Le Monde
Transcription
Le Monde
MARDI 22 MARS 2016 72E ANNÉE – NO 22140 2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO La visite historique d’Obama à Cuba, nouvelle étape du rapprochement ▶ Le président américain devait rencontrer, lundi 21 mars, à La Havane, son homologue cubain Raul Castro la havane - envoyé spécial I LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3 Environnement Les coûts cachés et exorbitants des pesticides LIR E PAGE 8 l n’a fallu que trois heures à Barack Obama pour remonter le cours de l’Histoire. Les trois heures nécessaires à son Air Force One pour rallier La Havane, dimanche 20 mars, après plus d’un demisiècle d’une guerre froide tropicale soldée par un rapprochement « historique », le 17 décembre 2014. C’est d’ailleurs le terme que le président des Etats-Unis a utilisé pour qualifier sa visite, la première d’un président américain en exercice depuis 1928, lorsqu’il s’est adressé au personnel de l’ambassade – rouverte par le secrétaire d’Etat John Kerry sept mois plus tôt –, première étape d’une visite de trois jours. Enquête La vague bague de Jeanne, relique épique du Puy du Fou Trois mille spectateurs sont venus admirer l’anneau acheté à prix d’or et attribué à la Pucelle. Une grand-messe identitaire et catholique, d’un monde traditionaliste qui attend son homme providentiel gilles paris → LIRE LA SUITE ET LE REPORTAGE DE FLORENCE AUBENAS PAGE 2 1 Assurances Henri de Castries quitte Axa sans préavis LIR E PAGE 1 5 ÉDITORIAL Barack Obama, dans la vieille ville de La Havane, dimanche 20 mars. OBAMA EN VEDETTE AMÉRICAINE CARLOS BARRIA/REUTERS LIR E PAGE 2 5 Politique La droite goûte fort le cumul des mandats LIR E PAGE 1 4 Salah Abdeslam, pivot de la logistique des attentats ▶ La capture de Salah Ab- ▶ Il a affirmé qu’il devait ▶ Il est soupçonné d’avoir ▶Me Sven Mary, le combatif deslam, le dernier rescapé des commandos du 13 novembre, devrait offrir un utile éclairage sur la menace terroriste en Europe « se faire exploser au Stade de France » ; les policiers pensaient plutôt qu’il préparait un attentat dans le 18e arrondissement accueilli les terroristes en Europe et a eu, selon les enquêteurs, « un rôle central » dans la préparation logistique des attentats avocat du terroriste en Belgique, est un familier du procès de rupture et déplaire ne lui a jamais déplu. Portrait Syrie Entretien avec Mohamed Allouche, le négociateur de l’opposition F RA N CE – LIR E PAGE S 1 0 - 1 1 LIR E PAGE 6 Migrants L’Ofpra refuse les renvois en Turquie L’ Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a déclaré, dimanche 20 mars, qu’il ne participerait pas à la mise en œuvre de l’accord liant l’Union européenne et la Turquie. L’Ofpra, seule instance habilitée à délivrer le statut de réfugié au nom de la France, estime que ce texte, signé vendredi 18 mars, qui autorise le renvoi en Turquie de Syriens éligibles à l’asile en Europe, en- tre en contradiction avec ses valeurs. Si les homologues européens de l’office devaient en faire autant, l’accord avec la Turquie deviendrait difficile à mettre en place. En attendant, la position de l’Ofpra pourrait accélérer l’arrivée des 30 000 réfugiés que la France s’est engagée à accueillir avant la fin de 2017. maryline baumard L A S U IT E PAGE 1 2 → LIR E LE REGARD DE PLANTU Les deux jeunesses musulmanes de France par HUGUES LAGRANGE Le sociologue constate qu’il n’y a pas de communauté homogène chez les Français issus des migrations musulmanes, mais deux jeunesses, l’une ayant rejoint l’élite, l’autre en échec. Comment réduire cette fracture ? DÉBATS – LIR E PAGE 2 3 Rencontre Comment Iggy Pop a ravivé ses années Bowie MUSÉE DU LUXEMBOURG 9 MARS • 10 JUILLET 2016 CHEFS-D’ŒUVRE DE BUDAPEST DÜRER,GRECO,TIEPOLO,MANET,RIPPL-RÓNAI… József Rippl-Rónai, Femme à la cage (détail), 1892. Budapest, Galerie nationale hongroise. Conception solennmarrel.fr LIR E PAGE S 1 8 - 1 9 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA INTERNATIONAL 2| 0123 MARDI 22 MARS 2016 L’avion du président Barack Obama, Air Force One, quelques instants avant son atterrissage à l’aéroport de La Havane, dimanche. REUTERS Cuba, à l’heure d’Obama et du Web censuré Le président des Etats-Unis effectue une visite historique sur l’île, où les accès à Internet restent sous contrôle REPORTAGE la havane - envoyée spéciale C hoisir la plus belle chemise et la plier soigneusement. La ranger dans un sac en plastique à côté de l’ordinateur, pour la préserver du trajet dans l’étuve rugissante d’un autobus à travers La Havane. Ne pas oublier le peigne. Descendre à l’arrêt près des rues Galeano et San-Rafael, un petit square en plein centre-ville. Là, enfiler la chemise. Se recoiffer au milieu de la foule, comme pour un rendez-vous galant. Tout le monde le fait, même les filles se maquillent sur la place, il n’y a pas à se gêner. Puis sortir l’ordinateur. Et c’est parti. Dans l’arène de ce petit square, jour et nuit, se joue une des folies cubaines, des gens par centaines, de tous âges, venus parfois de très loin, pour s’agglutiner ici : « Galeano y San-Rafael » est l’un des rares hotspots de la capitale, où des citoyens peuvent se connecter sur Internet. A Cuba, l’accès au Wi-Fi est un des plus restreints et contrôlés du monde : 150 000 habitants sur 11 millions ont pu se brancher chaque jour en 2015, bien moins qu’en République dominicaine ou en Haïti. Ici, sur le Net, tout est à la fois légal et illégal, permis et interdit, une zone grise, ambiguë pour laquelle – notamment – un nom a été inventé : « a-légal ». Dans le cadre de la visite à Cuba du président des Etats-Unis, Barack Obama, du 20 au 22 mars, la délégation américaine vient encore de le répéter : les télécommunications constituent sa priorité dans les relations renaissantes avec le régime castriste, les entreprises du secteur viennent même d’être les premières autorisées à rompre l’embargo, imposé ici depuis 1962. Pour réponse, Cuba a mis sur la table les onze dossiers dont elle souhaite débattre dans ce nouveau contexte international : médecine, agriculture, transport… Les télécommunications Le gouvernement revendique le blocage de sites traitant de « pornographie, terrorisme ou anticastrisme » n’y figurent pas, ostensiblement. A vrai dire, le gouvernement cubain s’est longtemps arrangé de ce sous-équipement technologique. « Il a mis du temps à mesurer l’intérêt d’Internet », estime Iroel Sanchez, blogueur local et fonctionnaire au ministère des télécommunications. Et puis, cela aidait au contrôle, pour ne pas dire à la censure. « Ici, il faudrait être fou pour ne pas y penser », dit Maria, une jeune chercheuse. Des contestataires sur la Toile en ont été sévèrement victimes, le gouvernement revendique le blocage de sites traitant de « pornographie, terrorisme ou anticastrisme ». Au sein du régime, quelques voix tonnent toujours contre « l’utilisation massive d’Internet qui véhicule en soi une idéologie nuisible ». « Ils vont devoir lâcher du lest » Chez Coppelia, le grand glacier de La Havane, un groupe d’étudiants patiente dans la file au comptoir qui propose les parfums nougatchocolat. Si on préfère fraise-pistache, il faut attendre dans une autre queue. Et si on veut chocolat mais avec de la pistache ? « Impossible : la crème glacée aussi est bureaucratique ici », commente un petit blond, casquette Batman, un ordinateur sous le bras, loué 2 pesos cubains convertibles (2 dollars) à un ami pour l’après-midi. Avant 2008, les citoyens ne pouvaient pas en posséder. Aujourd’hui, c’est possible mais trop cher, avec des salaires de 25 pesos cubains convertibles par mois en moyenne. « Le régime n’arrive plus à suivre, à tout contrôler : ils vont devoir lâcher du lest », reprend le petit blond. « Des pans entiers de la vie sont en train de basculer les uns après les autres dans une sorte d’autogestion, où chacun pousse pour faire bouger les lignes rouges. » Dans le square Galeano-y-SanRafael, la plupart viennent « wifiter » – c’est le terme en vogue – avec les amis ou la famille à l’étranger. « Tout le monde a au moins trois copains qui sont partis. Je dois me refaire de nouveaux amis tous les cinq ans », dit un vendeur dans le sport. Il fixe sa fiancée, yeux dans les yeux, écran contre écran, soupirant : « Chaque fois que je t’appelle, tu es en train de faire la même chose : tu te regardes dans le miroir. » A côté, deux cousines sont passionnément connectées avec une troisième : « Ramène-nous des chaussures à talons, même si elles sont cassées. S’il te plaît, ne jette rien. » Puis, on parle d’un oncle. « Il nous a bien eues, quand il est arrivé de Miami. Il portait des chaînes en or, mais elles étaient louées. » Une femme vend des gélules de poisson, envoyées d’Australie. Une autre des raisins. Ici, on loue un smartphone à l’heure. Son propriétaire soutient l’avoir reçu en s’enrôlant dans les comités de défense de la révolution (CDR), ces groupes de citoyens qui surveillent chaque pâté de maison. « Plus personne ne veut faire de garde, alors on en promettait un aux volontaires. Maintenant, ils ont arrêté : même pour un mobile, ça ne marche plus. » Les cartes pour se connecter s’achètent chez Etecsa, entreprise d’Etat qui détient le monopole des télécommunications : l’heure coûte 2 pesos cubains convertibles, contre 4,5 en 2013, date de l’ouverture des premiers points de connexion aux particuliers. De toute façon, il n’y en a généralement pas assez, la vente se limite souvent à 5 par personne, les files d’attente s’éternisent devant les agences, parfois en vain. Quant aux connexions chez soi, moins de 4 % des Cubains en disposent. Différents trafics se sont immédiatement organisés, des réseaux Intranet secrets entre jeunes gens ou le lancement du « paquete », la dernière invention qui a rallié 98 % des Cubains et pousse jusqu’à la perfection le concept d’« alégal ». Trois jeunes gens ont, en effet, eu l’idée de commercialiser chaque semaine 1 000 Go de téléchargements, où se mélangent tous les programmes télé – ou presque – piratés les jours précédents sur les grandes chaînes internationales (interdites), séries, infos, films, auxquels s’ajoutent des produits cubains spécifiques, publicité de commerçants (interdits), petites annonces (interdites), un magazine people (interdit). « Le gouvernement sait que ça existe, fait savoir qu’il le sait, mais le tolère tant que la politique n’est pas abordée. Les gens du paquete s’en tiennent soigneusement éloignés », explique un de leur proche. La politique ? « Oui, beaucoup d’officiels à Cuba sont persuadés qu’Obama veut faire tomber la Ré- volution en implantant Netflix et qu’il en va de notre souveraineté nationale. » L’arrivée du câble de fibre optique ne remonte ici qu’à il y a quatre ans, lors d’une opération hallucinante à laquelle assistaient deux ministres et un commandant en chef de la Révolution. Comme un gigantesque fil électrique qui viendrait enfin brancher l’île au reste du monde, le câble Alba-1 a atteint un bout de plage du côté de Santiago-deCuba, le 9 février 2011, après s’être déroulé pendant 1 600 km sous la mer. Il partait du Venezuela, vieil allié du régime castriste, à qui le pétrole permettait encore quelques largesses. Miami et son prodigieux réseau de fibre optique ne sont pourtant pas loin : la qualité serait incomparable. « Un jour, j’aurai mon ordinateur » Peu avant la visite de M. Obama, Washington avait proposé un raccordement à La Havane : le régime est ouvert « à la discussion, mais c’est une discussion qui s’annonce très lente », selon Daniel Sepulveda, haut responsable d’Etat américain chargé des télécommunications internationa- les, au site On-Cuba. « C’est une question de confiance, confiance du gouvernement cubain envers nous, comme gouvernement, et envers nos entreprises ou opérateurs » de ce secteur. Aucune décision n’a été prise. Dans le square, un petit jeune homme fourgue des cartes Etecsa, de la main à la main, à peine plus cher qu’à la boutique. « Je les obtiens par lot de 90, grâce à la corruption d’employés », expliquet-il, un petit diamant dans la narine. « C’est mon signe commercial. » Au square, officie une trentaine de revendeurs, chacun son réseau d’approvisionnement, mais tous au noir et habitant le quartier. « Les autres, on les dénonce à la police. » Petit Diamant s’interrompt pour échanger quelques coups avec un concurrent afin de savoir lequel des deux vendra une carte à une métisse affolante. Petit Diamant a perdu. Avant, il faisait vélotaxi, mais « les cartes, c’est plus chic ». Il n’ose le dire, puis se lance : « Un jour, moi aussi, peut-être, j’aurai mon ordinateur. » Sa lèvre tremble un peu de formuler tant d’ambition. p florence aubenas Une première très encadrée suite de la première page M. Obama est remonté ensuite en amont – avant la rupture américano-cubaine et l’imposition d’un embargo qui continue d’empoisonner l’île longtemps rebelle – en déambulant en famille, sous une pluie fine et persistante et sur des pavés glissants, dans le quartier historique de La Havane. Les autorités cubaines avaient dissuadé la population, les jours précédents, de converger vers un centre-ville placé sous haute sécurité. Les Cubains présents ont pourtant fait bon accueil au président, accompagné par sa femme Michelle et ses deux filles, Sasha et Malia. Un artiste local, Ares, avait adressé quelques jours auparavant un message de bienvenue particulier au président, en le revêtant de la guayabera, la chemise traditionnelle, un cigare glissé dans l’une des poches, devant le mémo- rial érigé en mémoire du héros national José Marti. « Yes we came », proclame le dessin, dans un clin d’œil au « Yes we can » du candidat Obama de 2008. Raul Castro, qui devait recevoir son homologue américain lundi, ne s’est pas déplacé à l’aéroport pour accueillir Barack Obama, ce qui constitue une entorse au protocole, à moins que ce ne soit un signe de la santé déclinante du chef de l’Etat cubain, âgé de 84 ans. Cela n’a pas empêché sa police politique de sévir, aussi bien à La Havane qu’en province, contre les dissidents qui s’entêtent, tous les dimanches, à défendre le droit de manifester pacifiquement. Parmi les interpellés figurait Berta Soler, porteparole des Dames en blanc, l’association des épouses de prisonniers politiques, invitée à rencontrer M. Obama mardi. p gilles paris (la havane, envoyé spécial) ';;=>93&6 1%-%/ "$#'%!&! 3&. J =B> J :&: 3D 7: /@& A>@7:& @K& &@ 9-)0 '& B, =:&AEF:& ,8*&@8E>@ ,5 8>AA&7 '& B("2&:&87< ,: 1,EBBK& ',@8 5@ +B>* '(,*E&: -6$? =>5: :K8E87&: ,5. *>@'E7E>@8 &.7:IA&8< 1: 4>@ *,':,@ *,:,*7K:E87E;5& '>7K '& #:,@'8 (!>C5$4 A .% + $3 , !$15$4 9C5$ 1:$ <>4>)><>3D >=7EA,B&< #: 4&8 ,E#5EBB&8 &7 E@'&. %!:>A,BE#!7 <1>4$:3 &*:4 <'9)4(15>3D =1461'A &$1- #9>4 8<14 B>@#7&A=8 ;5& B&8 A,7EF:&8 B5AE@&8*&@7&8 >:'E@,E:&8< ): 09: ;91/$;$:3 A 5$;9:3*"$ *139;*3>61$ 29<$- 9C5$ 1:$ 85D(>4>9: $3 1:$ B*)><>3D >:D"*<D$47 -: C@*,:@& B, 'K7&:AE@,7E>@ &$ ($1- 61> 5$<?/$:3 <$4 8<14 "5*:&4 &DB47 !" .$-' /)%-1*%" "'+(1& !,/"#0 $@*<328&. =(+85 !<8=<"&8 4<=&0 638 4 | international 0123 MARDI 22 MARS 2016 Black-out électoral au Congo-Brazzaville Denis Sassou-Nguesso a tout mis en œuvre pour être réélu dès le premier tour de la présidentielle, dimanche REPORTAGE LES DATES brazzaville - envoyé spécial L’ ambiance était électrique, dimanche 20 mars, dans la cour du collège d’enseignement général Angola libre du quartier Makélékélé de Brazzaville. Mais ce terme était-il tout à fait approprié ? Il n’y avait pas de lumière dans les salles de classe à l’heure du dépouillement des bulletins lors du premier tour de l’élection présidentielle au Congo. Les votes ont été comptés sur le tableau noir à la lueur de lampes torches ou de téléphones portables. Ceux-ci retrouvaient là une forme d’utilité, depuis l’ordre des autorités de bloquer toutes les communications jusqu’au lendemain soir. Mais dehors, dans la pénombre, une centaine de personnes vociféraient contre les « tricheurs du pouvoir ». Dans leur état d’excitation avancé, difficile de cerner la nature précise de la « tricherie » incriminée. Au cœur du fief de l’opposant Guy Brice Parfait Kolelas – proche du Front national français –, certains évoquaient de faux bulletins favorables au président Denis Sassou-Nguesso (« DSN »). D’autres évoquaient la carte d’un électeur inscrit dans ce centre de vote, mais retrouvée dans de mauvaises mains au nord de la ville, forteresse politique de DSN, candidat à sa propre succession après plus de trois décennies au pouvoir presque sans interruption, hormis la parenthèse d’un mandat dans les années 1990 conclue par une guerre civile. Mais dimanche soir à Makélékélé, la petite foule ne cherchait en réalité qu’à s’enflammer, exprimer un ras-le-bol qui se répand dans le pays à l’occasion de ce scrutin, théoriquement ouvert grâce à la participation de neuf candidats, dont cinq farouchement opposés au président Sassou. « Ils ne voleront pas nos voix » « Trente-deux ans, ça suffit ! Cette fois-ci, ils ne voleront pas nos voix, on va défendre nos votes », hurlait Georges, un mécanicien d’une trentaine d’années, en référence aux deux précédents scrutins remportés dès le premier tour, à plus de 75 %, par Sassou-Nguesso, dans des conditions douteuses. 1979 Le colonel Denis SassouNguesso prend le pouvoir. 1990 Fin du parti unique, abandon de l’idéologie marxiste-léniniste. 1992 Election gagnée par l’opposant Pascal Lissouba. 1992-1997 Traversée du désert pour l’exchef de l’Etat, exil en France. 1997 Avant la présidentielle, guerre civile gagnée par le camp de Denis Sassou-Nguesso avec l’appui de l’Angola. Il redevient président. OCTOBRE 2015 Réforme constitutionnelle pour permettre à Denis SassouNguesso de se porter candidat à un nouveau mandat. Dans un bureau de vote de Brazzaville, dimanche 20 m ars. MARCO LONGARI/AFP Puis tout est allé très vite. Une centaine de policiers armés comme pour la guerre se sont déployés sur l’avenue devant le collège, certains ont pénétré dans la cour qu’ils ont vidée en un tournemain. La foule a détalé sous les lacrymogènes. C’était l’objectif. Les fusils à pompe n’ont pas été armés, ni la mitrailleuse 14.7 mm montée sur un des pick-up. En octobre 2015, au moins quatre personnes (près de vingt selon certaines sources) avaient été tuées lors de manifestations durement réprimées pendant le référendum organisé, précisément, pour permettre au président Sassou-Nguesso de se présenter à ce scrutin. Pendant ce temps, dans quatre salles de classe du collège, le dépouillement continuait. « C’est ça les Congolais : ça fait du bruit ! », lâchait, fataliste, Bikoy Batoumeni, qui dirigeait sa petite équipe du bureau de vote comme un maître d’école fait répéter la leçon à ses élèves. « Quand l’encre dépasse du carré, le bulletin est… ? », demandait le président. « An-nu-lé », répondaient les délégués pendant que le président écartait le bulletin incriminé. Dans ce bureau, le résultat fut sans appel : sur 995 inscrits, 562 votes exprimés dont 482 en faveur de Guy Brice Parfait Kolelas. Cet ancien ministre de M. SassouNguesso est passé dans l’opposition quand le président imposait la réforme constitutionnelle, en octobre 2015. Mais le raz-de-marée Kolelas au collège Angola libre n’a rien de représentatif. Seulement, l’énervement des militants de Makélékélé tient à la certitude que leurs votes ne seront pas pris en compte. Que tout est joué d’avance. Et que le président fera tout pour atteindre son objectif de victoire au premier tour. Face à « DSN », l’opposition a choisi la stratégie de l’« émiettement » pour « le forcer au ballottage » Dimanche soir, il était impossible d’avoir la moindre idée du déroulement du scrutin hors des bureaux visités. Ni de la date de la publication des résultats. Deux jours auparavant, une note signée du ministre de l’intérieur, Raymond Mboulou, a ordonné aux compagnies de téléphone de « bloquer toutes les communications, Internet et SMS compris, pour les journées du 20 et 21 mars (…) pour des questions de sécurité et de sûreté nationales ». « Sauf exception », précise le document, qui évoque une liste restreinte de numéros autorisés. La circulation automobile était également limitée aux véhicules disposant d’autorisations spéciales, données au compte-gouttes. « Du grand n’importe quoi » « Pour un président qui se vante d’avoir garanti la paix et la sécurité dans le pays, cette décision n’est-elle pas contradictoire ? », demandait le général et candidat Jean-Marie Michel Mokoko. Cet ex-chef d’étatmajor des armées s’est rangé lui aussi dans le camp des anti-Sassou. « Sans téléphone ni Internet nous sommes déconnectés du vote », se plaint-il. « Cette élection, c’est du grand n’importe quoi ! », at-il lâché dans la cour de son bureau de vote de Poto-Poto, un quartier du centre de Brazzaville, renouvelant sa défiance totale vis-à- Au Bénin, Lionel Zinsou défait par Patrice Talon D préparation des dossiers de transition ». Beau joueur, il n’a pas cherché à discréditer la qualité de la victoire de son adversaire, considérant que celle-ci clôt une « campagne exceptionnellement sereine et calme, sans trouble ni tension ». Le général Mathieu Boni, un responsable d’une plateforme de la société civile, a estimé que le vote s’était déroulé sans accroc majeur, « à part quelques tentatives de bourrages d’urnes » qui demandaient encore à être vérifiées. Selon des estimations de l’Institut béninois des sondages, réalisées sur près de 400 bureaux de vote et publiées par le quotidien Très proche de Laurent Fabius, M. Zinsou n’a jamais réussi à gommer son image de candidat de Paris La Nouvelle Tribune, M. Talon l’emporterait avec près de 65 % des suffrages. Ces chiffres, qui attendent confirmation, attestent l’ampleur de la victoire de l’entrepreneur au passé sulfureux sur le banquier d’affaires au parcours exemplaire. Les Béninois avaient le choix entre deux personnalités aux profils opposés : selon plusieurs observateurs, ils se sont prononcés pour celui qui incarnait avec le plus de force la rupture avec les dix années de présidence Boni Yayi. En dépit de son implication dans le pays d’origine de son père et de ses efforts pour donner à sa campagne une teneur plus locale, M. Zinsou, très proche de l’ex-premier ministre français Laurent Fabius dont il fut la plume, n’est jamais parvenu à gommer son image de candidat de Paris, neuf mois après sa nomination au poste de premier ministre au Bénin, pays où il exerçait des fonctions publiques pour la première fois de son existence. Mais Lionel Zinsou a échoué à surmonter un autre obstacle : celui des rallie- ments, dans un scrutin qui a donné aux électeurs de ce pays – régulièrement salué comme démocratie exemplaire – le choix initial entre une trentaine de personnalités. Alors qu’il n’avait recueilli que 23,5 % des suffrages au premier tour, contre 27,1 % à M. Zinsou, Patrice Talon a obtenu dans l’entredeux-tours l’appui de 26 candidats dont celui, déterminant, d’un autre homme d’affaires, Sébastien Ajavon, arrivé troisième lors du vote du 6 mars avec 22,3 % des voix. « La honte de notre pays » Micro en main, le groupe de ses partenaires du second tour réuni derrière lui, le vainqueur s’est félicité, dimanche soir, de voir le Bénin prendre un « nouveau départ ». « Il fallait rompre avec ce qui est devenu un peu la honte de notre pays, un pouvoir qui ne ressemble plus du tout à ce dont nous avons rêvé il y a quelques années », a affirmé Patrice Talon. Ancien financier des deux campagnes du président Thomas Boni Yayi, christophe châtelot S OU DAN D U S U D Le premier ministre sortant n’est pas parvenu à battre à la présidentielle l’homme d’affaires à la réputation sulfureuse ans le camp de Patrice Talon, on a eu le triomphe rapide. Les premières tendances à la sortie des urnes, dimanche 20 mars en fin de journée, n’ont pas tardé à se transformer en certitude de victoire, sans même attendre les résultats officiels de l’élection présidentielle béninoise. Les coups de klaxon de ses militants, les célébrations aussitôt entamées à son état-major de campagne et les déclarations satisfaites des personnalités qui le soutenaient ont rapidement fait apparaître le visage du vainqueur. Patrice Talon, 57 ans, a largement devancé Lionel Zinsou, 61 ans. L’écart entre les deux candidats, au second tour, était si grand que le premier ministre sortant n’a pas eu à attendre la publication des résultats officiels par la Commission électorale nationale autonome – qui devait livrer ses conclusions lundi – pour reconnaître sa défaite. Dimanche soir, il a appelé le vainqueur pour « lui souhaiter bonne chance et [s]e mettre à sa disposition pour la vis de la commission électorale chargée de compiler les résultats. Face à la machinerie présidentielle, déployée à l’échelle nationale, l’opposition avait conçu une stratégie « dite de l’émiettement, pour le forcer au ballottage », selon Gérard Boukambou, l’un des porte-parole du général Mokoko. Cinq candidats s’étaient engagés à voter pour le mieux placé d’entre eux au second tour. Pendant la campagne, chacun devait chasser sur ses terres afin de ne pas disperser de faibles moyens, face au rouleau compresseur du pouvoir ; et ainsi concentrer les votes, tout en présentant des délégués dans les 5 367 bureaux de vote. Ce dernier point, crucial, devait permettre d’organiser un système de comptage parallèle des voix, recours classique des oppositions contre la fraude. La coupure des télécommunications a fait avorter le projet. p l’homme d’affaires était devenu, avec le temps, son pire ennemi. Dans un discours aux accents martiaux, il a appelé ses concitoyens à l’encourager à tourner la page du pouvoir sortant : « J’ai le sentiment d’être un soldat en train de faire son paquetage pour aller au front. Ce n’est pas un jour de gloire, le pays va très mal (…). C’est une mission qui va démarrer (…). Nous mesurons ce qui nous attend et nous serons à la hauteur. » En octobre 2012, Thomas Boni Yayi avait accusé Patrice Talon d’avoir tenté de l’empoisonner lors d’un voyage en Belgique. Le président sortant et le magnat du coton avaient depuis opéré une réconciliation, mais celle-ci demeurait superficielle. L’affaire est en cours d’instruction par des juges français. La République du Bénin s’est portée partie civile. Le nom de M. Talon, première fortune béninoise (plus de 350 millions d’euros selon le magazine Forbes), est également cité, selon M. Zinsou, « dans une dizaine de procédures judiciaires ». p cyril bensimon L’ONU veut un embargo sur la vente d’armes aux belligérants sudsoudanais Face au drame du Soudan du Sud, Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint de l’ONU, chargé des opérations de maintien de la paix, a plaidé, dimanche 20 mars, dans l’émission « Internationales » sur TV5 Monde, avec Le Monde et RFI, pour l’imposition d’un « embargo sur les fournitures d’armes à toutes les parties », ainsi que des « sanctions pénales contre tous les acteurs qui se livrent à des crimes massifs ». ES PAGN E Treize étudiantes tuées dans un accident d’autocar Treize étudiantes sont mortes, dimanche 20 mars, dans un accident d’autocar dans le nord-est de l’Espagne. Sept étaient originaires d’Italie, deux d’Allemagne, une de Roumanie, une de France, une d’Ouzbékistan et une d’Autriche. Le véhicule aurait heurté de plein fouet une voiture à la suite d’une embardée sur l’autoroute. – (AFP.) JQ4GF< N.\XS* 7[YS".$W* L 4[,$]T] Q\[\K!* J[[Y]W.T$R* +* N.\XS* 7[YS".$W* ^ ,.Y$T." R.W$.-"*; 4$d&* V[,$." M )0 J[SWV +*V 5[,%*V L ==0UP <[$V$*"; 4$W*T \e =U' I=9 ==U ZZU'I L 5J4 >*.SO; B!!.TW$,S".T$[\ :5BQ4 \e Z= ZI= 08U L N7JF L 4[,$]T] .\[\K!* ^ +$W*,T[$W* *T ,[\V*$" +* VSWR*$"".\,* .S ,.Y$T." +* 099 ='I 8IZ b; 4$d&* V[,$." M 9Z .R*\S* 7$*WW* >*\+dV EW.\,* L =9IZ0 7.W$V J*+*O 08; 5J4 7Q5B4 \e ')8 '99 Z'I; B!!.TW$,S".T$[\ :5BQ4 \eZU Z'9 0ZZ; B""SVTW.T$[\ M @$""[((*W; ` ?Q JQ4GF< NQ<62F 7:72?QB5F1 ?/_7Q5D<F GF 3:24 7F5>F3 ` JCQJ2< GF 5_Q?B4F5 4F4 75:AF34; J[!!* Y"SV +/S\ !$""$[\ +* 4[,$]T.$W*V1 (.$T*V "* ,%[$O +* ,* ![+d"* -.\,.$W* S\$XS*1 [SR*WT .S#[SW+/%S$ ^ T[ST* ". E[\,T$[\ YS-"$XS*; 5*\,[\TW*H R[TW* ,[\V*$""*W *\ .&*\,* N.\XS* 7[YS".$W* [S W*\V*$&\*HLR[SV VSW -.\XS*Y[YS".$W*;(W [S ,.V+*\;(W 6 | international 0123 MARDI 22 MARS 2016 Syrie : « Moscou entend manipuler les pourparlers » Pour Mohamed Allouche, négociateur en chef de l’opposition, le régime Assad tente de gagner du temps D ENTRETIEN u 14 au 24 mars se tient à Genève le deuxième round des négociations intersyriennes sous l’égide des Nations unies. Dans un entretien au Monde, au Guardian et à la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Mohamed Allouche, négociateur en chef de la délégation du Haut Comité des négociations (HCN), qui représente les principaux groupes de l’opposition, est revenu, dimanche 20 mars, sur ces pourparlers. Le chef de la délégation gouvernementale, Bachar Al-Jaafari, vous a qualifié de « terroriste », ajoutant qu’il n’y aurait pas de pourparlers directs tant que vous ne vous serez pas excusé pour avoir dit que la transition débuterait « avec le départ [du président] Bachar AlAssad ou sa mort ». Allez-vous vous excuser ? Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit. J’ai transmis le message du peuple syrien, à savoir que la peine de mort attend Bachar AlAssad dans un procès équitable. Or, il sera bien déféré devant un tribunal. Comment pourrais-je m’excuser d’avoir énoncé l’un de mes objectifs ? Pour Bachar Al-Assad, tout opposant est un terroriste. Il est normal qu’un de ses employés [M. Al-Jaafari] pense de la même façon. LE PROFIL Mohamed Allouche Originaire de Douma, dans la banlieue de Damas, ce Syrien de 45 ans est membre du bureau politique de Jaïch Al-Islam (« Armée de l’islam »), un groupe armé salafiste soutenu par l’Arabie saoudite. Cousin de Zahran Allouche, le chef de cette brigade tué dans un raid en décembre 2015, Mohamed Allouche a été nommé négociateur en chef de la délégation de l’opposition par le Haut Comité des négociations. Pensez-vous que la décision russe de retirer « la majeure partie » de ses troupes de Syrie puisse changer le cours des négociations ? L’intervention de la Russie était illégale, 90 % de ses raids ont visé des civils alors qu’elle disait cibler les terroristes. Samedi encore, à Rakka, elle a ciblé des zones civiles. Nous sommes contre Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] et nous le combattons, mais Daech ne peut être vaincu par des raids aériens. Le retrait partiel de ses troupes est seulement une façon pour la Russie de minimiser les coûts. C’est la preuve d’un échec. Elle a annoncé qu’elle pourrait se redéployer en quatre heures, ce qui montre qu’il ne s’agit même pas d’un retrait partiel. La Russie fait du chantage auprès des Syriens. Elle a établi un comité, avec des membres des renseignements russes et syriens, qui négocie l’acheminement de nourriture contre cessez-le-feu et « réconciliation » [qui implique l’abandon par les rebelles de leurs armes lourdes]. Ils ont commencé autour de Damas. C’est un crime au regard des Nations unies. C’est un signe de la manière dont Moscou entend manipuler les pourparlers et la transition politique. Dans le premier round des négociations, vous aviez critiqué les concessions faites par les Etats-Unis à la Russie. Cela at-il changé ? Il y a une différence dans la pression que les Américains exercent. Certaines questions ont été résolues grâce à leur intervention. C’est positif, mais nous demandons encore plus de pression pour que soient mises en œuvre les mesures humanitaires. Les Américains en ont le devoir moral. De plus en plus de réfugiés arrivent en Europe. La communauté internationale doit s’attaquer à la racine du problème. Une seule personne [Bachar Al-Assad] pousse des millions de Syriens à quitter leurs maisons. J’ai dit au Groupe de soutien international à la Syrie : « Prenez Bachar Al-Assad et mille criminels, alors la Syrie pourra reprendre les réfugiés. » Ce serait une solution juste. Manifestation marquant le cinquième anniversaire du conflit syrien, le 15 mars, à Alep. ABDALRHMAN ISMAIL/REUTERS La trêve pourrait-elle déboucher sur un cessez-le-feu complet ? Les groupes militaires de l’opposition ont démontré leur bonne foi et leur volonté de la respecter. De notre côté, les violations ont totalement cessé. Dans l’autre camp, il y a eu plus de 600 violations. Ces deux derniers jours, les forces de Bachar Al-Assad ont procédé à des frappes et lancé des barils explosifs. Pourquoi cela n’at-il pas été dénoncé ? Le régime est embarrassé par les négociations et veut faire dérailler la transition politique. La délégation du régime a surtout soulevé des questions de procédure. Cela vous déçoit-il ? Quelles sont vos propositions ? Nous avons présenté un plan, que les Nations unies ont salué comme détaillé, positif et modéré : former un organe de gouvernement transitoire avec les pleins pouvoirs, ainsi que des conseils militaires, sécuritaires et judiciai- « Le retrait partiel des troupes est une façon pour la Russie de minimiser les coûts. C’est la preuve d’un échec » res qui géreront la transition. La continuité des institutions de l’Etat et des corps élus sera assurée. Bachar Al-Assad n’aura aucune place dans ces institutions ou dans l’avenir de la Syrie. Le régime a soumis huit points, qui nous ont été transmis samedi. Ils évitent la question qui est au cœur de la résolution 2254 des Nations unies : la transition politique. Par exemple, ils demandent la libération du plateau du Golan [occupé par Israël], ce qui n’a rien à voir avec la résolution de l’ONU. Etes-vous favorable à intégrer l’armée de Bachar Al-Assad à la future armée nationale ? Cette question doit faire l’objet de négociations. Nous voulons former une armée nationale qui comprenne toutes les factions du peuple syrien, mais les personnes qui ont du sang sur les mains ne pourront pas l’intégrer. Est-il possible que ce round de négociations amène si peu de résultats que vous décidiez de ne pas revenir à Genève ? Nous sommes à Genève pour faire valoir nos droits et nous ne ménagerons pas nos efforts. Nous avons formulé des questions claires et nous attendons la réponse de l’ONU et du régime. Nous pourrons évaluer le succès de ce round quand il sera achevé. Le monde entier pourra voir qui est en train de gagner du temps, qui entrave ce processus. dans le nord de la Syrie. Ils dénoncent le fait de n’avoir pas été associés aux négociations… Nous ne considérons pas le Parti de l’union démocratique [PYD] et son bras armé, les YPG (unités de protection du peuple), ainsi que le Parti des travailleurs du Kurdistan [PKK], comme représentatifs des Kurdes. Ces organisations, surtout les YPG, sont des soutiens du régime. Au sein du HCN, nos frères kurdes sont représentés de façon juste et équitable. Il y a deux Kurdes dans l’équipe de négociation. Le PYD a commis des crimes contre le peuple syrien, notamment aux côtés des Russes dans la province d’Alep. Ils disent combattre Daech, mais nous ne les avons pas vus libérer beaucoup de villages. Samedi, nous avons libéré sept villages et nous espérons en libérer des dizaines d’autres. p Les Kurdes ont annoncé la création d’une entité fédérale propos recueillis par hélène sallon La Turquie sidérée par la succession des attaques terroristes Un nouvel attentat attribué à l’Etat islamique a fait quatre morts samedi à Istanbul, mais le pays est aussi la cible des combattants kurdes istanbul - correspondante L es autorités turques ont attribué à l’organisation Etat islamique (EI), dimanche 20 mars, l’attentat-suicide qui a causé, la veille, la mort de quatre personnes sur l’avenue Istiklal, l’artère piétonne la plus fréquentée d’Istanbul. Il était environ 11 heures du matin, samedi, lorsque le kamikaze a actionné sa ceinture d’explosifs à quelques pas d’un groupe de touristes. Quatre personnes ont été tuées – trois ressortissants israéliens et un Iranien –, 36 autres ont été blessées. L’attaque n’a pas été revendiquée. Selon le ministre de l’intérieur, Efkan Ala, l’auteur de l’attentat était Mehmet Öztürk, un jeune homme de 24 ans, « membre de Daech [acronyme arabe de l’EI] ». Originaire de Gaziantep, une ville du sud de la Turquie, non loin de la frontière syrienne, l’homme aurait effectué des séjours en Syrie, mais il n’était pas sur la liste des personnes recherchées. Son identité a pu être établie grâce à une analyse ADN. Cinq suspects ont été arrêtés. « Nous savons que ces attentats perpétrés sur des lieux publics visent à provoquer la peur et l’abattement de la population, mais la Turquie ne cédera pas au terrorisme », a déclaré le président Recep Tayyip Erdogan. Double spirale de violence Voici des mois que la Turquie est la cible d’attentats visant les touristes étrangers, les fonctionnaires, les civils. Le 12 janvier, onze touristes allemands ont perdu la vie lors d’une attaque déclenchée par un kamikaze dans le quartier touristique de Sultanahmet. L’attaque, non revendiquée, a aussi été attribuée à l’EI. La capitale, Ankara, a été ébranlée récemment par deux attentats meurtriers à la voiture piégée. Le 13 mars, 37 personnes ont péri lors d’une attaque perpétrée dans le quartier central de Kizilay, où se trouvent les sièges des principaux ministères et le quartier général des forces armées. Le 17 février, une attaque similaire avait fait 29 morts dans le même quartier. Ces deux attentats-suicides ont depuis été revendiqués par les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK), un groupe ultra-violent situé dans la mouvance du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit en Turquie). Toutes ces attaques sont liées au conflit syrien. Fâchée avec la Russie, en guerre avec les Kurdes turcs comme syriens – ceux du PKK, actifs en Turquie, et ceux du Parti de l’union démocratique (PYD), qui gagnent du terrain en Syrie –, en froid avec les Américains, la Turquie est happée par une double spirale de la violence. Repartis en guerre contre l’Etat turc après l’échec des pourparlers de paix, les rebelles du PKK sont désormais résolus à frapper aveuglément. Les djihadistes de l’EI, forts des réseaux de soutien et de la liberté de mouvement dont ils disposent de fait dans le pays, commettent un attentat-suicide tous les trois mois depuis juillet 2015. L’attentat survenu samedi à Istiklal, lieu de promenade prisé des touristes, a sidéré les esprits. Dans les heures qui ont suivi, un silence de plomb s’est abattu sur le quartier de Beyoglu, bouclé par la police. Mis en garde par leurs consulats, les touristes étrangers sont restés consignés dans leurs hôtels. Durant tout le week-end, les cafés et les restaurants sont restés désespérément déserts, il n’y avait pas âme qui vive dans le métro. La place Taksim, située non loin d’Istiklal, était vide et silencieuse, troublée par le seul cri des mouettes. « On commence déjà à se demander où aura lieu le prochain », explique Kadir, un jeune électricien rencontré aux abords de Taksim juste après l’attentat. « C’est vous, les journalistes, qui êtes responsables de cette attaque. Vous écrivez n’importe quoi. Vous allez sans doute dire que c’est le prési- Quinze policiers égyptiens tués par l’EI Quinze policiers égyptiens ont été tués, samedi 19 mars, dans un assaut revendiqué par l’organisation Etat islamique (EI) à un poste de contrôle près d’Al-Arich, chef-lieu du Nord-Sinaï, a annoncé, dimanche 20 mars, le ministère de l’intérieur. Ce dernier a évoqué une attaque au mortier tandis que la province du Sinaï, affiliée à l’EI, affirme avoir utilisé un kamikaze à bord d’une voiture piégée, avant que ses combattants ne lancent l’assaut. L’insurrection djihadiste qui sévit dans la péninsule désertique a fait des centaines de morts dans les rangs de la police et de l’armée depuis 2013. Le Caire a annoncé avoir signé avec Riyad un accord de 1,5 milliard de dollars (1,3 milliard d’euros) pour tenter de développer le Sinaï. dent Erdogan qui l’a perpétrée », vitupère un boulanger du quartier. Le sentiment d’insécurité est si fort qu’une rencontre de football prévue entre les clubs stambouliotes Fenerbahçe et Galatasaray, dimanche soir, a finalement été annulée, les autorités évoquant une « menace sérieuse ». Israël, qui déplore la mort de trois de ses ressortissants tandis que dix autres ont été blessés dans l’attaque, a recommandé à ses citoyens d’éviter ce pays. Dimanche, Dore Gold, le directeur général du ministère israélien des affaires étrangères, est arrivé à Istanbul pour une rencontre avec des officiels turcs. Il s’agit de la toute première visite d’un haut responsable israélien depuis la brouille survenue en 2010 entre Israël et la Turquie après l’assaut des forces israéliennes contre le MaviMarmara et la flottille turque décidée à en finir avec le blocus de Gaza, au cours duquel dix Turcs avaient été tués. p marie jégo international | 7 0123 MARDI 22 MARS 2016 Moqtada Sadr mobilise ses partisans pour réformer l’Irak Le dirigeant chiite lance un mouvement de rue pour presser une réforme de l’appareil d’Etat M oqtada Sadr a engagé l’affrontement avec son propre camp, qui rassemble les partis chiites au pouvoir en Irak, pour le forcer à engager des réformes. Le 18 mars, le chef politique chiite a mobilisé des milliers de ses partisans pour un sit-in illimité devant la « zone verte », le centre ultra-sécurisé de Bagdad où se concentrent les institutions et les ambassades. « Il est temps pour vous d’éliminer la corruption et les corrompus », at-il appelé, dans un communiqué adressé aux jeunes hommes et partisans plus âgés, venus des quartiers défavorisés de la capitale et des villes du Sud chiite, drapés des habits noirs du courant sadriste et du drapeau irakien. Leurs tentes pourraient rester plantées jusqu’à ce que le premier ministre, Haider Al-Abadi, annonce la nomination d’un gouvernement de technocrates. Entre conviction et calcul, le dirigeant chiite a repris le flambeau d’un vaste mouvement civil dont l’appel aux réformes, né dans les chaleurs étouffantes et les coupures d’électricité de l’été 2015, s’est perdu dans les méandres politiques. Après avoir annoncé à plusieurs reprises son retrait de la vie politique, Moqtada Sadr revient auréolé de sa popularité pour soutenir M. Abadi dans sa tentative d’imposer les réformes promises pour mettre fin à la corruption et au clientélisme qui gangrènent la classe politique et ont provoqué le délabrement des services publics. Les promesses de M. Abadi se sont heurtées à des blocages jusqu’au sein de son parti islamique Dawa et aux résistances d’une classe politique déterminée à l’empêcher de s’attaquer à la source du problème : le système de partage du pouvoir sur des critères ethniques ou religieux, instauré après l’invasion américaine de 2003. Quand le mouvement populaire de l’été 2015 s’est essoufflé, le noyau dur de quelques dizaines de militants civils et laïcs – journalistes, artistes, intellectuels et communistes – s’est découvert dans son combat contre le confessionnalisme politique deux alliés inattendus. L’ayatollah Ali Al-Sistani, le plus haut dignitaire chiite, a multiplié en vain les sermons en faveur de réformes et d’un Etat civil jusqu’à se retrancher, en février, dans le silence. Moqtada Sadr, descendant d’une influente famille religieuse de la ville sainte de Nadjaf et chef de file du parti religieux Al-Ahrar, est venu à l’automne gonfler les rangs du mouvement, suscitant à la fois soulagement et malaise. Système politique corrompu « Le courant sadriste est pour nous paradoxal. D’un côté, ses partisans sont issus des mêmes couches sociales et ont les mêmes revendications que nous. De l’autre, le parti appartient à un système politique gangrené par la corruption. Mais nous sommes