La demande d`assurance dépendance dans un cadre trivarié

Transcription

La demande d`assurance dépendance dans un cadre trivarié
La demande d’assurance dépendance dans un
cadre trivarié ∗
Franck Bien †
Arnold Chassagnon ‡
Manuel Plisson § ¶
1er avril 2011
Résumé
Private insurance for long-term care is underdeveloped in European
countries and in the US. This paper tries to understand why the market
is underdevelopped by using a theoretical approach and putting the emphasis on insurance demand. It shows that demand for long term care
insurance can be low because current and expected health condition of
individuals have a strong effect on wealth utility and thus insurance
demand. Individual preferences may lead some persons not to seek insure. The underdevelopped market of long-term care insurance might
not be only due to insurance supply, market failures, family impacts or
institutional design. It is analyzed as a direct consequence of individual
preferences.
Mots clés : dépendance, assurance dépendance, demande d’assurance
Classification JEL : I1, J-14, G-22
1
Introduction
La dépendance peut se définir comme la nécessité pour une personne âgée
de recourir à un tiers pour accomplir les actes simples de la vie quotidienne
(Duée & Rebillard 2004). Les études récentes montrent que la dépendance
s’accroı̂t fortement avec l’âge (Gisserot 2007). L’allongement de l’espérance
de vie est donc susceptible d’accroı̂tre la population dépendante ainsi que la
∗ Cette recherche a été financée en partie par la Chaire ”Risques et chances de la transition démographique”. Nous remercions la Chaire ”Risques et chances de la transition
démographique” pour son soutien. Nous remercions également Jérôme Wittwer ainsi que
les membres du Legos pour leurs remarques constructives. Les erreurs restantes nous incombent.
† LEDa, Université Paris Dauphine
‡ LEDa, University of Dauphine and Paris School of Economics
§ LEDa, Université Paris Dauphine
¶ Contact : [email protected]
1
demande de soins dépendance, même si cette augmentation est tempérée par
l’accroissement de l’espérance de vie sans incapacité (Gisserot 2007) (Duée &
Rebillard 2004). Pour les personnes à domicile, elle représente un coût moyen
de 1 800 euros par mois 1 . Pour les personnes en institutions, elle représente un
coût moyen de 2900 euros en Ile de France et de 2300 euros en province (RossoDebord 2010). Indépendamment de la perte de bien être occasionnée par la
survenance de cet état, la dépendance fait peser un risque financier conséquent
sur les personnes âgées. Face à ce risque financier, les revenus des retraités
sont la plupart du temps trop faibles et la couverture publique insuffisante.
L’éventualité d’une augmentation du nombre de personnes dépendantes ainsi
que d’une augmentation de la durée moyenne en dépendance suscite donc de
nombreuses inquiétudes, notamment en ce qui concerne l’équilibre des finances
publiques à long terme.
En dépit de ce risque financier important, le marché de l’assurance dépendance tarde à se développer. Les deux marchés les plus importants que sont la
France et les Etats-Unis connaissent des taux d’équipement évoluant entre 10
et 15% des plus de 60 ans alors que le taux d’équipement de la complémentaire
santé en France est de 86% pour l’ensemble de la population (HCAAM 2005).
Cette énigme de l’assurance dépendance (Kessler 2007) a suscité une importante littérature. Une partie de cette littérature explique ce faible taux
de couverture par une offre d’assurance incomplète, en raison d’un risque
agrégé intertemporel (Cutler 1993). Une autre partie de la littérature l’explique comme la conséquence d’asymétries d’information concernant le risque
dépendance au moment de la signature du contrat (?). Mais comme le remarquent Brown et Finkelstein, les arguments en termes d’offre ne suffisent
pas à expliquer ce paradoxe et il convient aussi de se demander s’il n’y a pas
des raisons qui pourraient condudire à une demande d’assurance dépendance
faible (Finkelstein & Brown 2007).
La littérature qui analyse les déterminants de la demande d’assurance
dépendance explique la faible demande d’assurance en se référant la plupart
du temps à des phénomènes exogènes aux préférences des individus. Citons
en particulier :
– Le rôle protecteur de l’Etat et l’effet d’éviction des politiques publiques ;
– Le rôle d’entraide de la famille et plus particulièrement celui des enfants
vis à vis leur parent dépendant qui se verrait diminué par la présence
d’une assurance dépendance.
La pertinence de ces explications semble toutefois limitée, notamment sur
le marché français (Plisson 2009).
Dans cet article nous abordons cette analyse de la demande d’assurance
dépendance en nous penchant plus particulièrement sur la structure des préférences individuelles des assurés potentiels. Notre intuition première est de
montrer que même un individu isolé 2 qui ne bénéficie pas de l’aide publique
peut avoir intérêt à ne pas s’assurer en raison de ses préférences individuelles.
1. Ce chiffre est issu de la direction générale de la concurrence, de la consommation et
de la répression des fraudes.
2. On fait abstraction des rapports intrafamiliaux dans la décision d’assurance.
2
Pour cela, nous nous sommes intéressés au rôle de l’état de dépendance
dans la déformation des préférences. Dans notre approche, le niveau d’autonomie influence la perception de la richesse. L’idée sous-jacente de notre
raisonnement est que le dépendant est un ”autre” et que par conséquent, il
présente des préférences conditionnelles à l’état de dépendance dans lequel il
se trouve.
La représentation d’usage est que la personne dépendante a subi une perte
de bien être. Cependant, il n’y a pas de réelle reflexion concernant le rôle
de la dépendance sur la consommation. En effet, une des incidences de la
dépendance est un choc sur les préférences de l’agent concernant la consommation. Il s’agit alors de s’interroger sur l’effet de la dépendance sur la consommation des biens, et, plus spécifiquement sur l’utilité marginale de la consommation.
Deux scenarios sont a priori possible. Soit la dépendance diminue l’utilité
marginale de l’agent, soit elle l’augmente. Dans le premier cas, un consommateur frappé par la dépendance aura tendance à voir l’utilité marginale de
sa consommation diminuer. Ainsi, si la structure des prix n’est pas modifiée,
il aura tendance à moins consommer des autres biens, ce qui lui laissera du
revenu pour acheter des services pour palier à sa dépendance. Dans le second
cas, si l’utilité marginale de la consommation augmente, l’agent frappé de
dépendance aura tendance à vouloir consommer plus des biens de consommation courante en même temps qu’il voudra des services l’aidant à palier sa
dépendance.
Autrement dit, si les dérivée croisées de l’utilité par rapport à la consommation et à l’état de dépendance sont négatives, la demande d’assurance sera
moins importante, car le choc de la dépendance sera tempéré par un désir
de moindre consommation. Au contraire, dans le cas de dérivées croisées de
l’utilité par rapport à la consommation positives, le choc de la dépendance
sera accru par un désir de consommation plus élevé.
Il paraı̂t assez intuitif de penser que la dépendance a un effet négatif
sur la consommation. L’objet de cette article, après avoir présenté le puzzle
de l’assurance dans le cadre français, est de reprendre plusieurs familles de
préférences, dans un cadre simple, afin de montrer que la demande d’assurance peut s’avérer faible, voire nulle avec une calibration adéquate.
La section 2 présente les caractéristiques du risque dépendance et les
données économiques concernant le marché français, permettant de comprendre
le puzzle évoqué dans l’introduction. La section 3 présente une revue de
littérature de la demande d’assurance dépendance et s’attache à démontrer
l’insuffisance des modèles existant pour expliquer la faible demande d’assurance. La section 4 étudie plusieurs modélisations de la demande d’assurance
dans un cadre considérant la richesse, la santé et la dépendance. La section 5
conclut.
