L`Année psychologique Les intérêts théoriques de l
Transcription
L`Année psychologique Les intérêts théoriques de l
L’Année psychologique http://www.necplus.eu/APY Additional services for L’Année psychologique: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique Margot Poletti, Ludovic Le Bigot et François Rigalleau L’Année psychologique / Volume 112 / Issue 02 / June 2012, pp 247 - 275 DOI: 10.4074/S0003503312002047, Published online: 25 June 2012 Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S0003503312002047 How to cite this article: Margot Poletti, Ludovic Le Bigot et François Rigalleau (2012). Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique. L’Année psychologique, 112, pp 247-275 doi:10.4074/ S0003503312002047 Request Permissions : Click here Downloaded from http://www.necplus.eu/APY, IP address: 78.47.27.170 on 15 Feb 2017 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique Margot Poletti∗ , Ludovic Le Bigot et François Rigalleau∗ Université de Poitiers et CNRS (CeRCA, UMR 6234) RÉSUMÉ L’amorçage syntaxique est un phénomène de réutilisation de la structure syntaxique d’une phrase « amorce » qu’un locuteur vient de percevoir ou de produire. Dans cet article, nous définissons dans un premier temps l’amorçage syntaxique, en détaillant le contexte de sa découverte et en précisant les arguments en faveur d’un amorçage purement syntaxique. Nous évoquons notamment les arguments suggérant que cet amorçage ne dépend pas d’aspects non-syntaxiques. Puis nous envisageons deux facteurs influençant l’amorçage syntaxique : la similarité lexicale entre la phrase amorce et la phrase cible, et la fréquence des structures syntaxiques. Dans un deuxième temps, nous abordons cet effet d’amorçage sur un plan théorique, en le situant dans les modèles de production verbale. Nous évoquons aussi la contribution mnésique que l’amorçage syntaxique nécessite. Enfin nous considérons le lien qu’il suggère entre les représentations syntaxiques en compréhension et en production. The theoretical issues of syntactic priming ABSTRACT Syntactic priming (SP) refers to speaker’s tendency to reuse in the current sentence (the target sentence) the syntactic structure of a priming sentence that was previously perceived or produced. In this paper, after recalling the initial experimental evidences of this effect, we review the arguments suggesting that this effect is not related to a tendency to reuse non-syntactic aspects of a sentence. Then we examine two factors influencing SP: the lexical similarity between the prime and the target, and the frequency of the priming structure. Secondly, we discuss the SP effect in the models of language production. We also consider which memory system is required to explain syntactic priming. Finally, we consider how SP can shed some light on the link between the syntactic representations in comprehension and in production. ∗ Correspondance : Margot Poletti ou François Rigalleau, CeRCA/MSHS, 5 rue Théodore Lefebvre, 86000 POITIERS. E-mail : [email protected] ; [email protected] Les auteurs ont bénéficié pour ce travail d’un soutien financier de l’Agence National de la Recherche (ANR06JCJC-098). L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 248 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau La répétition dans le langage est fréquemment observée dans la communication entre humains en contexte naturel. Depuis une trentaine d’années, un phénomène de répétition se situant au niveau de la syntaxe fait l’objet de nombreuses recherches : l’amorçage syntaxique. Plusieurs revues de littérature ont notamment été publiées sur ce thème (Branigan, 2007 ; Ferreira & Bock, 2006 ; Pickering & Ferreira, 2008). Cette multitude de travaux semble pourtant limitée au monde anglo-saxon, même si des recherches existent sur l’amorçage syntaxique en espagnol ou en néerlandais. Les travaux portant sur le français demeurent rares (nous en mentionnons dans ce travail), et une motivation importante de cette revue est de permettre à un large public francophone de connaître ces travaux. Nous nous sommes inspirés des revues de question publiées en anglais, mais en tentant de proposer une revue originale. Les premières observations ont décrit l’amorçage syntaxique comme une réutilisation involontaire des éléments structurels d’une phrase antérieurement perçue ou produite. Ce phénomène a été appelé « répétition syntaxique » ou « persistance syntaxique », mais les études ultérieures ont conduit à privilégier l’expression « amorçage syntaxique », qui témoigne mieux du caractère sans doute inconscient du phénomène. En effet, la perception ou la production d’une structure favorise sa production ultérieure car la première occurrence de cette structure fonctionne à la manière d’une « amorce » facilitant la production ultérieure de la structure dans une nouvelle phrase, appelée phrase « cible ». Nous allons envisager dans un premier temps la découverte du phénomène, et pourquoi il est qualifié de « syntaxique ». Nous nous appliquerons ensuite à le situer au niveau théorique, en envisageant sa place dans les modèles de production, le type de mémoire qu’il implique, ainsi que le lien qu’il peut refléter entre la compréhension et la production du langage. QU’EST-CE QUE L’AMORÇAGE SYNTAXIQUE ? Premiers travaux Les individus produisant un énoncé ont tendance à utiliser des mots ou des groupes de mots déjà produits dans le discours, par eux ou par leur(s) interlocuteur(s). Levelt et Kelter (1982) ont réalisé une des premières expériences démontrant la répétition d’éléments syntaxiques. Une de leurs expérimentations consistait à appeler des commerçants au téléphone pour leur demander l’heure de fermeture de leur magasin, en utilisant deux formes de questions ne différant que par l’ajout d’une préposition en début L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 249 de phrase. Leur hypothèse est que les participants confrontés à une question avec une préposition initiale (1) doivent ensuite produire plus souvent une réponse avec une préposition (2), tandis que les participants confrontés à une question sans préposition (3) doivent produire une réponse sans préposition (4). (1) At what time does your shop close? [A quelle heure ferme votre magasin ?] (2) At five o’clock. [À cinq heures.] (3) What time does your shop close? [Quelle est l’heure de fermeture de votre magasin ?] (4) Five o’clock. [Cinq heures.] Les résultats ont confirmé que les participants avaient tendance à apparier leur réponse à la forme de la question qu’ils avaient entendue. Les participants qui avaient été confrontés à une question incluant la préposition at [à] incluaient dans leurs réponses la préposition at. Ces auteurs ont mis en évidence une correspondance entre la forme de la question utilisée et la réponse donnée à cette dernière (1, 2 vs. 3, 4). Mais cet appariement pouvait aussi refléter une simple adaptation consciente à la forme de la question posée, c’est-à-dire un mécanisme inhérent à la situation de dialogue. Bock (1986) a montré que cette réutilisation pouvait survenir sans qu’elle implique une réponse à une question. Lors d’une tâche évaluant la mémoire, elle faisait répéter des phrases à des participants, puis leur demandait de décrire une image, sans rapport avec la phrase qu’ils venaient d’entendre et de répéter. Afin de justifier la tâche de mémorisation auprès des participants, ils devaient, une fois la répétition de la phrase effectuée, juger s’ils avaient déjà été confrontés à cette phrase au cours de la session expérimentale. De même, une fois la description de l’image réalisée, les participants devaient juger s’ils avaient vu cette image au cours de la session expérimentale précédente. Les phrases à répéter étaient des amorces et les images à décrire constituaient le stimulus permettant la production des phrases cibles. La manipulation de Bock portait sur les différentes constructions syntaxiques des phrases à répéter. Celles-ci pouvaient être de forme transitive, présentée soit à la voix active (5) soit à la voix passive (6), ou de forme dative, soit prépositionnelle objet (7) soit double objet (8). L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 250 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau (5) One of the fans punched the referee. [Un des supporters a frappé l’arbitre.] (6) The