathalie Appéré et
Emmanuel Couet, président de
Rennes Métropole, ont simplement indiqué dans un communiqué : « Nous prenons acte. (…) Nous
souhaitons que cette consultation,
dans le cadre d’un débat démocratique apaisé, permette de conforter
la légitimité du projet. » Jean-Luc
Chenut, président (PS) du conseil
départemental d’Ille-et-Vilaine,
territoire qui borde le site choisi
pour le futur aéroport, avait pris
position en février pour une consultation élargie : il n’a pas réagi
aux propos de M. Valls.
Le maire socialiste de Brest,
François Cuillandre, ne cache pas
son agacement : « La métropole
brestoise ne participe ni de près ni
de loin au financement de cet aéroport. J’ai autre chose à faire que
d’organiser des bureaux de vote
pour un référendum sur Notre-Dame-des-Landes. »
Au conseil régional, présidé par
le ministre de la défense, JeanYves Le Drian, les élus de la majorité défendent sans surprise le
choix du gouvernement. « Le périmètre me paraît cohérent avec celui de l’enquête publique, explique
Gérard Lahellec, vice-président
(PCF) chargé des transports. On
n’était pas demandeurs d’un référendum. Il faudrait dans ce cas
consulter toutes les populations
sur tous les projets d’infrastructures qu’on a en commun. Par exemple, la ligne à grande vitesse [LGV]
à 3,4 milliards ! »
Un ancien élu régional, opposé
au projet d’aéroport, observe :
« Les socialistes bretons ne sont
pas forcément convaincus par Notre-Dame-des-Landes. Dans les
couloirs, certains n’hésitent pas à
dire que le projet est aberrant.
Mais il y a interdiction de dissidence. Et c’est un peu donnantdonnant avec les Pays de la Loire :
vous ne nous embêtez pas pour notre LGV, on ne vous embête pas
pour l’aéroport. »
Pour le moment, les exhortations des uns et des autres n’ont
pas engendré de mobilisation notable au sein de la société civile.
Seul François Goulard, président
(LR) du conseil départemental du
Morbihan, semble résolu à échafauder une contre-offensive politique. L’ancien ministre délégué à
l’enseignement supérieur et à la
recherche (2005-2007) indique au
Monde qu’il envisage d’organiser
une consultation locale sur son
territoire, le même jour que celle
prévue en Loire-Atlantique. « Je ne
le ferai que si je ne suis pas seul »,
précise-t-il. Il a sollicité à cet effet
ses homologues de Mayenne, du
Maine-et-Loire et de Vendée. p
nicolas legendre
PR ÉS I D EN T I ELLE 2017
L’UDI dit non à la
primaire de la droite
Les adhérents de l’UDI ont
voté à 66,56 % contre une participation de leur parti à la primaire de la droite et du centre,
qui aura lieu les 20 et 27 novembre. Jean-Christophe Lagarde, le président de l’UDI,
dont le congrès se tenait dimanche 20 mars à Versailles,
avait appelé les adhérents à
voter en ce sens, faute d’avoir
pu sceller avec Nicolas
Sarkozy, président des Républicains, un « pacte d’alternance » portant sur les investitures aux législatives de 2017.
Philippe Poutou
candidat du NPA
Philippe Poutou sera de nouveau le candidat du Nouveau
Parti anticapitaliste (NPA) à
l’élection présidentielle de
2017. C’est ce qu’a décidé la
formation d’Olivier Besancenot, réunie à Nanterre, samedi 19 et dimanche 20 mars.
« Je n’arrive pas en terrain inconnu, même si on sait que ce
sera une campagne compliquée », a affirmé M. Poutou.
Agé de 49 ans, il avait recueilli
1,15 % des voix au premier tour
de la présidentielle de 2012.
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Région Centre-Val de Loire - 2016
P
rès d’un mois après la charge de Martine Aubry contre la
politique du gouvernement (Le Monde du 25 février),
Manuel Valls est venu dans le Nord lui répondre. Et le
premier ministre l’a fait pratiquement sur les terres de la maire
de Lille, dans la commune voisine de Wattrelos où il s’est rendu,
dimanche 20 mars, pour participer à une « fête de la rose » du
PS. Invité par le maire et député de la circonscription, Dominique Baert, flanqué du ministre de la ville et ancien président du
conseil général du Nord, Patrick Kanner, du député PS Bernard
Roman, et de Martine Filleul, qui dirige la fédération socialiste
départementale, M. Valls s’est entouré à la tribune de tout ce
que le PS nordiste compte d’opposants à Mme Aubry, absente.
Sans jamais la citer durant son discours d’une heure, M. Valls
enchaîne les flèches à son encontre. « Il ne suffit pas d’écrire des
tribunes, il faut aussi se confronter à la
réalité », déclare-t-il, reprochant à
Mme Aubry et à ses proches de trop
« IL NE SUFFIT PAS
souvent « se réfugier dans le confort
D’ÉCRIRE DES TRIBU- de l’opposition ». « Nous connaissons
les critiques. Il y a ceux qui disent : “La
NES, IL FAUT AUSSI
gauche au pouvoir ne fait pas tout ce
que notre cœur nous dicte.” Nous n’opSE CONFRONTER
posons pas la raison au cœur, nous
À LA RÉALITÉ »
faisons simplement face à la réalité .»
M. Valls prêche aussi pour sa propre
MANUEL VALLS
paroisse. Devant les 200 personnes
présentes dans la salle municipale Roger-Salengro, il rappelle qu’« être de gauche », c’est désormais accepter que « le cycle du parti d’Epinay [soit] derrière nous » et ériger à la place « une maison commune de tous les progressistes ».
A presque un an de l’élection présidentielle, son message vaut
autant pour Mme Aubry que pour François Hollande. A la première, M. Valls dit que ses critiques permanentes font le jeu de
la droite, voire du FN, alors qu’au même moment, le second
tour d’une législative partielle à Tourcoing oppose un candidat
LR – Vincent Ledoux, victorieux dimanche avec 67,92 % des
voix – à un candidat FN. « Nous diviser, fracturer la gauche, c’est
ouvrir un boulevard à l’extrême droite et c’est préparer le retour
de la droite. »
Au chef de l’Etat, il reproche, entre les lignes, son absence de
pédagogie. « Nous préparons mal la conquête du pouvoir, et confrontés à son exercice, nous ne l’expliquons pas. Alors expliquons !
Assumons ! » A défaut, M. Valls conclut en direction de l’auditoire : « Ma gauche, je veux la mettre à votre service, au service
des socialistes, au service de la France. » Comme si cela pouvait
servir, si d’aventure M. Hollande décidait de ne pas concourir
en 2017. p
14 | france
0123
MARDI 22 MARS 2016
Cumul des mandats : Sarkozy seul contre tous
Le président des Républicains veut abroger la loi sur le non-cumul dès le début du prochain quinquennat
L
a scène se passe le 24 septembre 2015, au Palais des
congrès de Reims, lors des
journées parlementaires
des Républicains (LR). Jusque-là, les
députés et les sénateurs présents
ont écouté poliment, sans enthousiasme excessif, le président de
leur parti, intervenant en clôture
de leurs travaux. Soudain, ils applaudissent à tout rompre. Nicolas
Sarkozy vient d’annoncer sa volonté de revenir sur la loi, votée par
la gauche, qui interdit le cumul
d’un mandat parlementaire avec
une fonction exécutive locale.
« Ceux qui sont député-maire ou
sénateur-maire n’ont pas volé leurs
mandats ! Ils ont été donnés par le
peuple souverain, donc je ne vois
pas au nom de quoi ils devraient
s’en excuser », clame le président de
LR. Rappelant qu’il n’a « jamais
plaidé pour le mandat unique », il
met en garde contre le « grand risque » d’avoir « des assemblées parlementaires parfaitement horssol », avec des élus « n’ayant aucun
mandat local » pour les « maintenir
dans la réalité démocratique du
pays ». Succès d’estrade garanti. En
quête de soutien dans son opération reconquête de l’Elysée, l’exchef de l’Etat a dit à son auditoire ce
qu’il voulait entendre. Du miel aux
oreilles des élus de droite. « Nous
refusons un système qui discrimine
les parlementaires qui seraient les
seuls à ne pas pouvoir être maire,
président de département ou de région », appuie Christian Jacob, chef
de file des députés LR.
L’abrogation de la loi en question
La position de M. Sarkozy, qui n’est
pas nouvelle, est partagée à droite,
y compris chez ses rivaux à la primaire. Ce qui fait débat, c’est l’opportunité et la faisabilité d’une
abrogation de la loi anti-cumul
comme premier acte « fondateur »
du prochain quinquennat, si la
droite revient au pouvoir. Les parlementaires de LR sont attachés,
dans leur majorité, à pouvoir continuer à cumuler avec un mandat
exécutif local. De là à faire campagne auprès des électeurs sur le retour au cumul, il y a un pas que,
pour l’heure, les principaux adversaires de l’ex-chef de l’Etat se refusent à franchir. Ils vont jusqu’à l’accuser de fausses promesses car, estiment-ils, revenir sur la loi anti-cumul pour les députés élus en 2017
sera quasi mission impossible.
C’est notamment ce qu’expose le
professeur de droit Pierre Albertini, ancien maire de Rouen,
chargé par Alain Juppé de réfléchir
à la question. Peut-on abroger la loi
dans les trente jours suivant les
prochaines élections législatives,
délai pendant lequel les élus en situation de cumul devront choisir
entre mandat national et fonction
Parlementaires cumulant : Les Républicains plus concernés que la moyenne
DÉPUTÉS
SÉNATEURS
75 %
85 %
71 %
80 %
433 députés
sur 577
166
députés LR
sur 195
248 sénateurs
sur 343
115
sénateurs LR
sur 144
TOTAL*
LES RÉPUBLICAINS
TOTAL*
LES RÉPUBLICAINS
Adjoints au maire
Vice-présidents de département
Conseillers départementaux
Présidents de région
Vice-présidents de région
Conseillers régionaux
19 113
6 10
Présidents de département
Total de députés cumulant
6 31
X
2 7
XX
Vice-présidents de département
TOTAL*
7 10
Vice-présidents de région
20 50
Conseillers régionaux
Total de sénateurs cumulant
4 20
X
2 2
Présidents de région
dont
Les Républicains
1 2
6 14
Conseillers départementaux
dont
Les Républicains
0
11 22
61 %
47 %
121
députés LR
sur 195
88
sénateurs LR
sur 144
163 sénateurs
sur 343
LES RÉPUBLICAINS
TOTAL*
LES RÉPUBLICAINS
* hors intercommunalités
« Je croyais qu’on
était pour le
travailler plus…
Pourquoi serionsnous pour le
travailler moins
pour nous ? »
NICOLAS SARKOZY
président du parti LR
exécutive locale ? La date des législatives n’est pas encore fixée mais
la probabilité la plus forte est qu’elles aient lieu les 11 et 18 juin 2017. Ce
qui laisserait jusqu’au 19 juillet
pour se mettre en conformité avec
la règle. Est-il possible de changer la
règle dans ce laps de temps ?
« L’obligation de recourir à une loi
organique, pour les députés et les
sénateurs, impose des conditions
de délai, de majorité et de soumission au Conseil constitutionnel,
rappelle M. Albertini. Leur combinaison conduit à rendre impossible
l’adoption d’une loi d’initiative gouvernementale, même réduite à un
article unique, entre l’installation
de la nouvelle assemblée et l’expiration de la session ordinaire, le
Législatives partielles : trois victoires LR
La droite a conservé les trois sièges qui étaient à pourvoir
lors des élections législatives partielles en l’emportant nettement
au second tour, dimanche 20 mars, dans des scrutins marqués
par de forts taux d’abstention. Dans le Nord (78 % d’abstention),
Vincent Ledoux (LR) a été élu avec 67,92 % des suffrages, contre
32,08 % à la candidate FN, Virginie Rosez. Dans l’Aisne (65,75 %
d’abstention), Julien Dive (LR) l’emporte avec 61,14 % des voix,
contre 38,86 % à la candidate FN, Sylvie Saillard. Le PS avait été
éliminé dès le premier tour dans ces deux circonscriptions. Dans
les Yvelines (73,88 % d’abstention), Pascal Thévenot (LR) recueille
72,25 % des suffrages face au socialiste Tristan Jacques (27,75 %).
venant
de choc
XX
SÉNATEURS POUVANT ÊTRE VISÉS PAR LA LOI
62 %
239 députés
sur 577
12 43
Conseillers municipaux
12 19
119
9 18
Adjoints au maire
DÉPUTÉS POUVANT ÊTRE VISÉS PAR LA LOI
41 %
64
Maires
5 15
Conseillers municipaux
Présidents de département
186
95
Maires
SOURCE : LE MONDE
30 juin. » Bien sûr, il est probable, et
même quasiment certain, qu’une
session extraordinaire sera convoquée mais, « l’adoption d’un projet
de loi, selon la procédure accélérée,
avant le 19 juillet, est difficilement
réalisable », estime le juriste.
Reste l’ultime parade : faire adopter par le Sénat en première lecture, avant la suspension des travaux de la présente législature, en
février 2017, une proposition de loi
d’abrogation dont l’Assemblée nationale renouvelée pourrait immédiatement se saisir pour la voter conforme. Mais est-ce politiquement jouable ? « La ficelle est un
peu grosse. Une telle attitude serait
suicidaire », estime M. Albertini.
« N’en déplaise à ceux dont l’appétit
de cumul est insatiable, il est préférable de s’inscrire dans la logique de
l’incompatibilité posée il y a deux
ans et souhaitée par l’opinion »,
poursuit cet ancien proche de
François Bayrou qui a rejoint
l’équipe de M. Juppé.
Le raisonnement est à peu près
similaire chez François Fillon,
même s’il penche plutôt pour le
maintien du droit au cumul. « Il ne
reviendra pas sur la loi », assure
son porte-parole Jérôme Chartier.
Pour qu’une proposition de loi
d’abrogation soit adoptée au Sénat avant la présidentielle, encore
faudrait-il qu’elle soit inscrite à
l’ordre du jour. Et ni le président
du Sénat, Gérard Larcher, ni celui
du groupe LR, Bruno Retailleau,
proches de M. Fillon, ne semblent
convaincus d’une telle éventualité. « M. Sarkozy a proposé de déposer un texte abaissant le nombre
de députés et de sénateurs et, dans
ce cadre, de rétablir le cumul des
mandats. C’est une réflexion qui est
en cours », admet M. Retailleau.
Même certains proches de
M. Sarkozy jugent sa position diffi-
Huit parlementaires LR sur dix sont élus locaux
on ne mesure pas encore la « révolution »
que constitue la loi organique du 14 février 2014
interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec un mandat de député, de sénateur ou
d’élu européen. A partir du prochain renouvellement des assemblées, juin 2017 pour les législatives, septembre 2017 pour les sénatoriales et
juin 2019 pour les élections au Parlement européen, il ne sera plus possible de cumuler un
mandat parlementaire avec les fonctions de
maire, maire d’arrondissement, maire délégué
ou adjoint au maire ; président ou vice-président d’un établissement public de coopération
intercommunale ; président ou vice-président
de conseil départemental ; président ou viceprésident de conseil régional ; président ou
vice-président d’un syndicat mixte ; président
ou vice-président d’une assemblée territoriale.
Le cumul, marque de fabrique française
Une rupture décisive avec une pratique qui fait
de la France une exception en Europe : nulle
part, le cumul n’y est aussi fréquent. Alors qu’en
France, le pourcentage de parlementaires exerçant un mandat local dépasse 70 % – il a légèrement baissé depuis l’adoption de la loi, un certain nombre d’élus nationaux s’étant appliqué à
eux-mêmes par avance les nouvelles obligations –, celui-ci est de l’ordre de 35 % en Suède,
26 % en Allemagne, 20 % en Espagne, 7 % en Ita-
cilement tenable. « C’est de la folie
de vouloir revenir sur cette mesure.
Il prend des risques car les Français
sont contre le cumul », estime un
ex-ministre. Selon un sondage
Odoxa paru le 1er janvier, 86 % des
personnes interrogées plébiscitent le non-cumul des mandats.
Mais, pour M. Sarkozy, c’est une façon de faire la démonstration de
son courage politique et, surtout,
de s’attirer les faveurs des parlementaires dans l’optique de la primaire. A Reims, il avait moqué par
avance ceux qui tenteraient de l’en
lie ou 3 % au Royaume-Uni. Actuellement, 75 %
des députés et 71 % des sénateurs exercent un
mandat communal, départemental ou régional.
Sans compter les fonctions exécutives dans une
intercommunalité ou un syndicat mixte, qui entrent désormais dans le champ des incompatibilités. Cependant, seuls 41 % des députés et 47 %
des sénateurs seraient potentiellement concernés par l’interdiction du cumul puisque celle-ci
ne s’applique qu’aux fonctions exécutives et
non aux simples mandats de conseiller.
Ces pourcentages sont encore plus élevés pour
les élus LR : ils sont 85 % parmi les députés et 80 %
chez les sénateurs à exercer un mandat local et,
respectivement, 62 % et 61 % potentiellement
concernés par la loi anti-cumul. On mesure aisément l’enjeu que représente l’application de la
nouvelle législation en 2017. Nul doute que les
candidats cumulant vont devoir, avant les élections, se déterminer quant au choix du mandat
qu’ils continueront à exercer et que cela pèsera
sur le choix des électeurs. Cela influera aussi sur
les investitures et peut constituer un appel d’air
pour le renouvellement des élus. Enfin, cela modifiera le fonctionnement des deux chambres,
avec des élus « à plein temps ». A moins que la
droite de retour au pouvoir, comme le souhaite
M. Sarkozy, ne parvienne à abroger la loi de février 2014 avant même son entrée en vigueur. p
p. rr
dissuader. « Oh je sais… On va me
dire : “Mais Nicolas, tu n’y penses
pas. Cela va donner une mauvaise
image !” Mais vous croyez que, de
renoncement en renoncement et
d’excuse en excuse, les responsables
politiques se donnent une bonne
image ? Mes chers amis, je croyais
qu’on était pour le travailler plus…
Pourquoi serions-nous pour le travailler moins pour nous ? »
Depuis, il maintient son idée, la
couplant avec une baisse du nombre de parlementaires. Le 16 mars,
lors d’un échange avec les inter-
nicolas demorand
le 18/20
monde
15 un jour dans le mond
18:15
19:20 le téléphone sonne
nautes sur Facebook, il a précisé
qu’il souhaitait réduire leur nombre de 30 % et limiter leurs mandats à deux au plus. Cela suffira-t-il
à convaincre les électeurs ? Pas sûr.
D’autant que ses principaux rivaux à droite affichent également
leur intention de réduire le nombre de parlementaires. Dès lors, sa
seule « marque de fabrique » serait
de se poser en champion du cumul. Il n’est pas acquis que ce soit
ce dont rêvent les électeurs. p
alexandre lemarié
et patrick roger
avec les chroniques
d’Arnaud Leparmentier
et d’Alain Frachon
dans un jour dans le monde
de 18 :15 à 19 :00
enquête | 15
0123
MARDI 22 MARS 2016
L’anneau est très simple, un peu massif, sans
éclat. Sa base a été agrandie de 4 mm, sans
doute parce que l’anneau a été porté par un
homme. Deux inscriptions sont lisibles :
« IHS » et « MAR », Jésus et Marie. Il comporte
aussi deux croix. Interrogée le 17 mars 1431
dans sa prison, la jeune bergère de Domrémy
« pensait » pourtant « qu’il y [en] avait trois »,
selon les actes du procès. La dernière a pu s’effacer… « On a tous les certificats fournis par les
commissaires-priseurs, il n’y a aucun doute
sur l’authenticité de cet anneau », clame Philippe de Villiers. « Trop de scrupules devient
douteux, soupire aussi Franck Ferrand, qui
anime tous les après-midi l’émission « Au
cœur de l’histoire » sur Europe 1 et avait fait le
déplacement dimanche. Il faut aussi une part
de foi ! »
Accessoire, au fond, pour les Villiers. « L’anneau est le symbole du lien de Jeanne avec le
ciel, a lancé Nicolas de Villiers. Elle l’embrassait avant chaque bataille, et les Français que
Jeanne croisait l’embrassaient aussi. » La bague n’est pas seulement « un trésor du patrimoine national » repris aux Anglais – qu’il fait
huer et siffler. C’est « une relique sacrée » portée par une femme canonisée en 1920. Dimanche, à la fin de la cérémonie, l’anneau a
rejoint un reliquaire, dans la chapelle du château du Puy du Fou. Une génuflexion par-ci,
un signe de croix par-là, la foule a défilé devant l’anneau éclairé par une diode luminescente. « Si l’anneau avait échoué dans un musée, peut-être eût-il fini sa vie dans un placard ! », a triomphé Philippe de Villiers.
ariane chemin
les epesses (vendée) - envoyée spéciale
A
ccueil de l’anneau de Jeanne
d’Arc dimanche 20 mars. Le
peuple de France y est invité
gracieusement. Je vous y attends. » Conviés par Philippe
de Villiers en personne, ce dimanche 20 mars, plus de 3 000 spectateurs
guettent dans la cour du château du
Puy du Fou le pas d’une trentaine de chevaux
caparaçonnés venus des hauteurs voisines.
Les tambours roulent de plus en plus près,
bannières et oriflammes flottent au soleil et
chatoient à travers le porche. Cent cyrards, sabre au clair et casoar au vent, dressent une
haie d’honneur à ces chevaliers venus directement du XVe siècle.
Suivent des petites filles en robe de lin, rameaux de genêt et de mimosa à la main, de
faux « poilus », des heaumes et des armures
en fer et, enfin, une cérémonieuse châsse de
bois, portée à bras. « C’est l’anneau ! » Au cœur
de la procession trône la bague attribuée à
Jeanne d’Arc, que le parc de loisirs vendéen
vient d’acheter en Angleterre pour l’offrir au
« peuple de France ». Protégée par un dais de
velours à plumets, ceinte d’une jonchée de
lys, elle repose sur un carreau de velours
pourpre, et personne n’ose s’approcher trop
près d’elle.
On croirait un des « spectacles vivants » produits par le Puy du Fou. Une de ces quinze ou
vingt « Cinéscénie » qui, chaque année davantage, font le succès du deuxième parc d’attractions français après Disneyland Paris (il a
atteint le cap de 2 millions de visiteurs
en 2015). Sauf que le parc de loisirs vendéen
est fermé, comme chaque hiver. Les « Puyfolais » peaufinent encore les futurs spectacles
avant l’ouverture, le 2 avril.
C’est un « son et lumière » exceptionnel qui
se joue aujourd’hui, écrit en moins de quinze
jours. Une superproduction dans laquelle
Philippe de Villiers tient son propre rôle, et
qu’on pourrait appeler « L’Anneau de
Jeanne ».
« APPUYER UN PROPOS POLITIQUE »
« DES RÉFLEXES DE PATRIOTES »
L’histoire du spectacle commence le 24 février. Me Jacques Trémolet de Villers, catholique traditionaliste et royaliste assumé, prévient son ami Villiers qu’une prestigieuse
maison londonienne met aux enchères, à
Londres, un anneau ayant appartenu à
Jeanne d’Arc. « Il est à vendre dans deux jours.
C’est sur [la société britannique de vente aux
enchères] TimeLine et ça m’a l’air sérieux », raconte-t-il. Me Trémolet connaît bien son sujet : il vient de publier aux Belles Lettres Le
Procès de Rouen, commentaire personnel des
audiences qui se sont déroulées entre février
et mai 1431 et ont conduit Jeanne d’Arc au bûcher. Cet avocat qui n’a pas eu peur de défendre le milicien Paul Touvier, condamné à la
réclusion criminelle à perpétuité en
avril 1994, partage avec l’ancien candidat à
l’élection présidentielle une passion pour
« La Pucelle ». Philippe de Villiers a écrit
en 2014 chez Albin Michel Le Roman de
Jeanne d’Arc, Mémoires imaginaires et à la
première personne d’une guerrière « trahie
par les élites » qui « n’abjura jamais », écrit-il.
Suivez son regard.
Hormis une dizaine de lettres (dictées, elle
ne savait ni lire ni écrire), il n’existe aucun
souvenir de celle qui bouta les Anglais hors
de France. Ni cheveu ni vêtement… On la
soupçonnait de sorcellerie, il ne fallait pas développer de culte. L’anneau est mis à prix
outre-Manche à 19 000 euros. Avec son fils
Nicolas, président de la fondation du Puy du
Fou, Philippe de Villiers fait les comptes. La
fondation peut monter jusqu’à 80 000 euros,
mais le reste doit être réuni sous deux jours.
Pendus à leur téléphone, nuit comprise, père
et fils réunissent en 48 heures 350 000 euros
de promesses de dons. « Des réflexes de patriotes, un grand mouvement spontané qui
vient de toute la France, des gens simples qui
ont donné 20 euros et des gens plus fortunés,
dit Nicolas de Villiers. Même mon père a mis
au pot. » Le romancier Jean Raspail offre un
millième de la bague. Le vice-président du
Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, en est
aussi. L’entrepreneur libéral Charles Beigbeder paie sa part de l’anneau de « Jaâne » : c’est
ainsi qu’ils la nomment tous, avec beaucoup
de chapeaux sur le « a ».
Le 26 février, la partie se révèle plus disputée que prévu. Outre-Manche, les offres fu-
LÉA CHASSAGNE
Le seigneur
de l’anneau
Une bague qui aurait appartenu à Jeanne d’Arc a été
achetée aux enchères 376 833 euros par le Puy du Fou
de Philippe de Villiers, où elle est exposée comme
une relique depuis dimanche. A la grande joie d’une
nébuleuse « tradi », identitaire et catholique, qui pourfend
l’histoire universitaire et attend son homme providentiel
sent. Nicolas de Villiers renchérit une dernière fois sur un Américain, et emporte la bague pour 376 833 euros. « Le bijou rentre en
France ! », lâche le commissaire-priseur britannique au dernier coup de maillet. « Après
six siècles en Angleterre ! », plastronnent les
Villiers, pas peu fiers. Le 4 mars, Nicolas gagne Londres et, avant de rapatrier son trophée en Vendée par avion privé, pose avec sa
« prise de guerre » devant Big Ben et Westminster, « pour le symbole ».
« TROP D’INCONNUES »
Les Villiers n’étaient pas seuls à savoir que
l’anneau était en vente. Le maire (Les Républicains) d’Orléans, Olivier Carré, s’entretient
avec l’ancien candidat à la présidentielle. « Je
lui ai expliqué que je ne pouvais prendre aucun
risque avec de l’argent public », raconte-t-il.
Car Olivier Bouzy, responsable du Centre
d’archives Jeanne d’Arc à Orléans, ne valide
« ON PRIVATISE
L’HISTOIRE, ON FAIT
DU WALT DISNEY.
VILLIERS UTILISE LA
MÊME MÉTHODE QUE
LORANT DEUTSCH »
WILLIAM BLANC
spécialiste des usages
politiques de l’histoire
à l’EHESS
pas l’authenticité de l’anneau. « On note plusieurs cas de faux objets autour d’elle », rappelle l’historien médiéviste, citant l’exemple
d’un bout de momie égyptienne que l’on
pensait être une côte de la martyre récupérée
sur le bûcher. Mêmes réticences à l’Historial
Jeanne d’Arc de Rouen : conseiller scientifique de l’établissement, Philippe Contamine,
professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne et coauteur avec Olivier Bouzy (et Xavier Hélary) d’un Jeanne d’Arc, histoire et dictionnaire (Robert Laffont, 2012) qui fait autorité, se montre également sceptique : « L’invraisemblable peut être vrai, mais reste
invraisemblable, il y a trop d’inconnues. » La
Métropole Rouen-Normandie ne se porte pas
non plus acquéreur.
Vraie bague ? Faux bijou ? Le Figaro Magazine et Valeurs actuelles, mais aussi La République du Centre à Orléans et la presse rouennaise suivent la polémique avec passion.
« On privatise l’histoire, on fait du Walt
Disney ! », s’exclame William Blanc, spécialiste des usages politiques de l’histoire à
l’Ecole des hautes études en sciences sociales
(EHESS). « Villiers utilise la même méthode que
Lorant Deutsch. Mais pas seulement. La procession de la bague au Puy du Fou a quelque
chose de ce temps médiéval où on inventait
des objets de dévotion. Il y a aujourd’hui toute
une nébuleuse qui remet au goût du jour une
histoire identitaire, un roman national héroïque et catholique. La Jeanne d’Arc du
Puy du Fou est celle de l’Action française, nationaliste et catholique, appuie l’historien. Cette
fois, l’ennemi, ce sont les Anglais, mais aussi les
universitaires enfermés dans leur tour d’ivoire
et coupés du pays réel, complices passifs du
mondialisme. Ces gens-là utilisent un récit historique figé pour appuyer un propos politique,
qui passe, on le sait, par les symboles. »
De la politique au Puy du Fou ? Philippe de
Villiers s’étrangle. Mais reconnaît en riant
dans Valeurs actuelles une « communauté de
l’anneau ». Le surnom qu’a donné l’hebdomadaire à cette bouillonnante droite « nationale » déçue par Nicolas Sarkozy et qui prospère hors du Front national et des Républicains, détestant autant Alain Juppé (« de l’eau
tiède », explique le président du Mouvement
pour la France à Valeurs) que François Fillon
(« Raffarin en plus maigre et moins la bosse »).
Une droite qui fournit de sérieux bataillons
de manifestants à La Manif pour tous, emplit
les salles de conférences d’Eric Zemmour ou
de Philippe de Villiers lui-même, et dévore Le
moment est venu de dire ce que j’ai vu (Albin
Michel, 2015), le dernier livre de l’ancien candidat à la présidentielle, qui en a vendu à ce
jour 250 000 exemplaires.
« Nous sommes une espèce de grande famille
nationale, traditionnelle, bien loin du marigot
politique », s’amuse Jean Raspail, auteur du
roman d’anticipation Le Camp des saints (Robert Laffont, 1973). « Jeanne est attachante,
elle nous manque », ajoute Charles Beigbeder,
cofondateur, avec Charles Millon, du petit
think tank L’Avant-Garde, qui ne cache pas ses
convergences avec Marion Maréchal-Le Pen.
« Tout ce qui touche un saint est sacré à son
tour, et est susceptible d’avoir des pouvoirs
thaumaturgiques », a expliqué Villiers sur la
webtélé d’extrême droite TVLibertés. Miracle
dominical, chacun est venu dimanche baiser
la bague du président du Mouvement pour la
France. « Merci à Philippe de Villiers d’avoir
rapporté l’anneau de Jehanne d’Arc en terre de
France », avait déjà salué Marine le Pen, fidèle
comme le Puy du Fou à l’ancienne graphie du
prénom de la sainte guerrière. « Bravo à Philippe de Villiers pour le retour de l’anneau de
Jeanne sur la terre de France », a renchéri Nicolas Dupont-Aignan, le président de Debout la
France. Même La Manif pour tous, qui a
tourné le dos à Nicolas Sarakozy depuis qu’il a
refusé d’abroger la loi Taubira, y est allée de
son clin d’œil : « Jeanne d’Arc aussi était née
d’un homme et d’une femme » ! p
16 | disparitions
0123
MARDI 22 MARS 2016
Guido Westerwelle
Ancien ministre des affaires
étrangères allemand
M
inistre des affaires
étrangères
allemand de 2009 à
2013, Guido Westerwelle est mort le 18 mars d’une
leucémie. Sa mort a choqué l’Allemagne, non seulement parce qu’il
n’avait que 54 ans mais aussi parce
que, à l’automne 2015, alors qu’il
semblait bénéficier d’une légère
rémission, Guido Westerwelle
était réapparu très combatif. Il affirmait même se sentir « entre
deux vies », selon le titre qu’il avait
donné à son livre-témoignage (éd.
Hoffmann und Campe Verlag,
non traduit). Nul ne peut contester la qualité de « battant » à cet
homme qui a été l’une des principales figures de la vie politique allemande durant une douzaine
d’années.