2
Le risque financier de la dépendance
3
S’il ne s’agit pas seulement d’un phénomène économique, nous considérons
dans cet article la dépendance principalement comme un risque financier. Nous
laissons délibéremment de côté les aspects médicaux, sociaux ou psychologiques de la dépendance étudiés par de nombreux médecins, démographes et
sociologues. Après avoir défini le concept de dépendance et fourni des estimations sur le coût financier engendré par ce risque, nous montrons qu’en dépit
d’un reste à charge qui reste conséquent, le marché peine à se développer.
2.1
La dépendance en France
Le concept de dépendance utilisé en France n’est pas équivalent au concept
de Long Term Care tel qu’il est employé dans les pays anglophones. La
dépendance peut se définir comme la nécessité pour une personne âgée de recourir à un tiers pour accomplir les actes simples de la vie quotidienne (Duée
& Rebillard 2004). Alors que le concept de Long Term Care fait référence
au type de soins requis (les soins de longue durée) et non à un état de santé
ou de handicap. Autre spécificité française, le concept de dépendance est directement lié à l’âge, puisqu’il ne s’applique qu’aux personnes de plus de 60
ans. Les personnes de moins de 60 ans, présentant les mêmes caractéristiques,
sont considérées par les institutions publiques françaises comme des personnes
handicapées et non comme des personnes dépendantes. Alors que le concept
de Long Term Care n’est pas propre à une classe d’âge et s’applique à toute
personne qui requiert des soins de long terme.
C’est pourquoi, même si ces deux concepts sont proches, ils ne se recouvrent pas totalement ce qui rend difficile les comparaisons internationales.
Autre conséquence de cette distinction française entre la dépendance et le
handicap, les prestations publiques versées aux personnes handicapées sont, à
handicap égal, beaucoup plus généreuses que les prestations publiques versées
aux personnes dépendantes.
2.2
La population dépendante
Les difficultés rencontrées dans la définition de la dépendance se retrouvent
dans les classifications permettant de mesurer la population dépendante.
La principale grille de mesure de la dépendance en France est la grille
AGGIR (Autonomie Gérontologie Groupes Iso-Ressources). La grille AGGIR
détermine des groupes iso-ressources à l’aide de 15 critères d’éligibilité. Le GIR
1 est le plus fort niveau de dépendance et le 6 le plus faible. Lorsqu’on parle
de la population dépendante, on fait habituellement référence aux GIR 1 à 4.
Ces groupes GIR définissent donc des groupes de personnes qui demandent a
priori un même niveau de dépendance, même si les types de dépendance au
sein d’un même GIR peuvent être très différents. Cette grille est utilisée par
les pouvoirs publics afin d’attribuer l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie) mais également par de nombreux assureurs privés. Certains assureurs
utilisent également l’approche AVQ (Activités de la Vie Quotidienne) qui ne
4
En perte d’autonomie
Dépendant
Fortement dépendant
40-59
980,000 (5,8%)
156,000 (0,9%)
24,000 (0,1%)
60-79
1,400,000 (13,7%)
273,000 (2,7%)
61,000 (0,6%)
80+
661,000 (25%)
277,000 (11,2%)
62,000 (2,5%)
Total
3,041,000
706,000
229,100
Source : Dos Santos & Makdessi (2010)
Table 1 – Les personnes dépendantes à domicile (enquête HSM 2008)
se base pas sur des groupes nécessitant un même besoin d’aide mais sur la
capacité à réaliser des actes de la vie quotidienne.
Une première manière pour comptabiliser la population dépendante consiste
à recourir à des enquêtes nationales. La dernière enquête de ce type, l’enquête
Handicap Santé Ménage réalisée en 2008 évalue le nombre d’individus dépendants à domicile à 706 000 individus (Santos & Makdessi 2010). Cette enquête
ne recoure pas à une classification en GIR mais à 3 états : en perte d’autonomie, dépendant et fortement dépendant. Cependant, les résultats de l’enquête
Handicap Santé Institutions qui évalue le nombre d’individus dépendants en
institutions n’ont à ce jour pas été publiés. Par ailleurs, l’enquête EHPA estimait en 2007 à 551 880 personnes classés en GIR 1 à 4 (?). (Prévot, 2009).
Ainsi, même si les notions de dépendance et de GIR 1 à 4 sont sensiblement
différentes, on peut estimer à plus d’un million deux cent mille la population
dépendante globale. Le tableau 1 issu de l’enquête HSM montre que le nombre
varie fortement en fonction du critère de dépendance retenu. Sur la base des
projections réalisées à partir de l’enquête HID, la population dépendante serait d’environ 1 million de personnes en 2011 (Duée et Rebillard, 2006).
Une seconde manière de mesurer le nombre de personnes dépendantes
consiste à prendre en compte le nombre de personnes qui bénéficient de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA). En 2009, 1 117 000 personnes
bénéficiaient de l’APA (Debout et Lo, 2009). 61% des bénéficiaires vivaient à
domicile contre 39% en établissements de soins. La proportion de personnes
en GIR 4 (modérément dépendant) représentait 45% des bénéficiaires tandis que les personnes en GIR 1 (dépendance lourde) représentaient 8% des
bénéficiaires. Cette mesure est évidemment une mesure imparfaite de la population dépendante. En effet, une partie des personnes dépendantes ne recourent pas à l’APA pour financer leur prise en charge, soit par manque
d’information sur l’existence du dispositif, soit par choix. A l’opposé, des
personnes peuvent être classées en GIR 4 alors qu’elles ne présentent pas
nécessairement les caractéristiques d’une personne dépendante. Par ailleurs,
les politiques d’attribution de l’APA peuvent varier entre les départements
(Ernst & Young, 2010). Certaines personnes peuvent être classifiées en GIR 4
alors qu’elles auraient été considérées en GIR 5 dans un autre département.
Le nombre de bénéficiaires de l’APA n’est donc qu’une mesure imparfaite de
5
la population dépendante. Elle permet cependant d’éprouver la robustesse des
estimations précédentes.
A partir de ces différentes évaluations, on peut avancer que la population
dépendante en France représente entre 1 et 1.2 million de personnes.
2.3
Le risque de devenir dépendant
Il convient de prendre en compte la dépendance comme un risque. En
effet, la dépendance est bien un risque et non une période inévitable de la vie.
La probabilité de devenir dépendant (GIR 1 à 2) avant de mourir pour une
cohorte âgée de 65 ans est d’environ 15% (Rosso-Debort, 2010). La probabilité
de devenir dépendant apparaı̂t donc très faible si on la compare à la probabilité
d’être retraité. De plus, les longues durées en dépendance sont plutôt rares. En
moyenne, les gens vivent 4 ans en dépendance (Debout et Lo, 2009). Seulement
6% des hommes et 16% des femmes de plus de 60 ans vivent plus de 5 ans en
état de dépendance.
2.4
Le coût de la dépendance
Cette section fournit quelques estimations microéconomiques du coût de
la dépendance, que ce soit en ce qui concerne le coût en institution ou le coût
à domicile.
2.4.1
Le coût en institution
La France dispose d’environ 10 000 établissements pour personnes âgées.
Le niveau de prise en charge médicale ainsi que le coût de la prise en charge
varie fortement entre ces institutions. Le coût brut en établissement varie entre
2000 et 6500 euros par mois en France, avec une moyenne autour de 2 500
euros . Une autre étude estime le coût net moyen à 2200 euros en zone rural et
à 2900 euros en zone urbaine (Rosso-Debord, 2010). Le niveau de dépendance
de la personne influe moins le coût de prise en charge global en établissement
qu’à domicile. C’est pourquoi une dépendance lourde est, à niveau de prise en
charge équivalente, moins coûteuse en établissement qu’à domicile.