contents de voir les manifestations croître pour montrer au gouvernement que nous sommes toujours là », déclarait alors au Monde Jassim Al-Helfi, membre du comité central du Parti communiste irakien. Présent au gouvernement avec deux ministères et au Parlement avec 34 députés, le courant sadriste n’a pas été exempt d’accusations de corruption et Moqtada Sadr a dû se démarquer de sa formation politique quand des responsables ont été confondus. Les deux courants civil et sadriste se sont toutefois retrouvés dans un même attachement au nationalisme irakien et dans un rejet de l’ingérence iranienne. A la différence des autres partis chiites, le courant sadriste se tient à En Tunisie, la famille politique « moderniste » se recompose Mohsen Marzouk, dissident du parti Nidaa Tounès au pouvoir, a créé une formation qui entend tenir l’islam politique à distance tunis - correspondant B asma Ayed, cou ceint d’une écharpe aux couleurs tunisiennes, vibre au diapason de l’ambiance surchauffée de la salle de sport. « Le bourguibisme doit exister pour toujours ! », clame la femme d’affaires à la chevelure blonde, toute enthousiaste à l’issue du lancement, dimanche 20 mars à Tunis, de Harakat Machrou Tounès (Le Mouvement pour le projet de la Tunisie). Fondé par Mohsen Marzouk, l’ancien secrétaire général de Nidaa Tounès, la formation qui domine la coalition gouvernementale à Tunis, ce nouveau parti politique s’inscrit dans une recomposition de la famille « moderniste » qui s’était fédérée au lendemain de la révolution de 2011 contre l’essor de l’islam politique en Tunisie. « Nous avons besoin de l’héritage de Bourguiba pour protéger le pays contre le terrorisme et préserver les libertés des femmes », assure Basma Ayed. La crise au sein de Nidaa Tounès, qui a abouti à la formation de cette dissidence de Harakat Machrou Tounès, avait plongé la politique tunisienne dans un psychodrame permanent tout au long de l’année 2015. Il est encore trop tôt pour évaluer les chances de ce nouveau parti de ravir à Nidaa Tounès le statut de force dominante au sein de cette famille « moderniste » tunisienne. M. Marzouk peut déjà se réclamer du soutien de 26 députés qui ont quitté les rangs de Nidaa Tounès, lequel en dispose toutefois encore de 58. La principale tâche pour Harakat Machrou Tounès sera de planter ses racines au-delà de Tunis et des grandes villes. En dépit « Nous avons besoin de l’héritage de Bourguiba pour protéger le pays » BASMA AYED partisane de Harakat Machrou Tounès de son affaiblissement et de son image dégradée, Nidaa Tounès peut toujours compter sur des réseaux locaux hérités du maillage de l’ancien parti unique, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). En finir avec « l’Etat-providence » Sur le podium érigé au cœur du palais des sports d’El Menzah, un quartier de Tunis, Mohsen Marzouk a déployé ses talents d’orateur. L’homme est une « bête politique » qui a conservé de son passé d’étudiant syndicaliste d’extrême gauche le sens de l’organisation et de l’agit-prop. Il est surtout animé d’une farouche ambition qui l’avait conduit à entrer en collision avec d’autres figures de Nidaa Tounès, en particulier Hafedh Caïd Essebsi, le fils du président de la République, Béji Caïd Essebsi. Le choc des ego avait tourné, fin 2015, au désavantage de M. Marzouk, qui a dès lors perdu son statut de dauphin pressenti du chef de l’Etat. Hafedh Caïd Essebsi a gagné la bataille d’appareil mais pour diriger un parti laissé exsangue par la crise. M. Marzouk définit Harak Machrou Tounès comme un parti « nationaliste » et « moderniste ». Il prône la méthode dure contre le terrorisme qui frappe la Tunisie depuis un an, l’assaut militaire du 7 mars contre la ville frontalière avec la Libye de Ben Gardane par des djihadistes se réclamant de l’organisation Etat islamique ayant confirmé la gravité du péril. Critiquant en termes voilés la politique sécuritaire du gouvernement, M. Marzouk a regretté : « Il s’agit d’une guerre mais le pays semble ne pas avoir de chef de guerre. » Au plan économique, M. Marzouk est partisan de réformes d’inspiration libérale, même s’il préfère se présenter comme un « réformateur » plutôt que comme un « libéral ». Il veut en finir, dit-il, avec « l’Etat-providence ». « Nous avons besoin de produire des richesses avant de réfléchir à la manière de les répartir », déclare-t-il. Politiquement, la grande question qui l’attend est celle de sa relation à Ennahda, la formation islamiste partie prenante de la coalition gouvernementale et dont l’influence s’est renforcée à la faveur de la crise au sein de Nidaa Tounès. Le rapprochement entre Nidaa Tounès et Ennahda, qui s’étaient âprement combattus jusqu’en 2014, a nourri un malaise au sein de l’électorat historique de Nidaa, qui a aggravé ses querelles intestines. Les plus hostiles à cette réconciliation ont rallié Harakat Machrou Tounès. Dimanche, M. Marzouk a admis que « l’islam politique est une composante de la vie politique tunisienne », tout en précisant que son parti est favorable à une « séparation entre la politique et la religion ». Il a critiqué le « consensus fusionnel » qui caractérise aujourd’hui les relations entre Nidaa Tounès et Ennahda. p frédéric bobin Pour les militants civils, l’ex-premier ministre Maliki incarne la dérive dictatoriale du pouvoir bonne distance de l’Iran. Mais ce qui les lie est surtout un même ennemi : l’ancien premier ministre et actuel chef du parti Dawa, Nouri Al-Maliki. Pour les militants civils, M. Maliki incarne la dérive dictatoriale du pouvoir et le règne des « grosses baleines », ceux qui ont profité de leur proximité avec le pouvoir pour s’enrichir et restent aujourd’hui au sommet de l’Etat, sans craindre d’être inquiétés par la justice. Pour Moqtada Sadr, M. Maliki est aussi un rival de longue date, qu’il espère enfin écarter du pouvoir. Ce dernier est accusé de manœuvrer en coulisses pour tenter de saper l’autorité du premier ministre Abadi, pourtant issu du même parti, et revenir à la tête de l’Etat. ll a refusé la suppression de son poste de vice-président, décidée en août 2015 par M. Abadi. « Moqtada Sadr essaie de récolter le bénéfice des manifestations pour pouvoir influencer M. Abadi et sa coalition gouvernementale afin de réduire l’influence de Nouri Al-Maliki et de son parti Dawa », estime Patrick Martin, de l’Institute for the Study of War (ISW). Pour cela, estime le chercheur américain, Moqtada Sadr est prêt à renoncer à des portefeuilles ministériels, en exigeant un gouvernement entièrement remanié, composé de technocrates choisis hors des partis politi- ques. Le parti Dawa et les autres partis chiites de la coalition gouvernementale insistent pour un remaniement partiel et la nomination de technocrates issus des partis. L’ultimatum de quarantecinq jours qu’a lancé, le 13 février, Moqtada Sadr à M. Abadi pour procéder au remaniement ministériel arrive bientôt à terme. Face à la détermination et à la capacité de mobilisation du chef sadriste, Haider Abadi a plaidé auprès des blocs politiques et de leurs milices, dont le courant sadriste et sa milice Sarayat Al-Salam, pour qu’ils s’abstiennent d’une dangereuse escalade, alors que le pays est engagé dans une lutte de longue haleine contre l’organisation Etat islamique (EI). Sous la pression du sit-in, le président Fouad Massoum a convoqué, le 19 mars, une réunion d’urgence avec le premier ministre et le président du Parlement, Salim Al-Joubouri, ainsi que les dirigeants de l’ensemble des blocs politiques. L’annonce de la formation de trois comités – pour établir un programme de réformes, sélectionner les personnalités compétentes en vue d’un « prochain » remaniement ministériel et faire la liaison avec les manifestants – a été jugée comme un « point positif » par le porte-parole de Moqtada Sadr, le cheikh Salah AlObeidi, quoique un peu tardive et superflue. « Les revendications des manifestants sont connues », a abondé auprès du journal électronique Al-Mada press, Jassim AlHelfi, qui craint, comme beaucoup, une nouvelle tentative des autorités pour gagner du temps. Pour Patrick Martin, « l’issue de ce bras de fer dépendra du compromis que Moqtada Sadr est prêt à accepter. Il joue sa réputation ». p hélène sallon LE PROFIL Moqtada Sadr Fils de l’ayatollah Mohammed Sadeq Al-Sadr, l’un des dignitaires religieux chiites les plus révérés en Irak, exécuté par Saddam Hussein en 1999, Moqtada Sadr est, à 42 ans, « l’enfant terrible » de la politique irakienne. En 2003, il crée son mouvement politique et mène la rébellion contre l’occupation américaine. Sa milice, l’Armée du Mahdi, est accusée par l’armée américaine d’avoir constitué la plupart des escadrons de la mort qui ont commis des exactions contre les sunnites entre 2006 et 2008. Depuis le départ des troupes américaines en 2011, le chef chiite était davantage en retrait. Nationaliste, moins lié à l’Iran que d’autres personnalités chiites, et fort du soutien des classes populaires, Moqtada Sadr a repris le flambeau du mouvement en faveur des réformes apparu à l’été 2015. 8 | planète 0123 MARDI 22 MARS 2016 Les coûts cachés exorbitants des pesticides Une étude de l’INRA remet en cause le bénéfice économique d’une agriculture fondée sur la chimie H asard du calendrier, le lancement de la semaine mondiale des alternatives aux pesticides, organisée du 20 au 30 mars, coïncide cette année avec la publication d’une vaste étude sur les « coûts cachés » de l’utilisation de ces substances. Ce travail de longue haleine, entrepris par deux chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et publié dans la dernière édition de Sustainable Agriculture Reviews, est le premier à colliger l’ensemble des connaissances disponibles sur ce que les économistes appellent les « externalités négatives » liées à l’utilisation des produits phytosanitaires. Ce fardeau économique, estiment les chercheurs, peut dans certains cas excéder largement les bénéfices offerts par les herbicides, fongicides et autres insecticides. Selon leurs estimations, le rapport coûts-bénéfices des pesticides de synthèse était ainsi largement défavorable aux Etats-Unis au début des années 1990. Alors qu’ils apportaient environ 27 milliards de dollars (24 milliards d’euros) par an à l’économie américaine, ils pesaient pour au moins 40 milliards de dollars… « L’utilisation des pesticides procure des bénéfices économiques bien connus en termes de productivité de l’agriculture par exemple, explique Denis Bourguet, chercheur au Centre de biologie pour la gestion des populations (INRA, Cirad, IRD, SupAgro Montpellier) et coauteur de ces travaux. Mais ils entraînent aussi des coûts économiques très variés qui font l’objet de peu de travaux, voire aucun. Et lorsqu’ils sont évalués, ces coûts sont généralement lourdement sous-estimés. » Le peu de données disponibles n’a pas permis aux chercheurs de conduire une estimation pour la période actuelle. « On ne peut rien dire de ce rapport coûts-bénéfices, car un certain nombre de produits utilisés à l’époque ont été interdits, mais de nouveaux sont aussi apparus, dont les effets ne sont pas encore pleinement connus, explique M. Bourguet. Nous ne pouvons tenter qu’une analyse rétros- « Le poste de dépense le plus important reste le traitement des maladies chroniques » THOMAS GUILLEMAUD chercheur Epandage de pesticides dans l’Etat du Maryland, aux Etats-Unis, en mai 2014. EDWIN REMSBERG/ZUMA/REA pective, lorsqu’il y a suffisamment de données. » Exercice d’autant plus délicat que certaines externalités sont décalées dans le temps : des maladies d’aujourd’hui peuvent être le fait d’expositions passées. Le rapport coûts-bénéfices des pesticides de synthèse était déjà défavorable aux Etats-Unis, au début des années 1990 « Ces travaux, juge François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures, montrent que le discours sur la soi-disant rationalité économique d’une agriculture dépendant de l’utilisation massive des pesticides est largement basé sur des études incomplètes qui ne prennent pas en compte la réalité des coûts sanitaires et environnementaux. » « Boîte de Pandore ouverte » L’étude liste quatre catégories de coûts cachés : environnementaux, sanitaires, réglementaires et les frais d’évitement. Les premiers chiffrent les dégâts sur les services écosystémiques offerts par la nature (pollinisation, etc.) ; les coûts sanitaires incluent les frais de santé, la perte de productivité des travailleurs, etc. ; les coûts réglementaires englobent les fonds publics pour réglementer et contrôler ces substances, ou assainir les eaux et les milieux contaminés… Quant aux frais d’évitement, ils sont principalement induits par les excédents de dépense des ménages qui optent pour l’alimentation biologique, afin de minimiser le contact avec les pesticides. Parmi les grands postes de dépense, les auteurs mentionnent les pertes de rendements dues aux résistances aux pesticides développées par les mauvaises herbes ou les ravageurs (soit 2,3 milliards de dollars aux Etats-Unis en 1992), la surveillance des points de captage d’eau (3 milliards de dollars aux Etats-Unis en 1992), la mortalité des oiseaux (6 milliards de dollars aux Etats-Unis en 1992), etc. « Ce qui apparaît comme le poste de dépense le plus important reste le traitement des maladies chroniques liées à l’exposition à ces substances, précise Thomas Guillemaud, chercheur à l’Institut Sophia Agrobiotech (INRA, CNRS, université de Nice-Sophia-Antipolis) et coauteur de l’étude. Mais il existe très peu d’études permettant de chiffrer précisément ces coûts sanitaires. On dispose de beaucoup de travaux sur l’exposition au tabac et à l’alcool et leurs effets, par exemple, mais presque rien sur les pesticides. » Des études d’ampleur commencent toutefois à être menées, comme celle publiée en 2015 dans la revue Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism. Elle estimait les dégâts sanitaires de l’exposition de la population européenne aux seuls pesticides organophosphorés et organochlorés à quelque… 120 milliards d’euros par an. « Lorsqu’on envisage des changements de pratiques agricoles, comme c’est le cas avec le plan Ecophyto [destiné à réduire de moitié l’usage de pesticides à l’horizon 2025], on n’évalue généralement que les impacts sur les systèmes agricoles, explique M. Guillemaud. Notre principale conclusion est qu’il est urgent de produire et de rassembler les connaissances nécessaires pour évaluer correctement les effets économiques de ces changements de manière beaucoup plus large. » L’économiste de l’agriculture Marion Desquilbet, chercheuse (INRA) à la Toulouse School of Economics (TSE), qui n’a pas participé à l’étude, salue « un travail énorme, qui ouvre une boîte de Pandore ». « Les auteurs ont conduit leur analyse de manière assez conservatrice sur plusieurs aspects, estime cependant Mme Desquilbet. Ils n’ont ainsi pas pris en compte les effets des pesticides sur les malformations congénitales, de la surproduction agricole sur l’obésité, etc. Il aurait aussi été possible d’inclure les “externalités sociales” liées à l’utilisation des pesticides : ces derniers jouent sur la taille des exploitations, l’emploi, le tissu social… » Des questions si diverses qu’il serait illusoire de chercher à y répondre sans recours à une expertise collective pluridisciplinaire. p stéphane foucart Le Queensland part en guerre contre la déforestation BI OD I VERS I T É Le déboisement intensif met en péril le climat australien, la Grande Barrière de corail et l’habitat des koalas Vingt nouveaux sites ont été ajoutés, les 18 et 19 mars, au Réseau mondial des réserves de biosphère de l’Unesco. Dans ces zones, qui comprennent des écosystèmes terrestres, marins et côtiers, sont développées des solutions conciliant conservation de la biodiversité et développement durable. Le parc de Tsa Tué (Alberta), au Canada, qui comprend le dernier lac arctique vierge et abrite une importante faune sauvage, a notamment été retenu. Le réseau compte désormais 669 sites dans 120 pays. – (AFP.) sydney - correspondance D ans l’Etat du Queensland, dans le nord-est de l’Australie, le déboisement est au plus haut. Près de 300 000 hectares de végétation ont été détruits entre juillet 2013 et juin 2014, soit presque deux fois plus que deux ans plus tôt – un record depuis 2006. Le gouvernement travailliste veut arrêter cette « montée en flèche », dangereuse aussi bien pour les animaux vulnérables que pour la Grande Barrière de corail. Il vient d’introduire un projet de loi au Parlement, déclenchant la furie de l’opposition et des agriculteurs. La question de la déforestation dans le Queensland ressemble à une partie de ping-pong. Après des sommets atteints au début des années 2000, un gouvernement travailliste avait fait voter des lois qui avaient entraîné une chute du déboisement à partir de 2006. Mais en 2012, un gouvernement libéral a considérablement assoupli la législation, pour « développer les projets agricoles à haute valeur ajoutée ». Selon les travaillistes au pouvoir depuis début 2015, leurs prédécesseurs n’ont fait qu’introduire des Grande Barrière de corail Townsville Abbot Point OCÉAN PACIFIQUE QUEENSLAND Gladstone AUSTRALIE 250 km « vides » dans la loi, permettant un déboisement « à grande échelle ». Ils veulent à nouveau renforcer la législation. « Près de 300 000 hectares détruits en un an, c’est énorme, dénonce le ministre de l’environnement du Queensland, Steven Miles. Cela pose de nombreux problèmes, en particulier au niveau du changement climatique. » Le Queensland, qui est « de loin le pire des Etats australiens, est responsable de 90 % des émissions de gaz à effet de serre du pays liées à la déforestation », explique le ministre. Pour l’ONG de défense de la nature Wilderness Society, l’augmentation des émissions à cause de la déforestation dans le Queensland – ainsi que, dans une moindre mesure, dans les autres Etats australiens – pourrait compromettre les chances de l’Australie, l’un des premiers pays pollueurs par habitant, d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés dans le cadre de la conférence mondiale sur le climat (COP21). L’îlecontinent a promis de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 26 % à 28 % d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2005. Protéger rivières et littoral Le Fonds mondial pour la nature (WWF) s’inquiète, lui, pour les espèces vulnérables. Plus de 40 000 hectares d’arbres où habitaient des koalas ont ainsi été rasés en deux ans, selon l’organisation. Si la loi proposée par le gouvernement n’est pas votée, jusqu’à 400 000 hectares d’arbres où vivent ces icônes australiennes pourraient être détruits, met en garde le WWF. Le projet de loi vise en particulier à arrêter la destruction de la végétation le long des rivières et Plus de 40 000 hectares d’arbres où vivaient des koalas ont été rasés en deux ans, selon le WWF du littoral, afin de protéger la Grande Barrière de corail, au large du Queensland. « La végétation au bord des rivières retient la terre, et donc souvent les engrais. Ce sont autant de sédiments en moins dans les eaux de la Grande Barrière », explique Steven Miles. Celle-ci a perdu plus de la moitié de ses coraux en trente ans, principalement à cause du réchauffement climatique et de la détérioration de la qualité des eaux, qui provoquent leur blanchissement. Ces arguments permettront-ils de convaincre les députés de voter la loi ? Steven Miles se prépare à un « vote très serré ». Pour Andrew Cripps, chargé des ressources naturelles dans l’opposition, le gouvernement est « dans les mains de groupes écologistes extrémistes », et « refuse de reconnaître l’importance du secteur agricole pour l’emploi et la prospérité du Queensland ». Le lobby agricole AgForce, qui promet de peser de tout son poids pour bloquer la loi, a qualifié le projet de loi d’« attaque directe » contre les agriculteurs. Ceux-ci doivent développer leurs exploitations car l’Asie demande de plus en plus les produits australiens, soutient ce lobby. Les opposants à la loi ont reçu le soutien inattendu de Noel Pearson, un représentant des Aborigènes. « Nous n’allons pas sortir de la misère si nous n’avons pas l’opportunité de développer notre terre » pour de nouveaux projets agricoles, a-t-il déclaré à la radio ABC. La loi devrait être soumise au vote au deuxième semestre, mais le gouvernement, qui craint un pic du déboisement d’ici là, a annoncé qu’elle serait rétroactive. Les agriculteurs qui auront déboisé illégalement après le dépôt du projet de loi, à la mi-mars, encourront une amende. Les autorités ont prévenu que les terres seraient surveillées par satellite afin de détecter des activités suspectes. p caroline taïx Vingt nouvelles réserves de biosphère sur la liste mondiale de l’Unesco S AN T É Contamination de l’eau en Isère Une « importante contamination microbiologique » a été décelée dans le réseau d’eau potable de deux communes de l’Isère, Vif et Le Gua (près de 10 000 habitants au total), a annoncé le 20 mars la préfecture, qui recommande de ne pas la consommer. Cette mesure a été prise après plusieurs signalements d’un nombre élevé de gastro-entérites à la maison de retraite de Vif et un absentéisme important au collège local. Une distribution d’eau embouteillée va être assurée. – (AFP.) 10 | FRANCE 0123 MARDI 22 MARS 2016 AT T E N TAT S D U 1 3 N O V E M B R E Salah Abdeslam, pierre angulaire de l’enquête La capture du dernier membre des commandos de Paris ouvre des perspectives inédites A u cours de ses quatre mois de cavale, Salah Abdeslam a progressivement abandonné derrière lui toutes ses armes. Ses dernières munitions, il les a laissées dans l’appartement bruxellois dont il est parvenu à s’enfuir par les toits, le 15 mars, lors d’une opération de police. C’est donc un homme désarmé que les forces de police belges ont interpellé, vendredi 18 mars, dans son dernier refuge, un appartement de Molenbeek mis à disposition par un ami. La capture du dernier membre des commandos du 13 novembre ouvre des perspectives inédites aux enquêteurs. Outre sa mission le soir des attentats, qui reste à éclaircir, il a joué un rôle central dans la préparation des attaques et offrira, s’il collabore avec la justice, un éclairage inédit sur la structuration du projet et l’ampleur de la menace terroriste qui perdure en Europe. Inculpé samedi en Belgique pour « participation à des meurtres terroristes », ce Français de 26 ans a déposé, par l’intermédiaire de son avocat belge, Me Sven Mary, un recours contre le mandat d’arrêt européen délivré par la justice française. La décision finale de son transfèrement devra dans tous les cas être prise dans un délai maximal de trois mois. Il pourra cependant être entendu avant cette date par des policiers français dans les limites de l’équipe commune d’enquête franco-belge mise en place au lendemain des attentats de Paris et de Saint-Denis. De « faux migrants » Sans attendre sa remise à la France, Salah Abdeslam a déjà fait quelques déclarations aux enquêteurs belges. Dès les premières heures de son audition, il a affirmé qu’il avait souhaité « se faire exploser au Stade de France » et « avait fait machine arrière », a précisé samedi le procureur de la République de Paris, François Molins. Des déclarations « à prendre avec précaution », a souligné le magistrat, qui « laissent en suspens toute une série d’interrogations ». Cet aveu de Salah Abdeslam a surpris les enquêteurs, qui imaginaient jusqu’ici qu’il devait commettre un attentat dans le 18e arrondissement de Paris. Le lendemain des attaques, un communiqué de revendication de l’organisation djihadiste Etat islamique (EI) avait en effet évoqué « huit frères portant des ceintures d’explosif » et un attentat dans le 18e arrondissement. Or, seuls sept kamikazes se sont fait exploser cette nuit-là. Et aucune atta- L’avocat de Salah Abdeslam, Sven Mary, à Bruxelles, samedi 19 mars. PETER DEJONG/AP que n’a eu lieu dans ce quartier. Quelques minutes après avoir déposé en voiture trois kamikazes devant le Stade de France, le soir du 13 novembre 2015, le jeune homme est justement localisé dans le 18e arrondissement vers 22 heures. Il traverse ensuite la capitale vers le sud, et reste toute la nuit à Châtillon (Hauts-de-Seine) en attendant son exfiltration par deux amis venus de Molenbeek. A quelques centaines de mètres de sa planque, dans une poubelle de Montrouge, les enquêteurs retrouveront sa ceinture explosive. S’il a renoncé, comme il le prétend, à passer à l’acte, pourquoi at-il pris le risque de traverser Paris avec ce gilet explosif ? Si le Stade de France était son unique objectif, qui devait commettre l’attentat prévu dans le 18e arrondissement ? Les enquêteurs le savent, de nombreux « faux migrants », susceptibles d’être liés aux attentats de Pa- Une vaste toile de complicités Salah Abdeslam « était prêt à recommencer quelque chose. Nous avons trouvé beaucoup d’armes lourdes durant nos investigations et nous avons vu un nouveau réseau graviter autour de lui à Bruxelles », a déclaré, dimanche 20 mars, le ministre belge des affaires étrangères, Didier Reynders. Ces déclarations font écho aux 11 personnes aujourd’hui mises en examen, en Belgique, dans le cadre de l’enquête sur les attentats de Paris. Elles ont été interpellées au fil des mois. Généralement pour des soupçons d’aide logistique à Salah Abdeslam, en amont des attaques ou durant sa cavale. Huit individus sont actuellement en détention provisoire, trois sous contrôle judiciaire. Parmi eux : le logeur du djihadiste présumé dans sa dernière planque de Molenbeek. ris, sont arrivés en Europe ces derniers mois. Salah Abdeslam en connaît quelques-uns. Durant plusieurs mois, il a effectué un travail de logisticien qui lui a sans doute donné une vision assez large de la planification des attaques. Selon M. Molins, il a joué « un rôle central dans la constitution des commandos du 13 novembre, dans la préparation logistique des attentats », et « a participé à l’arrivée d’un certain nombre de terroristes en Europe », multipliant les déplacements en Italie, en Grèce, en Hongrie, en Autriche, en Allemagne et en France entre l’été et l’automne 2015. Quinze litres d’eau oxygénée On connaît déjà certains des complices qu’il a accueillis en Europe. Le 3 octobre, il avait ainsi rendu visite à Ulm, en Allemagne, à un faux migrant arrivé par l’île de Leros, comme deux des kamikazes du Stade de France, avec de faux papiers syriens au nom de « Mounir Ahmed Alaaj ». Cet homme a été Outre sa mission le soir des attentats, Salah Abdeslam a joué un rôle de logisticien interpellé à Molenbeek à ses côtés lors de l’assaut de vendredi. Le 9 septembre, Salah Abdeslam avait été par ailleurs contrôlé à la frontière austro-hongroise avec deux autres complices, porteurs de fausses pièces d’identité belges. L’un de ces deux hommes, l’Algérien Mohamed Belkaïd, aurait coordonné les attentats à distance depuis Bruxelles. Il est très vraisemblablement l’homme qui a été tué le 15 mars, lors de l’opération de police au cours de laquelle Abdeslam était parvenu à s’enfuir. Deux autres faux migrants, arrivés par l’île de Leros et porteurs de faux passeports syriens comme les kamikazes du Stade de France, ont, eux, été interpellés en Autriche le 10 décembre 2015. Ils avaient auparavant été incarcérés durant trois semaines à leur arrivée en Grèce pour « possession de faux passeports », un contretemps qui a pu les empêcher de rejoindre les commandos qui ont frappé Paris. Devaient-ils commettre l’attentat prévu dans le 18e arrondissement, une attaque ultérieure dans un autre pays européen ? Salah Abdeslam a sans doute les réponses. Outre son rôle d’agent d’accueil pour djihadistes de retour de Syrie, il a participé à l’armement des commandos du 13 novembre en achetant, à l’automne 2015, douze déclencheurs et quinze litres d’eau oxygénée, un composant utilisé dans la fabrication du triperoxyde de tricycloacétone (TATP), l’explosif contenu dans les ceintures explosives des kamikazes. Une pluralité de rôles qui pourrait donner un nouvel élan à l’enquête sur les attentats. p soren seelow Hollande reçoit les associations de victimes du 13 novembre L’exécutif assure ne pas vouloir utiliser l’arrestation de Salah Abdeslam pour presser le Parlement de voter la révision constitutionnelle L a rencontre était dans les tuyaux, mais l’arrestation de Salah Abdeslam, vendredi 18 mars, a accéléré le mouvement. François Hollande reçoit les associations de victimes des attentats du 13 novembre, lundi 21 mars, à l’Elysée, avec le garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, et la secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes, Juliette Méadel. « Le président leur parlera de l’arrestation d’Abdeslam et des suites judiciaires bien sûr, mais aussi du suivi des victimes : prise en charge, question de l’indemnisa- tion, accompagnement psychologique… Il s’agit d’être à l’écoute et dans l’échange », indique l’Elysée. Les représentants des associations, dont certains s’étaient montrés plutôt critiques, ont accueilli favorablement cette annonce. « Cette rencontre, que nous avions demandée fermement, est très positive », estime Georges Salines, de l’association 13 novembre : fraternité et vérité. « L’attaque terroriste du 13 novembre 2015 est la plus importante jamais survenue en France, cela mérite une attention au plus haut sommet de l’Etat. Nous souhaitons parler avec le président de la prévention du terrorisme au-delà du discours du 13 novembre qui reste trop étroitement lié à l’état d’urgence et à la déchéance de nationalité. » Responsable de l’association Life for Paris : 13 novembre 2015, Caroline Langlade estime pour sa part qu’« après la mise en place début février du secrétariat d’Etat chargé de l’aide aux victimes, c’est le bon moment pour être constructif. Nous demanderons au président de faire en sorte que ce secrétariat d’Etat perdure au-delà de la prochaine élection présidentielle sous la forme d’un ministère ou d’une agence nationale afin de pouvoir travailler sur le long terme ». « Le risque est là » Les victimes ont nombre de difficultés à faire valoir, selon Françoise Rudetzki, conviée à la réunion en tant que « personnalité qualifiée » et qui officie depuis trente ans dans l’aide aux victimes d’attentats : « Rencontrant de nombreux blessés et des proches de personnes décédées, je veux faire remonter les dysfonctionnements du fonds de garantie dont je suis membre du conseil d’administration. » Samedi, un conseil de défense s’était tenu à l’Elysée « pour débriefer et échanger des informations car une étape importante [avait] été franchie dans le démantèlement du réseau ». « Mais nous ne sommes pas au bout de la lutte contre le réseau terroriste qui a organisé les attentats du 13 novembre », indique l’Elysée. Manuel Valls le rappelle : « La menace terroriste est toujours très élevée », explique-t-il. « Comme en janvier 2015, comme en novem- bre 2015, le risque est là, plus que jamais », précise-t-il. Au plan politique, cette arrestation ne change cependant pas grand-chose à l’agenda politique de l’exécutif, ni à sa stratégie. Pas question d’utiliser cette interpellation pour mettre la pression sur le Parlement alors que la révision constitutionnelle est toujours en débat entre l’Assemblée nationale et le Sénat et que les deux Chambres ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le périmètre de la déchéance de nationalité. p patricia jolly et service france france | 11 0123 MARDI 22 MARS 2016 Sven Mary, avocat bouillonnant et procédurier Le pénaliste qui défend Salah Abdeslam a annoncé vouloir déposer plainte contre le procureur de Paris A PORTRAIT dire vrai, il est le seul à avoir accepté de prendre le « job » à bras-lecorps, au barreau de Bruxelles. Tête de baroudeur sur corps d’ado, air faussement excédé, Sven Mary, 44 ans, l’avocat de Salah Abdeslam, n’a pas particulièrement eu à jouer des coudes pour récupérer la défense du dixième homme du commando djihadiste qui a semé la terreur à Paris, la nuit du 13 novembre 2015. On lui a même plutôt volontiers laissé la mission. L’histoire l’oubliera vite, mais c’est par un simple avocat de permanence que Salah Abdeslam a été accompagné lors de sa toute première audition devant les enquêteurs belges, samedi 19 mars au matin, au lendemain de son arrestation. Le commis d’office qui se trouve à ses côtés en ce début de week-end est un peu désarmé devant la tâche qui l’attend. Il passe des coups de fil tous azimuts dans l’espoir de s’adjoindre les services d’un confrère plus aguerri. En vain. « Qui d’autre mieux que Sven Mary ? », répond-on en substance. Tous ignorent que le pénaliste a été contacté depuis la veille par la famille Abdeslam et qu’il est retenu par une obligation professionnelle loin de Bruxelles. Il arrivera quelques heures plus tard. Les motifs de refus des avocats bruxellois sont à l’aune de la misère judiciaire des dossiers terroristes. En Belgique comme en France, les djihadistes ont rarement les moyens des honoraires. Les défendre fait régulièrement fuir le reste de la clientèle. Seuls les passages médias font la paye grâce à la notoriété qu’ils permettent d’acquérir. Pour s’embarquer à leur côté, mieux vaut donc y chercher moins d’argent qu’un goût pour l’épique ou le défi. Bouledogue C’est sans doute le cas de Me Mary. Tous les barreaux ont leur avocat bouledogue. Il est de ceux-là. A peine entre-t-il dans la danse, sur les coups de midi, samedi, qu’il démarre bille en tête. Adepte des procès de rupture, il trace sa ligne. Après l’audition manquée devant les policiers, il assiste Salah Abdeslam pour celles qui suivent devant le juge d’instruction. A leur issue, il est un peu plus de 16 heures, et il déclare que la Belgique doit « cesser de s’agenouiller » devant la France. Puis, dès le dimanche, il fait savoir qu’il a l’intention de déposer plainte contre le procureur de Paris, François Molins. Avec son crâne rasé et sa parka à capuche qui participent de son personnage, Me Mary reproche devant les caméras au magistrat français d’avoir violé le secret de l’instruction. Le tort de M. Molins, selon lui : avoir dévoilé en conférence de presse, à Paris, ce que Salah Abdeslam avait déclaré à Bruxelles, le matin même, lors de son audition devant les policiers. Soit qu’il devait « se faire exploser » au Stade de France avant de renoncer… Inimaginable, il est vrai, dans le système judiciaire belge, où le porte-parole du par- « Il n’hésite pas à s’exposer et à se mettre en danger dans des dossiers très impopulaires » CHRISTOPHE MARCHAND avocat quet fédéral se contente généralement de lire un communiqué, sans livrer le moindre détail. La stratégie de Me Mary est habile. Elle surfe d’un côté sur l’opinion belge, toujours prompte à soutenir les piques contre le présupposé sentiment de supériorité français vis-à-vis de la Belgique. De l’autre, elle laisse planer la menace de la spécialité du pénaliste : les recours procéduraux. Le parquet de Paris se défend en invoquant son droit à s’exprimer, conformément au code de procédure pénale français. Mais Me Mary soutient que les propos de son client ont été tenus hors du cadre couvert par ce même code. Soit devant les policiers, mais pas au moment de l’audition liée à son mandat d’arrêt européen. Lors de celle-ci, il aurait justement « gardé le silence », assure-t-il au Monde. « Comme un poisson dans l’eau » Bref, une bataille technique comme il les aime. « Je suis comme un poisson dans l’eau », savoure-t-il. Rien ne dit qu’il gagnera son coup de menton judiciaire face à la gravité des accusations qui pèsent sur son client. Mais Me Mary est justement redouté en Belgique pour ses succès dans la traque des zones grises. C’est au civil, dans le droit de la construction qu’il a fait ses premières armes. Contentieux ingrat mais formateur. Un apprentissage doublé d’un goût pour l’engagement, cultivé notamment auprès d’Anne Krywin : l’une des avocates, aujourd’hui décédée, de la « bande à Baader », cette organisation d’extrême gauche qui a semé la terreur en Allemagne de 1968 à 1998. Depuis, le nom de Me Mary est presque devenu un slogan-repoussoir. Lors de débats au parlement, en 2009, sur une loi concernant les méthodes d’enquête des services de renseignement qu’il avait attaquée – avec succès –, des élus s’étaient mis comme objectif, à l’avenir, de rendre les procédures « imperméables à Me Mary ». « Il n’hésite pas à s’exposer et à se mettre en danger dans des dossiers très impopulaires », détaille son confrère Me Christophe Marchand, autre ténor du barreau. Ensemble, les deux avocats ont passé des années à défendre avec acharnement parmi les figures les plus importantes du terrorisme belge. Me Mary s’est ainsi embarqué dans le conseil, par le passé, de Ali Tabich, tête de pont d’un important réseau de recrutement de volontaires à des attentats pour Al-Qaida en Belgique. Ou Fouad Belkacem, le leader du groupe Shari4Belgium, ce mouvement qui réclamait ouvertement Débat sur les déclarations de François Molins Dimanche 20 mars au matin, l’avocat de Salah Abdeslam, Me Sven Mary, a déclaré son intention de déposer plainte contre le procureur de Paris, François Molins, pour « violation du secret de l’instruction ». Il reproche au magistrat français d’avoir communiqué à la presse, samedi, au lendemain de l’arrestation de son client, une partie des déclarations faites par celui-ci durant son audition, concernant sa volonté de se faire « exploser au Stade de France ». Dans le cadre de l’équipe commune d’enquête franco-belge, l’article 11 du code de procédure pénale autorise pourtant le parquet à « rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure » afin d’éviter « la propagation d’informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public ». Or cette déclaration de Salah Abdeslam avait déjà fuité sur BFM-TV… un média contre lequel l’avocat n’a pas déclaré vouloir porter plainte. l’instauration de la charia, y compris par la violence. La particularité de Me Mary : s’être spécialisé, comme Me Marchand, dans les attaques procédurales diverses et variées au nom des droits de l’homme. Leur analyse : les terroristes présumés font plus souvent que d’autres face à des abus de droit, il convient donc de les défendre avec cran. L’un de leurs principaux faits d’armes s’est joué lors du procès de la cellule belge du Groupe islamique combattant marocain. Les prévenus étaient soupçonnés d’avoir participé aux attentats de Madrid en 2004. Les deux pénalistes ont attaqué en nullité toutes les notes des services de renseignement les mettant en cause. L’issue du procès n’en a pas été changée. Mais la loi belge a par la suite encadré la pratique. Me Mary est parfaitement bilingue – il plaide indifféremment en néerlandais et en français, ce qui est très rare en Belgique. ll est le fils de l’ancien patron de la radiotélé publique flamande. Père de deux enfants, divorcé, il est aussi passionné de football. Un sport dans lequel il s’est un temps destiné à une carrière professionnelle en jouant dans l’équipe espoir du club d’Anderlecht, à Bruxelles, le plus grand club de Belgique. C’est après s’être blessé qu’il a bifurqué vers les études de droit. lument éviter ce qu’a fait le procureur de Paris, qui risquerait de le refermer comme une huître. » « Si je me retrouvais au trou, c’est clairement Me Mary que je prendrais pour me défendre », abonde un jeune pénaliste, Me Steve Lambert, avocat d’un important recruteur de djihadistes belge, récemment jugé : Khalid Zerkani. Certains barons de la mafia ne s’y Une « montagne d’or » Me Mary dit ne pas avoir hésité longtemps avant d’accepter de défendre Salah Abdeslam, même s’il ne cautionne en rien ses actes. C’est une « montagne d’or », plaide-t-il. Selon lui, le djihadiste a de lui-même commencé à « collaborer » avec la justice. Sous-entendu divulguer des noms et des détails sur l’organisation des attentats. « Je veux bien l’emmener sur la route du repenti mais il faut abso- Selon Me Mary, les terroristes présumés font plus souvent que d’autres face à des abus de droit, il convient donc de les défendre avec cran sont pas trompés. Jusqu’à son assassinat fin août 2015, Me Mary conseillait le parrain de la drogue d’origine italienne Silvio Aquino. Un client pour lequel il a appliqué ses méthodes habituelles, aidé dans sa mission par ses quatre collaborateurs qui épluchent avec lui les failles oubliées du droit. Cette approche lui a valu attaques et soupçons en tout genre sur sa probité. Mais jusqu’à présent, il s’en est toujours relevé. Durant le week-end, il a envoyé par texto cette citation de l’ancien premier ministre anglais Winston Churchill, à l’un de ses bons confrères avec un smiley : « You’ve got ennemies ? Good ! That means you’ve stood up for something sometime in your life » (« Vous avez des ennemis ! Bien ! Cela veut dire que vous vous êtes battu contre quelque chose au moins une fois dans votre vie »). p jean-pierre stroobants (à bruxelles) et élise vincent 12 | france 0123 MARDI 22 MARS 2016 Migrants : la France suspendue à l’accord turc L’Ofpra refuse le renvoi de demandeurs d’asile en Turquie. L’arrivée de réfugiés en France pourrait s’accélérer suite de la première page Selon l’Ofpra, une vingtaine d’agents de protection de l’Office devraient bien s’envoler pour la Grèce dans les jours à venir. Mais leur mission se cantonnera à proposer aux migrants déjà arrivés à Athènes, ou bloqués à la frontière macédonienne, de rejoindre l’Hexagone dans le cadre de ce « quota » de 30 000 réfugiés. Ce week-end, la France s’est dite prête à fournir des renforts pour épauler l’Agence européenne chargée de l’asile (European Asylum Support Office). Elle enverra donc, en plus des agents Ofpra, quelque 80 fonctionnaires de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) et des préfectures, pour enregistrer les entrants en Europe, selon le ministère de l’intérieur. Ils s’ajouteront aux 200 officiers de police déjà envoyés pour soutenir l’agence européenne de surveillance des frontières, Frontex. Lundi 21 mars au matin, toutes les directions du ministère de l’intérieur concernées étaient conviées à une réunion d’urgence de mise en œuvre du dispositif. L’accord, qui veut inciter la Turquie à bloquer les départs depuis ses côtes vers les îles grecques, oblige le pays dirigé par Recep Tayyip Erdogan à reprendre les migrants qui en seraient partis à l’insu de ses gardes-côtes. En échange, puisque la Turquie compte déjà 2,7 millions de réfugiés syriens, l’UE propose, pour chaque Syrien réadmis depuis la Grèce, de soulager la Turquie d’un Syrien jugé vulnérable (selon les critères du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies – HCR). Ces « élus à la réinstallation » pourront être envoyés dans un pays européen dans le cadre des engagements passés entre les Etats et le HCR. Sans préjuger de sa faisabilité, l’accord – qui ne change en aucun cas la politique globale d’accueil de la France – pourrait, selon la manière dont il est mis en place, accélérer ou non l’arrivée dans l’Hexagone des 30 000 « relocalisés » que François Hollande s’était engagé à accueillir en septembre 2015. Plusieurs cas de figure se dessinent. D’abord, si le dispositif fonctionne, et si l’effet escompté est obtenu, la Turquie contrôlera ses 206 kilomètres de côtes et parviendra à endiguer les départs pour la Grèce. Dans ce cas, la politique du « un pour un », à laquelle l’Europe s’est engagée à hauteur de 72 000 places, n’aura même pas à être mise en œuvre – ou à la marge seulement – et l’impact sur l’accueil en France sera nul. Il reste des places Si le mécanisme du « un pour un » se met en place, les