referee was punched by one of the fans. [L’arbitre a été frappé par un des supporters.] (7) A rock star sold some cocaine to an undercover agent. [Une rock star a vendu de la cocaïne à un policier infiltré] (8) A rock star sold an undercover agent some cocaine. [Une rock star a vendu à un policier infiltré de la cocaïne.] Selon Bock, un participant ayant répété une amorce à la voix active (5) doit plus souvent produire une phrase cible à la voix active que s’il a été confronté à une amorce à la voix passive (6). De manière analogue, un participant ayant répété une phrase amorce de type dative prépositionnelle (7) doit produire plus souvent une phrase cible de même type que s’il a répété une phrase dative double-objet (8). L’analyse des résultats a confirmé les hypothèses de Bock : lorsque les participants décrivaient l’image, ils employaient plus fréquemment la structure de la phrase répétée auparavant qu’une autre structure. Bock a conclu que l’amorçage syntaxique n’était pas seulement assimilable à une tendance à formuler une réponse respectant la structure d’une question, mais qu’il reflétait aussi une réutilisation de la structure syntaxique venant d’être produite. Les deux expérimentations évoquées ci-dessus ont démontré qu’il existait une tendance à la réutilisation des différents éléments de la structure de la phrase. Si l’étude de Bock (1986) a servi d’expérience princeps pour la suite des expérimentations sur l’amorçage syntaxique, les résultats qu’elle a obtenus ont provoqué plusieurs critiques sur la nature de ce qui était réellement reproduit par les participants. L’une de ces questions concerne le niveau de représentation concerné par l’amorçage : s’agit-il bien du niveau syntaxique, ou d’un autre niveau (prosodique, sémantique, thématique) en partie corrélé avec la représentation syntaxique. Par exemple, le choix d’une structure dative prépositionnelle est associé, en anglais, à l’insertion de la préposition to. Ce serait la reproduction lexicale de cette préposition qui serait au cœur du choix apparemment syntaxique. De même, la structure syntaxique amorce peut être liée à des aspects prosodiques spécifiques, et la reproduction de ces aspects phonologiques conduirait à privilégier une structure syntaxique similaire. De manière générale, les critiques ont porté sur le niveau exact de représentation concerné par L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 251 l’amorçage. Un amorçage apparemment syntaxique pouvait en fait refléter un amorçage à un autre niveau de représentation. Ce questionnement est lié, au niveau théorique, au problème plus général de l’autonomie de la syntaxe, largement remise en cause par des modèles théoriques notant que les choix de structure syntaxique sont souvent liés à des choix à d’autres niveaux (informationnel, lexical ou autre). Nous commencerons par envisager rapidement l’éventuelle contribution des aspects les plus superficiels de l’énoncé, comme les formes phonologiques des mots ou le contour prosodique de la phrase. PERSISTANCE DES ASPECTS SUPERFICIELS DE L’ÉNONCÉ Une production verbale est un flux sonore dans lequel l’auditeur perçoit, entre autres, une succession de phonèmes et les aspects prosodiques de l’énoncé (par ex., intonation et accent). Certains auteurs ont évalué si ces aspects superficiels pouvaient être à l’origine de l’amorçage dit syntaxique (par ex., Bock, 1987 ; Van Gompel, Pickering, Pearson, & Jacob, 2006 ; Cleland & Pickering, 2003). Dans le modèle de production verbale proposé par Garett (1982), différentes étapes décrivent le processus de production. Ces étapes sont habituellement considérées comme distinctes et se déroulant dans un ordre établi. L’étape syntaxique précède toujours l’étape phonologique. C’est-à-dire que la structure de la phrase est partiellement déterminée avant que les éléments phonétiques ne soient élaborés. En admettant que ces étapes ne soient pas si indépendantes que décrites, des informations du niveau phonologique pourraient influencer le choix d’une structure syntaxique de la production suivante. Par exemple, la probabilité de produire à nouveau une phrase à la voix passive après avoir produit une phrase passive pourrait être attribuée à la similitude phonologique de la conjugaison des verbes (par ex. was punched, was awakened). Bock et Loebell (1990) ont apporté des arguments contraires à cette hypothèse. Ces auteurs ont utilisé le paradigme de description d’images avec répétition de phrases déjà mentionné lors de notre description de l’étude de Bock (1986). Ils ont évalué la fréquence d’utilisation de structures datives prépositionnelles dans les phrases cibles (cette structure est illustrée dans (7)). Ils ont manipulé le type d’amorce que le participant devait répéter avant la production de la phrase cible (9-11). Ils ont montré que l’amorçage syntaxique était observé lorsque l’amorce et la cible avaient L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 252 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau des structures similaires mais avec des éléments superficiels et prosodiques différents (9, 10). Lorsque l’amorce et la cible avaient des structures syntaxiques différentes, mais étaient analogues au niveau de la prosodie ou de leurs apparences superficielles, l’amorçage syntaxique n’est pas observé (9, 11). Ces deux types de phrases ont des structures différentes. Dans (9), le mot suivant to est un complément d’objet indirect désignant le destinataire « Stella ». Dans (11), to est suivi d’un verbe et to study apparaît comme un complément du nom book. (9) Susan brought a book to Stella. [Susan a apporté un livre pour Stella.] (10) The girl gave a brush to the man. [La fille a donné une brosse à l’homme.] (11) Susan brought a book to study. [Susan a apporté un livre pour étudier]. Cette étude permet d’écarter une explication purement superficielle de l’amorçage syntaxique. Elle invite à concevoir cet amorçage comme un phénomène de persistance soit de la structure syntaxique en tant que telle, soit d’une représentation sémantique distinguant les rôles attribués aux différentes entités désignées dans l’énoncé. Par exemple, (9) et (10) amorceraient le positionnement d’un destinataire dans la fin de la phrase cible suivante, induisant une structure dative prépositionnelle. L’amorce (11) n’attribue pas ce rôle à « study » et elle ne favoriserait pas la structure dative prépositionnelle permettant de reproduire l’attribution du rôle en position finale. Cette approche en termes de rôle est développée dans la section suivante. En ce qui concerne l’approche de l’amorçage syntaxique qui impliquerait une tendance à réutiliser les formes phonologiques de l’amorce, celle-ci se voit remise en cause par les effets d’amorçage syntaxiques rapportés chez des personnes bilingues, puisque l’amorce et la cible ne contiennent aucun mot ayant une forme orthographique ou phonologique semblable. (Desmet & Declercq, 2006 ; Hartsuiker, Pickering, & Veltkamp, 2004 ; Loebell & Bock, 2003 ; Meijer & Fox Tree, 2003). Contribution des rôles thématiques Un rôle thématique est une étiquette abstraite (par ex. Agent, Patient) qui caractérise la relation sémantique qu’un prédicat (par ex. verbe) peut L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 253 entretenir avec l’un de ses arguments (par ex. sujet grammatical). Aussi, la relation grammaticale qu’entretient le nom objet direct d’un verbe avec celui-ci se distingue de la relation sémantique qu’entretiennent l’entité (désignée par le nom) et l’événement décrit par le verbe. Dans « Le vent préoccupe Pierre » ou « Le vent décoiffe Pierre », Pierre est objet direct du verbe. Toutefois, Pierre éprouve un certain état mental par rapport au vent dans le premier exemple alors qu’il subit une action du vent dans le second, son rôle thématique est différent dans les deux phrases. L’hypothèse d’une contribution des rôles thématiques à l’amorçage syntaxique soutient qu’une partie du phénomène de persistance est régie par le maintien des rôles thématiques plutôt que par celui des fonctions grammaticales. L’amorçage « syntaxique » consisterait en une réutilisation des rôles thématiques dans le même ordre que celui déjà traité. Cette hypothèse s’appuie sur les effets d’amorçage obtenus avec des phrases passives. Lorsque le participant entend (ou produit) en amorce