Né en 1961 en Rhénanie-duNord-Westphalie, dans la petite
ville de Bad Honnef, dans une famille de juristes, Guido Westerwelle fait lui-même des études de
droit et devient avocat. Dès 1980, il
adhère au Parti libéral-démocrate
(FDP) et devient trois ans plus tard
président de l’organisation des
jeunes libéraux. Ambitieux et bon
orateur, il est même promu secrétaire général du parti une décennie plus tard, en 1994 et, enfin,
président du FDP en 2001.
Dès son accession à ce poste, il se
fixe comme objectif d’être crédible comme « candidat à la chancellerie » alors que ses prédécesseurs étaient davantage des « faiseurs de rois ». Depuis 1949, le FDP
est en effet le petit parti qui, au gré
des alliances, fait tantôt pencher la
balance à gauche quand il gouverne avec le Parti social-démocrate (SPD), tantôt à droite lorsqu’il opte pour une alliance avec
les chrétiens-démocrates (CDU).
La campagne de Guido Weste-
Il n’a jamais joui
de la notoriété
et du prestige
d’un autre
dirigeant du parti
libéral,
Hans-Dietrich
Genscher
rwelle en 2002 est restée célèbre.
Adepte d’un marketing politique
agressif, Guido Westerwelle fixe le
score qu’il espère obtenir aux élections législatives : 18 %. Il en fait
moins de la moitié (7,4 %) et le FDP
doit attendre 2009 pour participer
de nouveau à un gouvernement, le
deuxième que dirige Angela Merkel. Guido Westerwelle est alors
nommé ministre des affaires
étrangères de 2009 à 2013 et cumule jusqu’en 2011 cette fonction
avec la présidence du Parti libéral.
Un cumul pas forcément très
heureux. Président du FDP et vicechancelier, il s’oppose souvent à
Angela Merkel, dont il juge la politique insuffisamment libérale. Il
persiste notamment à réclamer
des baisses d’impôts, ce qui, en
pleine crise de l’euro, ne constitue
pas une priorité pour les Allemands, attachés à l’équilibre des
comptes publics. De même, l’insistance du FDP à réclamer une
baisse de la TVA sur l’hôtellerierestauration est d’autant plus mal
perçue par l’opinion que celle-ci
découvre que le principal soutien
du FDP n’est autre que le groupe
hôtelier Mövenpick.
Ce scandale et la guérilla permanente avec Angela Merkel rendent
Guido Westerwelle peu populaire.
Son attitude est jugée peu digne
d’un ministre des affaires étrangères qui, en principe, doit porter
dans le monde les valeurs de la démocratie allemande et prendre,
au moins en apparence, du recul
par rapport à la politique politicienne. De ce point de vue, Guido
Westerwelle n’a jamais joui de la
notoriété et du prestige d’un autre
dirigeant du Parti libéral, HansDietrich Genscher, célèbre ministre des affaires étrangères de 1982
à 1992 qui, aujourd’hui encore,
reste le modèle du genre. Les relations entre les deux hommes ont
d’ailleurs semblé se dégrader de
temps à autre.
Des discours eurocritiques
Guido Westerwelle et les autres dirigeants du FDP ont tenté de surmonter leur impopularité en tenant des discours eurocritiques,
totalement contraires aux valeurs
traditionnelles du Parti libéral.
Durant cette période, surtout
marquée par la crise de l’euro, Angela Merkel et son entourage
prennent en charge la politique
étrangère allemande, laissant une
assez faible marge de manœuvre
au ministre. A une exception
près : quand, en mars 2011, l’Allemagne s’abstient à l’ONU sur une
intervention en Libye, créant une
véritable crise avec les alliés occidentaux, la chancellerie laisse habilement le ministre représenter
Berlin… et recevoir l’essentiel des
critiques.
Même si la chute de Kadhafi n’a
pas eu les effets escomptés, l’alignement de l’Allemagne sur la
Russie et la Chine contre Washington, Paris et Londres, nuira longtemps à la coopération diplomatique entre Berlin et ses alliés. En
janvier 2014, son successeur, l’actuel ministre social-démocrate
Frank-Walter Steinmeier, n’a évi-
OLIVIER ROLLER
demment eu aucun mal à se positionner comme le ministre qui allait incarner la nouvelle ambition
de l’Allemagne sur la scène internationale.
Sur le plan de la politique intérieure, Guido Westerwelle n’a pas
eu beaucoup plus de succès. Si,
en 2009, il permet au FDP de rallier 14,6 % des suffrages – son record –, le parti ne restera pas longtemps à ces hauteurs. Ni Guido
Westerwelle ni Philip Rösler, le ministre de l’économie qui lui succède à la présidence du parti
en 2011, ne parviennent à enrayer
une chute abyssale. En 2013, le FDP
n’arrive même pas à franchir les
5 % des suffrages qui lui permettent d’être présent au Bundestag.
Sur le plan privé, Guido Westerwelle avait également marqué
l’opinion en affichant dès 2004
son homosexualité. p
27 DÉCEMBRE 1961 Naissance à Bad Honnef (Rhénanie-du-Nord-Westphalie)
2001-2011 Président du FDP,
le Parti libéral-démocrate
2009-2013 Ministre
des affaires étrangères
d’Angela Merkel
18 MARS 2016 Mort à Cologne
Sir Peter Maxwell Davies
« Maître de musique » de la reine Elizabeth II
L
e compositeur Peter
Maxwell Davies est mort,
chez lui, en Ecosse, lundi
14 mars, à l’âge de 81 ans,
des suites d’une leucémie. L’ancien « maître de la musique » de la
reine d’Angleterre laisse un catalogue de 334 opus, dominé par dix
symphonies, autant de quatuors à
cordes, une demi-douzaine d’opéras, d’importantes pages chorales
et quantité de pièces aux genres et
aux effectifs non académiques
(tel que son cycle de dix Strathclyde Concertos). Plus versatile
encore qu’il ne fut prolifique,
« Max » – ainsi qu’on l’appelait
dans le monde entier – aurait pu
être surnommé « Mask » tant son
visage semblait différent d’une
œuvre à l’autre. Pourtant, sous les
notes, sa conscience paraissait
toujours la même : une plage d’indépendance.
Né le 8 septembre 1934, à
Salford, dans le Lancashire, Peter
Maxwell Davies se familiarise en
autodidacte avec les œuvres
classiques autant qu’avec celles
d’Alban Berg et de Béla Bartok. Au
milieu des années 1950, il effectue
ses études au Royal Manchester
College of Music avec Harrison
Birtwistle et Alexander Goehr,
dont on dira qu’ils représentent,
avec lui, l’école de Manchester.
Ecole ? Le terme ne sied pas à la
personnalité de Maxwell Davies,
pas plus que la référence à Manchester, puisqu’un séjour de dix-
morable ayant pour nom Eight
Songs for a Mad King (Huit chants
pour un roi fou), une pièce de théâtre musical interprétée par les
Pierrot Players qui fit beaucoup
pour la notoriété du compositeur,
comparé alors à György Ligeti et à
ses Aventures et Nouvelles aventures (1965).
PHOTOSHOT/ UPPA/VISUAL PRESS AGENCY
huit mois en Italie pour travailler
avec Goffredo Petrassi, de même
qu’une inscription à l’université
de Princeton (New Jersey) pour
suivre l’enseignement de Roger
Sessions et de Milton Babbitt
compteront autant pour sa formation que les années passées au
Royal College.
A Princeton, alors qu’il vient
juste d’avoir 30 ans, il se lance
dans un grand projet d’opéra
autour de la figure de son illustre
8 SEPTEMBRE 1934
Naissance à Salford
(Grande-Bretagne)
1969 Création d’« Eight
Songs for a Mad King »
1980 Création de l’opéra
« The Lighthouse »
(Le Phare)
2004 Nommé « maître de
la musique » de la Reine
14 MARS 2016 Mort dans
l’archipel des Orcades (nord
de l’Ecosse)
prédécesseur John Taverner
(1490-1545), ouvrage scénique qui
ne sera créé à Londres qu’en 1972.
Conjonction de multiples références affichées par cet homme
de tempérament davantage
comme des attractions que
comme des influences, la musique de Peter Maxwell Davies
devait forcément apparaître
comme un cocktail explosif.
L’année 1969 en reçut de plein
fouet à cinq reprises, le plus mé-
Baroque
A l’actif du même ensemble (rebaptisé The Fires of London), que
Maxwell Davies dirigea de 1967 à
1987, les Renaissance and Baroque Realisations, livrées entre
1968 et 1973, ne sont pas moins
symptomatiques d’un goût qui,
par exemple, transforme une
Pavane d’Henry Purcell en foxtrot… Un semblable « remix » se
produit à la même époque avec St
Thomas Wake, sous-titré « Foxtrot avec orchestre sur une pavane de John Bull ».
Baroque, Peter Maxwell Davies
l’est assurément à sa façon, ainsi
qu’en témoignent ses collaborations avec le cinéaste Ken Russel
pour deux films de 1971 (The Devils
et The Boyfriend). Cette année-là, le
compositeur élit domicile dans
l’archipel des Orcades, au nord de
l’Ecosse, et y trouve l’essentiel de
son inspiration.
Dans sa fresque Solstice of Light
(1979), il cherche, par exemple, à
restituer les moindres inflexions
de la lumière, depuis le « cercle
doux du soleil » jusqu’aux « verts
tourbillons de la glace fondue ».
Une inscription runique (base de
Stone Litany, 1973), un roman (de
George Mackay Brown, pour
Black Pentecost, 1979), une légende (celle de saint Magnus,
auquel il vouera un festival à partir de 1977), un fait divers (la disparition de trois personnes près
d’un phare, trame de l’opéra The
Lighthouse, 1980) ou, tout simplement, le jeu des vagues (2e symphonie, 1981) prouvent que les
Orcades constituent l’alpha et
l’oméga de la musique de
Maxwell Davies.
Anobli en 1987, Sir Peter est
nommé, en 2004, « maître de la
musique » de la reine. Pas à vie,
comme ce fut le cas de ses prédécesseurs, mais pour une durée de
dix ans. Cette charge ne l’empêche pas de laisser libre cours à
l’engagement social qui l’a toujours habité. Par le biais d’un
quatuor à cordes (le troisième,
en 2003) brandi contre la guerre
en Irak ou d’un opéra (Kommilitonen !, 2010) nourri de contestations estudiantines.
« Est-il possible de renaître et de se
libérer des stéréotypes dans lesquels nous vivons ? », s’interrogeait
Peter Maxwell Davies au début des
années 1960 alors qu’il concevait
son premier opéra, Resurrection.
Chacune de ses œuvres aura manifestement tenté de répondre à
cette question. p
pierre gervasoni
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L’HISTOIRE
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Jacqueline Courrech,
Djamila Laroui,
Ses parents
Et amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
Bertrand ASSCHER,
survenu le 18 mars 2016,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
Les obsèques auront lieu le mercredi
23 mars, à 11 heures, au cimetière
de Montmartre, avenue Rachel, Paris 18e.
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Dès jeudi 10 mars, le vol. n°10
Khéphren, fils de Rê - Anubis, gardien
des nécropoles - La Vallée des Reines Champollion, le déchiffreur des hiéroglypes
Claudine Cerf,
son épouse,
Nicole Bourgery,
sa sœur,
Nadine et Philippe Bensussan,
Marianne Cerf et Thierry Doré,
ses enfants,
Matthieu, Guillaume, Elodie, Hugo
et Adèle,
ses petits-enfants,
Les familles Cerf, Fauré et Bourgery,
ont la grande tristesse de faire part
du décès du
professeur Marc CERF,
ancien chef
du Service de gastroentérologie
de l’hôpital Louis Mourier,
survenu le 17 mars 2016.
La cérémonie de crémation aura lieu
le mercredi 23 mars, à 11 h 45,
au crématorium du Mont-Valérien,
rue du Calvaire, à Nanterre.
Dès mercredi 16 mars,
le volume n°29 PATRIMOINE
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Sa famille remercie très sincèrement
l’équipe soignante du service
de cardiologie de l’hôpital Foch.
Cet avis tient lieu de faire-part.
15, rue des Gâte-Ceps,
92210 Saint-Cloud.
Graulhet. Paris.
Nicole Bacot,
Jacques, Marie-Hélène
et Angèle Bacot,
Jean-François Bacot
et Elyane Borowski,
éprouvent la grande douleur de faire part
du décès de
Mme Huguette Di GIACOMO,
survenu le 15 mars 2016.
Huguette aurait tant aimé traverser
son quatre-vingt-onzième printemps.
« O Maman, ma jeunesse perdue.
Complaintes, appels de ma jeunesse
sur l’autre rive. »
Albert Cohen,
Le livre de ma mère.
Les obsèques ont été célébrées
à Aix-les-Bains, le 19 mars.
Le Savoy,
6 avenue des Fleurs,
73100 Aix-les-Bains.
Claudie Cachard,
son épouse,
Laurence et Guillaume Frécourt,
ses enfants,
Philippe et Sylvain,
ses beaux-ils,
Béatrice, Jean-Claude, Ilona, Léopold,
Lila,
Robert Frécourt,
son frère
et ses enfants,
ont le grand chagrin de faire-part du décès
de leur cher
Jean FRÉCOURT,
psychiatre et psychanalyste,
ancien médecin
des Hôpitaux psychiatriques de la Seine,
ancien président
du Collège des psychanalystes
et « anticapitaliste atterré »,
survenu à Paris, le 14 mars 2016,
dans sa quatre-vingt-septième année.
Réunion d’hommage suivie
d’une inhumation, dans l’intimité.
La famille remercie toutes les personnes
qui s’associent à leur deuil.
Vandœuvre.
M. Paul Horn,
Ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire du décès de
Mme Colette HORN,
née DUBREUIL,
survenu le 18 mars 2016,
dans sa quatre-vingt-dixième année.
Un recueillement aura lieu le mercredi
23 mars, à 15 heures, en la salle omniculte
du crématorium de Nancy.
Cet avis tient lieu de faire-part
et de remerciements.
Biviers.
Mme Michèle Kampf,
son épouse,
Mme Martine Kampf,
sa ille,
Jean-Bastien et Maxence Dussart,
Thimoté et Naomi Boullet,
ses petits-enfants,
Ses parents
Et amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Serge KAMPF,
survenu à l’âge de quatre-vingt-un ans.
La cérémonie sera célébrée ce lundi
21 mars 2016, à 14 heures, en la cathédrale
Notre-Dame de Grenoble.
(Le Monde du 18 mars.)
Claudie Labie,
sa belle-sœur,
Gilles et Hélène Ravelo de Tovar,
Marie-Anne et Jean-Pierre
Camescasse,
Antoine et Isabelle Ravelo de Tovar,
Emmanuel Ravelo de Tovar,
Denis et Catherine Fayein,
Vincent et Hélène Fayein,
Laurent et Clarisse Fayein,
Patrice Labie,
Anne-Françoise et Laurent
Leurquin-Labie,
ses neveux et nièces,
Ses petits-neveux et petites-nièces,
Catherine, Valérie, Claudine, Bruno,
Julien, Edhel, Louve, Laurent, Chloé,
Parents et alliés,
ont la tristesse de faire part du rappel
à Dieu du
ont la tristesse de faire part du décès de
directeur de recherche honoraire
à l’INSERM,
chevalier de l’ordre national du Mérite,
M. René DESPRATS,
avocat à la Cour ,
cofondateur du Cabinet
« Conseils Réunis », à Paris 17e.
Une bénédiction sera donnée le mardi
22 mars, à 11 heures, en l’église
Notre-Dame de Graulhet.
72, rue Barricouteau,
81300 Graulhet.
docteur Dominique LABIE,
à Paris, le 9 mars 2016.
La cérémonie religieuse aura lieu
le vendredi 1 er avril, à 10 heures,
au couvent Saint-Jacques, 20, rue des
Tanneries, Paris 13e.
L’inhumation se déroulera dans
la stricte intimité familiale.
« PEACE ! peace ! he is not dead,
he doth not sleep,He hath awakened
from the dream of life. »
« PAIX ! paix ! il n’est pas mort,
il n’est pas endormi,Il s’est juste réveillé
du songe de la vie. »
Shelley.
Christiane Connan-Pintado,
sa mère,
Richard Loustau,
son père,
Jean-Louis Connan,
son beau-père,
Eliane Loustau,
sa grand-mère,
Antoine Laborde,
Damien et Geoffrey Loustau,
Anna Connan,
ses frères et sa sœur,
Léopold Loustau,
son ils,
ont la douleur de faire part de la disparition
de
Benjamin LOUSTAU,
le 12 mars 2016, à Moscou.
La cérémonie sera célébrée le mardi
22 mars, à 16 heures, en l’église
Saint-Maurice, à Gujan-Mestras.
Paris.
Leandro Manzoni,
son époux,
Edouard et Fernando,
ses ils,
Pascale,
sa belle-ille,
Amélie, Julie, Alric et Célian,
ses petits-enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Encarnacion MANZONI
née OCHOA,
survenu le 16 mars 2016, à Paris,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Les obsèques auront lieu le mardi
22 mars, à 11 h 30, au crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e.
« Los Dioses no tuvieron màs sustancia
que la que tengo yo. »
Juan Ramòn Jiménez.
Laurence Avril, Dominique PluotSigwalt, Isabelle Dérens, Carole Pluot,
ses illes,
Hadrien Dérens et Elisa Ortega,
Métélis leur ils,
Laure et François Bonnerot,
leurs illes, Mila et Cléo,
Charlotte Avril,
ses petits-enfants et arrière-petits-enfants,
ont le chagrin d’annoncer le décès de
Jacqueline PLUOT,
née LEPORT,
le 17 mars 2016,
dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année.
Une messe sera célébrée en la chapelle
des Sœurs Augustines, le mardi 22 mars,
à 10 heures, 29, rue de la Santé, Paris 13e,
suivie de l’inhumation dans l’intimité
familiale, au cimetière de Bagneux
(Marne).
Maxime et François,
ses ils,
Pierre,
son petit-ils,
Patrick et Dominique Simon,
ses neveu et nièce,
Lynda et Mouida,
ses amies,
ont la douleur de faire part du décès de
Jean PRODROMIDÈS,
membre de l’Institut
(Académie des beaux-arts),
oficier de la Légion d’honneur,
oficier de l’ordre national du Mérite,
commandeur
de l’ordre des Arts et des Lettres.
La cérémonie aura lieu à Paris,
en l’église Sainte-Etienne-du-Mont,
Paris 5e, le mardi 22 mars 2016, à 10 h 30
et l’inhumation au cimetière de La Celle
(près Brignoles), mercredi 23 mars,
à 15 heures, où il rejoindra son épouse,
Floria.
L’artiste peintre
Lise RANCILLAC,
dite « LISERAN »,
s’est éteinte le mercredi 16 mars 2016.
Ses enfants,
Ses petits-enfants
Et ses amis,
lui rendront un dernier hommage
au crématorium du cimetière du PèreLachaise, le 23 mars, à 16 heures.
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Grenoble.
Danielle Bassez,
sa compagne,
Ivan Samson, Christine Samson,
Jacques Samson,
ses enfants
et leurs conjoints,
Yannick Samson,
son petit-ils
et son épouse
Dany,
son arrière petit-ils,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Renée SAMSON,
née BATBY,
Colloque
« Georges Pompidou et le bonheur »
30 et 31 mars 2016,
Centre Pompidou - Paris.
L’Institut Georges Pompidou
organise un colloque sur la France
des années 1960-1970 :
était-ce une France heureuse ?
En présence de
Yves Cannac, Michèle Cotta,
Hervé Gaymard, Philippe d’Iribarne.
Renseignement et réservation :
Tél. : 01 44 78 41 22.
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Communications diverses
survenu le 18 mars 2016, à Grenoble,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
Une cérémonie civile aura lieu à
la chambre funéraire des Pompes funèbres
de La Tronche (Isère), avenue du Grand
Sablon, le mardi 22 mars, à 16 heures.
La cérémonie religieuse aura lieu au
Temple du Chambon-sur-Lignon (HauteLoire), le mercredi 23 mars, à 14 h 30.
Hypnos et Thanatos ont veillé sur
elle durant un mois et elle s’est endormie
dans la paix. Elle aimait les autres,
la culture, la liberté.
Laura Sauvageot,
Marc Sauvageot,
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Mari-Liis Aroella,
Tuula Sauvageot,
Les mères de ses enfants,
Jacqueline Sauvageot,
Lilla Mérigaud-Sauvageot,
ses sœurs,
Kantara Bonacina,
Lynda Franceschi,
Ses nièces,
Développement culturel
Urbanités coréennes
cinéma du réel,
documentaires inédits et tables-rondes
réunissant architectes, chercheurs
et documentaristes
de 14 heures à 19 h 30,
Séoul et la longue modernité,
vendredi 8 avril 2016,
Un imaginaire XXL :
les architectes du futur,
samedi 9 avril,
Les coulisses
de la ville verticale,
vendredi 15 avril,
Les jardins secrets
et marges urbaines,
samedi 16 avril.
Entrée libre
inscription citechaillot.fr
font part du décès de
Jean-Pierre SAUVAGEOT.
La cérémonie a eu lieu dans l’intimitié
familiale.
Sauvageot,
84, avenue Aubert,
94300 Vincennes.
Souvenir
En souvenir de
Véronique NIOBEY LAITER,
6 mai 1950 - 22 mars 2000.
Sa famille, tendrement.
Avis de messe
Le 2 décembre 2015,
Françoise FLAMANT,
née MARROU,
nous quittait.
Elle a rejoint son mari,
Jacques FLAMANT,
parti la même année, le 11 janvier.
Une messe en leur souvenir sera
célébrée le mercredi 23 mars 2016,
en l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas,
Paris 5e, à 19 heures.
Société des Amis d’Henri Irénée
Marrou.
Concert
Concert en famille
Samedi 26 mars 2016, à 16 heures,
« L’invitation au voyage »,
des mélodies de Maurice Delage,
Camille Saint-Saëns, Jules Massenet
et Igor Stravinsky,
interprétées par la soprano
Amel Brahim-Djelloul
et les musiciens
de l’Orchestre de la Garde Républicaine.
Auditorium,
de 4,5 € à 14 €
musee-orsay.fr
Assises pédagogiques
les 26 et 27 mars 2016,
au Mémorial de la Shoah
Dans le cadre de la Semaine d’éducation
et d’actions contre le racisme
et l’antisémitisme
L’histoire de la Shoah
face aux déis de l’enseignement.
Deux journées d’échanges
sur les pratiques pédagogiques,
en partenariat avec le ministère
de l’Éducation nationale et la DILCRA.
Samedi 26 mars 2016,
10 h 30 - 12 h 30 :
« Enseigner la Shoah,
un enseignement disciplinaire
et pluridisciplinaire ? »
14 heures -16 heures :
« D’une histoire locale à une histoire
européenne, comment mieux inscrire
l’histoire de la Shoah
dans l’espace et le temps ? »
16 heures :
« Psychanalyse,
Antisémitisme et Shoah »,
Dimanche 27 mars,
10 heures -12 h 30 :
« L’enseignement
de l’histoire de la Shoah, à l’épreuve
des pédagogies innovantes (internet,
réseaux sociaux, pédagogie inversée) ».
14 heures - 16 heures : « Comment lier
un enseignement théorique et la lutte
contre le racisme et l’antisémitisme ».
16 heures : Conclusion.
Entrée libre sur inscription :
www.memorialdelashoah.org
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CULTURE
0123
MARDI 22 MARS 2016
F E S T I VA L S O U T H B Y S O U T H W E S T
L’ami par qui Iggy a ravivé ses années Bowie
Rencontre à Austin avec le rockeur
reptilien et son acolyte Josh Homme,
qui l’a aidé à retrouver l’inspiration
sur l’album « Post Pop Depression »
REPORTAGE
stéphane davet
austin (texas)
L
a dernière fois qu’un album avait
autant évoqué la Camarde et de
possibles adieux, le disque s’appelait Blackstar et son auteur, David
Bowie, mourait deux jours après
sa publication (le 10 janvier 2016).
Même s’il s’interroge sur la mort et l’au-delà,
le dix-septième album studio d’Iggy Pop, Post
Pop Depression, sorti le 18 mars, ne devrait pas
porter malheur à celui qui fut un intime et
complice du créateur de Ziggy Stardust (un
Ziggy dont Iggy fut l’un des inspirateurs).
La proximité est pourtant troublante.
D’autant que ce nouvel opus réalisé et cosigné par le Californien Josh Homme, chanteur-guitariste des Queens of the Stone Age,
cofondateur et membre intermittent des
Eagles of Death Metal, s’approche comme
jamais des deux albums cultes – The Idiot et
Lust for Life – que Bowie avait produits et
cocomposés en 1977 pour l’ancien chanteur
des Stooges, en admirateur inconditionnel
de ce groupe du rock extrême américain.
Un magnifique cousinage confirmé, le
16 mars, sur la scène du Moody Theater
d’Austin, dans le cadre du festival South by
Southwest (SXSW). Iggy enflamme l’arène
texane en mêlant ses nouveaux morceaux à
la quasi-intégralité de The Idiot et de Lust for
Life, accompagné du géant roux Josh
Homme et des musiciens qui ont sculpté
Post Pop Depression – Matt Helders (des Arctic Monkeys) à la batterie, Dean Fertita
(Queens of the Stone Age, The Dead Weather) à la guitare, mais aussi Troy Van
Leeuwen (Queens of the Stone Age) aux claviers, guitare et percussions, et Matt Sweeney (Chavez) à la basse.
Irrésistible ouverture du concert, l’intro de
batterie de la chanson-titre de Lust for Life
reste une des chevauchées les plus fantastiques de l’histoire du rock. Si des titres
comme The Passenger ou China Girl font également figure de classiques, beaucoup
d’autres – Fall in Love with Me, Some Weird
Sin, Success… – se sont longtemps absentés
du répertoire live d’Iggy Pop.
Cela n’a beau être que son quatrième concert, le gang, impeccablement habillé de cos-
L’IGUANE
SE DÉCHAÎNE,
TORSE NU, MALGRÉ
LE POIDS DE SES
PRESQUE 69 ANS
ET UN CORPS
D’ATHLÈTE DE
L’EXCÈS TORDU
PAR LA SCOLIOSE
ET UNE HANCHE
EN VRAC
tumes noirs, rayonne avec classe et tranchant, tout à la joie de servir l’icône de la radicalité. Veste tombée, l’« Iguane » se déchaîne, malgré le poids de ses presque 69 ans
(il est né en 1947, comme Bowie), et un corps
d’athlète de l’excès tordu par la scoliose et
une hanche en vrac. Loin de se contenter de
son rôle de « rock’n’roll animal », le chanteur
du Michigan – désormais installé en Floride
– incarne d’une voix devenue plus grave les
différentes facettes de son disque et de ses
anciennes productions.
Soit une mosaïque de lyrisme altier, de menaces, de mélancolie, d’ironie, de crooning,
d’électrocution et de danses sensuelles. « Je
prends un vrai plaisir à retrouver ces vieilles
chansons. Certaines sont sorties de ma bouche alors que je n’avais pas 30 ans, mais j’ai attendu d’en avoir presque 70 pour assumer certains textes », s’esclaffe Iggy Pop de son timbre caverneux de gentleman punk. « Et puis
Josh et les garçons répétaient “On veut jouer
ces morceaux !” », ajoute-t-il, imitant des
piaillements.
RAFFINEMENTS ET URGENCE ÉLECTRIQUE
Au lendemain de son concert, James Osterberg Jr. (pour l’état civil) a donné rendezvous dans une vieille villa en bois de la banlieue d’Austin. Visiblement ravi du show de
la veille, l’« Iguane » en tee-shirt noir plaisante avec ses musiciens en grignotant des
travers de porc cuits au barbecue. Après avoir
signé de splendides tirages de photos noir et
blanc du groupe, le rocker s’allonge sur le canapé du patio, bientôt rejoint par l’immense
carcasse tatouée d’un Josh Homme à l’humeur tout aussi rigolarde.
Le producteur-compositeur-guitariste de
42 ans reprend son sérieux pour expliquer
pourquoi The Idiot et Lust for Life de Bowie
font partie de son panthéon intime. « J’ai découvert ces disques à 20 ans, à un moment
charnière de ma vie. J’avais plein de doutes
par rapport à la direction musicale que prenait mon groupe. En écoutant un titre comme
The Passenger, j’avais l’impression que quelqu’un formulait à la fois mes incertitudes et
mes envies de dépassement. » Pour Iggy Pop,
1977 était aussi un moment charnière. « Avec
les Stooges, depuis la fin des années 1960, je
m’étais investi dans un extrémisme rock avec
une énergie qui m’avait conduit au bord de la
folie et au-delà de la banqueroute. Bowie m’a
permis de tenter quelque chose de différent. »
Quelques mois après l’explosion du punk,
le Britannique, qui avait déjà relancé la carrière de Lou Reed (l’album Transformer
en 1972), menait en Allemagne et en France le
chien fou d’Ann Arbor pour lui faire goûter
aux synthétiseurs, en précurseur de la new
wave. « Comme David l’admettait, je jouais un
peu un rôle de cobaye pour des expériences
qu’il n’était pas encore prêt à tenter, explique
Iggy. Il a ensuite poussé ces directions à des
hauteurs immenses, avec des albums comme
Low et Heroes, mais nos disques communs,
plus bidouillés, ont aussi leurs mérites. »
Après avoir reformé les Stooges, en 2002,
Iggy Pop a de nouveau passé beaucoup de
temps à incarner un personnage de guerrier
rock, plus proche du fond de commerce que
de la réinvention artistique. De temps à
autre perçaient des désirs d’apaisement et
d’ailleurs soyeux dans des albums plus artisanaux, restés injustement (Avenue B et Préliminaires) ou justement (Après) confiden-
Trouvailles sans boussole dans la jungle texane
South By Southwest, qui accueille 70 000 festivaliers, contre 700 à sa création en 1987, mise sur la découverte de talents méconnus
ROCK
austin (texas) - envoyé spécial
E
n 1987, la première édition
du festival South By
Southwest (SXSW) attirait
700 professionnels pour assister
à un événement destiné à promouvoir quelques dizaines de
groupes et chanteurs du sudouest des Etats-Unis. Trente ans
après, ce « showcase festival »,
baptisé en clin d’œil au film North
by Northwest (La Mort aux trousses) d’Alfred Hitchcock, est devenu un rassemblement monstre
– à trois têtes – consacré, du 11 au
20 mars, à la musique (SXSW
Music), au cinéma (SXSW Film) et
aux médias interactifs (SXSW Interactive), capable d’attirer du
monde entier près de 70 000 participants.
Inauguré cette année, par Barack Obama, l’événement a aussi
accueilli, le 16 mars, son épouse,
Michelle Obama, venue présenter, aux côtés des rappeuses
Queen Latifah et Missy Elliott, le
projet Let Girls Learn, voué à la
scolarisation des jeunes filles à
travers le monde.
Kermesse assourdissante
Si le SXSW Interactive, lancé
en 1999, a grossi au point de devenir la première source d’accréditations du festival (environ
30 000 participants), le SXSW
Music (plus de 25 000 accrédités)
demeure un succès en expansion,
avec près de 2000 groupes ou artistes présentés, en 2016, dans
une centaine de lieux.
Austin, la capitale administrative du Texas, possédait des
atouts pour cette réussite. Oasis libérale dans un Etat conservateur,
la ville s’est fait connaître pour sa
scène musicale caractérisée à la
fois par ses penchants rebelles et
son attachement aux racines traditionnelles. Une pléiade de
« songwriters » (Joe Ely, Jerry Jeff
Walker, Stevie Ray Vaughan, Alejandro Escovedo, le héros local
Willie Nelson…) s’est ainsi épanouie grâce à l’exceptionnelle
densité de clubs et salles (plus de
300 aujourd’hui) destinés, en particulier, aux étudiants de l’Université du Texas, la plus grande université publique des Etats-Unis.
Un réseau qui permet à Austin de
s’afficher comme la « Live music
capital of the world ».
