Depuis quelques années, un certain nombre d`évolutions à la fois

Transcription

Depuis quelques années, un certain nombre d`évolutions à la fois
LA DEFINITION DES COMPETENCES :
QUEL ROLE POUR LES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES ?
INTRODUCTION
Depuis quelques années, un certain nombre d’évolutions à la fois sociétales et
professionnelles nous poussent, nous les archivistes, à nous interroger sur ce que nous
sommes, entre scientifiques et gestionnaires de l’information. Cette question, évoquée lors du
congrès international des Archives de Vienne en 2004, et plus récemment, de la dernière
Conférence européenne des archives en mai 2006, comme prélude à une possible mobilité
professionnelle en Europe, apparaît, au delà des problèmes techniques qui se posent à nous,
comme l’un des enjeux essentiels de ces prochaines années. L’exercice consistant à définir
nos compétences a donc été entrepris dans un certain nombre de pays, avec des résultats
parfois très divers. Mais à qui revient-il de mener cette réflexion ? Quel est le rôle des
associations professionnelles dans la définition des compétences professionnelles face aux
employeurs, ou aux institutions de formation initiale ? Sommes-nous capables, en tant que
communauté professionnelle, de nous définir comme groupe dans la société?
1. DE L’UTILITE D’UN MODELE DE COMPETENCES
Je suis de ceux qui pensent qu’il faut de tout pour faire un monde d’archivistes : « responsable
de fonds patrimonial », gestionnaire d’information, expert en conservation, scientifique ou
manager, président de société savante, animateur culturel, concepteur de système de gestion
électronique des documents, bâtisseur…Rarement une profession aura offert tant de
perspectives tout en s’appuyant sur une si riche tradition. Et pourtant à travers sa diversité elle
présente une spécificité cohérente.
C’est cette spécificité qui doit être définie et soulignée par la création de modèles de
compétences. Leur utilité est devenue une évidence et une urgence. Au-delà de la définition
de cette spécificité professionnelle, encore mal comprise ou mal perçue, plusieurs objectifs
peuvent être fixés au « référentiel » ou modèle de compétences :
- Parmi les premiers, je citerai la nécessité, pour une coopération inter-professionnelle
mieux conçue, de nous positionner clairement par rapport aux « professions-sœurs,
bibliothécaires, documentalistes et autres « gestionnaires de l’information » qui ne
travaillent pas sur l’objet « archives ». Les professionnels français ne seront pas les seuls,
j’imagine, à être jugé comme « interchangeable » avec un bibliothécaire et à voir confier à
des documentalistes des missions et des responsabilités qui lui reviennent…parfois faute
de moyens, le plus souvent par ignorance des compétences qui sont les nôtres.
-
Le modèle de compétences doit être considéré comme la base essentielle sur laquelle
s’appuie une formation professionnelle bien conçue, qu’elle soit initiale ou continue : il
nous revient à nous, les professionnels, d’éclairer les institutions et organismes de
formation sur les réalités du métier et de guider les ajustements des programmes
d’enseignements liés à son évolution.
-
De même, lorsqu’ils existent, l’organisation des concours spécialisés de la fonction
publique d’Etat ou territoriale devrait prendre en compte les spécificités de la profession à
tous les niveaux où elle s’exerce, de la fonction de cadre à celle d’exécutant. Il existe trop
souvent des décalages entre des épreuves trop générales et les réalités de l’exercice de la
profession.
-
C’est également sur le référentiel métier que devrait s’appuyer une procédure de
validation des acquis par l’expérience bien conçue, en partenariat avec les organismes
habilités à la mener.
-
Le référentiel est également indispensable à la gestion des ressources humaines des
services que nous dirigeons, en nous aidant à définir les compétences des équipes
professionnelles qui nous entourent.
-
Il contribue à clarifier nos rapports avec les professions partenaires, en nous permettant de
réfléchir à nos propres limites : nous travaillons avec des architectes, mais nous n’en
sommes pas, et il en va de même avec les informaticiens, les juristes, les restaurateurs, etc.