2.4.2
Le coût de la prise en charge à domicile
En moyenne, le coût d’une prise en charge à domicile serait d’environ
1800 euros par mois en 2010. Le coût de l’aide à domicile est davantage lié au
niveau de dépendance de la personne. Ennuyer (2006) distingue deux scénarios
extrêmes pour la prise en charge à domicile. Le scénario minimal correspond
au cas d’une personne très peu dépendante. Le temps d’aide est alors estimé
à environ trois heures et demie par semaine ce qui revient environ à 340 euros
par mois. Le scénario maximal correspond au cas extrême d’une personne
lourdement dépendante et atteinte de la maladie d’Alzheimer. Ce type de
6
dépendance nécessite la plupart du temps une prise en charge 24h/24h avec
un coût mensuel d’environ 5 300 euros.
2.5
Le risque de la dépendance et le reste à charge
Il conviendrait dans une étude ultérieure d’affiner ces données de coût. Ces
estimations permettent néanmoins de donner un aperçu du risque financier
que représente la dépendance pour les personnes âgées. A titre d’illustration, si on considère un individu moyen qui vit 4 ans en dépendance dans un
établissement de soin en ı̂le de France qui lui coûte en moyenne 2 900 euros
par mois après prestations sociales, la dépendance lui coûte en moyenne 139
200 euros. Hors ı̂le de France, le coût serait en moyenne de 110 400 euros en
établissement. A domicile, il serait en moyenne de 86 400 euros. Ce coût est
évidemment à rapporter au niveau moyen des retraites qui étaient en 2004 de
1535 euros pour les hommes et de 692 euros pour les femmes (INSEE, 2004).
Il est également à rapporter au niveau du minimum vieillesse qui était en 2010
de 709 euros par mois.
Il ne s’agit là que d’un raisonnement moyen. Si on prend l’exemple d’une
femme qui bénéficie du minimum vieillesse car elle a connu une vie professionnelle fractionnée, qui vit en ı̂le de France et qui connaı̂t un état de dépendance
lourde pendant 6 ans, on réalise que le risque financier est considérable. Dans
ce cas, le coût global est d’environ 208 000 euros en institution et de 381 600
euros à domicile. Or celles qui sont le plus exposées à la dépendance et à
la durée en dépendance sont également celles qui bénéficient des plus faibles
ressources à âge élevé.
Si l’on rapporte ce coût moyen à la solvabilisation moyenne apportée par
l’Allocation Personnalisée d’Autonomie versée par les Conseils Généraux qui
est de 409 euros, on se rend compte que la prise en charge publique ne
représente que 30% du coût moyen (Ennuyer, 2006). Des études plus récentes
estiment que le reste à charge est en moyenne de 1 600 euros par individu
(Rosso-Debord, 2010). A noter que ce reste à charge dépend également de
l’aide informelle apportée par les proches. Une part importante des personnes
dépendantes ne peut donc faire face à ce risque financier à l’aide de leur revenu mensuel. Elles sont donc contraintes de puiser dans leur épargne si elles
en ont, de faire appel à leurs enfants ou encore de vendre leur maison afin
de financer leur dépendance. Il reste donc un complément de financement qui
reste à la charge de la personne dépendante.
2.6
Le coût macroéconomique
Les dépenses publiques consacrées à la dépendance représentaient environ
22 milliards d’euros en 2010, soit 1.1% du PIB (Rosso-Debord, 2010). Comparativement, la part financée par les assureurs sous forme de rente dépendance
est encore très faible puisqu’elle ne représentait que 127.7 millions d’euros
en 2009 (FFSA, 2010). Si on ajoute à ce chiffre les rentes versées par les
mutuelles et les instituts de prévoyance, on arrive à un total d’environ 200
7
millions d’euros par an (FFSA, 2010). Ce faible montant s’explique par la
faible maturité du marché. Ce dernier a débuté son développement il y a une
dizaine d’années et les cohortes d’assurés n’ont pas encore atteints les âges où
le risque dépendance est élevé. Il convient cependant d’ajouter à ce montant
l’aide apportée par les familles, qu’elle soit financière ou informelle.
Si on se base sur les niveaux de participation financière tels que définis
dans le cadre de l’APA, on obtient un total de 7 milliards d’euros (Vasselle,
2008). L’APA définit en effet un plan d’aide et ne subventionne qu’une partie
de ce plan d’aide en fonction du revenu de la personne dépendante. Cette
estimation se base sur le reste à charge, tel que défini par le plan d’aide.
Cependant, l’aide effective apportée par les familles (que ce soit la personne
dépendante ou ses enfants) est souvent bien supérieure au reste à charge défini
par les Conseils Généraux. D’une part parce que les bénéficiaires de l’APA
peuvent recourir à une aide professionnelle au-delà de celle prévue dans le
cadre du plan d’aide, d’autre part parce que la famille apporte elle-même une
aide informelle évaluée à environ 6 milliards d’euros (Davin et al., 2009). Ce
dernier chiffre sous estime l’aide informelle d’après ses propres auteurs mais
également parce qu’il se base sur des coûts salariaux de 1999. En considérant
que ces deux chiffres sous estiment le montant total de l’aide apportée par les
familles, il n’est pas irréaliste d’avancer que les dépenses globales (privées et
publiques) de dépendance représentent en 2011 environ 2% du PIB.
2.7
La part de l’aide informelle
Les économistes distinguent traditionnellement deux types de facteur de
production permettant de produire des soins dépendance, l’aide professionnelle qui donne lieu à un échange marchand et l’aide informelle, souvent produite par la famille, qui ne donne pas lieu à un échange marchand. L’aide
informelle peut être considérée comme un substitut gratuit à l’aide professionnelle. En supposant que ces deux facteurs soient substituables, le niveau
de l’aide informelle produite exerce un effet à la baisse sur le besoin d’aide
professionnelle et donc sur le risque financier encourue par les personnes
âgées. Une raréfaction du nombre d’aidant informel pourrait donc accroı̂tre
le risque financier de la dépendance dans les prochaines années. Cependant,
la raréfaction du nombre d’aidants dans les prochaines années semble plus
difficile à estimer qu’il n’y paraı̂t. Enfin, la gratuité de l’aide informelle n’est
qu’apparente.
2.7.1
L’aide informelle et le rôle des enfants
L’aide à un parent âgé dépendant est essentiellement une aide sous forme
de service, les transferts financiers au sein de la famille n’étant que très rarement ascendants (Attias-Donfut, 1995 et 1996, Wolff, 2000). A partir de
l’enquête européenne SHARE, on évalue à moins de 5% la proportion d’individus aidant financièrement leurs parents âgés (Attias-Donfut et Wolff, 2007 ;
Bonsang, 2009 ; Fontaine et al., 2007). La plupart de l’aide des enfants vers
8
les parents s’effectue donc sous forme de service.
L’aide informelle peut être appréhendée comme un moyen de diminuer le
risque financier de la dépendance même si cette substitution se révèle assez
imparfaite dans les faits. Pour les pouvoirs publics, la famille apparaı̂t donc
comme un producteur de service au même titre que l’aide professionnelle. C’est
pourquoi le fait d’inciter les individus à s’occuper de leurs parents dépendants
a été une des manières retenues par les pouvoirs publics pour diminuer le coût
financier de la dépendance. Cette gratuité de l’aide n’est qu’apparente car elle
représente un coût en termes de santé des aidants ou d’offre de travail. Ces
politiques d’incitations à l’aide informelle posent au moins deux questions :
•
Cette aide informelle ne va-t-elle pas fortement diminuer dans les
prochaines années, limitant ainsi son effet atténuateur ?
•
Les politiques incitant les sexagénaires à s’occuper de leur parent
dépendant afin de maintenir ces derniers à domicile sont-elles compatibles
avec les dispositifs visant à prolonger l’activité professionnelle des seniors ?
Par suite quel est le coût macroéconomique de cette aide informelle en termes
d’offre de travail et d’état de santé des aidants ?