Premiers concernés par le festival, les artistes, médias, producteurs de disques et de spectacles
commencent leur journée dans
l’immense Convention Center
où se tiennent un salon professionnel, de multiples débats et
les premiers concerts. Remarqué
dans une des salles froides de
ce centre d’exposition et de
conférences, l’Anglais Declan
McKenna, seul à la guitare et au
synthétiseur, du haut de ses
17 ans (il en paraît 13), saisit par
ses talents de conteur et des mélodies à faire pâlir d’envie Jake
Bugg et les Arctic Monkeys.
La musique résonne en ville dès
le matin, mais l’orgie de concerts
débute véritablement à partir de
20 heures. Les petits immeubles
XIXe siècle de la 6e rue et leur succession ininterrompue de clubs
constitue le cœur d’une kermesse
assourdissante, qui irrigue d’innombrables autres artères.
En plus de la foisonnante affiche
officielle, grouillent les artistes
d’une programmation « off » prolongeant souvent en plein air, au
milieu d’une foule bigarrée, des
performances qui nourriront les
réseaux sociaux. SXSW accueillent quelques stars, comme
Iggy Pop, profitant de la concentration de médias et de l’image
« cool » du festival pour lancer
leur nouvelle production. La raison d’être de l’événement reste
pourtant la découverte de talents
méconnus.
Krautrock et psychédélisme
Parfois fédérés par pays, comme
lors d’une soirée Korea Night,
consacrée à la pop coréenne, ou
par maison de disques (Fat Wreck,
Bella Union, Kitsuné…), la majorité des artistes est confrontée au
même casse-tête : comment se
distinguer au milieu d’une telle
masse de propositions ?
Le trio Yak, par exemple, a beau
concasser avec une vigueur stridente un des plus fascinants mélanges de blues, punk, krautrock
et psychédélisme du moment,
pas sûr que la cinquantaine de
personnes présentes au club
3Ten a rentabilisé le déplacement du groupe depuis la Grande-Bretagne.
« Les cinq autres concerts que
nous avons trouvé en ville ont
autant compté que celui officiellement programmé par South By
Southwest », estime Yvan Taïeb,
patron de Roy Music, la maison de
production du groupe Talisco,
membre de la petite colonie
française venu tenter faire
d’Austin une porte d’entrée aux
Etats-Unis.
Préparés en amont pour convier
labels, tourneurs et responsables
de musiques de films et publicités, ces concerts auront coûté
près de 20 000 euros à Roy Music
(heureusement aidé par le Bureau
export). « Ces journées ont été incroyablement intenses. Nous saurons d’ici quelques semaines si
elles ont été payantes. » p
s. d.
culture | 19
0123
MARDI 22 MARS 2016
Babel Med gomme ses frontières
Le forum des musiques du monde s’ouvre à des sons jazz et pop-folk
marseille
Iggy Pop et Josh Homme,
à Joshua Tree (Californie),
en 2015. ANDREAS NEUMANN
L
es musiques du monde
ont leurs festivals et leurs
lieux, plus ou moins dédiés. Elles ont aussi leurs
salons, forums et marchés. On s’y
retrouve en famille concernée,
comme au Babel Med Music, le
toujours très fréquenté forum des
musiques du monde (environ
15 000 spectateurs et 1 900 professionnels, selon les organisateurs),
dont la 12e édition s’est déroulée au
Dock-des-Suds, à Marseille, du 17 et
19 mars.
On y a débattu, devisé, entre
autres, des collectivités territoriales, jugées de plus en plus pingres,
voire assassines dans leur désengagement vis-à-vis d’événements
porteurs de diversité culturelle
(notamment quand elles changent de couleur politique), on y a
déploré la désaffection des médias, de moins en moins portés sur
le sujet. On a parlé d’espoir et
d’ouverture. « Si nous voulons survivre, il faut s’adapter », ne pas rester dans sa niche, son clan, sa frontière, clament en chœur Bernard
Aubert et Sami Sadak, les codirecteurs de l’événement.
Programmés en soirée, après les
débats et les palabres de la journée,
plusieurs artistes, sélectionnés par
un comité de professionnels, témoignent d’une volonté d’ouverture, d’éclatement de « la famille »
à Babel Med Music. La chanteuse
auteure-compositrice canadienne
Alejandra Ribera, découverte
en 2015 à travers un disque au
Programmés
en soirée,
après les débats
et les palabres,
plusieurs artistes
témoignent
d’une volonté
d’éclatement
de « la famille »
charme élégant, La Boca (Jazz Village/Harmonia Mundi) est née à
Toronto, d’une mère écossaise et
d’un père argentin. Elle chante en
anglais (beaucoup), en français
(dont un titre avec Arthur H, sur
l’album) et parfois en espagnol.
Tissage entre flamenco et jazz
Habitée, très singulière dans sa
manière de jouer sur les contrastes
avec sa voix, passant de la lumière
aux ténèbres, de la fragilité à la
rage, elle propose à Marseille un
univers pop-folk insolite, sans références appuyées à l’un ou l’autre
de ses ascendants. Musique du
monde ? Dans le public, les commentaires évoqueront Ricky Lee
Jones, Joni Mitchell ou bien Lhasa.
Les climats, l’attitude et la voix
d’Alejandra Ribera ont de fait un
spectre, des couleurs qui vont audelà de ces références.
Le contrebassiste de jazz RenaudGarcia Fons et le pianiste flamenco
Dorantes ont donné aux Dockdes-Suds un aperçu saisissant de
leur connivence et de leur invention musicale, gravées sur l’album
Paseo a dos (e-motive records/
l’autre distribution). Ils témoignent d’une créativité musicale
sans barrières stylistiques. Leur
tissage entre flamenco et jazz, présenté ici, préfigure peut-être une
ouverture vers les vocabulaires du
jazz dont on parle parfois dans les
allées à Babel Med Music.
Gitan de Lebrija, David Peña Dorantes descend d’une lignée qui
fait autorité dans le flamenco
(Pedro Peña pour père, El Lebrijano pour oncle, entre autres).
C’est sa curiosité musicale qui l’a
amené, nous déclare-t-il, à « mettre le flamenco dans le piano », à
aller vers le jazz et dialoguer avec
Renaud Garcia-Fons. « Lui est
nourri de la tradition flamenca,
moi je l’ai étudiée et c’est très fort
en moi, explique pour sa part le
contrebassiste. A partir de là, nous
trouvons un développement naturel. Nous mettons au point une
forme passant beaucoup par l’improvisation et qui laisse la possibilité à l’instant de s’exprimer et d’aller chercher le duende, ce quelque
chose qui va nous étonner l’un et
l’autre. » p
patrick labesse
Alejandra Ribera, en concert le
24 mars à Paris (Café de la Danse),
le 26 à Hyères (Var), festival
Les Femmes s’en mêlent.
Renaud Garcia-Fons et Dorantes,
en concert le 12 mai à Marly
en Moselle, festival Marly Jazz
Festival.
Le swing selon « Schmoll »
Eddy Mitchell croone au Dôme de Paris-Palais des sports
L
tiels. En choisissant de travailler avec Josh
Homme, Iggy Pop parvient, comme dans sa
période Bowie, à concilier raffinements, urgence électrique et impact médiatique. Il a
d’abord envoyé un texto au musicien, devenu – avec l’ex-White Stripes Jack White –
l’un des mentors les plus en vue de la scène
rock : « Je pense que nous pourrions peut-être
écrire quelque chose et l’enregistrer. » Ce à
quoi le grand roux avait simplement répondu : « Ce serait merveilleux. »
VIEILLES OBSESSIONS
Loin de Berlin, Munich et Paris, qui avaient
servi de cadre aux disques avec Bowie, la plupart des sessions de Post Pop Depression se
sont déroulées dans l’aridité des environs de
Palm Desert (Californie), où Josh Homme,
natif de Joshua Tree, a transformé une vieille
maison en studio d’enregistrement, le
Rancho de la luna. Rendu mythique entre
autres par ses Desert Sessions, séries d’EP et
compilations produites par Homme, en collaboration avec des artistes locaux et des personnalités comme PJ Harvey ou Mark Lanegan, l’endroit a aussi inspiré Iggy Pop. « Je me
suis pointé avec une vieille valise et quelques
tee-shirts pourris, rigole l’“Iguane”, l’important était d’aller à l’essentiel. » « Que quelqu’un
bénéficiant comme lui d’un statut d’icône
prenne le risque de venir s’immerger ici et de se
remettre en question, te donne envie de tout
donner », estime Josh Homme, qui a accueilli
le chanteur après avoir échangé avec lui textes et musiques dans le plus grand secret.
« Rien ne garantissait que ça marche, rappelle
le producteur. Si cela n’avait pas été concluant, j’avais juré de creuser un trou pour y
enterrer les bandes ! »
Après quelques tâtonnements, les textes de
« Jim » vont vite confirmer Josh Homme dans
son admiration. « Il est pour moi l’un des
grands poètes américains, assure le guitariste.
Il parvient à un maximum d’expressivité et de
couleurs avec un minimum de mots. » Fidèle à
de vieilles obsessions, l’auteur de I Wanna Be
Your Dog continue de chroniquer les rela-
tions charnelles, comme dans le sensuel (et
très bowien) Gardenia, tiré d’une série de portraits écrits à partir d’une cinquantaine de ses
aventures sexuelles. « Venu d’un autre que lui,
cela pourrait paraître lourd, s’attendrit
Homme, mais ces textes ressemblent surtout à
des lettres de remerciement, le sexe devient secondaire pour laisser place à l’émotion. »
Le corps si célébré (ou autodétruit) dans le
passé constate souvent sa déchéance proche,
même si le chanteur, la démarche déformée
par des problèmes osseux, est encore capable,
comme à Austin, de se lancer tête la première
dans la foule. Conclusion de l’album, Paraguay fait part d’envies de fuir devant trop de
bêtise et de gens rongés par la peur, avant
d’avouer, avec ironie, sa résignation. Donald
Trump n’était pas spécialement visé, dit-il. « Je
sais depuis longtemps que l’Amérique n’est pas
un paradis. Je parle parfois de sa grandeur,
mais souvent de son ridicule. »
La mélancolie de nombre de chansons et un
questionnement sur l’au-delà (le majestueux
American Valhalla) résonnent surtout des
morts qui ont fendu l’armure de l’increvable
rocker, aussi enthousiasmant par son panache que par sa vulnérabilité. Très marqué par
le décès de son père, en 2007, ce survivant a
vu disparaître nombre de compagnons de
route – Lou Reed, les Stooges, Dave Alexander,
Ron Asheton et Scott Asheton et, bien sûr,
David Bowie.
Si ce n’était pas leur fonction initiale, cet album et les concerts à venir pourront être entendus comme autant d’hommages à son ancien complice. « En répétant les vieux morceaux, je me suis souvenu avec émotion de David arrivant avec ses idées de gimmicks et
d’accroches mélodiques. Puis, j’ai repris conscience de la valeur de ce cadeau qui m’avait à
l’époque sauvé la vie et qui continue de nous
inspirer aujourd’hui. » « Après tout, conclut
Josh Homme, les amis sont faits pour ça. » p
« Post Pop Depression », d’Iggy Pop,
1 CD Caroline/Universal
En concert le 15 mai au Grand Rex, à Paris.
ors de la parution de son album Big Band (Polydor/
Universal Music), en octobre 2015, Eddy Mitchell évoquait
régulièrement le mot « rêve »
pour en parler. Chanter avec une
grande formation de jazz, dans le
souvenir de grands crooners, Nat
King Cole, Frank Sinatra ou Dean
Martin, mis en musique par
Nelson Riddle, Gordon Jenkins,
Neal Hefti, Billy May, Count Basie… Et, en plus, en l’enregistrant,
comme ses héros, dans les studios
de Capitol, installés dans la célèbre tour circulaire de la maison de
disques dans le quartier d’Hollywood à Los Angeles.
En fait, « Schmoll » (son surnom)
avait déjà eu l’occasion de jouer
avec un big band, en décembre 1993 et en mars 1994, lors
d’une courte série de concerts rétrospectifs. Cette fois, c’est au
Dôme de Paris-Palais des sports
que le chanteur s’est installé jusqu’au 3 avril.
Nonchalance
Section de vents sur un podium,
cinq saxophonistes, dont le directeur d’orchestre, Michel Gaucher,
complice depuis le début des années 1960, trois trombonistes et
quatre trompettistes, quatre choristes et le groupe d’accompagnateurs réguliers de Mitchell : les
guitaristes Basile Leroux et Hervé
Brault, le claviériste Jean-Yves
D’Angelo, le bassiste Evert
Verhees et le batteur Christophe
Deschamps.
Majoritairement, et le plus
réussi de la soirée, prévaut cette
ambiance swing façon grande variété américaine des années 1950
et 1960. Le genre va bien à son
timbre grave, une manière de
nonchalance dans le phrasé.
De son album, il présente : Il faut
vivre vite, Tu ressembles à hier,
Combien je vous dois ?, Quelque
chose a changé, Je n’ai pas d’amis,
Promets moi la lune, adaptation
de Fly Me to the Moon, dont la version Sinatra est probablement la
plus célèbre. Le texte en français,
signé Claude Moine, son vrai
nom, vient avec exactitude dans
le coulé de la musique. Un talent
d’écriture, marque des nombreuses adaptations de standards des
musiques populaires américaines, dont Mitchell est l’auteur
depuis ses débuts.
Le même esprit prévaut dans
d’anciennes chansons, dont Au bar
du Lutetia, évocation de l’ami Serge
Gainsbourg en 2003, Rio Grande
(1993), ou Toujours un coin qui me
rappelle, adaptation en 1964 de
(There’s) Always Something There
to Remind Me, de Burt Bacharach
et Hal David, le tendre M’man
(1987), le récent Premiers printemps, tiré du précédent album
Héros, en 2013… Michel Gaucher,
responsable des arrangements des
vents, équilibre ceux des thèmes
originaux avec la part jazz.
Pour deux séquences, Mitchell
s’en éloigne. Lors d’un hommage
à la soul âpre du sud des EtatsUnis et à Otis Redding, avec les
chansons Otis, adaptation de
Hard to Handle, et Pour tuer le
temps, d’après The Happy Song. Et
resserré avec le groupe, en acoustique, pour une évocation
country (Sur la route de Memphis,
La Dernière Séance, De Nashville à
Belleville…). Dans le contexte, il y
manque cette alliance avec le jazz
qu’avait réalisée Ray Charles
en 1962 dans Modern Sounds in
Country and Western Music. p
sylvain siclier
Eddy Mitchell, au Dôme
de Paris-Palais des sports,
34, boulevard Victor, Paris 15e.
Tél. : 08-25-03-80-39.
Jusqu’au 3 avril. De 35 € à 119 €.
Ledomedeparis.com.
Expositions Rennes
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Parlement de Bretagne
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25 mars – 28 août 2016
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20 | culture
0123
MARDI 22 MARS 2016
Poètes dada et go-go girls
Au Rond-Point, à Paris, Jean-Michel Ribes
monte un spectacle clinquant
L
THÉÂTRE
es poètes dada peuvent-ils
faire bon ménage avec les
go-go girls ? Pas sûr. Pas
chez Jean-Michel Ribes, en tout
cas. Le directeur du Théâtre du
Rond-Point, à Paris, présente, en
son royaume, une nouvelle création, Par-delà les marronniers, à
partir d’une pièce qu’il a écrite au
début des années 1970 et qui
s’inspire de trois figures des
mouvements dadaïste et surréaliste : Arthur Cravan, Jacques
Rigaut et Jacques Vaché.
Indigent, poussif
Sur le papier, il y a de quoi se réjouir. Les trois dandys fracassés
dont il est question ici sont un sujet en or. Qu’on en juge. Arthur
Cravan (1887-1918) : poète et
boxeur, neveu d’Oscar Wilde, un
colosse de 2 mètres et de plus de
100 kilos, ne cessant de fustiger le
goût bourgeois de l’art, auteur,
entre autres, d’une maxime plus
profonde qu’elle n’en a l’air, « Les
abrutis ne voient le beau que dans
les belles choses ». Jacques Rigaut
(1898-1929) : président de l’AGS,
l’Agence générale du suicide,
prince de l’absurde désinvolte,
marié à une riche Américaine,
modèle du héros du Feu follet, de
Drieu la Rochelle. Jacques Vaché
(1895-1919) :
inventeur
de
« l’umour sans h », opiomane, élégantissime, l’homme sans lequel
André Breton n’aurait pas été
André Breton.
Le problème, c’est ce que JeanMichel Ribes en fait en termes de
théâtre, c’est-à-dire à peu près
rien, dans un spectacle indigent
sur le plan dramaturgique, poussif et chargé de clichés dans sa
forme de revue musicale.
On compte les minutes, tout au
long de la soirée, en essayant de recueillir les quelques perles qui
émaillent le spectacle et qui émanent directement des trois poètes
eux-mêmes. Lesquels sont incarnés de manière inégale : Maxime
d’Aboville est d’une classe folle en
Jacques Vaché ; Michel Fau, qui
joue Cravan, fait son show et montre ses fesses, mais il y a dans son
numéro de clown triste, malgré
tout, une vérité qui touche ; Hervé
Lassïnce passe à côté de Jacques
Rigaut, qu’il enferme dans un jeu
clinquant, à l’image du spectacle.
N’est pas dada qui veut. Le geste
implique quand même un minimum de folie, d’élégance désespérée et surtout d’engagement personnel. Toutes choses que l’on a du
mal à discerner ici. Un marronnier, dans le jargon journalistique,
désigne un sujet revenant chaque
année à la même période et dégageant le goût farineux du fruit de
l’arbre susnommé. Par sûr que
Jean-Michel Ribes aille au-delà. p
fabienne darge
Par-delà les marronniers,
de et par Jean-Michel Ribes.
Théâtre du Rond-Point,
2 bis, avenue Franklin-Roosevelt,
Paris 8e. Tél. : 01-44-95-98-21.
Du mardi au samedi à 20 h 30,
dimanche à 15 heures,
jusqu’au 24 avril. De 16 € à 38 €.
Durée : 1 h 30.
Eichmann : l’impossible procès
de l’incarnation du mal
Au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, la troupe internationale
du Majâz cherche à montrer le système qui a conduit aux crimes nazis
THÉÂTRE
I
l n’y a pas de cage de verre,
ni un homme qui serait
Adolf Eichmann. Il y a une
table sur le plateau, avec des
livres dessus, comme dans une
salle de répétition. Et sept comédiennes et comédiens, qui, tour à
tour, seront Adolf Eichmann, tel
qu’il fut au cours de son procès à
Jérusalem, en 1961 : un petit
homme à lunettes, dont une
photo, en noir et blanc, vient rappeler qu’il n’avait rien d’un grand
blond aryen. Cette photo, les comédiens se la mettent parfois
brièvement sur le visage. C’est
une indication pour ceux qui ne
sauraient pas à quoi ressemblait
Adolf Eichmann, criminel de
guerre nazi, et le signe d’une volonté : montrer une incarnation
du mal, et la dépasser.
Sans pathos mais non sans ironie
Le Théâtre Majâz (« métaphore »
en arabe), qui signe Eichmann à Jérusalem, est une jeune troupe,
fondée en 2009 par le metteur en
scène israélien Ido Shaked et
l’auteure Lauren Houda Hussein,
qui a grandi entre la France et le
Liban. Elle réunit des comédiens
de plusieurs pays, et travaille sur
la mémoire. Son précédent spectacle, Les Optimistes, parlait des
habitants de Jaffa, ville palesti-
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« Eichmann à Jérusalem ». GUILLAUME CHAPELEAU/THÉÂTRE GÉRARD-PHILIPE
nienne en 1948, qui furent expulsés au Liban ou ailleurs. Eichmann
à Jérusalem s’inscrit dans la
même lignée : il s’appuie sur des
bases documentaires concrètes,
qu’il met en perspective.
Le sous-titre du spectacle, « Les
hommes normaux ne savent pas
que tout est possible », est révélateur de cette démarche. A travers
le procès d’Adolph Eichmann,
dont les paroles sont fidèlement
reproduites, le Théâtre Majâz
cherche avant tout à montrer le
système qui a mené à l’extermination, pendant la seconde guerre
mondiale. Un système implacablement défini, sur lequel l’accusé
s’appuie pour se défendre et dégager sa responsabilité (« J’obéissais »). Tout cela est connu. Ce qui
est intéressant, c’est la façon dont
la troupe le restitue : d’une manière radicale, sans pathos, mais
non sans ironie, parfois.
« Eichmann
à Jérusalem »
s’appuie sur
des bases
documentaires
concrètes, mises
en perspective
Des organigrammes sont dessinés à la craie sur le plateau noir,
des témoignages sont entendus,
les points de vue d’Hannah
Arendt et de Gershom Scholem
s’affrontent, à travers leur correspondance sur la banalité du mal.
Mais d’image, il n’y en a aucune.
Simplement sept comédiens sur
le plateau, dont l’auteure et le
metteur en scène. Habillés
comme à la ville, ils font circuler
une parole brute, dépouillée de
tout fantasme et de toute illusion : pour eux, le procès d’Eichmann montre qu’il n’y a pas de
justice possible. Rien que des
hommes normaux qui ne savent
pas que tout est possible.
Aujourd’hui comme hier. p
brigitte salino
Eichmann à Jérusalem,
de Lauren Houda Hussein.
Mise en scène : Ido Shaked.
Avec Lauren Houda Hussein,
Sheila Maeda, Mexianu
Medenou, Caroline Panzera,
Raouf Rais, Arthur Viadieu,
Charles Zevaco. Théâtre GérardPhilipe, 59, boulevard JulesGuesde, Saint-Denis (Seine-SaintDenis). De 6 € à 23 €.
Du lundi au samedi, à 20 heures ;
dimanche à 15 h 30. Durée : 1 h 20.
Jusqu’au 1er avril.
Theatregerardphilipe.com
Les Roumains se saignent
pour Brancusi, l’enfant du pays
S
ix millions d’euros : c’est le montant
que les 19,8 millions de Roumains devraient sortir de leurs poches pour acquérir La Sagesse de la terre, chef d’œuvre du
sculpteur français d’origine roumaine Constantin Brancusi, né en 1876. « Nous sommes
pauvres mais le sort de cette sculpture se joue
maintenant ou jamais, a déclaré le premier
ministre, Dacian Ciolos, vendredi 18 mars. Si
l’Etat n’exerce pas son droit de préemption,
nous perdrons cette sculpture à jamais et nous
serons encore plus pauvres. »
L’histoire de cette sculpture, qui représente
une jeune fille assise, a été aussi mouvementée que celle de son auteur. Constantin Brancusi a quitté la Roumanie en 1903. Direction :
Paris. Moyen de transport : à pied. En 1907, le
talentueux sculpteur roumain est remarqué
par Auguste Rodin qui lui propose d’être son
apprenti. Refus. « Rien ne pousse à l’ombre des
grands arbres », lui répond Brancusi qui finit
par avoir son propre atelier au 11, impasse
Ronsin, dans le 15e arrondissement.
Une sorte de réparation
C’est à Paris que l’artiste roumain va donner
naissance à la sculpture moderne. En 1907,
Brancusi sculpte La Sagesse de la terre qu’il
vend quatre ans plus tard à Gheorghe Romascu, un ami roumain amateur d’art. Mais
en 1957, les autorités communistes s’en emparent. Depuis la chute de la dictature roumaine
en 1989, les héritiers du propriétaire ont intenté plusieurs procès contre l’Etat et ont fini,
en 2010, par obtenir que la fameuse sculpture
leur soit restituée. Quatre ans plus tard, ils finissent par la mettre en vente au prix de
20 millions d’euros, mais l’Etat roumain fait
valoir son droit de préemption. Les négociations avec la famille héritière ont abouti à un
montant de 11 millions d’euros. Sur cette
somme, 5 millions seront versés par les caisses publiques. Le reste, soit 6 millions d’euros,
devrait être couvert par les contributions bénévoles des Roumains.
L’affaire n’est pas simple dans un pays où le
salaire moyen est de 380 euros par mois. « Si
cette campagne réussit, cela voudra dire que
les Roumains veulent se libérer de leur indifférence et de leur impuissance », a déclaré le ministre de la culture, Vlad
Alexandrescu, le 18 mars.
Racheter la sculpture de
« SI L’ÉTAT
Brancusi
constituerait
N’EXERCE PAS
aussi pour les Roumains
une sorte de réparation.
SON DROIT
En 1940, l’artiste avait créé
en Roumanie un ensemble
DE PRÉEMPTION,
monumental composé de
NOUS PERDRONS
La Colonne de l’infini, La
Porte du baiser et La Table
CETTE SCULPTURE
du silence, trois pièces majeures dans son œuvre.
À JAMAIS »
Dans les années 1950, les
DACIAN CIOLOS
communistes avaient espremier ministre
sayé de déraciner La Coroumain
lonne de l’infini mais les
tracteurs de l’époque
n’avaient pas été assez puissants. « L’Etat communiste a commis une injustice en voyant
dans Brancusi un artiste décadent, a affirmé
Vlad Alexandrescu. C’est maintenant notre devoir de réparer cette injustice. » Reste à savoir si
les Roumains seront prêts à en payer le prix. p
mirel bran
(bucarest, correspondant)
télévisions | 21
0123
MARDI 22 MARS 2016
Sarajevo, quatre ans de bombes et de résistance
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
« Le Siège » raconte le quotidien des habitants de la capitale bosniaque assiégée suivi, pas à pas, de 1992 à 1996
ARTE
MARDI 22 – 22 H 45
DOCUMENTAIRE
M AR D I 22 M ARS
TF1
20.55 Les Experts
Série créée par Anthony E. Zuiker
Avec Avec William Petersen, Marg
Helgenberger, Melinda Clarke
(EU, saison 16, ép. 1 et 2 ;
S3, ép. 10/23; S5, ép. 24 et 25/25).
L
e martyre de Sarajevo est
l’un des épisodes les plus
tragiques de l’histoire
européenne du XXe siècle. Pendant quatre ans, entre
1992 et 1996, la capitale de Bosnie-Herzégovine a été pilonnée
et ravagée par les bombardements incessants de l’armée
serbe, campée sur les hauteurs de
la ville. Cette violence aveugle
était autant destinée à semer la
destruction que la terreur auprès
des 350 000 habitants piégés
dans cette cuvette infernale.
Pendant quatre ans, Sarajevo a
subi le plus long siège de l’histoire
moderne. Avec un bilan effroyable : 11 541 morts. Il y a ceux qui
sont tombés sous les balles et
ceux qui ont été fauchés par la
faim, le froid et le désespoir. Rémy
Ourdan, grand reporter au
Monde, a été le témoin privilégié
de cet épouvantable calvaire. Il
avait 23 ans lorsqu’il est arrivé à Sarajevo, en 1992, et il a vécu l’intégralité du siège.
Mais, de lui, il n’est nullement
question dans Le Siège, son premier film, qui a reçu le FIPA d’or
2016 du meilleur documentaire
au Festival de Biarritz, en janvier.
Ce récit, le fruit de plus de vingt
ans de ruminations, est avant tout
un témoignage universel sur la
guerre et la résistance, dont le propos dépasse le cadre de Sarajevo.
Le Siège est aussi un hommage à
la dignité et au courage de tous
ceux qui ont résisté, jour après
jour, à cette descente aux enfers.
Tout en évoquant les multiples facettes de cette guerre, les quelque
quarante témoins interrogés dans
le film livrent avant tout une immense leçon d’humanité. Le Siège
n’a pas pour ambition de documenter l’histoire de la guerre dans
l’ex-Yougoslavie. D’autres l’ont
déjà fait. Il va au-delà et explore les
ressorts de la survie, lorsque l’on
est exposé à l’extrême, à une violence inouïe, qui s’insinue dans
tous les recoins de l’existence.
Pour en arriver à ce résultat, il a
fallu quatre ans de tournage et un
travail de fourmi pour retrouver
des centaines d’heures d’archives, dont beaucoup sont inédites.
« Toute la ville y a contribué », rapporte Rémy Ourdan, qui n’a cessé
France 2
20.55 Cash investigation
Salariés à prix cassé :
le grand scandale
Magazine présenté
par Elise Lucet (Fr., 135 mn).
23.10 Expulsions, la honte
Documentaire de Karine Dusfour
(Fr., 2016, 60 min).
France 3
20.55 Frères à demi
Téléfilm de Stéphane Clavier.
Avec Bernard Le Coq, Antoine Duléry,
Marthe Villalonga, Marianne Merlo
(Fr., 2015, 95 min).
23.10 Le Divan
de Marc-Olivier Fogiel
Magazine présenté
par Marc-Olivier Fogiel.
Les tours jumelles Momo et Uzeir, à Sarajevo, en 1993. GILLES PERESS/MAGNUM PHOTOS
de fréquenter Sarajevo depuis un
quart de siècle. Le film commence par la bande-son glaçante
de Ratko Mladic, le chef militaire
des assiégeants serbes, qui ordonne à ses troupes de bombarder la ville sans discrimination :
« Il faut les rendre fous… »
Absence de manichéisme
Ensuite, le documentaire raconte,
pas à pas, les multiples facettes de
la résistance à cette folie. La résistance militaire, totalement improvisée par la population. Il y a
ces jeunes combattants, propulsés du jour au lendemain sur le
front, qui se battent avec une
arme pour trois. D’autres qui bricolent des bombes artisanales à
base d’aérosols pour affronter des
chars d’assaut. Et cette scène déchirante d’un habitant qui tente
d’éteindre l’incendie d’un immeuble atteint par un obus à
l’aide, dérisoire, d’un seau d’eau.
La force du film tient à son ab-
sence de manichéisme, alors que
la situation s’y prêterait aisément.
Les zones d’ombre ne sont pas
passées sous silence, à commencer par les crimes commis par certaines unités qui finiront par être
pourchassées par les autorités de
la ville. Plus de vingt ans après, un
combattant est toujours saisi
d’émotion en évoquant l’expédition pour arrêter ses frères d’armes, coupables d’exactions.
« J’étais anéanti, mais il fallait le
faire », dit-il calmement.
Là encore, le témoignage met en
lumière une singularité du siège
de Sarajevo : l’exemple rare d’une
résistance qui a fait le ménage
dans ses propres rangs, alors que
les combats faisaient encore rage.
Les uns après les autres, les témoins racontent, avec une
authenticité saisissante, leur incrédulité face à ce qui leur arrive,
à ce basculement dans l’horreur.
« Le siège est entré dans nos vies,
pas à pas », raconte un homme,
Le documentaire
est un hommage
à la dignité
et au courage
de tous ceux
qui ont résisté
à cette descente
aux enfers
en évoquant la lutte acharnée
pour ne pas céder à la résignation et à la peur. Ce choix, chaque
jour remis sur l’établi, de ne pas
se laisser réduire à la mort et à la
souffrance. Et qui passe par une
multitude de résistances.
Au point que les scènes les plus
poignantes de ce huis clos vécu
par Sarajevo ne sont pas les images
de guerre, même celles qui témoignent de l’héroïsme stupéfiant de
ceux qui se précipitent au péril de
leur vie pour secourir un passant
foudroyé par un tireur embusqué.
Les images les plus bouleversantes sont celles de ces fêtes improvisées dans des caves, formidable
pied de nez à l’absurde, et célébration d’une rage de vivre illustrée
par des comédiens jouant sur des
scènes éclairées à la bougie et des
musiciens proposant des concerts dans un décor de ruines.
L’une des répliques les plus
émouvantes du film vient d’un
jeune combattant à qui un metteur en scène demande quel sens
il peut trouver à de tels spectacles
en arrivant du front. « Si vous ne le
faisiez pas, lui répond-il, nous
n’aurions plus rien à défendre. » Le
propos, magnifique, résume celui
du film : ce qui s’est joué à Sarajevo est le combat de la civilisation face à la barbarie. p
yves-michel riols
Le Siège, de Rémy Ourdan
(Fr., 2016, 90 min).
Canal+
20.45 Imitation Game
Film de Morten Tyldum.