une phrase à la voix passive, il encode la position initiale dans la phrase du patient (le patient survient en premier dans la phrase). Ce dernier étant décrit avant l’agent, la réutilisation du même ordre des rôles thématiques est amorcée dans la phrase suivante, ce qui aboutit à la construction d’une phrase passive lors de la production de la cible. Dès le premier abord, cette critique n’est pas adéquate puisque selon cette hypothèse, le locuteur pourrait utiliser n’importe quelle autre structure où le patient est proéminent, par exemple une phrase clivée objet (par ex., C’est le patient que l’agent verbe, « C’est la pomme que la fillette croque »). Bock et Loebell (1990) ont étudié la persistance de l’attribution des rôles thématiques dans les répétitions. Dans une première expérience, les auteurs ont manipulé des structures ayant les mêmes configurations syntaxiques mais dont les rôles thématiques différaient. Ils ont utilisé des phrases prépositionnelles, soit avec un complément locatif (12), qui informe sur le lieu de l’action, soit en dative prépositionnelle, qui informe sur le destinataire de l’action (13). Ils ont montré qu’une phrase avec un complément locatif amorçait une description de l’image en dative prépositionnelle avec le même degré que celui provoqué par une phrase amorce dative prépositionnelle. (12) The wealthy widow drove the Mercedes to the church. [La riche veuve a conduit la Mercedes jusqu’à l’église.] (13) The wealthy widow gave the Mercedes to the church. [La riche veuve a donné sa Mercedes à l’église.] L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 254 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau Dans une seconde expérience, les auteurs ont utilisé des phrases locatives utilisant « by » (14) et des phrases passives (15). Ces deux types de phrases ont les mêmes configurations syntaxiques mais les phrases locatives ont l’agent en sujet grammatical, tandis que les passives ont le patient en tant que sujet grammatical. Les auteurs ont montré qu’une phrase locative amenait des réponses cibles à la voix passive, comme l’aurait provoqué une amorce passive. (14) The 747 was landing by the control tower. [Le 747 atterrissait près de la tour de contrôle.] (15) The 747 was alerted by the control tower. [Le 747 a été alerté par la tour de contrôle. Les auteurs ont conclu que la réutilisation de la structure ne correspondait pas à la persistance de l’attribution des rôles thématiques. De ce fait, les effets d’amorçage syntaxique ne seraient pas d’ordre conceptuel. Ce type de résultat serait en faveur d’un effet d’amorçage essentiellement structurel, indifférent aux rôles thématiques joués par les noms (voir aussi Chang, Bock, & Goldberg, 2003, pour l’éventualité d’un effet d’amorçage thématique indépendant de l’amorçage proprement syntaxique). Pour Bock et Loebell, l’influence des traits structurels permettrait d’envisager l’amorçage syntaxique plutôt en termes de configurations hiérarchiques des phrases. Dans cette optique, les résultats que les auteurs ont obtenus constitueraient un argument supplémentaire pour faire l’hypothèse d’une représentation syntaxique indépendante de tout élément de signification. Ayant écarté la forme superficielle ou les rôles thématiques comme médiateurs de l’amorçage, l’influence des représentations lexicales des mots de l’amorce et de la cible doit être envisagé. Contribution lexicale à l’amorçage syntaxique Deux grandes classes d’éléments lexicaux sont généralement distinguées : les mots de contenu et les mots fonctionnels. Les mots de contenu sont les noms, les adjectifs, les verbes, certains adverbes. Les mots fonctionnels sont les articles, les pronoms, les verbes auxiliaires, et d’autres éléments grammaticaux qui servent souvent à introduire les mots de contenu lorsqu’ils apparaissent dans des phrases, c’est-à-dire dans le contexte d’une structure syntaxique. Dans le cas des pronoms, ils peuvent simplement L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 255 remplacer un mot de contenu, sans l’introduire, mais leur « contenu » ou leur « référence » reste essentiellement tributaire du contexte contrairement aux mots de contenu. Même si cette distinction est intuitivement claire, elle pose un problème. La dénomination « de contenu » pourrait laisser penser que les mots fonctionnels sont dépourvus de contenu sémantique, ce qui est évidemment inexact : par exemple, un article peut être défini, indéfini, etc. En fait, les mots fonctionnels sont aussi porteurs de certains traits sémantiques, souvent relativement abstraits comme dans le cas de la définitude. Certains auteurs, comme Bradley, Garrett, et Zurif (1980) ont d’ailleurs préféré une distinction entre éléments de classe ouverte et de classe fermée. En effet, les éléments fonctionnels semblent en nombre limité dans une langue donnée, et donc inventoriables, alors que les éléments de contenu constituent une catégorie de taille bien plus importante, éventuellement limitée, mais qui demeure très variable d’un locuteur à l’autre. D’ailleurs les rééditions des dictionnaires donnent lieu à des changements concernant la classe ouverte, tandis que la classe fermée demeure pratiquement inchangée. La distinction entre ces deux grandes catégories d’éléments lexicaux est particulièrement importante pour appréhender l’amorçage syntaxique. Si nous reprenons les exemples classiques de structures pouvant faire l’objet d’un amorçage, il est frappant de constater qu’elles se distinguent par le type de mot fonctionnel employé. Par exemple, la préposition at dans l’étude de Levelt et Kelter (1982) était commune à l’amorce et à la cible prépositionnelle, voir (1) et (2). Dans l’étude de Bock (1986), l’auxiliaire be [être] et la préposition by [par] étaient spécifiques des cas d’amorçage par passive, de même que la préposition to était spécifique des cas d’amorçage de la structure dative prépositionnelle illustrée par (7). Légitimement, quelle est l’éventuelle contribution lexicale à l’amorçage syntaxique ? En d’autres termes, est-ce que l’amorçage syntaxique représente bien une persistance de la structure syntaxique en tant que telle, ou plutôt une tendance à réutiliser les mêmes mots grammaticaux pour construire la phrase suivante ? Bock (1989) a évalué l’influence de la présence ou non d’une préposition dans la phrase amorce, et le cas échéant si cette préposition était répétée de la phrase amorce à la phrase cible. Bock a utilisé un paradigme d’amorçage de description d’images avec des phrases à la forme dative de type prépositionnel objet, ou de type double-objet. Chacun de ces deux types de phrases pouvait se décliner de deux manières. Pour les phrases prépositionnelles objet, les phrases amorces était construites avec to (16a) ou avec for (17a). Pour les phrases double-objet, l’ordre des compléments était inversé (16b, 17b). L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 256 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau (16a) The secretary took a cake to her boss. [La secrétaire a apporté pris un gâteau pour son patron.] (16b) The secretary took her boss a cake. [La secrétaire a apporté à son patron un gâteau] (17a) The secretary baked a cake for her boss. [La secrétaire a préparé un gâteau pour son patron.] (17b) The secretary baked her boss a cake. [La secrétaire a préparé à son patron un gâteau] (18) The girl handed the paintbrush to the man. [La fille a remis le pinceau à l’homme.] (19) The girl handed the man the paintbrush. [La fille a remis à l’homme le pinceau.] L’analyse des résultats a montré que les phrases amorces avec prépositions (16a et 17a) induisaient plus de phrases cibles avec préposition comme (18) que les phrases (16b et 17b). Ces dernières favorisaient au contraire la production de cibles de la forme (19). La préposition produite dans la cible n’avait pas tendance à être celle utilisée dans l’amorce. L’auteur a suggéré que cette absence de différence significative minimisait la contribution proprement lexicale par rapport à la contribution de l’ordre des compléments. Il semble que l’identité des mots grammaticaux ne soit pas un facteur crucial pour l’amorçage syntaxique. Nous allons maintenant envisager la contribution des mots de contenu à l’amorçage syntaxique. Si l’amorçage est seulement syntaxique, il ne devrait concerner que la structure