arrivées en France se feraient dans le cadre des engagements déjà pris, et non encore remplis, de réinstallation des personnes vulnérables. Un bon millier de « réinstallés » sont déjà arrivés en 2015, en provenance de Jordanie, du Liban et d’Egypte. Le gouvernement Valls avait pris l’engagement d’en accueillir 2 375, il reste donc des places. Et si le nombre de personnes à réinstaller devait être supérieur, le surnombre serait pris sur le quota européen initialement destiné à la Hongrie mais que cette dernière se refuse à honorer. Migrants pakistanais sur l’île grecque de Lesbos, le 16 mars. AFP Si l’accord se met en œuvre dans le respect des textes européens, c’est-à-dire si les renvois hors de l’Union européenne n’ont lieu que pour des migrants non éligibles à l’asile, la Grèce deviendra le « hot spot » où la France – comme les autres pays – ira chercher les migrants qu’elle a promis d’accueillir d’ici à 2017. La mise en œuvre de l’accord aura alors pour effet de précipiter la relocalisation des 160 000 réfugiés décidée par l’UE à l’automne. En effet, tous les Syriens arrivant par la Grèce seraient contraints d’y déposer une demande d’asile. Ce à quoi beaucoup se refusent à ce jour, rêvant d’Allemagne ou de Suède. Ce cas de figure pourrait accélérer l’arrivée en France des 30 000 migrants promis, alors qu’à l’heure actuelle seuls 300 sont là. Mais ce n’est pas le cas de A Lesbos, le « hot spot » de Moria est devenu un camp de rétention aux termes de l’accord conclu vendredi 18 mars entre l’Union européenne et la Turquie, tous les « nouveaux migrants irréguliers » arrivant en Grèce peuvent, depuis le dimanche 20 mars, être refoulés en Turquie. Sur l’île de Lesbos, en mer Egée, principale porte d’entrée de réfugiés en provenance des côtes turques, la situation est pour l’instant chaotique. « Nous ne savons rien. Ni comment traiter les nouveaux arrivants ni comment vont s’organiser ces fameux renvois », expliquait, dubitative, une source policière, dimanche. Seule certitude, les rotations de navires se sont multipliées pour vider l’île et transférer les migrants présents avant dimanche vers le continent et des centres d’accueil temporaires. Le camp d’enregistrement (« hot spot ») de Moria est désormais exclu- sivement réservé aux nouveaux arrivants. Sur la seule journée du 20 mars, environ 800 réfugiés et migrants ont débarqué sur les plages de l’île. Une fois transférés à Moria, l’habituel protocole d’enregistrement leur a été appliqué : entretien pour établir la nationalité, prise d’empreintes et de photo. Ne plus délivrer de laissez-passer Mais en bout de chaîne, les policiers chargés des opérations ont reçu l’ordre de ne plus délivrer les laissez-passer qui permettaient jusqu’ici aux Syriens ou Irakiens de bénéficier de la libre circulation sur le territoire pour une durée de six mois (contre un mois pour les migrants d’autres nationalités). Désormais, tous les nouveaux arrivants sont contraints de rester dans le camp, fermé à tous et notamment à la presse, là où jusqu’ici ils étaient libres d’aller prendre un ticket pour continuer en ferry leur route vers le continent. Moria est de fait devenu un camp de rétention. Ces nouveaux arrivants auront-ils tous le droit de déposer une demande d’asile en Grèce pour éviter d’être refoulés en Turquie ? Si oui, seront-ils tous détenus à Moria le temps de l’examen de leur dossier ? D’où, comment et par qui seront renvoyés les autres ? Le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a créé ce week-end un conseil gouvernemental pour coordonner lui-même la mise en œuvre du plan UE-Turquie et promet d’apporter des réponses concrètes dans les tout prochains jours. p adéa guillot (athènes, correspondance) figure le plus plausible, car il transformerait la Grèce en un gigantesque camp. Ce que l’UE veut justement éviter. Dans le cas du renvoi de demandeurs d’asile, option qui figure dans le texte de l’accord, la Grèce serait soulagée d’une part des flux entrants, réexpédiés vers la Turquie même lorsqu’ils ont déposé une demande d’asile en Europe. C’est le point qui pose juridiquement et déontologiquement problème et a valu une forte émotion tout le week-end au sein du HCR. Le dispositif promet des batailles juridiques. Il risque aussi de déplacer les voies d’entrées en Europe. Comme d’autres spécialistes des migrations, François Gemenne, professeur à Sciences Po, estime que « nous assisterons à la création de nouvelles routes migratoires, ou au retour vers des routes utilisées antérieurement ». Retour vers la Méditerranée Si depuis le début de l’année, plus de 143 000 personnes sont arrivées en Grèce par la Turquie, la voie dominante d’entrée dans l’UE était la Méditerranée centrale durant le premier trimestre 2015. Le basculement vers la route des Balkans ne s’est fait que tardivement. On pourrait assister à un re- Si l’accord se met en œuvre, la Grèce deviendra le « hot spot » où la France ira chercher les migrants qu’elle doit accueillir d’ici à 2017 tour vers la Méditerranée, facilité par la fin de l’hiver. Plus de 900 migrants ont d’ailleurs été secourus samedi 19 mars dans le détroit de Sicile entre la Tunisie et l’Italie. Ce changement de route placerait la France dans une position différente. A l’été 2015, c’est l’accroissement du flux de migrants en provenance d’Italie qui avait poussé le ministère de l’intérieur à réinstaurer des contrôles aux frontières à Vintimille. Pays en bout de chaîne sur la route des Balkans, la France se retrouverait de nouveau pays de transit entre l’Italie et l’Europe du Nord ou le Royaume-Uni. p maryline baumard A Lyon, les fidèles font bloc autour de l’archevêque Barbarin Mis en cause pour sa gestion d’affaires de pédophilie, le cardinal s’est borné à un discours religieux lors de la messe des Rameaux lyon - correspondant L a rumeur prétendait qu’il ne viendrait pas, fatigué par une semaine de tempête médiatique, craignant même un incident. Dimanche 20 mars, à Lyon, branche de buis à la main, les fidèles se pressent sur le parvis de la primatiale Saint-Jean-Baptiste, au pied de la colline de Fourvière, pour la messe des Rameaux, dans l’attente de Mgr Barbarin. L’archevêque de Lyon a été mis en cause pour sa gestion d’anciennes affaires de pédophilie présumée. Critiqué par les victimes, attaqué par des personnalités politiques, jusqu’au premier ministre Manuel Valls qui a suggéré sa démission, Philippe Barbarin s’est défendu péniblement, accablé de révélations quotidiennes. Les fidèles sont tous choqués par la façon dont il a été désigné à la vindicte. « Je ne dis pas qu’il a tout bien fait mais là, c’est de l’acharnement sur sa personne », confie Marie-Claudine, 61 ans. D’autres parlent de « lynchage médiatique » avec plus de véhémence. Mais ce qui frappe, dans la fraîcheur ensoleillée de la place Saint-Jean, c’est la volonté générale de chercher à comprendre. On interroge l’Eglise, en posant en préalable la souffrance des enfants et des familles qui ont subi les comportements des prêtres déviants. Pierre, 88 ans, médecin à la retraite, résume l’état d’esprit ambiant : « On a beaucoup fait d’articles impliquant le cardinal, or il est arrivé en cours de route dans cette histoire. Cette affaire est une souffrance pour toute l’Eglise. Dans le passé, on ne parlait jamais de ces problèmes, on les cachait. Comment tolérer le mal infligé par des prêtres ? Il faut que les choses s’éclaircissent. » Fanny et Esra, 24 ans, ont toutes deux été bapti- sées par le cardinal Barbarin. Elles sont troublées, indécises : « On ne sait pas trop quoi en penser, c’est délicat, on ne sait pas tout, c’est à la justice de nous dire. » Des questions La justice, elle, avance très prudemment, aux limites de la prescription. Une information judiciaire est ouverte sur des faits reprochés à un prêtre. Deux enquêtes préliminaires étudient la « non-dénonciation » ou « la mise en danger d’autrui » qui vise plutôt la hiérarchie catholique. Pour la plupart, les fidèles n’éludent pas le débat que soulèvent ces cas de pédophilie. « Il faut assumer, sans faux-fuyant, sans dérobade, faire la part des choses. Le pape a clairement donné la direction à mener », dit Paul, 27 ans, pour qui « aujourd’hui, on doit agir d’une manière différente ». Claire, 27 ans, enseignante, affirme que ce pro- blème touche plus souvent les établissements scolaires que les paroisses religieuses. Des secrets trop longtemps enfouis, une institution maladroite, une époque attachée au droit des victimes : tout en soutenant le cardinal, les catholiques lyonnais se posent des questions. « Bien sûr que c’est scandaleux, ces histoires internes, dans le diocèse », dit Emile, 17 ans, scout venu distribuer des rameaux. Sans craindre de s’exprimer ouvertement, le jeune homme tient à préciser : « Il ne faut pas juger trop vite. Moi sur Facebook, je vois tout ce que des prêtres font de bien partout dans le monde. » Certains suggèrent des réformes en profondeur : « Cette affaire renvoie à des sujets complexes, le système catholique étant ce qu’il est, assez fermé, on ne progresse pas. On devrait reparler du mariage des prêtres par exemple », avance Jérôme, 27 ans. A 10 h 30, Mgr Barbarin apparaît à l’horaire prévu par son agenda officiel. Il commence la messe à l’extérieur de la cathédrale. Comme le veut la tradition, en rappel de l’entrée du Christ à Jérusalem, il frappe à la porte avec sa crosse. Dans sa longue lecture des Evangiles, il est beaucoup question de miséricorde et de pardon. Philippe Barbarin a toujours eu un ton incantatoire, grave et appuyé en fin de phrases. Si sa voix a pu se faire plus profonde lors de cette messe inaugurale de la semaine pascale, c’est bien le seul signe inhabituel. Le cardinal se borne à un discours religieux, sans référence à l’actualité qui secoue le diocèse. Une pique contre Valls La pique viendra d’un autre orateur. Au moment de la « prière universelle », Tanguy Angleys, intervenant laïque, propose des « intentions de prières » pour le pape, pour les frères et sœurs religieux, confrontés aux « difficultés de leur ministère » et « pour tous les hommes et femmes responsables publics afin qu’ils puissent garder la réserve, la lucidité, la force et le courage pour une société plus fraternelle, juste et remplie d’espérance ». Garder la réserve ? Une allusion claire aux propos du premier ministre et à ceux de la secrétaire d’Etat chargée de l’aide aux victimes, qui ont demandé que le cardinal prenne « ses responsabilités ». « Il ne faut pas surinterpréter », tempère l’entourage du cardinal. A la sortie de la messe, Tanguy Angleys assume et confirme son intention, en ironisant : « L’Etat n’est pas assez laïque, il n’a pas à s’en mêler. » Si les fidèles lyonnais appellent l’Eglise à prendre ses responsabilités, ils demandent aussi un peu de mesure aux politiques. p richard schittly france | 13 0123 MARDI 22 MARS 2016 Aéroport : le référendum agace la Bretagne Si la région finance Notre-Dame-des-Landes, elle doit voter, estiment nombre d’élus bretons rennes - correspondance E n annonçant l’organisation d’une consultation sur le projet controversé d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), François Hollande espérait-il mettre enfin tout le monde d’accord ? Peut-être. Pour l’instant, c’est raté. En Bretagne, région limitrophe, la décision du gouvernement de ne consulter que les habitants de la Loire-Atlantique provoque chez les élus des réactions contradictoires, entre exaspération, résignation et silences gênés. Présenté par ses promoteurs comme le futur « aéroport du Grand Ouest », le nouvel équipement est censé remplacer l’actuelle plate-forme nantaise, mais aussi desservir les territoires voisins, parmi lesquels la Bretagne. Cinq collectivités bretonnes adhèrent au Syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest, qui « représente les intérêts des populations riveraines et des territoires concernés ». Le conseil régional de Bretagne a financé cette instance à hauteur de 29 millions d’euros, soit 25 % du total abondé par les collectivités – moins que la part de la région Pays de la Loire, mais davantage que celle du département Loire-Atlantique. Dans ce contexte, de nombreux élus ont exprimé leur désaccord avec le périmètre choisi pour la consultation. Leur credo : puisque les Bretons payent, ils doivent pouvoir voter. Des représentants de la droite, des écologistes, des régionalistes et de l’extrême droite se sont exprimés – chose rare – à l’unisson. Dans un communiqué, Ronan Loas, maire (Les Républi- cains) de Ploemeur et vice-président du conseil départemental du Morbihan, affirme que « cet équipement impactera obligatoirement le réseau des petits et moyens aéroports bretons, indispensables à notre économie locale et à notre attractivité ». Il ajoute que le Morbihan « devra investir lourdement pour la construction de routes départementales permettant de desservir correctement cet aéroport ». Infrastructures coûteuses Matthieu Theurier, vice-président (EELV) de Rennes Métropole, membre de la majorité rennaise cornaquée par la députée et maire socialiste Nathalie Appéré, considère que la définition d’un périmètre restreint confine à la « mascarade » : « Rennes est dans le syndicat mixte et dispose déjà d’un aéroport. Il est absolument anormal que les Rennais et les Bretons ne soient pas consultés. C’est à la limite de la manipulation citoyenne », s’emporte-t-il. Un avis que partage Gilles Pennelle, président du groupe FN au conseil régional : « Tous les habitants des régions Bretagne et Pays de la Loire sont concernés et seront appelés à payer par leurs impôts les infrastructures coûteuses reliant cet aéroport au réseau existant. » Dès lors, les socialistes bretons se retrouvent en position inconfortable. Au choix, pour eux : soutenir la décision gouvernementale et dénier à leurs administrés le droit de s’exprimer sur un sujet qui les concerne, ou réclamer une voix au chapitre mais au risque d’apparaître comme déloyaux à l’égard de Matignon et de l’Elysée. Après l’annonce de M. Valls de limiter la consultation à la seule Loi- Près de Lille, Valls défie Aubry et sermonne en creux Hollande La région a donné 29 millions d’euros pour le Syndicat mixte aéroportuaire re-Atlantique, Nathalie Appéré et Emmanuel Couet, président de Rennes Métropole, ont simplement indiqué dans un communiqué : « Nous prenons acte. (…) Nous souhaitons que cette consultation, dans le cadre d’un débat démocratique apaisé, permette de conforter la légitimité du projet. » Jean-Luc Chenut, président (PS) du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine, territoire qui borde le site choisi pour le futur aéroport, avait pris position en février pour une consultation élargie : il n’a pas réagi aux propos de M. Valls. Le maire socialiste de Brest, François Cuillandre, ne cache pas son agacement : « La métropole brestoise ne participe ni de près ni de loin au financement de cet aéroport. J’ai autre chose à faire que d’organiser des bureaux de vote pour un référendum sur Notre-Dame-des-Landes. » Au conseil régional, présidé par le ministre de la défense, JeanYves Le Drian, les élus de la majorité défendent sans surprise le choix du gouvernement. « Le périmètre me paraît cohérent avec celui de l’enquête publique, explique Gérard Lahellec, vice-président (PCF) chargé des transports. On n’était pas demandeurs d’un référendum. Il faudrait dans ce cas consulter toutes les populations sur tous les projets d’infrastructures qu’on a en commun. Par exemple, la ligne à grande vitesse [LGV] à 3,4 milliards ! » Un ancien élu régional, opposé au projet d’aéroport, observe : « Les socialistes bretons ne sont pas forcément convaincus par Notre-Dame-des-Landes. Dans les couloirs, certains n’hésitent pas à dire que le projet est aberrant. Mais il y a interdiction de dissidence. Et c’est un peu donnantdonnant avec les Pays de la Loire : vous ne nous embêtez pas pour notre LGV, on ne vous embête pas pour l’aéroport. » Pour le moment, les exhortations des uns et des autres n’ont pas engendré de mobilisation notable au sein de la société civile. Seul François Goulard, président (LR) du conseil départemental du Morbihan, semble résolu à échafauder une contre-offensive politique. L’ancien ministre délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche (2005-2007) indique au Monde qu’il envisage d’organiser une consultation locale sur son territoire, le même jour que celle prévue en Loire-Atlantique. « Je ne le ferai que si je ne suis pas seul », précise-t-il. Il a sollicité à cet effet ses homologues de Mayenne, du Maine-et-Loire et de Vendée. p nicolas legendre PR ÉS I D EN T I ELLE 2017 L’UDI dit non à la primaire de la droite Les adhérents de l’UDI ont voté à 66,56 % contre une participation de leur parti à la primaire de la droite et du centre, qui aura lieu les 20 et 27 novembre. Jean-Christophe Lagarde, le président de l’UDI, dont le congrès se tenait dimanche 20 mars à Versailles, avait appelé les adhérents à voter en ce sens, faute d’avoir pu sceller avec Nicolas Sarkozy, président des Républicains, un « pacte d’alternance » portant sur les investitures aux législatives de 2017. Philippe Poutou candidat du NPA Philippe Poutou sera de nouveau le candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) à l’élection présidentielle de 2017. C’est ce qu’a décidé la formation d’Olivier Besancenot, réunie à Nanterre, samedi 19 et dimanche 20 mars. « Je n’arrive pas en terrain inconnu, même si on sait que ce sera une campagne compliquée », a affirmé M. Poutou. Agé de 49 ans, il avait recueilli 1,15 % des voix au premier tour de la présidentielle de 2012. )#(#% $)')&("! */#'"-++'!'.& /,-.-!$)%' ( '!+"-$ "0!/*+ ,$+()$#.&- %$ '*/)$ @( 7FDA=> $!>47!%1(@ #! @=A7! $=>62@4! @!6 ($4!276 #! @)F$=>=?A! !4 #! @B!?<@=A wattrelos (nord) - envoyé spécial bastien bonnefous 1!>!. <(74(D!7 1=47! 1A6A=> $" 87/1" 1D=<78 - #(4!6& - @A!2/& - 4CF?(4A:2!6 )' ,!.2 B 5+!.2 A>#2647A! % ,0583 & 76;E*:4 4=27A6?! % 3;583 & (;9>4 F$=>=?A! 6=$A(@! !4 6=@A#(A7! % ,-58" & %!C3'*0690$=??!7$!& (74A6(>(4 + '4< % ,958" & %!*636'4 (D7A$2@427! % ;858* & (906#'4 F$=>=?A! >2?F7A:2! % ;;58* & /9064 Programme & inscriptions sur : egecoemploi.regioncentre-valdeloire.fr Plus qu’une Région, une chance www.regioncentre-valdeloire.fr Région Centre-Val de Loire - 2016 P rès d’un mois après la charge de Martine Aubry contre la politique du gouvernement (Le Monde du 25 février), Manuel Valls est venu dans le Nord lui répondre. Et le premier ministre l’a fait pratiquement sur les terres de la maire de Lille, dans la commune voisine de Wattrelos où il s’est rendu, dimanche 20 mars, pour participer à une « fête de la rose » du PS. Invité par le maire et député de la circonscription, Dominique Baert, flanqué du ministre de la ville et ancien président du conseil général du Nord, Patrick Kanner, du député PS Bernard Roman, et de Martine Filleul, qui dirige la fédération socialiste départementale, M. Valls s’est entouré à la tribune de tout ce que le PS nordiste compte d’opposants à Mme Aubry, absente. Sans jamais la citer durant son discours d’une heure, M. Valls enchaîne les flèches à son encontre. « Il ne suffit pas d’écrire des tribunes, il faut aussi se confronter à la réalité », déclare-t-il, reprochant à Mme Aubry et à ses proches de trop « IL NE SUFFIT PAS souvent « se réfugier dans le confort D’ÉCRIRE DES TRIBU- de l’opposition ». « Nous connaissons les critiques. Il y a ceux qui disent : “La NES, IL FAUT AUSSI gauche au pouvoir ne fait pas tout ce que notre cœur nous dicte.” Nous n’opSE CONFRONTER posons pas la raison au cœur, nous À LA RÉALITÉ » faisons simplement face à la réalité .» M. Valls prêche aussi pour sa propre MANUEL VALLS paroisse. Devant les 200 personnes présentes dans la salle municipale Roger-Salengro, il rappelle qu’« être de gauche », c’est désormais accepter que « le cycle du parti d’Epinay [soit] derrière nous » et ériger à la place « une maison commune de tous les progressistes ». A presque un an de l’élection présidentielle, son message vaut autant pour Mme Aubry que pour François Hollande. A la première, M. Valls dit que ses critiques permanentes font le jeu de la droite, voire du FN, alors qu’au même moment, le second tour d’une législative partielle à Tourcoing oppose un candidat LR – Vincent Ledoux, victorieux dimanche avec 67,92 % des voix – à un candidat FN. « Nous diviser, fracturer la gauche, c’est ouvrir un boulevard à l’extrême droite et c’est préparer le retour de la droite. » Au chef de l’Etat, il reproche, entre les lignes, son absence de pédagogie. « Nous préparons mal la conquête du pouvoir, et confrontés à son exercice, nous ne l’expliquons pas. Alors expliquons ! Assumons ! » A défaut, M. Valls conclut en direction de l’auditoire : « Ma gauche, je veux la mettre à votre service, au service des socialistes, au service de la France. » Comme si cela pouvait servir, si d’aventure M. Hollande décidait de ne pas concourir en 2017. p 14 | france 0123 MARDI 22 MARS 2016 Cumul des mandats : Sarkozy seul contre tous Le président des Républicains veut abroger la loi sur le non-cumul dès le début du prochain quinquennat L a scène se passe le 24 septembre 2015, au Palais des congrès de Reims, lors des journées parlementaires des Républicains (LR). Jusque-là, les députés et les sénateurs présents ont écouté poliment, sans enthousiasme excessif, le président de leur parti, intervenant en clôture de leurs travaux. Soudain, ils applaudissent à tout rompre. Nicolas Sarkozy vient d’annoncer sa volonté de revenir sur la loi, votée par la gauche, qui interdit le cumul d’un mandat parlementaire avec une fonction exécutive locale. « Ceux qui sont député-maire ou sénateur-maire n’ont pas volé leurs mandats ! Ils ont été donnés par le peuple souverain, donc je ne vois pas au nom de quoi ils devraient s’en excuser », clame le président de LR. Rappelant qu’il n’a « jamais plaidé pour le mandat unique », il met en garde contre le « grand risque » d’avoir « des assemblées parlementaires parfaitement horssol », avec des élus « n’ayant aucun mandat local » pour les « maintenir dans la réalité démocratique du pays ». Succès d’estrade garanti. En quête de soutien dans son opération reconquête de l’Elysée, l’exchef de l’Etat a dit à son auditoire ce qu’il voulait entendre. Du miel aux oreilles des élus de droite. « Nous refusons un système qui discrimine les parlementaires qui seraient les seuls à ne pas pouvoir être maire, président de département ou de région », appuie Christian Jacob, chef de file des députés LR. L’abrogation de la loi en question La position de M. Sarkozy, qui n’est pas nouvelle, est partagée à droite, y compris chez ses rivaux à la primaire. Ce qui fait débat, c’est l’opportunité et la faisabilité d’une abrogation de la loi anti-cumul comme premier acte « fondateur » du prochain quinquennat, si la droite revient au pouvoir. Les parlementaires de LR sont attachés, dans leur majorité, à pouvoir continuer à cumuler avec un mandat exécutif local. De là à faire campagne auprès des électeurs sur le retour au cumul, il y a un pas que, pour l’heure, les principaux adversaires de l’ex-chef de l’Etat se refusent à franchir. Ils vont jusqu’à l’accuser de fausses promesses car, estiment-ils, revenir sur la loi anti-cumul pour les députés élus en 2017 sera quasi mission impossible. C’est notamment ce qu’expose le professeur de droit Pierre Albertini, ancien maire de Rouen, chargé par Alain Juppé de réfléchir à la question. Peut-on abroger la loi dans les trente jours suivant les prochaines élections législatives, délai pendant lequel les élus en situation de cumul devront choisir entre mandat national et fonction Parlementaires cumulant : Les Républicains plus concernés que la moyenne DÉPUTÉS SÉNATEURS 75 % 85 % 71 % 80 % 433 députés sur 577 166 députés LR sur 195 248 sénateurs sur 343 115 sénateurs LR sur 144 TOTAL* LES RÉPUBLICAINS TOTAL* LES RÉPUBLICAINS Adjoints au maire Vice-présidents de département Conseillers départementaux Présidents de région Vice-présidents de région Conseillers régionaux 19 113 6 10 Présidents de département Total de députés cumulant 6 31 X 2 7 XX Vice-présidents de département TOTAL* 7 10 Vice-présidents de région 20 50 Conseillers régionaux Total de sénateurs cumulant 4 20 X 2 2 Présidents de région dont Les Républicains 1 2 6 14 Conseillers départementaux dont Les Républicains 0 11 22 61 % 47 % 121 députés LR sur 195 88 sénateurs LR sur 144 163 sénateurs sur 343 LES RÉPUBLICAINS TOTAL* LES RÉPUBLICAINS * hors intercommunalités « Je croyais qu’on était pour le travailler plus… Pourquoi serionsnous pour le travailler moins pour nous ? » NICOLAS SARKOZY président du parti LR exécutive locale ? La date des législatives n’est pas encore fixée mais la probabilité la plus forte est qu’elles aient lieu les 11 et 18 juin 2017. Ce qui laisserait jusqu’au 19 juillet pour se mettre en conformité avec la règle. Est-il possible de changer la règle dans ce laps de temps ? « L’obligation de recourir à une loi organique, pour les députés et les sénateurs, impose des conditions de délai, de majorité et de soumission au Conseil constitutionnel, rappelle M. Albertini. Leur combinaison conduit à rendre impossible l’adoption d’une loi d’initiative gouvernementale, même réduite à un article unique, entre l’installation de la nouvelle assemblée et l’expiration de la session ordinaire, le Législatives partielles : trois victoires LR La droite a conservé les trois sièges qui étaient à pourvoir lors des élections législatives partielles en l’emportant nettement au second tour, dimanche 20 mars, dans des scrutins marqués par de forts taux d’abstention. Dans le Nord (78 % d’abstention), Vincent Ledoux (LR) a été élu avec 67,92 % des suffrages, contre 32,08 % à la candidate FN, Virginie Rosez. Dans l’Aisne (65,75 % d’abstention), Julien Dive (LR) l’emporte avec 61,14 % des voix, contre 38,86 % à la candidate FN, Sylvie Saillard. Le PS avait été éliminé dès le premier tour dans ces deux circonscriptions. Dans les Yvelines (73,88 % d’abstention), Pascal Thévenot (LR) recueille 72,25 % des suffrages face au socialiste Tristan Jacques (27,75 %). venant de choc XX SÉNATEURS POUVANT ÊTRE VISÉS PAR LA LOI 62 % 239 députés sur 577 12 43 Conseillers municipaux 12 19 119 9 18 Adjoints au maire DÉPUTÉS POUVANT ÊTRE VISÉS PAR LA LOI 41 % 64 Maires 5 15 Conseillers municipaux Présidents de département 186 95 Maires SOURCE : LE MONDE 30 juin. » Bien sûr, il est probable, et même quasiment certain, qu’une session extraordinaire sera convoquée mais, « l’adoption d’un projet de loi, selon la procédure accélérée, avant le 19 juillet, est difficilement réalisable », estime le juriste. Reste l’ultime parade : faire adopter par le Sénat en première lecture, avant la suspension des travaux de la présente législature, en février 2017, une proposition de loi d’abrogation dont l’Assemblée nationale renouvelée pourrait immédiatement se saisir pour la voter conforme. Mais est-ce politiquement jouable ? « La ficelle est un peu grosse. Une telle attitude serait suicidaire », estime M. Albertini. « N’en déplaise à ceux dont l’appétit de cumul est insatiable, il est préférable de s’inscrire dans la logique de l’incompatibilité posée il y a deux ans et souhaitée par l’opinion », poursuit cet ancien proche de François Bayrou qui a rejoint l’équipe de M. Juppé. Le raisonnement est à peu près similaire chez François Fillon, même s’il penche plutôt pour le maintien du droit au cumul. « Il ne reviendra pas sur la loi », assure son porte-parole Jérôme Chartier. Pour qu’une proposition de loi d’abrogation soit adoptée au Sénat avant la présidentielle, encore faudrait-il qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour. Et ni le président du Sénat, Gérard Larcher, ni celui du groupe LR, Bruno Retailleau, proches de M. Fillon, ne semblent convaincus d’une telle éventualité. « M. Sarkozy a proposé de déposer un texte abaissant le nombre de députés et de sénateurs et, dans ce cadre, de rétablir le cumul des mandats. C’est une réflexion qui est en cours », admet M. Retailleau. Même certains proches de M. Sarkozy jugent sa position diffi- Huit parlementaires LR sur dix sont élus locaux on ne mesure pas encore la « révolution » que constitue la loi organique du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec un mandat de député, de sénateur ou d’élu européen. A partir du prochain renouvellement des assemblées, juin 2017 pour les législatives, septembre 2017 pour les sénatoriales et juin 2019 pour les élections au Parlement européen, il ne sera plus possible de cumuler un mandat parlementaire avec les fonctions de maire, maire d’arrondissement, maire délégué ou adjoint au maire ; président ou vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale ; président ou vice-président de conseil départemental ; président ou viceprésident de conseil régional ; président ou vice-président d’un syndicat mixte ; président ou vice-président d’une assemblée territoriale. Le cumul, marque de fabrique française Une rupture décisive avec une pratique qui fait de la France une exception en Europe : nulle part, le cumul n’y est aussi fréquent. Alors qu’en France, le pourcentage de parlementaires exerçant un mandat local dépasse 70 % – il a légèrement baissé depuis l’adoption de la loi, un certain nombre d’élus nationaux s’étant appliqué à eux-mêmes par avance les nouvelles obligations –, celui-ci est de l’ordre de 35 % en Suède, 26 % en Allemagne, 20 % en Espagne, 7 % en Ita- cilement tenable. « C’est de la folie de vouloir revenir sur cette mesure. Il prend des risques car les Français sont contre le cumul », estime un ex-ministre. Selon un sondage Odoxa paru le 1er janvier, 86 % des personnes interrogées plébiscitent le non-cumul des mandats. Mais, pour M. Sarkozy, c’est une façon de faire la démonstration de son courage politique et, surtout, de s’attirer les faveurs des parlementaires dans l’optique de la primaire. A Reims, il avait moqué par avance ceux qui tenteraient de l’en lie ou 3 % au Royaume-Uni. Actuellement, 75 % des députés et 71 % des sénateurs exercent un mandat communal, départemental ou régional. Sans compter les fonctions exécutives dans une intercommunalité ou un syndicat mixte, qui entrent désormais dans le champ des incompatibilités. Cependant, seuls 41 % des députés et 47 % des sénateurs seraient potentiellement concernés par l’interdiction du cumul puisque celle-ci ne s’applique qu’aux fonctions exécutives et non aux simples mandats de conseiller. Ces pourcentages sont encore plus élevés pour les élus LR : ils sont 85 % parmi les députés et 80 % chez les sénateurs à exercer un mandat local et, respectivement, 62 % et 61 % potentiellement concernés par la loi anti-cumul. On mesure aisément l’enjeu que représente l’application de la nouvelle législation en 2017. Nul doute que les candidats cumulant vont devoir, avant les élections, se déterminer quant au choix du mandat qu’ils continueront à exercer et que cela pèsera sur le choix des électeurs. Cela influera aussi sur les investitures et peut constituer un appel d’air pour le renouvellement des élus. Enfin, cela modifiera le fonctionnement des deux chambres, avec des élus « à plein temps ». A moins que la droite de retour au pouvoir, comme le souhaite M. Sarkozy, ne parvienne à abroger la loi de février 2014 avant même son entrée en vigueur. p p. rr dissuader. « Oh je sais… On va me dire : “Mais Nicolas, tu n’y penses pas. Cela va donner une mauvaise image !” Mais vous croyez que, de renoncement en renoncement et d’excuse en excuse, les responsables politiques se donnent une bonne image ? Mes chers amis, je croyais qu’on était pour le travailler plus… Pourquoi serions-nous pour le travailler moins pour nous ? » Depuis, il maintient son idée, la couplant avec une baisse du nombre de parlementaires. Le 16 mars, lors d’un échange avec les inter- nicolas demorand le 18/20 monde 15 un jour dans le mond 18:15 19:20 le téléphone sonne nautes sur Facebook, il a précisé qu’il souhaitait réduire leur nombre de 30 % et limiter leurs mandats à deux au plus. Cela suffira-t-il à convaincre les électeurs ? Pas sûr. D’autant que ses principaux rivaux à droite affichent également leur intention de réduire le nombre de parlementaires. Dès lors, sa seule « marque de fabrique » serait de se poser en champion du cumul. Il n’est pas acquis que ce soit ce dont rêvent les électeurs. p alexandre lemarié et patrick roger avec les chroniques d’Arnaud Leparmentier et d’Alain Frachon dans un jour dans le monde de 18 :15 à 19 :00 enquête | 15 0123 MARDI 22 MARS 2016 L’anneau est très simple, un peu massif, sans éclat. Sa base a été agrandie de 4 mm, sans doute parce que l’anneau a été porté par un homme. Deux inscriptions sont lisibles : « IHS » et « MAR », Jésus et Marie. Il comporte aussi deux croix. Interrogée le 17 mars 1431 dans sa prison, la jeune bergère de Domrémy « pensait » pourtant « qu’il y [en] avait trois », selon les actes du procès. La dernière a pu s’effacer… « On a tous les certificats fournis par les commissaires-priseurs, il n’y a aucun doute sur l’authenticité de cet anneau », clame Philippe de Villiers. « Trop de scrupules devient douteux, soupire aussi Franck Ferrand, qui anime tous les après-midi l’émission « Au cœur de l’histoire » sur Europe 1 et avait fait le déplacement dimanche. Il faut aussi une part de foi ! » Accessoire, au fond, pour les Villiers. « L’anneau est le symbole du lien de Jeanne avec le ciel, a lancé Nicolas de Villiers. Elle l’embrassait avant chaque bataille, et les Français que Jeanne croisait l’embrassaient aussi. » La bague n’est pas seulement « un trésor du patrimoine national » repris aux Anglais – qu’il fait huer et siffler. C’est « une relique sacrée » portée par une femme canonisée en 1920. Dimanche, à la fin de la cérémonie, l’anneau a rejoint un reliquaire, dans la chapelle du château du Puy du Fou. Une génuflexion par-ci, un signe de croix par-là, la foule a défilé devant l’anneau éclairé par une diode luminescente. « Si l’anneau avait échoué dans un musée, peut-être eût-il fini sa vie dans un placard ! », a triomphé Philippe de Villiers. ariane chemin les epesses (vendée) - envoyée spéciale A ccueil de l’anneau de Jeanne d’Arc dimanche 20 mars. Le peuple de France y est invité gracieusement. Je vous y attends. » Conviés par Philippe de Villiers en personne, ce dimanche 20 mars, plus de 3 000 spectateurs guettent dans la cour du château du Puy du Fou le pas d’une trentaine de chevaux caparaçonnés venus des hauteurs voisines. Les tambours roulent de plus en plus près, bannières et oriflammes flottent au soleil et chatoient à travers le porche. Cent cyrards, sabre au clair et casoar au vent, dressent une haie d’honneur à ces chevaliers venus directement du XVe siècle. Suivent des petites filles en robe de lin, rameaux de genêt et de mimosa à la main, de faux « poilus », des heaumes et des armures en fer et, enfin, une cérémonieuse châsse de bois, portée à bras. « C’est l’anneau ! » Au cœur de la procession trône la bague attribuée à Jeanne d’Arc, que le parc de loisirs vendéen vient d’acheter en Angleterre pour l’offrir au « peuple de France ». Protégée par un dais de velours à plumets, ceinte d’une jonchée de lys, elle repose sur un carreau de velours pourpre, et personne n’ose s’approcher trop près d’elle. On croirait un des « spectacles vivants » produits par le Puy du Fou. Une de ces quinze ou vingt « Cinéscénie » qui, chaque année davantage, font le succès du deuxième parc d’attractions français après Disneyland Paris (il a atteint le cap de 2 millions de visiteurs en 2015). Sauf que le parc de loisirs vendéen est fermé, comme chaque hiver. Les « Puyfolais » peaufinent encore les futurs spectacles avant l’ouverture, le 2 avril. C’est un « son et lumière » exceptionnel qui se joue aujourd’hui, écrit en moins de quinze jours. Une superproduction dans laquelle Philippe de Villiers tient son propre rôle, et qu’on pourrait appeler « L’Anneau de Jeanne ». « APPUYER UN PROPOS POLITIQUE » « DES RÉFLEXES DE PATRIOTES » L’histoire du spectacle commence le 24 février. Me Jacques Trémolet de Villers, catholique traditionaliste et royaliste assumé, prévient son ami Villiers qu’une prestigieuse maison londonienne met aux enchères, à Londres, un anneau ayant appartenu à Jeanne d’Arc. « Il est à vendre dans deux jours. C’est sur [la société britannique de vente aux enchères] TimeLine et ça m’a l’air sérieux », raconte-t-il. Me Trémolet connaît bien son sujet : il vient de publier aux Belles Lettres Le Procès de Rouen, commentaire personnel des audiences qui se sont déroulées entre février et mai 1431 et ont conduit Jeanne d’Arc au bûcher. Cet avocat qui n’a pas eu peur de défendre le milicien Paul Touvier, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en avril 1994, partage avec l’ancien candidat à l’élection présidentielle une passion pour « La Pucelle ». Philippe de Villiers a écrit en 2014 chez Albin Michel Le Roman de Jeanne d’Arc, Mémoires imaginaires et à la première personne d’une guerrière « trahie par les élites » qui « n’abjura jamais », écrit-il. Suivez son regard. Hormis une dizaine de lettres (dictées, elle ne savait ni lire ni écrire), il n’existe aucun souvenir de celle qui bouta les Anglais hors de France. Ni cheveu ni vêtement… On la soupçonnait de sorcellerie, il ne fallait pas développer de culte. L’anneau est mis à prix outre-Manche à 19 000 euros. Avec son fils Nicolas, président de la fondation du Puy du Fou, Philippe de Villiers fait les comptes. La fondation peut monter jusqu’à 80 000 euros, mais le reste doit être réuni sous deux jours. Pendus à leur téléphone, nuit comprise, père et fils réunissent en 48 heures 350 000 euros de promesses de dons. « Des réflexes de patriotes, un grand mouvement spontané qui vient de toute la France, des gens simples qui ont donné 20 euros et des gens plus fortunés, dit Nicolas de Villiers. Même mon père a mis au pot. » Le romancier Jean Raspail offre un millième de la bague. Le vice-président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, en est aussi. L’entrepreneur libéral Charles Beigbeder paie sa part de l’anneau de « Jaâne » : c’est ainsi qu’ils la nomment tous, avec beaucoup de chapeaux sur le « a ». Le 26 février, la partie se révèle plus disputée que prévu. Outre-Manche, les offres fu- LÉA CHASSAGNE Le seigneur de l’anneau Une bague qui aurait appartenu à Jeanne d’Arc a été achetée aux enchères 376 833 euros par le Puy du Fou de Philippe de Villiers, où elle est exposée comme une relique depuis dimanche. A la grande joie d’une nébuleuse « tradi », identitaire et catholique, qui pourfend l’histoire universitaire et attend son homme providentiel sent. Nicolas de Villiers renchérit une dernière fois sur un Américain, et emporte la bague pour 376 833 euros. « Le bijou rentre en France ! », lâche le commissaire-priseur britannique au dernier coup de maillet. « Après six siècles en Angleterre ! », plastronnent les Villiers, pas peu fiers. Le 4 mars, Nicolas gagne Londres et, avant de rapatrier son trophée en Vendée par avion privé, pose avec sa « prise de guerre » devant Big Ben et Westminster, « pour le symbole ». « TROP D’INCONNUES » Les Villiers n’étaient pas seuls à savoir que l’anneau était en vente. Le maire (Les Républicains) d’Orléans, Olivier Carré, s’entretient avec l’ancien candidat à la présidentielle. « Je lui ai expliqué que je ne pouvais prendre aucun risque avec de l’argent public », raconte-t-il. Car Olivier Bouzy, responsable du Centre d’archives Jeanne d’Arc à Orléans, ne valide « ON PRIVATISE L’HISTOIRE, ON FAIT DU WALT DISNEY. VILLIERS UTILISE LA MÊME MÉTHODE QUE LORANT DEUTSCH » WILLIAM BLANC spécialiste des usages politiques de l’histoire à l’EHESS pas l’authenticité de l’anneau. « On note plusieurs cas de faux objets autour d’elle », rappelle l’historien médiéviste, citant l’exemple d’un bout de momie égyptienne que l’on pensait être une côte de la martyre récupérée sur le bûcher. Mêmes réticences à l’Historial Jeanne d’Arc de Rouen : conseiller scientifique de l’établissement, Philippe Contamine, professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne et coauteur avec Olivier Bouzy (et Xavier Hélary) d’un Jeanne d’Arc, histoire et dictionnaire (Robert Laffont, 2012) qui fait autorité, se montre également sceptique : « L’invraisemblable peut être vrai, mais reste invraisemblable, il y a trop d’inconnues. » La Métropole Rouen-Normandie ne se porte pas non plus acquéreur. Vraie bague ? Faux bijou ? Le Figaro Magazine et Valeurs actuelles, mais aussi La République du Centre à Orléans et la presse rouennaise suivent la polémique avec passion. « On privatise l’histoire, on fait du Walt Disney ! », s’exclame William Blanc, spécialiste des usages politiques de l’histoire à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). « Villiers utilise la même méthode que Lorant Deutsch. Mais pas seulement. La procession de la bague au Puy du Fou a quelque chose de ce temps médiéval où on inventait des objets de dévotion. Il y a aujourd’hui toute une nébuleuse qui remet au goût du jour une histoire identitaire, un roman national héroïque et catholique. La Jeanne d’Arc du Puy du Fou est celle de l’Action française, nationaliste et catholique, appuie l’historien. Cette fois, l’ennemi, ce sont les Anglais, mais aussi les universitaires enfermés dans leur tour d’ivoire et coupés du pays réel, complices passifs du mondialisme. Ces gens-là utilisent un récit historique figé pour appuyer un propos politique, qui passe, on le sait, par les symboles. » De la politique au Puy du Fou ? Philippe de Villiers s’étrangle. Mais reconnaît en riant dans Valeurs actuelles une « communauté de l’anneau ». Le surnom qu’a donné l’hebdomadaire à cette bouillonnante droite « nationale » déçue par Nicolas Sarkozy et qui prospère hors du Front national et des Républicains, détestant autant Alain Juppé (« de l’eau tiède », explique le président du Mouvement pour la France à Valeurs) que François Fillon (« Raffarin en plus maigre et moins la bosse »). Une droite qui fournit de sérieux bataillons de manifestants à La Manif pour tous, emplit les salles de conférences d’Eric Zemmour ou de Philippe de Villiers lui-même, et dévore Le moment est venu de dire ce que j’ai vu (Albin Michel, 2015), le dernier livre de l’ancien candidat à la présidentielle, qui en a vendu à ce jour 250 000 exemplaires. « Nous sommes une espèce de grande famille nationale, traditionnelle, bien loin du marigot politique », s’amuse Jean Raspail, auteur du roman d’anticipation Le Camp des saints (Robert Laffont, 1973). « Jeanne est attachante, elle nous manque », ajoute Charles Beigbeder, cofondateur, avec Charles Millon, du petit think tank L’Avant-Garde, qui ne cache pas ses convergences avec Marion Maréchal-Le Pen. « Tout ce qui touche un saint est sacré à son tour, et est susceptible d’avoir des pouvoirs thaumaturgiques », a expliqué Villiers sur la webtélé d’extrême droite TVLibertés. Miracle dominical, chacun est venu dimanche baiser la bague du président du Mouvement pour la France. « Merci à Philippe de Villiers d’avoir rapporté l’anneau de Jehanne d’Arc en terre de France », avait déjà salué Marine le Pen, fidèle comme le Puy du Fou à l’ancienne graphie du prénom de la sainte guerrière. « Bravo à Philippe de Villiers pour le retour de l’anneau de Jeanne sur la terre de France », a renchéri Nicolas Dupont-Aignan, le président de Debout la France. Même La Manif pour tous, qui a tourné le dos à Nicolas Sarakozy depuis qu’il a refusé d’abroger la loi Taubira, y est allée de son clin d’œil : « Jeanne d’Arc aussi