2.7.2
Le déclin de l’aide informelle
La baisse séculaire du nombre d’enfants par famille, l’éloignement géographique
des enfants et de manière plus général l’éclatement de la structure familiale seraient de nature à limiter l’aide informelle. Cette explication est
souvent retenue pour expliquer la raréfaction des aidants potentiels dans les
prochaines années. Elle se traduirait par une augmentation du coût financier
de la dépendance car l’ensemble de l’aide serait alors apportée par des professionnels rémunérés. Ce scénario est toutefois à nuancer pour au moins deux
raisons.
En premier lieu, la quantité d’aide reçue par la personne dépendante n’augmente pas nécessairement avec le nombre d’enfants au sein de la famille (Fontaine et al., 2007). Par conséquent, la baisse tendancielle du nombre d’enfants
par famille dans les pays développés n’aurait pas un effet direct sur le niveau
d’aide informelle reçue par les parents. Plus que le nombre d’enfants, c’est la
présence ou pas d’enfants et notamment d’une fille qui peut avoir un impact
fort sur le niveau d’aide informelle reçu.
En second lieu, les travaux récents montrent que les interactions au sein
d’une fratrie peuvent être corrélées négativement. La baisse de la contribution
des uns seraient compensée par une aide accrue des autres (Fontaine et al.,
2009). Des travaux récents montrent même que les aides et entraides au sein
de la famille restent forte et que le nombre d’aidants n’a jamais été aussi élevé
.
2.7.3
Les impacts macroéconomiques de l’aide informelle
L’aide informelle est par nature un transfert non-marchand. Sa valorisation
n’est donc pas naturelle. Deux méthodes de valorisation sont habituellement
9
retenues par la littérature économique :
•
le coût de remplacement ;
•
le coût d’opportunité.
Le coût de remplacement correspond au coût qu’aurait coûté la prise en
charge réalisée par un professionnel en lieu et place de l’aidant. Le coût de
l’aide informelle peut également être mesuré comme un coût d’opportunité.
Une première manière de mesurer ce coût d’opportunité consiste à mesurer les
salaires que les aidants auraient perçus s’ils avaient alloué la quantité de temps
passée avec leurs parents dépendants au marché du travail. Cette approche
permet de monétiser l’aide informelle et d’estimer son coût global. Le coût
d’opportunité est utilisé ici uniquement pour monétiser l’aide. Cependant,
l’aide informelle peut également entraı̂ner deux autres types de coût.
L’aide informelle peut également influer l’offre de travail des individus.
Fontaine (2010) estime qu’une heure d’aide informelle supplémentaire réduit
l’offre de travail d’environ 20 minutes au sein des européens âgés de 50 à 65
ans. L’activité d’aidant peut par ailleurs contraindre les individus à renoncer à certaines opportunités professionnelles ou à accepter des emplois moins
bien payés pour bénéficier d’horaires plus flexibles leur permettant d’être plus
proche du domicile de leur parents et plus disponibles. Cependant, si l’offre
d’aide informelle exerce un effet d’éviction par rapport à l’offre de travail, il
est rare que le rôle d’aidant conduise les individus à quitter définitivement
le marché du travail (Le Bihan et Martin, 2006). Au final l’accroissement du
taux d’emploi des seniors, objectif affiché au niveau européen, se fera sans
doute au détriment de l’aide informelle. Ceci devrait augmenter le recours à
l’aide professionnelle et donc le risque financier de la dépendance.
L’aide informelle exerce également un effet sur le niveau de santé des aidants. De nombreuses études épidémiologiques ont ainsi montré l’effet négatif
de l’aide informelle sur le niveau de santé des aidants (Sorensen et al., 2002)
(Brodaty et al., 2003). En particulier, l’étude de Coe et Van Houtven (2009)
montre qu’aider un parent dépendant augmente la probabilité de dépression
chez les individus mariés. Pour les hommes célibataires en revanche, aider un
parent dépendant tend à augmenter la probabilité de souffrir de pathologies
cardiaques. L’aide semble donc exercer un effet sur la santé des aidants même
si cet effet n’est pas uniforme.
2.8
Le développement du marché de l’assurance dépendance
Le marché de l’assurance dépendance permet-il de couvrir ce risque financier du reste à charge ?
Dans le cadre de l’exemple précédent, une personne de 60 ans a donc
approximativement 15% de chance de devoir payer en moyenne 140 000 pour
sa dépendance avant de décéder. Il s’agit donc d’un risque relativement rare
qui produit un coût financier élevé. D’autant plus élevé si on le rapporte aux
ressources moyennes des personnes retraitées. Le principe de mutualisation et
donc l’assurance ont donc vocation à s’appliquer car il permet de mutualiser
cette charge financière entre les individus.
10
Cependant, le nombre de personnes couvertes par un produit d’assurance
dépendance serait au maximum de 3 millions (FFSA, 2010). Si on rapporte
ce nombre global d’assurés aux personnes de plus de 40 ans, on obtient un
taux d’équipement du marché d’environ 8%, ce qui reste très faible si on le
compare au taux d’équipement du marché de la complémentaire santé qui est
de 86%.
Personnes Couvertes 2
Personnes couvertes par les sociétés d'assurance (en milliers)
2500
25%
22%
2000
20%
1824
2033
2008
1936
1869
20%
1621
1516
1435
1500
15%
1325
12%
1088
1000
10%
8%
7%
6%
500
5%
4%
10
15
20
30
25
20
2%
32
35
4%
40
1%
42
0
0%
2000
2001
2002
2003
2004
contrats d'assurance
2005
contrats d'epargne
2006
2007
2008
2009
variation
Page 1
Figure 1 – Personnes couvertes par les sociétés d’assurance
On observe cependant sur la figure 1 précédente qu’en dépit d’un fort
développement au début des années 2000 , le marché semble avoir perdu de
son dynamisme depuis plusieurs années. Ce chiffre de 3 millions peut d’ailleurs
fortement évoluer selon la manière dont on définit être assuré contre la
dépendance .
Si on retient une acception stricte du fait d’être assuré, ce chiffre de 3
millions surestime la population assurée. En effet au sein des 3 millions d’assurés, une grande partie est relativement mal couverte. Les primes et les indemnités prévus dans le cadre des contrats collectifs, auxquels adhère environ
la moitié de la population couverte, sont souvent trop faibles face au coût de
11
la dépendance comme l’indique la figure 2. Les contrats individuels proposent
en effet des prestations mensuelles de 522 euros alors que les contrats collectifs proposent des rentes mensuelles entre 150 et 200 euros par mois (FFSA,
2009). Peut-on considérer que l’on est assuré contre la dépendance si on reçoit
une rente de 150 euros en cas de sinistre ? Ces indemnités seront d’autant plus
faibles dans 15 ans lorsque le coût de la prise en charge aura augmenté.
Si au contraire on retient une acception large du fait d’être assuré contre la
dépendance, ce chiffre de 3 millions devrait être revu à la hausse. En effet dans
ce cas on peut inclure les complémentaires santé qui proposent une indemnité
en cas de dépendance. La première limite de cette garantie est qu’elle reste
relativement faible par rapport à un contrat individuel en garantie principale
(tout comme les contrats groupes). La seconde est qu’elle n’est pas garantie
dans le temps, contrairement à un contrat en rente.
Figure 2 – Cotisation annuelle par personne et par an
Cette ”énigme de l’assurance dépendance” n’est pas propre au contexte
institutionnel français. Les Etats-Unis, qui représentent un système d’assurance sociale très différent du nôtre, rencontrent exactement le même type de
12
paradoxe. Une aide publique encore plus insuffisante et exclusivement réservée
aux personnes désargentées, des revenus insuffisants et dans le même temps un
taux d’équipement de l’assurance dépendance qui peine à dépasser les 10%
des plus de 65 ans, tout comme en France. Et pourtant, les Etats-Unis et
la France représentent les deux marchés de l’assurance dépendance les plus
matures au niveau mondial.