et le type des éléments grammaticaux (par ex., prépositions) qui la caractérisent. Les caractéristiques des mots de contenu ne devraient pas influencer l’amorçage. Pourtant, plusieurs recherches ont montré que l’amorçage syntaxique semble plus fort si la phrase amorce et la phrase cible partagent des mots de contenu, ou si les mots de contenu des deux phrases ont des propriétés sémantiques communes. Dans une expérimentation, Melinger et Dobel (2005) ont étudié dans quelle mesure l’emploi d’un verbe amorce n’autorisant qu’une structure peut amorcer cette structure lors de la production d’une cible impliquant un verbe autorisant deux structures. Les verbes-amorces sélectionnés ne permettaient la construction que d’un seul type de structure dative. La structure possible était soit une construction prépositionnelle objet, soit L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 257 une construction double objet. Par exemple, le verbe to contribute ne peut se mettre à la forme dative qu’avec une construction prépositionnelle objet (20). En revanche, un verbe tel que to fine ne supporte la forme dative qu’avec une construction double objet (21). (20) The man contributed money to the church. [L’homme versait de l’argent à l’église.] (21) The judge fined the driver fifty dollars. [Le juge condamnait le conducteur à une amende de cinquante dollars.]. Lors de l’expérience, les participants lisaient un verbe, puis décrivaient une image. L’analyse des résultats a montré que lorsque le verbe-amorce ne permettait qu’une construction de type double objet, la description cible des images s’appuyait plus fréquemment sur des phrases double objet que sur des phrases prépositionnelles objet. De même, lorsque le verbe-amorce n’était compatible qu’avec une construction prépositionnelle objet, alors les phrases cibles étaient plus souvent de type prépositionnel objet que de type double objet. Les auteurs ont conclu que la présentation d’un type précis de verbe conduisant à la production d’une structure particulière pouvait permettre des effets d’amorçage syntaxique. Plus précisément, les traits morphosyntaxiques rattachés au verbe-amorce conduisaient, selon les auteurs, aux effets obtenus. Ce point de vue s’inscrit dans une explication en termes d’activation de traits spécifiques rattachés à un verbe précis. Cette étude montre que l’amorçage syntaxique d’un certain ordre des compléments est étroitement dépendant des propriétés du verbe-amorce. Dans le cas de l’étude de Melinger et Dobel, le verbe-amorce n’était lié qu’à une structure, et cette structure était préférée pour la cible. En généralisant cette approche, si un verbe-amorce autorise deux structures de complémentation (par ex., dative double objet ou dative prépositionnelle), celles-ci seraient représentées avec l’entrée lexicale du verbe. Si ce verbe apparaît en amorce dans un fragment de phrase n’activant que l’une des deux complémentations, le lien entre le verbe-amorce et cette complémentation devrait être spécifiquement activé. Si la phrase cible à produire ensuite implique le même verbe, l’activation de ce lien devrait conduire à accentuer (« booster ») l’effet d’amorçage syntaxique par rapport au cas où la phrase cible contient un verbe différent (mais autorisant aussi les deux types de complémentation). Ce phénomène d’accentuation de l’amorçage syntaxique en cas de similarité lexicale a été mis en évidence par Pickering et Branigan (1998). Ces auteurs ont proposé à des participants de compléter des fragments L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 258 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau de phrase à l’écrit. Leur étude portait essentiellement sur des structures datives anglaises, similaires à (7) et (8). Les auteurs ont proposé une cible incomplète à compléter, cette cible pouvant s’achever par le même verbe que l’amorce ou par un verbe différent (mais rendant aussi possible les deux types de fins datives dans la fin produite par les participants). L’analyse des résultats a montré un effet d’amorçage syntaxique plus fort lorsque les phrases amorces et les cibles partageaient le même verbe. Pour ces auteurs, cette accentuation (boosting) lexicale de l’amorçage syntaxique indiquait que l’entrée lexicale d’un verbe était associée à des informations grammaticales sur ses compléments et sur leur ordre. En activant un type particulier de complémentation pour un verbe donné, l’amorce conduisait à « sur-privilégier » cette complémentation si la cible réactivait le même verbe. Si la cible impliquait un verbe différent, seule l’activation résiduelle de la complémentation propre à l’amorce (par ex. « NP- to PP ») pouvait faciliter sa production, ce qui était cohérent avec un effet plus faible, ne bénéficiant pas de l’activation résiduelle du lien entre le verbe amorce et la complémentation. Il est d’ailleurs remarquable que cette accentuation de l’amorçage syntaxique en cas de similarité des verbes de l’amorce et de la cible a seulement été observée quand aucune phrase neutre n’intervenait entre l’amorce et la cible. Par exemple, Hartsuiker, Bernolet, Schoonbaert, Speybroeck et Venderelst (2008) ont montré que l’accentuation lexicale s’atténue rapidement (dès 1 ou 2 phrases neutres séparant l’amorce et la cible), alors que la tendance à la réutilisation de la structure syntaxique perdure même si des phrases neutres s’intercalent entre l’amorce et la cible. Pour Pickering et Branigan, cet effet relativement éphémère est sans doute lié au maintien transitoire des mots en mémoire de travail. Le lien fortement activé entre un verbe donné et sa complémentation syntaxique s’atténuerait rapidement lorsque des mots nouveaux viendraient prendre la place en mémoire de travail. Les travaux de Pickering et Branigan (1998) peuvent s’intégrer avec les résultats de Bock (1989) sur l’absence d’accentuation des effets d’amorçage syntaxique avec les prépositions. En effet, Bock concluait que la contribution lexicale des mots grammaticaux était minime dans l’amorçage syntaxique, et que seule la structure syntaxique était en cause dans les résultats obtenus. Pickering et Branigan ont montré que l’influence des mots de contenu n’était pertinente qu’en considérant les informations syntaxiques spécifiques à ces mots. En conclusion, les études de Melinger et Dobel (2005) et de Pickering et Branigan (1998) montrent l’importance des propriétés grammaticales des mots de contenu pour l’amorçage syntaxique. À chaque élément de contenu L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 259 sont attachées des informations sur ses contextes grammaticaux possibles. L’activation de ces informations contribue à l’amorçage syntaxique (Melinger & Dobel, 2005), et le lien que ces informations grammaticales entretiennent avec un mot de contenu spécifique conduit à accentuer l’amorçage si ce mot est réutilisé dans la phrase cible (Pickering & Branigan, 1998). Mais cet effet d’accentuation est éphémère puisqu’il repose sur le maintien de l’activation d’une représentation lexicale particulière. Ces deux études mettent l’accent sur les informations grammaticales associées aux mots de contenu, mais certains auteurs ont voulu déterminer si des informations sémantiques liées à ces mots pouvaient aussi influencer l’amplitude de l’amorçage syntaxique. L’approche défendue par Pickering et Branigan (1998) implique un modèle interactif où chaque mot de contenu est lié à des informations grammaticales. Le lien spécifique entretenu par un verbe avec des informations grammaticales est activé lors de la perception/production de l’amorce. Cette première activation facilite la réactivation de ce lien (et de la structure grammaticale liée) lors d’une deuxième occurrence du verbe, c’est-à-dire lors de la production de la cible. Cette approche peut conduire à une hypothèse plus forte. Ainsi, un mot de contenu donné n’est pas seulement lié en mémoire à long terme à des informations grammaticales sur ses contextes possibles d’apparition. Il est aussi lié à des informations sémantiques sur sa catégorie sémantique (par ex., animal, outil, etc.). En suivant une approche interactive, lors du traitement de l’amorce, l’activation d’une propriété sémantique particulière pour un nom apparaissant dans une structure grammaticale spécifique, devrait aboutir à un état du système où le lien