-
Le référentiel s’adresse également aux professionnels en activité, qui souhaitent faire
évoluer leur carrière, prendre de nouvelles responsabilités : il les aide à faire un choix, à
réfléchir à une adaptation parfois nécessaire grâce à la formation continue.
-
Il aide enfin les jeunes qui souhaiteraient entrer dans la profession à se faire une meilleure
idée de ce qui sera attendu d’eux dans le cadre de leurs futures activités professionnelles.
Ce rappel sur la nécessité qu’il y a à développer un modèle de compétence n’est pas sans
utilité. Il fait apparaître clairement l’intérêt propre des professionnels pour cette démarche, et
par là le rôle essentiel qu’ils doivent jouer dans sa conception.
Mais prenons le problème à l’envers: qui pourrait mieux que les associations professionnelles
s’investir dans la réalisation d’un modèle de compétences ?
2. LA DEFINITION DES COMPETENCES : QUI FAIT QUOI ?
2.1. Les autres….
- Le législateur
Pour ceux d’entre nous qui travaillent dans le secteur public, nous sommes la plupart du
temps (à quelques exceptions près) amener à exercer nos activités dans un cadre juridique.
Plus ou moins précis quant à nos missions, il donne cependant dans un certain nombre de cas
des indications quant à nos responsabilités. Si la loi nous dit que les services d’archives
publics sont responsables de la conservation des documents, alors il nous revient de
développer des compétences qui nous permettent de mener cette mission à bien. Si le
règlement 1049 de la Commission européenne définit les conditions d’accès aux documents
produits par la Commission, pour tout citoyen européen, alors les archivistes de la
Commission doivent montrer les compétences nécessaires pour mettre en place les procédures
et les systèmes qui permettront la mise en œuvre de ce règlement.
La loi est donc un premier point de départ, et il faut tenir compte de ce qu’elle nous dit dans
notre réflexion pour la définition des compétences. Mais elle ne suffit pas, loin de là : en effet
rien de technique dans tout cela, et si on nous dit bien quoi faire, on ne nous dit pas comment.
- Le formateur universitaire
Son rôle est essentiel dans le transfert des savoirs. Mais en a-t-il un dans la définition de ce
qui fait un bon professionnel? Nous rejoignons là la question de l’accréditation des
programmes d’études, qui vise à réduire l’écart entre les programmes proposés et la réalité des
activités professionnelles, et qui est prise en charge dans les pays où elle existe par les
associations professionnelles. Dans certains contextes, et certains pays, l’éducation initiale est
donnée par des professionnels, parfois même dans le cadre universitaire, mais parfois aussi
par des universitaires qui ne sont pas au contact direct des pratiques. Les universités ont
également leurs exigences dans la conception des programmes, et par exemple en France, où
sont proposées près de 10 formations universitaires à l’archivistique, chacune propose une
approche et un programme différents. Le formateur ne peut donc en aucun cas avoir
l’initiative de la définition des compétences, mais devrait au contraire définir ses programmes
d’éducation en fonction de celle-ci.
- Les institutions publiques
Elles ont bien entendu un intérêt certain à définir les compétences de métiers dont elles gèrent
l’organisation et l’évolution. Mais elles ont, là encore, une perspective tronquée, car elles ne
maîtrisent pas l’ensemble d’un secteur donné, et réfléchissent dans le cadre de structures et
d’une organisation données et réglées parfois par des textes, par exemple en France les
« corps » de la fonction publique. Les archivistes publics français font ainsi partie du « corps
des conservateurs du Patrimoine », ou de celui des « attachés de conservation », etc.
Lorsque le ministère français de la Culture a voulu réaliser ce qu’il a appelé un « cartographie
des métiers » au ministère, il a confié la charge de cette enquête à deux ingénieurs qui ont
identifié, dans un domaine général, un profil de «responsable de fonds patrimoniaux», 5
profils de documentalistes, mais aucun d’archiviste.