était née d’un homme et d’une femme » ! p 16 | disparitions 0123 MARDI 22 MARS 2016 Guido Westerwelle Ancien ministre des affaires étrangères allemand M inistre des affaires étrangères allemand de 2009 à 2013, Guido Westerwelle est mort le 18 mars d’une leucémie. Sa mort a choqué l’Allemagne, non seulement parce qu’il n’avait que 54 ans mais aussi parce que, à l’automne 2015, alors qu’il semblait bénéficier d’une légère rémission, Guido Westerwelle était réapparu très combatif. Il affirmait même se sentir « entre deux vies », selon le titre qu’il avait donné à son livre-témoignage (éd. Hoffmann und Campe Verlag, non traduit). Nul ne peut contester la qualité de « battant » à cet homme qui a été l’une des principales figures de la vie politique allemande durant une douzaine d’années. Né en 1961 en Rhénanie-duNord-Westphalie, dans la petite ville de Bad Honnef, dans une famille de juristes, Guido Westerwelle fait lui-même des études de droit et devient avocat. Dès 1980, il adhère au Parti libéral-démocrate (FDP) et devient trois ans plus tard président de l’organisation des jeunes libéraux. Ambitieux et bon orateur, il est même promu secrétaire général du parti une décennie plus tard, en 1994 et, enfin, président du FDP en 2001. Dès son accession à ce poste, il se fixe comme objectif d’être crédible comme « candidat à la chancellerie » alors que ses prédécesseurs étaient davantage des « faiseurs de rois ». Depuis 1949, le FDP est en effet le petit parti qui, au gré des alliances, fait tantôt pencher la balance à gauche quand il gouverne avec le Parti social-démocrate (SPD), tantôt à droite lorsqu’il opte pour une alliance avec les chrétiens-démocrates (CDU). La campagne de Guido Weste- Il n’a jamais joui de la notoriété et du prestige d’un autre dirigeant du parti libéral, Hans-Dietrich Genscher rwelle en 2002 est restée célèbre. Adepte d’un marketing politique agressif, Guido Westerwelle fixe le score qu’il espère obtenir aux élections législatives : 18 %. Il en fait moins de la moitié (7,4 %) et le FDP doit attendre 2009 pour participer de nouveau à un gouvernement, le deuxième que dirige Angela Merkel. Guido Westerwelle est alors nommé ministre des affaires étrangères de 2009 à 2013 et cumule jusqu’en 2011 cette fonction avec la présidence du Parti libéral. Un cumul pas forcément très heureux. Président du FDP et vicechancelier, il s’oppose souvent à Angela Merkel, dont il juge la politique insuffisamment libérale. Il persiste notamment à réclamer des baisses d’impôts, ce qui, en pleine crise de l’euro, ne constitue pas une priorité pour les Allemands, attachés à l’équilibre des comptes publics. De même, l’insistance du FDP à réclamer une baisse de la TVA sur l’hôtellerierestauration est d’autant plus mal perçue par l’opinion que celle-ci découvre que le principal soutien du FDP n’est autre que le groupe hôtelier Mövenpick. Ce scandale et la guérilla permanente avec Angela Merkel rendent Guido Westerwelle peu populaire. Son attitude est jugée peu digne d’un ministre des affaires étrangères qui, en principe, doit porter dans le monde les valeurs de la démocratie allemande et prendre, au moins en apparence, du recul par rapport à la politique politicienne. De ce point de vue, Guido Westerwelle n’a jamais joui de la notoriété et du prestige d’un autre dirigeant du Parti libéral, HansDietrich Genscher, célèbre ministre des affaires étrangères de 1982 à 1992 qui, aujourd’hui encore, reste le modèle du genre. Les relations entre les deux hommes ont d’ailleurs semblé se dégrader de temps à autre. Des discours eurocritiques Guido Westerwelle et les autres dirigeants du FDP ont tenté de surmonter leur impopularité en tenant des discours eurocritiques, totalement contraires aux valeurs traditionnelles du Parti libéral. Durant cette période, surtout marquée par la crise de l’euro, Angela Merkel et son entourage prennent en charge la politique étrangère allemande, laissant une assez faible marge de manœuvre au ministre. A une exception près : quand, en mars 2011, l’Allemagne s’abstient à l’ONU sur une intervention en Libye, créant une véritable crise avec les alliés occidentaux, la chancellerie laisse habilement le ministre représenter Berlin… et recevoir l’essentiel des critiques. Même si la chute de Kadhafi n’a pas eu les effets escomptés, l’alignement de l’Allemagne sur la Russie et la Chine contre Washington, Paris et Londres, nuira longtemps à la coopération diplomatique entre Berlin et ses alliés. En janvier 2014, son successeur, l’actuel ministre social-démocrate Frank-Walter Steinmeier, n’a évi- OLIVIER ROLLER demment eu aucun mal à se positionner comme le ministre qui allait incarner la nouvelle ambition de l’Allemagne sur la scène internationale. Sur le plan de la politique intérieure, Guido Westerwelle n’a pas eu beaucoup plus de succès. Si, en 2009, il permet au FDP de rallier 14,6 % des suffrages – son record –, le parti ne restera pas longtemps à ces hauteurs. Ni Guido Westerwelle ni Philip Rösler, le ministre de l’économie qui lui succède à la présidence du parti en 2011, ne parviennent à enrayer une chute abyssale. En 2013, le FDP n’arrive même pas à franchir les 5 % des suffrages qui lui permettent d’être présent au Bundestag. Sur le plan privé, Guido Westerwelle avait également marqué l’opinion en affichant dès 2004 son homosexualité. p 27 DÉCEMBRE 1961 Naissance à Bad Honnef (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) 2001-2011 Président du FDP, le Parti libéral-démocrate 2009-2013 Ministre des affaires étrangères d’Angela Merkel 18 MARS 2016 Mort à Cologne Sir Peter Maxwell Davies « Maître de musique » de la reine Elizabeth II L e compositeur Peter Maxwell Davies est mort, chez lui, en Ecosse, lundi 14 mars, à l’âge de 81 ans, des suites d’une leucémie. L’ancien « maître de la musique » de la reine d’Angleterre laisse un catalogue de 334 opus, dominé par dix symphonies, autant de quatuors à cordes, une demi-douzaine d’opéras, d’importantes pages chorales et quantité de pièces aux genres et aux effectifs non académiques (tel que son cycle de dix Strathclyde Concertos). Plus versatile encore qu’il ne fut prolifique, « Max » – ainsi qu’on l’appelait dans le monde entier – aurait pu être surnommé « Mask » tant son visage semblait différent d’une œuvre à l’autre. Pourtant, sous les notes, sa conscience paraissait toujours la même : une plage d’indépendance. Né le 8 septembre 1934, à Salford, dans le Lancashire, Peter Maxwell Davies se familiarise en autodidacte avec les œuvres classiques autant qu’avec celles d’Alban Berg et de Béla Bartok. Au milieu des années 1950, il effectue ses études au Royal Manchester College of Music avec Harrison Birtwistle et Alexander Goehr, dont on dira qu’ils représentent, avec lui, l’école de Manchester. Ecole ? Le terme ne sied pas à la personnalité de Maxwell Davies, pas plus que la référence à Manchester, puisqu’un séjour de dix- morable ayant pour nom Eight Songs for a Mad King (Huit chants pour un roi fou), une pièce de théâtre musical interprétée par les Pierrot Players qui fit beaucoup pour la notoriété du compositeur, comparé alors à György Ligeti et à ses Aventures et Nouvelles aventures (1965). PHOTOSHOT/ UPPA/VISUAL PRESS AGENCY huit mois en Italie pour travailler avec Goffredo Petrassi, de même qu’une inscription à l’université de Princeton (New Jersey) pour suivre l’enseignement de Roger Sessions et de Milton Babbitt compteront autant pour sa formation que les années passées au Royal College. A Princeton, alors qu’il vient juste d’avoir 30 ans, il se lance dans un grand projet d’opéra autour de la figure de son illustre 8 SEPTEMBRE 1934 Naissance à Salford (Grande-Bretagne) 1969 Création d’« Eight Songs for a Mad King » 1980 Création de l’opéra « The Lighthouse » (Le Phare) 2004 Nommé « maître de la musique » de la Reine 14 MARS 2016 Mort dans l’archipel des Orcades (nord de l’Ecosse) prédécesseur John Taverner (1490-1545), ouvrage scénique qui ne sera créé à Londres qu’en 1972. Conjonction de multiples références affichées par cet homme de tempérament davantage comme des attractions que comme des influences, la musique de Peter Maxwell Davies devait forcément apparaître comme un cocktail explosif. L’année 1969 en reçut de plein fouet à cinq reprises, le plus mé- Baroque A l’actif du même ensemble (rebaptisé The Fires of London), que Maxwell Davies dirigea de 1967 à 1987, les Renaissance and Baroque Realisations, livrées entre 1968 et 1973, ne sont pas moins symptomatiques d’un goût qui, par exemple, transforme une Pavane d’Henry Purcell en foxtrot… Un semblable « remix » se produit à la même époque avec St Thomas Wake, sous-titré « Foxtrot avec orchestre sur une pavane de John Bull ». Baroque, Peter Maxwell Davies l’est assurément à sa façon, ainsi qu’en témoignent ses collaborations avec le cinéaste Ken Russel pour deux films de 1971 (The Devils et The Boyfriend). Cette année-là, le compositeur élit domicile dans l’archipel des Orcades, au nord de l’Ecosse, et y trouve l’essentiel de son inspiration. Dans sa fresque Solstice of Light (1979), il cherche, par exemple, à restituer les moindres inflexions de la lumière, depuis le « cercle doux du soleil » jusqu’aux « verts tourbillons de la glace fondue ». Une inscription runique (base de Stone Litany, 1973), un roman (de George Mackay Brown, pour Black Pentecost, 1979), une légende (celle de saint Magnus, auquel il vouera un festival à partir de 1977), un fait divers (la disparition de trois personnes près d’un phare, trame de l’opéra The Lighthouse, 1980) ou, tout simplement, le jeu des vagues (2e symphonie, 1981) prouvent que les Orcades constituent l’alpha et l’oméga de la musique de Maxwell Davies. Anobli en 1987, Sir Peter est nommé, en 2004, « maître de la musique » de la reine. Pas à vie, comme ce fut le cas de ses prédécesseurs, mais pour une durée de dix ans. Cette charge ne l’empêche pas de laisser libre cours à l’engagement social qui l’a toujours habité. Par le biais d’un quatuor à cordes (le troisième, en 2003) brandi contre la guerre en Irak ou d’un opéra (Kommilitonen !, 2010) nourri de contestations estudiantines. « Est-il possible de renaître et de se libérer des stéréotypes dans lesquels nous vivons ? », s’interrogeait Peter Maxwell Davies au début des années 1960 alors qu’il concevait son premier opéra, Resurrection. Chacune de ses œuvres aura manifestement tenté de répondre à cette question. p pierre gervasoni carnet | 17 0123 MARDI 22 MARS 2016 en vente actuellement K En kiosque Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu HORS-SÉRIE UNe vie, UNe ŒUvRe Franço�s M�tt�rrand Le pouvoir et la séduction ÉdItIOn 2016 Le centenaire de la naissance de l’ancien président Hors-série LE BILAN DU MONDE | 0123 Ng Ectpgv ÉDITION 2016 0123 Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. rtqlgevkqpu/ffidcvu. cuugodnfigu ifipfitcngu H O R S - S É R I E LE BILAN DU MONDE ▶ GÉOPOLITIQUE ▶ ENVIRONNEMENT ▶ ÉCONOMIE + A T L A S D E 1 9 8 P A Y S Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ffifkecegu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Hors-série HORS-SÉRIE Xqwu rqwxg| pqwu vtcpuogvvtg xqu cppqpegu nc xgknng rqwt ng ngpfgockp < s fw nwpfk cw xgpftgfk lwuswÔ 38 j 52 *lqwtu hfitkfiu eqortku+ s ng fkocpejg fg ; jgwtgu 34 j 52 L’HISTOIRE DE L’OCCIDENT Déclin ou métamorphose ? Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Décès Hors-série Collections APPRENDRE à PHILOSOPHER Dès mercredi 16 mars, le volume n°2 NIETZSCHE EGYPTOMANIA Une collection pour découvrir la vie et les mystères de l’Egypte des pharaons EGYPTOMANIA Janine Pauline Asscher, son épouse, Carole Guggenheim-Asscher, sa ille, Bertrand Guggenheim-Asscher, son ils, Boris, David, Marion, Julia, ses petits-enfants, Lily, Ava, ses arrière-petites-illes, Muriel Asscher, sa belle-sœur, ses enfants et petits-enfants, Jacqueline Courrech, Djamila Laroui, Ses parents Et amis, ont la tristesse de faire part du décès de Bertrand ASSCHER, survenu le 18 mars 2016, à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Les obsèques auront lieu le mercredi 23 mars, à 11 heures, au cimetière de Montmartre, avenue Rachel, Paris 18e. Ni leurs ni couronnes. LES TRÉSORS DE L’ÉGYPTE ANCIENNE Khéphren, fils de Rê Anubis, gardien des nécropoles La Vallée des Reines Champollion, le déchiffreur des hiéroglyphes Dès jeudi 10 mars, le vol. n°10 Khéphren, fils de Rê - Anubis, gardien des nécropoles - La Vallée des Reines Champollion, le déchiffreur des hiéroglypes Claudine Cerf, son épouse, Nicole Bourgery, sa sœur, Nadine et Philippe Bensussan, Marianne Cerf et Thierry Doré, ses enfants, Matthieu, Guillaume, Elodie, Hugo et Adèle, ses petits-enfants, Les familles Cerf, Fauré et Bourgery, ont la grande tristesse de faire part du décès du professeur Marc CERF, ancien chef du Service de gastroentérologie de l’hôpital Louis Mourier, survenu le 17 mars 2016. La cérémonie de crémation aura lieu le mercredi 23 mars, à 11 h 45, au crématorium du Mont-Valérien, rue du Calvaire, à Nanterre. Dès mercredi 16 mars, le volume n°29 PATRIMOINE CULTUREL IMMATÉRIEL I Nos services Lecteurs K Abonnements www.lemonde.fr/abojournal K Boutique du Monde www.lemonde.fr/boutique K Le Carnet du Monde Tél. : 01-57-28-28-28 Sa famille remercie très sincèrement l’équipe soignante du service de cardiologie de l’hôpital Foch. Cet avis tient lieu de faire-part. 15, rue des Gâte-Ceps, 92210 Saint-Cloud. Graulhet. Paris. Nicole Bacot, Jacques, Marie-Hélène et Angèle Bacot, Jean-François Bacot et Elyane Borowski, éprouvent la grande douleur de faire part du décès de Mme Huguette Di GIACOMO, survenu le 15 mars 2016. Huguette aurait tant aimé traverser son quatre-vingt-onzième printemps. « O Maman, ma jeunesse perdue. Complaintes, appels de ma jeunesse sur l’autre rive. » Albert Cohen, Le livre de ma mère. Les obsèques ont été célébrées à Aix-les-Bains, le 19 mars. Le Savoy, 6 avenue des Fleurs, 73100 Aix-les-Bains. Claudie Cachard, son épouse, Laurence et Guillaume Frécourt, ses enfants, Philippe et Sylvain, ses beaux-ils, Béatrice, Jean-Claude, Ilona, Léopold, Lila, Robert Frécourt, son frère et ses enfants, ont le grand chagrin de faire-part du décès de leur cher Jean FRÉCOURT, psychiatre et psychanalyste, ancien médecin des Hôpitaux psychiatriques de la Seine, ancien président du Collège des psychanalystes et « anticapitaliste atterré », survenu à Paris, le 14 mars 2016, dans sa quatre-vingt-septième année. Réunion d’hommage suivie d’une inhumation, dans l’intimité. La famille remercie toutes les personnes qui s’associent à leur deuil. Vandœuvre. M. Paul Horn, Ses enfants, Ses petits-enfants Et ses arrière-petits-enfants, ont la tristesse de faire du décès de Mme Colette HORN, née DUBREUIL, survenu le 18 mars 2016, dans sa quatre-vingt-dixième année. Un recueillement aura lieu le mercredi 23 mars, à 15 heures, en la salle omniculte du crématorium de Nancy. Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements. Biviers. Mme Michèle Kampf, son épouse, Mme Martine Kampf, sa ille, Jean-Bastien et Maxence Dussart, Thimoté et Naomi Boullet, ses petits-enfants, Ses parents Et amis, ont la tristesse de faire part du décès de M. Serge KAMPF, survenu à l’âge de quatre-vingt-un ans. La cérémonie sera célébrée ce lundi 21 mars 2016, à 14 heures, en la cathédrale Notre-Dame de Grenoble. (Le Monde du 18 mars.) Claudie Labie, sa belle-sœur, Gilles et Hélène Ravelo de Tovar, Marie-Anne et Jean-Pierre Camescasse, Antoine et Isabelle Ravelo de Tovar, Emmanuel Ravelo de Tovar, Denis et Catherine Fayein, Vincent et Hélène Fayein, Laurent et Clarisse Fayein, Patrice Labie, Anne-Françoise et Laurent Leurquin-Labie, ses neveux et nièces, Ses petits-neveux et petites-nièces, Catherine, Valérie, Claudine, Bruno, Julien, Edhel, Louve, Laurent, Chloé, Parents et alliés, ont la tristesse de faire part du rappel à Dieu du ont la tristesse de faire part du décès de directeur de recherche honoraire à l’INSERM, chevalier de l’ordre national du Mérite, M. René DESPRATS, avocat à la Cour , cofondateur du Cabinet « Conseils Réunis », à Paris 17e. Une bénédiction sera donnée le mardi 22 mars, à 11 heures, en l’église Notre-Dame de Graulhet. 72, rue Barricouteau, 81300 Graulhet. docteur Dominique LABIE, à Paris, le 9 mars 2016. La cérémonie religieuse aura lieu le vendredi 1 er avril, à 10 heures, au couvent Saint-Jacques, 20, rue des Tanneries, Paris 13e. L’inhumation se déroulera dans la stricte intimité familiale. « PEACE ! peace ! he is not dead, he doth not sleep,He hath awakened from the dream of life. » « PAIX ! paix ! il n’est pas mort, il n’est pas endormi,Il s’est juste réveillé du songe de la vie. » Shelley. Christiane Connan-Pintado, sa mère, Richard Loustau, son père, Jean-Louis Connan, son beau-père, Eliane Loustau, sa grand-mère, Antoine Laborde, Damien et Geoffrey Loustau, Anna Connan, ses frères et sa sœur, Léopold Loustau, son ils, ont la douleur de faire part de la disparition de Benjamin LOUSTAU, le 12 mars 2016, à Moscou. La cérémonie sera célébrée le mardi 22 mars, à 16 heures, en l’église Saint-Maurice, à Gujan-Mestras. Paris. Leandro Manzoni, son époux, Edouard et Fernando, ses ils, Pascale, sa belle-ille, Amélie, Julie, Alric et Célian, ses petits-enfants, ont la tristesse d’annoncer le décès de Encarnacion MANZONI née OCHOA, survenu le 16 mars 2016, à Paris, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Les obsèques auront lieu le mardi 22 mars, à 11 h 30, au crématorium du cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. « Los Dioses no tuvieron màs sustancia que la que tengo yo. » Juan Ramòn Jiménez. Laurence Avril, Dominique PluotSigwalt, Isabelle Dérens, Carole Pluot, ses illes, Hadrien Dérens et Elisa Ortega, Métélis leur ils, Laure et François Bonnerot, leurs illes, Mila et Cléo, Charlotte Avril, ses petits-enfants et arrière-petits-enfants, ont le chagrin d’annoncer le décès de Jacqueline PLUOT, née LEPORT, le 17 mars 2016, dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année. Une messe sera célébrée en la chapelle des Sœurs Augustines, le mardi 22 mars, à 10 heures, 29, rue de la Santé, Paris 13e, suivie de l’inhumation dans l’intimité familiale, au cimetière de Bagneux (Marne). Maxime et François, ses ils, Pierre, son petit-ils, Patrick et Dominique Simon, ses neveu et nièce, Lynda et Mouida, ses amies, ont la douleur de faire part du décès de Jean PRODROMIDÈS, membre de l’Institut (Académie des beaux-arts), oficier de la Légion d’honneur, oficier de l’ordre national du Mérite, commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres. La cérémonie aura lieu à Paris, en l’église Sainte-Etienne-du-Mont, Paris 5e, le mardi 22 mars 2016, à 10 h 30 et l’inhumation au cimetière de La Celle (près Brignoles), mercredi 23 mars, à 15 heures, où il rejoindra son épouse, Floria. L’artiste peintre Lise RANCILLAC, dite « LISERAN », s’est éteinte le mercredi 16 mars 2016. Ses enfants, Ses petits-enfants Et ses amis, lui rendront un dernier hommage au crématorium du cimetière du PèreLachaise, le 23 mars, à 16 heures. 24, bd Edgar-Quinet 75014 PARIS Tél. : 01 43 20 74 52 www.maison-cahen.fr A votre écoute dans le respect de vos souhaits et de vos valeurs. PRÉVOIR • Une anticipation des étapes et des droits ORGANISER • Une prise en main des démarches ACCOMPAGNER • Un suivi au-delà des funérailles Grenoble. Danielle Bassez, sa compagne, Ivan Samson, Christine Samson, Jacques Samson, ses enfants et leurs conjoints, Yannick Samson, son petit-ils et son épouse Dany, son arrière petit-ils, ont la tristesse d’annoncer le décès de Renée SAMSON, née BATBY, Colloque « Georges Pompidou et le bonheur » 30 et 31 mars 2016, Centre Pompidou - Paris. L’Institut Georges Pompidou organise un colloque sur la France des années 1960-1970 : était-ce une France heureuse ? En présence de Yves Cannac, Michèle Cotta, Hervé Gaymard, Philippe d’Iribarne. Renseignement et réservation : Tél. : 01 44 78 41 22. http://www.georges-pompidou.org/ Communications diverses survenu le 18 mars 2016, à Grenoble, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Une cérémonie civile aura lieu à la chambre funéraire des Pompes funèbres de La Tronche (Isère), avenue du Grand Sablon, le mardi 22 mars, à 16 heures. La cérémonie religieuse aura lieu au Temple du Chambon-sur-Lignon (HauteLoire), le mercredi 23 mars, à 14 h 30. Hypnos et Thanatos ont veillé sur elle durant un mois et elle s’est endormie dans la paix. Elle aimait les autres, la culture, la liberté. Laura Sauvageot, Marc Sauvageot, ses enfants, Mari-Liis Aroella, Tuula Sauvageot, Les mères de ses enfants, Jacqueline Sauvageot, Lilla Mérigaud-Sauvageot, ses sœurs, Kantara Bonacina, Lynda Franceschi, Ses nièces, Développement culturel Urbanités coréennes cinéma du réel, documentaires inédits et tables-rondes réunissant architectes, chercheurs et documentaristes de 14 heures à 19 h 30, Séoul et la longue modernité, vendredi 8 avril 2016, Un imaginaire XXL : les architectes du futur, samedi 9 avril, Les coulisses de la ville verticale, vendredi 15 avril, Les jardins secrets et marges urbaines, samedi 16 avril. Entrée libre inscription citechaillot.fr font part du décès de Jean-Pierre SAUVAGEOT. La cérémonie a eu lieu dans l’intimitié familiale. Sauvageot, 84, avenue Aubert, 94300 Vincennes. Souvenir En souvenir de Véronique NIOBEY LAITER, 6 mai 1950 - 22 mars 2000. Sa famille, tendrement. Avis de messe Le 2 décembre 2015, Françoise FLAMANT, née MARROU, nous quittait. Elle a rejoint son mari, Jacques FLAMANT, parti la même année, le 11 janvier. Une messe en leur souvenir sera célébrée le mercredi 23 mars 2016, en l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas, Paris 5e, à 19 heures. Société des Amis d’Henri Irénée Marrou. Concert Concert en famille Samedi 26 mars 2016, à 16 heures, « L’invitation au voyage », des mélodies de Maurice Delage, Camille Saint-Saëns, Jules Massenet et Igor Stravinsky, interprétées par la soprano Amel Brahim-Djelloul et les musiciens de l’Orchestre de la Garde Républicaine. Auditorium, de 4,5 € à 14 € musee-orsay.fr Assises pédagogiques les 26 et 27 mars 2016, au Mémorial de la Shoah Dans le cadre de la Semaine d’éducation et d’actions contre le racisme et l’antisémitisme L’histoire de la Shoah face aux déis de l’enseignement. Deux journées d’échanges sur les pratiques pédagogiques, en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale et la DILCRA. Samedi 26 mars 2016, 10 h 30 - 12 h 30 : « Enseigner la Shoah, un enseignement disciplinaire et pluridisciplinaire ? » 14 heures -16 heures : « D’une histoire locale à une histoire européenne, comment mieux inscrire l’histoire de la Shoah dans l’espace et le temps ? » 16 heures : « Psychanalyse, Antisémitisme et Shoah », Dimanche 27 mars, 10 heures -12 h 30 : « L’enseignement de l’histoire de la Shoah, à l’épreuve des pédagogies innovantes (internet, réseaux sociaux, pédagogie inversée) ». 14 heures - 16 heures : « Comment lier un enseignement théorique et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme ». 16 heures : Conclusion. Entrée libre sur inscription : www.memorialdelashoah.org # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 3"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % * +- % ++&# #$ $ $ %# $ $ ##+ /% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # % &.1 #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%3 * 3 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- 18 | CULTURE 0123 MARDI 22 MARS 2016 F E S T I VA L S O U T H B Y S O U T H W E S T L’ami par qui Iggy a ravivé ses années Bowie Rencontre à Austin avec le rockeur reptilien et son acolyte Josh Homme, qui l’a aidé à retrouver l’inspiration sur l’album « Post Pop Depression » REPORTAGE stéphane davet austin (texas) L a dernière fois qu’un album avait autant évoqué la Camarde et de possibles adieux, le disque s’appelait Blackstar et son auteur, David Bowie, mourait deux jours après sa publication (le 10 janvier 2016). Même s’il s’interroge sur la mort et l’au-delà, le dix-septième album studio d’Iggy Pop, Post Pop Depression, sorti le 18 mars, ne devrait pas porter malheur à celui qui fut un intime et complice du créateur de Ziggy Stardust (un Ziggy dont Iggy fut l’un des inspirateurs). La proximité est pourtant troublante. D’autant que ce nouvel opus réalisé et cosigné par le Californien Josh Homme, chanteur-guitariste des Queens of the Stone Age, cofondateur et membre intermittent des Eagles of Death Metal, s’approche comme jamais des deux albums cultes – The Idiot et Lust for Life – que Bowie avait produits et cocomposés en 1977 pour l’ancien chanteur des Stooges, en admirateur inconditionnel de ce groupe du rock extrême américain. Un magnifique cousinage confirmé, le 16 mars, sur la scène du Moody Theater d’Austin, dans le cadre du festival South by Southwest (SXSW). Iggy enflamme l’arène texane en mêlant ses nouveaux morceaux à la quasi-intégralité de The Idiot et de Lust for Life, accompagné du géant roux Josh Homme et des musiciens qui ont sculpté Post Pop Depression – Matt Helders (des Arctic Monkeys) à la batterie, Dean Fertita (Queens of the Stone Age, The Dead Weather) à la guitare, mais aussi Troy Van Leeuwen (Queens of the Stone Age) aux claviers, guitare et percussions, et Matt Sweeney (Chavez) à la basse. Irrésistible ouverture du concert, l’intro de batterie de la chanson-titre de Lust for Life reste une des chevauchées les plus fantastiques de l’histoire du rock. Si des titres comme The Passenger ou China Girl font également figure de classiques, beaucoup d’autres – Fall in Love with Me, Some Weird Sin, Success… – se sont longtemps absentés du répertoire live d’Iggy Pop. Cela n’a beau être que son quatrième concert, le gang, impeccablement habillé de cos- L’IGUANE SE DÉCHAÎNE, TORSE NU, MALGRÉ LE POIDS DE SES PRESQUE 69 ANS ET UN CORPS D’ATHLÈTE DE L’EXCÈS TORDU PAR LA SCOLIOSE ET UNE HANCHE EN VRAC tumes noirs, rayonne avec classe et tranchant, tout à la joie de servir l’icône de la radicalité. Veste tombée, l’« Iguane » se déchaîne, malgré le poids de ses presque 69 ans (il est né en 1947, comme Bowie), et un corps d’athlète de l’excès tordu par la scoliose et une hanche en vrac. Loin de se contenter de son rôle de « rock’n’roll animal », le chanteur du Michigan – désormais installé en Floride – incarne d’une voix devenue plus grave les différentes facettes de son disque et de ses anciennes productions. Soit une mosaïque de lyrisme altier, de menaces, de mélancolie, d’ironie, de crooning, d’électrocution et de danses sensuelles. « Je prends un vrai plaisir à retrouver ces vieilles chansons. Certaines sont sorties de ma bouche alors que je n’avais pas 30 ans, mais j’ai attendu d’en avoir presque 70 pour assumer certains textes », s’esclaffe Iggy Pop de son timbre caverneux de gentleman punk. « Et puis Josh et les garçons répétaient “On veut jouer ces morceaux !” », ajoute-t-il, imitant des piaillements. RAFFINEMENTS ET URGENCE ÉLECTRIQUE Au lendemain de son concert, James Osterberg Jr. (pour l’état civil) a donné rendezvous dans une vieille villa en bois de la banlieue d’Austin. Visiblement ravi du show de la veille, l’« Iguane » en tee-shirt noir plaisante avec ses musiciens en grignotant des travers de porc cuits au barbecue. Après avoir signé de splendides tirages de photos noir et blanc du groupe, le rocker s’allonge sur le canapé du patio, bientôt rejoint par l’immense carcasse tatouée d’un Josh Homme à l’humeur tout aussi rigolarde. Le producteur-compositeur-guitariste de 42 ans reprend son sérieux pour expliquer pourquoi The Idiot et Lust for Life de Bowie font partie de son panthéon intime. « J’ai découvert ces disques à 20 ans, à un moment charnière de ma vie. J’avais plein de doutes par rapport à la direction musicale que prenait mon groupe. En écoutant un titre comme The Passenger, j’avais l’impression que quelqu’un formulait à la fois mes incertitudes et mes envies de dépassement. » Pour Iggy Pop, 1977 était aussi un moment charnière. « Avec les Stooges, depuis la fin des années 1960, je m’étais investi dans un extrémisme rock avec une énergie qui m’avait conduit au bord de la folie et au-delà de la banqueroute. Bowie m’a permis de tenter quelque chose de différent. » Quelques mois après l’explosion du punk, le Britannique, qui avait déjà relancé la carrière de Lou Reed (l’album Transformer en 1972), menait en Allemagne et en France le chien fou d’Ann Arbor pour lui faire goûter aux synthétiseurs, en précurseur de la new wave. « Comme David l’admettait, je jouais un peu un rôle de cobaye pour des expériences qu’il n’était pas encore prêt à tenter, explique Iggy. Il a ensuite poussé ces directions à des hauteurs immenses, avec des albums comme Low et Heroes, mais nos disques communs, plus bidouillés, ont aussi leurs mérites. » Après avoir reformé les Stooges, en 2002, Iggy Pop a de nouveau passé beaucoup de temps à incarner un personnage de guerrier rock, plus proche du fond de commerce que de la réinvention artistique. De temps à autre perçaient des désirs d’apaisement et d’ailleurs soyeux dans des albums plus artisanaux, restés injustement (Avenue B et Préliminaires) ou justement (Après) confiden- Trouvailles sans boussole dans la jungle texane South By Southwest, qui accueille 70 000 festivaliers, contre 700 à sa création en 1987, mise sur la découverte de talents méconnus ROCK austin (texas) - envoyé spécial E n 1987, la première édition du festival South By Southwest (SXSW) attirait 700 professionnels pour assister à un événement destiné à promouvoir quelques dizaines de groupes et chanteurs du sudouest des Etats-Unis. Trente ans après, ce « showcase festival », baptisé en clin d’œil au film North by Northwest (La Mort aux trousses) d’Alfred Hitchcock, est devenu un rassemblement monstre – à trois têtes – consacré, du 11 au 20 mars, à la musique (SXSW Music), au cinéma (SXSW Film) et aux médias interactifs (SXSW Interactive), capable d’attirer du monde entier près de 70 000 participants. Inauguré cette année, par Barack Obama, l’événement a aussi accueilli, le 16 mars, son épouse, Michelle Obama, venue présenter, aux côtés des rappeuses Queen Latifah et Missy Elliott, le projet Let Girls Learn, voué à la scolarisation des jeunes filles à travers le monde. Kermesse assourdissante Si le SXSW Interactive, lancé en 1999, a grossi au point de devenir la première source d’accréditations du festival (environ 30 000 participants), le SXSW Music (plus de 25 000 accrédités) demeure un succès en expansion, avec près de 2000 groupes ou artistes présentés, en 2016, dans une centaine de lieux. Austin, la capitale administrative du Texas, possédait des atouts pour cette réussite. Oasis libérale dans un Etat conservateur, la ville s’est fait connaître pour sa scène musicale caractérisée à la fois par ses penchants rebelles et son attachement aux racines traditionnelles. Une pléiade de « songwriters » (Joe Ely, Jerry Jeff Walker, Stevie Ray Vaughan, Alejandro Escovedo, le héros local Willie Nelson…) s’est ainsi épanouie grâce à l’exceptionnelle densité de clubs et salles (plus de 300 aujourd’hui) destinés, en particulier, aux étudiants de l’Université du Texas, la plus grande université publique des Etats-Unis. Un réseau qui permet à Austin de s’afficher comme la « Live music capital of the world ». Premiers concernés par le festival, les artistes, médias, producteurs de disques et de spectacles commencent leur journée dans l’immense Convention Center où se tiennent un salon professionnel, de multiples débats et les premiers concerts. Remarqué dans une des salles froides de ce centre d’exposition et de conférences, l’Anglais Declan McKenna, seul à la guitare et au synthétiseur, du haut de ses 17 ans (il en paraît 13), saisit par ses talents de conteur et des mélodies à faire pâlir d’envie Jake Bugg et les Arctic Monkeys. La musique résonne en ville dès le matin, mais l’orgie de concerts débute véritablement à partir de 20 heures. Les petits immeubles XIXe siècle de la 6e rue et leur succession ininterrompue de clubs constitue le cœur d’une kermesse assourdissante, qui irrigue d’innombrables autres artères. En plus de la foisonnante affiche officielle, grouillent les artistes d’une programmation « off » prolongeant souvent en plein air, au milieu d’une foule bigarrée, des performances qui nourriront les réseaux sociaux. SXSW accueillent quelques stars, comme Iggy Pop, profitant de la concentration de médias et de l’image « cool » du festival pour lancer leur nouvelle production. La raison d’être de l’événement reste pourtant la découverte de talents méconnus. Krautrock et psychédélisme Parfois fédérés par pays, comme lors d’une soirée Korea Night, consacrée à la pop coréenne, ou par maison de disques (Fat Wreck, Bella Union, Kitsuné…), la majorité des artistes est confrontée au même casse-tête : comment se distinguer au milieu d’une telle masse de propositions ? Le trio Yak, par exemple, a beau concasser avec une vigueur stridente un des plus fascinants mélanges de blues, punk, krautrock et psychédélisme du moment, pas sûr que la cinquantaine de personnes présentes au club 3Ten a rentabilisé le déplacement du groupe depuis la Grande-Bretagne. « Les cinq autres concerts que nous avons trouvé en ville ont autant compté que celui officiellement programmé par South By Southwest », estime Yvan Taïeb, patron de Roy Music, la maison de production du groupe Talisco, membre de la petite colonie française venu tenter faire d’Austin une porte d’entrée aux Etats-Unis. Préparés en amont pour convier labels, tourneurs et responsables de musiques de films et publicités, ces concerts auront coûté près de 20 000 euros à Roy Music (heureusement aidé par le Bureau export). « Ces journées ont été incroyablement intenses. Nous saurons d’ici quelques semaines si elles ont été payantes. » p s. d. culture | 19 0123 MARDI 22 MARS 2016 Babel Med gomme ses frontières Le forum des musiques du monde s’ouvre à des sons jazz et pop-folk marseille Iggy Pop et Josh Homme, à Joshua Tree (Californie), en 2015. ANDREAS NEUMANN L es musiques du monde ont leurs festivals et leurs lieux, plus ou moins dédiés. Elles ont aussi leurs salons, forums et marchés. On s’y retrouve en famille concernée, comme au Babel Med Music, le toujours très fréquenté forum des musiques du monde (environ 15 000 spectateurs et 1 900 professionnels, selon les organisateurs), dont la 12e édition s’est déroulée au Dock-des-Suds, à Marseille, du 17 et 19 mars. On y a débattu, devisé, entre autres, des collectivités territoriales, jugées de plus en plus pingres, voire assassines dans leur désengagement vis-à-vis d’événements porteurs de diversité culturelle (notamment quand elles changent de couleur politique), on y a déploré la désaffection des médias, de moins en moins portés sur le sujet. On a parlé d’espoir et d’ouverture. « Si nous voulons survivre, il faut s’adapter », ne pas rester dans sa niche, son clan, sa frontière, clament en chœur Bernard Aubert et Sami Sadak, les codirecteurs de l’événement. Programmés en soirée, après les débats et les palabres de la journée, plusieurs artistes, sélectionnés par un comité de professionnels, témoignent d’une volonté d’ouverture, d’éclatement de « la famille » à Babel Med Music. La chanteuse auteure-compositrice canadienne Alejandra Ribera, découverte en 2015 à travers un disque au Programmés en soirée, après les débats et les palabres, plusieurs artistes témoignent d’une volonté d’éclatement de « la famille » charme élégant, La Boca (Jazz Village/Harmonia Mundi) est née à Toronto, d’une mère écossaise et d’un père argentin. Elle chante en anglais (beaucoup), en français (dont un titre avec Arthur H, sur l’album) et parfois en espagnol. Tissage entre flamenco et jazz Habitée, très singulière dans sa manière de jouer sur les contrastes avec sa voix, passant de la lumière aux ténèbres, de la fragilité à la rage, elle propose à Marseille un univers pop-folk insolite, sans références appuyées à l’un ou l’autre de ses ascendants. Musique du monde ? Dans le public, les commentaires évoqueront Ricky Lee Jones, Joni Mitchell ou bien Lhasa. Les climats, l’attitude et la voix d’Alejandra Ribera ont de fait un spectre, des couleurs qui vont audelà de ces références. Le contrebassiste de jazz RenaudGarcia Fons et le pianiste flamenco Dorantes ont donné aux Dockdes-Suds un aperçu saisissant de leur connivence et de leur invention musicale, gravées sur l’album Paseo a dos (e-motive records/ l’autre distribution). Ils témoignent d’une créativité musicale sans barrières stylistiques. Leur tissage entre flamenco et jazz, présenté ici, préfigure peut-être une ouverture vers les vocabulaires du jazz dont on parle parfois dans les allées à Babel Med Music. Gitan de Lebrija, David Peña Dorantes descend d’une lignée qui fait autorité dans le flamenco (Pedro Peña pour père, El Lebrijano pour oncle, entre autres). C’est sa curiosité musicale qui l’a amené, nous déclare-t-il, à « mettre le flamenco dans le piano », à aller vers le jazz et dialoguer avec Renaud Garcia-Fons. « Lui est nourri de la tradition flamenca, moi je l’ai étudiée et c’est très fort en moi, explique pour sa part le contrebassiste. A partir de là, nous trouvons un développement naturel. Nous mettons au point une forme passant beaucoup par l’improvisation et qui laisse la possibilité à l’instant de s’exprimer et d’aller chercher le duende, ce quelque chose qui va nous étonner l’un et l’autre. » p patrick labesse Alejandra Ribera, en concert le 24 mars à Paris (Café de la Danse), le 26 à Hyères (Var), festival Les Femmes s’en mêlent. Renaud Garcia-Fons et Dorantes, en concert le 12 mai à Marly en Moselle, festival Marly Jazz Festival. Le swing selon « Schmoll » Eddy Mitchell croone au Dôme de Paris-Palais des sports L tiels. En choisissant de travailler avec Josh Homme, Iggy Pop parvient, comme dans sa période Bowie, à concilier raffinements, urgence électrique et impact médiatique. Il a d’abord envoyé un texto au musicien, devenu – avec l’ex-White Stripes Jack White – l’un des mentors les plus en vue de la scène rock : « Je pense que nous pourrions peut-être écrire quelque chose et l’enregistrer. » Ce à quoi le grand roux avait simplement répondu : « Ce serait merveilleux. » VIEILLES OBSESSIONS Loin de Berlin, Munich et Paris, qui avaient servi de cadre aux disques avec Bowie, la plupart des sessions de Post Pop Depression se sont déroulées dans l’aridité des environs de Palm Desert (Californie), où Josh Homme, natif de Joshua Tree, a transformé une vieille maison en studio d’enregistrement, le Rancho de la luna. Rendu mythique entre autres par ses Desert Sessions, séries d’EP et compilations produites par Homme, en collaboration avec des artistes locaux et des personnalités comme PJ Harvey ou Mark Lanegan, l’endroit a aussi inspiré Iggy Pop. « Je me suis pointé avec une vieille valise et quelques tee-shirts pourris, rigole l’“Iguane”, l’important était d’aller à l’essentiel. » « Que quelqu’un bénéficiant comme lui d’un statut d’icône prenne le risque de venir s’immerger ici et de se remettre en question, te donne envie de tout donner », estime Josh Homme, qui a accueilli le chanteur après avoir échangé avec lui textes et musiques dans le plus grand secret. « Rien ne garantissait que ça marche, rappelle le producteur. Si cela n’avait pas été concluant, j’avais juré de creuser un trou pour y enterrer les bandes ! » Après quelques tâtonnements, les textes de « Jim » vont vite confirmer Josh Homme dans son admiration. « Il est pour moi l’un des grands poètes américains, assure le guitariste. Il parvient à un maximum d’expressivité et de couleurs avec un minimum de mots. » Fidèle à de vieilles obsessions, l’auteur de I Wanna Be Your Dog continue de chroniquer les rela- tions charnelles, comme dans le sensuel (et très bowien) Gardenia, tiré d’une série de portraits écrits à partir d’une cinquantaine de ses aventures sexuelles. « Venu d’un autre que lui, cela pourrait paraître lourd, s’attendrit Homme, mais ces textes ressemblent surtout à des lettres de remerciement, le sexe devient secondaire pour laisser place à l’émotion. » Le corps si célébré (ou autodétruit) dans le passé constate souvent sa déchéance proche, même si le chanteur, la démarche déformée par des problèmes osseux, est encore capable, comme à Austin, de se lancer tête la première dans la foule. Conclusion de l’album, Paraguay fait part d’envies de fuir devant trop de bêtise et de gens rongés par la peur, avant d’avouer, avec ironie, sa résignation. Donald Trump n’était pas spécialement visé, dit-il. « Je sais depuis longtemps que l’Amérique n’est pas un paradis. Je parle parfois de sa grandeur, mais souvent de son ridicule. » La mélancolie de nombre de chansons et un questionnement sur l’au-delà (le majestueux American Valhalla) résonnent surtout des morts qui ont fendu l’armure de l’increvable rocker, aussi enthousiasmant par son panache que par sa vulnérabilité. Très marqué par le décès de son père, en 2007, ce survivant a vu disparaître nombre de compagnons de route – Lou Reed, les Stooges, Dave Alexander, Ron Asheton et Scott Asheton et, bien sûr, David Bowie. Si ce n’était pas leur fonction initiale, cet album et les concerts à venir pourront être entendus comme autant d’hommages à son ancien complice. « En répétant les vieux morceaux, je me suis souvenu avec émotion de David arrivant avec ses idées de gimmicks et d’accroches mélodiques. Puis, j’ai repris conscience de la valeur de ce cadeau qui m’avait à l’époque sauvé la vie et qui continue de nous inspirer aujourd’hui. » « Après tout, conclut Josh Homme, les amis sont faits pour ça. » p « Post Pop Depression », d’Iggy Pop, 1 CD Caroline/Universal En concert le 15 mai au Grand Rex, à Paris. ors de la parution de son album Big Band (Polydor/ Universal Music), en octobre 2015, Eddy Mitchell évoquait régulièrement le mot « rêve » pour en parler. Chanter avec une grande formation de jazz, dans le souvenir de grands crooners, Nat King Cole, Frank Sinatra ou Dean Martin, mis en musique par Nelson Riddle, Gordon Jenkins, Neal Hefti, Billy May, Count Basie… Et, en plus, en l’enregistrant, comme ses héros, dans les studios de Capitol, installés dans la célèbre tour circulaire de la maison de disques dans le quartier d’Hollywood à Los Angeles. En fait, « Schmoll » (son surnom) avait déjà eu l’occasion de jouer avec un big band, en décembre 1993 et en mars 1994, lors d’une courte série de concerts rétrospectifs. Cette fois, c’est au Dôme de Paris-Palais des sports que le chanteur s’est installé jusqu’au 3 avril. Nonchalance Section de vents sur un podium, cinq saxophonistes, dont le directeur d’orchestre, Michel Gaucher, complice depuis le début des années 1960, trois trombonistes et quatre trompettistes, quatre choristes et le groupe d’accompagnateurs réguliers de Mitchell : les guitaristes Basile Leroux et Hervé Brault, le claviériste Jean-Yves D’Angelo, le bassiste Evert Verhees et le batteur Christophe Deschamps. Majoritairement, et le plus réussi de la soirée, prévaut cette ambiance swing façon grande variété américaine des années 1950 et 1960. Le genre va bien à son timbre grave, une manière de nonchalance dans le phrasé. De son album, il présente : Il faut vivre vite, Tu ressembles à hier, Combien je vous dois ?, Quelque chose a changé, Je n’ai pas d’amis, Promets moi la lune, adaptation de Fly Me to the Moon, dont la version Sinatra est probablement la plus célèbre. Le texte en français, signé Claude Moine, son vrai nom, vient avec exactitude dans le coulé de la musique. Un talent d’écriture, marque des nombreuses adaptations de standards des musiques populaires