Avec Benedict Cumberbatch,
Keira Knightley, Matthew Goode
(GB - EU, 2014, 110 min).
22.50 Citizenfour
Documentaire de Laura Poitras
(EU - All., 2014, 115 min).
France 5
20.40 La France,
le Président et la Bombe
Documentaire de Stéphane Gabet
(Fr., 2016, 55 min).
21.50 Soldat
Documentaire de Philippe Pichon
(Fr., 2015, 55 min).
Arte
20.55 La Fin des Ottomans
Documentaire de Mathilde Damoisel
[1 et 2/2] (Fr., 2014, 2 × 55mn).
22.45 Le Siège
Documentaire de Patrick Chauvel
et Rémy Ourdan (Fr., 2016, 90 min).
M6
20.55 The Island :
seuls au monde
Télé-réalité présentée par Mike Horn.
23.20 The Island :
les secrets de l’île
Episodes 2 et 1 (Fr., 2016).
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
1
2
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6
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8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 068
HORIZONTALEMENT I. Calomniateur. II. Ogive. Amorce. III. Musicalité.
IV. Pied. Eta. IUT. V. Acres. Abonné. VI. Che. Io. Luter. VII. Test. Stèle.
VIII. Eu. AB. Ase. St. IX. Usinait. Muai. X. Rectiicatif.
VERTICALEMENT 1. Compacteur. 2. Aguicheuse. 3. Liserés. IC. 4. Ovide.
Tant. 5. Mec. Si. Bai. 6. Ae. Os. If. 7. Ialta. Tati. 8. Amiables. 9. Tôt. Ouléma. 10. Ereinté. Ut. 11. Uc. Une. Saï. 12. Réitératif.
I. Quand il ne se fait pas encadrer, il
peut mordre. II. Suiveur de Bernard
Palissy. Point. III. A conduit J. C. au
pouvoir. A peint dans les couvents et
les églises en Espagne. IV Le plus
grand chez les chevaux de trait.
Donnait un coup de main. V. Sorti des
fouilles. Belle des Maîtres chanteurs.
Entre Osaka et Kyoto. VI. Porteurs de
chapeaux blancs. Personnel. VII. Pas
bien malin. Mis tout à plat. VIII. Myriapode luisant. Mise en jeu pour
toute la famille. Distributeur
d’images. IX. Ont besoin d’un public
pour s’exprimer. Espace vert. X. Ancienne citadelle byzantine. Mises en
boîte.
VERTICALEMENT
1. Une force pour ne pas employer la
force. 2. Propos confus et incompréhensible. 3. Drape les dames de Bombay. La première sur la colonne.
4. Note. Sillonne l’Ile-de-France. Assure la liaison. 5. Imprimeurs qui ne
manquaient pas de caractères. Dans
nos rêves. 6. Règles d’aménagement
en ville. Joli coup sur le court. Résistible sur les planches. 7. Rendit
moins dense. Permet de garder la
forme. 8. Corindon rouge. Facile à
prendre. 9. Défère en justice. 10. Se
retrouvent sur de bonnes voies. Mal
parti pour 2017. 11. Mettait en œuvre.
Au cœur du foyer. 12. Souvent nécessaires pour arriver à ses ins.
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
0123
Les Unes du Monde
RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ
DES « UNES » DU MONDE
ET RECEVEZ CELLE DE
VOTRE CHOIX ENCADRÉE
Encyclopéd
ie
Universalis
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65 e Année
- N˚19904
- 1,30 ¤ France métropolitaine
L’investiture
de Barack
Nouvelle édition
Tome 2-Histoire
---
Jeudi 22 janvier
Uniquement
2009
Fondateur
Premières mesures
Le nouveau président
américain a demandé
la suspension
: Hubert Beuve-Méry
En plus du «
en France
- Directeur
Monde »
métropolitaine
: Eric Fottorino
Obama
des audiences
à Guantanam
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Barack et
Michelle Obama,
à pied sur
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WASHINGTON
Avenue, mardi
20 janvier,
CORRESPONDANTE
se dirigent
montré. Une
vers la Maison
evant la foule
nouvelle génération
Blanche. DOUG
tallée à la tête
s’est insqui ait jamais la plus considérable
MILLS/POOL/REUTERS
a Les carnets
transformationde l’Amérique. Une ère
d’une chanteuse.
national de été réunie sur le Mall
de Angélique
a
Washington,
Des rives du commencé.
Kidjo, née au
Obama a prononcé,
a Le grand
Barack lantique,
Pacifique à
jour. Les cérémonies
celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté
discours d’investituremardi 20 janvier,
toute l’Amérique
la liesse ; les
la campagne
de Barack Obama
;
ambitions d’un
presque modeste.un sur le moment
s’est arrêtée
a Feuille
force d’invoquer
en 2008,
la première
rassembleur
qu’elle était
pendant les
A vivre :
décision de
; n’est jamaisde route. « La grandeur
Abraham
en train de
festivités de et de nouveau administration:
Martin Luther
l’accession
la nouvelle
Lincoln,
un
l’investiture,
au poste
du 18 au
dant en chef
Avec espoir et dû. Elle doit se mériter.
avait lui même King ou John Kennedy,
pendant cent la suspension
des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde,
(…)
vertu,
il
placé la barre
responsable
vingt
: les cérémonies,
elle
de plus les courants bravons une fois
discours ne
très haut. Le l’arme nucléaire, d’un
de Guantanamo. jours des audiences
passera probablement
les rencontres
jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice
glacials et endurons
cain-américain
Pages 6-7
les tempêtes à
postérité, mais
afri- le chanteur
page 2
et l’éditorial
Lauren
de 47 ans.
venir. » Traduction
il fera date pour pas à la
Harry Belafonte… Bacall,
du discours
ce qu’il a
inaugural du e intégrale
miste Alan Greenspan.
Lire la suite
et l’écono- a It’s the economy...
des Etats-Unis.
44 président
page 6 la
Il faudra à la
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les troupes
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planète.
page 13
d’Irak d’ici
à mai 2010.
Trop rapide,
estiment les
hauts gradés
de l’armée.
D
Education
UK price £ 1,40
GRILLE N° 16 - 069
PAR PHILIPPE DUPUIS
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
Abonnements par téléphone :
de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ;
de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
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Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
Courrier des lecteurs
blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ;
Par courrier électronique :
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Médiateur : [email protected]
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Collection : Le Monde sur CD-ROM :
CEDROM-SNI 01-44-82-66-40
Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60
SUDOKU
N°16-069
L’avenir de
Xavier Darcos
Ruines, pleurs
et deuil :
dans Gaza dévastée
« Mission terminée
»:
le ministre
de
REPORTAGE
ne cache pas l’éducation
considérera qu’il se
GAZA
bientôt en
ENVOYÉ SPÉCIAL
disponibilité
pour
ans les rues
tâches. L’historien d’autres
de Jabaliya,
les
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de l’éducation
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Lelièvre explique
lectionnent
les éclats d’obusIls colmissiles. Ils
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faite entre les
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et Xavier Darcos.
immédiatement
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israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais
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Le demi-frère disciples.
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Barthes,
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Norvège 25
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2,00 ¤, Portugal
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F CFA, Croatie
cont. 2,00 ¤,
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22 |
L
styles
0123
MARDI 22 MARS 2016
AUTOMOBILE
a nouvelle version de la
DS3, seule véritable réussite commerciale de la
marque premium du
groupe PSA, ne livre pas le sentiment de forcer son talent. Après
six années de carrière et 390 000
clients, cette petite voiture chic
aurait logiquement dû donner
naissance à une toute nouvelle
génération, se moderniser en profondeur. Le modèle qui vient
d’être présenté comporte un certain nombre d’améliorations,
mais cela s’apparente à un restylage a minima plutôt qu’à une véritable opération de relance.
La DS3 s’offre une nouvelle calandre, d’ailleurs assez seyante,
qui l’insère pour de bon au sein de
la marque DS, désormais autonome, et des antibrouillards légèrement redessinés. A l’intérieur,
la visière du tableau de bord a
reçu un joli gainage et l’écran central est devenu tactile, mais il est
toujours aussi riquiqui.
Si certains revêtements ont été
modifiés, le dessin général de la
planche de bord commence à
prendre quelques rides, de même
que le plastique qui en occupe l’essentiel de la surface.
Sous le capot, on note l’arrivée
de l’excellent trois-cylindres de
1,2 litre PureTech, dopé par un turbocompresseur (130 chevaux),
mais aussi d’une version du quatre-cylindres de 1,6 litre, qui développe 208 chevaux à bord d’une
variante très tonique dénommée
Performance. Des moteurs bien
connus, car ils équipent déjà les
Peugeot 208 et 308 depuis une
bonne année. Idem pour la boîte
de vitesses automatique, enfin digne de ce nom, dont hérite la version essence de 110 chevaux. Bref,
on reste sur sa faim.
Plébiscitée par les femmes
Au fond, est-ce si grave ? Probablement moins qu’il n’y paraît.
La DS3, bien née et bien dessinée,
reste la seule alternative aux
Mini et Audi A1.
Sur le marché français, elle continue de faire la course en tête et
rencontre un certain succès sur
le marché britannique.
Plébiscitée par les femmes, qui
assurent 60 % de ses ventes, elle
s’est constituée ex nihilo une
clientèle face aux valeurs sûres
des grands constructeurs allemands. Reste que les ventes de ce
modèle, qui a réussi là où la DS4 et
La DS3 reste la seule alternative
française aux Mini et Audi A1.
CITROËN COMMUNICATION
ds3, la belle endormie
Une nouvelle calandre, des changements cosmétiques… Mais pas de révolution
pour le modèle phare de la marque premium de PSA. Dommage
la DS5 n’ont pas vraiment su convaincre, se sont très fortement
érodées au cours de la dernière
période, et l’on peut douter que le
simple toilettage qui lui est
aujourd’hui consacré suffise à réveiller cette belle endormie.
Du coup, on est un peu chagrin
de voir la DS3 privée des moyens
de se mettre au goût du jour car,
outre qu’elle ne manque pas de
personnalité, elle affiche de réelles qualités dynamiques. Son
châssis est très réactif, la direction
remarquablement « informative »
(en clair, on sait parfaitement
comment les roues sont placées)
et la position de conduite idéale.
La DS3 existe en version découvrable, mais il lui manque une
ON EST UN PEU CHAGRIN
DE VOIR LA DS3 PRIVÉE
DES MOYENS
DE SE METTRE AU GOÛT
DU JOUR, CAR ELLE
AFFICHE DE RÉELLES
QUALITÉS DYNAMIQUES
présentation plus moderne et
une version quatre-portes (dans
cette catégorie, les deux-portes
sont de moins en moins prisées)
pour tenir la dragée haute à des rivales qui bénéficient d’un rythme
de renouvellement beaucoup
plus soutenu.
Sous-investissement chronique
La multiplication des séries limitées, les artifices marketing et la
diversification permanente des
coloris proposés à la clientèle ne
sauraient dissimuler un sous-investissement chronique, legs de
la crise profonde traversée au début de la décennie par Peugeot-Citroën, heureusement revenu à
meilleure fortune.
Pourtant, les moyens ne sont
pas seuls en cause. La DS3 reflète
aussi le statut incertain de DS au
sein de PSA. Lancée pour incarner
une vision du luxe « à la française » et hisser le groupe dans le
cercle restreint du premium, cette
marque devrait, à ce titre, bénéficier de certaines exclusivités.
Recevoir avant les autres les motorisations les plus flatteuses ou
certains des équipements les plus
valorisants. Or rien n’a été fait
dans ce sens chez PSA où c’est Peugeot qui est servi en premier à la
table des innovations et des mécaniques nouvelles. DS qui a, de
surcroît, essentiellement misé
sur un marché chinois moins porteur que prévu, se trouve donc
condamné à une interminable
traversée du désert, en attendant
des nouveautés qui n’arriveront
qu’à partir de 2018. Dont un petit
SUV, indispensable à la survie de
la marque, en espérant que ce
type de véhicules sera toujours
autant à la mode dans deux ans.
Chez DS, on assure que les cartes
ont été redistribuées et que,
en 2020, la gamme européenne
sera composée non plus de trois,
mais de six modèles clairement
positionnés sur le haut de gamme
et sur les technologies les plus
avancées. Quatre ans, c’est long… p
jean-michel normand
Retrouvez l’actualité automobile
sur Lemonde.fr/m-voiture
La Classe E cache bien son jeu
Conservatrice à l’extérieur, la nouvelle berline révolutionne son intérieur, avec un tableau de bord futuriste réussi
L
ongtemps, la Classe E fut la
berline préférée des chauffeurs de taxi à travers la
planète. Ce n’est plus le cas
aujourd’hui (la Prius de Toyota
fait des ravages), mais elle figure
encore dans le Top 5 des taxis du
monde entier. Confortable et
spacieuse, elle n’a jamais été la
Mercedes la plus vendue, mais
aux yeux du grand public, ce modèle positionné en dessous de la
très élitiste Classe S représente
mieux que n’importe quel autre
modèle de la marque à l’étoile
« la » Mercedes.
Au sein de la maison DaimlerBenz, en forme après une année
2015 qui a vu ses ventes totales
(1,87 million) dépasser celles d’Audi
et se rapprocher du leader BMW, la
Classe E ne fait pas partie des modèles de rêve du type SLC ou SL,
plus ludiques et plus originales sur
le plan stylistique. Mais dans la famille des berlines bourgeoises, elle
occupe, génération après génération, une place de choix.
Au premier coup d’œil, la nouvelle Classe E ne bouscule pas la
tradition. Un peu allongée (4,92 m
de long), sa silhouette semble paradoxalement plus ramassée que
la précédente génération. Plus élégante aussi, avec un design moins
anguleux qui la fait ressembler de
plus en plus à une petite Classe S.
Des suspensions assouplies
Un choix stylistique plutôt conservateur mais qui se justifie sans
doute par le… conservatisme de sa
clientèle. Dans un marché premium où les concurrentes que
sont les Audi A6 et BMW Série 5
sont en fin de carrière, cette Classe
E au style extérieur discret mais à
l’impressionnante technologie
embarquée et au confort jamais
pris en défaut a une carte à jouer.
Car l’académisme des formes extérieures n’empêche pas cette
Classe E d’être à la pointe des innovations technologiques. Bardée
d’éléments de sécurité actifs et
passifs (de l’aide au freinage à la
Le tableau
de bord
numérique
est composé
de deux larges
écrans de
12,3 pouces, et
personnalisable
en trois modes.
DAIMLERAG ; GLOBAL
COMMUNICATIONS
direction active de manœuvres
d’évitement, en passant par un
système de conduite autonome
assez bluffant), cette Classe E cache
finalement bien son jeu.
Une fois que l’on est installé à
bord, l’univers de la traditionnelle
berline pépère laisse place au
XXIe siècle tendance techno-zen.
Sur les finitions supérieures, on
trouve ainsi un impressionnant
tableau de bord composé de deux
larges écrans de 12,3 pouces
(31,2 cm), chacun placé derrière
une seule vitre afin d’éviter toute
séparation apparente. Entièrement numérique et personnalisable en trois modes (classic, sport,
progressive), ce tableau de bord
futuriste est aussi réussi que le
virtual cockpit installé à bord de
certaines Audi, ce qui n’est pas un
mince compliment.
En ce qui concerne le confort, les
suspensions semblent légèrement assouplies par rapport au
passé et les sièges redessinés, ce
qui soulagera les dos fragiles sur
des longs parcours. Toutes les motorisations, du nouveau 4-cylindres diesel à la très réussie E400
essence de 333 chevaux, sont dotées de la remarquable boîte de vitesses automatique à neuf rapports (9G-Tronic), aussi douce
que réactive. Fidèle à la tradition,
la nouvelle Classe E est donc toujours aussi confortable à conduire.
Reste la question des tarifs.
Ceux-ci débutent aux alentours
de 47 000 euros et dépassent allègrement les 65 000 euros sur les
versions les mieux équipées et les
plus amusantes à conduire. Mais
parler d’argent lorsqu’il s’agit de
Mercedes est sans doute déplacé.
Question de tradition. p
alain constant
DÉBATS & ANALYSES
0123
MARDI 22 MARS 2016
| 23
Réduisons la fracture entre les deux jeunesses musulmanes
C’est l’absence de vie
communautaire qui permet
au djihadisme de prospérer.
Il faut créer davantage de liens
entre les jeunes musulmans
qui réussissent et ceux qui
se cherchent et tombent
parfois dans la radicalisation
Par HUGUES LAGRANGE
L
a publication par le président du
CNRS d’un recensement de travaux qui vont de la ségrégation
spatiale à la recherche linguistique, intitulé « Recherches sur les radicalisations », m’a surpris. Si la nécessité
d’éclairer le monde politique sur les
auteurs des violences terroristes ne fait
pas de doute, la capacité des sciences
sociales de le faire aujourd’hui est modeste. Considérée comme illégitime en
France, une sociographie des acteurs/
auteurs de violences qui puisse prétendre à une représentativité fait défaut.
L’hypothèse de la radicalisation reprise dans le titre du rapport a été défendue brillamment par le politologue
Olivier Roy, parfois sans nuances. Radicalisation de qui, d’abord ? Les acteurs
sont-ils exclusivement, comme l’affirme Roy, membres de la seconde génération ? Il y a dans des proportions
mal connues des troisièmes générations (s’il y en a moins, il faut pondérer
ce fait parce que la réussite scolaire est
meilleure dans la troisième génération). Les acteurs, convertis ou issus de
l’immigration musulmane, sont, dit-il,
en conflit avec la culture de leurs parents et avec la société hôte ? Certes,
mais bien peu de jeunes en conflit avec
la culture de leurs parents et avec la société deviennent terroristes.
Que le ralliement à Daech, après
d’autres enseignes terroristes, soit opportuniste ne fait pas de doute. Pour
autant, penser le terrorisme récent
sans référence au théâtre moyenoriental et aux migrations du Sud dans
une Europe chancelante paraît intenable. Peut-on occulter le fait que les inconduites des jeunes issus des migrations musulmanes en Europe, puis les
violences et le terrorisme, dont ils sont
aussi acteurs, se sont développés parallèlement à la dérive de l’islam et aux
guerres civiles qui ensanglantent les
sociétés du Moyen-Orient ?
LES « PRINTEMPS
ARABES » N’ONT PAS
ENTRAÎNÉ
D’ENTHOUSIASME,
VOIRE D’INTÉRÊT,
DE LA PART
DE CES JEUNES
La toile de fond, c’est la « contre-réforme » qui se déploie depuis trente à
quarante ans au Moyen-Orient, notamment dans les sociétés baasistes. Celle-ci a pris une puissance à proportion
de l’effondrement de l’Etat et de son appropriation clanique. L’accentuation de
la polarisation sunnites/chiites est associée à cette désintégration. A quoi
s’ajoute, à travers l’échec des « printemps arabes », la disparition de ce qui
aurait pu être une transformation politique démocratique des sociétés du
Moyen-Orient et susciter un élan de la
part des jeunes issus de l’immigration
musulmane dans nos quartiers.
On se réfère souvent, pour expliquer
la puissance de l’aspiration djihadiste
en France, au fait que la « communauté
musulmane » serait marginalisée. A
mon sens, le problème est qu’il n’y a
pas de communauté. Une élite composée de jeunes issus de l’immigration
notamment maghrébine est entrée
dans les institutions et a investi la vie
politique jusqu’au plus haut niveau ;
une fraction importante des jeunes de
la « deuxième » et plus encore de la
« troisième » génération est diplômée
et a acquis des positions de responsabilité dans le privé comme dans le public.
Parallèlement, ce sont, depuis plus de
trois décennies maintenant, les mêmes quartiers d’où viennent ces jeunes
qui nourrissent l’échec scolaire, le chômage et un certain nombre de dérives
(drogue, délinquance) et qui servent de
cadre de vie à une autre fraction de la
jeunesse, elle aussi issue de l’immigration maghrébine et sahélienne.
LES VIOLENCES
EXTRÊMES SONT
L’EXPRESSION
D’UNE TERRIBLE
DÉRIVE, D’UNE
COURSE À L’ABÎME,
PAS UN REGISTRE
D’ACTION SOCIALE
CULTURE ET RELIGIOSITÉ
Aucune institution communautaire,
aucun mouvement de jeunes musulmans ne fédère ces deux jeunesses. Pas
plus en Belgique, aux Pays-Bas – dont
les populations immigrées ont des parentés avec la nôtre – qu’en France, l’ensemble des jeunes issus de l’immigration musulmane ne partagent un destin commun. Les « printemps arabes »
n’ont pas entraîné d’enthousiasme,
voire d’intérêt, de la part de ces jeunes,
alors même qu’en Grèce et en Espagne
le mouvement des « indignés » s’est explicitement inspiré de ces « printemps ». Parce qu’en France et dans
l’Europe du Nord, à la différence des
pays du sud de l’Europe, la jeunesse diplômée et les non-diplômés forment
deux mondes complètement séparés.
Parmi les acteurs du 13 novembre, il y a
d’abord des jeunes qui ont grandi dans
ces cités, ont frayé avec la petite délinquance et nourri au fil des ans une
haine de l’Occident. Les marginaux
sont devenus des salafistes, les salafistes des djihadistes, les djihadistes des
kamikazes d’Allah. L’islam ne s’est pas
emparé d’une radicalité disponible
comme une substance toujours présente dans nos sociétés ; les violences
extrêmes sont l’expression d’une terrible dérive, d’une course à l’abîme, pas
un registre d’action sociale.
Culture et religiosité sont complètement mêlées. Ce qui est affirmé en embrassant cet islam radical, c’est à la fois
une « dignité » retrouvée, un mode de
SYLVIE SERPRIX
vie alternatif à celui de la modernité
occidentale et un sens, par le sacrifice
de soi et le meurtre d’autrui. Un déficit
de sens travaille, en effet, les jeunesses
d’Europe, qui, plus d’un demi-siècle
après la seconde guerre mondiale,
n’ont guère de raison de s’enthousiasmer. Pour ceux qui ont un emploi ou
une famille, la « vie ordinaire » peut paraître acceptable faute d’être exaltante.
Pour ceux qui sont en échec, l’aspiration à une dignité et à la reconnaissance passe par une nouvelle forme de
nihilisme. A l’instar d’une fraction de
la jeunesse allemande dans la République de Weimar humiliée par le traité de
Versailles, ils sont à la recherche d’absolu, de pureté. Quand une fraction des
jeunes adoptent un credo identitaire
nationaliste et xénophobe, les jeunes
en échec des quartiers pauvres et immigrés trouvent une rédemption dans
l’islam radical. La religiosité fournit
une réponse aux incertitudes et au mépris, c’est le chemin de la « vie droite »,
d’une vie « bien gouvernée ». Ils aspirent à retrouver les certitudes qu’apportent les sociétés closes, patriarcales,
où l’on épouse sa cousine, où l’innova-
tion est sacrilège. Ce n’est pas l’islam de
leurs parents qui les attire mais un
monde manichéen qui s’incarne dans
les figures héroïques de combattants
nomades d’Al-Qaida, puis dans le « califat » de Daech.
LE VIRAGE SÉCURITAIRE
Dans les années 1980, la protestation
des enfants d’immigrés venus des pays
musulmans s’est inscrite dans les cadres politiques existants. Ainsi la
« marche des beurs » de 1983 a été accueillie et soutenue par les partis de
gauche. Les émeutes urbaines, avec
moult incendies de voitures et de bâtiments publics, traduisent une rupture
avec les institutions, l’attrait d’un
idiome salafiste et des discours djihadistes. Cet idiome est encore ambivalent. Nous connaissons maintenant
une troisième phase avec le passage au
terrorisme ; et nous, Occidentaux,
avons une responsabilité, car les incohérences de nos interventions ont permis l’émergence de Daech et ses succès
militaires.
Les événements de Cologne et de
beaucoup d’autres villes d’Allemagne,
en janvier, ont multiplié l’effet sécuritaire de l’impact des attentats de novembre. Je ne veux pas les comparer
mais souligner qu’ils se sont conjugués
pour affaiblir l’idéal que représentent
des sociétés ouvertes. Je trouve détestable leur exploitation pour fermer la
porte aux réfugiés qui y sont dans leur
écrasante majorité étrangers, et non
moins lamentable l’instrumentalisation du discours féministe contre les
immigrés. Pour autant, cela ne doit pas
nous interdire la réflexion. Il ne s’agit
pas de débordements liés à la boisson,
mais de violences asymétriques dans
l’espace public commises par des hommes, pas nécessairement demandeurs
d’asile, issus de pays musulmans dans
leur grande majorité. Certes, parmi les
migrants et demandeurs d’asile, il y a
un sex-ratio déséquilibré, c’était aussi
vrai dans l’immigration algérienne en
France des années 1960-1970. L’« éternel oriental » n’est pas en cause, mais
une régression historique récente, un
déclin de la civilité des mœurs inquiétant pour l’Europe.
Que faire ? Sur le plan social, l’enjeu
est de réduire la fracture entre ces deux
jeunesses, c’est-à-dire, premièrement,
de favoriser la déségrégation sociale
des quartiers immigrés sans prétendre
en même temps rétablir une mixité
culturelle (c’est-à-dire remettre les disqualifiés des « banlieues de l’islam » en
contact avec des modèles de réussite
de ces mêmes banlieues) ; deuxièmement, de mener une politique active
pour l’emploi des moins éduqués ; troisièmement, d’accueillir la diversité au
lieu de se focaliser sur le voile ou
d’autres aspects légitimes d’expression
de la diversité culturelle qui froissent
les musulmans. Enfin, comme le dit un
jeune blogueur, « la solution ne peut venir que de nous, de l’intérieur », par une
dénonciation de l’imposture : ce que
beaucoup d’imams de France font, redonnant à la religion le rôle qui est le
sien de conjurer la violence. p
¶
Hugues Lagrange, né en 1951, est
sociologue et directeur de recherche
au CNRS. Il a notamment publié « En
terre étrangère ; vies d’immigrés du
Sahel en Ile-de-France » (Gallimard,
2013) et « Le Déni des cultures » (Seuil,
2010)
Bienvenue dans le 16e arrondissement de Paris !
L’opposition d’habitants du quartier
huppé de Paris à l’installation d’un
centre d’hébergement d’urgence
pour accueillir des migrants et
des SDF relève de la mauvaise foi,
de l’indignité, mais aussi, parfois,
du racisme et de la xénophobie
Par ALAIN GENESTAR
J’
ignorais, jusqu’à ces derniers jours,
que l’on pouvait avoir honte de son
quartier. J’ai honte du 16e arrondissement de Paris, où je vis avec ma famille depuis trente ans. J’ai honte de ce que
j’ai pu voir à la télévision, entendre chez des
commerçants : des mots haineux lancés à
l’encontre de ceux et de celles – la maire (PS)
de Paris, Anne Hidalgo, et la secrétaire géné-
rale de la préfecture d’Ile-de-France, Sophie
Brocas, chargée du projet, sont visées – qui
ont pris la décision d’installer dans une allée
élégante qui longe le bois de Boulogne des
logements provisoires pour accueillir, pendant trois ans, 200 réfugiés et SDF. La haine
de cette collectivité en colère a atteint une
sorte d’apothéose dans l’ignoble et le ridicule, lors d’une assemblée générale (AG) qui
s’est tenue à Paris-Dauphine, lundi 7 mars.
Une AG interrompue par le doyen de l’université qui, face au désordre et aux insultes, a
congédié ce « beau » monde.
Les arguments évoqués, parfois éructés
dans un déluge de mots agglutinés qui se
coincent dans la gorge, sont soit d’une condescendance empreinte de mauvaise foi (le
quartier est trop cher pour eux, les réfugiés),
soit dictés spontanément par des intérêts financiers personnels (le prix de l’immobilier
va chuter dans le quartier), ou, enfin, carrément xénophobes et racistes.
Ces gens du 16e – à ne pas confondre avec
« les gens du 16e » – réagissent avec d’autant
plus d’outrance et d’arrogance qu’ils constituent un bloc socialement cohérent. Ils
s’épaulent. Ils ont le sentiment d’appartenir
à une communauté, à un clan de gens chics,
bien mis et supposés bien élevés, avec leurs
codes et leurs distinctions.
PAUVRES DE CULTURE
Et voilà qu’ils passent à côté d’une formidable occasion de montrer que la plus belle des
éducations, que le sommet de l’élégance morale, que le meilleur du raffinement réside
dans l’art de recevoir, dans la façon d’accueillir, d’ouvrir sa porte à ses hôtes, en partageant avec eux des moments de chaleur et
d’intimité. N’est-ce pas à cette aune des
vraies valeurs que se mesure et s’estime la richesse ou la pauvreté des cultures ? Ces
gens-là du 16e sont donc pauvres de culture.
Je rêve, avec beaucoup d’autres habitants,
j’en suis sûr, de mon arrondissement, que la
mairie distribue dans nos boîtes à lettres,
une édition spéciale du bulletin municipal,
qui appellerait dans l’enthousiasme à réser-
ver le meilleur accueil aux réfugiés de la
guerre et aux victimes de la crise.
Je rêve que tous les curés de nos paroisses
prononcent, le même dimanche, un sermon sur la charité, la générosité et l’accueil
enseignés dans la bible, et déclenchent une
volée de cloches en fête.
Je rêve que, dans les lycées publics et les
écoles privées, qui dans mon quartier rivalisent d’excellence, les professeurs consacrent
une heure de leur cours au troisième mot de
notre devise républicaine : la fraternité.
Je rêve qu’une association accroche, porte
d’Auteuil, à l’entrée de l’avenue Mozart bordée de tilleuls, une banderole avec ces simples mots adressés aux réfugiés et à leur famille : « Bienvenue dans le 16e. »
Et pour éviter qu’il me soit fait reproche de
parler d’un sujet qui me serait lointain, je
tiens à préciser que notre habitation est à
une centaine de mètres du futur centre d’hébergement d’urgence. Renseignement pris
auprès de l’agence la plus proche : le prix du
mètre carré n’a pas encore baissé ! p
¶
Alain Genestar
est journaliste,
directeur de
« Polka Magazine »
et résident
du 16e arrondissement de Paris
24 | débats & analyses
0123
MARDI 22 MARS 2016
Sortir des illusions du poutinisme
Le livre
W
inston Churchill n’avait pas
tort, lorsqu’il a déclaré, au moment de l’invasion germanosoviétique de la Pologne,
en 1939, que « la Russie est un rébus enveloppé
de mystère au sein d’une énigme ». Vingt-cinq
ans après la chute de l’URSS, nombreux sont
ceux en Occident qui croient encore que la Russie de Vladimir Poutine reste cette boîte noire
indéchiffrable. L’historien Jean-Jacques Marie
se démarque de cette tendance générale.
Considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’URSS en France, ce militant trotskiste signe dans son dernier essai une analyse des plus
fines et des plus complètes de la Russie
postsoviétique.
En France, depuis près d’une décennie, Vladimir Poutine clive le débat public, trop souvent
réduit à une conception manichéenne des
relations avec la Russie, avec d’un côté les défenseurs farouches du maître du Kremlin et de
l’autre ses fermes opposants. Ne comptez pas
sur Jean-Jacques Marie pour alimenter ces joutes stériles. Le biographe de Lénine, Staline et
Trotski évite les clichés en décrivant le poutinisme dans ses moindres détails.
Jean-Jacques Marie, réputé pour tenir à jour
ses fiches sur les hommes d’influence à la tête
de réseaux tentaculaires en Union soviétique,
propose une plongée dans la Russie poutinienne d’une profondeur historique jusqu’ici
inégalée en France. Exercice d’histoire immédiate, sa méthode reste des plus pertinentes :
pour comprendre la Russie de Poutine, il suffit
de la prendre par les deux bouts, d’un côté,
observer l’état de la société, de l’autre, se fonder
sur la singularité du système politique, le pouvoir oligarchique – hier la nomenklatura bolchevique, aujourd’hui les familles influentes
autour du président.