- L’employeur (public, mais aussi privé)
En définissant un profil de poste, l’employeur répond à un besoin. Il recherche un
professionnel capable de mener telle ou telle mission à bien, qu’il s’agisse de diriger la salle
de lecture d’un service d’archives, d’évaluer un système de gestion des documents et de
proposer des solutions, ou de superviser la construction d’un nouveau bâtiment. L’employeur
n’est pas forcément lui-même un professionnel, ni le responsable des ressources humaines qui
sera chargé de recruter.
Voici l’exemple d’un prestataire de service en ingénierie documentaire recherchant « un
archiviste confirmé, dont la mission consisterait à 1) assurer l’étude du contexte de production
des documents, quels que soient leurs supports, et des activités du client ; 2) évaluer les
contraintes archivistiques ; 3) concevoir, mettre en œuvre et contrôler les procédures de
gestion des documents en fonction des obligations légales et contractuelles ainsi que des
besoins exprimés par les clients. Le profil exigé par cette société est défini comme suit :
« spécialiste du métier, ayant une formation supérieure. Les qualités exigées
sont : »adaptation à des organisation existantes, synthèse et reformulation, qualités
rédactionnelles, maîtrise des logiciels spécifiques et des principaux outils de bureautiques.
Ce profil pourrait convenir –à l’exception de la mention « spécialiste du métier », qui reste
vague, à pratiquement n’importe quelle profession dans le secteur de la gestion de
l’information. Or les missions correspondant à l’emploi sont bien celles d’un archiviste. Ainsi,
l’employeur –s’il n’est pas un professionnel lui-même- n’a qu’une vision parfois déformée de
la profession qui se limite à son champ d’action. Cependant il donne, à travers les exigences
qu’il exprime, des éléments de contexte qui permettent d’ajuster la définition des compétences
à l’évolution du monde du travail. Aussi est-ce un élément à prendre en compte lorsqu’on
élabore un modèle de compétences.
-
Les autres professions
Certaines des professions sœurs (documentalistes, bibliothécaires) ont établis des modèles de
compétences, y compris au niveau international. Un certain nombre de ces démarches ont été
recensées par Colleen MacEwen dans un document de synthèse qu’elle a réalisé pour SPA.
Dans certains cas, les professions-sœurs incluent les archivistes dans leur description des
champs de compétences. Voici par exemple un extrait de l’introduction de l’Euroréférentiel,
modèle de compétences pour les métiers de l’information et de la documentation, établi par
différentes associations professionnelles dans le domaine de l’information et de la
documentation, et sur lequel s’appuie le système européen de certification « CERTIDOC » :
« Le terrain et les modalités d’action des archivistes, des documentalistes, etc., sont sans
doute différenciés, de même que leur langage technique ou leurs relations avec les objets
qu’ils ont à manipuler. Mais si l’on va au bout des choses, les compétences qu’ils doivent
mettre en oeuvre, de même que les principes déontologiques sur lesquels ils s’appuient, sont
fondamentalement les mêmes. Ces associations voulaient donc que cet ouvrage reflétât, ou
éclairât, à la fois les compétences des uns et des autres ».
En tant qu’archiviste, j’ai du mal à cautionner ce type d’assertion, et il me semble que tant
dans le domaine des compétences que des principes déontologiques, des différences
marquantes tenant justement à la nature de l’objet que nous manipulons, font que nous avons
une place à part dans le domaine des métiers de l’information.
Ce même document fait état de « nouveaux métiers », dont celui de records manager, qu’il
qualifie de mal définis, en particulier dans les pays de tradition latine. Nous ne pouvons pas
laisser le soin à d’autres professions de combler cette lacune, voire d’occuper le terrain en
prétendant exercer ces « nouveaux métiers ». Ce n’est pas sur le champ des archives
historiques que les revendications d’identités des archivistes devraient se jouer, mais bien sur
celui du records management.
2.2. …Et nous
Nous avons fait le tour des partenaires potentiels dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un
modèle de compétences. Il ressort de cette courte analyse que chacun d’entre eux doit être mis
à contribution dans la définition d’un modèle de compétences : chacun a en effet une
approche extérieure à la profession qui est intéressante, et par rapport à laquelle il est utile de
se définir.