américaines, dont Mitchell est l’auteur depuis ses débuts. Le même esprit prévaut dans d’anciennes chansons, dont Au bar du Lutetia, évocation de l’ami Serge Gainsbourg en 2003, Rio Grande (1993), ou Toujours un coin qui me rappelle, adaptation en 1964 de (There’s) Always Something There to Remind Me, de Burt Bacharach et Hal David, le tendre M’man (1987), le récent Premiers printemps, tiré du précédent album Héros, en 2013… Michel Gaucher, responsable des arrangements des vents, équilibre ceux des thèmes originaux avec la part jazz. Pour deux séquences, Mitchell s’en éloigne. Lors d’un hommage à la soul âpre du sud des EtatsUnis et à Otis Redding, avec les chansons Otis, adaptation de Hard to Handle, et Pour tuer le temps, d’après The Happy Song. Et resserré avec le groupe, en acoustique, pour une évocation country (Sur la route de Memphis, La Dernière Séance, De Nashville à Belleville…). Dans le contexte, il y manque cette alliance avec le jazz qu’avait réalisée Ray Charles en 1962 dans Modern Sounds in Country and Western Music. p sylvain siclier Eddy Mitchell, au Dôme de Paris-Palais des sports, 34, boulevard Victor, Paris 15e. Tél. : 08-25-03-80-39. Jusqu’au 3 avril. De 35 € à 119 €. Ledomedeparis.com. Expositions Rennes Ronan & Erwan Bouroullec Les Champs Libres Parlement de Bretagne Frac Bretagne 25 mars – 28 août 2016 www.bouroullec.com/rennes 20 | culture 0123 MARDI 22 MARS 2016 Poètes dada et go-go girls Au Rond-Point, à Paris, Jean-Michel Ribes monte un spectacle clinquant L THÉÂTRE es poètes dada peuvent-ils faire bon ménage avec les go-go girls ? Pas sûr. Pas chez Jean-Michel Ribes, en tout cas. Le directeur du Théâtre du Rond-Point, à Paris, présente, en son royaume, une nouvelle création, Par-delà les marronniers, à partir d’une pièce qu’il a écrite au début des années 1970 et qui s’inspire de trois figures des mouvements dadaïste et surréaliste : Arthur Cravan, Jacques Rigaut et Jacques Vaché. Indigent, poussif Sur le papier, il y a de quoi se réjouir. Les trois dandys fracassés dont il est question ici sont un sujet en or. Qu’on en juge. Arthur Cravan (1887-1918) : poète et boxeur, neveu d’Oscar Wilde, un colosse de 2 mètres et de plus de 100 kilos, ne cessant de fustiger le goût bourgeois de l’art, auteur, entre autres, d’une maxime plus profonde qu’elle n’en a l’air, « Les abrutis ne voient le beau que dans les belles choses ». Jacques Rigaut (1898-1929) : président de l’AGS, l’Agence générale du suicide, prince de l’absurde désinvolte, marié à une riche Américaine, modèle du héros du Feu follet, de Drieu la Rochelle. Jacques Vaché (1895-1919) : inventeur de « l’umour sans h », opiomane, élégantissime, l’homme sans lequel André Breton n’aurait pas été André Breton. Le problème, c’est ce que JeanMichel Ribes en fait en termes de théâtre, c’est-à-dire à peu près rien, dans un spectacle indigent sur le plan dramaturgique, poussif et chargé de clichés dans sa forme de revue musicale. On compte les minutes, tout au long de la soirée, en essayant de recueillir les quelques perles qui émaillent le spectacle et qui émanent directement des trois poètes eux-mêmes. Lesquels sont incarnés de manière inégale : Maxime d’Aboville est d’une classe folle en Jacques Vaché ; Michel Fau, qui joue Cravan, fait son show et montre ses fesses, mais il y a dans son numéro de clown triste, malgré tout, une vérité qui touche ; Hervé Lassïnce passe à côté de Jacques Rigaut, qu’il enferme dans un jeu clinquant, à l’image du spectacle. N’est pas dada qui veut. Le geste implique quand même un minimum de folie, d’élégance désespérée et surtout d’engagement personnel. Toutes choses que l’on a du mal à discerner ici. Un marronnier, dans le jargon journalistique, désigne un sujet revenant chaque année à la même période et dégageant le goût farineux du fruit de l’arbre susnommé. Par sûr que Jean-Michel Ribes aille au-delà. p fabienne darge Par-delà les marronniers, de et par Jean-Michel Ribes. Théâtre du Rond-Point, 2 bis, avenue Franklin-Roosevelt, Paris 8e. Tél. : 01-44-95-98-21. Du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à 15 heures, jusqu’au 24 avril. De 16 € à 38 €. Durée : 1 h 30. Eichmann : l’impossible procès de l’incarnation du mal Au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, la troupe internationale du Majâz cherche à montrer le système qui a conduit aux crimes nazis THÉÂTRE I l n’y a pas de cage de verre, ni un homme qui serait Adolf Eichmann. Il y a une table sur le plateau, avec des livres dessus, comme dans une salle de répétition. Et sept comédiennes et comédiens, qui, tour à tour, seront Adolf Eichmann, tel qu’il fut au cours de son procès à Jérusalem, en 1961 : un petit homme à lunettes, dont une photo, en noir et blanc, vient rappeler qu’il n’avait rien d’un grand blond aryen. Cette photo, les comédiens se la mettent parfois brièvement sur le visage. C’est une indication pour ceux qui ne sauraient pas à quoi ressemblait Adolf Eichmann, criminel de guerre nazi, et le signe d’une volonté : montrer une incarnation du mal, et la dépasser. Sans pathos mais non sans ironie Le Théâtre Majâz (« métaphore » en arabe), qui signe Eichmann à Jérusalem, est une jeune troupe, fondée en 2009 par le metteur en scène israélien Ido Shaked et l’auteure Lauren Houda Hussein, qui a grandi entre la France et le Liban. Elle réunit des comédiens de plusieurs pays, et travaille sur la mémoire. Son précédent spectacle, Les Optimistes, parlait des habitants de Jaffa, ville palesti- 0123 Nouvelle orthographe ce qui change et pourquoi 3 € seulement Le Monde et Flammarion vous proposent un guide complet qui explique la rectification de l’orthographe, ses origines, et sa raison d’être ; découvrez aussi l’ensemble des règles et la liste des mots qui évoluent. L’ouvrage indispensable pour tout comprendre. EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX ET SUR NOTRE BOUTIQUE EN LIGNE : WWW.LEMONDE.FR/BOUTIQUE « Eichmann à Jérusalem ». GUILLAUME CHAPELEAU/THÉÂTRE GÉRARD-PHILIPE nienne en 1948, qui furent expulsés au Liban ou ailleurs. Eichmann à Jérusalem s’inscrit dans la même lignée : il s’appuie sur des bases documentaires concrètes, qu’il met en perspective. Le sous-titre du spectacle, « Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible », est révélateur de cette démarche. A travers le procès d’Adolph Eichmann, dont les paroles sont fidèlement reproduites, le Théâtre Majâz cherche avant tout à montrer le système qui a mené à l’extermination, pendant la seconde guerre mondiale. Un système implacablement défini, sur lequel l’accusé s’appuie pour se défendre et dégager sa responsabilité (« J’obéissais »). Tout cela est connu. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont la troupe le restitue : d’une manière radicale, sans pathos, mais non sans ironie, parfois. « Eichmann à Jérusalem » s’appuie sur des bases documentaires concrètes, mises en perspective Des organigrammes sont dessinés à la craie sur le plateau noir, des témoignages sont entendus, les points de vue d’Hannah Arendt et de Gershom Scholem s’affrontent, à travers leur correspondance sur la banalité du mal. Mais d’image, il n’y en a aucune. Simplement sept comédiens sur le plateau, dont l’auteure et le metteur en scène. Habillés comme à la ville, ils font circuler une parole brute, dépouillée de tout fantasme et de toute illusion : pour eux, le procès d’Eichmann montre qu’il n’y a pas de justice possible. Rien que des hommes normaux qui ne savent pas que tout est possible. Aujourd’hui comme hier. p brigitte salino Eichmann à Jérusalem, de Lauren Houda Hussein. Mise en scène : Ido Shaked. Avec Lauren Houda Hussein, Sheila Maeda, Mexianu Medenou, Caroline Panzera, Raouf Rais, Arthur Viadieu, Charles Zevaco. Théâtre GérardPhilipe, 59, boulevard JulesGuesde, Saint-Denis (Seine-SaintDenis). De 6 € à 23 €. Du lundi au samedi, à 20 heures ; dimanche à 15 h 30. Durée : 1 h 20. Jusqu’au 1er avril. Theatregerardphilipe.com Les Roumains se saignent pour Brancusi, l’enfant du pays S ix millions d’euros : c’est le montant que les 19,8 millions de Roumains devraient sortir de leurs poches pour acquérir La Sagesse de la terre, chef d’œuvre du sculpteur français d’origine roumaine Constantin Brancusi, né en 1876. « Nous sommes pauvres mais le sort de cette sculpture se joue maintenant ou jamais, a déclaré le premier ministre, Dacian Ciolos, vendredi 18 mars. Si l’Etat n’exerce pas son droit de préemption, nous perdrons cette sculpture à jamais et nous serons encore plus pauvres. » L’histoire de cette sculpture, qui représente une jeune fille assise, a été aussi mouvementée que celle de son auteur. Constantin Brancusi a quitté la Roumanie en 1903. Direction : Paris. Moyen de transport : à pied. En 1907, le talentueux sculpteur roumain est remarqué par Auguste Rodin qui lui propose d’être son apprenti. Refus. « Rien ne pousse à l’ombre des grands arbres », lui répond Brancusi qui finit par avoir son propre atelier au 11, impasse Ronsin, dans le 15e arrondissement. Une sorte de réparation C’est à Paris que l’artiste roumain va donner naissance à la sculpture moderne. En 1907, Brancusi sculpte La Sagesse de la terre qu’il vend quatre ans plus tard à Gheorghe Romascu, un ami roumain amateur d’art. Mais en 1957, les autorités communistes s’en emparent. Depuis la chute de la dictature roumaine en 1989, les héritiers du propriétaire ont intenté plusieurs procès contre l’Etat et ont fini, en 2010, par obtenir que la fameuse sculpture leur soit restituée. Quatre ans plus tard, ils finissent par la mettre en vente au prix de 20 millions d’euros, mais l’Etat roumain fait valoir son droit de préemption. Les négociations avec la famille héritière ont abouti à un montant de 11 millions d’euros. Sur cette somme, 5 millions seront versés par les caisses publiques. Le reste, soit 6 millions d’euros, devrait être couvert par les contributions bénévoles des Roumains. L’affaire n’est pas simple dans un pays où le salaire moyen est de 380 euros par mois. « Si cette campagne réussit, cela voudra dire que les Roumains veulent se libérer de leur indifférence et de leur impuissance », a déclaré le ministre de la culture, Vlad Alexandrescu, le 18 mars. Racheter la sculpture de « SI L’ÉTAT Brancusi constituerait N’EXERCE PAS aussi pour les Roumains une sorte de réparation. SON DROIT En 1940, l’artiste avait créé en Roumanie un ensemble DE PRÉEMPTION, monumental composé de NOUS PERDRONS La Colonne de l’infini, La Porte du baiser et La Table CETTE SCULPTURE du silence, trois pièces majeures dans son œuvre. À JAMAIS » Dans les années 1950, les DACIAN CIOLOS communistes avaient espremier ministre sayé de déraciner La Coroumain lonne de l’infini mais les tracteurs de l’époque n’avaient pas été assez puissants. « L’Etat communiste a commis une injustice en voyant dans Brancusi un artiste décadent, a affirmé Vlad Alexandrescu. C’est maintenant notre devoir de réparer cette injustice. » Reste à savoir si les Roumains seront prêts à en payer le prix. p mirel bran (bucarest, correspondant) télévisions | 21 0123 MARDI 22 MARS 2016 Sarajevo, quatre ans de bombes et de résistance VOTRE SOIRÉE TÉLÉ « Le Siège » raconte le quotidien des habitants de la capitale bosniaque assiégée suivi, pas à pas, de 1992 à 1996 ARTE MARDI 22 – 22 H 45 DOCUMENTAIRE M AR D I 22 M ARS TF1 20.55 Les Experts Série créée par Anthony E. Zuiker Avec Avec William Petersen, Marg Helgenberger, Melinda Clarke (EU, saison 16, ép. 1 et 2 ; S3, ép. 10/23; S5, ép. 24 et 25/25). L e martyre de Sarajevo est l’un des épisodes les plus tragiques de l’histoire européenne du XXe siècle. Pendant quatre ans, entre 1992 et 1996, la capitale de Bosnie-Herzégovine a été pilonnée et ravagée par les bombardements incessants de l’armée serbe, campée sur les hauteurs de la ville. Cette violence aveugle était autant destinée à semer la destruction que la terreur auprès des 350 000 habitants piégés dans cette cuvette infernale. Pendant quatre ans, Sarajevo a subi le plus long siège de l’histoire moderne. Avec un bilan effroyable : 11 541 morts. Il y a ceux qui sont tombés sous les balles et ceux qui ont été fauchés par la faim, le froid et le désespoir. Rémy Ourdan, grand reporter au Monde, a été le témoin privilégié de cet épouvantable calvaire. Il avait 23 ans lorsqu’il est arrivé à Sarajevo, en 1992, et il a vécu l’intégralité du siège. Mais, de lui, il n’est nullement question dans Le Siège, son premier film, qui a reçu le FIPA d’or 2016 du meilleur documentaire au Festival de Biarritz, en janvier. Ce récit, le fruit de plus de vingt ans de ruminations, est avant tout un témoignage universel sur la guerre et la résistance, dont le propos dépasse le cadre de Sarajevo. Le Siège est aussi un hommage à la dignité et au courage de tous ceux qui ont résisté, jour après jour, à cette descente aux enfers. Tout en évoquant les multiples facettes de cette guerre, les quelque quarante témoins interrogés dans le film livrent avant tout une immense leçon d’humanité. Le Siège n’a pas pour ambition de documenter l’histoire de la guerre dans l’ex-Yougoslavie. D’autres l’ont déjà fait. Il va au-delà et explore les ressorts de la survie, lorsque l’on est exposé à l’extrême, à une violence inouïe, qui s’insinue dans tous les recoins de l’existence. Pour en arriver à ce résultat, il a fallu quatre ans de tournage et un travail de fourmi pour retrouver des centaines d’heures d’archives, dont beaucoup sont inédites. « Toute la ville y a contribué », rapporte Rémy Ourdan, qui n’a cessé France 2 20.55 Cash investigation Salariés à prix cassé : le grand scandale Magazine présenté par Elise Lucet (Fr., 135 mn). 23.10 Expulsions, la honte Documentaire de Karine Dusfour (Fr., 2016, 60 min). France 3 20.55 Frères à demi Téléfilm de Stéphane Clavier. Avec Bernard Le Coq, Antoine Duléry, Marthe Villalonga, Marianne Merlo (Fr., 2015, 95 min). 23.10 Le Divan de Marc-Olivier Fogiel Magazine présenté par Marc-Olivier Fogiel. Les tours jumelles Momo et Uzeir, à Sarajevo, en 1993. GILLES PERESS/MAGNUM PHOTOS de fréquenter Sarajevo depuis un quart de siècle. Le film commence par la bande-son glaçante de Ratko Mladic, le chef militaire des assiégeants serbes, qui ordonne à ses troupes de bombarder la ville sans discrimination : « Il faut les rendre fous… » Absence de manichéisme Ensuite, le documentaire raconte, pas à pas, les multiples facettes de la résistance à cette folie. La résistance militaire, totalement improvisée par la population. Il y a ces jeunes combattants, propulsés du jour au lendemain sur le front, qui se battent avec une arme pour trois. D’autres qui bricolent des bombes artisanales à base d’aérosols pour affronter des chars d’assaut. Et cette scène déchirante d’un habitant qui tente d’éteindre l’incendie d’un immeuble atteint par un obus à l’aide, dérisoire, d’un seau d’eau. La force du film tient à son ab- sence de manichéisme, alors que la situation s’y prêterait aisément. Les zones d’ombre ne sont pas passées sous silence, à commencer par les crimes commis par certaines unités qui finiront par être pourchassées par les autorités de la ville. Plus de vingt ans après, un combattant est toujours saisi d’émotion en évoquant l’expédition pour arrêter ses frères d’armes, coupables d’exactions. « J’étais anéanti, mais il fallait le faire », dit-il calmement. Là encore, le témoignage met en lumière une singularité du siège de Sarajevo : l’exemple rare d’une résistance qui a fait le ménage dans ses propres rangs, alors que les combats faisaient encore rage. Les uns après les autres, les témoins racontent, avec une authenticité saisissante, leur incrédulité face à ce qui leur arrive, à ce basculement dans l’horreur. « Le siège est entré dans nos vies, pas à pas », raconte un homme, Le documentaire est un hommage à la dignité et au courage de tous ceux qui ont résisté à cette descente aux enfers en évoquant la lutte acharnée pour ne pas céder à la résignation et à la peur. Ce choix, chaque jour remis sur l’établi, de ne pas se laisser réduire à la mort et à la souffrance. Et qui passe par une multitude de résistances. Au point que les scènes les plus poignantes de ce huis clos vécu par Sarajevo ne sont pas les images de guerre, même celles qui témoignent de l’héroïsme stupéfiant de ceux qui se précipitent au péril de leur vie pour secourir un passant foudroyé par un tireur embusqué. Les images les plus bouleversantes sont celles de ces fêtes improvisées dans des caves, formidable pied de nez à l’absurde, et célébration d’une rage de vivre illustrée par des comédiens jouant sur des scènes éclairées à la bougie et des musiciens proposant des concerts dans un décor de ruines. L’une des répliques les plus émouvantes du film vient d’un jeune combattant à qui un metteur en scène demande quel sens il peut trouver à de tels spectacles en arrivant du front. « Si vous ne le faisiez pas, lui répond-il, nous n’aurions plus rien à défendre. » Le propos, magnifique, résume celui du film : ce qui s’est joué à Sarajevo est le combat de la civilisation face à la barbarie. p yves-michel riols Le Siège, de Rémy Ourdan (Fr., 2016, 90 min). Canal+ 20.45 Imitation Game Film de Morten Tyldum. Avec Benedict Cumberbatch, Keira Knightley, Matthew Goode (GB - EU, 2014, 110 min). 22.50 Citizenfour Documentaire de Laura Poitras (EU - All., 2014, 115 min). France 5 20.40 La France, le Président et la Bombe Documentaire de Stéphane Gabet (Fr., 2016, 55 min). 21.50 Soldat Documentaire de Philippe Pichon (Fr., 2015, 55 min). Arte 20.55 La Fin des Ottomans Documentaire de Mathilde Damoisel [1 et 2/2] (Fr., 2014, 2 × 55mn). 22.45 Le Siège Documentaire de Patrick Chauvel et Rémy Ourdan (Fr., 2016, 90 min). M6 20.55 The Island : seuls au monde Télé-réalité présentée par Mike Horn. 23.20 The Island : les secrets de l’île Episodes 2 et 1 (Fr., 2016). 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 068 HORIZONTALEMENT I. Calomniateur. II. Ogive. Amorce. III. Musicalité. IV. Pied. Eta. IUT. V. Acres. Abonné. VI. Che. Io. Luter. VII. Test. Stèle. VIII. Eu. AB. Ase. St. IX. Usinait. Muai. X. Rectiicatif. VERTICALEMENT 1. Compacteur. 2. Aguicheuse. 3. Liserés. IC. 4. Ovide. Tant. 5. Mec. Si. Bai. 6. Ae. Os. If. 7. Ialta. Tati. 8. Amiables. 9. Tôt. Ouléma. 10. Ereinté. Ut. 11. Uc. Une. Saï. 12. Réitératif. I. Quand il ne se fait pas encadrer, il peut mordre. II. Suiveur de Bernard Palissy. Point. III. A conduit J. C. au pouvoir. A peint dans les couvents et les églises en Espagne. IV Le plus grand chez les chevaux de trait. Donnait un coup de main. V. Sorti des fouilles. Belle des Maîtres chanteurs. Entre Osaka et Kyoto. VI. Porteurs de chapeaux blancs. Personnel. VII. Pas bien malin. Mis tout à plat. VIII. Myriapode luisant. Mise en jeu pour toute la famille. Distributeur d’images. IX. Ont besoin d’un public pour s’exprimer. Espace vert. X. Ancienne citadelle byzantine. Mises en boîte. VERTICALEMENT 1. Une force pour ne pas employer la force. 2. Propos confus et incompréhensible. 3. Drape les dames de Bombay. La première sur la colonne. 4. Note. Sillonne l’Ile-de-France. Assure la liaison. 5. Imprimeurs qui ne manquaient pas de caractères. Dans nos rêves. 6. Règles d’aménagement en ville. Joli coup sur le court. Résistible sur les planches. 7. Rendit moins dense. Permet de garder la forme. 8. Corindon rouge. Facile à prendre. 9. Défère en justice. 10. Se retrouvent sur de bonnes voies. Mal parti pour 2017. 11. Mettait en œuvre. Au cœur du foyer. 12. Souvent nécessaires pour arriver à ses ins. La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 0123 Les Unes du Monde RETROUVEZ L’INTÉGRALITÉ DES « UNES » DU MONDE ET RECEVEZ CELLE DE VOTRE CHOIX ENCADRÉE Encyclopéd ie Universalis www.lemond e.fr 65 e Année - N˚19904 - 1,30 ¤ France métropolitaine L’investiture de Barack Nouvelle édition Tome 2-Histoire --- Jeudi 22 janvier Uniquement 2009 Fondateur Premières mesures Le nouveau président américain a demandé la suspension : Hubert Beuve-Méry En plus du « en France - Directeur Monde » métropolitaine : Eric Fottorino Obama des audiences à Guantanam o Barack et Michelle Obama, à pied sur Pennsylvania WASHINGTON Avenue, mardi 20 janvier, CORRESPONDANTE se dirigent montré. Une vers la Maison evant la foule nouvelle génération Blanche. DOUG tallée à la tête s’est insqui ait jamais la plus considérable MILLS/POOL/REUTERS a Les carnets transformationde l’Amérique. Une ère d’une chanteuse. national de été réunie sur le Mall de Angélique a Washington, Des rives du commencé. Kidjo, née au Obama a prononcé, a Le grand Barack lantique, Pacifique à jour. Les cérémonies celles de l’At- aux Etats-Unis pendant Bénin, a chanté discours d’investituremardi 20 janvier, toute l’Amérique la liesse ; les la campagne de Barack Obama ; ambitions d’un presque modeste.un sur le moment s’est arrêtée a Feuille force d’invoquer en 2008, la première rassembleur qu’elle était pendant les A vivre : décision de ; n’est jamaisde route. « La grandeur Abraham en train de festivités de et de nouveau administration: Martin Luther l’accession la nouvelle Lincoln, un l’investiture, au poste du 18 au dant en chef Avec espoir et dû. Elle doit se mériter. avait lui même King ou John Kennedy, pendant cent la suspension des armées, de comman- raconte 20 janvier. Pour Le Monde, (…) vertu, il placé la barre responsable vingt : les cérémonies, elle de plus les courants bravons une fois discours ne très haut. Le l’arme nucléaire, d’un de Guantanamo. jours des audiences passera probablement les rencontres jeune sénateur de – elle a croisé l’actrice glacials et endurons cain-américain Pages 6-7 les tempêtes à postérité, mais afri- le chanteur page 2 et l’éditorial Lauren de 47 ans. venir. » Traduction il fera date pour pas à la Harry Belafonte… Bacall, du discours ce qu’il a inaugural du e intégrale miste Alan Greenspan. Lire la suite et l’écono- a It’s the economy... des Etats-Unis. 44 président page 6 la Il faudra à la velle équipe taraude : qu’est-ce Une question nou- a Bourbier Page 18 beaucoup d’imagination Corine Lesnes pour sortir de que cet événement va changer pour irakien. Barack a promis de l’Afrique ? Page Obama et économiquela tourmente financière retirer toutes 3 qui secoue la de combat américaines les troupes Breakingviews planète. page 13 d’Irak d’ici à mai 2010. Trop rapide, estiment les hauts gradés de l’armée. D Education UK price £ 1,40 GRILLE N° 16 - 069 PAR PHILIPPE DUPUIS du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤ Courrier des lecteurs blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ; Par courrier électronique : [email protected] Médiateur : [email protected] Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Finances : http://inance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/ Immobilier : http://immo.lemonde.fr Documentation : http ://archives.lemonde.fr Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40 Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60 SUDOKU N°16-069 L’avenir de Xavier Darcos Ruines, pleurs et deuil : dans Gaza dévastée « Mission terminée »: le ministre de REPORTAGE ne cache pas l’éducation considérera qu’il se GAZA bientôt en ENVOYÉ SPÉCIAL disponibilité pour ans les rues tâches. L’historien d’autres de Jabaliya, les enfants ont de l’éducation trouvé veau divertissement.un nouClaude Lelièvre explique lectionnent les éclats d’obusIls colmissiles. Ils comment la et de déterrent du rupture s’est sable des morceaux d’une faite entre les enseignants qui s’enflamment fibre compacte et Xavier Darcos. immédiatement au contact de Page 10 l’air Bonus Les banquiers ont cédé Enquête page Nicolas Sarkozy des dirigeants a obtenu françaises qu’ilsdes banques renoncent à la « part variable de leur rémunération ». En contrepartie, les banques pourront bénéficier d’une D et qu’ils tentent aide difficilement de l’Etat de d’éteindre avec 10,5 pieds. « C’est d’euros. Montantmilliards du phosphore. leurs dez comme ça Regarbrûle. équivalent à Surles mursde » celle accordée cetterue,des fin 2008. Page cesnoirâtres tra- boutique. 14 sont bes ont projeté visibles.Les bom- victime, Le père de la septième âgée de 16 ans, chimique qui partout ce produit re ne décolèa incendié une pas. « Dites fabrique de bien aux dirigeants Au bord de papier. « C’est petite des nations occidentales la mière foisque que ces sept je voiscela après la pre- innocents sont il y a quelquesfaillite huit ans d’occupation trentemorts pour semaines, rien. l’Américain israélienne », Qu’ici, il n’y a jamais s’exclame Mohammed eu de tirs de Chrysler roquettes. Que Abed négocie l’entrée bo. Dans son c’est costume trois Rab- nel. Que les Israéliensun acte crimidu cette figure constructeur nous en don- La parution du quartier pièces, nent la preuve, italien Fiat deuil. Six membres porte le puisqu’ils sur- de deux dans son capital, textes inédits de sa famille veillent tout depuis le ciel ont été fauchés », enrage de Roland Rehbi Hussein de 35 %. L’Italie à hauteur devant par Barthes, Heid. un magasin, une bombe mains, de cette bonne se réjouit il tient une Entre ses mort en 1980, le 10 janvier. Ils étaient venus enflamme feuille de le s’approvisionner papier avec tous cercle de ses pour l’économienouvelle pendant noms des nationale. décrétéesles trois heures de trêve morts et des blessés,les Le demi-frère disciples. Chrysler, de par Israël pour âge, qu’il énumère ainsi que leur son côté, aura tre aux Gazaouis permet- reprises, l’écrivain, qui de à accès à une comme pour plusieurs en a autorisé technologie Le cratère de de souffler. se persua- la publication, der qu’ils sont plus innovante. la bombe est jours là. Des bien morts. essuie touPage 12 éclats les foudres Michel Bôle-Richard mur et le rideau ont constellé le de l’ancien Algérie 80 DA, métallique de éditeur de Barthes, Allemagne 2,00 Lire la suite ¤, Antilles-Guyane la 2,00 ¤, Autriche page 19 27000profs partirontcha quean àlaretraite,d ’icià2012. née Automobile Fiat : objectif Chrysler Edition Barthes, la polémique et Débats page 5 17 François Wahl. L elivre-en q u êtein co n to u rn ab lep o u ralim en terled su rl’aven éb at ird el’éco le. 2,00 ¤, Belgique 1,40 ¤, Cameroun Maroc 10 DH, 1 500 Norvège 25 KRN, Pays-Bas F CFA, Canada 3,95 $, Côte 2,00 ¤, Portugal d’Ivoire 1 500 F CFA, Croatie cont. 2,00 ¤, u né 18,50 Kn, Danemark Réunion 2,00 d ite u rd ¤, Sénégal 1 e rriè 500 F CFA, Slovénie 25 KRD, Espagne 2,00 rel’é c ra ¤, Finlande n>w 2,20 ¤, Suède 2,50 ¤, Gabon w w 28 KRS, Suisse .a rte b o 2,90 FS, Tunisie 1 500 F CFA, Grande-Bretagne u tiq u e .c 1,9 DT, Turquie o m 1,40 £, Grèce 2,20 ¤, USA 2,20 ¤, Hongrie 3,95 $, Afrique 650 HUF, Irlande CFA autres 2,00 ¤, Italie 1 500 F CFA, 2,00 ¤, Luxembourg 1,40 ¤, Malte 2,50 ¤, Page 20 RENDEZ-VOUS SUR www.lemonde.fr/boutique Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») 22 | L styles 0123 MARDI 22 MARS 2016 AUTOMOBILE a nouvelle version de la DS3, seule véritable réussite commerciale de la marque premium du groupe PSA, ne livre pas le sentiment de forcer son talent. Après six années de carrière et 390 000 clients, cette petite voiture chic aurait logiquement dû donner naissance à une toute nouvelle génération, se moderniser en profondeur. Le modèle qui vient d’être présenté comporte un certain nombre d’améliorations, mais cela s’apparente à un restylage a minima plutôt qu’à une véritable opération de relance. La DS3 s’offre une nouvelle calandre, d’ailleurs assez seyante, qui l’insère pour de bon au sein de la marque DS, désormais autonome, et des antibrouillards légèrement redessinés. A l’intérieur, la visière du tableau de bord a reçu un joli gainage et l’écran central est devenu tactile, mais il est toujours aussi riquiqui. Si certains revêtements ont été modifiés, le dessin général de la planche de bord commence à prendre quelques rides, de même que le plastique qui en occupe l’essentiel de la surface. Sous le capot, on note l’arrivée de l’excellent trois-cylindres de 1,2 litre PureTech, dopé par un turbocompresseur (130 chevaux), mais aussi d’une version du quatre-cylindres de 1,6 litre, qui développe 208 chevaux à bord d’une variante très tonique dénommée Performance. Des moteurs bien connus, car ils équipent déjà les Peugeot 208 et 308 depuis une bonne année. Idem pour la boîte de vitesses automatique, enfin digne de ce nom, dont hérite la version essence de 110 chevaux. Bref, on reste sur sa faim. Plébiscitée par les femmes Au fond, est-ce si grave ? Probablement moins qu’il n’y paraît. La DS3, bien née et bien dessinée, reste la seule alternative aux Mini et Audi A1. Sur le marché français, elle continue de faire la course en tête et rencontre un certain succès sur le marché britannique. Plébiscitée par les femmes, qui assurent 60 % de ses ventes, elle s’est constituée ex nihilo une clientèle face aux valeurs sûres des grands constructeurs allemands. Reste que les ventes de ce modèle, qui a réussi là où la DS4 et La DS3 reste la seule alternative française aux Mini et Audi A1. CITROËN COMMUNICATION ds3, la belle endormie Une nouvelle calandre, des changements cosmétiques… Mais pas de révolution pour le modèle phare de la marque premium de PSA. Dommage la DS5 n’ont pas vraiment su convaincre, se sont très fortement érodées au cours de la dernière période, et l’on peut douter que le simple toilettage qui lui est aujourd’hui consacré suffise à réveiller cette belle endormie. Du coup, on est un peu chagrin de voir la DS3 privée des moyens de se mettre au goût du jour car, outre qu’elle ne manque pas de personnalité, elle affiche de réelles qualités dynamiques. Son châssis est très réactif, la direction remarquablement « informative » (en clair, on sait parfaitement comment les roues sont placées) et la position de conduite idéale. La DS3 existe en version découvrable, mais il lui manque une ON EST UN PEU CHAGRIN DE VOIR LA DS3 PRIVÉE DES MOYENS DE SE METTRE AU GOÛT DU JOUR, CAR ELLE AFFICHE DE RÉELLES QUALITÉS DYNAMIQUES présentation plus moderne et une version quatre-portes (dans cette catégorie, les deux-portes sont de moins en moins prisées) pour tenir la dragée haute à des rivales qui bénéficient d’un rythme de renouvellement beaucoup plus soutenu. Sous-investissement chronique La multiplication des séries limitées, les artifices marketing et la diversification permanente des coloris proposés à la clientèle ne sauraient dissimuler un sous-investissement chronique, legs de la crise profonde traversée au début de la décennie par Peugeot-Citroën, heureusement revenu à meilleure fortune. Pourtant, les moyens ne sont pas seuls en cause. La DS3 reflète aussi le statut incertain de DS au sein de PSA. Lancée pour incarner une vision du luxe « à la française » et hisser le groupe dans le cercle restreint du premium, cette marque devrait, à ce titre, bénéficier de certaines exclusivités. Recevoir avant les autres les motorisations les plus flatteuses ou certains des équipements les plus valorisants. Or rien n’a été fait dans ce sens chez PSA où c’est Peugeot qui est servi en premier à la table des innovations et des mécaniques nouvelles. DS qui a, de surcroît, essentiellement misé sur un marché chinois moins porteur que prévu, se trouve donc condamné à une interminable traversée du désert, en attendant des nouveautés qui n’arriveront qu’à partir de 2018. Dont un petit SUV, indispensable à la survie de la marque, en espérant que ce type de véhicules sera toujours autant à la mode dans deux ans. Chez DS, on assure que les cartes ont été redistribuées et que, en 2020, la gamme européenne sera composée non plus de trois, mais de six modèles clairement positionnés sur le haut de gamme et sur les technologies les plus avancées. Quatre ans, c’est long… p jean-michel normand Retrouvez l’actualité automobile sur Lemonde.fr/m-voiture La Classe E cache bien son jeu Conservatrice à l’extérieur, la nouvelle berline révolutionne son intérieur, avec un tableau de bord futuriste réussi L ongtemps, la Classe E fut la berline préférée des chauffeurs de taxi à travers la planète. Ce n’est plus le cas aujourd’hui (la Prius de Toyota fait des ravages), mais elle figure encore dans le Top 5 des taxis du monde entier. Confortable et spacieuse, elle n’a jamais été la Mercedes la plus vendue, mais aux yeux du grand public, ce modèle positionné en dessous de la très élitiste Classe S représente mieux que n’importe quel autre modèle de la marque à l’étoile « la » Mercedes. Au sein de la maison DaimlerBenz, en forme après une année 2015 qui a vu ses ventes totales (1,87 million) dépasser celles d’Audi et se rapprocher du leader BMW, la Classe E ne fait pas partie des modèles de rêve du type SLC ou SL, plus ludiques et plus originales sur le plan stylistique. Mais dans la famille des berlines bourgeoises, elle occupe, génération après génération, une place de choix. Au premier coup d’œil, la nouvelle Classe E ne bouscule pas la tradition. Un peu allongée (4,92 m de long), sa silhouette semble paradoxalement plus ramassée que la précédente génération. Plus élégante aussi, avec un design moins anguleux qui la fait ressembler de plus en plus à une petite Classe S. Des suspensions assouplies Un choix stylistique plutôt conservateur mais qui se justifie sans doute par le… conservatisme de sa clientèle. Dans un marché premium où les concurrentes que sont les Audi A6 et BMW Série 5 sont en fin de carrière, cette Classe E au style extérieur discret mais à l’impressionnante technologie embarquée et au confort jamais pris en défaut a une carte à jouer. Car l’académisme des formes extérieures n’empêche pas cette Classe E d’être à la pointe des innovations technologiques. Bardée d’éléments de sécurité actifs et passifs (de l’aide au freinage à la Le tableau de bord numérique est composé de deux larges écrans de 12,3 pouces, et personnalisable en trois modes. DAIMLERAG ; GLOBAL COMMUNICATIONS direction active de manœuvres d’évitement, en passant par un système de conduite autonome assez bluffant), cette Classe E cache finalement bien son jeu. Une fois que l’on est installé à bord, l’univers de la traditionnelle berline pépère laisse place au XXIe siècle tendance techno-zen. Sur les finitions supérieures, on trouve ainsi un impressionnant tableau de bord composé de deux larges écrans de 12,3 pouces (31,2 cm), chacun placé derrière une seule vitre afin d’éviter toute séparation apparente. Entièrement numérique et personnalisable en trois modes (classic, sport, progressive), ce tableau de bord futuriste est aussi réussi que le virtual cockpit installé à bord de certaines Audi, ce qui n’est pas un mince compliment. En ce qui concerne le confort, les suspensions semblent légèrement assouplies par rapport au passé et les sièges redessinés, ce qui soulagera les dos fragiles sur des longs parcours. Toutes les motorisations, du nouveau 4-cylindres diesel à la très réussie E400 essence de 333 chevaux, sont dotées de la remarquable boîte de vitesses automatique à neuf rapports (9G-Tronic), aussi douce que réactive. Fidèle à la tradition, la nouvelle Classe E est donc toujours aussi confortable à conduire. Reste la question des tarifs. Ceux-ci débutent aux alentours de 47 000 euros et dépassent allègrement les 65 000 euros sur les versions les mieux équipées et les plus amusantes à conduire. Mais parler d’argent lorsqu’il s’agit de Mercedes est sans doute déplacé. Question de tradition. p alain constant DÉBATS & ANALYSES 0123 MARDI 22 MARS 2016 | 23 Réduisons la fracture entre les deux jeunesses musulmanes C’est l’absence de vie communautaire qui permet au djihadisme de prospérer. Il faut créer davantage de liens entre les jeunes musulmans qui réussissent et ceux qui se cherchent et tombent parfois dans la radicalisation Par HUGUES LAGRANGE L a publication par le président du CNRS d’un recensement de travaux qui vont de la ségrégation spatiale à la recherche linguistique, intitulé « Recherches sur les radicalisations », m’a surpris. Si la nécessité d’éclairer le monde politique sur les auteurs des violences terroristes ne fait pas de doute, la capacité des sciences sociales de le faire aujourd’hui est modeste. Considérée comme illégitime en France, une sociographie des acteurs/ auteurs de violences qui puisse prétendre à une représentativité fait défaut. L’hypothèse de la radicalisation reprise dans le titre du rapport a été défendue brillamment par le politologue Olivier Roy, parfois sans nuances. Radicalisation de qui, d’abord ? Les acteurs sont-ils exclusivement, comme l’affirme Roy, membres de la seconde génération ? Il y a dans des proportions mal connues des troisièmes générations (s’il y en a moins, il faut pondérer ce fait parce que la réussite scolaire est meilleure dans la troisième génération). Les acteurs, convertis ou issus de l’immigration musulmane, sont, dit-il, en conflit avec la culture de leurs parents et avec la société hôte ? Certes, mais bien peu de jeunes en conflit avec la culture de leurs parents et avec la société deviennent terroristes. Que le ralliement à Daech, après d’autres enseignes terroristes, soit opportuniste ne fait pas de doute. Pour autant, penser le terrorisme récent sans référence au théâtre moyenoriental et aux migrations du Sud dans une Europe chancelante paraît intenable. Peut-on occulter le fait que les inconduites des jeunes issus des migrations musulmanes en Europe, puis les violences et le terrorisme, dont ils sont aussi acteurs, se sont développés parallèlement à la dérive de l’islam et aux guerres civiles qui ensanglantent les sociétés du Moyen-Orient ? LES « PRINTEMPS ARABES » N’ONT PAS ENTRAÎNÉ D’ENTHOUSIASME, VOIRE D’INTÉRÊT, DE LA PART DE CES JEUNES La toile de fond, c’est la « contre-réforme » qui se déploie depuis trente à quarante ans au Moyen-Orient, notamment dans les sociétés baasistes. Celle-ci a pris une puissance à proportion de l’effondrement de l’Etat et de son appropriation clanique. L’accentuation de la polarisation sunnites/chiites est associée à cette désintégration. A quoi s’ajoute, à travers l’échec des « printemps arabes », la disparition de ce qui aurait pu être une transformation politique démocratique des sociétés du Moyen-Orient et susciter un élan de la part des jeunes issus de l’immigration musulmane dans nos quartiers. On se réfère souvent, pour expliquer la puissance de l’aspiration djihadiste en France, au fait que la « communauté musulmane » serait marginalisée. A mon sens, le problème est qu’il n’y a pas de communauté. Une élite composée de jeunes issus de l’immigration notamment maghrébine est entrée dans les institutions et a investi la vie politique jusqu’au plus haut niveau ; une fraction importante des jeunes de la « deuxième » et plus encore de la « troisième » génération est diplômée et a acquis des positions de responsabilité dans le privé comme dans le public. Parallèlement, ce sont, depuis plus de trois décennies maintenant, les mêmes quartiers d’où viennent ces jeunes qui nourrissent l’échec scolaire, le chômage et un certain nombre de dérives (drogue, délinquance) et qui servent de cadre de vie à une autre fraction de la jeunesse, elle aussi issue de l’immigration maghrébine et sahélienne. LES VIOLENCES EXTRÊMES SONT L’EXPRESSION D’UNE TERRIBLE DÉRIVE, D’UNE COURSE À L’ABÎME, PAS UN REGISTRE D’ACTION SOCIALE CULTURE ET RELIGIOSITÉ Aucune institution communautaire, aucun mouvement de jeunes musulmans ne fédère ces deux jeunesses. Pas plus en Belgique, aux Pays-Bas – dont les populations immigrées ont des parentés avec la nôtre – qu’en France, l’ensemble des jeunes issus de l’immigration musulmane ne partagent un destin commun. Les « printemps arabes » n’ont pas entraîné d’enthousiasme, voire d’intérêt, de la part de ces jeunes, alors même qu’en Grèce et en Espagne le mouvement des « indignés » s’est explicitement inspiré de ces « printemps ». Parce qu’en France et dans l’Europe du Nord, à la différence des pays du sud de l’Europe, la jeunesse diplômée et les non-diplômés forment deux mondes complètement séparés. Parmi les acteurs du 13 novembre, il y a d’abord des jeunes qui ont grandi dans ces cités, ont frayé avec la petite délinquance et nourri au fil des ans une haine de l’Occident. Les marginaux sont devenus des salafistes, les salafistes des djihadistes, les djihadistes des kamikazes d’Allah. L’islam ne s’est pas emparé d’une radicalité disponible comme une substance toujours présente dans nos sociétés ; les violences extrêmes sont l’expression d’une terrible dérive, d’une course à l’abîme, pas un registre d’action sociale. Culture et religiosité sont complètement mêlées. Ce qui est affirmé en embrassant cet islam radical, c’est à la fois une « dignité » retrouvée, un mode de SYLVIE SERPRIX vie alternatif à celui de la modernité occidentale et un sens, par le sacrifice de soi et le meurtre d’autrui. Un déficit de sens travaille, en effet, les jeunesses d’Europe, qui, plus d’un demi-siècle après la seconde guerre mondiale, n’ont guère de raison de s’enthousiasmer. Pour ceux qui ont un emploi ou une famille, la « vie ordinaire » peut paraître acceptable faute d’être exaltante. Pour ceux qui sont en échec, l’aspiration à une dignité et à la reconnaissance passe par une nouvelle forme de nihilisme. A l’instar d’une fraction de la jeunesse allemande dans la République de Weimar humiliée par le traité de Versailles, ils sont à la recherche d’absolu, de pureté. Quand une fraction des jeunes adoptent un credo identitaire nationaliste et xénophobe, les jeunes en échec des quartiers pauvres et immigrés trouvent une rédemption dans l’islam radical. La religiosité fournit une réponse aux incertitudes et au mépris, c’est le chemin de la « vie droite », d’une vie « bien gouvernée ». Ils aspirent à retrouver les certitudes qu’apportent les sociétés closes, patriarcales, où l’on épouse sa cousine, où l’innova- tion est sacrilège. Ce n’est pas l’islam de leurs parents qui les attire mais un monde manichéen qui s’incarne dans les figures héroïques de combattants nomades d’Al-Qaida, puis dans le « califat » de Daech. LE VIRAGE SÉCURITAIRE Dans les années 1980, la protestation des enfants d’immigrés venus des pays musulmans s’est inscrite dans les cadres politiques existants. Ainsi la « marche des beurs » de 1983 a été accueillie et soutenue par les partis de gauche. Les émeutes urbaines, avec moult incendies de voitures et de bâtiments publics, traduisent une rupture avec les institutions, l’attrait d’un idiome salafiste et des discours djihadistes. Cet idiome est encore ambivalent. Nous connaissons maintenant une troisième phase avec le passage au terrorisme ; et nous, Occidentaux, avons une responsabilité, car les incohérences de nos interventions ont permis l’émergence de Daech et ses succès militaires. Les événements de Cologne et de beaucoup d’autres villes d’Allemagne, en janvier, ont multiplié l’effet sécuritaire de l’impact des attentats de novembre. Je ne veux pas les comparer mais souligner qu’ils se sont conjugués pour affaiblir l’idéal que représentent des sociétés ouvertes. Je trouve détestable leur exploitation pour fermer la porte aux réfugiés qui y sont dans leur écrasante majorité étrangers, et non moins lamentable l’instrumentalisation du discours féministe contre les immigrés. Pour autant, cela ne doit pas nous interdire la réflexion. Il ne s’agit pas de débordements liés à la boisson, mais de violences asymétriques dans l’espace public commises par des hommes, pas nécessairement demandeurs d’asile, issus de pays musulmans dans leur grande majorité. Certes, parmi les migrants et demandeurs d’asile, il y a un sex-ratio déséquilibré, c’était aussi vrai dans l’immigration algérienne en France des années 1960-1970. L’« éternel oriental » n’est pas en cause, mais une régression historique récente, un déclin de la civilité des mœurs inquiétant pour l’Europe. Que faire ? Sur le plan social, l’enjeu est de réduire la fracture entre ces deux jeunesses, c’est-à-dire, premièrement, de favoriser la déségrégation sociale des quartiers immigrés sans prétendre en même temps rétablir une mixité culturelle (c’est-à-dire remettre les disqualifiés des « banlieues de l’islam » en contact avec des modèles de réussite de ces mêmes banlieues) ; deuxièmement, de mener une politique active pour l’emploi des moins éduqués ; troisièmement, d’accueillir la diversité au lieu de se focaliser sur le voile ou d’autres aspects légitimes d’expression de la diversité culturelle qui froissent les musulmans. Enfin, comme le dit un jeune blogueur, « la solution ne peut venir que de nous, de l’intérieur », par une dénonciation de l’imposture : ce que beaucoup d’imams de France font, redonnant à la religion le rôle qui est le sien de conjurer la violence. p ¶ Hugues Lagrange, né en 1951, est sociologue et directeur de recherche au CNRS. Il a notamment publié « En terre étrangère ; vies d’immigrés du Sahel en Ile-de-France » (Gallimard, 2013) et « Le Déni des cultures » (Seuil, 2010) Bienvenue dans le 16e arrondissement de Paris ! L’opposition d’habitants du quartier huppé de Paris à l’installation d’un centre d’hébergement d’urgence pour accueillir des migrants et des SDF relève de la mauvaise foi, de l’indignité, mais aussi, parfois, du racisme et de la xénophobie Par ALAIN GENESTAR J’ ignorais, jusqu’à ces derniers jours, que l’on pouvait avoir honte de son quartier. J’ai honte du 16e arrondissement de Paris, où je vis avec ma famille depuis trente ans. J’ai honte de ce que j’ai pu voir à la télévision, entendre chez des commerçants : des mots haineux lancés à l’encontre de ceux et de celles – la maire (PS) de Paris, Anne Hidalgo, et la secrétaire géné- rale de la préfecture d’Ile-de-France, Sophie Brocas, chargée du projet, sont visées – qui ont pris la décision d’installer dans une allée élégante qui longe le bois de Boulogne des logements provisoires pour accueillir, pendant trois ans, 200 réfugiés et SDF. La haine de cette collectivité en colère a atteint une sorte d’apothéose dans l’ignoble et le ridicule, lors d’une assemblée générale (AG) qui s’est tenue à Paris-Dauphine, lundi 7 mars. Une AG interrompue par le doyen de l’université qui, face au désordre et aux insultes, a congédié ce « beau » monde. Les arguments évoqués, parfois éructés dans un déluge de mots agglutinés qui se coincent dans la gorge, sont soit d’une condescendance empreinte de mauvaise foi (le quartier est trop cher pour eux, les réfugiés), soit dictés spontanément par des intérêts financiers personnels (le prix de l’immobilier va chuter dans le quartier), ou, enfin, carrément xénophobes et racistes. Ces gens du 16e – à ne pas confondre avec « les gens du 16e » – réagissent avec d’autant plus d’outrance et d’arrogance qu’ils constituent un bloc socialement cohérent. Ils s’épaulent. Ils ont le sentiment d’appartenir à une communauté, à un clan de gens chics, bien mis et supposés bien élevés, avec leurs codes et leurs distinctions. PAUVRES DE CULTURE Et voilà qu’ils passent à côté d’une formidable occasion de montrer que la plus belle des éducations, que le sommet de l’élégance morale, que le meilleur du raffinement réside dans l’art de recevoir, dans la façon d’accueillir, d’ouvrir sa porte à ses hôtes, en partageant avec eux des moments de chaleur et d’intimité. N’est-ce pas à cette aune des vraies valeurs que se mesure et s’estime la richesse ou la pauvreté des cultures ? Ces gens-là du 16e sont donc pauvres de culture. Je rêve, avec beaucoup d’autres habitants, j’en suis sûr, de mon arrondissement, que la mairie distribue dans nos boîtes à lettres, une édition spéciale du bulletin municipal, qui appellerait dans l’enthousiasme à réser- ver le meilleur accueil aux réfugiés de la guerre et aux victimes de la crise. Je rêve que tous les curés de nos paroisses prononcent, le même dimanche, un sermon sur la charité, la générosité et l’accueil enseignés dans la bible, et déclenchent une volée de cloches en fête. Je rêve que, dans les lycées publics et les écoles privées, qui dans mon quartier rivalisent d’excellence, les professeurs consacrent une heure de leur cours au troisième mot de notre devise républicaine : la fraternité. Je rêve qu’une association accroche, porte d’Auteuil, à l’entrée de l’avenue Mozart bordée de tilleuls, une banderole avec ces simples mots adressés aux réfugiés et à leur famille : « Bienvenue dans le 16e. » Et pour éviter qu’il me soit fait reproche de parler d’un sujet qui me serait lointain, je tiens à préciser que notre habitation est à une centaine de mètres du futur centre d’hébergement d’urgence. Renseignement pris auprès de l’agence la plus proche : le prix du mètre carré n’a pas encore baissé ! p ¶ Alain Genestar est journaliste, directeur de « Polka Magazine » et résident du 16e arrondissement de Paris 24 | débats & analyses 0123 MARDI 22 MARS 2016 Sortir des illusions du poutinisme Le livre W inston Churchill n’avait pas tort, lorsqu’il a déclaré, au moment de l’invasion germanosoviétique de la Pologne, en 1939, que « la Russie est un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme ». Vingt-cinq ans après la chute de l’URSS, nombreux sont ceux en Occident qui croient encore que la Russie de Vladimir Poutine reste cette boîte noire indéchiffrable. L’historien Jean-Jacques Marie se démarque de cette tendance générale. Considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’URSS en France, ce militant trotskiste signe dans son dernier essai une analyse des plus fines et des plus complètes de la Russie postsoviétique. En France, depuis près d’une décennie, Vladimir Poutine clive le débat public, trop souvent réduit à une conception manichéenne des relations avec la Russie, avec d’un côté les défenseurs farouches du maître du Kremlin et de l’autre ses fermes opposants. Ne comptez pas sur Jean-Jacques Marie pour alimenter ces joutes stériles. Le biographe de Lénine, Staline et Trotski évite les clichés en décrivant le poutinisme dans ses moindres détails. Jean-Jacques Marie, réputé pour tenir à jour ses fiches sur les hommes d’influence à la tête de réseaux tentaculaires en Union soviétique, propose une plongée dans la Russie poutinienne d’une profondeur historique jusqu’ici inégalée en France. Exercice d’histoire immédiate, sa méthode reste des plus pertinentes : pour comprendre la Russie de Poutine, il suffit de la prendre par les deux bouts, d’un côté, observer l’état de la société, de l’autre, se fonder sur la singularité du système politique, le pouvoir oligarchique – hier la nomenklatura bolchevique, aujourd’hui les familles influentes autour du président. Ainsi Vladimir Poutine n’est pas que le successeur de feu Boris Eltsine – l’homme qui a vu mourir l’URSS –, c’est aussi l’héritier d’une conception policière du pouvoir, de par son expérience au sein du KGB – aujourd’hui FSB –, mais aussi et surtout de par le fossé qui existe entre l’Etat coercitif et une société civile inexistante. Cet abîme qui sépare les élites du peuple explique essentiellement la montée en puissance de Poutine jusqu’au sommet de l’Etat. Seuls des pays comme la Russie détiennent le secret pour propulser en si peu de temps des individus aux méthodes brutales sans passer par un coup d’Etat ou une guerre civile. Enfant légitime du mariage entre le passé glorieux d’un soviétisme vétuste et la décennie eltsinienne vécue comme une humiliation, Vladimir Poutine brandit le patriotisme comme l’étendard d’un Etat slave triomphal et réparateur. La Russie d’aujourd’hui offre ainsi le tableau d’une puissance retrouvée aussi bien à travers son économie que grâce à sa diplomatie mor- LE GRAND RENDEZ-VOUS EUROPE 1, « LE MONDE », I-TÉLÉ Schäuble : « Je prie pour que les réformes françaises aboutissent » dante, son outil militaire en action en Ukraine et en Syrie, et ses piliers, comme l’Eglise orthodoxe, les oligarques et le complexe militaro-industriel. Mais, et Jean-Jacques Marie le démontre avec force, la réalité n’a rien à voir avec cette image d’Epinal de la grandeur russe. LES PREMIERS SIGNES D’UN RAS-LE-BOL LA RUSSIE SOUS POUTINE de Jean-Jacques Marie Payot, 336 pages, 22,50 euros L’Etat ? Un appareil criminel généralisé. Les partis ? Des fantômes incapables de s’autonomiser du pouvoir. L’opposition ? Un concept creux quand ses figures ne sont pas assassinées. Les syndicats ? La Fédération nationale des syndicats indépendants est aux ordres du régime, alors que le vrai syndicalisme indépendant est pourchassé. L’Eglise ? Un instrument de surveillance morale à la face grotesque. Le gaz et le pétrole ? Des atouts aléatoires qui peuvent se retourner contre les élites, surtout quand le prix du baril chute. Le prestige russe dans le monde ? En dehors des nostalgiques de l’Etat fort et souverain qu’elle séduit, sa « diplomatie de nuisance » trahit plus une peur de déclassement par rapport aux Etats-Unis, l’Union européenne et la Chine qu’un retour du rayonnement slave. La corruption ? Cancer d’un pays qui a détourné 30 milliards de dollars sur les 50 miliards que les JO de Sotchi ont coûté aux contribuables russes en 2014. Le patriotisme ? Un sursaut artificiel et raciste qui fait de la Russie un Etat inattractif et dangereux pour ses voisins. Enfin, les inégalités ? Endémiques et sans le Vous préemptez la réponse… m. s. Sur l’objectif qu’il faut atteindre et que nous atteindrons, il n’y a pas de différence. wolfgang schäuble C’est à la Commission européenne, en vertu des traités, d’en juger et de juger si la politique économique correspond aux engagements nationaux. Chaque pays est dans sa situation propre. Moi, j’ai toute confiance… Depuis 2008, la France est au-dessus de 3 %. Est-elle un partenaire fiable ? w. s. La France est un partenaire fiable. La France est un partenaire fort, et sans une France forte, l’Europe n’est même pas pensable. Je ne sais pas si vous connaissez cette histoire de la campagne électorale allemande. Il y a un candidat Vert qui a dit : « Je prie tous les jours pour Mme Merkel », alors qu’il n’est pas dans le même parti qu’elle. Donc si je priais pour la politique française, je prierais pour que les réformes françaises aboutissent parce que nous avons besoin d’une France forte pour l’Allemagne et pour l’Europe. Il y a quelques semaines, à Munich, Manuel Valls a critiqué directement la politique d’Angela Merkel, qui a trouvé que c’était impardonnable. Vous êtes d’accord ? w. s. Non, entre amis, on a le droit de se critiquer. Je n’ai pas trouvé que la critique était justifiée. m. s. Est-ce que je peux vous critiquer ? w. s. Oui. m. s. Quand on rapporte les propos, de qui que ce soit, on les rapporte tout entier. Et dans les propos de Manuel Valls, il y avait, je crois, presque textuellement : hommage rendu à l’Allemagne pour sa générosité. Pourriez-vous, M. Schäuble, être en gouvernement avec M. Sapin ? w. s. Oui, bien sûr. Je travaille avec les sociaux-démocrates en Allemagne. Et vous, Michel Sapin? m. s. Nous sommes dans le même gouvernement, celui de l’Europe. Donc nous avons la capacité au niveau européen à travailler ensemble. Ensuite, il n’aura échappé à personne que les systèmes institutionnels sont un peu différents et qu’entre le résultat d’un scrutin proportionnel qui existe en Allemagne et le scrutin majoritaire en France, il y a quelques différences. Wolfgang Schäuble, êtesvous pour une restructuration de la dette grecque, oui ou non ? w. s. Notre collègue grec Yanis Varoufakis a dit que si on annulait totalement la dette grecque, on se retrouverait trois ans plus tard dans la même situation, ce qui signifie que ce qui compte, c’est de construire des structures compétitives, construire une économie compétitive. Donc, si on commence par la restructuration de la dette, on échouera sur les réformes. Faites-vous confiance au premier ministre grec Alexis Tsipras maintenant ? m. s. Moi, je lui fais confiance. Et vous ? w. s. Bien sûr. Parce qu’il parle moins le grec que la langue de Bruxelles et la langue franco-allemande ? w. s. Non, nous faisons tout pour que les décisions difficilement acquises l’été dernier soient vraiment mises en œuvre. Et nous assumons cela, et ce n’est pas un travail facile pour les Grecs que de concrétiser tout ça, mais ils sont au travail. m. s. Je vais jusqu’au bout de ma réponse sur la confiance vis-à-vis d’Alexis Tsipras. Il y a eu des gouvernements avant, ils ont bénéficié de la solidarité de l’Europe, et Wolfgang était là dès le départ, ils étaient soit Pasok, soit de droite, et ils n’ont pas fait les efforts nécessaires. Et il y en a un aujourd’hui qui fait les efforts. Il faut aller jusqu’au bout. Nous devons accompagner et aider. Est-ce que ça doit déboucher ensuite sur la question du poids de cette dette ? La réponse est oui. C’est d’ailleurs dans l’accord de juillet. Mais vous ne pouvez pas dire : « On commence par la dette », si on n’a pas construit les efforts et les réformes nécessaires. C’est un processus, et je pense qu’il faut aller vite. p propos recueillis par jean-jérôme bertolus, jean-pierre elkabbach et arnaud leparmentier ¶ Michel Sapin est le ministre français des finances (PS) Wolfgang Schäuble (CDU) est son homologue en Allemagne gaïdz minassian Sexe et cinéma : les paradoxes de l’interdiction aux moins de 18 ans Analyse ——————————————————— sylvie kerviel Service Culture Wolfgang Schäuble, pensez-vous que la France va remplir ses objectifs en matière de déficit budgétaire (3 % en 2017), alors qu’elle augmente ses fonctionnaires ? michel sapin Il n’y a pas de différence entre nous, je vous rassure. moindre soupçon de justice sociale, avec de surcroît un taux de pauvreté qui, entre 2010 et 2015, est passé de 18 millions à 23 millions d’individus. Rien ne fonctionnerait donc comme prévu dans cette Russie où le poutinisme serait plus une pathologie qu’un remède aux maux d’un peuple – lequel n’a jamais compté dans l’Histoire, quel que soit le régime au pouvoir. Tout ne serait qu’illusions, provocations et coercition dans ce pays à l’apparence si ordonnée. Et pourtant, insiste Jean-Jacques Marie, ce n’est pas parce que la peur a de nouveau plongé la société dans la grisaille qu’il faudrait conclure à une fin prochaine du règne de Vladimir Poutine, élu en 2012 pour un mandat de six ans renouvelable. Mais gare à une flambée de protestation incontrôlable, prévient-il, car ici ou là bourgeonnent déjà les premiers signes d’un ras-le-bol devant tant de restrictions, de baisse du niveau de vie et d’injustices. Dans cette société postcommuniste qui a du mal à s’affranchir de l’assistanat, où plus on s’éloigne des grandes villes, plus les rides du soviétisme réapparaissent, le redressement économique du pays, sous-entend l’auteur, ne passe pas par un patriotisme trompeur mais par une politique ambitieuse dans le secteur de l’éducation. Sauf que, hanté par la peur de rater son rendez-vous avec l’Histoire, Vladimir Poutine ne peut concevoir d’alternative à son pouvoir absolu ni même penser l’avenir. p E N’EST-IL PAS SURPRENANT DE MAINTENIR L’INTERDICTION AUX MINEURS À L’HEURE DU PORNO ACCESSIBLE 24 HEURES SUR 24 ? n fonction de quels critères une scène de sexe au cinéma peut-elle se prévaloir d’un « caractère esthétique » ? A partir de quel degré « d’accumulation » ce type de scènes est-il susceptible de « troubler gravement la sensibilité des mineurs » ? Souhaité par l’ex-ministre de la culture Fleur Pellerin, et lancé le 29 février par Audrey Azoulay qui lui a succédé, le toilettage du texte réglementant le cinéma français – qui conduit actuellement à interdire aux moins de 18 ans les films contenant « des scènes de sexe non simulées » – va contraindre la commission de classification du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) à se pencher sur ces questions qu’on pourrait résumer par : « Un film relève-t-il de l’art ou du cochon ? » Créée en 1990, cette assemblée qui réunit des professionnels, des représentants de différents ministères, des experts et des jeunes de 18 à 24 ans donne au ministère de la culture un avis lui permettant de délivrer un visa d’exploitation indiquant si un film est visible ou non par tous les publics. Les magistrats devront arbitrer, en se référant aux nouveaux textes, lors des éventuelles contestations. Les juges sont directement visés par Mme Pellerin, qui avait demandé à Jean-François Mary, président de la commission de classification des œuvres du CNC, de remettre à plat le système en vigueur. L’ex-ministre voulait couper l’herbe sous le pied d’André Bonnet et de son association Promouvoir, proche des milieux catholiques intégristes, qui a obtenu en justice l’annulation de visas d’exploitation. Les estimant insuffisamment sévères, les magistrats ont, au cours des douze derniers mois, révisé les visas de Love (2015), de Gaspar Noé, Antichrist (2009), de Lars von Trier, et La Vie d’Adèle, d’Abdelatif Kechiche (2013). A chaque fois, c’est en raison de la présence de ces fameuses « scènes de sexe non simulées » que les jugements étaient rendus en défaveur du ministère de la culture. M. Mary demande une nouvelle formulation, plus respectueuse du travail artistique du cinéaste. Il suggère que la restriction soit désormais décidée dès lors qu’un film « comporte sans justification de caractère esthétique des scènes de sexe ou de grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser ». Quant à l’expression « scènes de sexe non simulées », le rapport note, à juste titre, qu’elle est devenue obsolète avec le développement des techniques numériques et demande son remplacement par « scènes de sexe ». La plupart des associations de professionnels du cinéma ont salué ce projet, y voyant des propositions « en accord avec l’époque et avec la manière dont les médias ont évolué ». Si les textes en restent à ce simple dépoussiérage, cela ne changera rien devant les tribunaux. La lecture de l’ordonnance du tribunal administratif de Paris du 31 juillet 2015, suspendant le visa d’exploitation de Love, montre que la dimension artistique de l’œuvre avait été prise en compte par les magistrats, qui ont estimé qu’une interdiction aux moins de 18 ans était nécessaire. Le juge des référés, après avoir listé les fellations, cunnilingus, « pénétrations vaginales avec les doigts ou la verge », avait considéré que « nonobstant la volonté artistique du réalisateur », ces scènes « étaient de nature à heurter la sensibilité des mineurs ». « VISION POLITIQUE ET DATÉE DU CINÉMA » A l’instar d’Agnès Tricoire, déléguée de l’Observatoire de la liberté de création, l’avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle Emmanuel Pierrat a estimé que la réforme proposée ne fera pas fléchir des magistrats « qui ont une vision politique et datée du cinéma ». « Ces textes mal rédigés n’ont jamais été repensés dans leur intégralité. Ils font parfois oublier aux magistrats la notion de liberté d’expression. Les juges administratifs sont plutôt conservateurs », a-t-il déclaré le 3 mars au Figaro. Au contraire, Promouvoir, déterminée à poursuivre son combat, a vu dans le projet le signe d’une « incroyable dérive » et « la volonté du gouvernement de favoriser par la loi l’accès des mineurs à la violence et à la pornographie ». Protéger la jeunesse ou la liberté de création : le débat n’est pas nouveau. Le système français de classification des films a été mis en accusation en 2000, lors de la sortie, accompagnée d’une interdiction aux moins de 16 ans, de Baise-moi, de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi. Désavouée par le Conseil d’Etat saisi (déjà) par Promouvoir, Catherine Tasca avait dû revenir à une interdiction aux moins de 18 ans qui n’existait plus depuis 1990. N’est-il pas paradoxal, en 2016, de maintenir cette classification, à une époque où le sexe sous toutes ses formes est accessible en un clic sur Internet, où les élèves suivent des cours d’éducation sexuelle dès l’âge de 11 ans, où la majorité sexuelle est fixée à 15 ans ? Le rapport Mary n’envisage pas de supprimer cette restriction. « Mais dans quel monde vit-on ? », s’interroge sur le site Le Plus de l’Obs Eva Husson, réalisatrice de Bang Gang (2015), dont la classification « interdit aux moins de 12 ans » a été contestée par Promouvoir, en vain pour le moment. « Un monde où l’on peut regarder du porno 24 heures sur 24 sans la moindre inquiétude sur l’âge du spectateur, mais où l’on menace d’interdiction aux moins de 16 ou 18 ans des films qui non seulement demandent une démarche active pour les voir mais offrent une vision du monde toujours stimulante. » Un adjectif qui n’a pas chez tous la même résonance. p [email protected] 0123 | 25 0123 MARDI 22 MARS 2016 L'AIR DU TEMPS | CHRONIQUE par b e noît hop q uin Les mauvaises routes E videmment, cette visite n’a pas l’importance stratégique de celle de Richard Nixon se rendant à Pékin en février 1972 pour renouer les relations entre les Etats-Unis et la Chine. Mais le voyage de Barack Obama à Cuba, du dimanche 20 au mardi 22 mars, n’en est pas moins « historique » : le dernier président américain en exercice à s’être rendu sur l’île est Calvin Coolidge. C’était en 1928. On peut compter sur l’élégance de M. Obama et le sens de la fête des Cubains pour faire de ces retrouvailles un moment réussi – joyeux, sonore et rythmé. Pour le président américain, elles sont l’aboutissement de la décision courageuse prise en décembre 2014 : revenir sur une rupture vieille de plus de cinquante ans et décidée à 11 mars une piétonne de 62 ans lors d’une marche arrière, alors qu’il conduisait sans permis. Il récuse l’usage de stupéfiant et le délit de fuite qui lui sont aussi reprochés. Quarante-huit heures de garde à vue. Procès début avril. Pour l’exemple, sans doute. On est donc un parmi 40 millions d’automobilistes, « qui les vaut tous et que vaut n’importe qui », pour reprendre Sartre. On est motorisé mais pas tout-bagnole, contrairement à l’association à l’origine du référendum. En même temps, elle ne se dissimule pas derrière des vitres teintées, celle-là, il faut lui accorder cette honnêteté. Elle est liée aux Automobile Clubs, lobbies déclarés de tout ce qui a quatre roues, fors les poussettes et les Caddies. Elle sait que la bagnole est aussi une urne mobile, une machine à voter, la caisse claire de l’électeur. Et parfois un véhicule de la démagogie. La courbe remonte depuis 2014 Ce questionnaire à sens unique serait donc simplement plaisant, anecdotique, si nous ne sortions d’une belle semaine anticyclonique où la capitale avait à nouveau le teint gris-jaune des jours de pollution. Si surtout on ne découvrait dans un communiqué de la sécurité routière, publié voilà dix jours, que le nombre des tués sur la route était reparti à la hausse. Quarante ans qu’il baissait comme allait le conducteur suédois, lentement mais sûrement. Quarante ans que les mentalités changeaient. Quarante ans que l’hécatombe était peu à peu réduite, pour arriver à 3 262 tués en 2013. Mais, depuis 2014, la courbe remonte comme route de montagne : 3 464 tués en 2015, et les statistiques du début de l’année 2016 semblent confirmer et même amplifier la tendance. Les causes sont multiples, complexes mais l’une d’elles tient à l’augmentation des vitesses moyennes, de 1 à 4 km/h selon les réseaux. Le gouvernement mouline du bâton blanc et joue du sifflet à roulette. Il a même menacé en octobre 2015 d’employer des drones pour surveiller les routes. Mais il semble désormais bien illusoire, l’objectif affiché par Manuel Valls : 2 000 morts en 2020. On sait pourtant les mesures à prendre, qu’elles soient préventives ou répressives. Elles ont fait leurs preuves ailleurs, et pas seulement dans des pays à sang-froid. Elles sont impopulaires. Alors, aux pouvoirs publics qui se dérobent, on aimerait dire : dommage que les morts ne votent pas. Et, tant qu’à donner la parole sur la voie publique, on proposera un autre référendum, en une seule question, aux Nantais, aux Strasbourgeois, aux Bordelais, aux Toulousains, aux Grenoblois, aux Rochelais surtout, ces fiers pionniers. Dans toutes ces villes qui ont décidé bien plus résolument, bien plus courageusement que Paris d’un partage amiable de l’espace, elle serait ainsi formulée : « Voulez-vous revenir à la situation antérieure ? » p Tirage du Monde daté dimanche 20-lundi 21 mars :304 093 exemplaires dans la communauté cubano-américaine. M. Obama a montré le chemin en suspendant déjà, par voie réglementaire, nombre des sanctions pesant sur Cuba. Quant au régime, il a commencé à libéraliser à petits pas une économie figée dans un étatisme aussi corrompu qu’inefficace. L’ouverture politique sera plus difficile. Le Parti communiste cubain n’en veut pas. Aujourd’hui dirigé par Raul Castro, le frère de Fidel, il préfère le modèle chinois : la libéralisation économique dans la contrainte politique. Il réprime toujours toute opposition et étouffe la liberté d’expression. Granma, l’organe du PC cubain, l’écrivait encore ce mois-ci : « De profondes divergences politiques persisteront. » Contrairement à d’autres – cela va du pape François à François Hollande –, M. Obama rencontrera des dissidents cubains. Les Etats-Unis ne réclament plus un changement de régime à La Havane. Ils espèrent un glissement progressif de l’actuel. Cela prendra du temps. Le danger est que les Cubains attendent tout, tout de suite, de cette normalisation avec Washington. Bon signal : deux jours après Obama, La Havane reçoit Mick Jagger et les Rolling Stones, que Fidel avait qualifiés de « symbole de la décadence capitaliste ». En somme, comme on dit dans le music-hall, M. Obama est à Cuba en « vedette américaine » : il ouvre une nouvelle séquence. p un moment chaud de la guerre froide, quand les erreurs des Etats-Unis poussent la jeune révolution cubaine dans les bras de l’Union soviétique. A l’interruption des relations diplomatiques, décidée en janvier 1961, s’est ajoutée un an plus tard la décision de Washington de soumettre Cuba à un strict embargo économique. Le raisonnement de M. Obama est simple. L’absence de liens avec Cuba n’a en rien ébranlé, au contraire, l’impitoyable dictature que le père de la révolution cubaine, Fidel Castro, a imposée à son pays. Dans une île devenue un satellite de l’URSS, le régime castriste a même survécu à l’implosion soviétique… M. Obama a eu raison de violer un des tabous de la vie politique américaine en renouant avec ce voisin des Caraïbes. Comme il le disait en 2009, recevant le prix Nobel de la paix, une politique qui vise à reprendre contact avec un régime autocratique « n’a certes pas la pureté gratifiante de l’indignation », mais elle est la condition indispensable, avait-il ajouté, au « changement du statu quo ». En clair, la Maison Blanche attend de sa nouvelle diplomatie une ouverture économique et politique à La Havane. L’ouverture économique viendra, des deux côtés. Même dominé par les républicains, le Congrès ne devrait pas s’opposer à une levée de l’embargo, souhaitée par une majorité d’Américains – y compris Une collection APPRENDRE à PHILOSOPHER ÉTHIQUE, LIBERTÉ, JUSTICE « Pensez le monde autrement avec les grands philosophes » UNE COLLECTION QUI EXPLIQUE CLAIREMENT LES IDÉES DES GRANDS PHILOSOPHES Birnbaum.j © A di Crollalanza ON EST UN ÉCRASEUR QUI SOMMEILLE, GUETTÉ PAR LES DÉMONS HALLUCINOGÈNES DU CHAMPIGNON IL SEMBLE DÉSORMAIS BIEN ILLUSOIRE, L’OBJECTIF AFFICHÉ PAR MANUEL VALLS : 2 000 MORTS EN 2020 Le volume 2 Une collection NIETZSCHE Présentée par Jean Birnbaum, essayiste, directeur du « Monde des Livres ». 9 € ,99 SEULEMENT! visuel non contractuel RCS B 533 671 095 R iche idée, gaullienne initiative proposée depuis une semaine par l’Association 40 millions d’automobilistes sur son site. Pensez : un référendum. La parole au peuple, au bon peuple, au peuple de la rue, on ne saurait mieux qualifier les conducteurs. Exprimer son opinion. Pas à grands coups de klaxon, pas avec des noms d’oiseaux ou des gémissements de tôle froissée. Que nenni ! Donner son avis posément, poliment, en usager courtois, en routier sympa. Un référendum donc, sur un thème qui encombre, ô combien ! le quotidien : rouler à Paris. Au total, vingt questions d’une parfaite neutralité, portant sur des mesures envisagées par la mairie et « ressenties par les automobilistes comme des entraves à leur liberté de circulation ». Tout y passe : limitation de vitesse, piétonisation, mesures contre la pollution, péage urbain, circulation alternée, pistes cyclables, etc. Le formulaire respecte à la lettre l’adage des sondages qui veut que la réponse soit dans la question. Au hasard : « Pensez-vous que la réduction de la vitesse sur le boulevard périphérique a entraîné davantage de sanctions par les radars ? » Non, bien sûr… « Pensezvous qu’il soit facile de se garer à Paris ? » Oui, évidemment… « Afin d’améliorer la qualité de l’air, seriezvous favorable à la mise en place d’une aide financière pour installer un système de dépollution sur les anciens véhicules diesel ? » J’hésite… Sauf à ce qu’un peloton de cyclistes idéologisés ou une armée de piétons doctrinaires n’embouteille la Toile et ne fasse un détournement de trafic Web, la cause est entendue. Le plébiscite est assuré contre Anne Hidalgo, cette mairesse à face de parcmètre. Circulez ! Surtout, surtout, qu’on ne nous traite pas de bobo vélocipédique ! On a le permis de conduire et donc le droit de parler. Avec, au compteur, quelques centaines de milliers de kilomètres et son lot d’imprudences. Comme lettre de recommandation, on fournira le courrier à en-tête de la République française, reçu il y a peu : un point retiré pour un bénin excès de vitesse à l’entrée d’une agglomération du Pas-de-Calais, coup de flash dans le dos d’une inique maréchaussée qui ferait mieux de traquer les délinquants plutôt que de harceler l’honnête Fangio. On est automobiliste, et fier de l’être. Chauffard à l’occasion, hélas !, par distraction ou par tempérament. Tant on est lucide sur nous-mêmes, sur cette modification de l’être, sitôt les mains posées sur le volant, la ceinture ficelée sur le bide et la première enclenchée. Au mieux, on est comme le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles, toujours en retard. Au pire, on se sent des pulsions primitives, reptiliennes. On est un écraseur qui sommeille, guetté par les démons hallucinogènes du champignon. On a pris des mauvaises routes plus souvent qu’à notre tour. Alors, on ne mettra pas à l’amende Benoît Magimel, brocardé depuis une semaine dans les médias pour son inconduite. L’acteur a renversé le OBAMA EN VEDETTE AMÉRICAINE À LA HAVANE EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX www.CollectionPhiloLeMonde.fr OFFRES D’EMPLOI CHAQUE LUNDI PAGES 8 ET 9 Axa : départ surprise du PDG Henri de Castries Bolloré accroît son emprise sur Telecom Italia ▶ A la tête P etit à petit, l’oiseau fait son nid. Conformément à une stratégie déjà bien rodée, Vincent Bolloré impose sa stratégie et ses hommes en Italie. Devenu, à travers sa société, le premier actionnaire de Telecom Italia, avec 24,9 % du capital, le Breton est parvenu à placer quatre de ses proches au conseil d’administration du premier groupe de télécommunication transalpin, en décembre 2015. Il est en passe d’obtenir la tête du directeur général, Marco Patuano. Lundi 21 mars au matin, Telecom Italia a confirmé, à la demande de la Consob, le gendarme italien de la Bourse, que des « négociations » étaient en cours sur « la suspension des mandats » de M. Patuano. L’officialisation de son départ pourrait avoir lieu lors d’un prochain conseil d’administration extraordinaire. Le partant recevrait une indemnité de 7 millions d’euros. Depuis que Vivendi a pris les commandes de Telecom Italia en se présentant comme « un partenaire de long terme », les jours de M. Patuano à la tête du groupe semblaient comptés. Des divergences stratégiques étaient apparues avec les nouveaux actionnaires. Ces derniers mettent l’accent sur les contenus, quand M. Patuano misait sur le développement des infrastructures. de l’assureur depuis 2000, Henri de Castries va passer la main en septembre, deux ans avant l’échéance prévue ▶ Il sera remplacé par un Allemand, Thomas Buberl. Le Français Denis Duverne présidera le conseil ▶ Certains donnent M. de Castries partant pour la banque britannique HSBC → LIR E PAGE 3 Le patron d’Axa, en 2015. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCHPOLITICS POUR « LE MONDE » → LIR E PAGE 1 0 Vers un krach de l’« Uber économie » ? ▶ Les faillites de start-up ▶ Sur le modèle Uber, plus ▶ Engagées dans une ▶ Leur recours à des de services à la demande se multiplient aux Etats-Unis. SpoonRocket (livraison de repas) a brutalement fermé mardi de 200 sociétés se sont lancées sur le créneau des services low cost, dans le ménage, les courses ou… les massages course de vitesse pour s’imposer, ces start-up doivent grossir le plus vite possible, au détriment de leur rentabilité travailleurs indépendants, souvent mal payés et sans protection sociale, est de plus en plus contesté INDUSTRIE PERTES & PROFITS | AIRBUS → LIR E PAGE 4 PORTRAIT MICHEL LUCAS, LE BOSS DU CRÉDIT MUTUEL, SE RETIRE → LIR E PAGE 2 J CAC 40 | 4 420 PTS – 0,93 % j DOW JONES | 17 602 PTS + 0,69 % J EURO-DOLLAR | 1,1244 J PÉTROLE | 40,53 $ LE BARIL K TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,55 % VALEURS AU 21 MARS À 9 H 30 A irbus sort son périscope. Non pas pour refaire surface mais pour s’en débarrasser. En cédant son activité d’électronique de défense au fonds d’investissement américain KKR pour 1,1 milliard d’euros, l’avionneur tire un trait sur des métiers très éloignés de sa préoccupation du moment, fabriquer le plus d’avions possible pour suivre la demande des clients. L’annonce est intervenue vendredi 18 mars et comprend essentiellement une unité de 4 000 personnes – dont le siège se situe à Ulm, en Allemagne – issue de l’ex-AEG Telefunken. Une branche qui mêle guerre électronique, capteurs, systèmes terrestres et aériens ainsi que de l’optronique maritime, dont les fameux périscopes de sousmarins, grande spécialité allemande. La fin d’un vieux rêve C’est en 2014 que le groupe avait fait part de sa décision de s’alléger dans les activités de défense afin de se concentrer, dans ce domaine, uniquement sur les avions militaires et les missiles. Le projet, baptisé « Orlando », comprend également la cession de la branche sécurité aux frontières, sujet éminemment sensible en ce moment, et la vente des 23 % que possède Airbus dans Dassault. La cession d’aujourd’hui est donc la première concrétisation d’une décision stratégique de taille : l’abandon des grandes ambitions dans le domaine militaire. Tandis qu’Airbus dispute à Boeing le rang de leader mondial des avions commerciaux, il peine à percer dans la défense Cahier du « Monde » No 22140 daté Mardi 22 mars 2016 - Ne peut être vendu séparément et en tire les conséquences. Le vieux rêve d’équilibrer pôles civil et militaire pour atténuer les effets de cycle n’est plus de mise. Hors espace, l’activité de défense ne représente pas plus de 10 % du chiffre d’affaires du groupe, contre 70 % pour les seuls avions de ligne. La difficulté du groupe à devenir un grand de la défense contraste donc avec son succès considérable dans l’aéronautique civile. Les prévisionnistes ne se risquent même plus dans ce domaine à anticiper une pause dans la course à l’équipement des compagnies aériennes, notamment asiatiques, en nouveaux avions. Selon les analystes de Credit Suisse, le groupe devrait livrer plus de 670 avions en 2016, près de 730 l’année suivante et plus de 900 en 2020. L’entreprise elle-même a été surprise, notamment par le succès de la nouvelle version de son petit mono couloir, l’A320 Neo, dont les premières livraisons interviendront cette année. En 2020, il devrait en sortir pratiquement deux par jour des chaînes d’assemblage de la firme. Autant dire que la priorité des priorités est opérationnelle, voire industrielle. D’autant que même dans les avions militaires, passé le rêve d’une fusion avec Dassault, le succès est mitigé, tant sur le plan commercial que sur celui de la technologie. Les retards sur l’avion militaire de transport A400M ont montré toute la difficulté pour une entreprise de cette envergure à passer d’un domaine à l’autre. A chacun son métier. p philippe escande LE PLAN D’ÉCONOMIES 2016-2018, EN MILLIONS D’EUROS, JUGÉ INSUFFISANT PAR LES ACTIONNAIRES DE TELECOM ITALIA Imaginer le confort L’avionneur allège sa défense RCS Pau 351 150 859 - (1)Les innovateurs du confort LA FRANCE, NOUVELLE TERRE D’ACCUEIL DES INVESTISSEURS CHINOIS →LIR E PAGE 1 0 600 THE INNOVATORS OF COMFORT™ ( 1 ) NOUVEAUTÉ Fabriqué en Norvège Depuis 1934 www.stressless.fr 2 | portrait 0123 MARDI 22 MARS 2016 Michel Lucas Le bâtisseur du Crédit mutuel tire sa révérence Figure du secteur bancaire français, Michel Lucas passe la main. Le tout-puissant patron du Crédit mutuel n’a jamais aimé les énarques. C’est pourtant un inspecteur des finances, Nicolas Théry, qui lui succède I l a résisté aux coups d’Etat internes, sport favori des groupes coopératifs, à la tempête financière de 2008 qui a envoyé valdinguer les patrons de banques comme des fétus de paille. Michel Lucas n’a cédé que devant le poids des années. A 76 ans, casque de cheveux blancs et barre de sourcils noirs, le tout-puissant président de la Confédération nationale du Crédit mutuel passe le relais lundi 21 mars à Nicolas Théry, 50 ans, à qui il avait déjà transmis fin 2014 la présidence de CM11-CIC (les onze fédérations associées qui réalisent 83 % des 3 milliards d’euros de profits de la banque mutualiste). Michel Lucas conserve une place de censeur mais il n’exercera plus de rôle opérationnel au sein du groupe bancaire qu’il avait rejoint il y a quarante-cinq ans. Ironie suprême, celui qui évite comme la peste les journalistes va se consacrer au groupe de presse régionale que le papivore a constitué au sein de la banque bleue (L’Alsace, L’Est républicain, Le Progrès, Le Dauphiné libéré…). Le Breton mélomane, qui a bâti sa légende à Strasbourg, n’est pas à un paradoxe près. L’un des meilleurs banquiers de sa génération n’est-il pas avant tout un génie de l’informatique ? N’a-t-il pas exfiltré, un à un, les vingt-quatre énarques trouvés dans la corbeille du CIC en 1998 – en énumérant à ses proches avec gourmandise « plus que dix », « plus que neuf » – pour choisir comme dauphin… un inspecteur des finances ? Cet ours redouté, suffisamment influent pour faire déprogrammer un documentaire critique sur le Crédit mutuel sur Canal+ en septembre 2015, recherche le contact avec ses troupes. Les directeurs de Caisses, autrement dit d’agences, n’hésitent pas à l’interpeller pour échanger sur le taux des crédits ou se plaindre d’un distributeur en panne. « C’est toujours le terrain qui m’a intéressé. J’ai voulu un lien direct avec le réseau. Je crois en la subsidiarité », avoue-t-il. BÊTE POLITIQUE Avant de devenir son ennemi, longtemps le temps fut son allié. Ces quatre décennies lui ont permis de bâtir à partir d’une collection éparse de villages bancaires le troisième financeur de l’économie française. « En 1971, quand je suis entré au Crédit mutuel, nous étions 861 salariés sur toute la France. Nous sommes 78 800 », savoure Michel Lucas. Il est vrai que l’histoire est belle. Théo Braun, patron du Crédit mutuel d’Alsace, repère l’ingénieur diplômé de Centrale Lille chez Steria, une jeune SSII. Le futur ministre de Michel Rocard convainc le trentenaire de le rejoindre à Strasbourg. Il lui confie la « mécanographie », l’ancêtre de l’informatique. Michel Lucas imagine rester deux ans en Alsace. Mais le Crédit mutuel est à l’aube de son développement. Le groupe coopératif, issu comme le Crédit agricole et les Banques populaires du mouvement chrétien allemand des Raiffeisen, prospère seulement à l’Est et à l’Ouest, en terres catholiques. C’est une sorte de « tontine », c’est-à-dire une cagnotte où tous les profits sont redistribués sous forme de prime aux sociétaires. Ce versement est ensuite supprimé, permettant au réseau de constituer des fonds propres pour financer sa croissance. Le jeune Lucas devient vite l’agent des missions spéciales. Il implante ainsi à Marseille la première fédération au sud de la Loire, en riposte à une attaque du Crédit lyonnais en Alsace. « On a ouvert deux caisses en face du Crédit lyonnais. Elles y sont toujours », s’amuse le banquier, rigolant encore de l’alliance qu’il avait passée avec la Mutualité des travailleurs – un fief communiste ! – pour parvenir à ses fins. « Chaque fédération, ça a été la croix et la bannière », relate-t-il. Un jour, il doit même éteindre un incendie financier dans la Fédération d’Arras. En 1977, Théo Braun l’envoie redresser le journal L’Alsace, qu’il a racheté quatre ans plus tôt. Le paysage bancaire est en pleine recomposition. Le Crédit mutuel échappe de peu aux griffes du Crédit agricole puis aux nationalisations de 1981. Michel Lucas, lui, tisse sa toile avec patience. Bête politique aussi bien que d’organisation, il a compris bien avant les autres banquiers la puissance de la technologie. Il assoit sa légitimité en fabriquant un système informatique au service des caisses, créé une « caisse fédérale », puissant outil financier commun dans cet univers décentralisé. Jean Witz, l’un de ses pères spirituels au Crédit mutuel, a l’idée de proposer des contrats d’assurances aux sociétaires. Michel Lucas embraye, inventant chemin faisant la bancassurance, copiée depuis par tous ses concurrents. Jean Witz crée également le Bischenberg, le centre de formation du Crédit mutuel, un lieu qu’affectionne Michel Lucas. Il l’arpentait encore en début de semaine dernière. « Il a impulsé une culture de formation et de promotion interne très forte dans le groupe », relate un proche du mutualiste. Les fondations sont prêtes. Strasbourg peut entamer ses conquêtes. En 1992, la Fédération d’Alsace s’associe avec sa voisine de Dijon et se rebaptise le Crédit mutuel Centre Est Europe. En 1996, Michel Lucas pointe son nez dans les ministères pour voir s’il peut mettre la main sur le CIC dont la privatisation est évoquée. « Circulez, il n’y a rien à voir pour vous », lui répond-on en substance. Pour comprendre la relation ambivalente de Michel Lucas avec l’establishment, entre haine et fascination, il faut se rappeler que longtemps le fils de couvreur-zingueur s’est retrouvé le seul non-énarque parmi les grands banquiers français. Au début des années 1990, les banques « classiques » BNP, Société générale ou Crédit lyonnais, et même les mutualistes Caisses d’épargne et Banques populaires, sont dirigées par des inspecteurs des finances, voire des conseillers d’Etat, nommé par les pouvoirs publics. En 1993, Lucien Douroux est le premier dirigeant du Crédit agricole désigné par le réseau. En 2014. VINCENT ISORE/IP3 « LE CIC, C’EST TON VIETNAM » « Heureusement que j’étais à Strasbourg. J’étais moins visible », glisse Michel Lucas, en tirant sur un gros cigare, quand tous les « banquiers à pochette » – comme il les appelle – ont abandonné les havanes depuis des lustres. En réalité, jusqu’en 2010, le Crédit mutuel Centre Est Europe arbore également son président « fréquentable », l’énarque polytechnicien Etienne Pflimlin, fils d’un ancien ministre qui fut maire de Strasbourg. Michel Lucas reste dans l’ombre. Paris le découvre en 1998, lorsque le CIC est vraiment mis en vente. La BNP de Michel Pébereau et la Société générale de Daniel Bouton