Ainsi Vladimir Poutine n’est pas que le successeur de feu Boris Eltsine – l’homme qui a vu
mourir l’URSS –, c’est aussi l’héritier d’une conception policière du pouvoir, de par son expérience au sein du KGB – aujourd’hui FSB –, mais
aussi et surtout de par le fossé qui existe entre
l’Etat coercitif et une société civile inexistante.
Cet abîme qui sépare les élites du peuple explique essentiellement la montée en puissance
de Poutine jusqu’au sommet de l’Etat. Seuls
des pays comme la Russie détiennent le secret
pour propulser en si peu de temps des individus aux méthodes brutales sans passer par un
coup d’Etat ou une guerre civile. Enfant légitime du mariage entre le passé glorieux d’un
soviétisme vétuste et la décennie eltsinienne
vécue comme une humiliation, Vladimir Poutine brandit le patriotisme comme l’étendard
d’un Etat slave triomphal et réparateur.
La Russie d’aujourd’hui offre ainsi le tableau
d’une puissance retrouvée aussi bien à travers
son économie que grâce à sa diplomatie mor-
LE GRAND RENDEZ-VOUS
EUROPE 1, « LE MONDE », I-TÉLÉ
Schäuble : « Je prie pour que les
réformes françaises aboutissent »
dante, son outil militaire en action en Ukraine
et en Syrie, et ses piliers, comme l’Eglise orthodoxe, les oligarques et le complexe militaro-industriel. Mais, et Jean-Jacques Marie le démontre avec force, la réalité n’a rien à voir avec cette
image d’Epinal de la grandeur russe.
LES PREMIERS SIGNES D’UN RAS-LE-BOL
LA RUSSIE SOUS POUTINE
de Jean-Jacques Marie
Payot, 336 pages,
22,50 euros
L’Etat ? Un appareil criminel généralisé. Les
partis ? Des fantômes incapables de s’autonomiser du pouvoir. L’opposition ? Un concept
creux quand ses figures ne sont pas assassinées. Les syndicats ? La Fédération nationale
des syndicats indépendants est aux ordres du
régime, alors que le vrai syndicalisme indépendant est pourchassé. L’Eglise ? Un instrument
de surveillance morale à la face grotesque. Le
gaz et le pétrole ? Des atouts aléatoires qui peuvent se retourner contre les élites, surtout
quand le prix du baril chute. Le prestige russe
dans le monde ? En dehors des nostalgiques de
l’Etat fort et souverain qu’elle séduit, sa « diplomatie de nuisance » trahit plus une peur de déclassement par rapport aux Etats-Unis, l’Union
européenne et la Chine qu’un retour du rayonnement slave.
La corruption ? Cancer d’un pays qui a détourné 30 milliards de dollars sur les 50 miliards que les JO de Sotchi ont coûté aux contribuables russes en 2014. Le patriotisme ? Un sursaut artificiel et raciste qui fait de la Russie un
Etat inattractif et dangereux pour ses voisins.
Enfin, les inégalités ? Endémiques et sans le
Vous préemptez
la réponse…
m. s. Sur l’objectif qu’il faut
atteindre et que nous atteindrons, il n’y a pas de différence.
wolfgang schäuble C’est à
la Commission européenne,
en vertu des traités, d’en juger et de juger si la politique
économique correspond aux
engagements
nationaux.
Chaque pays est dans sa situation propre. Moi, j’ai toute
confiance…
Depuis 2008, la France est
au-dessus de 3 %. Est-elle
un partenaire fiable ?
w. s. La France est un partenaire fiable. La France est un
partenaire fort, et sans une
France forte, l’Europe n’est
même pas pensable. Je ne
sais pas si vous connaissez
cette histoire de la campagne
électorale allemande. Il y a un
candidat Vert qui a dit : « Je
prie tous les jours pour Mme
Merkel », alors qu’il n’est pas
dans le même parti qu’elle.
Donc si je priais pour la politique française, je prierais
pour que les réformes françaises aboutissent parce que
nous avons besoin d’une
France forte pour l’Allemagne et pour l’Europe.
Il y a quelques semaines,
à Munich, Manuel Valls a
critiqué directement la politique d’Angela Merkel,
qui a trouvé que c’était impardonnable. Vous êtes
d’accord ?
w. s. Non, entre amis, on a le
droit de se critiquer. Je n’ai
pas trouvé que la critique
était justifiée.
m. s. Est-ce que je peux vous
critiquer ?
w. s. Oui.
m. s. Quand on rapporte les
propos, de qui que ce soit, on
les rapporte tout entier. Et
dans les propos de Manuel
Valls, il y avait, je crois, presque textuellement : hommage rendu à l’Allemagne
pour sa générosité.
Pourriez-vous, M. Schäuble, être en gouvernement
avec M. Sapin ?
w. s. Oui, bien sûr. Je travaille
avec les sociaux-démocrates
en Allemagne.
Et vous, Michel Sapin?
m. s. Nous sommes dans le
même gouvernement, celui
de l’Europe. Donc nous avons
la capacité au niveau européen à travailler ensemble.
Ensuite, il n’aura échappé à
personne que les systèmes
institutionnels sont un peu
différents et qu’entre le résultat d’un scrutin proportionnel qui existe en Allemagne
et le scrutin majoritaire en
France, il y a quelques différences.
Wolfgang Schäuble, êtesvous pour une restructuration de la dette grecque,
oui ou non ?
w. s. Notre collègue grec Yanis Varoufakis a dit que si on
annulait totalement la dette
grecque, on se retrouverait
trois ans plus tard dans la
même situation, ce qui signifie que ce qui compte, c’est de
construire des structures
compétitives, construire une
économie
compétitive.
Donc, si on commence par la
restructuration de la dette,
on échouera sur les réformes.
Faites-vous confiance au
premier ministre grec
Alexis Tsipras maintenant ?
m. s. Moi, je lui fais confiance.
Et vous ?
w. s. Bien sûr.
Parce qu’il parle moins le
grec que la langue de
Bruxelles et la langue
franco-allemande ?
w. s. Non, nous faisons tout
pour que les décisions difficilement acquises l’été dernier
soient vraiment mises en
œuvre. Et nous assumons
cela, et ce n’est pas un travail
facile pour les Grecs que de
concrétiser tout ça, mais ils
sont au travail.
m. s. Je vais jusqu’au bout de
ma réponse sur la confiance
vis-à-vis d’Alexis Tsipras. Il y a
eu des gouvernements avant,
ils ont bénéficié de la solidarité de l’Europe, et Wolfgang
était là dès le départ, ils
étaient soit Pasok, soit de
droite, et ils n’ont pas fait les
efforts nécessaires. Et il y en a
un aujourd’hui qui fait les
efforts.
Il faut aller jusqu’au bout.
Nous devons accompagner
et aider. Est-ce que ça doit déboucher ensuite sur la question du poids de cette dette ?
La réponse est oui. C’est
d’ailleurs dans l’accord de
juillet. Mais vous ne pouvez
pas dire : « On commence par
la dette », si on n’a pas construit les efforts et les réformes nécessaires. C’est un
processus, et je pense qu’il
faut aller vite. p
propos recueillis par
jean-jérôme bertolus,
jean-pierre elkabbach
et arnaud leparmentier
¶
Michel Sapin est
le ministre français
des finances (PS)
Wolfgang Schäuble
(CDU) est son homologue en Allemagne
gaïdz minassian
Sexe et cinéma : les paradoxes de
l’interdiction aux moins de 18 ans
Analyse
———————————————————
sylvie kerviel
Service Culture
Wolfgang Schäuble, pensez-vous que la France va
remplir ses objectifs en
matière de déficit budgétaire (3 % en 2017), alors
qu’elle augmente ses fonctionnaires ?
michel sapin Il n’y a pas de
différence entre nous, je vous
rassure.
moindre soupçon de justice sociale, avec de
surcroît un taux de pauvreté qui, entre 2010
et 2015, est passé de 18 millions à 23 millions
d’individus.
Rien ne fonctionnerait donc comme prévu
dans cette Russie où le poutinisme serait plus
une pathologie qu’un remède aux maux d’un
peuple – lequel n’a jamais compté dans l’Histoire, quel que soit le régime au pouvoir. Tout
ne serait qu’illusions, provocations et coercition dans ce pays à l’apparence si ordonnée. Et
pourtant, insiste Jean-Jacques Marie, ce n’est
pas parce que la peur a de nouveau plongé la
société dans la grisaille qu’il faudrait conclure
à une fin prochaine du règne de Vladimir
Poutine, élu en 2012 pour un mandat de six ans
renouvelable. Mais gare à une flambée de protestation incontrôlable, prévient-il, car ici ou là
bourgeonnent déjà les premiers signes d’un
ras-le-bol devant tant de restrictions, de baisse
du niveau de vie et d’injustices.
Dans cette société postcommuniste qui a du
mal à s’affranchir de l’assistanat, où plus on
s’éloigne des grandes villes, plus les rides du
soviétisme réapparaissent, le redressement
économique du pays, sous-entend l’auteur, ne
passe pas par un patriotisme trompeur mais
par une politique ambitieuse dans le secteur de
l’éducation. Sauf que, hanté par la peur de rater
son rendez-vous avec l’Histoire, Vladimir
Poutine ne peut concevoir d’alternative à son
pouvoir absolu ni même penser l’avenir. p
E
N’EST-IL PAS
SURPRENANT
DE MAINTENIR
L’INTERDICTION
AUX MINEURS
À L’HEURE
DU PORNO
ACCESSIBLE
24 HEURES
SUR 24 ?
n fonction de quels critères une
scène de sexe au cinéma peut-elle
se prévaloir d’un « caractère esthétique » ? A partir de quel degré
« d’accumulation » ce type de scènes est-il susceptible de « troubler
gravement la sensibilité des mineurs » ? Souhaité par l’ex-ministre de la culture Fleur Pellerin, et lancé le 29 février par Audrey Azoulay
qui lui a succédé, le toilettage du texte réglementant le cinéma français – qui conduit actuellement à interdire aux moins de 18 ans les
films contenant « des scènes de sexe non simulées » – va contraindre la commission de classification du Centre national du cinéma et de
l’image animée (CNC) à se pencher sur ces
questions qu’on pourrait résumer par : « Un
film relève-t-il de l’art ou du cochon ? »
Créée en 1990, cette assemblée qui réunit des
professionnels, des représentants de différents ministères, des experts et des jeunes de
18 à 24 ans donne au ministère de la culture un
avis lui permettant de délivrer un visa d’exploitation indiquant si un film est visible ou
non par tous les publics. Les magistrats devront arbitrer, en se référant aux nouveaux
textes, lors des éventuelles contestations.
Les juges sont directement visés par Mme Pellerin, qui avait demandé à Jean-François Mary,
président de la commission de classification
des œuvres du CNC, de remettre à plat le système en vigueur. L’ex-ministre voulait couper
l’herbe sous le pied d’André Bonnet et de son
association Promouvoir, proche des milieux
catholiques intégristes, qui a obtenu en justice
l’annulation de visas d’exploitation. Les estimant insuffisamment sévères, les magistrats
ont, au cours des douze derniers mois, révisé
les visas de Love (2015), de Gaspar Noé, Antichrist (2009), de Lars von Trier, et La Vie d’Adèle,
d’Abdelatif Kechiche (2013).
A chaque fois, c’est en raison de la présence
de ces fameuses « scènes de sexe non simulées »
que les jugements étaient rendus en défaveur
du ministère de la culture. M. Mary demande
une nouvelle formulation, plus respectueuse
du travail artistique du cinéaste. Il suggère que
la restriction soit désormais décidée dès lors
qu’un film « comporte sans justification de caractère esthétique des scènes de sexe ou de
grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la
violence sous un jour favorable ou à la banaliser ». Quant à l’expression « scènes de sexe non
simulées », le rapport note, à juste titre, qu’elle
est devenue obsolète avec le développement
des techniques numériques et demande son
remplacement par « scènes de sexe ».
La plupart des associations de professionnels du cinéma ont salué ce projet, y voyant
des propositions « en accord avec l’époque et
avec la manière dont les médias ont évolué ». Si
les textes en restent à ce simple dépoussiérage,
cela ne changera rien devant les tribunaux. La
lecture de l’ordonnance du tribunal administratif de Paris du 31 juillet 2015, suspendant le
visa d’exploitation de Love, montre que la dimension artistique de l’œuvre avait été prise
en compte par les magistrats, qui ont estimé
qu’une interdiction aux moins de 18 ans était
nécessaire. Le juge des référés, après avoir listé
les fellations, cunnilingus, « pénétrations vaginales avec les doigts ou la verge », avait considéré que « nonobstant la volonté artistique du
réalisateur », ces scènes « étaient de nature à
heurter la sensibilité des mineurs ».
« VISION POLITIQUE ET DATÉE DU CINÉMA »
A l’instar d’Agnès Tricoire, déléguée de l’Observatoire de la liberté de création, l’avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle Emmanuel Pierrat a estimé que la réforme proposée ne fera pas fléchir des magistrats « qui ont
une vision politique et datée du cinéma ». « Ces
textes mal rédigés n’ont jamais été repensés
dans leur intégralité. Ils font parfois oublier aux
magistrats la notion de liberté d’expression. Les
juges administratifs sont plutôt conservateurs », a-t-il déclaré le 3 mars au Figaro. Au
contraire, Promouvoir, déterminée à poursuivre son combat, a vu dans le projet le signe
d’une « incroyable dérive » et « la volonté du
gouvernement de favoriser par la loi l’accès des
mineurs à la violence et à la pornographie ».
Protéger la jeunesse ou la liberté de création :
le débat n’est pas nouveau. Le système français
de classification des films a été mis en accusation en 2000, lors de la sortie, accompagnée
d’une interdiction aux moins de 16 ans, de
Baise-moi, de Virginie Despentes et Coralie
Trinh Thi. Désavouée par le Conseil d’Etat saisi
(déjà) par Promouvoir, Catherine Tasca avait
dû revenir à une interdiction aux moins de
18 ans qui n’existait plus depuis 1990.
N’est-il pas paradoxal, en 2016, de maintenir
cette classification, à une époque où le sexe
sous toutes ses formes est accessible en un clic
sur Internet, où les élèves suivent des cours
d’éducation sexuelle dès l’âge de 11 ans, où la
majorité sexuelle est fixée à 15 ans ? Le rapport
Mary n’envisage pas de supprimer cette restriction. « Mais dans quel monde vit-on ? », s’interroge sur le site Le Plus de l’Obs Eva Husson,
réalisatrice de Bang Gang (2015), dont la classification « interdit aux moins de 12 ans » a été
contestée par Promouvoir, en vain pour le moment. « Un monde où l’on peut regarder du
porno 24 heures sur 24 sans la moindre inquiétude sur l’âge du spectateur, mais où l’on menace d’interdiction aux moins de 16 ou 18 ans
des films qui non seulement demandent une démarche active pour les voir mais offrent une vision du monde toujours stimulante. » Un adjectif qui n’a pas chez tous la même résonance. p
[email protected]
0123 | 25
0123
MARDI 22 MARS 2016
L'AIR DU TEMPS | CHRONIQUE
par b e noît hop q uin
Les mauvaises
routes
E
videmment, cette visite n’a pas l’importance stratégique de celle de Richard Nixon se rendant à Pékin en
février 1972 pour renouer les relations entre
les Etats-Unis et la Chine. Mais le voyage de
Barack Obama à Cuba, du dimanche 20 au
mardi 22 mars, n’en est pas moins « historique » : le dernier président américain en
exercice à s’être rendu sur l’île est Calvin
Coolidge. C’était en 1928.
On peut compter sur l’élégance de M.
Obama et le sens de la fête des Cubains
pour faire de ces retrouvailles un moment
réussi – joyeux, sonore et rythmé. Pour le
président américain, elles sont l’aboutissement de la décision courageuse prise en décembre 2014 : revenir sur une rupture
vieille de plus de cinquante ans et décidée à
11 mars une piétonne de 62 ans
lors d’une marche arrière, alors
qu’il conduisait sans permis. Il récuse l’usage de stupéfiant et le délit de fuite qui lui sont aussi reprochés. Quarante-huit heures de
garde à vue. Procès début avril.
Pour l’exemple, sans doute.
On est donc un parmi 40 millions d’automobilistes, « qui les
vaut tous et que vaut n’importe
qui », pour reprendre Sartre. On est
motorisé mais pas tout-bagnole,
contrairement à l’association à
l’origine du référendum. En même
temps, elle ne se dissimule pas derrière des vitres teintées, celle-là, il
faut lui accorder cette honnêteté.
Elle est liée aux Automobile Clubs,
lobbies déclarés de tout ce qui a
quatre roues, fors les poussettes et
les Caddies. Elle sait que la bagnole
est aussi une urne mobile, une
machine à voter, la caisse claire de
l’électeur. Et parfois un véhicule de
la démagogie.
La courbe remonte depuis 2014
Ce questionnaire à sens unique
serait donc simplement plaisant,
anecdotique, si nous ne sortions
d’une belle semaine anticyclonique où la capitale avait à nouveau
le teint gris-jaune des jours de
pollution. Si surtout on ne découvrait dans un communiqué de la
sécurité routière, publié voilà dix
jours, que le nombre des tués sur
la route était reparti à la hausse.
Quarante ans qu’il baissait
comme allait le conducteur suédois, lentement mais sûrement.
Quarante ans que les mentalités
changeaient. Quarante ans que
l’hécatombe était peu à peu réduite, pour arriver à 3 262 tués
en 2013. Mais, depuis 2014, la
courbe remonte comme route de
montagne : 3 464 tués en 2015, et
les statistiques du début de l’année 2016 semblent confirmer et
même amplifier la tendance. Les
causes sont multiples, complexes
mais l’une d’elles tient à l’augmentation des vitesses moyennes, de 1 à 4 km/h selon les
réseaux.
Le gouvernement mouline du
bâton blanc et joue du sifflet à roulette. Il a même menacé en octobre 2015 d’employer des drones
pour surveiller les routes. Mais il
semble désormais bien illusoire,
l’objectif affiché par Manuel Valls :
2 000 morts en 2020. On sait
pourtant les mesures à prendre,
qu’elles soient préventives ou répressives. Elles ont fait leurs preuves ailleurs, et pas seulement dans
des pays à sang-froid. Elles sont
impopulaires. Alors, aux pouvoirs
publics qui se dérobent, on aimerait dire : dommage que les morts
ne votent pas.
Et, tant qu’à donner la parole sur
la voie publique, on proposera un
autre référendum, en une seule
question, aux Nantais, aux Strasbourgeois, aux Bordelais, aux Toulousains, aux Grenoblois, aux
Rochelais surtout, ces fiers pionniers. Dans toutes ces villes qui
ont décidé bien plus résolument,
bien plus courageusement que Paris d’un partage amiable de l’espace, elle serait ainsi formulée :
« Voulez-vous revenir à la situation
antérieure ? » p
Tirage du Monde daté dimanche 20-lundi 21 mars :304 093 exemplaires
dans la communauté cubano-américaine.
M. Obama a montré le chemin en suspendant déjà, par voie réglementaire, nombre
des sanctions pesant sur Cuba. Quant au
régime, il a commencé à libéraliser à petits pas une économie figée dans un étatisme aussi corrompu qu’inefficace.
L’ouverture politique sera plus difficile.
Le Parti communiste cubain n’en veut pas.
Aujourd’hui dirigé par Raul Castro, le frère
de Fidel, il préfère le modèle chinois : la libéralisation économique dans la contrainte politique. Il réprime toujours toute
opposition et étouffe la liberté d’expression. Granma, l’organe du PC cubain, l’écrivait encore ce mois-ci : « De profondes divergences politiques persisteront. » Contrairement à d’autres – cela va du pape François à
François Hollande –, M. Obama rencontrera
des dissidents cubains.
Les Etats-Unis ne réclament plus un changement de régime à La Havane. Ils espèrent
un glissement progressif de l’actuel. Cela
prendra du temps. Le danger est que les
Cubains attendent tout, tout de suite, de
cette normalisation avec Washington. Bon
signal : deux jours après Obama, La Havane
reçoit Mick Jagger et les Rolling Stones, que
Fidel avait qualifiés de « symbole de la décadence capitaliste ». En somme, comme on
dit dans le music-hall, M. Obama est à Cuba
en « vedette américaine » : il ouvre une
nouvelle séquence. p
un moment chaud de la guerre froide,
quand les erreurs des Etats-Unis poussent
la jeune révolution cubaine dans les bras de
l’Union soviétique.
A l’interruption des relations diplomatiques, décidée en janvier 1961, s’est ajoutée un
an plus tard la décision de Washington de
soumettre Cuba à un strict embargo économique. Le raisonnement de M. Obama est
simple. L’absence de liens avec Cuba n’a en
rien ébranlé, au contraire, l’impitoyable dictature que le père de la révolution cubaine,
Fidel Castro, a imposée à son pays. Dans une
île devenue un satellite de l’URSS, le régime
castriste a même survécu à l’implosion soviétique… M. Obama a eu raison de violer un
des tabous de la vie politique américaine en
renouant avec ce voisin des Caraïbes.
Comme il le disait en 2009, recevant le
prix Nobel de la paix, une politique qui vise
à reprendre contact avec un régime autocratique « n’a certes pas la pureté gratifiante
de l’indignation », mais elle est la condition
indispensable, avait-il ajouté, au « changement du statu quo ». En clair, la Maison
Blanche attend de sa nouvelle diplomatie
une ouverture économique et politique à
La Havane.
L’ouverture économique viendra, des
deux côtés. Même dominé par les républicains, le Congrès ne devrait pas s’opposer
à une levée de l’embargo, souhaitée par
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R
iche idée, gaullienne initiative proposée depuis
une semaine par l’Association 40 millions
d’automobilistes sur son site. Pensez : un référendum. La parole au
peuple, au bon peuple, au peuple
de la rue, on ne saurait mieux qualifier les conducteurs. Exprimer
son opinion. Pas à grands coups de
klaxon, pas avec des noms
d’oiseaux ou des gémissements de
tôle froissée. Que nenni ! Donner
son avis posément, poliment, en
usager courtois, en routier sympa.
Un référendum donc, sur un
thème qui encombre, ô combien !
le quotidien : rouler à Paris.
Au total, vingt questions d’une
parfaite neutralité, portant sur des
mesures envisagées par la mairie
et « ressenties par les automobilistes comme des entraves à leur liberté de circulation ». Tout y passe :
limitation de vitesse, piétonisation, mesures contre la pollution,
péage urbain, circulation alternée,
pistes cyclables, etc.
Le formulaire respecte à la lettre
l’adage des sondages qui veut que
la réponse soit dans la question.
Au hasard : « Pensez-vous que la réduction de la vitesse sur le boulevard périphérique a entraîné davantage de sanctions par les radars ? » Non, bien sûr… « Pensezvous qu’il soit facile de se garer à
Paris ? » Oui, évidemment… « Afin
d’améliorer la qualité de l’air, seriezvous favorable à la mise en place
d’une aide financière pour installer
un système de dépollution sur les
anciens véhicules diesel ? » J’hésite… Sauf à ce qu’un peloton de cyclistes idéologisés ou une armée
de piétons doctrinaires n’embouteille la Toile et ne fasse un détournement de trafic Web, la cause est
entendue. Le plébiscite est assuré
contre Anne Hidalgo, cette mairesse à face de parcmètre. Circulez !
Surtout, surtout, qu’on ne nous
traite pas de bobo vélocipédique !
On a le permis de conduire et
donc le droit de parler. Avec, au
compteur, quelques centaines de
milliers de kilomètres et son lot
d’imprudences. Comme lettre de
recommandation, on fournira le
courrier à en-tête de la République française, reçu il y a peu : un
point retiré pour un bénin excès
de vitesse à l’entrée d’une agglomération du Pas-de-Calais, coup
de flash dans le dos d’une inique
maréchaussée qui ferait mieux de
traquer les délinquants plutôt que
de harceler l’honnête Fangio.
On est automobiliste, et fier de
l’être. Chauffard à l’occasion, hélas !, par distraction ou par tempérament. Tant on est lucide sur
nous-mêmes, sur cette modification de l’être, sitôt les mains posées sur le volant, la ceinture ficelée sur le bide et la première enclenchée. Au mieux, on est
comme le lapin blanc d’Alice au
pays des merveilles, toujours en
retard. Au pire, on se sent des pulsions primitives, reptiliennes.
On est un écraseur qui sommeille, guetté par les démons hallucinogènes du champignon. On
a pris des mauvaises routes plus
souvent qu’à notre tour. Alors, on
ne mettra pas à l’amende Benoît
Magimel, brocardé depuis une semaine dans les médias pour son
inconduite. L’acteur a renversé le
OBAMA
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PAGES 8 ET 9
Axa : départ surprise
du PDG Henri de Castries
Bolloré accroît
son emprise
sur Telecom
Italia
▶ A la tête
P
etit à petit, l’oiseau fait son
nid. Conformément à une
stratégie déjà bien rodée,
Vincent Bolloré impose sa stratégie et ses hommes en Italie. Devenu, à travers sa société, le premier actionnaire de Telecom Italia, avec 24,9 % du capital, le
Breton est parvenu à placer quatre
de ses proches au conseil d’administration du premier groupe de
télécommunication transalpin,
en décembre 2015. Il est en passe
d’obtenir la tête du directeur général, Marco Patuano.
Lundi 21 mars au matin, Telecom Italia a confirmé, à la demande de la Consob, le gendarme
italien de la Bourse, que des « négociations » étaient en cours sur
« la suspension des mandats » de
M. Patuano. L’officialisation de
son départ pourrait avoir lieu lors
d’un prochain conseil d’administration extraordinaire. Le partant
recevrait une indemnité de 7 millions d’euros.
Depuis que Vivendi a pris les
commandes de Telecom Italia en
se présentant comme « un partenaire de long terme », les jours de
M. Patuano à la tête du groupe
semblaient comptés. Des divergences stratégiques étaient apparues avec les nouveaux actionnaires. Ces derniers mettent l’accent
sur les contenus, quand M. Patuano misait sur le développement des infrastructures.
de l’assureur
depuis 2000,
Henri de Castries
va passer la main
en septembre,
deux ans avant
l’échéance prévue
▶ Il sera remplacé
par un Allemand,
Thomas Buberl.
Le Français
Denis Duverne
présidera
le conseil
▶ Certains
donnent M. de
Castries partant
pour la banque
britannique HSBC
→ LIR E PAGE 3
Le patron d’Axa,
en 2015.
JEAN-CLAUDE
COUTAUSSE/FRENCHPOLITICS POUR « LE MONDE »
→ LIR E PAGE 1 0
Vers un krach de l’« Uber économie » ?
▶ Les faillites de start-up
▶ Sur le modèle Uber, plus
▶ Engagées dans une
▶ Leur recours à des
de services à la demande
se multiplient aux
Etats-Unis. SpoonRocket
(livraison de repas)
a brutalement fermé mardi
de 200 sociétés se sont
lancées sur le créneau
des services low cost, dans
le ménage, les courses
ou… les massages
course de vitesse pour
s’imposer, ces start-up
doivent grossir le plus vite
possible, au détriment
de leur rentabilité
travailleurs indépendants,
souvent mal payés et
sans protection sociale, est
de plus en plus contesté
INDUSTRIE
PERTES & PROFITS | AIRBUS
→ LIR E PAGE 4
PORTRAIT
MICHEL LUCAS,
LE BOSS DU CRÉDIT
MUTUEL, SE RETIRE
→ LIR E PAGE 2
J CAC 40 | 4 420 PTS – 0,93 %
j DOW JONES | 17 602 PTS + 0,69 %
J EURO-DOLLAR | 1,1244
J PÉTROLE | 40,53 $ LE BARIL
K TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,55 %
VALEURS AU 21 MARS À 9 H 30
A
irbus sort son périscope. Non pas
pour refaire surface mais pour s’en
débarrasser. En cédant son activité
d’électronique de défense au fonds
d’investissement américain KKR pour 1,1 milliard d’euros, l’avionneur tire un trait sur des
métiers très éloignés de sa préoccupation du
moment, fabriquer le plus d’avions possible
pour suivre la demande des clients. L’annonce
est intervenue vendredi 18 mars et comprend
essentiellement une unité de 4 000 personnes
– dont le siège se situe à Ulm, en Allemagne –
issue de l’ex-AEG Telefunken. Une branche qui
mêle guerre électronique, capteurs, systèmes
terrestres et aériens ainsi que de l’optronique
maritime, dont les fameux périscopes de sousmarins, grande spécialité allemande.
La fin d’un vieux rêve
C’est en 2014 que le groupe avait fait part de sa
décision de s’alléger dans les activités de défense afin de se concentrer, dans ce domaine,
uniquement sur les avions militaires et les
missiles. Le projet, baptisé « Orlando », comprend également la cession de la branche sécurité aux frontières, sujet éminemment sensible en ce moment, et la vente des 23 % que possède Airbus dans Dassault.
La cession d’aujourd’hui est donc la première
concrétisation d’une décision stratégique de
taille : l’abandon des grandes ambitions dans le
domaine militaire. Tandis qu’Airbus dispute à
Boeing le rang de leader mondial des avions
commerciaux, il peine à percer dans la défense
Cahier du « Monde » No 22140 daté Mardi 22 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément
et en tire les conséquences. Le vieux rêve
d’équilibrer pôles civil et militaire pour atténuer les effets de cycle n’est plus de mise. Hors
espace, l’activité de défense ne représente pas
plus de 10 % du chiffre d’affaires du groupe,
contre 70 % pour les seuls avions de ligne.
La difficulté du groupe à devenir un grand
de la défense contraste donc avec son succès
considérable dans l’aéronautique civile. Les
prévisionnistes ne se risquent même plus
dans ce domaine à anticiper une pause dans la
course à l’équipement des compagnies aériennes, notamment asiatiques, en nouveaux
avions. Selon les analystes de Credit Suisse, le
groupe devrait livrer plus de 670 avions
en 2016, près de 730 l’année suivante et plus
de 900 en 2020. L’entreprise elle-même a été
surprise, notamment par le succès de la nouvelle version de son petit mono couloir, l’A320
Neo, dont les premières livraisons interviendront cette année. En 2020, il devrait en sortir
pratiquement deux par jour des chaînes d’assemblage de la firme.
Autant dire que la priorité des priorités est
opérationnelle, voire industrielle. D’autant
que même dans les avions militaires, passé le
rêve d’une fusion avec Dassault, le succès est
mitigé, tant sur le plan commercial que sur celui de la technologie. Les retards sur l’avion militaire de transport A400M ont montré toute
la difficulté pour une entreprise de cette envergure à passer d’un domaine à l’autre. A chacun son métier. p
philippe escande
LE PLAN D’ÉCONOMIES 2016-2018,
EN MILLIONS D’EUROS,
JUGÉ INSUFFISANT PAR LES
ACTIONNAIRES DE TELECOM ITALIA
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L’avionneur allège sa défense
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2 | portrait
0123
MARDI 22 MARS 2016
Michel Lucas
Le bâtisseur
du Crédit mutuel
tire sa révérence
Figure du secteur bancaire français,
Michel Lucas passe la main. Le tout-puissant
patron du Crédit mutuel n’a jamais aimé
les énarques. C’est pourtant un inspecteur
des finances, Nicolas Théry, qui lui succède
I
l a résisté aux coups d’Etat internes,
sport favori des groupes coopératifs,
à la tempête financière de 2008 qui a
envoyé valdinguer les patrons de banques comme des fétus de paille. Michel Lucas n’a cédé que devant le
poids des années.
A 76 ans, casque de cheveux blancs et barre
de sourcils noirs, le tout-puissant président
de la Confédération nationale du Crédit mutuel passe le relais lundi 21 mars à Nicolas
Théry, 50 ans, à qui il avait déjà transmis fin
2014 la présidence de CM11-CIC (les onze fédérations associées qui réalisent 83 % des
3 milliards d’euros de profits de la banque
mutualiste).
Michel Lucas conserve une place de censeur mais il n’exercera plus de rôle opérationnel au sein du groupe bancaire qu’il avait
rejoint il y a quarante-cinq ans. Ironie suprême, celui qui évite comme la peste les
journalistes va se consacrer au groupe de
presse régionale que le papivore a constitué
au sein de la banque bleue (L’Alsace, L’Est républicain, Le Progrès, Le Dauphiné libéré…).