éventuellement indirect entre la propriété sémantique et les informations grammaticales serait « activé ». Dans ce cas, si la cible réactive la propriété sémantique de l’amorce, elle pourrait aussi réactiver les informations grammaticales activées initialement avec cette propriété sémantique. C’est précisément un effet de ce type que Cleland et Pickering (2003) ont mis en évidence. En effet, ces auteurs ont constaté un effet d’amorçage syntaxique plus fort lorsque l’amorce et la cible avaient un sujet grammatical de même catégorie sémantique (par ex., deux animaux) que dans le cas où les deux énoncés avaient des sujets grammaticaux de catégories sémantiques différentes (par ex., un animal et un objet). Globalement, les recherches sur la contribution lexicale à l’amorçage syntaxique suggèrent que chaque mot de contenu est lié à des informations grammaticales et sémantiques. Les liens établis peuvent expliquer pourquoi une structure syntaxique a d’autant plus de chances d’être reproduite L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 260 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau qu’elle est construite sur des mots identiques ou partageant certaines propriétés, éventuellement non-syntaxiques. La contribution lexicale à l’amorçage syntaxique, même si elle est limitée en portée temporelle est une donnée importante qui éclaire en partie l’un des mécanismes opérant pour produire l’amorçage : la propagation (et le maintien) de l’activation dans un lexique où des informations sur les environnements syntaxiques possibles sont associées aux mots de contenu. Nous allons à présent examiner une série d’études montrant l’effet d’un autre facteur sur l’amorçage syntaxique : l’effet de la fréquence d’usage des structures amorcées. Ce facteur s’avère crucial pour comprendre pourquoi certains auteurs proposent de concevoir l’amorçage syntaxique comme un phénomène d’apprentissage implicite. CONTRIBUTION DE LA FRÉQUENCE DE LA STRUCTURE AMORCÉE La fréquence d’usage de la structure utilisée comme amorce provoque une variation de l’amplitude de l’amorçage syntaxique. Par exemple, Hartsuiker et Westenberg (2000) se sont appuyés sur une structure néerlandaise permettant deux fins différentes de phrase sans altération de son sens, en plaçant en position finale soit le participe (22) soit l’auxiliaire (23). (22) De man belde de politie omdat zijn portemonee was gestolen. [L’homme a appelé la police parce que son portefeuille a été volé.] (23) De man belde de politie omdat zijn portemonee gestolen was. [L’homme a appelé la police parce que son portefeuille volé a été.] Lors de la première mesure d’une ligne de base, sans amorce, les auteurs ont relevé que les participants préféraient spontanément la structure où le participe était placé en position finale (22) plutôt que celle avec l’auxiliaire en position finale (23). Les résultats sur l’effet d’amorçage ont montré que la forme spontanément préférée n’amenait qu’une réutilisation faible de cette forme. En revanche, les amorces avec l’auxiliaire en position finale induisaient une reprise plus fréquente de l’auxiliaire en position finale dans les cibles. Les auteurs ont évalué une seconde fois la ligne de base des préférences des participants (confrontés au même L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 261 nombre de chaque structure). Ils ont trouvé une inversion de la ligne de base : c’est la structure où l’auxiliaire était en position finale qui devenait numériquement la structure préférée des participants plutôt que celle finissant avec le participe. Pour les auteurs, cette inversion dans la préférence de la structure entre les deux évaluations s’expliquerait en termes d’activation. La production répétée tout au long de l’expérimentation d’une structure spécifique augmenterait son activation, qui persisterait, et qui conduirait à une préférence pour cette structure lors de la seconde évaluation (cf. Hartsuiker, Kolk, & Huiskamp, 1999, pour des résultats analogues sur une autre variation d’ordre des constituants où un ordre était clairement plus fréquent que l’autre). L’étude de Melinger et Dobel (2005) déjà mentionnée apporte une confirmation de cet effet. La première étude menée par ces auteurs montrait, en langue allemande, que c’était la structure la moins fréquente qui amenait un effet d’amorçage syntaxique plus important (construction prépositionnelle objet). Dans une seconde étude, Melinger et Dobel ont obtenu des résultats similaires en langue néerlandaise. Cette dernière permet, elle aussi, les constructions variables de datives. En revanche, la préférence entre ces phrases est inversée par rapport à la langue allemande. C’est la construction prépositionnelle objet qui est préférée par rapport à la construction en double objet. Les résultats ont montré que la construction double objet (la moins fréquente en langue néerlandaise) induisait les effets d’amorçage les plus élevés. Melinger et Dobel ont confirmé l’effet de préférence inverse dans l’amorçage syntaxique (voir aussi Bock & Griffin, 2000 ; Hartsuiker & Kolk, 1998 ; Hartsuiker et al., 1999 ; Scheepers, 2003). Du point de vue théorique, l’effet de préférence inverse est intéressant car il conduit à envisager l’amorçage comme un phénomène d’apprentissage, permettant aux structures rarement produites d’être plus fréquemment employées. Dans le domaine de l’apprentissage, les mécanismes tenant compte des erreurs modifient plus fortement les pondérations du système lorsque des liens inattendus entre stimulus et réponse sont rencontrés, que lorsque des liens attendus sont traités (par ex. Rumelhart, Hinton, & Williams, 1986). En considérant que chaque traitement de phrase revient à l’établissement d’un lien entre un message et une forme de phrase, Chang, Dell et Bock (2006) ont proposé un modèle permettant de simuler l’amorçage syntaxique. Ce modèle était fondé sur la prise en compte des erreurs (ici des appariements rares entre le message et la forme de la phrase), et il simulait bien le phénomène de préférence inverse. Nous reviendrons sur ce point dans la conclusion de cette revue. L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 262 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau LES SUPPORTS THÉORIQUES DE L’AMORÇAGE SYNTAXIQUE Place de l’amorçage syntaxique dans les modèles de production Le modèle classique de production verbale (Bock & Levelt, 1994) suppose un traitement sériel de l’encodage grammatical. Ce processus est responsable de la sélection des lemmes (entités abstraites formées des propriétés sémantiques et syntaxiques des mots) et de leur organisation au sein d’une structure syntaxique (Kempen & Huijbers, 1983). Le processus d’encodage grammatical fait la liaison entre l’étape antérieure de conceptualisation du message, et celle de l’encodage phonologique, permettant l’articulation de ce message. L’étape d’encodage grammatical peut être divisée en deux niveaux, appelés le niveau fonctionnel et le niveau positionnel (Garrett, 1975 ; Levelt, 1989 ; voir aussi Fayol, 1997, pour une revue en français). Le rôle du niveau fonctionnel implique la sélection de lemmes appropriés pour exprimer le contenu conceptuel. Un second rôle attribué à ce niveau est d’assigner des fonctions grammaticales à ces lemmes. L’attribution des fonctions décide quel élément du message sera le sujet grammatical, lequel sera objet direct, etc. Le produit de cette attribution de fonction est une représentation qui indique pour chaque élément du message sa fonction syntaxique et le mot utilisé pour l’exprimer. Par exemple, si le locuteur veut dire que Jean mange une pomme, il lui faut dans un premier temps choisir les items « Jean », « mange » et « pomme ». Ensuite le locuteur attribue à chaque item son rôle dans la phrase, comme le fait que le sujet est « Jean » et que le complément d’objet est « pomme ». Cette représentation fonctionnelle guide le traitement au niveau positionnel, qui lui aussi assume deux fonctions distinctes. La première est la construction d’une structure constituante qui spécifie les relations hiérarchiques et linéaires entre les différents éléments. Le second rôle assigné au niveau positionnel est de placer les mots dans un ordre linéaire. Ce processus de linéarisation se justifie car un même type de relations fonctionnelles peut s’exprimer au travers de