s’étripent pour savoir qui des deux va l’emporter. Pourtant, c’est bien le Crédit mutuel que retient, à la surprise générale, Lionel Jospin. Michel Lucas, patron du CIC ? Une hérésie pour Jean-Claude Trichet, le gouverneur de la Banque de France, qui veut, lui, imposer une période probatoire de six mois avant de lui CET OURS REDOUTÉ A CRÉÉ À PARTIR D’UNE COLLECTION ÉPARSE DE VILLAGES BANCAIRES LE TROISIÈME FINANCEUR DE L’ÉCONOMIE FRANÇAISE 1939 1971 1991 2010 Naît le 4 mai à Lorient (Morbihan). Entre au Crédit mutuel à Strasbourg comme conseiller du président de la fédération locale Devient directeur général du Crédit mutuel d’AlsaceLorraine FrancheComté et du groupe Bourgogne-Champagne. Préside la Confédération nationale du Crédit mutuel. accorder un agrément définitif. Le gouvernement doit intervenir. Ambiance. Cette année-là, le livre de Yasushi Inoué Le Loup bleu, sous-titré « le roman de Gengis Khan » fait un carton en France : « Cela me fait penser à Lucas », confie en privé Lucien Douroux. Le patron du Crédit agricole a pressenti que le conquérant venu de l’Est ne s’arrêterait pas en si bon chemin. « Le CIC, c’est ton Vietnam », assène au contraire à Michel Lucas un dirigeant du Crédit Mutuel de Bretagne, l’autre berceau de la banque bleue, qui a toujours contesté la suprématie de l’Alsace. Ce fut son Austerlitz. Depuis, l’Alsace a rallié onze fédérations sur dix-huit. Seul (gros) point noir, les relations dégradées avec Arkéa, l’alliance du Crédit Mutuel de Bretagne, de la Fédération du Sud-Ouest et de celle du Massif central. Quand Jean-Pierre Denis, inspecteur des finances, ex-secrétaire général adjoint de l’Elysée, prend la présidence d’Arkéa en 2008, il ne fait pas mystère qu’il brigue la succession de Michel Lucas. Que le temps joue pour lui. Le septuagénaire apprécie. Depuis, c’est la guerre. « Ce n’est pas une affaire de personnes mais de conflit d’intérêts. Il faut accepter que nous sommes deux groupes autonomes et concurrents », assure-t-on du côté d’Arkéa, qui s’apprête à déposer un recours au Conseil d’Etat contre la réforme des statuts de la Confédération du Crédit mutuel en passe d’être approuvée en assemblée générale lundi 21 mars. Cela reste sans doute la plus grande frustration de Michel Lucas, celle de n’avoir pu dompter « les Bretons » avant son départ. Cet affectif, chef d’une famille soudée dont son épouse Catherine était le pilier, se défend d’être rancunier : « J’ai pris des coups. J’avale. Je me souviens. Je ne cherche pas la revanche, mais il ne faut pas passer ensuite dans ma ligne de mire. » p isabelle chaperon économie & entreprise | 3 0123 MARDI 22 MARS 2016 Axa : Henri de Castries anticipe l’heure du départ Au sein d’une direction bicéphale, l’Allemand Thomas Buberl prendra la direction générale de l’assureur N ous avons choisi la sortie de l’hiver pour nommer un nouveau président. Dans trois mois, pour les feux de la Saint-Jean, le 21 juin, nous présenterons le plan de développement d’AXA. » Lundi 21 mars, Henri de Castries s’employait à justifier ce qui apparaissait comme une surprise, l’annonce du départ de son poste de PDG en septembre. Samedi, le conseil d’administration du numéro deux mondial de l’assurance a approuvé la scission de son fauteuil en deux, entre un poste de président non exécutif, qui sera occupé par l’actuel directeur général d’Axa, le Français Denis Duverne, et un autre de directeur général, attribué à l’Allemand Thomas Buberl, actuel membre du comité exécutif du groupe. Une structure duale identique avait été mise en place en 1997, afin de préparer le départ de Claude Bébéar, le fondateur d’Axa. Cette succession intervient avec deux ans d’avance sur le calendrier initial. Le PDG d’AXA avait annoncé, lors du renouvellement de son poste en 2014, son intention de passer la main en 2018, à l’issue de son mandat. « Le processus a été lancé voici plus de deux ans et nous avons trouvé la nouvelle équipe, il n’était pas question d’attendre plus longtemps, d’autant que le groupe va se lancer dans une autre phase de développement », explique M. de Castries. Entré dans le groupe en 1989 et à la tête d’Axa depuis 2000, il avait demandé à deux membres du comité de rémunération, JeanMartin Folz et Norbert Dentressangle, de commencer à proposer des noms de successeurs. « Au départ, nous avons repéré une demi-douzaine de candidats en interne », raconte M. de Castries, qui a également scruté à l’extérieur. Au fil du temps, l’idée s’est imposée de mettre en place une double commande, avec un « historique » à la tête d’Axa, Denis Duverne, 62 ans, dans le groupe depuis 21 ans, et un plus récent à l’opérationnel, Thomas Buberl, 43 ans. « J’ai une expérience opérationnelle et globale, comme directeur de filiale en Allemagne et responsable dans le groupe des lignes Santé puis Épargne et vie », assure le futur directeur général, entré chez Axa en 2012. « Thomas est même plus jeune que moi lorsque j’ai pris la direction du groupe », constate M. de Castries en présentant son successeur, passé par Winterthur en Suisse, racheté par Axa en 2006, puis par Zurich Insurance Group, dont il « Thomas est même plus jeune que moi lorsque j’ai pris la direction du groupe » HENRI DE CASTRIES PDG d’Axa fut directeur général. Le fait que le groupe français ait confié les rênes à un Allemand pourrait expliquer cette direction bicéphale, comme ce fut le cas chez Sanofi. « Personne ne s’étonne quand c’est un Français qui prend les commandes d’un groupe étranger », remarque un proche d’Axa, en évoquant les nominations récentes de Philippe Donnet à la tête de l’assureur italien Generali et de Jean-Sébastien Jacques chez Rio Tinto. Il n’empêche, bien qu’étant un groupe privé, Axa a informé, dimanche soir, l’Elysée et Bercy, quelques heures avant la nomination officielle. « Nous saluons le travail d’Henri de Castries et sa démarche consistant à organiser sa succession et une transition efficace », soulignait-on lundi matin dans l’entourage d’Emmanuel Macron, le ministre de l’économie. Vaste effort de transformation Durant cette période de transition jusqu’à septembre, l’actuel PDG d’Axa et le futur duo vont préparer ensemble le plan pour la période 2016-2020, qui prendra la suite d’« Ambition 2015 ». Ultime élégance ? Axa n’a pas franchi l’an dernier la barre des 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires, s’arrêtant pudiquement à 99 milliards. M. de Castries a laissé à son successeur le soin de mener cette étape symbolique. En revanche, le futur PDG sortant, en présentant ses résultats le 25 février, avait bien insisté sur le fait que tous les objectifs fixés par Dès l’annonce de son départ, les rumeurs se sont amplifiées à la City qui le voit en possible patron de HSBC le plan quinquennal 2010-2015 étaient remplis, en termes de rentabilité comme de réduction de l’endettement. Ces dernières années, M. de Castries avait en effet entrepris un vaste effort de transformation, pour adapter Axa à un environnement financier défavorable, celui des taux bas, devenu depuis négatifs. « Le plan stratégique “Ambition” – et sa réussite – a permis à Axa de surperformer ses pairs et les indices de référence », se félicite le groupe dans un communiqué publié lundi. Une satisfaction particulière pour M. de Castries, qui a longtemps été critiqué – notamment par M. Bébéar luimême – parce que l’action Axa se traînait à la queue du peloton des assureurs européens. « Sur l’ensemble de la période 2000-2016, qui s’ouvre sur un point haut des marchés, juste avant l’explosion de la bulle Internet, la performance d’Axa (…) est plus contrastée », reconnaît, toutefois, le groupe, alors que l’action Axa n’a toujours pas retrouvé son niveau de 2000. Des crises, M. de Castries en a connues en seize ans de règne. Cela l’a amené à imposer une gestion financière serrée d’Axa, pour améliorer la solidité de son bilan, dégradé par la période des grandes acquisitions des années 1990. Cela n’a pas empêché le Français de poursuivre des rachats, afin de développer sa présence sur les marchés émergents, qui représentent désormais 17 % de ses activités d’assurance contre quasiment rien en 2000. M. de Castries a également lancé ces dernières années un vaste chantier de transformation numérique. Et maintenant, quel avenir pour le sortant ? Pas question pour M. de Castries d’arrêter son activité à 61 ans, en pleine santé, lui qui a toujours fait plus jeune que son âge. Président de l’Institut Montaigne, passionné de politique, président du comité de direction du groupe Bilderberg, un cercle international de patrons influent, il est aussi administrateur de Nestlé et d’HSBC. Dès l’annonce de son départ, les rumeurs se sont amplifiées sur la place londonienne, qui le voit bientôt président de la première banque européenne. D’autant que le lancement du processus de succession chez HSBC a été lancé à la veille de l’annonce d’Axa, dimanche 20 mars. L’assureur n’y voit qu’« un hasard de calendrier ». M. de Castries ne commente pas. « Le sujet n’est pas d’actualité », selon lui. p isabelle chaperon et dominique gallois LES CHIFFRES 59 Le nombre de pays où le groupe Axa est implanté. Au total, il recense 103 millions de clients. 161 000 Le nombre de collaborateurs que l’assureur compte dans le monde. 99 Le chiffre d’affaires d’Axa, en milliards d’euros, en 2015. Un chiffre en hausse de 1 % sur un an. 5,6 Le résultat net de l’assureur, en milliards d’euros, pour 2015, en hausse de 3 % par rapport à 2014. 1,10 Dividende par action proposé, en euro, aux actionnaires par le conseil d’administration au titre de l’année 2015. C’est 16 % de plus que celui versé au titre de 2014. 4 | économie & entreprise 0123 MARDI 22 MARS 2016 Les jouets Heller Joustra tombent dans l’escarcelle de Maped Le numéro un mondial des articles scolaires rachète pour 1,5 million d’euros la PME spécialisée dans les loisirs créatifs E ngagé depuis deux ans dans une stratégie de diversification, le groupe familial français Maped, leader mondial des articles scolaires, a annoncé, lundi 21 mars, à la barre du tribunal de commerce d’Argentan, près de Caen, qu’il venait de reprendre la société Heller Joustra, spécialisée dans les loisirs créatifs pour enfants, dont le redressement judiciaire avait été prononcé début février. Plus que le simple rachat d’une société en difficulté, c’est l’histoire d’un ultime sauvetage in extremis pour cette PME née de la fusion en 1999 d’Heller, spécialisé depuis 1957 dans les maquettes d’avions, de bateaux et de voi- LES CHIFFRES + 3,4 % Telle a été, en valeur, l’augmentation des ventes de jouets en France en 2015, leur meilleure progression depuis 2011 et leur troisième année consécutive de croissance, selon le panéliste NPD. + 13,40 % C’est l’augmentation du chiffre d’affaires du secteur du jouet au mois de janvier comparé à l’année précédente, selon La Revue du jouet, qui relaye des données NPD. + 20 % C’est la progression, en janvier par rapport à janvier 2015, des ventes de jouets spécialisés dans les activités artistiques. Ce segment avait été victime les mois précédents d’un effet de comparaison avec une période dominée par la mode éphémère des bracelets à élastiques Loom en 2014. tures emblématiques, et de Joustra, le fabricant du Télécran et de jeux créatifs (mandalas, mosaïques, moulages, etc.), fondé en 1934. Déjà menacé de disparition à la suite d’un dépôt de bilan en 2007, Heller Joustra avait retrouvé des couleurs depuis 2010 grâce aux injections d’argent frais de son actionnaire principal, l’entrepreneur Alain Bernard. Et plus précisément de son fonds New York Finance Innovation (NYFI), constitué de sa fortune personnelle après la vente de sa société Prosodie, spécialisée dans les brevets de téléphone portables, à Cap Gemini. C’est Alain Bernard qui rappelle alors en 2010 Yvonne Demorest, retraitée depuis 2007 de chez Nathan et ancienne directrice générale des gommes Mallat, pour la mettre aux commandes de Heller Joustra, qui perdait alors 4 millions d’euros. « On était alors virtuellement en dépôt de bilan, explique-t-elle. Alain Bernard, qui aura dépensé durant toutes ces années près de 5 millions d’euros dans l’entreprise, nous a permis de remoderniser l’outil de production. » Et de la relocaliser en France, à plus de 90 %, alors que deux tiers du chiffre d’affaires provenaient de Chine depuis 2002. L’impact des attentats Mme Demorest parvient à multiplier le chiffre d’affaires par cinq en cinq ans, passant de 1,5 million d’euros en 2009 à 7,5 millions d’euros en 2014. « Mais l’activité nécessitait une trésorerie considérable car sur le marché du jouet, on facture les trois derniers mois de l’année et il faut assurer la trésorerie le reste de l’année, avec des charges fixes incompressibles », raconte-t-elle. Surtout que l’entreprise est petite, sur un marché du jouet dominé par des grands groupes internationaux, des produits sous licences, et confronté à la concurrence des articles venus d’Asie. Plus que le simple rachat d’une société en difficulté, c’est l’histoire d’un ultime sauvetage pour cette PME L’évolution de la consommation après les attentats lui aura été fatale. « Avec la chute brutale de la fréquentation des magasins de jouets, les distributeurs ont annulé leurs dernières commandes, ne souhaitant pas, par prudence, recevoir la fin de leurs livraisons, explique-telle. Sauf que ces commandes avaient été passées en juillet, et que nous les avions anticipées en achetant des petites pièces, comme des moteurs, en Chine, où ils demandent de payer cash. On s’est donc retrouvé avec des stocks payés que l’on n’a pas pu vendre, ce qui a induit un très gros décalage de trésorerie. » Alain Bernard ne pouvant pas remettre « le million qui manquait », Mme Demorest se tourne vers Maped, qui s’intéressait depuis un an à la société. « Heureusement que nous avions déjà engagé des discussions, ajoute-t-elle. Mais des actionnaires minoritaires ne voulant pas céder leur part, cela m’a conduit à déposer le bilan. » De telle sorte que l’administrateur puisse choisir Maped et son projet de reprise de l’outil industriel et des trois quarts du personnel. De vision et de moyens financiers, l’entreprise familiale Maped, créée en 1947 par Claude Lacroix, n’en manquent pas. Le leader mondial des articles scolaires a réalisé 191 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015, dont 80 % de son activité hors de France, et 50 % en dehors de l’Europe. Et pour reprendre Heller Joustra, il a déboursé 1,5 million d’euros, la moitié pour le rachat des stocks, de l’outil industriel à Trun dans l’Orne, l’autre moitié pour régler les fournisseurs, les banques qui avaient gagé les stocks… Maped compte rajouter 2 millions d’euros en apport de trésorerie « pour assurer le financement de l’exploitation et maintenir l’activité à flot jusqu’au gros des facturations qui arriveront en fin d’année », explique Antoine Lacroix, directeur de Maped Europe. Depuis deux ans, Maped a la volonté de s’étendre sur le segment des loisirs créatifs, complémentaire, selon le groupe, à son activité coloriage, en développement depuis sept ans. « Les deux marques acquises sont amenées à perdurer, en tout cas en France », explique M. Lacroix. Avec d’un côté Heller, « une marque héritage sur un marché de niche, qui a montré sa capacité à résister ». De l’autre, Joustra, estampillée made in France, un label « qui compte pour la distribution spécialisée », mais qui est peu connue à l’étranger avec environ trois quarts de son chiffre d’affaires réalisé en France. « Il est probable qu’à l’international, nous capitalisions sur la marque Maped », ajoute M. Lacroix. Maped a déjà des idées pour améliorer la gamme de produits, de manière à en faire une référence sur le marché du loisir créatif. « Nous avons beaucoup joué en interne, avec des cessions d’activités toutes les semaines où l’on a essayé les produits du marché, raconte M. Lacroix. Et l’on s’est aperçu qu’il existait très peu de marques, et que beaucoup de produits, souvent achetés en Asie et vendus tels quels, ne tenaient pas leurs promesses. On peut vite se retrouver avec un pot à crayons qui ressemble à un truc informe et pas présentable. » L’objectif de Maped : remettre Heller Joustra à l’équilibre en 2017, avant de développer son activité à l’international pour lui permettre d’atteindre un chiffre d’affaires de 12 à 15 millions d’euros en 2020. p cécile prudhomme Le chinois Inesa investit 100 millions d’euros dans la Meuse La France est le deuxième pays le plus attractif d’Europe pour les investissements venus de Chine A près le lait dans le Finistère, voici les LED dans la Meuse. En janvier 2014, le chinois Synutra posait, à Carhaix, la première pierre de ce qui sera la plus grande usine de fabrication de poudre de lait dans le monde. Deux ans plus tard, c’est au tour de son compatriote Inesa d’entamer la construction d’un site en France. La cérémonie devait se dérouler lundi 21 mars sur un terrain au pied de la gare Meuse TGV, où sera bâti son centre de fabrication de LED, ces ampoules de très basse consommation. Ces deux premières implantations, représentant un investissement d’environ 100 millions d’euros chacune, illustrent l’attrait croissant de la France auprès des Chinois. Selon le cabinet d’avocats d’affaires Baker & McKenzie, la part chinoise des investissements étrangers dans le pays est passée de 3,4 % en 2012 à 7,6 % en 2014 pour atteindre 1,15 milliard d’euros. Les investissements se sont même envolés en 2015 pour culminer à 3,2 milliards d’euros. Ce bond est dû pour l’essentiel à des acquisitions dans le secteur de l’hôtelle- rie, avec l’OPA du chinois Fosun sur le Club Med et le rachat du Louvre Hôtels Group par Jin Jiang. La France est passée du troisième au deuxième rang des pays européens favoris des Chinois devant le Royaume-Uni, derrière l’Italie où ChemChina a acquis Pirelli pour 7,1 milliards d’euros. « Nous assistons à une diversification des secteurs convoités et aussi des modes opératoires, sans parler des lieux d’implantation », explique Raphaële François-Poncet, avocate associée au département fusions-acquisitions de Baker & McKenzie. « Nous assistons à une diversification des secteurs convoités et des modes opératoires » ME FRANÇOIS-PONCET avocate chez Baker & McKenzie L’année 2015 a vu la centième propriété viticole française passer dans des mains chinoises avec la vente de Château Renon, dans le Bordelais. Au même moment, le FC Sochaux était repris par l’entreprise hongkongaise Ledus et 49,9 % du capital de l’aéroport de Toulouse Blagnac était cédé à un consortium chinois. Le spécialiste des véhicules frigorifiques Lamberet dans l’Ain était repris par le groupe industriel Avic et la coopérative Maîtres laitiers du Cotentin s’est associée à Synutra pour construire une nouvelle usine de lait à Méautis dans la Manche. Une production de qualité « Il y a clairement une sophistication de l’investissement, car les Chinois sont à l’aise aussi bien dans le cadre réglementaire français que dans les différentes procédures », relève Me François-Poncet. C’est en vantant le « made in France » que Zhao Qi Meng, président d’Inesa Europe, a plaidé auprès du siège du groupe pour une implantation dans la Meuse et non en Hongrie. Tout a débuté en 2013, lorsque la société d’électronique Arelis, im- plantée à Marville dans la Meuse, a contacté l’entreprise chinoise envisageant de nouer un partenariat. Au fil des conversations Zhao Qi Meng, représentant ce conglomérat de 9 milliards d’euros contrôlé par la municipalité de Shanghaï, a évoqué le projet du groupe d’installer en Europe de l’Est une usine de fabrication de LED. Ce fut le branle-bas de combat pour tenter de déplacer le centre de gravité vers l’ouest. Avec deux arguments forts à opposer aux avantages de la Hongrie en matière salariale : la qualité des produits fabriqués en France et le niveau élevé des infrastructures, la gare Meuse TGV mettant les trains à une heure de l’aéroport de Roissy ou de Paris. Le 29 janvier 2015, lors d’une visite à Pékin du premier ministre Manuel Valls, l’accord était signé. Il prévoit la création de 200 emplois pour cette usine, la première du groupe hors de Chine. Depuis, pour renforcer sa présence en Europe dans l’éclairage, le groupe Inesa a fait en février, l’acquisition de 80 % des parts de Sylvania, une ancienne filiale de Philips. p dominique gallois Le patron de Keolis dirigera SNCF Réseau Jean-Pierre Farandou, dont l’Etat pousse la candidature, va succéder à Jacques Rapoport J acques Rapoport, le PDG démissionnaire de SNCF Réseau, a un successeur. Il s’agit de Jean-Pierre Farandou, l’actuel patron de Keolis, filiale à 70 % du groupe ferroviaire. L’Etat proposera son nom lors du conseil de surveillance du groupe SNCF qui doit se tenir mardi 22 mars, comme l’a révélé samedi la lettre professionnelle Mobilettre. Le candidat devra ensuite être confirmé par l’Arafer, l’autorité de régulation du rail, la phase la plus délicate, puis par l’Assemblée nationale et le Sénat. Un processus qui devrait prendre au minimum plusieurs semaines. Surpris de la démission soudaine de l’actuel PDG de SNCF Réseau, Jacques Rapoport, qui pouvait encore prétendre à rester au minimum un an, le gouvernement a paré au plus pressé. Plusieurs personnalités du secteur ou extérieures à celui-ci ont été sondées, sans succès. Et à la fin, c’est un cheminot « pur sucre » qui a été désigné. De gigantesques chantiers Jean-Pierre Farandou, 58 ans, est un des cadres dirigeants historiques de l’entreprise publique. Ingénieur des Mines de Paris, il a rejoint la SNCF dès 1981, à tout juste 24 ans, après un passage par les Etats-Unis, où il a travaillé pour AMAX, une société minière. Dans l’entreprise publique, il a mené plusieurs projets, comme le lancement du TGV Paris-Lille, en 1993, ou la création de Thalys. En 2002, il prend la tête de la SNCF en Rhône-Alpes, la région la plus importante de France après l’Ile-de-France. En 2006, Guillaume Pepy lui demande de prendre en main la branche proximité de SNCF (Transilien, TER, Intercités, Keolis). Il finira par diriger Keolis en 2012. En choisissant ce produit de la SNCF, jamais passé par Réseau ferré de France, l’ancien nom de SNCF Réseau, le gouvernement a souhaité à la fois rassurer la base cheminote, et s’assurer d’une bonne coopération entre Guillaume Pepy, le patron de SNCF Mobilités, et l’un de ses anciens protégés. A la tête de Keolis, M. Farandou a pris de la distance avec sa maison mère, ce qui devrait l’aider dans ses rapports avec son désormais homologue. Ses chantiers sont gigantesques. Alors que le réseau est dans un état très dégradé, le nouveau patron devra amplifier le travail initié par Jacques Rapoport pour industrialiser les travaux de régénération et de maintenance du réseau tout en revoyant la culture managériale et en améliorant la productivité. Comme les accidents ferroviaires récents l’ont démontré, l’état du réseau, dans les cas de Brétigny-surOrge et Denguin (Pyrénées-Atlantiques), ou la culture de la sécurité, dans le cas d’Eckwersheim (BasRhin), sont aujourd’hui largement montrés du doigt. Coté financement, alors que la dette de SNCF Réseau ne cesse de se creuser (42 milliards d’euros en 2015), Jean-Pierre Farandou va devoir se montrer persuasif avec l’Etat pour que celui-ci mette bien en place la « règle d’or », prévue par la loi ferroviaire de 2014. Cette règle oblige l’Etat à financer par ses propres moyens les nouveaux développements du réseau. De même, Jean-Pierre Farandou devra peser pour que l’Etat accepte de conclure le contrat de moyen et de performance, qui permettra à SNCF Réseau de baliser ses investissements sur les dix années à venir. Enfin, il devra s’atteler à une nouvelle politique de péages, le droit acquitté par SNCF Mobilités et les opérateurs privés pour utiliser le réseau, comme le réclame l’Arafer. p philippe jacqué 950 000 C’est le nombre d’emplois qu’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (le « Brexit ») pourrait détruire dans le pays, selon une étude commandée par la Confédération des industries britanniques, principale organisation patronale du pays. En 2020, le taux de chômage britannique serait de 2 à 3 points plus élevé que si le pays restait dans l’UE. Publiée dimanche 20 mars et réalisée par le cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC), l’étude estime également que le « Brexit » constituerait un « sérieux choc » pour l’économie du Royaume-Uni, à laquelle il coûterait environ 100 milliards de livres sterling (128 milliards d’euros) en perte de production, soit 5 % du produit intérieur brut. PHAR MAC I E FOOT BALL Eurazeo négocie le rachat de Novacap Un milliardaire chinois sponsorise la Fifa Novacap, l’un des plus gros producteurs d’aspirine et de paracétamol dans le monde, est en passe d’être acquis par Eurazeo. Dans un communiqué diffusé lundi 21 mars, le fonds d’investissement a annoncé être en négociations exclusives avec Ardian, l’actuel actionnaire majoritaire de Novacap. Installé à Lyon, ce groupe de pharmacie et de chimie a généré un chiffre d’affaires d’environ 600 millions d’euros en 2015. – (AFP.) Le chinois Wanda a signé vendredi 18 mars un contrat pour devenir sponsor de la Fifa (Fédération internationale de football). Le conglomérat détenu par Wang Jianlin, l’une des premières fortunes de Chine à la tête de 29 milliards de dollars (25,8 milliards d’euros) de patrimoine, profitera des droits sur les Coupes du monde jusqu’en 2030. D I ST R I BU T I ON Standard & Poor’s dégrade Casino Standard & Poor’s a dégradé, lundi 21 mars, la note de la dette à long terme du groupe Casino, à BB +. L’agence considère que, malgré la cession de sa filiale thaïlandaise, le distributeur présente un « risque financier élevé ». Son endettement atteint plus de 6 milliards d’euros. ÉD I T I ON Fréquentation en baisse au Salon du livre de Paris La 36e édition du Salon du livre de Paris, qui s’est tenu du 17 au 20 mars, a enregistré une baisse de fréquentation de 15 % par rapport à 2015. Seuls 155 000 visiteurs se sont rendus à la porte de Versailles. Le prix de l’entrée, 12 euros, jugé trop élevé par une partie du public et des professionnels, pourrait expliquer ce résultat. management | 5 0123 MARDI 22 MARS 2016 Et si les salariés retournaient à la fac ? LE COIN DU COACH Les universités, auxquelles peu d’entreprises ont recours pour la formation professionnelle, font valoir leurs atouts R ares sont les entreprises qui se tournent vers une université pour former leurs salariés : aujourd’hui, les établissements d’enseignement supérieur représentent seulement 3 % du marché de la formation continue en France. La société BCA Expertise fait partie de ces défricheurs. Pour former ses managers, elle s’est tournée vers la licence professionnelle en management des activités commerciales proposée par l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). Ce cursus diplômant lui a paru le plus adapté aux besoins de ses responsables d’agences, souvent peu diplômés à la base et principalement formés sur le terrain. « Nos managers sont tous issus de la promotion interne, et ont donc un cursus de formation initiale technique, en BTS aprèsvente automobile, par exemple, indique Roland Fontenier, le responsable des projets formation de l’entreprise. Nous souhaitions leur apporter de la connaissance fondamentale en économie, droit, gestion… afin qu’ils puissent prendre du recul et acquérir les clefs de compréhension les plus fines possibles. Nous souhaitions également leur donner l’opportunité d’un diplôme entérinant leurs compétences managériales. » La formation s’effectue sur deux à trois jours par mois sur le temps de travail, accompagnés d’ateliers et de cours en e-learning, et dure environ un an. Si les entreprises pensent rarement à l’université pour la formation professionnelle, c’est que les établissements d’enseignement supérieur se sont longtemps positionnés exclusivement sur les formations longues et diplômantes, comme les MBA, les masters ou l’alternance, avec des modalités d’organisation contraignantes. Alors que les entreprises sont en demande de formations courtes et facilement compatibles avec les horaires de travail des salariés. Les organismes 100 % voués à la formation professionnelle pour les entreprises ont donc profité du vide existant pour développer leur propre offre de stages L’université de La Rochelle (Charente-Maritime) fait aussi partie des établissements pilotes destinés à expérimenter des offres de formation continue. Elle travaille avec une cinquantaine d’entreprises et a conçu des formations diplômantes modulaires sur le week-end et accessibles par la VAE, ainsi que des formations sur mesure pour les entreprises. Des formations courtes qualifiantes, qui sont organisées en bloc de compétences sur un ou deux jours, sont également possibles. courts et modulables et capter le marché de la formation continue pour les salariés. Mais les universités font aujourd’hui valoir leurs atouts : elles peuvent proposer des formations diplômantes et disposent d’enseignants hautement qualifiés. Afin de faire évoluer la donne, le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, Thierry Mandon, a annoncé, le 19 janvier, le lancement d’un réseau de 12 établissements pilotes, destinés à expérimenter des solutions de formation continue adaptées aux besoins des entreprises. « Déboucher sur un diplôme » « Il est vrai qu’il y a encore quelques années, on était surtout positionnés sur l’apprentissage, reconnaît Marie Waltzer, directrice du développement à l’université de Cergy-Pontoise, l’un des établissements pilotes. Mais nous avons depuis développé notre offre. » L’université propose désormais des stages courts de mise à niveau en langues, informatique… de quelques jours ou étalés dans le temps, ainsi que des licences professionnelles et des diplômes universitaires (DU) pouvant être suivis en temps partiel (« part time »). « Cela nous demande de réorganiser l’emploi du temps des enseignants, c’est parfois compliqué, reconnaît Marie Waltzer. Nous travaillons aussi beaucoup sur la manière de combiner la formation continue avec la validation des acquis de l’expérience [VAE], afin de déboucher sur un diplôme. » La formation suivie par les salariés de BCA Expertise est éligible au compte personnel de formation (CPF), mis en place en janvier 2015 et aujourd’hui intégré au compte personnel d’activité (CPA) en débat dans le projet de loi El Khomri. Ce n’est pas encore le cas de toutes les formations proposées par les établissements universitaires. « Nous menons un gros travail auprès des commissions paritaires de branche afin de faire inscrire nos formations dans la liste des formations éligibles au CPF », précise Mme Waltzer. Développer l’e-learning « Nous souhaitons élargir notre offre en direction des salariés très qualifiés sur des filières d’avenir et correspondant à une forte expertise interne, comme le bâtiment durable ou la transition numérique », fait valoir Elise Violet, directrice de la Maison de la réussite et de l’insertion professionnelle à l’université de La Rochelle. Aujourd’hui, la structure veut offrir plus de formats adaptés, « notamment par le biais de l’e-learning », indique la directrice. Le développement de la formation à distance est d’ailleurs l’une des préconisations du rapport du président de l’université de Cergy-Pontoise, François Germinet, à l’origine de la mise en place du réseau d’établissements pilotes. Reste à voir si le chemin pris par ces universités défricheuses sera emprunté par l’ensemble des universités. p catherine quignon QUESTION DE DROIT SOCIAL par sophie péters L’important, tout de suite ! Notre temps de travail est désormais morcelé. Chaque fin de journée, nous ressentons, de façon toujours plus cruelle, une drôle de fatigue, que l’on pourrait qualifier de « syndrome de la dispersion ». Malgré la fréquence des interruptions ou pour mieux la juguler, nous tentons de nous en tenir à une liste professionnelle de « choses à faire ». Mais, entre deux tâches à réaliser, une importante et l’autre urgente, la seconde l’emportera à coup sûr. Pas étonnant de sesentir en permanence « sous pression ». Foin de manuels de gestion du temps qui vont nous apprendre à caser encore plus de choses à faire. Mieux habiter son temps est une démarche personnelle qui requiert astuce, créativité, courage et détermination. Il faut identifier les « voleurs de temps » (appels imprévus, personnes qui débarquent à l’improviste, réunions mal préparées) pour se rendre compte qu’ils nous servent souvent de prétexte et nous cachent les vrais bandits, ceux que nous abritons en secret : perfectionnisme, procrastination, désorganisation, fatigue, moral à marée basse, besoin de se sentir valorisé, etc. Ce sont eux les vrais responsables de nos débordements permanents. Le plus dur : apprendre à renoncer. Et apprendre à refuser. Difficile à mettre en œuvre, dans une société du « tout, tout de suite » et de la performance. L’enjeu réside entre l’urgent et l’important. L’urgent nous épuise, l’important nous galvanise. Car il apporte la satisfaction de réaliser quelque chose qui nous tient à cœur et dont on pourra dégager de la fierté. De quoi, aussi, ne pas faire dépendre des autres l’estime de soi. L’important est plus que jamais urgent. p Thibault, 20 ans, serveur, Paris Faute lourde : faut-il payer les congés acquis ? S ¶ Francis Kessler Maître de conférences à l’université Paris-IPanthéonSorbonne i, au moment de la rupture du contrat de travail, le salarié n’a pas pris ses congés payés acquis, l’employeur doit lui verser une indemnité compensatrice pour congés non pris. Cette règle s’applique aussi en cas de démission du salarié ou de licenciement, quel que soit le motif. Il existe, toutefois, depuis le décret du 1er août 1936 sur les congés payés, intégré depuis 1944 dans la partie législative du code du travail, une exception à cette règle en cas de faute lourde du salarié. La faute lourde est celle qui revêt un caractère répréhensible, qui engendre des conséquences d’une particulière gravité, et qui méconnaît gravement une obligation essentielle de la relation de travail. Elle suppose une intention de nuire à l’employeur ou à l’entreprise, de la part du salarié. Le licenciement pour faute lourde est la sanction la plus grave qu’un employeur puisse prononcer : en plus d’être privé des indemnités de congés payés, le salarié n’a droit ni au préavis et à l’indemnité correspondante, ni à l’indemnité légale de licenciement ni, sauf dispositions explicites, à l’indemnité conventionnelle ou contractuelle de licenciement. En 2010, la Cour de cassation a atténué la sévère sanction de privation de l’indemnité de congés payés, figurant au deuxième alinéa de l’article L. 3141-26 du code du travail, en la limitant aux jours de congés acquis sur la période de référence en cours : les congés acquis mais non encore pris au titre de périodes antérieures devaient, en consé- quence, être indemnisés. Pour des raisons historiques, la sanction n’est pas applicable lorsque l’employeur cotise à une caisse de congés payés (par exemple du BTP) qui se substitue à lui pour assurer un revenu au salarié absent pour cause de congés. Inconstitutionnelle Un plaideur astucieux a fini par obtenir que la Cour de cassation saisisse le Conseil constitutionnel de la question. Le 2 mars 2016, les sages de la rue de Montpensier ont estimé qu’au vu de la mécanique actuelle de fonctionnement des caisses de congés payés, il y avait une différence de traitement injustifiée entre les salariés relevant de ce dispositif et ceux qui, comme le plaideur, n’en relevaient pas. Cette différence de traitement constitue donc une atteinte au principe d’égalité : la privation de l’indemnité de congés payés pour cause de faute lourde est inconstitutionnelle. Il n’y a donc plus de différence d’un point de vue des indemnités en cas de licenciement pour faute grave et pour faute lourde : le salarié licencié pour un de ces motifs disciplinaires a droit à l’indemnité de congés. En revanche, en cas de faute lourde, le salarié n’aura pas droit à la portabilité de la prévoyance. En effet, dans l’Accord national interprofessionnel 2013 sur la sécurisation des parcours professionnels (repris par le code de la sécurité sociale), les partenaires sociaux nationaux ont privé le licencié pour faute lourde de cette sécurité post-contrat de travail. p Inscriptions jusqu’au 28 mars lemonde.fr/academie 0123 6 | dossier 0123 MARDI 22 MARS 2016 Le Mondial de l’automobile à Paris reste le premier salon français. RGA /REA Le tourisme d’affaires menacé par catherine quignon C hampionne du tourisme, la France se serait-elle endormie sur ses lauriers ? Certes, les principaux indicateurs sont au vert. Et les professionnels de la filière ont même pu clôturer, le 20 mars, le 4e Salon mondial du tourisme à Paris sur un double cocorico : avec 83,7 millions de touristes étrangers en 2014 (40 milliards d’euros de chiffre d’affaires), l’Hexagone conserve son titre de pays le plus visité au monde. Et Paris, qui concentre plus des trois quarts de la clientèle d’affaires de France, a été désignée, pour la deuxième année de suite, première ville mondiale d’accueil des congrès, au classement 2015 de l’International Congress and Convention Association (ICCA), scruté chaque année par les professionnels du secteur. Des atouts, la France en a, et de solides. Grâce à ses 80 parcs d’expositions et ses 120 centres de congrès, la France peut se targuer d’être l’un des leaders mondiaux en matière de tourisme d’affaires. Un tourisme qui rapporte gros : un voyageur « business » dépense deux à quatre fois plus qu’un touriste de base, s’accordent à dire les acteurs de la filière. Premier salon français à destination des professionnels et du grand public, le Mondial de l’automobile a attiré pas moins de 1,5 million de visiteurs en 2014. La tenue d’événements professionnels sur le sol français rapporte 7,4 milliards d’euros de retombées directes à l’économie, estime l’agence de développement touristique Atout France. « Un congrès de 5 000 personnes, c’est plusieurs millions de retombées en quelques jours pour les hôtels, les restaurants, les commerces… Et ce sont aussi des retombées en termes de notoriété et d’attractivité économique », souligne Denis Zanon, le directeur de l’office du tourisme et des congrès de Nice. Mais le tableau comporte des ombres, et non des moindres. Paris, par exemple. En y regardant de plus près, la Ville Lumière perd de son lustre face à ses voisines européen- Si Paris conserve sa position de leader mondial, elle est talonnée sur le terrain des congrès et salons par ses voisines européennes. Les grandes capitales ont su investir dans des infrastructures plus adaptées et plus modernes nes. Profitant de l’augmentation exponentielle du nombre de congrès organisés dans le monde, Paris en a accueilli seulement 96 % de plus en l’espace de quinze ans, contre 220 % de plus pour Vienne, 225 % pour Barcelone et 250 % pour Madrid. Plus à l’est, d’autres destinations explosent également. « Paris doit aussi compter avec l’émergence de métropoles comme Singapour, Istanbul ou Kuala Lumpur », souligne Matthieu Rosy, directeur général de l’Union française des métiers de l’événement (Unimev). Au-delà de Paris, la France s’est laissée doubler par l’Allemagne et l’Espagne quant au nombre de congrès organisés sur son sol et à leur fréquentation. Tandis que Paris arrive à saturation, les métropoles régionales peinent à prendre le relais. « Paris concentre l’activité des congrès et salons, alors qu’en Allemagne il y a Francfort, Hambourg, Hanovre… », constate M. Rosy. Après avoir longtemps figuré dans le top 30 des villes accueillant le plus de congrès, Nice a désormais chuté dans les tréfonds du classement ICCA. Alors que le marché du tourisme d’affaires connaît une croissance record depuis quelques années, la France peine à en profiter. Boostées par l’internationalisation des LA FRANCE S’EST LONGTEMPS CONTENTÉE DE CAPITALISER SUR LA RENOMMÉE DE SON PATRIMOINE échanges et la montée en puissance des pays émergents, les dépenses mondiales en matière de voyages d’affaires devraient croître de 6 % chaque année jusqu’en 2019, selon les estimations de la Global Business Travel Association (GBTA). A lui seul, le marché chinois connaîtra un pic de 61 % d’ici à cette date. A l’inverse, le marché français semble avoir atteint une certaine maturité : en 2014, les dépenses des voyageurs d’affaires ont crû de 7,7 % en Allemagne, 6,8 % en Espagne et 5,4 % au Royaume-Uni, contre seulement 2 % pour la France, d’après les estimations de GBTA. LES PAYS À BAS COÛT ÉMERGENT Si la France s’est longtemps contentée de capitaliser sur la renommée de son patrimoine et l’expérience de ses acteurs pour séduire la clientèle d’affaires, ses atouts touristiques ne suffisent plus. « La France a la chance de bénéficier d’une attractivité naturelle, mais beaucoup de pays à bas coût sont en train d’arriver sur le marché et viennent Un séminaire chez les moines vignerons, au large de Cannes au large de la croisette, loin du show-business et des paillettes, les voyageurs d’affaires en quête de sérénité peuvent se réfugier dans un havre de paix insoupçonné : l’abbaye de Lérins. A quelques encablures de Cannes (Alpes-Maritimes), l’île SaintHonorat accueille une congrégation de moines issus de l’ordre cistercien, qui promeut le travail comme valeur cardinale. En plus de la prière, la vingtaine de religieux, qui composent la communauté, mène de front plusieurs affaires. Depuis le Moyen Age, la congrégation cultive la vigne sur environ 8 hectares, produisant plus de 35 000 bouteilles de vin par an. Plus récemment, la congrégation s’est lancée dans l’hôtellerie et l’accueil de séminaires d’entreprises. Tout le confort est prévu pour les par- ticipants : restauration, coffrets cadeaux, location de salles bien équipées… Entre deux réunions, les salariés peuvent se détendre, en participant à une excursion en mer ou à une dégustation de vins. « Le modeste snack self-service qui sert des sandwiches est devenu, en quelques années, un restaurant gastronomique renommé, où l’on sert, au menu, langoustes, champagne et vins onéreux », souligne un audit réalisé en 2014 par le cabinet de conseil maritime Belda. Une affaire qui marche. Les activités de l’abbaye génèrent près de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, selon Belda. L’essentiel vient de son vignoble réputé dans le monde entier – jusqu’à 250 euros la bouteille – et de sa compagnie de navigation. Depuis 1988, la congrégation a le monopole sur la liaison ma- ritime qui dessert l’île, dont elle est propriétaire. Une situation qui fait grincer des dents les compagnies locales. L’abbaye de Lérins s’est vu attaquée en justice par Trans Côte d’Azur, qui contestait ce monopole. En 2014, la Cour de cassation a finalement validé le monopole dont bénéficie la congrégation. Risque de surfréquentation Alors que l’abbaye continue à faire appel aux dons, où va l’argent gagné par les moines ? En plus de l’entretien courant de l’île, une bonne partie a été réinvestie dans le développement des activités commerciales et l’achat de nouveaux bateaux, d’après le rapport du cabinet Belda. Mais c’est surtout la restauration du monastère fortifié, un chantier titanesque qui devrait s’achever en 2017, qui grève le budget des religieux. Hors fonds de soutien publics et privés, la congrégation estime qu’il restera, à sa charge, au moins 20 % d’un budget de travaux estimé à plus de 4,5 millions d’euros. Critiqués sur leur business et le risque de surfréquentation de l’île, les moines ont récemment mis un