3
Littérature sur la demande d’assurance dépendance
La littérature retient principalement 3 phénomènes susceptibles de peser
sur la demande d’assurance :
– une méconnaissance du risque financier engendrée par la dépendance ;
– l’effet d’éviction de l’aide publique (Brown & Finkelstein 2008) ;
– l’influence du comportement des enfants (Zweifel & Struve 1998).
Nous présenterons dans cette section les principaux résultats de ces approches ainsi que leurs limites.
3.1
Une méconnaissance du risque
Une première explication à la faible demande d’assurance dépendance
réside dans le fait que les individus ne sont pas conscient du risque financier
que représente la dépendance. De manière générale, les individus ignoreraient
les risques qui présentent de faibles probabilités, des sinistres élevés et qui
ne sont pas survenus récemment (Kunreuther 1978). Cette tendance a été
observée sur d’autres marchés d’assurance et est propre à ce que l’on peut appeler les ”risques catastrophes”. Cependant, en ce qui concerne la santé, ces
comportements sont rares (Hershey, Kunreuther, Schwartz & Sankey 1984).
D’autant que les études empiriques récentes montrent que 42% des personnes
entre 45 et 75 ans se disent préocupées par le risque de perte d’autonomie
lié au vieillissement. Les personnes les plus sensibles à ce problème étant
celles qui ont déjà dû faire face à une situation de dépendance dans leur
entourage proche (CSA 2006). Ce comportement peut aussi s’expliquer par
une forte préférence pour le présent. L’individu ne s’intéresse pas aux risques
susceptibles de se produire dans une quinzaine d’années. Mais là encore les
comportements en matière d’épargne retraite contredisent cette explication.
Une seconde explication serait la méconnaissance des individus face aux
critères de l’assurance sociale. Les personnes âgées seraient mal informées
des conditions d’éligibilité des programmes d’aide publique (APA et Sécurité
Sociale en France, Medicaid et Medicare aux Etats-Unis) et penseraient être
couvertes contre ce risque alors qu’elles ne le sont pas ou pas totalement. La
méconnaissance concernerait ici l’étendue de la couverture publique. Cette
méconnaissance a été observée empiriquement aux Etats-Unis dans les années
13
80 mais ne semble plus à l’oeuvre aujourd’hui (AARP 1985). En France, plus
de 60% des personnes interrogées s’estimaient suffisamment informées à la
fois du risque encouru mais aussi des dispositifs de prise en charge publique
(CSA 2006).
Enfin, une méconnaissance du coût de prise en charge et donc du reste
à charge financier après aide publique n’est pas à exclure. La synthèse de
l’ensemble des informations : probabilité de sinistre, coût d’une prise en charge
décente, aide publique et reste à charge n’est pas toujours aisée. Le fait de
disposer de certaines de ces informations ne permet pas toujours d’estimer au
final le reste à charge financier.
Cette première série d’explications relative à la méconnaissance du risque
semble cependant de moins en moins probante. Les études d’opinion montrent
que les individus sont de mieux en mieux renseignés et de plus en plus préoccupés
par ce risque (CSA 2005). Les événements liés à la canicule de l’été 2003 ainsi
que la communication publique et privée développée par la suite ont grandement sensibilisé les individus.
3.2
L’effet de l’aide publique : éviction ou complémentarité
Il convient de se demander si l’aide publique n’exerce pas une concurrence par rapport à l’assurance dépendance privée ce qui expliquerait le faible
développement de cette dernière. Cet effet d’éviction a été observé sur le
marché américain. Cependant, il ne semble pas s’appliquer en France en raison notamment de différences dans les critères d’allocation de l’aide publique.
3.2.1
Un fort effet d’éviction observé sur le marché américain
Une particularité du contexte institutionnel américain est que les prestations des assurances privées perçues en cas de dépendance sont prises en
compte dans les critères d’élligibilité de l’aide publique (Medicaid). Pour Medicaid, une prestation d’assurance dépendance est assimilée à un revenu. Il y a
donc une subsistition et non une complémentarité entre l’assurance privée et
l’aide publique. Dans ce contexte, l’utilité marginale à souscrire une assurance
privée est très faible.
Brown et Finkelstein proposent de calculer une ”taxe implicite” à Medicaid
(Brown & Finkelstein 2008). Cette taxe correspond en réalité au ratio entre ce
que fait perdre l’assurance en termes d’aide publique et ce qu’elle fait gagner
en terme de prestations. Les auteurs estiment un ratio proche de 1 pour les bas
revenus et il diminue avec la richesse. Il est de 0,6 pour un homme disposant
d’une richesse médiane et de 0,77 pour une femme disposant d’une richesse
médiane. Plus un individu est pauvre, plus la taxe implicite est élevée car le
gain des indemnités d’assurance en cas de sinistre est totalement compensé
par la perte de l’aide publique.
D’un côté Medicaid entraı̂ne un fort effet d’éviction par rapport à l’assurance privée et dans le même temps ce programme offre une couverture très
incomplète. En effet, pour un individu bénéficiant d’une richesse médiane, 40%
14
des dépenses des hommes et 30% des dépenses des femmes ne sont pas couverts par Medicaid. Medicaid privilégie également un profil de consommation
inter-temporel très heurté. Les individus sont incités à liquider leur patrimoine
avant d’entrer en maison de soins, ce qui peut s’avérer problématique si l’individu est amené à ressortir de la maison de soins ce qui arrive malgré tout
dans 66% des cas (Brown & Finkelstein 2008).
Dans le cas américain, Medicaid induit donc un fort effet d’éviction notamment pour les individus les moins riches et les femmes. Il propose donc un
substitut incomplet mais gratuit à l’assurance dépendance. Brown et Finkelstein en concluent que toutes les mesures d’incitations fiscales développées aux
Etats-Unis afin de dévolopper davantage le marché de l’assurance dépendance
sont largement inefficaces tant que Medicaid continuera à jouer ce rôle de taxe
implicite sur l’assurance privée (Brown & Finkelstein 2008).
3.2.2
Une complémentarité sur le marché français
Dans le contexte français, les prestations d’assurance ne sont pas prises en
compte dans le calcul de l’APA. Le modèle est donc basé sur une complémentarité
entre aide publique et assurance privée. A ce titre, il est important de mentionner que le développement de l’assurance est allé de pair avec le développement
de l’aide publique. Le développement de l’aide publique a permis de sensibiliser au risque de dépendance (Plisson 2003).
Les simulations éffectuées par Brown et Finkelstein montrent que si l’assurance est un complément strict de l’aide publique, les dispositions à souscrire sont cette fois positives pour tous les déciles et croissent avec la richesse
(Brown & Finkelstein 2008). Si on applique le résultat de ces simulations au
cas français, on constate que le fait que les prestations d’assurance ne soient
pas prises en compte dans les critères d’éligibilité à l’APA fait qu’il n’existe
pas de taxe implicite de l’assurance via l’aide publique. L’effet d’éviction de
l’aide publique serait donc faible en France.
3.3
L’influence du comportement des enfants : l’aléa moral intergénérationnel
Une autre piste de recherche consiste à s’intéresser aux comportements intra familiaux. Contrairement au risque santé, les enfants peuvent se substituer
à une prise en charge professionnelle. La prise en compter de leurs comportements peut donc modifier les comportements d’assurance des parents.