Le Breton mélomane, qui a bâti sa légende à
Strasbourg, n’est pas à un paradoxe près.
L’un des meilleurs banquiers de sa génération n’est-il pas avant tout un génie de l’informatique ? N’a-t-il pas exfiltré, un à un, les
vingt-quatre énarques trouvés dans la corbeille du CIC en 1998 – en énumérant à ses
proches avec gourmandise « plus que dix »,
« plus que neuf » – pour choisir comme dauphin… un inspecteur des finances ?
Cet ours redouté, suffisamment influent
pour faire déprogrammer un documentaire
critique sur le Crédit mutuel sur Canal+ en
septembre 2015, recherche le contact avec ses
troupes. Les directeurs de Caisses, autrement
dit d’agences, n’hésitent pas à l’interpeller
pour échanger sur le taux des crédits ou se
plaindre d’un distributeur en panne. « C’est
toujours le terrain qui m’a intéressé. J’ai voulu
un lien direct avec le réseau. Je crois en la subsidiarité », avoue-t-il.
BÊTE POLITIQUE
Avant de devenir son ennemi, longtemps le
temps fut son allié. Ces quatre décennies lui
ont permis de bâtir à partir d’une collection
éparse de villages bancaires le troisième financeur de l’économie française. « En 1971,
quand je suis entré au Crédit mutuel, nous
étions 861 salariés sur toute la France. Nous
sommes 78 800 », savoure Michel Lucas.
Il est vrai que l’histoire est belle. Théo
Braun, patron du Crédit mutuel d’Alsace, repère l’ingénieur diplômé de Centrale Lille
chez Steria, une jeune SSII. Le futur ministre
de Michel Rocard convainc le trentenaire de
le rejoindre à Strasbourg. Il lui confie la « mécanographie », l’ancêtre de l’informatique.
Michel Lucas imagine rester deux ans en Alsace.
Mais le Crédit mutuel est à l’aube de son développement. Le groupe coopératif, issu
comme le Crédit agricole et les Banques populaires du mouvement chrétien allemand
des Raiffeisen, prospère seulement à l’Est et à
l’Ouest, en terres catholiques. C’est une sorte
de « tontine », c’est-à-dire une cagnotte où
tous les profits sont redistribués sous forme
de prime aux sociétaires. Ce versement est
ensuite supprimé, permettant au réseau de
constituer des fonds propres pour financer
sa croissance.
Le jeune Lucas devient vite l’agent des missions spéciales. Il implante ainsi à Marseille
la première fédération au sud de la Loire, en
riposte à une attaque du Crédit lyonnais en
Alsace. « On a ouvert deux caisses en face du
Crédit lyonnais. Elles y sont toujours »,
s’amuse le banquier, rigolant encore de l’alliance qu’il avait passée avec la Mutualité des
travailleurs – un fief communiste ! – pour
parvenir à ses fins. « Chaque fédération, ça a
été la croix et la bannière », relate-t-il. Un jour,
il doit même éteindre un incendie financier
dans la Fédération d’Arras. En 1977, Théo
Braun l’envoie redresser le journal L’Alsace,
qu’il a racheté quatre ans plus tôt.
Le paysage bancaire est en pleine recomposition. Le Crédit mutuel échappe de peu aux
griffes du Crédit agricole puis aux nationalisations de 1981. Michel Lucas, lui, tisse sa
toile avec patience. Bête politique aussi bien
que d’organisation, il a compris bien avant
les autres banquiers la puissance de la technologie. Il assoit sa légitimité en fabriquant
un système informatique au service des caisses, créé une « caisse fédérale », puissant
outil financier commun dans cet univers décentralisé.
Jean Witz, l’un de ses pères spirituels au
Crédit mutuel, a l’idée de proposer des contrats d’assurances aux sociétaires. Michel Lucas embraye, inventant chemin faisant la
bancassurance, copiée depuis par tous ses
concurrents. Jean Witz crée également le Bischenberg, le centre de formation du Crédit
mutuel, un lieu qu’affectionne Michel Lucas.
Il l’arpentait encore en début de semaine
dernière. « Il a impulsé une culture de formation et de promotion interne très forte dans le
groupe », relate un proche du mutualiste.
Les fondations sont prêtes. Strasbourg
peut entamer ses conquêtes. En 1992, la Fédération d’Alsace s’associe avec sa voisine de
Dijon et se rebaptise le Crédit mutuel Centre
Est Europe. En 1996, Michel Lucas pointe son
nez dans les ministères pour voir s’il peut
mettre la main sur le CIC dont la privatisation est évoquée. « Circulez, il n’y a rien à voir
pour vous », lui répond-on en substance.
Pour comprendre la relation ambivalente
de Michel Lucas avec l’establishment, entre
haine et fascination, il faut se rappeler que
longtemps le fils de couvreur-zingueur s’est
retrouvé le seul non-énarque parmi les
grands banquiers français. Au début des années 1990, les banques « classiques » BNP, Société générale ou Crédit lyonnais, et même
les mutualistes Caisses d’épargne et Banques
populaires, sont dirigées par des inspecteurs
des finances, voire des conseillers d’Etat,
nommé par les pouvoirs publics. En 1993, Lucien Douroux est le premier dirigeant du
Crédit agricole désigné par le réseau.
En 2014.
VINCENT ISORE/IP3
« LE CIC, C’EST TON VIETNAM »
« Heureusement que j’étais à Strasbourg.
J’étais moins visible », glisse Michel Lucas, en
tirant sur un gros cigare, quand tous les
« banquiers à pochette » – comme il les appelle – ont abandonné les havanes depuis
des lustres. En réalité, jusqu’en 2010, le Crédit
mutuel Centre Est Europe arbore également
son président « fréquentable », l’énarque polytechnicien Etienne Pflimlin, fils d’un ancien ministre qui fut maire de Strasbourg.
Michel Lucas reste dans l’ombre. Paris le découvre en 1998, lorsque le CIC est vraiment
mis en vente. La BNP de Michel Pébereau et
la Société générale de Daniel Bouton s’étripent pour savoir qui des deux va l’emporter.
Pourtant, c’est bien le Crédit mutuel que retient, à la surprise générale, Lionel Jospin.
Michel Lucas, patron du CIC ? Une hérésie
pour Jean-Claude Trichet, le gouverneur de la
Banque de France, qui veut, lui, imposer une
période probatoire de six mois avant de lui
CET OURS REDOUTÉ
A CRÉÉ À PARTIR
D’UNE COLLECTION
ÉPARSE DE VILLAGES
BANCAIRES
LE TROISIÈME
FINANCEUR
DE L’ÉCONOMIE
FRANÇAISE
1939
1971
1991
2010
Naît le 4 mai à Lorient (Morbihan).
Entre au Crédit
mutuel
à Strasbourg
comme conseiller
du président de la
fédération locale
Devient directeur
général du Crédit
mutuel d’AlsaceLorraine FrancheComté et du
groupe Bourgogne-Champagne.
Préside la Confédération nationale
du Crédit mutuel.
accorder un agrément définitif. Le gouvernement doit intervenir. Ambiance.
Cette année-là, le livre de Yasushi Inoué Le
Loup bleu, sous-titré « le roman de Gengis
Khan » fait un carton en France : « Cela me fait
penser à Lucas », confie en privé Lucien Douroux. Le patron du Crédit agricole a pressenti
que le conquérant venu de l’Est ne s’arrêterait pas en si bon chemin. « Le CIC, c’est ton
Vietnam », assène au contraire à Michel Lucas un dirigeant du Crédit Mutuel de Bretagne, l’autre berceau de la banque bleue, qui a
toujours contesté la suprématie de l’Alsace.
Ce fut son Austerlitz. Depuis, l’Alsace a rallié
onze fédérations sur dix-huit. Seul (gros)
point noir, les relations dégradées avec
Arkéa, l’alliance du Crédit Mutuel de Bretagne, de la Fédération du Sud-Ouest et de celle
du Massif central. Quand Jean-Pierre Denis,
inspecteur des finances, ex-secrétaire général adjoint de l’Elysée, prend la présidence
d’Arkéa en 2008, il ne fait pas mystère qu’il
brigue la succession de Michel Lucas. Que le
temps joue pour lui. Le septuagénaire apprécie. Depuis, c’est la guerre.
« Ce n’est pas une affaire de personnes mais
de conflit d’intérêts. Il faut accepter que nous
sommes deux groupes autonomes et concurrents », assure-t-on du côté d’Arkéa, qui s’apprête à déposer un recours au Conseil d’Etat
contre la réforme des statuts de la Confédération du Crédit mutuel en passe d’être approuvée en assemblée générale lundi
21 mars.
Cela reste sans doute la plus grande frustration de Michel Lucas, celle de n’avoir pu
dompter « les Bretons » avant son départ. Cet
affectif, chef d’une famille soudée dont son
épouse Catherine était le pilier, se défend
d’être rancunier : « J’ai pris des coups. J’avale.
Je me souviens. Je ne cherche pas la revanche,
mais il ne faut pas passer ensuite dans ma ligne de mire. » p
isabelle chaperon
économie & entreprise | 3
0123
MARDI 22 MARS 2016
Axa : Henri de Castries anticipe l’heure du départ
Au sein d’une direction bicéphale, l’Allemand Thomas Buberl prendra la direction générale de l’assureur
N
ous avons choisi la sortie de l’hiver pour
nommer un nouveau
président. Dans trois
mois, pour les feux de la Saint-Jean,
le 21 juin, nous présenterons le plan
de développement d’AXA. » Lundi
21 mars, Henri de Castries s’employait à justifier ce qui apparaissait comme une surprise, l’annonce du départ de son poste de
PDG en septembre.
Samedi, le conseil d’administration du numéro deux mondial de
l’assurance a approuvé la scission
de son fauteuil en deux, entre un
poste de président non exécutif,
qui sera occupé par l’actuel directeur général d’Axa, le Français Denis Duverne, et un autre de directeur général, attribué à l’Allemand
Thomas Buberl, actuel membre
du comité exécutif du groupe.
Une structure duale identique
avait été mise en place en 1997,
afin de préparer le départ de
Claude Bébéar, le fondateur d’Axa.
Cette succession intervient avec
deux ans d’avance sur le calendrier initial. Le PDG d’AXA avait
annoncé, lors du renouvellement
de son poste en 2014, son intention de passer la main en 2018, à
l’issue de son mandat. « Le processus a été lancé voici plus de deux
ans et nous avons trouvé la nouvelle équipe, il n’était pas question
d’attendre
plus
longtemps,
d’autant que le groupe va se lancer
dans une autre phase de développement », explique M. de Castries.
Entré dans le groupe en 1989 et à
la tête d’Axa depuis 2000, il avait
demandé à deux membres du
comité de rémunération, JeanMartin Folz et Norbert Dentressangle, de commencer à proposer
des noms de successeurs.
« Au départ, nous avons repéré
une demi-douzaine de candidats
en interne », raconte M. de Castries, qui a également scruté à
l’extérieur. Au fil du temps, l’idée
s’est imposée de mettre en place
une double commande, avec un
« historique » à la tête d’Axa, Denis Duverne, 62 ans, dans le
groupe depuis 21 ans, et un plus
récent à l’opérationnel, Thomas
Buberl, 43 ans.
« J’ai une expérience opérationnelle et globale, comme directeur
de filiale en Allemagne et responsable dans le groupe des lignes
Santé puis Épargne et vie », assure
le futur directeur général, entré
chez Axa en 2012. « Thomas est
même plus jeune que moi lorsque
j’ai pris la direction du groupe »,
constate M. de Castries en présentant son successeur, passé
par Winterthur en Suisse, racheté par Axa en 2006, puis par
Zurich Insurance Group, dont il
« Thomas
est même plus
jeune que moi
lorsque j’ai pris
la direction
du groupe »
HENRI DE CASTRIES
PDG d’Axa
fut directeur général. Le fait que
le groupe français ait confié les
rênes à un Allemand pourrait expliquer cette direction bicéphale,
comme ce fut le cas chez Sanofi.
« Personne ne s’étonne quand
c’est un Français qui prend les
commandes d’un groupe étranger », remarque un proche d’Axa,
en évoquant les nominations récentes de Philippe Donnet à la
tête de l’assureur italien Generali
et de Jean-Sébastien Jacques chez
Rio Tinto. Il n’empêche, bien
qu’étant un groupe privé, Axa a
informé, dimanche soir, l’Elysée
et Bercy, quelques heures avant la
nomination officielle. « Nous saluons le travail d’Henri de Castries
et sa démarche consistant à organiser sa succession et une transition efficace », soulignait-on
lundi matin dans l’entourage
d’Emmanuel Macron, le ministre
de l’économie.
Vaste effort de transformation
Durant cette période de transition jusqu’à septembre, l’actuel
PDG d’Axa et le futur duo vont
préparer ensemble le plan pour la
période 2016-2020, qui prendra la
suite d’« Ambition 2015 ». Ultime
élégance ? Axa n’a pas franchi l’an
dernier la barre des 100 milliards
d’euros de chiffre d’affaires, s’arrêtant pudiquement à 99 milliards. M. de Castries a laissé à son
successeur le soin de mener cette
étape symbolique.
En revanche, le futur PDG sortant, en présentant ses résultats le
25 février, avait bien insisté sur le
fait que tous les objectifs fixés par
Dès l’annonce
de son départ,
les rumeurs se
sont amplifiées
à la City qui le
voit en possible
patron de HSBC
le plan quinquennal 2010-2015
étaient remplis, en termes de rentabilité comme de réduction de
l’endettement. Ces dernières années, M. de Castries avait en effet
entrepris un vaste effort de transformation, pour adapter Axa à un
environnement financier défavorable, celui des taux bas, devenu
depuis négatifs.
« Le plan stratégique “Ambition”
– et sa réussite – a permis à Axa de
surperformer ses pairs et les indices de référence », se félicite le
groupe dans un communiqué
publié lundi. Une satisfaction
particulière pour M. de Castries,
qui a longtemps été critiqué – notamment par M. Bébéar luimême – parce que l’action Axa se
traînait à la queue du peloton des
assureurs européens. « Sur l’ensemble de la période 2000-2016,
qui s’ouvre sur un point haut des
marchés, juste avant l’explosion
de la bulle Internet, la performance d’Axa (…) est plus contrastée », reconnaît, toutefois, le
groupe, alors que l’action Axa n’a
toujours pas retrouvé son niveau
de 2000.
Des crises, M. de Castries en a
connues en seize ans de règne.
Cela l’a amené à imposer une gestion financière serrée d’Axa, pour
améliorer la solidité de son bilan,
dégradé par la période des grandes acquisitions des années 1990.
Cela n’a pas empêché le Français
de poursuivre des rachats, afin de
développer sa présence sur les
marchés émergents, qui représentent désormais 17 % de ses activités d’assurance contre quasiment rien en 2000. M. de Castries
a également lancé ces dernières
années un vaste chantier de
transformation numérique.
Et maintenant, quel avenir pour
le sortant ? Pas question pour
M. de Castries d’arrêter son activité à 61 ans, en pleine santé, lui
qui a toujours fait plus jeune que
son âge. Président de l’Institut
Montaigne, passionné de politique, président du comité de direction du groupe Bilderberg, un cercle international de patrons influent, il est aussi administrateur
de Nestlé et d’HSBC.
Dès l’annonce de son départ, les
rumeurs se sont amplifiées sur la
place londonienne, qui le voit
bientôt président de la première
banque européenne. D’autant
que le lancement du processus de
succession chez HSBC a été lancé
à la veille de l’annonce d’Axa, dimanche 20 mars. L’assureur n’y
voit qu’« un hasard de calendrier ». M. de Castries ne commente pas. « Le sujet n’est pas d’actualité », selon lui. p
isabelle chaperon
et dominique gallois
LES CHIFFRES
59
Le nombre de pays où le groupe
Axa est implanté. Au total, il recense 103 millions de clients.
161 000
Le nombre de collaborateurs
que l’assureur compte dans le
monde.
99
Le chiffre d’affaires d’Axa, en milliards d’euros, en 2015. Un chiffre
en hausse de 1 % sur un an.
5,6
Le résultat net de l’assureur, en
milliards d’euros, pour 2015, en
hausse de 3 % par rapport à
2014.
1,10
Dividende par action proposé,
en euro, aux actionnaires par le
conseil d’administration au titre
de l’année 2015. C’est 16 % de
plus que celui versé au titre de
2014.
4 | économie & entreprise
0123
MARDI 22 MARS 2016
Les jouets Heller Joustra tombent
dans l’escarcelle de Maped
Le numéro un mondial des articles scolaires rachète pour 1,5 million
d’euros la PME spécialisée dans les loisirs créatifs
E
ngagé depuis deux ans
dans une stratégie de diversification, le groupe
familial français Maped,
leader mondial des articles scolaires, a annoncé, lundi 21 mars, à la
barre du tribunal de commerce
d’Argentan, près de Caen, qu’il venait de reprendre la société Heller
Joustra, spécialisée dans les loisirs
créatifs pour enfants, dont le redressement judiciaire avait été
prononcé début février.
Plus que le simple rachat d’une
société en difficulté, c’est l’histoire d’un ultime sauvetage in extremis pour cette PME née de la
fusion en 1999 d’Heller, spécialisé depuis 1957 dans les maquettes d’avions, de bateaux et de voi-
LES CHIFFRES
+ 3,4 %
Telle a été, en valeur, l’augmentation des ventes de jouets en
France en 2015, leur meilleure
progression depuis 2011 et leur
troisième année consécutive
de croissance, selon le panéliste
NPD.
+ 13,40 %
C’est l’augmentation du chiffre
d’affaires du secteur du jouet au
mois de janvier comparé à l’année précédente, selon La Revue
du jouet, qui relaye des données
NPD.
+ 20 %
C’est la progression, en janvier
par rapport à janvier 2015, des
ventes de jouets spécialisés dans
les activités artistiques. Ce segment avait été victime les mois
précédents d’un effet de comparaison avec une période dominée
par la mode éphémère des bracelets à élastiques Loom en 2014.
tures emblématiques, et de Joustra, le fabricant du Télécran et de
jeux créatifs (mandalas, mosaïques, moulages, etc.), fondé
en 1934.
Déjà menacé de disparition à la
suite d’un dépôt de bilan en 2007,
Heller Joustra avait retrouvé des
couleurs depuis 2010 grâce aux injections d’argent frais de son actionnaire principal, l’entrepreneur
Alain Bernard. Et plus précisément
de son fonds New York Finance Innovation (NYFI), constitué de sa
fortune personnelle après la vente
de sa société Prosodie, spécialisée
dans les brevets de téléphone portables, à Cap Gemini.
C’est Alain Bernard qui rappelle
alors en 2010 Yvonne Demorest,
retraitée depuis 2007 de chez Nathan et ancienne directrice générale des gommes Mallat, pour la
mettre aux commandes de Heller
Joustra, qui perdait alors 4 millions d’euros. « On était alors virtuellement en dépôt de bilan, explique-t-elle. Alain Bernard, qui
aura dépensé durant toutes ces années près de 5 millions d’euros
dans l’entreprise, nous a permis de
remoderniser l’outil de production. » Et de la relocaliser en
France, à plus de 90 %, alors que
deux tiers du chiffre d’affaires
provenaient de Chine depuis
2002.
L’impact des attentats
Mme Demorest parvient à multiplier le chiffre d’affaires par cinq
en cinq ans, passant de 1,5 million
d’euros en 2009 à 7,5 millions
d’euros en 2014. « Mais l’activité nécessitait une trésorerie considérable car sur le marché du jouet, on
facture les trois derniers mois de
l’année et il faut assurer la trésorerie le reste de l’année, avec des charges fixes incompressibles », raconte-t-elle. Surtout que l’entreprise
est petite, sur un marché du jouet
dominé par des grands groupes internationaux, des produits sous licences, et confronté à la concurrence des articles venus d’Asie.
Plus que
le simple rachat
d’une société
en difficulté, c’est
l’histoire d’un
ultime sauvetage
pour cette PME
L’évolution de la consommation
après les attentats lui aura été fatale. « Avec la chute brutale de la fréquentation des magasins de jouets,
les distributeurs ont annulé leurs
dernières commandes, ne souhaitant pas, par prudence, recevoir la
fin de leurs livraisons, explique-telle. Sauf que ces commandes
avaient été passées en juillet, et que
nous les avions anticipées en achetant des petites pièces, comme des
moteurs, en Chine, où ils demandent de payer cash. On s’est donc retrouvé avec des stocks payés que
l’on n’a pas pu vendre, ce qui a induit un très gros décalage de trésorerie. » Alain Bernard ne pouvant
pas remettre « le million qui manquait », Mme Demorest se tourne
vers Maped, qui s’intéressait depuis un an à la société. « Heureusement que nous avions déjà engagé
des discussions, ajoute-t-elle. Mais
des actionnaires minoritaires ne
voulant pas céder leur part, cela m’a
conduit à déposer le bilan. » De telle
sorte que l’administrateur puisse
choisir Maped et son projet de reprise de l’outil industriel et des
trois quarts du personnel.
De vision et de moyens financiers, l’entreprise familiale Maped,
créée en 1947 par Claude Lacroix,
n’en manquent pas. Le leader
mondial des articles scolaires a
réalisé 191 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015, dont 80 % de
son activité hors de France, et 50 %
en dehors de l’Europe. Et pour reprendre Heller Joustra, il a déboursé 1,5 million d’euros, la moitié pour le rachat des stocks, de
l’outil industriel à Trun dans
l’Orne, l’autre moitié pour régler
les fournisseurs, les banques qui
avaient gagé les stocks… Maped
compte rajouter 2 millions d’euros
en apport de trésorerie « pour assurer le financement de l’exploitation et maintenir l’activité à flot jusqu’au gros des facturations qui arriveront en fin d’année », explique
Antoine Lacroix, directeur de Maped Europe.
Depuis deux ans, Maped a la volonté de s’étendre sur le segment
des loisirs créatifs, complémentaire, selon le groupe, à son activité
coloriage, en développement depuis sept ans. « Les deux marques
acquises sont amenées à perdurer,
en tout cas en France », explique
M. Lacroix. Avec d’un côté Heller,
« une marque héritage sur un marché de niche, qui a montré sa capacité à résister ». De l’autre, Joustra,
estampillée made in France, un label « qui compte pour la distribution spécialisée », mais qui est peu
connue à l’étranger avec environ
trois quarts de son chiffre d’affaires réalisé en France. « Il est probable qu’à l’international, nous capitalisions sur la marque Maped »,
ajoute M. Lacroix.
Maped a déjà des idées pour
améliorer la gamme de produits,
de manière à en faire une référence sur le marché du loisir créatif. « Nous avons beaucoup joué en
interne, avec des cessions d’activités
toutes les semaines où l’on a essayé
les produits du marché, raconte
M. Lacroix. Et l’on s’est aperçu qu’il
existait très peu de marques, et que
beaucoup de produits, souvent
achetés en Asie et vendus tels quels,
ne tenaient pas leurs promesses. On
peut vite se retrouver avec un pot à
crayons qui ressemble à un truc informe et pas présentable. » L’objectif de Maped : remettre Heller Joustra à l’équilibre en 2017, avant de
développer son activité à l’international pour lui permettre d’atteindre un chiffre d’affaires de 12 à
15 millions d’euros en 2020. p
cécile prudhomme
Le chinois Inesa investit
100 millions d’euros dans la Meuse
La France est le deuxième pays le plus attractif d’Europe pour les investissements venus de Chine
A
près le lait dans le Finistère, voici les LED dans la
Meuse. En janvier 2014, le
chinois Synutra posait, à Carhaix,
la première pierre de ce qui sera la
plus grande usine de fabrication
de poudre de lait dans le monde.
Deux ans plus tard, c’est au tour de
son compatriote Inesa d’entamer
la construction d’un site en France.
La cérémonie devait se dérouler
lundi 21 mars sur un terrain au
pied de la gare Meuse TGV, où sera
bâti son centre de fabrication de
LED, ces ampoules de très basse
consommation. Ces deux premières implantations, représentant
un investissement d’environ
100 millions d’euros chacune, illustrent l’attrait croissant de la
France auprès des Chinois.
Selon le cabinet d’avocats d’affaires Baker & McKenzie, la part chinoise des investissements étrangers dans le pays est passée de
3,4 % en 2012 à 7,6 % en 2014 pour
atteindre 1,15 milliard d’euros. Les
investissements se sont même envolés en 2015 pour culminer à
3,2 milliards d’euros. Ce bond est
dû pour l’essentiel à des acquisitions dans le secteur de l’hôtelle-
rie, avec l’OPA du chinois Fosun sur
le Club Med et le rachat du Louvre
Hôtels Group par Jin Jiang.
La France est passée du troisième au deuxième rang des pays
européens favoris des Chinois devant le Royaume-Uni, derrière
l’Italie où ChemChina a acquis Pirelli pour 7,1 milliards d’euros.
« Nous assistons à une diversification des secteurs convoités et aussi
des modes opératoires, sans parler
des lieux d’implantation », explique Raphaële François-Poncet,
avocate associée au département
fusions-acquisitions de Baker
& McKenzie.
« Nous assistons
à une
diversification
des secteurs
convoités et
des modes
opératoires »
ME FRANÇOIS-PONCET
avocate chez Baker & McKenzie
L’année 2015 a vu la centième
propriété viticole française passer
dans des mains chinoises avec la
vente de Château Renon, dans le
Bordelais. Au même moment, le
FC Sochaux était repris par l’entreprise hongkongaise Ledus et
49,9 % du capital de l’aéroport de
Toulouse Blagnac était cédé à un
consortium chinois. Le spécialiste
des véhicules frigorifiques Lamberet dans l’Ain était repris par le
groupe industriel Avic et la coopérative Maîtres laitiers du Cotentin
s’est associée à Synutra pour construire une nouvelle usine de lait à
Méautis dans la Manche.
Une production de qualité
« Il y a clairement une sophistication de l’investissement, car les Chinois sont à l’aise aussi bien dans le
cadre réglementaire français que
dans les différentes procédures »,
relève Me François-Poncet. C’est en
vantant le « made in France » que
Zhao Qi Meng, président d’Inesa
Europe, a plaidé auprès du siège du
groupe pour une implantation
dans la Meuse et non en Hongrie.
Tout a débuté en 2013, lorsque la
société d’électronique Arelis, im-
plantée à Marville dans la Meuse, a
contacté l’entreprise chinoise envisageant de nouer un partenariat.
Au fil des conversations Zhao Qi
Meng, représentant ce conglomérat de 9 milliards d’euros contrôlé
par la municipalité de Shanghaï, a
évoqué le projet du groupe d’installer en Europe de l’Est une usine
de fabrication de LED. Ce fut le
branle-bas de combat pour tenter
de déplacer le centre de gravité
vers l’ouest. Avec deux arguments
forts à opposer aux avantages de la
Hongrie en matière salariale : la
qualité des produits fabriqués en
France et le niveau élevé des infrastructures, la gare Meuse TGV mettant les trains à une heure de l’aéroport de Roissy ou de Paris.
Le 29 janvier 2015, lors d’une visite à Pékin du premier ministre
Manuel Valls, l’accord était signé. Il
prévoit la création de 200 emplois
pour cette usine, la première du
groupe hors de Chine. Depuis,
pour renforcer sa présence en Europe dans l’éclairage, le groupe
Inesa a fait en février, l’acquisition
de 80 % des parts de Sylvania, une
ancienne filiale de Philips. p
dominique gallois
Le patron de Keolis
dirigera SNCF Réseau
Jean-Pierre Farandou, dont l’Etat pousse la
candidature, va succéder à Jacques Rapoport
J
acques Rapoport, le PDG démissionnaire de SNCF Réseau,
a un successeur. Il s’agit de
Jean-Pierre Farandou, l’actuel
patron de Keolis, filiale à 70 % du
groupe ferroviaire. L’Etat proposera son nom lors du conseil de
surveillance du groupe SNCF qui
doit se tenir mardi 22 mars,
comme l’a révélé samedi la lettre
professionnelle Mobilettre.
Le candidat devra ensuite être
confirmé par l’Arafer, l’autorité de
régulation du rail, la phase la plus
délicate, puis par l’Assemblée nationale et le Sénat. Un processus
qui devrait prendre au minimum
plusieurs semaines.
Surpris de la démission soudaine
de l’actuel PDG de SNCF Réseau,
Jacques Rapoport, qui pouvait encore prétendre à rester au minimum un an, le gouvernement a
paré au plus pressé. Plusieurs personnalités du secteur ou extérieures à celui-ci ont été sondées, sans
succès. Et à la fin, c’est un cheminot « pur sucre » qui a été désigné.
De gigantesques chantiers
Jean-Pierre Farandou, 58 ans, est
un des cadres dirigeants historiques de l’entreprise publique. Ingénieur des Mines de Paris, il a rejoint la SNCF dès 1981, à tout juste
24 ans, après un passage par les
Etats-Unis, où il a travaillé pour
AMAX, une société minière. Dans
l’entreprise publique, il a mené
plusieurs projets, comme le lancement du TGV Paris-Lille,
en 1993, ou la création de Thalys.
En 2002, il prend la tête de la
SNCF en Rhône-Alpes, la région la
plus importante de France après
l’Ile-de-France.
En
2006,
Guillaume Pepy lui demande de
prendre en main la branche proximité de SNCF (Transilien, TER, Intercités, Keolis). Il finira par diriger
Keolis en 2012.
En choisissant ce produit de la
SNCF, jamais passé par Réseau
ferré de France, l’ancien nom de
SNCF Réseau, le gouvernement a
souhaité à la fois rassurer la base
cheminote, et s’assurer d’une
bonne
coopération
entre
Guillaume Pepy, le patron de SNCF
Mobilités, et l’un de ses anciens
protégés. A la tête de Keolis, M. Farandou a pris de la distance avec sa
maison mère, ce qui devrait l’aider
dans ses rapports avec son désormais homologue.
Ses chantiers sont gigantesques.
Alors que le réseau est dans un état
très dégradé, le nouveau patron
devra amplifier le travail initié par
Jacques Rapoport pour industrialiser les travaux de régénération et
de maintenance du réseau tout en
revoyant la culture managériale et
en améliorant la productivité.
Comme les accidents ferroviaires
récents l’ont démontré, l’état du réseau, dans les cas de Brétigny-surOrge et Denguin (Pyrénées-Atlantiques), ou la culture de la sécurité,
dans le cas d’Eckwersheim (BasRhin), sont aujourd’hui largement
montrés du doigt.
Coté financement, alors que la
dette de SNCF Réseau ne cesse de
se creuser (42 milliards d’euros
en 2015), Jean-Pierre Farandou va
devoir se montrer persuasif avec
l’Etat pour que celui-ci mette bien
en place la « règle d’or », prévue par
la loi ferroviaire de 2014. Cette règle oblige l’Etat à financer par ses
propres moyens les nouveaux développements du réseau.
De même, Jean-Pierre Farandou
devra peser pour que l’Etat accepte de conclure le contrat de
moyen et de performance, qui
permettra à SNCF Réseau de baliser ses investissements sur les
dix années à venir. Enfin, il devra
s’atteler à une nouvelle politique
de péages, le droit acquitté par
SNCF Mobilités et les opérateurs
privés pour utiliser le réseau,
comme le réclame l’Arafer. p
philippe jacqué
950 000
C’est le nombre d’emplois qu’une sortie du Royaume-Uni de l’Union
européenne (le « Brexit ») pourrait détruire dans le pays, selon une étude
commandée par la Confédération des industries britanniques, principale organisation patronale du pays. En 2020, le taux de chômage britannique serait de 2 à 3 points plus élevé que si le pays restait dans l’UE.
Publiée dimanche 20 mars et réalisée par le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC), l’étude estime également que le « Brexit » constituerait
un « sérieux choc » pour l’économie du Royaume-Uni, à laquelle il coûterait environ 100 milliards de livres sterling (128 milliards d’euros) en
perte de production, soit 5 % du produit intérieur brut.