différents ordres de mots (Kempen & Hoenkamp, 1987). Ni l’étape de conceptualisation antérieure, ni celle de l’encodage phonologique postérieure ne peuvent accueillir l’amorçage syntaxique, puisque celles-ci ne traitent pas des éléments syntaxiques. L’amorçage L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 263 syntaxique se situerait donc au niveau de l’encodage grammatical. Mais à quel niveau précis du processus d’encodage grammatical faut-il situer l’amorçage syntaxique ? Cette question est notamment considérée par l’analyse des résultats obtenus par Bock, Loebell, et Morey (1992). Dans leur étude, ces auteurs ont utilisé un paradigme de description d’image, après répétition d’une amorce (voir Bock, 1986). Les images à décrire impliquaient toutes un agent inanimé et un patient animé (par ex., une alarme se déclenchant et réveillant un garçon.). Les phrases à répéter variaient en fonction du caractère animé (24, 26) ou non (25, 27) du sujet grammatical et en fonction de la voix utilisée pour les phrases (active : 24, 25, vs passive : 26, 27). (24) Five people carried the boat. [Cinq personnes ont transporté le bateau.] (25) The boat carried five people. [Le bateau a transporté cinq personnes] (26) Five people were carried by the boat. [Cinq personnes ont été transportées par le bateau.] (27) The boat was carried by five people. [Le bateau a été transporté par cinq personnes.] L’analyse des résultats a montré deux effets d’amorçage indépendants. D’une part, les participants avaient plus de chances de produire une phrase cible active lorsque l’amorce avait un sujet inanimé (25 et 27) que lorsque l’amorce avait un sujet animé (24 et 26). La phrase cible impliquait toujours un agent inanimé et un patient animé, elle permettait deux configurations : l’une où l’inanimé était sujet grammatical et l’animé objet grammatical (phrase active du type « L’alarme réveille le garçon »), l’autre où l’animé était sujet grammatical (phrase passive du type « Le garçon est réveillé par l’alarme »). Le fait qu’une amorce avec un sujet inanimé facilite la production de la forme active de la cible suggérait à Bock et al. (1992) l’existence d’un amorçage au niveau fonctionnel : l’amorce attribuant la fonction de sujet à l’inanimé induisait cette même attribution au niveau de la cible, avec une tendance à formuler une structure active. Le deuxième effet d’amorçage, plus classique, concernait la facilitation d’une structure de cible par une structure d’amorce (active ou passive). Lorsqu’ils produisaient une phrase cible, les participants ayant traité une phrase amorce active avaient tendance à repositionner le sujet en premier, suivi de son objet L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 264 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau direct, adoptant ainsi une structure active. Réciproquement, les participants ayant traité une phrase amorce passive avaient tendance à placer l’élément animé en position de complément d’agent, placé à la suite de by [par] dans une structure passive. Le caractère additif des deux effets d’amorçage suggérait à Bock et al. (1992) l’existence de deux effets d’amorçage : l’un au niveau fonctionnel (sensible au caractère animé des items lexicaux), l’autre au niveau positionnel (sensible aux positions respectives des noms dans les structures). Reste que ce type d’étude ne permet pas de tester directement l’existence d’un effet d’amorçage au niveau seulement positionnel. En effet, en langue anglaise, et pour les structures considérées (active ou passive), assigner la fonction de sujet grammatical revient aussi à adopter une position spécifique (début de phrase). Pour déterminer si un amorçage de la position relative des éléments peut survenir lorsque l’effet sur la cible est purement positionnel, sans affecter simultanément les fonctions grammaticales, d’autres constructions syntaxiques doivent être expérimentées. Les structures manipulées dans l’étude de Hartsuiker et Westenberg (2000) évoquée plus haut, permettaient de placer en position finale soit l’auxiliaire soit le participe, sans affecter les fonctions grammaticales. Ces auteurs ont montré que seul le positionnement relatif des éléments (auxiliaire et participe) était affecté par l’amorçage sans que les fonctions grammaticales de ces éléments n’interviennent. Ce résultat suggère que l’amorçage peut concerner un niveau où le système attribue les fonctions grammaticales et où le positionnement des constituants syntaxiques est seul en jeu. En d’autres termes, le résultat obtenu par Hartsuiker et Westenberg place l’effet d’amorçage syntaxique au niveau positionnel du processus d’encodage grammatical. De même, Fouilloux, Guitton, Le Bigot, et Rigalleau (2007) ont manipulé l’ordre des constituants finaux de phrases clivées en français dans une tâche de continuation de phrase. Les phrases clivées permettaient une inversion de la place du sujet et du verbe. Les participants commençaient par compléter une phrase amorce induisant un ordre particulier (par ex. « C’est une bière que boit. . . »), où le sujet se place après le verbe, comme dans la structure dite clivée objet inversée « C’est une bière que boit le garçon. ». Les participants devaient ensuite compléter un fragment cible du type « C’est un verre que. . . ». Les auteurs ont trouvé un effet d’amorçage sur l’inversion du verbe et du sujet. Lorsque les participants étaient amorcés avec une phrase clivée objet inversée (par ex. « C’est une bière que boit. . . »), les fragments cibles étaient plus souvent complétés de manière similaire (« C’est un verre que lave la serveuse »), que L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 265 lorsque l’amorce était une clivée objet non-inversée (« C’est un verre que l’homme . . . »).1 Ces deux études sont en faveur d’un amorçage syntaxique intervenant au niveau positionnel du processus d’encodage grammatical, même si elles n’interdisent pas l’existence d’un amorçage au niveau fonctionnel de l’encodage grammatical. D’autres questions peuvent maintenant être soulevées concernant le(s) support(s) mnésique(s) dont l’amorçage syntaxique bénéficie. Nous évoquerons, dans la section suivante, les travaux portant sur le caractère implicite ou explicite de la mémoire impliquée dans l’amorçage syntaxique. Support mnésique de l’amorçage syntaxique L’amorçage syntaxique est souvent décrit comme un processus spontané mais certains participants pourraient réutiliser de manière consciente et volontaire les structures utilisées en tant qu’amorce. Dans le cadre des travaux déjà cités dans la section précédente de Bock et al. (1992), les auteurs ont étudié le caractère implicite versus explicite de la mémorisation de la structure amorce. L’étude partait de la supposition que si l’amorçage syntaxique impliquait une participation de la mémoire explicite, des relations devraient apparaître entre la mémorisation explicite des phrases amorces, et le degré auquel elles induisent l’amorçage. Les auteurs ont procédé à un test de reconnaissance des phrases proposées en amorce. Une participation de la mémoire explicite aurait pu se manifester par une meilleure reconnaissance des phrases ayant conduit à des effets d’amorçage syntaxique que de celles n’ayant pas provoqué d’amorçage. Pourtant, les auteurs n’ont trouvé aucune relation évidente entre la mémoire explicite des phrases amorces et l’effet d’amorçage. Les phrases amorces ayant été explicitement mémorisées n’avaient pas significativement provoqué plus d’amorçage que les autres, comme elles auraient dû le faire si la mémoire explicite avait été impliquée. De même, les phrases amorces qui avaient 1 Un critique a demandé si d’autres travaux avaient mis en évidence un amorçage syntaxique en langue française. Une enquête informelle internationale conduite par F. T. Jaeger (communication personnelle, août 2008) n’a pas permis de mettre en évidence d’autres travaux que ceux indiqués dans cette note. Rigalleau, Le Bigot, Baudiffier et Poletti (2009) ont mis en évidence une facilitation de la production de l’accord avec l’objet antéposé (par ex. « La secrétaire que le patron a embauchée. . . » quand une phrase respectant cet accord venait d’être lue. Le Bigot, Rigalleau, Ros et Terrier (2009) ont montré, avec des dialogues écrits, un effet de répétition de la structure clivée sur la production de