Cependant seuls les professionnels des archives regroupés en associations professionnelles
ont la maîtrise des spécificités techniques du métier, et la vision d’ensemble des différentes
types de situations professionnelles permettant de fournir un outil cohérent et complet. Les
associations professionnelles en effet, par la diversité de leurs membres, les situations
professionnelles multiples qu’ils représentent, sont évidemment les mieux placées pour
réaliser cette démarche. Cependant, si cette situation est fréquente les pays anglo-saxons, où
les associations professionnelles ont réalisé ce type d’exercice (cf synthèse de Colleen
MacEwen), force est de constater que cela n’est pas le cas dans la plupart des autres pays, soit
que le concept de modèle de compétences ne soit pas répandu, soit que les associations
professionnelles n’aient pas l’audience suffisante pour réaliser ou promouvoir un tel outil.
Nous avons pourtant la responsabilité de réfléchir à l’élaboration de référentiels. C’est dans ce
contexte que se définit le projet que SPA souhaiterait mettre en œuvre, visant à travailler sur
les modèles de compétences. Ce projet devrait être développé avec la branche européenne de
l’ICA, EURBICA, qui a été chargée lors de la Conférence européenne de Varsovie en mai
2006 de réfléchir à la faisabilité d’un modèle de compétences européen.
L’existence de référentiels nationaux dans un certain nombre de pays, les différences
culturelles et les contextes administrations et réglementaires variés, font qu’il semble difficile
d’imposer un modèle commun à tous les pays, même par exemple dans le cadre européen. Et
c’est bien peut-être ce qui fait notre différence avec d’autres professions, qui n’ont pas une
aussi forte dépendance que nous par rapport aux contextes politique, administratif et
stratégique -dépendance qui a des conséquences sur la définition et la mise en œuvre des
compétences.
Il s’agirait plutôt de réfléchir à une méthodologie permettant de développer un modèle de
compétences quel que soit le contexte local. Cette étude pourrait s’appuyer sur la définition
d’un certain nombre de concepts essentiels qui peuvent constituer en tout ou partie ce que
nous pourrions appeler le «cœur de métier», et qui font de notre profession une profession
spécifique. La méthodologie doit aussi prendre en compte l’étude du contexte particulier
d’exercice de la profession, les partenaires potentiels à consulter, etc.
Une démarche pour la réflexion pourrait être proposée, illustrée par des études de cas, ou le
commentaire de modèles existants.
Des conseils de promotion de l’outil pourraient accompagner l’étude : quels objectifs
particuliers lui assigner, comment le présenter, quels types d’arguments utiliser en fonction de
l’audience à laquelle il est présenté.
A ce stade, le projet n’est pas encore avancé, et un groupe de réflexion profitera de cette
conférence pour en tracer les principaux axes. La première étape a été réalisée pour SPA par
notre collègue australienne Colleen MacEwen, dont j’ai cité l’étude à plusieurs reprises, étude
disponible en anglais et en espagnol, et bientôt en français. Cette étude devrait être enrichie
par de nouvelles contributions proposées par d’autres pays.
La nécessité d’une telle démarche au sein de l’ICA, communauté professionnelle
internationale, est cependant urgente. Associer l’ensemble des associations professionnelles à
la réflexion sur les compétences, les doter d’un outil qui devrait leur permettre, en élaborant
leur propre référentiel métier, de se définir en tant que profession spécifique, est l’objectif
principal que s’est fixé SPA en développant ce projet. La méthodologie pour élaborer un
modèle de compétences, et les référentiels qui en découleront, seront autant d’outils de
promotion de la profession qui permettront de nous positionner dans notre contexte proche,
mais aussi plus largement dans la société.
Il est de notre responsabilité à nous les professionnels, de définir ce que nous sommes, et ce
que nous serons au XXIe siècle. Car notre métier est ce que nous en faisons, ou nous
déciderons d’en faire.

Documents pareils