PHAR MAC I E
FOOT BALL
Eurazeo négocie
le rachat de Novacap
Un milliardaire chinois
sponsorise la Fifa
Novacap, l’un des plus gros
producteurs d’aspirine et de
paracétamol dans le monde,
est en passe d’être acquis par
Eurazeo. Dans un communiqué diffusé lundi 21 mars, le
fonds d’investissement a annoncé être en négociations
exclusives avec Ardian, l’actuel actionnaire majoritaire
de Novacap. Installé à Lyon,
ce groupe de pharmacie et
de chimie a généré un chiffre d’affaires d’environ
600 millions d’euros
en 2015. – (AFP.)
Le chinois Wanda a signé
vendredi 18 mars un contrat
pour devenir sponsor de la
Fifa (Fédération internationale de football). Le conglomérat détenu par Wang Jianlin, l’une des premières
fortunes de Chine à la tête de
29 milliards de dollars
(25,8 milliards d’euros) de patrimoine, profitera des droits
sur les Coupes du monde
jusqu’en 2030.
D I ST R I BU T I ON
Standard & Poor’s
dégrade Casino
Standard & Poor’s a dégradé,
lundi 21 mars, la note de la
dette à long terme du groupe
Casino, à BB +. L’agence considère que, malgré la cession de
sa filiale thaïlandaise, le distributeur présente un « risque financier élevé ». Son endettement atteint plus de
6 milliards d’euros.
ÉD I T I ON
Fréquentation
en baisse au Salon
du livre de Paris
La 36e édition du Salon du livre de Paris, qui s’est tenu du
17 au 20 mars, a enregistré
une baisse de fréquentation
de 15 % par rapport à 2015.
Seuls 155 000 visiteurs se
sont rendus à la porte de Versailles. Le prix de l’entrée,
12 euros, jugé trop élevé par
une partie du public et des
professionnels, pourrait expliquer ce résultat.
management | 5
0123
MARDI 22 MARS 2016
Et si les salariés retournaient à la fac ?
LE COIN DU COACH
Les universités, auxquelles peu d’entreprises ont recours pour la formation professionnelle, font valoir leurs atouts
R
ares sont les entreprises
qui se tournent vers
une université pour
former leurs salariés :
aujourd’hui, les établissements
d’enseignement supérieur représentent seulement 3 % du marché
de la formation continue en
France. La société BCA Expertise
fait partie de ces défricheurs.
Pour former ses managers, elle
s’est tournée vers la licence professionnelle en management des
activités commerciales proposée
par l’université de Cergy-Pontoise
(Val-d’Oise). Ce cursus diplômant
lui a paru le plus adapté aux besoins de ses responsables d’agences, souvent peu diplômés à la
base et principalement formés
sur le terrain.
« Nos managers sont tous issus
de la promotion interne, et ont
donc un cursus de formation initiale technique, en BTS aprèsvente automobile, par exemple,
indique Roland Fontenier, le responsable des projets formation
de l’entreprise. Nous souhaitions
leur apporter de la connaissance
fondamentale en économie, droit,
gestion… afin qu’ils puissent prendre du recul et acquérir les clefs de
compréhension les plus fines possibles. Nous souhaitions également leur donner l’opportunité
d’un diplôme entérinant leurs
compétences managériales. » La
formation s’effectue sur deux à
trois jours par mois sur le temps
de travail, accompagnés d’ateliers et de cours en e-learning, et
dure environ un an.
Si les entreprises pensent rarement à l’université pour la formation professionnelle, c’est que les
établissements d’enseignement
supérieur se sont longtemps positionnés exclusivement sur les
formations longues et diplômantes, comme les MBA, les masters
ou l’alternance, avec des modalités d’organisation contraignantes. Alors que les entreprises
sont en demande de formations
courtes et facilement compatibles avec les horaires de travail
des salariés.
Les organismes 100 % voués à la
formation professionnelle pour
les entreprises ont donc profité
du vide existant pour développer leur propre offre de stages
L’université de La Rochelle
(Charente-Maritime) fait aussi
partie des établissements pilotes
destinés à expérimenter des offres de formation continue. Elle
travaille avec une cinquantaine
d’entreprises et a conçu des formations diplômantes modulaires sur le week-end et accessibles
par la VAE, ainsi que des formations sur mesure pour les entreprises. Des formations courtes
qualifiantes, qui sont organisées
en bloc de compétences sur un
ou deux jours, sont également
possibles.
courts et modulables et capter le
marché de la formation continue
pour les salariés.
Mais les universités font aujourd’hui valoir leurs atouts : elles peuvent proposer des formations diplômantes et disposent d’enseignants hautement qualifiés. Afin
de faire évoluer la donne, le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, Thierry
Mandon, a annoncé, le 19 janvier,
le lancement d’un réseau de
12 établissements pilotes, destinés
à expérimenter des solutions de
formation continue adaptées aux
besoins des entreprises.
« Déboucher sur un diplôme »
« Il est vrai qu’il y a encore quelques années, on était surtout positionnés sur l’apprentissage, reconnaît Marie Waltzer, directrice du
développement à l’université de
Cergy-Pontoise, l’un des établissements pilotes. Mais nous avons
depuis développé notre offre. »
L’université propose désormais
des stages courts de mise à niveau
en langues, informatique… de
quelques jours ou étalés dans le
temps, ainsi que des licences
professionnelles et des diplômes universitaires (DU) pouvant
être suivis en temps partiel
(« part time »). « Cela nous demande de réorganiser l’emploi du
temps des enseignants, c’est parfois compliqué, reconnaît Marie
Waltzer. Nous travaillons aussi
beaucoup sur la manière de combiner la formation continue avec
la validation des acquis de l’expérience [VAE], afin de déboucher
sur un diplôme. »
La formation suivie par les salariés de BCA Expertise est éligible au compte personnel de formation (CPF), mis en place en
janvier 2015 et aujourd’hui intégré au compte personnel d’activité (CPA) en débat dans le projet
de loi El Khomri. Ce n’est pas encore le cas de toutes les formations proposées par les établissements universitaires. « Nous
menons un gros travail auprès
des commissions paritaires de
branche afin de faire inscrire nos
formations dans la liste des
formations éligibles au CPF »,
précise Mme Waltzer.
Développer l’e-learning
« Nous souhaitons élargir notre
offre en direction des salariés très
qualifiés sur des filières d’avenir
et correspondant à une forte expertise interne, comme le bâtiment durable ou la transition numérique », fait valoir Elise Violet,
directrice de la Maison de la
réussite et de l’insertion professionnelle à l’université de La Rochelle. Aujourd’hui, la structure
veut offrir plus de formats adaptés, « notamment par le biais de
l’e-learning », indique la directrice. Le développement de la formation à distance est d’ailleurs
l’une des préconisations du rapport du président de l’université
de Cergy-Pontoise, François Germinet, à l’origine de la mise en
place du réseau d’établissements
pilotes.
Reste à voir si le chemin pris
par ces universités défricheuses
sera emprunté par l’ensemble
des universités. p
catherine quignon
QUESTION DE DROIT SOCIAL
par sophie péters
L’important,
tout de suite !
Notre temps de travail est désormais
morcelé. Chaque fin de journée, nous
ressentons, de façon toujours plus
cruelle, une drôle de fatigue, que l’on
pourrait qualifier de « syndrome de la dispersion ». Malgré la fréquence des interruptions ou pour mieux la juguler, nous
tentons de nous en tenir à une liste professionnelle de « choses à faire ». Mais,
entre deux tâches à réaliser, une importante et l’autre urgente, la seconde l’emportera à coup sûr. Pas étonnant de sesentir en permanence « sous pression ».
Foin de manuels de gestion du temps
qui vont nous apprendre à caser encore
plus de choses à faire. Mieux habiter son
temps est une démarche personnelle
qui requiert astuce, créativité, courage
et détermination. Il faut identifier les
« voleurs de temps » (appels imprévus,
personnes qui débarquent à l’improviste, réunions mal préparées) pour
se rendre compte qu’ils nous servent
souvent de prétexte et nous cachent les
vrais bandits, ceux que nous abritons en
secret : perfectionnisme, procrastination,
désorganisation, fatigue, moral à marée
basse, besoin de se sentir valorisé, etc.
Ce sont eux les vrais responsables de
nos débordements permanents. Le plus
dur : apprendre à renoncer. Et apprendre
à refuser. Difficile à mettre en œuvre,
dans une société du « tout, tout de suite »
et de la performance. L’enjeu réside
entre l’urgent et l’important. L’urgent
nous épuise, l’important nous galvanise. Car il apporte la satisfaction de
réaliser quelque chose qui nous tient
à cœur et dont on pourra dégager de la
fierté. De quoi, aussi, ne pas faire dépendre des autres l’estime de soi. L’important est plus que jamais urgent. p
Thibault, 20 ans, serveur, Paris
Faute lourde : faut-il payer les congés acquis ?
S
¶
Francis Kessler
Maître de conférences à l’université Paris-IPanthéonSorbonne
i, au moment de la rupture du contrat
de travail, le salarié n’a pas pris ses
congés payés acquis, l’employeur doit
lui verser une indemnité compensatrice
pour congés non pris. Cette règle s’applique
aussi en cas de démission du salarié ou de
licenciement, quel que soit le motif.
Il existe, toutefois, depuis le décret du
1er août 1936 sur les congés payés, intégré
depuis 1944 dans la partie législative du
code du travail, une exception à cette règle
en cas de faute lourde du salarié.
La faute lourde est celle qui revêt un caractère répréhensible, qui engendre des conséquences d’une particulière gravité, et qui
méconnaît gravement une obligation essentielle de la relation de travail. Elle suppose une intention de nuire à l’employeur
ou à l’entreprise, de la part du salarié.
Le licenciement pour faute lourde est la
sanction la plus grave qu’un employeur
puisse prononcer : en plus d’être privé des
indemnités de congés payés, le salarié n’a
droit ni au préavis et à l’indemnité correspondante, ni à l’indemnité légale de licenciement ni, sauf dispositions explicites, à
l’indemnité conventionnelle ou contractuelle de licenciement.
En 2010, la Cour de cassation a atténué la
sévère sanction de privation de l’indemnité
de congés payés, figurant au deuxième alinéa de l’article L. 3141-26 du code du travail,
en la limitant aux jours de congés acquis sur
la période de référence en cours : les congés
acquis mais non encore pris au titre de
périodes antérieures devaient, en consé-
quence, être indemnisés. Pour des raisons
historiques, la sanction n’est pas applicable
lorsque l’employeur cotise à une caisse de
congés payés (par exemple du BTP) qui se
substitue à lui pour assurer un revenu au salarié absent pour cause de congés.
Inconstitutionnelle
Un plaideur astucieux a fini par obtenir que
la Cour de cassation saisisse le Conseil constitutionnel de la question. Le 2 mars 2016,
les sages de la rue de Montpensier ont
estimé qu’au vu de la mécanique actuelle de
fonctionnement des caisses de congés
payés, il y avait une différence de traitement
injustifiée entre les salariés relevant de ce
dispositif et ceux qui, comme le plaideur,
n’en relevaient pas. Cette différence de traitement constitue donc une atteinte au principe d’égalité : la privation de l’indemnité de
congés payés pour cause de faute lourde est
inconstitutionnelle.
Il n’y a donc plus de différence d’un point
de vue des indemnités en cas de licenciement pour faute grave et pour faute lourde :
le salarié licencié pour un de ces motifs disciplinaires a droit à l’indemnité de congés.
En revanche, en cas de faute lourde, le
salarié n’aura pas droit à la portabilité de la
prévoyance. En effet, dans l’Accord national interprofessionnel 2013 sur la sécurisation des parcours professionnels (repris
par le code de la sécurité sociale), les partenaires sociaux nationaux ont privé le licencié pour faute lourde de cette sécurité
post-contrat de travail. p
Inscriptions jusqu’au 28 mars
lemonde.fr/academie
0123
6 | dossier
0123
MARDI 22 MARS 2016
Le Mondial
de l’automobile
à Paris reste
le premier salon
français.
RGA /REA
Le tourisme d’affaires menacé
par catherine quignon
C
hampionne du tourisme, la
France se serait-elle endormie
sur ses lauriers ? Certes, les
principaux indicateurs sont
au vert. Et les professionnels
de la filière ont même pu clôturer, le 20 mars, le 4e Salon mondial du tourisme à Paris sur un double cocorico : avec
83,7 millions de touristes étrangers en 2014
(40 milliards d’euros de chiffre d’affaires),
l’Hexagone conserve son titre de pays le plus
visité au monde. Et Paris, qui concentre plus
des trois quarts de la clientèle d’affaires de
France, a été désignée, pour la deuxième année de suite, première ville mondiale d’accueil des congrès, au classement 2015 de l’International Congress and Convention Association (ICCA), scruté chaque année par les
professionnels du secteur.
Des atouts, la France en a, et de solides.
Grâce à ses 80 parcs d’expositions et ses
120 centres de congrès, la France peut se targuer d’être l’un des leaders mondiaux en
matière de tourisme d’affaires. Un tourisme
qui rapporte gros : un voyageur « business »
dépense deux à quatre fois plus qu’un touriste de base, s’accordent à dire les acteurs de
la filière. Premier salon français à destination des professionnels et du grand public, le
Mondial de l’automobile a attiré pas moins
de 1,5 million de visiteurs en 2014.
La tenue d’événements professionnels
sur le sol français rapporte 7,4 milliards
d’euros de retombées directes à l’économie,
estime l’agence de développement touristique Atout France. « Un congrès de 5 000 personnes, c’est plusieurs millions de retombées
en quelques jours pour les hôtels, les restaurants, les commerces… Et ce sont aussi des
retombées en termes de notoriété et d’attractivité économique », souligne Denis Zanon, le directeur de l’office du tourisme et
des congrès de Nice.
Mais le tableau comporte des ombres, et
non des moindres. Paris, par exemple. En y
regardant de plus près, la Ville Lumière perd
de son lustre face à ses voisines européen-
Si Paris conserve sa position de leader mondial,
elle est talonnée sur le terrain des congrès
et salons par ses voisines européennes.
Les grandes capitales ont su investir dans
des infrastructures plus adaptées et plus modernes
nes. Profitant de l’augmentation exponentielle du nombre de congrès organisés dans
le monde, Paris en a accueilli seulement
96 % de plus en l’espace de quinze ans, contre 220 % de plus pour Vienne, 225 % pour
Barcelone et 250 % pour Madrid. Plus à l’est,
d’autres destinations explosent également.
« Paris doit aussi compter avec l’émergence
de métropoles comme Singapour, Istanbul ou
Kuala Lumpur », souligne Matthieu Rosy, directeur général de l’Union française des métiers de l’événement (Unimev).
Au-delà de Paris, la France s’est laissée doubler par l’Allemagne et l’Espagne quant au
nombre de congrès organisés sur son sol et à
leur fréquentation. Tandis que Paris arrive à
saturation, les métropoles régionales peinent à prendre le relais. « Paris concentre l’activité des congrès et salons, alors qu’en Allemagne il y a Francfort, Hambourg, Hanovre… »,
constate M. Rosy. Après avoir longtemps figuré dans le top 30 des villes accueillant le
plus de congrès, Nice a désormais chuté dans
les tréfonds du classement ICCA.
Alors que le marché du tourisme d’affaires
connaît une croissance record depuis quelques années, la France peine à en profiter.
Boostées par l’internationalisation des
LA FRANCE S’EST
LONGTEMPS
CONTENTÉE DE
CAPITALISER SUR
LA RENOMMÉE DE
SON PATRIMOINE
échanges et la montée en puissance des pays
émergents, les dépenses mondiales en matière de voyages d’affaires devraient croître
de 6 % chaque année jusqu’en 2019, selon les
estimations de la Global Business Travel Association (GBTA). A lui seul, le marché chinois
connaîtra un pic de 61 % d’ici à cette date. A
l’inverse, le marché français semble avoir atteint une certaine maturité : en 2014, les dépenses des voyageurs d’affaires ont crû de
7,7 % en Allemagne, 6,8 % en Espagne et 5,4 %
au Royaume-Uni, contre seulement 2 % pour
la France, d’après les estimations de GBTA.
LES PAYS À BAS COÛT ÉMERGENT
Si la France s’est longtemps contentée de capitaliser sur la renommée de son patrimoine et l’expérience de ses acteurs pour séduire la clientèle d’affaires, ses atouts touristiques ne suffisent plus. « La France a la
chance de bénéficier d’une attractivité naturelle, mais beaucoup de pays à bas coût sont
en train d’arriver sur le marché et viennent
Un séminaire chez les moines vignerons, au large de Cannes
au large de la croisette, loin du
show-business et des paillettes, les
voyageurs d’affaires en quête de sérénité peuvent se réfugier dans un havre de paix insoupçonné : l’abbaye de
Lérins. A quelques encablures de
Cannes (Alpes-Maritimes), l’île SaintHonorat accueille une congrégation
de moines issus de l’ordre cistercien,
qui promeut le travail comme valeur
cardinale.
En plus de la prière, la vingtaine de
religieux, qui composent la communauté, mène de front plusieurs affaires. Depuis le Moyen Age, la congrégation cultive la vigne sur environ
8 hectares, produisant plus de
35 000 bouteilles de vin par an.
Plus récemment, la congrégation
s’est lancée dans l’hôtellerie et l’accueil de séminaires d’entreprises.
Tout le confort est prévu pour les par-
ticipants : restauration, coffrets cadeaux, location de salles bien équipées… Entre deux réunions, les salariés peuvent se détendre, en participant à une excursion en mer ou à une
dégustation de vins. « Le modeste
snack self-service qui sert des sandwiches est devenu, en quelques années,
un restaurant gastronomique renommé, où l’on sert, au menu, langoustes, champagne et vins onéreux »,
souligne un audit réalisé en 2014 par
le cabinet de conseil maritime Belda.
Une affaire qui marche. Les activités de l’abbaye génèrent près de
5 millions d’euros de chiffre d’affaires
annuel, selon Belda. L’essentiel vient
de son vignoble réputé dans le
monde entier – jusqu’à 250 euros la
bouteille – et de sa compagnie de navigation. Depuis 1988, la congrégation a le monopole sur la liaison ma-
ritime qui dessert l’île, dont elle est
propriétaire. Une situation qui fait
grincer des dents les compagnies locales. L’abbaye de Lérins s’est vu attaquée en justice par Trans Côte d’Azur,
qui contestait ce monopole. En 2014,
la Cour de cassation a finalement validé le monopole dont bénéficie la
congrégation.
Risque de surfréquentation
Alors que l’abbaye continue à faire appel aux dons, où va l’argent gagné par
les moines ? En plus de l’entretien
courant de l’île, une bonne partie a été
réinvestie dans le développement des
activités commerciales et l’achat de
nouveaux bateaux, d’après le rapport
du cabinet Belda. Mais c’est surtout la
restauration du monastère fortifié,
un chantier titanesque qui devrait
s’achever en 2017, qui grève le budget
des religieux. Hors fonds de soutien
publics et privés, la congrégation estime qu’il restera, à sa charge, au
moins 20 % d’un budget de travaux
estimé à plus de 4,5 millions d’euros.
Critiqués sur leur business et le risque de surfréquentation de l’île, les
moines ont récemment mis un frein à
l’accueil de séminaires pour se recentrer sur la spiritualité. « Nous réfléchissons, depuis un an, sur notre économie.
Nous ne sommes pas encore arrivés à
une conclusion définitive », précise
l’abbé Vladimir Gaudrat, qui n’a pas
souhaité répondre à nos questions.
Les voyageurs d’affaires peuvent
néanmoins se rabattre sur un lieu
tout aussi inattendu, situé à quelques
encablures, sur l’île Sainte-Marguerite : le fort qui a servi de prison à
l’homme au masque de fer. p
c. q.
dossier | 7
0123
MARDI 22 MARS 2016
considérablement diluer l’offre », constate
M. Zanon. « La clientèle internationale est de
plus en plus exigeante, reconnaît Sophie Lacressonnière, directrice marketing d’Atout
France. Les Britanniques, par exemple, connaissent très bien l’offre affaires et sont en attente de nouvelles propositions. »
D’autres métropoles ont su proposer des
offres clés en main aux entreprises et aux
organisateurs d’événements, incluant accueil, transports, restauration… à des tarifs
très concurrentiels. « Singapour et Barcelone
ont mené une politique offensive, offrant des
subventions aux organisateurs d’événements », observe M. Rosy.
Paris est en tête des capitales
comptant le plus de congrès…
… mais enregistre la progression
la plus faible depuis 2000
FAUTE DE
STRUCTURES
ADAPTÉES,
DEUX SALONS
IMPORTANTS ONT
QUITTÉ PARIS
POUR HANOVRE
ET MILAN
% DE PROGRESSION
ENTRE 200 ET 2014
NOMBRE DE CONGRÈS
ACCUEILLIS
EN 2014
+ 250 %
CANNES DÉTRÔNÉE PAR BARCELONE
Illustration de cette perte de vitesse : le départ du plus grand congrès de téléphonie
mondial de Cannes en 2006 au profit de Barcelone. Le glamour de la Croisette n’aura pas
suffi à retenir le Mobile World Congress, qui
lui a préféré le dynamisme de la capitale catalane. « Nos capacités d’accueil se sont révélées insuffisantes pour recevoir un événement
de cette ampleur », confie Isabelle Gainche,
directrice commerciale du Palais des festivals et des congrès.
Vieillissants, la plupart des centres de congrès français ont plus de 30 ans et n’ont pas
une taille suffisante pour accueillir les grands
congrès internationaux. Avec deux parcs
d’expositions de plus de 100 000 m², la
France fait pâle figure à côté de l’Allemagne et
de ses huit méga parcs de même envergure.
Faute de place, Paris a perdu le Salon de la machine-outil (EMO) et le Salon de la machine
textile (ITMA), deux gros salons tournants, au
profit de Hanovre et Milan.
Problème de taille, mais pas seulement.
« C’est aussi une question d’image, souligne
Perrine Edelman, directrice adjointe de la
société de conseil Coach Omnium. Barcelone mise sur sa réputation de ville jeune et
dynamique. »
Comme dans bien d’autres domaines, le
centralisme jacobin freine les velléités de développement des métropoles régionales.
« Pour être une destination d’affaires mondiale, il faut avoir une certaine aura internationale et être bien desservi en termes de transports, poursuit Mme Edelman. En dehors de
Paris, peu de villes françaises offrent ça ; seule
Nice possède un aéroport international. »
Paradoxalement, c’est sa relative petite
taille qui fait le succès de Vienne auprès des
organisateurs d’événements. Idéalement située au cœur de l’Europe, la capitale autrichienne concurrence Paris depuis des années dans le classement ICCA. La ville sait
communiquer sur ses atouts, mettant en
avant ses infrastructures bien reliées en métro et ses nombreux hôtels business, relativement bon marché par rapport à Paris.
« Sur une ville de taille moyenne comme
Vienne, il est aussi plus facile de mobiliser
tous les acteurs de la filière autour d’un événement, par exemple pour mettre en place
sur tout le territoire une signalétique adaptée », ajoute M. Rosy. Afin de mieux accueillir
ses visiteurs, Vienne s’est lancée dans la
construction d’une nouvelle gare centrale et
a mis en place la gratuité des transports
pour les congressistes.
+ 220 %
+ 348 %
+ 225 %
+ 171 %
+ 96 %
+ 104 %
+ 115 %
+ 174 %
+ 112 %
214
202
200
193
182
166
142
133
130
118
PARIS
VIENNE
MADRID
BERLIN
BARCELONE
LONDRES
SINGAPOUR AMSTERDAM ISTANBUL
PRAGUE
Les plus grands salons professionnels organisés en France
NOMBRE DE PARTICIPANTS, EN 2014
1 508 899
AUTOMOBILE
806 311
AGRICULTURE
AÉRONAUTIQUE ET ESPACE
739 369
336 186
MAISON ET OBJET
NAUTISME
307 652
ALIMENTATION
303 648
BÂTIMENT
DÉVELOPPER DES OFFRES CIBLÉES
285 503
RESTAURATION ET HÔTELLERIE
236 802
HABILLEMENT
220 399
AGRICULTURE ET ÉLEVAGE
218 872
La France accueille de moins en moins de congressistes
NOMBRE DE CONGRESSITES ACCUEILLIS
365 338
289 039
264 156
EN 2014
233 075
199 100
UNE HÔTELLERIE CHÈRE ET SATURÉE
A l’inverse, les transports et l’hôtellerie sont
deux gros points noirs en France. A
252 euros la nuitée en moyenne, les hôtels
parisiens sont les plus chers d’Europe, selon
les estimations du cabinet PwC parues début mars. Les capacités aussi sont saturées.
« A Nice, le taux de remplissage de nos hôtels
atteint déjà les 68 % hors période de congrès », constate M. Zanon. L’accueil et la propreté ne sont pas non plus à la hauteur des
attentes de la clientèle d’affaires. Inquiets
d’entendre les visiteurs japonais se plaindre
de la saleté de Paris, des tour-opérateurs nippons se sont même lancés dans une grande
opération de nettoyage des jardins du Trocadéro, le 13 mars…
Ce sont toutefois les répercussions des attentats de l’an dernier que les professionnels craignent le plus. « Sur le Salon de
l’agriculture, on a constaté une baisse sensible de la fréquentation en ce début d’année »,
s’inquiète Michel Dessolain, directeur général de l’exploitant Viparis, qui gère les
principaux parcs de congrès et d’exposition
d’Ile-de-France. Preuve de l’ampleur du
problème, le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a annoncé début
mars le déblocage d’une enveloppe de
2,5 millions d’euros pour lancer une campagne de communication destinée à rassurer
la clientèle internationale.
Mais la donne évolue. L’échec de Paris à la
candidature des Jeux olympiques de 2012 a
joué le rôle d’électrochoc. Les grandes métropoles françaises mènent désormais une
politique offensive pour séduire la clientèle
internationale. A Toulouse, Strasbourg,
Nancy… aux quatre coins de la France, les villes agrandissent et rénovent leurs parcs de
congrès. En 2015 a débuté le chantier pharaonique du parc des expositions de la porte
155 541
EN 2000
220 405
312 548
223 140
626 410
ESPAGNE
de Versailles, à Paris, pour un coût estimé à
500 millions d’euros. L’objectif est d’en faire
le plus grand centre de congrès d’Europe
d’ici à 2017. « On a aussi mis en place une “politique du sourire” pour sensibiliser nos collaborateurs à l’accueil sur nos parcs », fait valoir M. Dessolain. Côté transports, les professionnels franciliens misent sur le projet de
liaison express entre Paris et l’aéroport
Charles-de-Gaulle, qui devrait voir le jour
en 2023, et l’ouverture d’une ligne de métro
pour améliorer l’accessibilité du parc des expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis).
Même effort d’investissement à Cannes,
où le mythique Palais des festivals vient
d’achever sa modernisation, avec la création d’une nouvelle salle et le remplacement des 2 300 fauteuils de l’auditorium. A
l’approche du marché du film du Festival de
Cannes, le maire, David Lisnard, communique sur la sécurité et son plan communal
de prévention du terrorisme, s’appuyant
sur l’audit d’un ancien général israélien.
Sa voisine niçoise mise, elle, sur la rénovation de son palais des congrès Acropolis,
achevée en 2015, et le projet de futur parc des
expositions, un bâtiment de 75 000 m² situé
à deux pas de l’aéroport. « On a aussi mis en
place une charte pour mieux travailler avec
les acteurs locaux de la filière et encadrer les
tarifs des hôtels en période de congrès », fait
valoir M. Zanon.
ALLEMAGNE
FRANCE
ROYAUME-UNI
ÉTATS-UNIS
SOURCES : CLASSEMENT ICCA 2014, RAPPORT ICCA « THE ASSOCIATION MEETINGS MARKET »
INFOGRAPHIE : MARIANNE BOYER
Mais toutes les villes n’ont pas les moyens
de leurs ambitions. « Pour attirer la clientèle
d’affaires internationale, on a vu des élus locaux se lancer dans des projets de centres de
congrès
disproportionnés »,
pointe
Mme Edelman. Le taux moyen de remplissage de ces équipements s’élève à seulement 40 % à 50 %. « Si les dessertes en transports et l’offre hôtelière ne suivent pas, ces infrastructures se révèlent difficiles à
rentabiliser », poursuit Mme Edelman.
L’évolution de la demande donne toutefois
une chance aux métropoles régionales capables de proposer une offre originale et bien
positionnée. « Aujourd’hui, la clientèle chinoise s’intéresse à l’œnotourisme, ce qui
n’était pas le cas il y a encore quelques années », constate Mme Lacressonnière. A Bordeaux, les agences événementielles jouent
la carte du vin pour attirer les séminaires
d’entreprises, avec un certain succès. En
Rhône-Alpes, Lyon mise sur ses pôles de
compétitivité dans les domaines du transport et du numérique pour séduire les organisateurs d’événements.
Malgré leurs efforts, les métropoles françaises se retrouvent vite confrontées à des limites structurelles en matière de transports
et d’équipements. Alors que la capitale arrive
à saturation, le nouveau souffle au tourisme
d’affaires viendra peut-être du Grand Paris
et de la réorganisation des régions. p
D’Airbnb à Uber, les plates-formes collaboratives passent à l’offensive
les professionnels du tourisme
n’ont pas fini de subir l’assaut d’Uber
et d’Airbnb. Désireuses de se tailler
une part du gâteau du lucratif marché
du tourisme d’affaires, ces célèbres
plates-formes d’échanges entre particuliers développent à leur tour des offres à destination des entreprises. Fin
juillet 2015, le site de location d’appartements Airbnb a officiellement lancé
son programme Business.
Pour séduire les entreprises désireuses de loger leurs employés à
moindre coût, l’entreprise californienne leur propose des solutions de
facturation sur mesure, ainsi que la
possibilité de réserver des lieux atypiques pour leurs séminaires : lofts,
villas… Au niveau mondial, cette division connaît une croissance de
700 %, selon Airbnb.
Uber lorgne aussi du côté de la
clientèle d’affaires. L’application de
transport s’est positionnée depuis la
fin 2014 sur les trajets professionnels, proposant des options de gestion spécialisées. Selon la plateforme, 200 000 entreprises dans le
monde utilisent ses services. La demande explose : d’après les données
du gestionnaire de voyages d’affaires
Certify, pour la première fois lors du
dernier trimestre de 2015, ses clients
ont davantage choisi Uber (41 %) que
les taxis traditionnels (20 %) et la location de voitures (39 %).
Les Français se positionnent
« Par goût ou pour des raisons économiques, les professionnels n’hésitent
plus à se tourner vers les plates-formes collaboratives, constate Matthieu Rosy, directeur général de
l’Union française des métiers de
l’événement (Unimev). Sur certaines
destinations, comme Paris, ces structures pallient les sous-capacités hôtelières ou le manque de taxis. »
Aux côtés des deux géants de l’économie collaborative, des acteurs
français entendent aussi profiter de
la manne. En France, la plate-forme
de réservation de billets Captain
Train vient de lancer son offre en direction des entreprises, Captain
Train For Business.
Née en 2013, la plate-forme Bird Office propose quant à elle aux entreprises de louer leurs bureaux et leurs
espaces de réunion inoccupés. La
start-up a réalisé un chiffre d’affaires
de 1,3 million d’euros en 2015, contre
seulement 75 000 euros l’année précédente. Autre exemple : sur le segment de l’hébergement, l’entreprise
française MagicStay (anciennement
MagicEvent) entend, de son côté,
concurrencer Airbnb.
En plus de la location de logements
meublés à destination des voyageurs
d’affaires, cette plate-forme née à
Grasse en 2014 propose des services
de conciergerie : pressing, massage…
En septembre 2015, la jeune pousse,
qui compte déjà une vingtaine de salariés, a levé 1,5 million d’euros pour
poursuivre son développement.