3.3.1
Les résultats du modèle de Zweifel-Struwe
En développant le modèle de Pauly (Pauly 1990), Zweifel et Struwe montrent
que même un individu bien informé, qui maximise son espérance d’utilité, riscophobe et pour qui les membres de sa famille représentent une aide alternative de soins n’a rationnellement pas intérêt à s’assurer (Zweifel & Struve
15
1998). Lorsque que les enfants gagnent moins sur le marché du travail qu’une
aide à domicile, l’achat d’une assurance ex ante par les parents désinciterait
les enfants à s’occuper de leurs parents devenus dépendants. Les parents anticiperaient donc des comportements opportunistes de la part de leurs enfants.
Ils décideraient alors de ne pas s’assurer afin d’inciter leurs enfants à s’occuper
d’eux. C’est pourquoi on peut parler d’”aléa moral intergnérationnel”.
Le modèle distingue deux cas. Si les enfants perçoivent des salaires élevés,
ils préféreront acheter des services de soins pour leurs parents. Dans ce cas,
la souscription d’un contrat par leurs parents ne va que sensiblement modifier leur comportement. En revanche, les enfants qui perçoivent un salaire
faible sur le marché du travail ne peuvent pas acheter des services de soins.
Ils sont donc contraints d’aider leurs parents en leur accordant du temps
s’ils ne veulent pas que l’héritage que leur prédestinaient leurs parents soit
entièrement dépensé en soins.
Un des intérêts de l’article de Zweifel et Struwe est de mettre en doute
les effets positifs en terme de bien-être de la mise en place d’une assurance
privée obligatoire comme cela a été décidé en Allemagne. La justification
économique de cette mesure était de lutter contre l’aléa moral inhérent à l’assurance sociale. Les assureurs étant mieux à même de lutter contre les comportements d’aléa moral, il était logique qu’ils prennent en charge ce risque.
Par ailleurs, le fait de rendre cette assurance obligatoire empêchait en grande
partie les phénomènes d’anti-sélection (Buchholz & Wiegard 1992). Les auteurs montrent à travers leur modèle que cette réforme a imposé une assurance
pour laquelle il n’existait pas de demande privée en raison des comportements
intra familiaux.
3.3.2
Critique du modèle d’aléa moral intergénérationnel
La première limite de ce modèle est empirique. Les données SHARE ne
vérifient pas pour la France cette hypothèse d’aléa moral intergnérationnel
(Courbage & Roudaut 2008). Les auteurs observent que le fait de souscrire
une assurance dépendance est davantage guidé par des comportements altruistes que par une anticipation d’aléa moral de la part des enfants. Ces
premiers résultats devront cependant être confirmés à partir d’autres sources
de données.
Au delà des vérifications empiriques, le modèle présenté appelle cependant
une série de critiques qui relèvent pour partie de son caractère statique.
En premier lieu, il convient de préciser que l’absence de demande d’assurance de la part des parents provient en réalité d’une anticipation ex ante de
comportements opportunistes de la part de leurs enfants. Dans les faits, il est
difficile de distinguer un comportement individualiste de la part des parents
qui comptent sur leurs enfants pour les prendre en charge d’une anticipation
de comportements opportunistes des enfants. Il est en effet toujours facile de
dissimuler des comportements individualistes derrière un argumentaire selon
lequel les enfants sont opportunistes.
16
En second lieu, les auteurs n’envisagent pas de modifications des comportements entre les générations. L’effet de l’aide sur l’utilité des enfants n’est
volontairement pas déterminé dans le modèle mais il est considéré comme
stable entre les générations. Or, on peut très bien envisager un ”choc d’altruisme”, autrement dit une relation positive pour une génération qui devient
négative pour la génération suivante. En plus de l’intérêt théorique, cette hypothèse peut correspondre à l’évolution des 60 dernières années. On peut en
effet supposer que dans les années 50 prendre en charge son parent dépendant
augmentait l’utilité de l’enfant. Puis à cause de l’émancipation des femmes,
des distances géographiques et de l’augmentation du travail féminin, la relation entre aide et utilité devient négative pour la génération suivante, dans
les années 80.
Une autre situation envisageable est celle où la situation de l’enfant sur le
marché du travail évolue. Si au cours de sa vie l’enfant se met à gagner plus,
est-ce qu’il va modifier ses comportements d’aide vis-à-vis de ses parents ? Par
ailleurs on ne prend pas en compte le nombre d’enfants. On est toujours dans
une relation entre un parent et un enfant. Or il n’est pas impossible que le
nombre d’enfants modifie le comportement face à l’assurance quel que soit le
sens de cette relation (Courbage & Roudaut 2008).
Un autre aspect pose problème. Cette théorie fait abstraction des relations de couple. Pour les individus mariés, la première personne à recevoir
l’héritage sera l’époux ou l’épouse et non l’enfant. Donc si je décide de ne
pas m’assurer afin d’inciter mes enfants à s’occuper de moi, je vais davantage
pénaliser mon conjoint qu’inciter mes enfants à s’occuper de moi. Si je deviens
dépendant et que je n’ai pas souscrit d’assurance, mon conjoint va davantage
s’occuper de moi, ce qui en général nuit à sa santé. Si je préfère préserver mon
conjoint afin de recourir à une aide professionnelle, je vais diminuer notre
patrimoine d’autant. Comme la probabilité de décès est plus forte en situation de dépendance, il est probable que je décède avant mon conjoint. Je lui
laisserai alors un patrimoine plus faible qui ne lui permettra pas de financer
sa dépendance. Or, une grande majorité des individus compris entre 50 et
60 ans, c’est-à-dire aux âges où la probabilité de souscrire l’assurance est la
plus forte, sont mariés. Donc faire abstraction des relations de couples nuit
à la portée de l’explication théorique de Zweifel. Il y a fort à parier que les
relations de couple impactent plus largement la demande d’assurance que les
relations parents enfants (Lakdawalla & Philipson 2002).
3.4
Limites de la littérature sur la demande d’assurance
Une première limite des théories présentées est d’ordre empirique. Elles ne
se vérifient pas ou très peu sur le marché français.
Une seconde limite est d’ordre méthodologique. Les modèles avancés jusqu’alors ont davantage insisté sur l’effet des comportements exogènes (L’Etat,
les enfants) sur la décision d’assurance. Or d’un point de vue méthodologique il
semble plus logique de se concentrer dans un premier temps sur les préférences
des individus avant de s’intéresser à l’influence de phénomènes exogènes.
17
Une troisième limite réside dans le caractère unidimensionnel de la dépendance. La dépendance a jusqu’à présent été appréhendée exclusivement comme
un risque financier. Or, l’assurance dépendance est spécifique puisque comme
l’assurance santé, elle couvre un risque qui génère deux effets : un financier et
un sanitaire. Bien que le premier soit assurable, le second ne l’est pas. Ainsi,
la perte sanitaire peut être appréhendée comme un ”background risk” dans le
sens où il s’agit d’un risque supplémentaire non assurable. Toutefois, ce risque
modifie la perception de la richesse sans l’altérer ce qui le différencie d’un
”background risk” financier. A la suite de Cook et Graham qui définissent un
bien irremplaçable comme un bien modifiant l’utilité obtenue par la richesse
(Cook & Graham 1977), nous considérons que le capital sanitaire et l’autonomie qui l’accompagne est un exemple d’un bien dit irremplaçable (Alary &
Bien 2008). Une littérature abondante a déjà étudié ce phénomène dans le cas
de l’assurance santé (Evans & Viscusi 1990) (Rey 2003) (Bardey & Lesur 2005)
(Alary & Bien 2008). Dans cet article, nous allons étudier les comportements
de demande d’assurance dépendance en nous basant sur le cadre théorique
utilisé dans le cas de l’assurance santé. Lorsque l’utilité dépend à la fois de
la richesse (comme dans le chapitre précédent) mais également d’un état de
santé ou plutôt d’un état de dépendance, il est possible que les individus, en
raison de leurs préférences, soient incités à moins transférer de richesse dans
l’état dépendant ou malade. La dépendance se distingue cependant de la santé
pour au moins trois raisons :
– la dépendance est un risque long qui ne voit sa probabilité augmenter
en fin de vie
– la dégradation du capital sanitaire est, dans le cas de la dépendance,
irréversible
– Les membres de la famille peuvent constituer un substitut à l’aide professionnelle ce qui n ’est pas le cas dans la santé
4
La demande d’assurance dépendance
Après avoir défini les hypothèses du modèle, nous le résoudrons en distinguant les différents cas possibles, avant d’en interpréter les résultats.