réponses. Les lecteurs désireux de connaitre les langues où l’amorçage syntaxique a été mis en évidence pourront trouver certains des résultats de l’enquête conduite par Jaeger dans Jaeger et Norcliffe (2009). L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 266 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau conduit à une réutilisation de la structure ont été aussi bien reconnues que les phrases amorces pour lesquelles aucun amorçage n’avait été constaté. Une démonstration moins équivoque de l’influence de la mémoire implicite pour l’amorçage a été fournie par une expérimentation menée sur un groupe de patients ayant une amnésie antérograde (Ferreira, Bock, Wilson, & Cohen, 2008). Ce type d’amnésie se caractérise par une détérioration sévère de l’encodage de nouvelles connaissances en mémoire explicite, tandis que les capacités d’apprentissage implicite restent intactes. Un patient atteint de cette pathologie, devant rappeler une liste de mot présentée auparavant, obtient une performance moins élevée qu’une personne non affectée par ce type d’amnésie. En revanche, dans une tâche de complétion de mot, (tâche permettant d’évaluer les capacités d’apprentissage implicite), le patient et le participant contrôle complètent les fragments de mots avec les items de la liste précédente de manière analogue. Ferreira et al. ont testé un groupe de participants atteints d’amnésie antérograde et un groupe contrôle, à l’aide d’un paradigme d’amorçage syntaxique similaire à celui utilisé par Bock (1986). L’analyse des résultats a montré que les patients atteints d’amnésie antérograde n’atteignaient pas le taux de reconnaissance des phrases obtenu par le groupe contrôle, ce qui confirmait une détérioration de leurs performances mnésiques explicites. En revanche, les participants atteints d’amnésie présentaient des effets d’amorçage syntaxique de même amplitude que les participants du groupe contrôle. Les arguments qui suggèrent que l’amorçage syntaxique n’exige pas une mémorisation explicite de l’amorce sont nombreux. Le rôle de la mémoire épisodique apparait alors limité dans l’explication de ce phénomène. Pourtant, certains auteurs estiment que l’amorçage syntaxique est un phénomène durable qui impliquerait une forme de mémoire à long terme. Par exemple, les expériences de Bock et Griffin (2000) ont clairement démontré la longévité de l’amorçage syntaxique. Ces auteurs ont utilisé le même paradigme de description d’images que celui de Bock (1986) en utilisant soit deux formes alternatives de datives (prépositionnelle/double objet) soit deux formes transitives (active/passive). Ils ont aussi manipulé le nombre de phrases neutres intervenant (0, 1, 2, 4 ou 10) entre la phrase amorce et l’image cible à décrire. L’hypothèse principale était qu’une situation où le délai est long entre l’amorce et la cible favorise l’émergence de nombreux traitements cognitifs, puisque le participant doit à chaque fois qu’il entend, puis répète une phrase, la juger, et estimer s’il l’a déjà entendue auparavant. Malgré l’intervention de ces différents processus, l’analyse des résultats a révélé des effets d’amorçage même avec 10 phrases neutres entre l’amorce et la cible, démontrant ainsi la longévité du phénomène. L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 267 Certaines études ont toutefois modéré cette persistance. Par exemple, Levelt et Kelter (1982) ont montré qu’un amorçage à l’oral pouvait disparaître après l’insertion d’une seule proposition entre la question amorce et la réponse cible des participants. De même, Branigan, Pickering et Cleland (1999) ont montré qu’en production écrite, le processus d’amorçage syntaxique disparaissait après l’intervention d’une seule phrase neutre entre les amorces. De même, nous avons déjà souligné que l’effet d’accentuation lexicale sur l’amorçage syntaxique décline rapidement (dès l’intervention d’une ou deux phrases entre l’amorce et la cible), comme l’ont démontré Hartsuiker et al. (2008). L’image générale qui se dessine serait l’implication de deux processus mnésiques implicites intervenant dans l’amorçage syntaxique. Le premier reposerait sur la propagation de l’activation lors du traitement de la phrase amorce. Cette propagation aboutirait à activer une série d’associations présentes en mémoire à long terme, dans le lexique mental. Ces associations seraient des liens entre les items lexicaux et des informations relatives à leur environnement syntaxique dans l’amorce. La persistance de ces activations serait brève, elles s’atténueraient rapidement par simple déclin ou par l’engagement de l’activation sur de nouveaux items lexicaux. Mais dans le cas où la cible intervient juste après l’amorce, et implique des items lexicaux communs, l’activation résiduelle viendrait accentuer l’amorçage syntaxique. Le second processus serait assimilable à un apprentissage implicite, il expliquerait les effets durables d’amorçage syntaxique, et il serait compatible avec l’effet de préférence inverse abordé plus haut. Cet apprentissage concernerait des associations entre une signification et une structure de phrase. D’une manière générale, si l’apprentissage en partie implicite consiste simplement en un renforcement du lien associant une signification à la structure d’une phrase, alors cet apprentissage peut sans soute s’appliquer à une forme jamais produite auparavant. Par exemple, Kaschak et Glenberg (2004) ont montré que des adultes anglophones ayant entendu plusieurs fois produire une construction nouvelle (facilement compréhensible) pouvaient la réemployer spontanément. Ce même mécanisme pourrait d’ailleurs être à l’œuvre très tôt lors du développement, et faciliter l’acquisition de structures grammaticales entendues par un enfant. Des effets d’amorçage syntaxique ont pu être observés dès l’âge de 3 ans (Chang, Dell, & Bock, 2006 ; Savage, Lieven, Theakston, & Tomassello, 2003 ; Shimpi, Gamez, Huttenlocher, & Vasiyea, 2007). Une conclusion simple serait de considérer l’effet d’amorçage syntaxique systématiquement à long terme. Certaines études employant la durée de production de la phrase cible comme variable dépendante modèrent cette idée. L’accélération de la L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 268 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau production pour la structure amorcée disparaît dès qu’une phrase neutre intervient entre l’amorce et la cible (Smith & Wheeldon, 2001). L’analyse de ces résultats suggère que l’amorçage syntaxique est pluri-déterminé en termes mnésique. De même, l’amorçage syntaxique peut-il renseigner sur la question du caractère commun des processus de traitement en compréhension et en production ? VERS UN LIEN ENTRE PRODUCTION ET COMPRÉHENSION Les théories linguistiques classiques distinguent deux modèles pour la compréhension et la production du langage. Un argument en faveur de cette distinction provient des études sur l’acquisition de la syntaxe. L’évolution des acquisitions syntaxiques chez l’enfant n’est pas équivalente en ce qui concerne les performances en compréhension et celles en production. Pendant toute l’acquisition syntaxique, il y a un décalage entre la compréhension qui arrive en premier, et la production qui suit (Clark, 1982 ; Clark & Hecht, 1983). Les premières recherches sur l’amorçage syntaxique ont émergé dans le champ de la production verbale. Les participants produisaient la phrase amorce en la répétant, puis produisaient la phrase cible. Ces études ont eu tendance à concevoir l’effet d’amorçage syntaxique au niveau des processus syntaxiques spécifiques à la production (Bock et al., 1990), mais cette tendance peut être critiquée puisque la répétition de l’amorce implique sa compréhension. Depuis, d’autres recherches ont plus clairement indiqué que l’amorçage syntaxique pouvait apparaître entre les modalités de compréhension et de production. Un amorçage entre la compréhension des phrases amorces et celles des phrases cibles, voire entre compréhension et production est possible (Potter & Lombardi, 1998). Des effets d’amorçage syntaxique internes à la compréhension ont notamment été rapportés. Par exemple, Branigan, Pickering, et McLean (2005) ont évalué la compréhension (en lecture) de phrases ambiguës comme « L’homme montre la femme avec le parapluie ». Cette phrase cible était précédée d’une phrase