« L’offre de ces plates-formes demeure peu adaptée à l’accueil de groupes, nuance toutefois Michel Dessolain, directeur général de Viparis. Par
ailleurs, les lieux d’hébergement proposés sont parfois éloignés des centres
de congrès. »
Autre point noir, la sécurité : selon
une enquête réalisée par le groupe
américain Carlson Wagonlit Travel
(CWT), près de 30 % des voyageurs
d’affaires interrogés craignent les risques de fraude et les problèmes liés à
l’assurance sur les plates-formes collaboratives. Autant d’obstacles qui
restent à franchir pour ces acteurs
afin de conquérir le marché des professionnels. p
c. q.
PAROLES D’EXPERTS
Emploi
En partenariat avec
DOSSIER RÉALISÉ PAR M PUBLICITÉ
> ALTERNANCE <
Une stratégie de pré-recrutement
L’alternance qui englobe l’apprentissage et les contrats de professionnalisation est désormais considérée par les spécialistes comme l’une des voies
les plus eficaces d’insertion des jeunes dans le monde du travail.
Si cette ilière a conquis ses lettres de noblesse elle est paradoxalement en
stagnation, victime de politiques parfois contradictoires.
Les directions des ressources
humaines sont unanimes
dans l’éloge : l’apprentissage,
l’alternance, les contrats de
professionnalisation, l’ensemble des
formules qui permettent de se former
tout en ayant un pied dans l’entreprise
sont une voie royale, une ilière d’excellence, un vivier de futurs CDI. « Les
alternants sont un élément stratégique
de notre politique de recrutement.
Nous avons prévu de signer 2000
contrats en 2016. Ils seront pour la
moitié d’entre eux transformés en CDI
au terme du cursus. Cette stratégie est
un ensemble totalement intégré dans
celle de la société. Nos alternants ne
sont pas laissés sans accompagnement.
Ils sont considérés comme appartenant aux équipes de la banque »
explique Nadia Guermazi-Renucci
Responsable du recrutement, de la
mobilité et de la formation chez BNP
Paribas où l’alternance est un parcours
balisé depuis plus de 20 ans et où la
cohérence entre le cursus, le projet
professionnel et la ilière de formation
est particulièrement scrutée.
Les alternants
sont appréciés pour
leur maturité et
leur engagement
Ce constat très favorable des professionnels ne se retrouve malheureusement
pas encore dans les chiffres globaux de
l’alternance en France. Selon le ministère du Travail qui compile les statistiques en la matière, les contrats
d’apprentissage et d’alternance sont en
recul : il n’y a pas beaucoup plus de
250 000 jeunes dans ces dispositifs. Une
situation cruelle face aux objectifs oficiels qui ixent la mire à 500 000 contrats
effectifs à la in 2017. Si cette ambition
n’est pas utopique, elle est sérieusement
compliquée par les divagations iscales
du gouvernement dans cette affaire mais
aussi par le coût toujours plus élevé de
certaines formations notamment dans
les grandes écoles d’ingénieurs ou de
gestion. Une situation qui ne surprend
pas nos experts. « C’est souvent vrai
pour les formations généralistes. Mais
pour nos métiers qui sont en situation
de pénurie de talents, le frein inancier
de la taxe d’apprentissage n’existe pas.
Tout simplement parce que nous
manquons en réalité de postulants en
capacité d’être considérés par nos
clients qui exigent des diplômés
d’écoles du groupe 1 ou de master 2
très pointus. Nous sommes donc prêts
à investir dans ces formules. En
revanche nous sommes entravés par
l’inadaptation des modes d’alternance
dans le temps de certaines grandes
écoles par rapport à nos exigences
professionnelles » souligne Marlène
Escure Responsable du recrutement de
GFI, une société de services informatique qui prévoit 1800 recrutements
cette année dont 220 alternants et qui
déplore la confusion des rythmes d’alternance entre les formations académiques
et professionnelles. Certaines filières
autorisent des rotations hebdomadaires,
d’autres mensuelles ou à la carte…
Autant d’obstacles à surmonter pour
remplir l’objectif légal d’un quota de
5 % d’alternants parmi le personnel. Ce
ratio n’est en réalité facilement tenu que
dans les grands groupes industriels où
l’apprentissage est une tradition historique comme Michelin, la SNCF ou
EDF. Dans cette famille d’entreprises,
l’alternance diplômante qui est répartie
entre les CAP, les Bac pro et les Bac +3
et Bac +5, les alternants et les CDD en
contrats de professionnalisation sont
généralement bien pourvus. Avec toutefois là aussi des options qui restent
orphelines de candidats : la maintenance, le génie électrique ou la chaudronnerie n’attirent pas sufisamment
de postulants. Peut-être à cause des
exigences de ces formations : il s’agit de
combiner formation académique et
apprentissage professionnel. Une combinaison qui impose beaucoup de travail
et un gros investissement personnel. Les
enseignants évaluent leurs élèves et
leurs capacités à réussir des études sanctionnées par un diplôme. L’entreprise et
les managers dont dépendent les alternants jaugent les capacités à bien tenir
le rôle de salarié. « Nous insistons plus
sur le savoir être que sur les compétences techniques qui sont censées être
acquises. Ce sont les capacités
d’écoute, de diagnostic, d’esprit d’initiative qui priment. On systématise
désormais les tests d’expression écrite
en français avec un coeficient éliminatoire. C’est indispensable car en in
d’alternance nous faisons une proposition de recrutement à 80 % de nos
alternants. » explique Fabrice Losson,
Directeur des relations écoles et marque
employeur de Sopra Steria une ESN qui
recrute 2500 jeunes diplômés Bac +5
par an, et qui a doublé le nombre de ses
alternants en 4 ans. Une société de
service informatique qui embarque par
ailleurs avec beaucoup de succès en
contrat de professionnalisation qualifiante des candidats issus de filières
scientifiques comme la chimie, les
mathématiques ou la physique qui sont
en butée de ces parcours initiaux.
Nadia Guermazi Renucci
Responsable Recrutement, Mobilité interne et Formation
BNP Paribas
« L’alternance est une vielle histoire pour notre banque. Nous y
sommes attachés depuis plus de 20 ans. Ce qui nous permet d’avoir
en interne plusieurs promotions de collaborateurs qui font la
démonstration de son intérêt et des ouvertures qu’elle offre. En 2016,
nous recevrons plus de 2000 alternants dont plus de la moitié
devraient être recrutées au terme de leur parcours de formation. C’est pour nous un des
courants qui alimente notre politique de recrutement et qui s’inscrit dans la stratégie de la
banque. Tous nos postes d’alternance sont en ligne pour des proils qui se répartissent à
égalité entre les Bac+3 et les Bac+4/5. Mais nous avons aussi des offres de formations
diplômantes via le Centre de formation professionnel bancaire reconnu par l’État après Bac+3.
Cela offre des qualiications identiques à un Master 2 avec l’avantage d’une sérieuse expérience
bancaire. Nous sélectionnons essentiellement sur CV et lettre de motivation développant le
projet professionnel. Ce qui impose aux candidats de la cohérence entre le cursus, l’école ou
l’université et le projet personnel. Une fois qualiié, le processus s’enclenche par un premier
entretien avec un opérationnel puis les services RH qui évaluent les capacités d’adaptation du
candidat et la faisabilité matérielle de l’alternance : logement, ressources etc. »
les ilières du
numérique sont en
pénurie d’alternants
Cette ouverture à des profils moins
formatés est un des points forts de l’alternance. Crédit Agricole SA qui maintient
un volume de 3500 contrats d’alternance depuis le niveau L1 jusqu’à M2
et aux écoles de gestion et d’ingénieurs
insiste beaucoup sur la diversité des
talents à attirer : « nous avons depuis
2013 des tests cognitifs destinés à favoriser la diversité de nos alternants. Ce
qui nous a aussi permis de faire émerger des centres de formation, des
écoles et des universités avec qui nous
n’avions pas de liens traditionnels.
L’objectif premier est de les conduire
au succès académique pour qu’ils
aient accès en priorité à nos postes
dans le groupe. Au niveau M2 c’est un
vivier de jeunes talents qui se constitue. On les encourage à se comporter
comme des collaborateurs à part
entière. Ils sont sur le marché de la
mobilité interne et de nos 120 métiers
différents. » souligne Lucie Nicolas
Responsable recrutement groupe au
sein de Crédit Agricole SA.
Pour les candidats, ces contrats qui sont
aujourd’hui bien encadrés, très professionnalisés, sont, en particulier dans les
régions et les filières pénuriques, les
meilleurs accélérateurs d’intégration
dans le monde du travail.
L.PM
Lucie Nicolas
Responsable recrutement Groupe
CRÉDIT AGRICOLE SA
« Nous offrons cette année encore le même volume de contrats, 3500,
aux candidats à l’alternance. Le spectre est ouvert dès le niveau L1
jusqu’à M2 ainsi qu’aux grandes écoles ingénieurs et commerce. Une
moitié de ces postulants seront orientés vers la banque de réseau,
l’autre vers les 120 métiers de toutes natures qui sont pratiqués dans
nos 35 marques commerciales. Très concrètement, nous intégrons ces collaborateurs dont
les missions d’alternance vont de 12 à 36 mois dans des viviers qui sont autant d’accompagnement pour entrer dans la vie professionnelle. Notre volonté c’est qu’ils soient membres
de la communauté et que l’image trop igée de la banque auprès des jeunes diplômés évolue.
C’est particulièrement vrai pour les candidats potentiels issus de la diversité. Depuis 2013
nous avons installé des tests cognitifs pour favoriser leur détection et l’émergence d’écoles
moins formatées qui ont échappé aux radars. Nous procédons aussi à des opérations « speed
dating » dont l’aspect moins formel permet de faire tomber certaines barrières. Une fois
sélectionnés, nous encourageons nos alternants - ils représentent plus de 5 % des collaborateurs et beaucoup plus encore à la Holding- à se comporter comme des collaborateurs à
part entière. Ils doivent se sentir partie prenante du marché de la mobilité interne de l’entreprise. »
Marlène Escure
Responsable recrutement France
GFI Informatique
« Nous avons un plan de recrutement de 1800 personnes pour
l’exercice à venir. 220 d’entre eux bénéicieront de contrats d’alternance. Nos critères de sélection sont désormais assez bien cernés :
en premier lieu l’école, selon les métiers. C’est ainsi que dans le conseil nous sommes axés
sur les établissements de rang 1. Ensuite, la maturité des postulants au regard de leur projet
professionnel et enin leur capacité à sortir du système académique et leur agilité intellectuelle et sociale. Il faut en effet dans les nouvelles activités comme le Big Data ou les projets
Informatique et Telecom être non seulement bien formé mais aussi très ouvert aux mutations
rapides. Les alternants et les stagiaires représentent au total 33 % des effectifs recrutés.
Le frein financier de la taxe d’apprentissage n’existe pas pour nous, c’est au nombre
insufisant de candidats en phase avec nos projets et à des rythmes d’alernance qui ne sont
pas toujours bien adaptés à nos exigences professionnelles que nous sommes confrontés
pour progresser. »
Fabrice Losson
Directeur Relations écoles et Marque employeur
SOPRA STERIA
Les
C
hiffres
500000 1000
44%
nombre de contrats attendus
par les pouvoirs publics fin
2017.
des postulants ont un
diplôme Bac et niveau
supérieur.
€
montant de la
prime à laquelle
peut prétendre
une entreprise
de moins de 250
salariés pour
chaque apprenti.
+ de 300
offres en Alternance
disponibles sur
Emploi
www.lemonde.fr/emploi
en partenariat avec
« Notre entreprise fonctionne avec un business model qui fait une
très large part aux jeunes diplômés : nous recruterons cette année
2 500 CDI opérationnels dont 300 alternants via la ilière diplômante.
En terme de volume de contrats d’alternance cela signiie que nous
avons réussi à doubler le nombre des étudiants accueillis en 4 ans. Néanmoins, cela ne nous
permet pas de remplir nos obligations légales de 5 % d’apprentis ou d’alternants. Cet objectif
est de fait, très exigeant au regard du nombre de nos embauches annuelles. Mais nous sommes
déterminés à poursuivre dans cette voie car cette formule est particulièrement appréciée : les
alternants sont extrêmement matures et déterminés. Nos cibles prioritaires sont les jeunes
diplômés Bac+5 issus des écoles d’ingénieurs, des écoles de gestion pour le consulting et des
écoles spécialisées en informatique. Cela dit, nous ouvrons nos contrats dés Bac+3, notamment
aux licences Pro informatique mais aussi aux chimistes, physiciens ou mathématiciens pour
les accompagner jusqu’au niveau Master 2. Dans ce cadre, nous insistons beaucoup sur le
savoir être, la capacité d’écoute, de diagnostic ou d’initiative. En in d’alternance nous faisons
en moyenne une proposition à 80 % de nos alternants. »
RDV LUNDI 11 AVRIL COMMERCIAUX
REPRODUCTION INTERDITE
MARDI 22 MARS 2016/LE MONDE/9
LES OFFRES D’EMPLOI
DIRIGEANTS - FINANCES, ADMINISTRATION, JURIDIQUE, R.H. - BANQUE, ASSURANCE - CONSEIL, AUDIT - MARKETING, COMMERCIAL, COMMUNICATION
SANTÉ - INDUSTRIES & TECHNOLOGIES - ÉDUCATION - CARRIÈRES INTERNATIONALES - MULTIPOSTES - CARRIÈRES PUBLIQUES
Retrouvez toutes nos offres d’emploi sur www.lemonde.fr/emploi – VOUS RECRUTEZ ? M Publicité : 01 57 28 39 29 [email protected]
Missions principales
• coordonner et développer les enseignements des filières
relatives à l’ingénierie des systèmes d’information et de
décision ;
• développer des activités de recherche, de montage de
projet et d’encadrement doctoral ;
• mettre en œuvre une politique de difusion de la culture
scientifique et technique sur les enjeux de l’informatique
d’entreprise ;
• coordonner et développer les activités de son domaine
dans les centres Cnam en région.
Profil recherché
• avoir occupé dans le domaine concerné un poste de
direction dans une entreprise importante ou dans
l’enseignement supérieur ;
• posséder une expérience pédagogique significative dans
l’enseignement supérieur pour un public adulte ;
• posséder une HDR (habilitation à diriger des recherches)
est un plus ;
• démontrer sa capacité de pilotage d’actions dans les
domaines de la formation et de la recherche ;
• avoir publié ou dirigé des ouvrages et articles de
recherche significatifs et reconnus.
Le Conservatoire national des arts et métiers est un établissement
public d’enseignement supérieur à caractère scientifique, culturel
et professionnel. Il est organisé en réseau, dont le siège est à Paris.
La diversité et la richesse des équipes du Cnam dotent l’établissement
d’un large spectre de compétences, couvrant pratiquement tous
les champs professionnels, des sciences de l’ingénieur aux domaines
de l’économie, de la gestion et des sciences sociales.
Contact
Isabelle Wattiau
[email protected]
Tél. 01 58 80 87 14
Candidature à adresser au plus tard le 23 avril 2016 inclus, le cachet
de la poste faisant foi, à l’adresse suivante :
DRH - Service des personnels enseignants
Recrutement PRCM Ingénierie des systèmes d’information
292, rue Saint-Martin – Case courrier 4DGS03
75003 Paris
© S. Villain, Cnam production
Homologué par le Ministère de l’Education Nationale,
afilié à la Mission Laïque Française, localisé sur
5 campus dans les comtés de Los Angeles et d’Orange
recherche
Directeur
académique
le proil du poste et les modalités de candidature
sont disponibles au lien suivant :
http://goo.gl/xAk2C1
www.internationalschool.la
La SATT PULSALYS
recrute son :
Président (h/f)
Les Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT) ont été créées à l’initiative du Programme des Investissements
d’Avenir. La SATT PULSALYS est une Société par Actions Simplifiée (SAS) dont les actionnaires sont l’Université de Lyon, le
CNRS et la Caisse des Dépôts. Son activité consiste à investir sur des projets de valorisation de résultats de recherche de
ses actionnaires pour les protéger au travers de la Propriété Intellectuelle et apporter la preuve de concept au travers d’une
phase de développement technologique (maturation). PULSALYS peut ensuite commercialiser cette Propriété Intellectuelle à
des entreprises à travers des licences d’exploitation. Dans le cadre de la valorisation et la promotion des innovations,
PULSALYS accompagne la création des start-ups à travers son incubateur
Le Président exécutif aura la charge d’élaborer et d’organiser la mise en œuvre de la stratégie et des activités de la
société et de pourvoir aux moyens humains et financiers
pour les réaliser, conformément au plan d’affaires approuvé
par le Conseil d’Administration. Président de la société et
mandataire social, c’est un manager confirmé qui possède
une solide expérience de direction de structure (entreprise
ou autre) et des relations public/privé dans le domaine du
transfert de technologies.
La fonction exige :
• La maîtrise du rôle de manager dans ses aspects organisationnels et relationnels (équipe pluri disciplinaire d’environ
30 personnes),
• La capacité de concevoir, négocier et piloter des
projets,
• La capacité à fédérer et à évoluer dans un environnement
complexe,
• La maîtrise des budgets et le développement du plan
d’affaires,
• Une connaissance du milieu de l’entrepreneuriat, de l’in-
novation et de la recherche, en milieu académique et
industriel,
• Une expérience des mécanismes de protection de la
propriété intellectuelle, de leur transfert au monde socioéconomique (licensing, start-up) ainsi que des modalités de
financement.
Profil : F/H de formation supérieure, possédant une expérience de plusieurs années dans la direction de structure,
l’animation de réseaux de partenaires publics et privés et
une expérience à l’international. À l’aise dans les négociations en français comme en anglais, elle/il maîtrise les
techniques de gestion économique et financière et possède
des qualités relationnelles et de communication ainsi qu’une
grande capacité d’adaptation. Une attention particulière
sera attachée à l’expérience de management d’équipes
hautement spécialisées et de petites tailles.
La rémunération sera fonction du profil et de l’expérience.
Le poste est basé au siège social de la SATT à Villeurbanne
(campus Lyontech - La Doua).
Candidature (lettre de candidature et CV) à adresser avant le 15 avril 2016 à Khaled Bouabdallah, président de
l’université de Lyon à l’adresse suivante : [email protected]
1er quotidien
des cadres et dirigeants
avec 618 000 lecteurs Premium
(+16% vs 2013)*
Source AudiPresse Premium 2014, LNM
Le Groupe Scolaire la Résidence de Casablanca, établissement partenaire de l’AEFE, homologué de la maternelle à la
terminale, recrute pour la rentrée scolaire 2016/2017 :
• Professeurs des écoles
• Professeurs certiiés/agrégés
• Titulaires ou non titulaires du
MEN français
• Professeurs documentalistes
• Personnel de Direction
Les candidats sont priés d’adresser leurs
CV avec photo et lettre de motivation
par email à l’adresse suivante : [email protected]
www.gsr.ac.ma
> Offres d’emploi
Le Conservatoire national des arts et métiers recrute
un professeur pour la chaire Ingénierie des systèmes d’information
10 | MÉDIAS&PIXELS
0123
MARDI 22 MARS 2016
L’« Uber économie » à la peine aux Etats-Unis
Faute de rentabilité, les fermetures de start-up de services à la demande se multiplient outre-Atlantique
san francisco - correspondance
D
ans les rues de San
Francisco, les voitures
arborant le drapeau
rouge de SpoonRocket
ont livré leur dernier repas. Mardi
15 mars, la start-up californienne a
brutalement fermé ses portes.
« Nous avons fait face à une intense
concurrence et au resserrement
des financements », ont expliqué
ses dirigeants. Fondé en 2013 à Berkeley, de l’autre côté de la baie,
SpoonRocket n’avait jamais gagné
d’argent. Malgré 11 millions de
dollars (9,7 millions d’euros) levés
en 2014, les caisses étaient vides.
Ces derniers mois, la société avait
cherché de nouveaux investisseurs, mais n’a pu que constater
« le manque d’intérêt des fonds de
capital-risque pour les start-up de
l’économie à la demande ».
Aussi appelée « Uber-économie », en référence au service
américain de voitures avec chauffeur (VTC), l’économie à la demande est un concept à la mode
dans la Silicon Valley. De nombreuses jeunes pousses ont surfé
sur cette vague pour mener d’importants tours de table. Le cabinet
CB Insights compte plus de 200
sociétés dans ce secteur. En excluant Uber et son rival chinois
Didi Kuaidi, elles ont levé 7,4 milliards de dollars en 2015.
Nécessaire hausse des tarifs
Ces sociétés promettent de répliquer le succès d’Uber dans
d’autres secteurs. Courses, repas,
ménage, pressing, parking et
même massages… Tout ou presque est désormais accessible à la
demande, en quelques clics seulement depuis un simple site Web
ou une application mobile. « Cela
ne représente encore qu’une petite
portion de l’activité économique
mais il existe un formidable potentiel de croissance sur de nombreux
marchés », juge Arun Sundararajan, professeur à la Stern School of
Business.
Les sociétés
doivent proposer
un service bon
marché et des
rémunérations
attractives. Une
équation délicate
Comme la populaire plateforme de VTC, ces start-up ont un
important
besoin
de
main-d’œuvre. Pour limiter leurs
coûts, elles se sont construites
autour du recours à des travailleurs indépendants : non salariés, ils sont payés à la tâche. Quelques dollars à chaque trajet ou livraison mais pas de protection sociale. Un modèle low cost qui
devait permettre à ces services de
ne pas être hors de prix tout en
étant rentables.
Depuis quelques mois, pourtant, les signaux d’alarme se multiplient. A l’été 2015, la société de
ménage à domicile Homejoy avait
été la première à faire faillite. Les
causes étaient déjà les mêmes :
une activité structurellement déficitaire et l’incapacité d’attirer de
nouveaux investisseurs. Début février, la start-up Zirx a fermé son
service de voituriers à la demande, invoquant une rentabilité
trop difficile à atteindre.
D’autres sociétés ont dû ajuster
leur modèle. Elles ne veulent pas
utiliser trop rapidement leur trésorerie dans un contexte de levées de fonds plus rares. DoorDash a ainsi abaissé les commissions versées à ses chauffeurs
pour chaque repas livré. Shuddle,
un service de VTC pour les familles et les enfants, a récemment
augmenté ses prix de 20 %.
L’exemple le plus symbolique
est celui d’Instacart, qui se propose de faire les courses de ses
clients dans le supermarché du
coin. La start-up a levé 275 mil-
Homejoy a été la première start-up californienne de service à la demande à faire faillite, à l’été 2015. JENS KALAENE/PICTURE-ALLIANCE/DPA/AP
lions de dollars et est valorisée à
2 milliards de dollars. Fin 2015, elle
a d’abord revu ses tarifs à la
hausse, la livraison passant de 4 à
6 dollars. Elle a également licencié
douze recruteurs. Ce mois-ci, elle
a nettement abaissé les commissions versées à ses collaborateurs
indépendants.
« C’est une crise de croissance, estime M. Sundararajan. La technologie et la demande existent. Il
s’agit maintenant de trouver le bon
modèle. » Les sociétés de l’économie à la demande perdent encore
beaucoup d’argent. L’équation est
délicate à résoudre. D’un côté, elles doivent proposer un service
bon marché afin d’atteindre leur
taille critique. De l’autre, elles doivent offrir des rémunérations attractives pour recruter puis conserver leur main-d’œuvre.
Chez Instacart, six livraisons
sur dix s’effectuent ainsi à perte :
leur coût direct est supérieur au
prix facturé au client. A cela, il
faut ajouter tous les autres frais
de la société : les salaires des employés, notamment des ingénieurs, les dépenses de marketing
pour attirer de nouveaux adep-
Le patron de Telecom Italia jette l’éponge
sous la pression de Vivendi
Le mandat de l’Italien Marco Patuano courait jusqu’à avril 2017
rome - correspondant
P
as à pas, Vincent Bolloré, le
patron de Vivendi, impose
sa stratégie et ses hommes
en Italie. Devenu, à travers sa société, le premier actionnaire de Telecom Italia, avec 24,9 % du capital,
le Breton est parvenu à placer quatre de ses proches au conseil d’administration du premier groupe
de télécommunication transalpin,
en décembre 2015. Il est en passe
désormais d’obtenir la tête du directeur général, Marco Patuano.
Tout le week-end, les rumeurs
d’un départ imminent de ce dernier ont bruissé. Selon l’AFP, l’administrateur délégué de Telecom
Italia aurait remis sa lettre de démission samedi 19 mars. « Les
Français de Telecom Italia licencient Patuano », a titré dimanche
20 mars le journal Il Fatto quotidiano. Lundi matin, le groupe a
confirmé, à la demande de la Consob, le gendarme italien de la
Bourse, que des « négociations »
étaient en cours sur « la suspension des mandats » de M. Patuano.
L’officialisation de son départ
pourrait avoir lieu lors d’un conseil d’administration extraordinaire, lundi ou mardi. Le partant
recevrait une indemnité de 7 millions d’euros.
Depuis que Vivendi a pris les
commandes de Telecom Italia en
se présentant comme « un partenaire de long terme », les jours de
M. Patuano – entré dans la société
en 1990 et qui en était devenu administrateur délégué en 2008 –
étaient comptés. M. Bolloré demandait « une discontinuité » dans
la gestion de l’opérateur qui,
en 2015, a affiché des pertes de
72 millions d’euros contre 1,2 milliard de bénéfices l’année précédente. Le plan d’économies de
600 millions d’euros pour la période 2016-2018 présenté par
M. Patuano a été jugé trop modeste par les actionnaires, qui réclament 1,2 milliard de coupes supplémentaires, selon le site du quotidien économique Il Sole 24 Ore.
Contacts avancés avec Mediaset
Des divergences stratégiques se
seraient également fait jour entre
le directeur général et ses nouveaux patrons. Le plan de relance
imaginé par M. Patuano, dont le
mandat courait jusqu’à avril 2017,
prévoyait de concentrer les investissements (environ 12 milliards
d’euros) sur le développement de
l’Internet haut débit, un domaine
– considéré comme stratégique –
dans lequel l’Italie accuse un notable retard. L’Etat italien avait entériné cette stratégie en prévoyant de faire entrer la Caisse des
dépôts transalpine, la Cassa depositi e prestiti, dans ce montage.
Le plan
d’économies
de 600 millions
d’euros aurait
été jugé trop
modeste par
les actionnaires
M. Bolloré a-t-il d’autres priorités ? Ses contacts très avancés avec
Mediaset, le groupe de communication de Silvio Berlusconi, pour
contrôler la chaîne payante Mediaset Premium, laissent supposer que Vivendi pourrait s’intéresser davantage aux activités de
contenus qu’aux « tuyaux ». Le
groupe a récemment acquis des
parts de la société de production
française Banijay Zodiak et, selon
le quotidien Il Corriere della sera,
serait sur le point de conclure ses
négociations avec la société Cattleya. L’enjeu est de bâtir au plus
vite un groupe en mesure de concurrencer Sky et Netflix. « Après
des années de confusion au niveau
de l’actionnariat, Telecom Italia a
enfin un actionnaire de référence »,
analyse Il Fatto quotidiano.
Matteo Renzi, le premier ministre, pourrait également soutenir
les ambitions de l’industriel bre-
tes, les campagnes de recrutement, les frais généraux…
La situation est d’autant plus
compliquée que des incertitudes
juridiques pèsent aux Etats-Unis
sur le recours aux travailleurs indépendants. Plusieurs procédures
ont été lancées contre Uber, son rival Lyft, la plate-forme de livraison
Postmates ou le service d’envoi de
colis Shyp. Les plaignants estiment qu’ils auraient dû être considérés comme des salariés.
Plusieurs start-up ont pris les devants, optant désormais pour un
statut classique. Cela n’est pas
sans risque. « Quand nous avons
salarié nos collaborateurs, nos
coûts se sont envolés, prévenait
l’été dernier Maren Kate Donovan,
fondatrice de Zirtual, sauvé in extremis de la faillite. Un employé
coûte entre 20 % et 30 % de plus
qu’un travailleur indépendant. »
« Même si les coûts augmentent,
l’économie à la demande restera
plus efficace que le système traditionnel », rétorque M. Sundararajan. Il prédit ainsi le développement de clones d’Uber dans le domaine de la santé et de l’emploi.
jérôme marin
Pour Mark Zuckerberg,
Pékin vaut bien un footing
shanghaï - correspondance
T
ton, considérant désormais le
premier actionnaire privé de la
banque d’affaires Mediobanca
comme un acteur incontournable. Le 7 mars, en conclusion du
sommet franco-italien de Venise,
le président du conseil avait paru
donner son feu vert, saluant la
possible « naissance d’un pôle
européen » de télécommunications issue de la fusion entre Telecom Italia et Orange.
En l’absence de directeur général, c’est le président de Telecom
Italia, Giuseppe Recchi, qui prendra ses fonctions par intérim. Ce
dernier, ex-président de l’ENI, affiche de très bonnes relations avec
Vincent Bolloré, au contraire de
M. Patuano, réputé trop à l’écoute
des petits actionnaires qui se méfiaient de l’arrivée de Vivendi. Selon la presse italienne, Vivendi
aurait déjà approché plusieurs
hauts dirigeants. Parmi les noms
cités, on trouve celui de Flavio
Cattaneo, administrateur délégué
du transporteur ferroviaire privé
NTV, qui assure ne pas être intéressé par le poste, celui de Max
Ibarra, l’actuel administrateur délégué d’un autre opérateur de téléphonie, Wind, celui de Corrado
Sciolla, président de Bt Global Services Europe ou encore celui de
René Obermann, ex-manageur de
Deutsche Telekom. p
out sourire devant le portrait de Mao, le fondateur de Facebook a annoncé son arrivée à Pékin vendredi 18 mars
par la photo d’un footing sur la place Tiananmen. Ignorant la pollution comme l’histoire sanglante de la place centrale
de la capitale chinoise, Mark Zuckerberg a voulu faire de son passage en Chine un nouvel épisode de son histoire d’amour avec le
pays qui continue de bloquer l’accès au réseau social. Dimanche
20 mars, il a été reçu par Liu Yunshan, l’une des sept personnalités politiques les plus puissantes du pays. Il dirige la propagande
chinoise depuis une quinzaine d’années et c’est de lui que dépend en grande partie la présence de Facebook en Chine. Et l’accès à ses presque 700 millions d’internautes. En 2015, Mark Zuckerberg s’était entretenu avec Xi Jinping quand le président
« EH MARK, TU AS
chinois avait visité la Silicon Valley.
VU LES TANKS ? »
La stratégie médiatique de Mark Zuckerberg est atypique. En affaires, le secret est
UN UTILISATEUR
habituellement de mise. D’autant plus en
DE FACEBOOK
Chine où la seule communication autorisée traite de ce qui est positif. Avant le PDG
de Facebook, d’autres géants de l’Internet ont négocié leur présence en faisant profil bas. Zuckerberg, au contraire, multiplie les
déclarations d’amour. Marié à une Américaine d’origine chinoise, il apprend le mandarin. Ses progrès sont commentés par
les internautes chinois après chaque conférence qu’il a donnée
en chinois. Cette fois-ci, lors d’une conversation avec Jack Ma,
fondateur d’Alibaba, le plus grand groupe Internet de l’empire du
Milieu, le fondateur de Facebook s’est cantonné à l’anglais. Suscitant une avalanche de commentaires, malgré un contenu assez
décevant pour un échange entre ces deux entrepreneurs du Net.
Pour l’instant, rien de concret côté chinois ne permet de savoir
si le dossier Facebook avance. Mais Pékin n’hésite pas à utiliser
Mark Zuckerberg pour sa propagande interne. Samedi, aux côtés
du fondateur de Facebook, Liu Yunshan a souligné le succès du
développement de l’Internet « avec des caractéristiques chinoises ». Ce que n’ont pas manqué de relever des « amis » de Zuckerberg, en commentant la photo du footing : « Eh Mark, tu as vu les
tanks ? », ironise un utilisateur en référence à la répression du
soulèvement étudiant de 1989. Voilà déjà un message que devra
censurer Facebook pour entrer en Chine. p
philippe ridet
simon leplâtre