4.1
Les hypothèses du modèle
Nous considérons le risque dépendance comme une perte d’autonomie
défini de la façon suivante : θ représente la probabilité d’être dépendant et η
le degré d’autonomie. Plus η est faible, plus la dépendance est sévère. Pour
simplifier, on suppose que 0 < η ≤ 1.
18
G Cotisations
Cotisations, prestations et provisions des contrats de risque dépendance des sociétés d'assurance
2255
2010
1753
1509
1267
1061
903
771
638
20
2000
24
2001
37
29
2002
2003
cotisations (en milliers d'euros)
51
46
2004
2005
prestations (en milliers d'euros)
60
2006
411
388
355
343
315
279
251
215
155
148
113
76
2007
2008
127
2009
provisions au 31/12 (en milliers d'euros)
Page 1
Figure 3 –
Afin de pallier à cette perte d’autonomie, l’agent économique peut consommer des soins dépendance payants (aides à domicile, travaux d’adaptation du
logement, etc.) d’un montant c(δ) ou gratuits (aide familiale) qui permettent
d’augmenter le degré d’autonomie de δ. Nous ne considérons que soins de
dépendance payants afin de s’intéresser à la demande d’assurance dépendance.
Il s’établit à η + δ < 1.
Nous considérons un modèle intertemporel à deux périodes : t = 0 et t = 1.
La période 0 correspond à une période de vie active pendant laquelle l’individu peut souscrire une assurance dépendance. ω0 représente la richesse
disponible en première période, H0 l’état de santé et η0 le degré d’autonomie.
Nous posons η0 = 1. La perte d’autonomie ne peut survenir qu’en deuxième
période.
La période 1 représente l’état d’inactivité avec comme variables ω1 la ri∼
chesse disponible , H1 l’état de santé et η1 le degré d’autonomie. En raison
de la vieillesse de l’agent, nous posons H1 < H0 et en raison de la cessation
de l’activité salariée : w0 > w1 . La retraite s’accompagne d’une baisse des
revenus.
Nous pouvons donc formaliser l’utilité de la manière suivante :
19
V = u (ω0 , H0 , η0 ) +
avec
1
(1+τ )
h i
1
∼
E u ω1 , H1 , η
(1 + τ )
(1)
qui représente le taux de préférence pour le présent.
Nous pouvons réécrire cette espérance d’utilité en tenant compte des hypothèses
1
[θu (ω1 − c, H1 , η + δ) + (1 − θ)u (ω1 , H1 , 1)]
(1 + τ )
(2)
Pour simplifier, nous posons que u (ω, H, 1) = u(w, H)
Nous obtenons alors la forme suivante :
V = u (ω0 , H0 , 1) +
V = u (ω0 , H0 ) +
1
[θu (ω1 − c, H1 , η + δ) + (1 − θ)u (ω1 , H1 )] (3)
(1 + τ )
Afin de caractériser la demande d’assurance dépendance, il est nécessaire
de signer les dérivées de la fonction d’utilité. Nous notons u1 , u11 les dérivées
premières et deuxième par rapport au premier argument, ici, la richesse.
Les dérivées premières sont toutes positives car l’utilité augmente en raison
de l’hypothèse de non-satiété : u1 > 0, u2 > 0 et u3 > 0.
Nous posons également que l’individu est averse vis-à-vis du risque pour
chaque variable. Ainsi les dérivées secondes sont négatives : u11 < 0, u22 < 0
et u33 < 0. (Eeckhoudt & Schlessinger 2006) montre que l’aversion correspond
à un choix des agents économiques de dissocier les pertes de même nature.
Le signe des dérivées croisées (qui permettent de définir l’aversion croisée)
est plus ambigu et c’est pour cette raison que nous considérerons tous les cas.
En effet, la littérature ne permet pas de conclure sur le signe de U12 , U13 et U23 .
Si U12 > 0 cela signifie que l’utilité marginale de la richesse croı̂t avec l’état de
santé. L’individu préférera alors conserver davantage de richesse dans l’état
de bonne santé plutôt que dans l’état de mauvaise santé. (Eeckhoudt, Rey &
Schlessinger 2007) montre que ce résultat s’interprète comme une association
de pertes de nature différente (une monétaire et une sanitaire).
Dans le cas contraire, U12 < 0, l’utilité marginale de la richesse décroı̂t avec
l’état de santé. L’individu préférera alors disposer de davantage de richesse
dans l’état malade que dans l’état en bonne santé. Il préfrère dissocier des
pertes de natures différentes.
Nous considérons que l’individu prend sa décision d’assurance dépendance
en première période 3 . L’individu ne dispose pas d’une information parfaite. Il
prend donc sa décision de manière ex ante. Il prend sa décision d’assurance en
3. La première période peut s’assimiler à la période de fin de vie active où l’individu
va prendre la décision de s’assurer ou non. En première période sa probabilité de devenir
dépendant est nulle.
La seconde période peut s’assimiler à la période de retraite où on considère qu’il ne peut
plus s’assurer. En revanche, c’est durant cette période qu’il risque de devenir dépendant.
20
fonction des valeurs des paramètres θ et η. La prime d’assurance versée à la
première période notée π0 s’écrit classiquement comme l’espérance actualisée
de l’indemnité de remboursement des soins dépendance notée I.
π0 =
(1 + λ) θI
(1 + r)
avec λ le taux de chargement et r le taux d’actualisation.
En présence d’assurance dépendance, le programme s’écrit
max V
I
=
u ω0 −
(1+λ)θI
(1+r) , H0
1
+ (1+τ
) [θu (ω1 − c + I, H1 , η + δ) + (1 − θ)u (ω1 , H1 )]
(4)
V étant concave par rapport à la richesse, l’indemnité optimale I ∗ est
caractérisée par la condition du premier ordre suivante :

(1+λ)θ
(1+λ)θI
1

V
(I)
=
−
u
,
H
ω
−
+ (1+τ

1
1
0
0
(1+r)
(1+r)
) θu1 (ω1 − c + I, H1 , η + δ) = 0


en cas de solution intérieure

I ∗ = 0 si V1 (0) ≤ 0



I ∗ = c si V1 (c) ≥ 0
(5)
Puisque nous cherchons à expliquer l’énigme de l’assurance dépendance,
c’est-à-dire l’absence de souscription d’assurance dépendance, nous ne nous
intéressons qu’au deuxième cas : V1 (0) ≤ 0
Après simplification, la condition du premier ordre se réécrit :
V1 (0) = −
(1 + λ)
1
u1 (ω0 , H0 ) +
u1 (ω1 − c, H1 , η + δ) ≤ 0
(1 + r)
(1 + τ )
(6)
Soit
1
(1 + λ)
u1 (ω1 − c, H1 , η + δ) ≤
u1 (ω0 , H0 )
(1 + τ )
(1 + r)
(7)
Nous savons par hypothèses que
- w1 < w0 ainsi w1 − c < w0
- H1 < H0
- η+δ <1
Nous considérons deux cas :
(1+λ)
1
1) (1+τ
) < (1+r)
Une condition suffisante est r < τ : le taux d’intérêt psychologique est
supérieur au taux d’intérêt des marchés. Nous l’interprétons comme une forte
préférence pour le présent.