frein à l’accueil de séminaires pour se recentrer sur la spiritualité. « Nous réfléchissons, depuis un an, sur notre économie. Nous ne sommes pas encore arrivés à une conclusion définitive », précise l’abbé Vladimir Gaudrat, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions. Les voyageurs d’affaires peuvent néanmoins se rabattre sur un lieu tout aussi inattendu, situé à quelques encablures, sur l’île Sainte-Marguerite : le fort qui a servi de prison à l’homme au masque de fer. p c. q. dossier | 7 0123 MARDI 22 MARS 2016 considérablement diluer l’offre », constate M. Zanon. « La clientèle internationale est de plus en plus exigeante, reconnaît Sophie Lacressonnière, directrice marketing d’Atout France. Les Britanniques, par exemple, connaissent très bien l’offre affaires et sont en attente de nouvelles propositions. » D’autres métropoles ont su proposer des offres clés en main aux entreprises et aux organisateurs d’événements, incluant accueil, transports, restauration… à des tarifs très concurrentiels. « Singapour et Barcelone ont mené une politique offensive, offrant des subventions aux organisateurs d’événements », observe M. Rosy. Paris est en tête des capitales comptant le plus de congrès… … mais enregistre la progression la plus faible depuis 2000 FAUTE DE STRUCTURES ADAPTÉES, DEUX SALONS IMPORTANTS ONT QUITTÉ PARIS POUR HANOVRE ET MILAN % DE PROGRESSION ENTRE 200 ET 2014 NOMBRE DE CONGRÈS ACCUEILLIS EN 2014 + 250 % CANNES DÉTRÔNÉE PAR BARCELONE Illustration de cette perte de vitesse : le départ du plus grand congrès de téléphonie mondial de Cannes en 2006 au profit de Barcelone. Le glamour de la Croisette n’aura pas suffi à retenir le Mobile World Congress, qui lui a préféré le dynamisme de la capitale catalane. « Nos capacités d’accueil se sont révélées insuffisantes pour recevoir un événement de cette ampleur », confie Isabelle Gainche, directrice commerciale du Palais des festivals et des congrès. Vieillissants, la plupart des centres de congrès français ont plus de 30 ans et n’ont pas une taille suffisante pour accueillir les grands congrès internationaux. Avec deux parcs d’expositions de plus de 100 000 m², la France fait pâle figure à côté de l’Allemagne et de ses huit méga parcs de même envergure. Faute de place, Paris a perdu le Salon de la machine-outil (EMO) et le Salon de la machine textile (ITMA), deux gros salons tournants, au profit de Hanovre et Milan. Problème de taille, mais pas seulement. « C’est aussi une question d’image, souligne Perrine Edelman, directrice adjointe de la société de conseil Coach Omnium. Barcelone mise sur sa réputation de ville jeune et dynamique. » Comme dans bien d’autres domaines, le centralisme jacobin freine les velléités de développement des métropoles régionales. « Pour être une destination d’affaires mondiale, il faut avoir une certaine aura internationale et être bien desservi en termes de transports, poursuit Mme Edelman. En dehors de Paris, peu de villes françaises offrent ça ; seule Nice possède un aéroport international. » Paradoxalement, c’est sa relative petite taille qui fait le succès de Vienne auprès des organisateurs d’événements. Idéalement située au cœur de l’Europe, la capitale autrichienne concurrence Paris depuis des années dans le classement ICCA. La ville sait communiquer sur ses atouts, mettant en avant ses infrastructures bien reliées en métro et ses nombreux hôtels business, relativement bon marché par rapport à Paris. « Sur une ville de taille moyenne comme Vienne, il est aussi plus facile de mobiliser tous les acteurs de la filière autour d’un événement, par exemple pour mettre en place sur tout le territoire une signalétique adaptée », ajoute M. Rosy. Afin de mieux accueillir ses visiteurs, Vienne s’est lancée dans la construction d’une nouvelle gare centrale et a mis en place la gratuité des transports pour les congressistes. + 220 % + 348 % + 225 % + 171 % + 96 % + 104 % + 115 % + 174 % + 112 % 214 202 200 193 182 166 142 133 130 118 PARIS VIENNE MADRID BERLIN BARCELONE LONDRES SINGAPOUR AMSTERDAM ISTANBUL PRAGUE Les plus grands salons professionnels organisés en France NOMBRE DE PARTICIPANTS, EN 2014 1 508 899 AUTOMOBILE 806 311 AGRICULTURE AÉRONAUTIQUE ET ESPACE 739 369 336 186 MAISON ET OBJET NAUTISME 307 652 ALIMENTATION 303 648 BÂTIMENT DÉVELOPPER DES OFFRES CIBLÉES 285 503 RESTAURATION ET HÔTELLERIE 236 802 HABILLEMENT 220 399 AGRICULTURE ET ÉLEVAGE 218 872 La France accueille de moins en moins de congressistes NOMBRE DE CONGRESSITES ACCUEILLIS 365 338 289 039 264 156 EN 2014 233 075 199 100 UNE HÔTELLERIE CHÈRE ET SATURÉE A l’inverse, les transports et l’hôtellerie sont deux gros points noirs en France. A 252 euros la nuitée en moyenne, les hôtels parisiens sont les plus chers d’Europe, selon les estimations du cabinet PwC parues début mars. Les capacités aussi sont saturées. « A Nice, le taux de remplissage de nos hôtels atteint déjà les 68 % hors période de congrès », constate M. Zanon. L’accueil et la propreté ne sont pas non plus à la hauteur des attentes de la clientèle d’affaires. Inquiets d’entendre les visiteurs japonais se plaindre de la saleté de Paris, des tour-opérateurs nippons se sont même lancés dans une grande opération de nettoyage des jardins du Trocadéro, le 13 mars… Ce sont toutefois les répercussions des attentats de l’an dernier que les professionnels craignent le plus. « Sur le Salon de l’agriculture, on a constaté une baisse sensible de la fréquentation en ce début d’année », s’inquiète Michel Dessolain, directeur général de l’exploitant Viparis, qui gère les principaux parcs de congrès et d’exposition d’Ile-de-France. Preuve de l’ampleur du problème, le ministre des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault a annoncé début mars le déblocage d’une enveloppe de 2,5 millions d’euros pour lancer une campagne de communication destinée à rassurer la clientèle internationale. Mais la donne évolue. L’échec de Paris à la candidature des Jeux olympiques de 2012 a joué le rôle d’électrochoc. Les grandes métropoles françaises mènent désormais une politique offensive pour séduire la clientèle internationale. A Toulouse, Strasbourg, Nancy… aux quatre coins de la France, les villes agrandissent et rénovent leurs parcs de congrès. En 2015 a débuté le chantier pharaonique du parc des expositions de la porte 155 541 EN 2000 220 405 312 548 223 140 626 410 ESPAGNE de Versailles, à Paris, pour un coût estimé à 500 millions d’euros. L’objectif est d’en faire le plus grand centre de congrès d’Europe d’ici à 2017. « On a aussi mis en place une “politique du sourire” pour sensibiliser nos collaborateurs à l’accueil sur nos parcs », fait valoir M. Dessolain. Côté transports, les professionnels franciliens misent sur le projet de liaison express entre Paris et l’aéroport Charles-de-Gaulle, qui devrait voir le jour en 2023, et l’ouverture d’une ligne de métro pour améliorer l’accessibilité du parc des expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis). Même effort d’investissement à Cannes, où le mythique Palais des festivals vient d’achever sa modernisation, avec la création d’une nouvelle salle et le remplacement des 2 300 fauteuils de l’auditorium. A l’approche du marché du film du Festival de Cannes, le maire, David Lisnard, communique sur la sécurité et son plan communal de prévention du terrorisme, s’appuyant sur l’audit d’un ancien général israélien. Sa voisine niçoise mise, elle, sur la rénovation de son palais des congrès Acropolis, achevée en 2015, et le projet de futur parc des expositions, un bâtiment de 75 000 m² situé à deux pas de l’aéroport. « On a aussi mis en place une charte pour mieux travailler avec les acteurs locaux de la filière et encadrer les tarifs des hôtels en période de congrès », fait valoir M. Zanon. ALLEMAGNE FRANCE ROYAUME-UNI ÉTATS-UNIS SOURCES : CLASSEMENT ICCA 2014, RAPPORT ICCA « THE ASSOCIATION MEETINGS MARKET » INFOGRAPHIE : MARIANNE BOYER Mais toutes les villes n’ont pas les moyens de leurs ambitions. « Pour attirer la clientèle d’affaires internationale, on a vu des élus locaux se lancer dans des projets de centres de congrès disproportionnés », pointe Mme Edelman. Le taux moyen de remplissage de ces équipements s’élève à seulement 40 % à 50 %. « Si les dessertes en transports et l’offre hôtelière ne suivent pas, ces infrastructures se révèlent difficiles à rentabiliser », poursuit Mme Edelman. L’évolution de la demande donne toutefois une chance aux métropoles régionales capables de proposer une offre originale et bien positionnée. « Aujourd’hui, la clientèle chinoise s’intéresse à l’œnotourisme, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années », constate Mme Lacressonnière. A Bordeaux, les agences événementielles jouent la carte du vin pour attirer les séminaires d’entreprises, avec un certain succès. En Rhône-Alpes, Lyon mise sur ses pôles de compétitivité dans les domaines du transport et du numérique pour séduire les organisateurs d’événements. Malgré leurs efforts, les métropoles françaises se retrouvent vite confrontées à des limites structurelles en matière de transports et d’équipements. Alors que la capitale arrive à saturation, le nouveau souffle au tourisme d’affaires viendra peut-être du Grand Paris et de la réorganisation des régions. p D’Airbnb à Uber, les plates-formes collaboratives passent à l’offensive les professionnels du tourisme n’ont pas fini de subir l’assaut d’Uber et d’Airbnb. Désireuses de se tailler une part du gâteau du lucratif marché du tourisme d’affaires, ces célèbres plates-formes d’échanges entre particuliers développent à leur tour des offres à destination des entreprises. Fin juillet 2015, le site de location d’appartements Airbnb a officiellement lancé son programme Business. Pour séduire les entreprises désireuses de loger leurs employés à moindre coût, l’entreprise californienne leur propose des solutions de facturation sur mesure, ainsi que la possibilité de réserver des lieux atypiques pour leurs séminaires : lofts, villas… Au niveau mondial, cette division connaît une croissance de 700 %, selon Airbnb. Uber lorgne aussi du côté de la clientèle d’affaires. L’application de transport s’est positionnée depuis la fin 2014 sur les trajets professionnels, proposant des options de gestion spécialisées. Selon la plateforme, 200 000 entreprises dans le monde utilisent ses services. La demande explose : d’après les données du gestionnaire de voyages d’affaires Certify, pour la première fois lors du dernier trimestre de 2015, ses clients ont davantage choisi Uber (41 %) que les taxis traditionnels (20 %) et la location de voitures (39 %). Les Français se positionnent « Par goût ou pour des raisons économiques, les professionnels n’hésitent plus à se tourner vers les plates-formes collaboratives, constate Matthieu Rosy, directeur général de l’Union française des métiers de l’événement (Unimev). Sur certaines destinations, comme Paris, ces structures pallient les sous-capacités hôtelières ou le manque de taxis. » Aux côtés des deux géants de l’économie collaborative, des acteurs français entendent aussi profiter de la manne. En France, la plate-forme de réservation de billets Captain Train vient de lancer son offre en direction des entreprises, Captain Train For Business. Née en 2013, la plate-forme Bird Office propose quant à elle aux entreprises de louer leurs bureaux et leurs espaces de réunion inoccupés. La start-up a réalisé un chiffre d’affaires de 1,3 million d’euros en 2015, contre seulement 75 000 euros l’année précédente. Autre exemple : sur le segment de l’hébergement, l’entreprise française MagicStay (anciennement MagicEvent) entend, de son côté, concurrencer Airbnb. En plus de la location de logements meublés à destination des voyageurs d’affaires, cette plate-forme née à Grasse en 2014 propose des services de conciergerie : pressing, massage… En septembre 2015, la jeune pousse, qui compte déjà une vingtaine de salariés, a levé 1,5 million d’euros pour poursuivre son développement. « L’offre de ces plates-formes demeure peu adaptée à l’accueil de groupes, nuance toutefois Michel Dessolain, directeur général de Viparis. Par ailleurs, les lieux d’hébergement proposés sont parfois éloignés des centres de congrès. » Autre point noir, la sécurité : selon une enquête réalisée par le groupe américain Carlson Wagonlit Travel (CWT), près de 30 % des voyageurs d’affaires interrogés craignent les risques de fraude et les problèmes liés à l’assurance sur les plates-formes collaboratives. Autant d’obstacles qui restent à franchir pour ces acteurs afin de conquérir le marché des professionnels. p c. q. PAROLES D’EXPERTS Emploi En partenariat avec DOSSIER RÉALISÉ PAR M PUBLICITÉ > ALTERNANCE < Une stratégie de pré-recrutement L’alternance qui englobe l’apprentissage et les contrats de professionnalisation est désormais considérée par les spécialistes comme l’une des voies les plus eficaces d’insertion des jeunes dans le monde du travail. Si cette ilière a conquis ses lettres de noblesse elle est paradoxalement en stagnation, victime de politiques parfois contradictoires. Les directions des ressources humaines sont unanimes dans l’éloge : l’apprentissage, l’alternance, les contrats de professionnalisation, l’ensemble des formules qui permettent de se former tout en ayant un pied dans l’entreprise sont une voie royale, une ilière d’excellence, un vivier de futurs CDI. « Les alternants sont un élément stratégique de notre politique de recrutement. Nous avons prévu de signer 2000 contrats en 2016. Ils seront pour la moitié d’entre eux transformés en CDI au terme du cursus. Cette stratégie est un ensemble totalement intégré dans celle de la société. Nos alternants ne sont pas laissés sans accompagnement. Ils sont considérés comme appartenant aux équipes de la banque » explique Nadia Guermazi-Renucci Responsable du recrutement, de la mobilité et de la formation chez BNP Paribas où l’alternance est un parcours balisé depuis plus de 20 ans et où la cohérence entre le cursus, le projet professionnel et la ilière de formation est particulièrement scrutée. Les alternants sont appréciés pour leur maturité et leur engagement Ce constat très favorable des professionnels ne se retrouve malheureusement pas encore dans les chiffres globaux de l’alternance en France. Selon le ministère du Travail qui compile les statistiques en la matière, les contrats d’apprentissage et d’alternance sont en recul : il n’y a pas beaucoup plus de 250 000 jeunes dans ces dispositifs. Une situation cruelle face aux objectifs oficiels qui ixent la mire à 500 000 contrats effectifs à la in 2017. Si cette ambition n’est pas utopique, elle est sérieusement compliquée par les divagations iscales du gouvernement dans cette affaire mais aussi par le coût toujours plus élevé de certaines formations notamment dans les grandes écoles d’ingénieurs ou de gestion. Une situation qui ne surprend pas nos experts. « C’est souvent vrai pour les formations généralistes. Mais pour nos métiers qui sont en situation de pénurie de talents, le frein inancier de la taxe d’apprentissage n’existe pas. Tout simplement parce que nous manquons en réalité de postulants en capacité d’être considérés par nos clients qui exigent des diplômés d’écoles du groupe 1 ou de master 2 très pointus. Nous sommes donc prêts à investir dans ces formules. En revanche nous sommes entravés par l’inadaptation des modes d’alternance dans le temps de certaines grandes écoles par rapport à nos exigences professionnelles » souligne Marlène Escure Responsable du recrutement de GFI, une société de services informatique qui prévoit 1800 recrutements cette année dont 220 alternants et qui déplore la confusion des rythmes d’alternance entre les formations académiques et professionnelles. Certaines filières autorisent des rotations hebdomadaires, d’autres mensuelles ou à la carte… Autant d’obstacles à surmonter pour remplir l’objectif légal d’un quota de 5 % d’alternants parmi le personnel. Ce ratio n’est en réalité facilement tenu que dans les grands groupes industriels où l’apprentissage est une tradition historique comme Michelin, la SNCF ou EDF. Dans cette famille d’entreprises, l’alternance diplômante qui est répartie entre les CAP, les Bac pro et les Bac +3 et Bac +5, les alternants et les CDD en contrats de professionnalisation sont généralement bien pourvus. Avec toutefois là aussi des options qui restent orphelines de candidats : la maintenance, le génie électrique ou la chaudronnerie n’attirent pas sufisamment de postulants. Peut-être à cause des exigences de ces formations : il s’agit de combiner formation académique et apprentissage professionnel. Une combinaison qui impose beaucoup de travail et un gros investissement personnel. Les enseignants évaluent leurs élèves et leurs capacités à réussir des études sanctionnées par un diplôme. L’entreprise et les managers dont dépendent les alternants jaugent les capacités à bien tenir le rôle de salarié. « Nous insistons plus sur le savoir être que sur les compétences techniques qui sont censées être acquises. Ce sont les capacités d’écoute, de diagnostic, d’esprit d’initiative qui priment. On systématise désormais les tests d’expression écrite en français avec un coeficient éliminatoire. C’est indispensable car en in d’alternance nous faisons une proposition de recrutement à 80 % de nos alternants. » explique Fabrice Losson, Directeur des relations écoles et marque employeur de Sopra Steria une ESN qui recrute 2500 jeunes diplômés Bac +5 par an, et qui a doublé le nombre de ses alternants en 4 ans. Une société de service informatique qui embarque par ailleurs avec beaucoup de succès en contrat de professionnalisation qualifiante des candidats issus de filières scientifiques comme la chimie, les mathématiques ou la physique qui sont en butée de ces parcours initiaux. Nadia Guermazi Renucci Responsable Recrutement, Mobilité interne et Formation BNP Paribas « L’alternance est une vielle histoire pour notre banque. Nous y sommes attachés depuis plus de 20 ans. Ce qui nous permet d’avoir en interne plusieurs promotions de collaborateurs qui font la démonstration de son intérêt et des ouvertures qu’elle offre. En 2016, nous recevrons plus de 2000 alternants dont plus de la moitié devraient être recrutées au terme de leur parcours de formation. C’est pour nous un des courants qui alimente notre politique de recrutement et qui s’inscrit dans la stratégie de la banque. Tous nos postes d’alternance sont en ligne pour des proils qui se répartissent à égalité entre les Bac+3 et les Bac+4/5. Mais nous avons aussi des offres de formations diplômantes via le Centre de formation professionnel bancaire reconnu par l’État après Bac+3. Cela offre des qualiications identiques à un Master 2 avec l’avantage d’une sérieuse expérience bancaire. Nous sélectionnons essentiellement sur CV et lettre de motivation développant le projet professionnel. Ce qui impose aux candidats de la cohérence entre le cursus, l’école ou l’université et le projet personnel. Une fois qualiié, le processus s’enclenche par un premier entretien avec un opérationnel puis les services RH qui évaluent les capacités d’adaptation du candidat et la faisabilité matérielle de l’alternance : logement, ressources etc. » les ilières du numérique sont en pénurie d’alternants Cette ouverture à des profils moins formatés est un des points forts de l’alternance. Crédit Agricole SA qui maintient un volume de 3500 contrats d’alternance depuis le niveau L1 jusqu’à M2 et aux écoles de gestion et d’ingénieurs insiste beaucoup sur la diversité des talents à attirer : « nous avons depuis 2013 des tests cognitifs destinés à favoriser la diversité de nos alternants. Ce qui nous a aussi permis de faire émerger des centres de formation, des écoles et des universités avec qui nous n’avions pas de liens traditionnels. L’objectif premier est de les conduire au succès académique pour qu’ils aient accès en priorité à nos postes dans le groupe. Au niveau M2 c’est un vivier de jeunes talents qui se constitue. On les encourage à se comporter comme des collaborateurs à part entière. Ils sont sur le marché de la mobilité interne et de nos 120 métiers différents. » souligne Lucie Nicolas Responsable recrutement groupe au sein de Crédit Agricole SA. Pour les candidats, ces contrats qui sont aujourd’hui bien encadrés, très professionnalisés, sont, en particulier dans les régions et les filières pénuriques, les meilleurs accélérateurs d’intégration dans le monde du travail. L.PM Lucie Nicolas Responsable recrutement Groupe CRÉDIT AGRICOLE SA « Nous offrons cette année encore le même volume de contrats, 3500, aux candidats à l’alternance. Le spectre est ouvert dès le niveau L1 jusqu’à M2 ainsi qu’aux grandes écoles ingénieurs et commerce. Une moitié de ces postulants seront orientés vers la banque de réseau, l’autre vers les 120 métiers de toutes natures qui sont pratiqués dans nos 35 marques commerciales. Très concrètement, nous intégrons ces collaborateurs dont les missions d’alternance vont de 12 à 36 mois dans des viviers qui sont autant d’accompagnement pour entrer dans la vie professionnelle. Notre volonté c’est qu’ils soient membres de la communauté et que l’image trop igée de la banque auprès des jeunes diplômés évolue. C’est particulièrement vrai pour les candidats potentiels issus de la diversité. Depuis 2013 nous avons installé des tests cognitifs pour favoriser leur détection et l’émergence d’écoles moins formatées qui ont échappé aux radars. Nous procédons aussi à des opérations « speed dating » dont l’aspect moins formel permet de faire tomber certaines barrières. Une fois sélectionnés, nous encourageons nos alternants - ils représentent plus de 5 % des collaborateurs et beaucoup plus encore à la Holding- à se comporter comme des collaborateurs à part entière. Ils doivent se sentir partie prenante du marché de la mobilité interne de l’entreprise. » Marlène Escure Responsable recrutement France GFI Informatique « Nous avons un plan de recrutement de 1800 personnes pour l’exercice à venir. 220 d’entre eux bénéicieront de contrats d’alternance. Nos critères de sélection sont désormais assez bien cernés : en premier lieu l’école, selon les métiers. C’est ainsi que dans le conseil nous sommes axés sur les établissements de rang 1. Ensuite, la maturité des postulants au regard de leur projet professionnel et enin leur capacité à sortir du système académique et leur agilité intellectuelle et sociale. Il faut en effet dans les nouvelles activités comme le Big Data ou les projets Informatique et Telecom être non seulement bien formé mais aussi très ouvert aux mutations rapides. Les alternants et les stagiaires représentent au total 33 % des effectifs recrutés. Le frein financier de la taxe d’apprentissage n’existe pas pour nous, c’est au nombre insufisant de candidats en phase avec nos projets et à des rythmes d’alernance qui ne sont pas toujours bien adaptés à nos exigences professionnelles que nous sommes confrontés pour progresser. » Fabrice Losson Directeur Relations écoles et Marque employeur SOPRA STERIA Les C hiffres 500000 1000 44% nombre de contrats attendus par les pouvoirs publics fin 2017. des postulants ont un diplôme Bac et niveau supérieur. € montant de la prime à laquelle peut prétendre une entreprise de moins de 250 salariés pour chaque apprenti. + de 300 offres en Alternance disponibles sur Emploi www.lemonde.fr/emploi en partenariat avec « Notre entreprise fonctionne avec un business model qui fait une très large part aux jeunes diplômés : nous recruterons cette année 2 500 CDI opérationnels dont 300 alternants via la ilière diplômante. En terme de volume de contrats d’alternance cela signiie que nous avons réussi à doubler le nombre des étudiants accueillis en 4 ans. Néanmoins, cela ne nous permet pas de remplir nos obligations légales de 5 % d’apprentis ou d’alternants. Cet objectif est de fait, très exigeant au regard du nombre de nos embauches annuelles. Mais nous sommes déterminés à poursuivre dans cette voie car cette formule est particulièrement appréciée : les alternants sont extrêmement matures et déterminés. Nos cibles prioritaires sont les jeunes diplômés Bac+5 issus des écoles d’ingénieurs, des écoles de gestion pour le consulting et des écoles spécialisées en informatique. Cela dit, nous ouvrons nos contrats dés Bac+3, notamment aux licences Pro informatique mais aussi aux chimistes, physiciens ou mathématiciens pour les accompagner jusqu’au niveau Master 2. Dans ce cadre, nous insistons beaucoup sur le savoir être, la capacité d’écoute, de diagnostic ou d’initiative. En in d’alternance nous faisons en moyenne une proposition à 80 % de nos alternants. » RDV LUNDI 11 AVRIL COMMERCIAUX REPRODUCTION INTERDITE MARDI 22 MARS 2016/LE MONDE/9 LES OFFRES D’EMPLOI DIRIGEANTS - FINANCES, ADMINISTRATION, JURIDIQUE, R.H. - BANQUE, ASSURANCE - CONSEIL, AUDIT - MARKETING, COMMERCIAL, COMMUNICATION SANTÉ - INDUSTRIES & TECHNOLOGIES - ÉDUCATION - CARRIÈRES INTERNATIONALES - MULTIPOSTES - CARRIÈRES PUBLIQUES Retrouvez toutes nos offres d’emploi sur www.lemonde.fr/emploi – VOUS RECRUTEZ ? M Publicité : 01 57 28 39 29 [email protected] Missions principales • coordonner et développer les enseignements des filières relatives à l’ingénierie des systèmes d’information et de décision ; • développer des activités de recherche, de montage de projet et d’encadrement doctoral ; • mettre en œuvre une politique de difusion de la culture scientifique et technique sur les enjeux de l’informatique d’entreprise ; • coordonner et développer les activités de son domaine dans les centres Cnam en région. Profil recherché • avoir occupé dans le domaine concerné un poste de direction dans une entreprise importante ou dans l’enseignement supérieur ; • posséder une expérience pédagogique significative dans l’enseignement supérieur pour un public adulte ; • posséder une HDR (habilitation à diriger des recherches) est un plus ; • démontrer sa capacité de pilotage d’actions dans les domaines de la formation et de la recherche ; • avoir publié ou dirigé des ouvrages et articles de recherche significatifs et reconnus. Le Conservatoire national des arts et métiers est un établissement public d’enseignement supérieur à caractère scientifique, culturel et professionnel. Il est organisé en réseau, dont le siège est à Paris. La diversité et la richesse des équipes du Cnam dotent l’établissement d’un large spectre de compétences, couvrant pratiquement tous les champs professionnels, des sciences de l’ingénieur aux domaines de l’économie, de la gestion et des sciences sociales. Contact Isabelle Wattiau [email protected] Tél. 01 58 80 87 14 Candidature à adresser au plus tard le 23 avril 2016 inclus, le cachet de la poste faisant foi, à l’adresse suivante : DRH - Service des personnels enseignants Recrutement PRCM Ingénierie des systèmes d’information 292, rue Saint-Martin – Case courrier 4DGS03 75003 Paris © S. Villain, Cnam production Homologué par le Ministère de l’Education Nationale, afilié à la Mission Laïque Française, localisé sur 5 campus dans les comtés de Los Angeles et d’Orange recherche Directeur académique le proil du poste et les modalités de candidature sont disponibles au lien suivant : http://goo.gl/xAk2C1 www.internationalschool.la La SATT PULSALYS recrute son : Président (h/f) Les Sociétés d’Accélération du Transfert de Technologies (SATT) ont été créées à l’initiative du Programme des Investissements d’Avenir. La SATT PULSALYS est une Société par Actions Simplifiée (SAS) dont les actionnaires sont l’Université de Lyon, le CNRS et la Caisse des Dépôts. Son activité consiste à investir sur des projets de valorisation de résultats de recherche de ses actionnaires pour les protéger au travers de la Propriété Intellectuelle et apporter la preuve de concept au travers d’une phase de développement technologique (maturation). PULSALYS peut ensuite commercialiser cette Propriété Intellectuelle à des entreprises à travers des licences d’exploitation. Dans le cadre de la valorisation et la promotion des innovations, PULSALYS accompagne la création des start-ups à travers son incubateur Le Président exécutif aura la charge d’élaborer et d’organiser la mise en œuvre de la stratégie et des activités de la société et de pourvoir aux moyens humains et financiers pour les réaliser, conformément au plan d’affaires approuvé par le Conseil d’Administration. Président de la société et mandataire social, c’est un manager confirmé qui possède une solide expérience de direction de structure (entreprise ou autre) et des relations public/privé dans le domaine du transfert de technologies. La fonction exige : • La maîtrise du rôle de manager dans ses aspects organisationnels et relationnels (équipe pluri disciplinaire d’environ 30 personnes), • La capacité de concevoir, négocier et piloter des projets, • La capacité à fédérer et à évoluer dans un environnement complexe, • La maîtrise des budgets et le développement du plan d’affaires, • Une connaissance du milieu de l’entrepreneuriat, de l’in- novation et de la recherche, en milieu académique et industriel, • Une expérience des mécanismes de protection de la propriété intellectuelle, de leur transfert au monde socioéconomique (licensing, start-up) ainsi que des modalités de financement. Profil : F/H de formation supérieure, possédant une expérience de plusieurs années dans la direction de structure, l’animation de réseaux de partenaires publics et privés et une expérience à l’international. À l’aise dans les négociations en français comme en anglais, elle/il maîtrise les techniques de gestion économique et financière et possède des qualités relationnelles et de communication ainsi qu’une grande capacité d’adaptation. Une attention particulière sera attachée à l’expérience de management d’équipes hautement spécialisées et de petites tailles. La rémunération sera fonction du profil et de l’expérience. Le poste est basé au siège social de la SATT à Villeurbanne (campus Lyontech - La Doua). Candidature (lettre de candidature et CV) à adresser avant le 15 avril 2016 à Khaled Bouabdallah, président de l’université de Lyon à l’adresse suivante : [email protected] 1er quotidien des cadres et dirigeants avec 618 000 lecteurs Premium (+16% vs 2013)* Source AudiPresse Premium 2014, LNM Le Groupe Scolaire la Résidence de Casablanca, établissement partenaire de l’AEFE, homologué de la maternelle à la terminale, recrute pour la rentrée scolaire 2016/2017 : • Professeurs des écoles • Professeurs certiiés/agrégés • Titulaires ou non titulaires du MEN français • Professeurs documentalistes • Personnel de Direction Les candidats sont priés d’adresser leurs CV avec photo et lettre de motivation par email à l’adresse suivante : [email protected] www.gsr.ac.ma > Offres d’emploi Le Conservatoire national des arts et métiers recrute un professeur pour la chaire Ingénierie des systèmes d’information 10 | MÉDIAS&PIXELS 0123 MARDI 22 MARS 2016 L’« Uber économie » à la peine aux Etats-Unis Faute de rentabilité, les fermetures de start-up de services à la demande se multiplient outre-Atlantique san francisco - correspondance D ans les rues de San Francisco, les voitures arborant le drapeau rouge de SpoonRocket ont livré leur dernier repas. Mardi 15 mars, la start-up californienne a brutalement fermé ses portes. « Nous avons fait face à une intense concurrence et au resserrement des financements », ont expliqué ses dirigeants. Fondé en 2013 à Berkeley, de l’autre côté de la baie, SpoonRocket n’avait jamais gagné d’argent. Malgré 11 millions de dollars (9,7 millions d’euros) levés en 2014, les caisses étaient vides. Ces derniers mois, la société avait cherché de nouveaux investisseurs, mais n’a pu que constater « le manque d’intérêt des fonds de capital-risque pour les start-up de l’économie à la demande ». Aussi appelée « Uber-économie », en référence au service américain de voitures avec chauffeur (VTC), l’économie à la demande est un concept à la mode dans la Silicon Valley. De nombreuses jeunes pousses ont surfé sur cette vague pour mener d’importants tours de table. Le cabinet CB Insights compte plus de 200 sociétés dans ce secteur. En excluant Uber et son rival chinois Didi Kuaidi, elles ont levé 7,4 milliards de dollars en 2015. Nécessaire hausse des tarifs Ces sociétés promettent de répliquer le succès d’Uber dans d’autres secteurs. Courses, repas, ménage, pressing, parking et même massages… Tout ou presque est désormais accessible à la demande, en quelques clics seulement depuis un simple site Web ou une application mobile. « Cela ne représente encore qu’une petite portion de l’activité économique mais il existe un formidable potentiel de croissance sur de nombreux marchés », juge Arun Sundararajan, professeur à la Stern School of Business. Les sociétés doivent proposer un service bon marché et des rémunérations attractives. Une équation délicate Comme la populaire plateforme de VTC, ces start-up ont un important besoin de main-d’œuvre. Pour limiter leurs coûts, elles se sont construites autour du recours à des travailleurs indépendants : non salariés, ils sont payés à la tâche. Quelques dollars à chaque trajet ou livraison mais pas de protection sociale. Un modèle low cost qui devait permettre à ces services de ne pas être hors de prix tout en étant rentables. Depuis quelques mois, pourtant, les signaux d’alarme se multiplient. A l’été 2015, la société de ménage à domicile Homejoy avait été la première à faire faillite. Les causes étaient déjà les mêmes : une activité structurellement déficitaire et l’incapacité d’attirer de nouveaux investisseurs. Début février, la start-up Zirx a fermé son service de voituriers à la demande, invoquant une rentabilité trop difficile à atteindre. D’autres sociétés ont dû ajuster leur modèle. Elles ne veulent pas utiliser trop rapidement leur trésorerie dans un contexte de levées de fonds plus rares. DoorDash a ainsi abaissé les commissions versées à ses chauffeurs pour chaque repas livré. Shuddle, un service de VTC pour les familles et les enfants, a récemment augmenté ses prix de 20 %. L’exemple le plus symbolique est celui d’Instacart, qui se propose de faire les courses de ses clients dans le supermarché du coin. La start-up a levé 275 mil- Homejoy a été la première start-up californienne de service à la demande à faire faillite, à l’été 2015. JENS KALAENE/PICTURE-ALLIANCE/DPA/AP lions de dollars et est valorisée à 2 milliards de dollars. Fin 2015, elle a d’abord revu ses tarifs à la hausse, la livraison passant de 4 à 6 dollars. Elle a également licencié douze recruteurs. Ce mois-ci, elle a nettement abaissé les commissions versées à ses collaborateurs indépendants. « C’est une crise de croissance, estime M. Sundararajan. La technologie et la demande existent. Il s’agit maintenant de trouver le bon modèle. » Les sociétés de l’économie à la demande perdent encore beaucoup d’argent. L’équation est délicate à résoudre. D’un côté, elles doivent proposer un service bon marché afin d’atteindre leur taille critique. De l’autre, elles doivent offrir des rémunérations attractives pour recruter puis conserver leur main-d’œuvre. Chez Instacart, six livraisons sur dix s’effectuent ainsi à perte : leur coût direct est supérieur au prix facturé au client. A cela, il faut ajouter tous les autres frais de la société : les salaires des employés, notamment des ingénieurs, les dépenses de marketing pour attirer de nouveaux adep- Le patron de Telecom Italia jette l’éponge sous la pression de Vivendi Le mandat de l’Italien Marco Patuano courait jusqu’à avril 2017 rome - correspondant P as à pas, Vincent Bolloré, le patron de Vivendi, impose sa stratégie et ses hommes en Italie. Devenu, à travers sa société, le premier actionnaire de Telecom Italia, avec 24,9 % du capital, le Breton est parvenu à placer quatre de ses proches au conseil d’administration du premier groupe de télécommunication transalpin, en décembre 2015. Il est en passe désormais d’obtenir la tête du directeur général, Marco Patuano. Tout le week-end, les rumeurs d’un départ imminent de ce dernier ont bruissé. Selon l’AFP, l’administrateur délégué de Telecom Italia aurait remis sa lettre de démission samedi 19 mars. « Les Français de Telecom Italia licencient Patuano », a titré dimanche 20 mars le journal Il Fatto quotidiano. Lundi matin, le groupe a confirmé, à la demande de la Consob, le gendarme italien de la Bourse, que des « négociations » étaient en cours sur « la suspension des mandats » de M. Patuano. L’officialisation de son départ pourrait avoir lieu lors d’un conseil d’administration extraordinaire, lundi ou mardi. Le partant recevrait une indemnité de 7 millions d’euros. Depuis que Vivendi a pris les commandes de Telecom Italia en se présentant comme « un partenaire de long terme », les jours de M. Patuano – entré dans la société en 1990 et qui en était devenu administrateur délégué en 2008 – étaient comptés. M. Bolloré demandait « une discontinuité » dans la gestion de l’opérateur qui, en 2015, a affiché des pertes de 72 millions d’euros contre 1,2 milliard de bénéfices l’année précédente. Le plan d’économies de 600 millions d’euros pour la période 2016-2018 présenté par M. Patuano a été jugé trop modeste par les actionnaires, qui réclament 1,2 milliard de coupes supplémentaires, selon le site du quotidien économique Il Sole 24 Ore. Contacts avancés avec Mediaset Des divergences stratégiques se seraient également fait jour entre le directeur général et ses nouveaux patrons. Le plan de relance imaginé par M. Patuano, dont le mandat courait jusqu’à avril 2017, prévoyait de concentrer les investissements (environ 12 milliards d’euros) sur le développement de l’Internet haut débit, un domaine – considéré comme stratégique – dans lequel l’Italie accuse un notable retard. L’Etat italien avait entériné cette stratégie en prévoyant de faire entrer la Caisse des dépôts transalpine, la Cassa depositi e prestiti, dans ce montage. Le plan d’économies de 600 millions d’euros aurait été jugé trop modeste par les actionnaires M. Bolloré a-t-il d’autres priorités ? Ses contacts très avancés avec Mediaset, le groupe de communication de Silvio Berlusconi, pour contrôler la chaîne payante Mediaset Premium, laissent supposer que Vivendi pourrait s’intéresser davantage aux activités de contenus qu’aux « tuyaux ». Le groupe a récemment acquis des parts de la société de production française Banijay Zodiak et, selon le quotidien Il Corriere della sera, serait sur le point de conclure ses négociations avec la société Cattleya. L’enjeu est de bâtir au plus vite un groupe en mesure de concurrencer Sky et Netflix. « Après des années de confusion au niveau de l’actionnariat, Telecom Italia a enfin un actionnaire de référence », analyse Il Fatto quotidiano. Matteo Renzi, le premier ministre, pourrait également soutenir les ambitions de l’industriel bre- tes, les campagnes de recrutement, les frais généraux… La situation est d’autant plus compliquée que des incertitudes juridiques pèsent aux Etats-Unis sur le recours aux travailleurs indépendants. Plusieurs procédures ont été lancées contre Uber, son rival Lyft, la plate-forme de livraison Postmates ou le service d’envoi de colis Shyp. Les plaignants estiment qu’ils auraient dû être considérés comme des salariés. Plusieurs start-up ont pris les devants, optant désormais pour un statut classique. Cela n’est pas sans risque. « Quand nous avons salarié nos collaborateurs, nos coûts se sont envolés, prévenait l’été dernier Maren Kate Donovan, fondatrice de Zirtual, sauvé in extremis de la faillite. Un employé coûte entre 20 % et 30 % de plus qu’un travailleur indépendant. » « Même si les coûts augmentent, l’économie à la demande restera plus efficace que le système traditionnel », rétorque M. Sundararajan. Il prédit ainsi le développement de clones d’Uber dans le domaine de la santé et de l’emploi. jérôme marin Pour Mark Zuckerberg, Pékin vaut bien un footing shanghaï - correspondance T ton, considérant désormais le premier actionnaire privé de la banque d’affaires Mediobanca comme un acteur incontournable. Le 7 mars, en conclusion du sommet franco-italien de Venise, le président du conseil avait paru donner son feu vert, saluant la possible « naissance d’un pôle européen » de télécommunications issue de la fusion entre Telecom Italia et Orange. En l’absence de directeur général, c’est le président de Telecom Italia, Giuseppe Recchi, qui prendra ses fonctions par intérim. Ce dernier, ex-président de l’ENI, affiche de très bonnes relations avec Vincent Bolloré, au contraire de M. Patuano, réputé trop à l’écoute des petits actionnaires qui se méfiaient de l’arrivée de Vivendi. Selon la presse italienne, Vivendi aurait déjà approché plusieurs hauts dirigeants. Parmi les noms cités, on trouve celui de Flavio Cattaneo, administrateur délégué du transporteur ferroviaire privé NTV, qui assure ne pas être intéressé par le poste, celui de Max Ibarra, l’actuel administrateur délégué d’un autre opérateur de téléphonie, Wind, celui de Corrado Sciolla, président de Bt Global Services Europe ou encore celui de René Obermann, ex-manageur de Deutsche Telekom. p out sourire devant le portrait de Mao, le fondateur de Facebook a annoncé son arrivée à Pékin vendredi 18 mars par la photo d’un footing sur la place Tiananmen. Ignorant la pollution comme l’histoire sanglante de la place centrale de la capitale chinoise, Mark Zuckerberg a voulu faire de son passage en Chine un nouvel épisode de son histoire d’amour avec le pays qui continue de bloquer l’accès au réseau social. Dimanche 20 mars, il a été reçu par Liu Yunshan, l’une des sept personnalités politiques les plus puissantes du pays. Il dirige la propagande chinoise depuis une quinzaine d’années et c’est de lui que dépend en grande partie la présence de Facebook en Chine. Et l’accès à ses presque 700 millions d’internautes. En 2015, Mark Zuckerberg s’était entretenu avec Xi Jinping quand le président « EH MARK, TU AS chinois avait visité la Silicon Valley. VU LES TANKS ? » La stratégie médiatique de Mark Zuckerberg est atypique. En affaires, le secret est UN UTILISATEUR habituellement de mise. D’autant plus en DE FACEBOOK Chine où la seule communication autorisée traite de ce qui est positif. Avant le PDG de Facebook, d’autres géants de l’Internet ont négocié leur présence en faisant profil bas. Zuckerberg, au contraire, multiplie les déclarations d’amour. Marié à une Américaine d’origine chinoise, il apprend le mandarin. Ses progrès sont commentés par les internautes chinois après chaque conférence qu’il a donnée en chinois. Cette fois-ci, lors d’une conversation avec Jack Ma, fondateur d’Alibaba, le plus grand groupe Internet de l’empire du Milieu, le fondateur de Facebook s’est cantonné à l’anglais. Suscitant une avalanche de commentaires, malgré un contenu assez décevant pour un échange entre ces deux entrepreneurs du Net. Pour l’instant, rien de concret côté chinois ne permet de savoir si le dossier Facebook avance. Mais Pékin n’hésite pas à utiliser Mark Zuckerberg pour sa propagande interne. Samedi, aux côtés du fondateur de Facebook, Liu Yunshan a souligné le succès du développement de l’Internet « avec des caractéristiques chinoises ». Ce que n’ont pas manqué de relever des « amis » de Zuckerberg, en commentant la photo du footing : « Eh Mark, tu as vu les tanks ? », ironise un utilisateur en référence à la répression du soulèvement étudiant de 1989. Voilà déjà un message que devra censurer Facebook pour entrer en Chine. p philippe ridet simon leplâtre