La condition du premier ordre précédente est vérifiée si
21
a) la condition suffisante suivante est vérifiée :
u1 (ω1 − c, H1 , η + δ) ≤ u1 (ω0 , H0 )
(8)
Nous en déduisons alors u1123 > 0 4 . Un individu en meilleur santé et
autonome valorise davantage un euro supplémentaire que ce même individu
en mauvaise santé et dépendant. Ainsi, il préfère ne pas effectuer de transferts
monétaires conditionnels d’aujourd’hui à demain.
b) la condition du premier ordre peut être également vérifiée sous certaines
conditions si :
u1 (ω1 − c, H1 , η + δ) ≥ u1 (ω0 , H0 )
(9)
5
Nous en déduisons alors u1123 < 0 . Un individu en meilleur santé et autonome valorise moins un euro supplémentaire que ce même individu en mauvaise santé et dépendant. Ainsi, il préfèrerait effectuer des transfert monétaires
conditionnels d’aujourd’hui à demain mais sa préférence pour le présent l’en
dissuade.
(1+λ)
1
2) (1+τ
) > (1+r)
Une condition suffisante est r > τ : le taux d’intérêt psychologique est
inférieur au taux d’intérêt des marchés. Sa préférence pour le présent est
faible.
Sous certaines conditions portant sur les paramètres, la condition du premier ordre est vérifiée si cette condition nécessaire mais nons suffisante est
satisfaite.
u1 (ω1 − c, H1 , η + δ) ≤ u1 (ω0 , H0 )
(10)
6
Nous retrouvons le résultat u1123 > 0 . Un individu en meilleur santé et
autonome valorise davantage un euro supplémentaire que ce même individu
en mauvaise santé et dépendant. Ainsi, il préfère ne pas effectuer de transferts
monétaires conditionnels d’aujourd’hui à demain, ceci compensant sa faible
préférence pour le présent.
4.2
Interprétation des résultats
La modélisation que nous avons retenue permet d’expliciter sous quelles
conditions un individu isolé, rationnel peut avoir intérêt à ne pas s’assurer.
4. Cette dérivée quatrième croisée est à rapprocher de la notion de tempérance croisée.
La notion de tempérance est interprêtée par Eeckhoudt et Sclessinger (2006) comme le
fait de dissocier des bruits blancs indépendants de même nature. La dérivée quatrième est
négative. Ici, nous obtenons une dérivée quatrième positive. L’agent économique peut être
perçu comme intempérant.
5. Cet agent économique peut être perçu comme tempérant.
6. Cette dérivée quatrième croisée est à rapprocher de la notion de tempérance croisée.
La notion de tempérance est interprêtée par Eeckhoudt et Sclessinger (2006) comme le
fait de dissocier des bruits blancs indépendants de même nature. La dérivée quatrième est
négative. Ici, nous obtenons une dérivée quatrième positive. L’agent économique peut être
perçu comme intempérant.
22
Ceci s’explique par ses préférences. Deux caractéristiques sont à prendre en
compte
– la forme de la fonction d’utilité ici représentée par la dérivée quatrième
croisée.
– le taux de préférence pour le présent ;
Si un individu en bonne santé et autonome valorise davantage un euro
supplémentaire que ce même individu en mauvaise santé et dépendant, alors
quelle que soit sa préférence pour le présent il peut avoir intérêt à ne pas
s’assurer.
Si ce même individu valorise davantage un euro supplémentaire dans l’état
de mauvaise santé et de dépendance, alors le fait de ne pas s’assurer dépendra
de sa préférence pour le présent.
Il est donc possible d’expliquer le fait que les individus s’assurent peu
en raison de leur préférences dépendantes de leur degré d’autonomie. A noter qu’en France, seuls 15% des cas de dépendance constituent des cas de
dépendance lourde (Debout & Lo 2009). La faible taille du marché peut donc
s’expliquer par les préférences des individus. Ils auraient tendance à valoriser
davantaga un euro supplémentaire dans l’état de bonne santé et autonome
et par conséquent valoriserait faiblement le surplus de richesse qu’ils pourraient transférer dans l’état de dépendance. Par conséquent ils décideraient
de transférer peu de richesse vers l’état de dépendance. Comme la plupart
des contrats individuels proposés sur le marché français proposent une rente
minimum (entre 300 et 400 euros), un individu qui souhaite transférer peu de
richesse vers l’état de dépendance déciderait donc de ne pas s’assurer.
5
Conclusion
Nous avons analysé dans cet article le risque spécifique de la dépendance,
c’est-à-dire d’une perte d’autonomie, et expliqué comment un individu pouvait
avoir intérêt à s’assurer très faiblement voire, ne pas s’assurer du fait de son
utilité marginale de la consommation courante croissante avec la dépendance.
L’originalité de notre démarche consiste donc à réaffirmer la possibilité d’un
désintérêt pour l’assurance dépendance uniquement par des arguments de
préférences, et non pas par la considération d’arguments exogènes comme
par exemple une mauvaise anticipation du degré futur de dépendance.
Il convient maintenant d’interpréter la portée de ces résultats en matière
de politiques publiques. Le fait que les préférences induisent les individus
à ne pas vouloir s’assurer n’appelle une action particulière. Il ne s’agit pas
d’imposer aux individus une assurance s’ils ne la désirent pas. Ce résultat est à
considérer au regard du projet d’assurance obligatoire préconisé par le rapport
Rosso-Debort (Rosso-Debort, 2010). En effet, nos résultats obtenus dans un
cadre standard suggèrent que le projet d’assurance obligatoire pourrait aller
à l’encontre des préférences de certains individus. La solution d’une assurance
23
dépendance obligatoire telle qu’elle a pu être appliquée en Allemagne irait
donc à l’encontre des préférences d’une partie de la population. Cette option
diminuerait le bien-être collectif de la société 7 .
Cette explication d’un faible goût pour l’assurance dépendance est toutefois à relativiser si les préférences des parents prennent directement en compte
le fait que la dépendance des parents peut constituer un effet externe sur le
bien être des enfants. Ainsi, notre cadre devrait être développé en prenant
en compte cet effet externe dans l’utilité des parents afin d’étudier la robustesse de ce résultat de demande d’assurance nulle. Dans un tel cas l’assurance
obligatoire n’irait plus forcément à l’encontre des préférences individuelles.
Ce résultat est également à relativiser dans la mesure où il est lié au cadre
Espérance d’utilité séparable que nous avons retenu dans notre modèle. En
effet, les utilités séparables et la linéarité en probabilité impliquent que l’on
réduise la dépendance à une perte d’utilité future : typiquement, quand l’effet
demain de la perte de dépendance sur la consommation n’est pas grande,
l’évènement dépendance est alors sous-évalué aujourd’hui. Or si on prenait
en compte la possibilité que l’évènement “être dépendant demain” modifie
directement l’utilité présente de l’individu, par exemple si l’utilité de l’individu
n’était pas séparable, cela remettrait peut-être en cause notre résultat. Il se
peut en effet que l’individu ait la même désutilité à voir ses parents dépendants
qu’à s’imaginer un jour il sera dépendant. A ce titre, il est intéressant de noter
que les comportements face au risque dépendance permettent de mettre en
exergue certaines limites du modèle EU. Ceci montre à quel point le risque
dépendance est un risque original.
Enfin, une dernière piste consisterait à étudier plus finement les corrélations
éventuelles entre le risque santé et le risque dépendance. Nous avons délibérément
choisi dans cet article de ne pas envisager de corrélation entre les risques santé
et dépendance. Si on considère que les individus peuvent être averses à la
concentration des risques (Eeckhoudt et Schlesinger, 2005), alors la demande
d’assurance pourrait se révéler positive même dans le cadre des préférences
standard que nous avons étudiées.
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