présentant la même ambiguïté, mais pour laquelle une image associée levait l’ambiguïté. L’analyse des résultats a montré que, pour la phrase cible, les participants privilégiaient l’interprétation syntaxique adoptée pour l’amorce. La mise en évidence d’un effet d’amorçage entre la compréhension et la production, et la force inattendue de cet effet, militent en faveur de L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 269 représentations ou de processus syntaxiques communs impliqués dans ces deux modalités d’utilisation du langage (Pickering & Branigan, 1998). Certaines considérations peuvent conduire à penser que le calcul d’une représentation syntaxique complète de l’énoncé ne s’effectuerait pas de manière symétrique en production et en compréhension. Aussi, selon Levelt (1989), lors de la production d’une expression linguistique, le locuteur doit déterminer comment le contenu relationnel au niveau du message peut être traduit en termes de sujet grammatical, d’objet direct, indirect, pour que ces éléments soient finalement formulés dans un ordre linéaire. Le locuteur doit passer par la construction d’une représentation syntaxique complète pour formuler sa phrase, du moins si celle-ci est grammaticale. La compréhension, par contraste, ne semble pas toujours impliquer un calcul complet de la représentation syntaxique. Certains auteurs ont suggéré que le traitement de phrase pourrait se contenter d’une analyse superficielle, dans la mesure où certains éléments lexicaux, et les connaissances préalables de l’auditeur, suffisent pour activer une représentation cohérente. Par exemple, Christianson, Hollingworth, Halliwell, et Ferreira (2001) ont montré que lors de la lecture d’une phrase transitoirement ambiguë (anglaise, mais ici adaptée en français) comme « Pendant que Jeanne attendait Pierre jouait », les lecteurs construisent une fausse interprétation faisant de Pierre l’objet du verbe « attendre ». Cette erreur n’était pas totalement corrigée une fois la phrase lue. En effet, les participants devaient répondre à des questions de compréhension après avoir lu ce genre de phrase. À la question « Est-ce que Pierre jouait ? », les participants répondaient à 100 % « oui ». En revanche, à la question « Est-ce que Jeanne attendait Pierre ? », qui correspond à la mauvaise interprétation initiale, et pour laquelle les auteurs attendaient une réponse négative, les participants répondaient aussi « oui ». Ce type d’erreur survenait d’autant plus souvent que la phrase était syntaxiquement complexe, et qu’une signification plausible pouvait être déduite sans passer par le calcul de la représentation syntaxique complète (Ferreira, 2003). Gimenes, Rigalleau, et Gaonac’h (2009) ont proposé une étude allant dans le même sens avec des phrases en français. Ce type de résultat a conduit Ferreira à proposer l’approche dite « suffisamment bonne » de la compréhension du langage, qui insiste sur le caractère souvent incomplet de l’analyse grammaticale chez des adultes lisant ou écoutant des phrases en langue maternelle (Ferreira & Patson, 2007). De même, des données neuropsychologiques et psycholinguistiques conduisent à remettre en cause l’idée d’une symétrie parfaite entre L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 270 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau compréhension et production du point de vue des représentations syntaxiques, et des processus impliqués. En particulier, des études neuropsychologiques suggèrent que certains malades aphasiques agrammatiques peuvent présenter des troubles de production syntaxique alors que leur compréhension syntaxique est relativement préservée (par ex., Kolk, van Grunsven, & Keyser, 1985 ; Miceli, Menn, & Goodglass, 1983 ; Caramazza, Capitani, Rey, & Berndt, 2001 ; voir aussi Rigalleau, Nespoulous, & Gaonac’h, 1997, pour une revue). Dans les deux cas qui viennent d’être cités, des indices existent en faveur d’une asymétrie entre la production et la compréhension concernant l’analyse syntaxique. Ceci peut sembler incompatible avec un couplage très fort entre la compréhension et la production syntaxique, tel qu’il émerge des travaux sur l’amorçage syntaxique. Mais deux points importants sont à considérer : le premier est que les travaux neuropsychologiques sur les cas de dissociation entre compréhension et production reposent surtout sur des études de cas. Ce type d’étude constitue un argument fragile si l’on admet que certains sujets peuvent présenter, avant lésion, une organisation très spécifique de leur système de traitement du langage (toutefois, pour des arguments en faveur de l’étude de cas, voir Caramazza, 1986). Les études de groupes conduites sur les aphasiques agrammatiques en production suggèrent qu’ils présentent très généralement des troubles associés de la compréhension grammaticale. En outre, les travaux de Fernanda Ferreira montrent que l’analyse syntaxique peut sans doute être en partie négligée lors de la compréhension, car des informations non-syntaxiques permettent d’aboutir à une représentation de la signification de l’énoncé sans passer par des processus syntaxiques coûteux. Seules les exigences de qualité ou de précision des processus d’analyse syntaxique pourraient différer entre les deux modalités, sans que les connaissances impliquées ou les niveaux de représentation diffèrent2 . CONCLUSION Dans ce travail, nous avons passé en revue les travaux essentiels sur l’amorçage syntaxique. Nous invitons les lecteurs anglophones intéressés 2 Nous remercions un critique de ce travail pour avoir suggéré une approche permettant de rendre compatibles ces différents travaux. L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 271 à se référer à trois revues récentes publiées à ce sujet, et qui nous ont aidées dans la mise au point de cette revue (Branigan, 2007 ; Ferreira & Bock, 2006 ; Pickering & Ferreira, 2008). Ici, nous avons d’abord choisi d’expliquer pourquoi l’effet d’amorçage syntaxique semble bien impliquer une persistance des informations syntaxiques après traitement d’une phrase. Cette persistance peut être partiellement liée à une activation résiduelle d’informations grammaticales liées à des mots de contenu, ce qui est compatible avec une accentuation de l’effet d’amorçage si la phrase suivante implique des mots de contenu identiques. En revanche, l’amorçage syntaxique ne peut être expliqué seulement par un maintien des formes phonologiques ou des rôles thématiques. L’amorçage syntaxique concerne le niveau de représentation où les positions syntaxiques des mots dans la phrase sont déterminées, mais il pourrait aussi concerner un niveau fonctionnel où les fonctions grammaticales sont encodées sans être liées à des positions. Les études sur les mots grammaticaux et le niveau de leur encodage pourraient apporter un éclairage nouveau sur ce point, mais aucun consensus n’émerge entre les auteurs concernant cet aspect. En effet, Bock et Levelt (1994) ne spécifient pas clairement la place de ce processus au sein de leur modèle. Tandis que Garett (1975) considère que les mots grammaticaux sont encodés au niveau positionnel. L’absence de résultats explicites sur l’influence de ces mots grammaticaux dans les effets d’amorçage syntaxique ne permet d’envisager leur influence que dans une perspective d’accentuation lexicale. Le caractère éphémère de l’effet d’accentuation lexicale est compatible avec une simple activation résiduelle d’informations grammaticales liées à des mots spécifiques. Mais ceci ne doit pas masquer le fait que l’amorçage syntaxique est en soi un phénomène durable, qui peut persister après traitement d’une dizaine de phrases intermédiaires, et qui persiste chez des malades souffrant d’un grave déficit de mémoire explicite. Il semble en partie déterminé par un mécanisme d’apprentissage implicite, sensible à la fréquence d’usage des structures des phrases, et favorisant l’apprentissage rapide de structures rares. De façon plus spéculative, l’amorçage syntaxique pourrait consister en une combinaison de diverses composantes. L’une au moins serait basée sur la mémoire à court terme, et l’activation temporaire d’éléments linguistiques, qui se manifeste par des temps de production plus courts pour la cible amorcée. L’autre serait basée sur la mémoire à long terme et se manifesterait par une persistance dans la réutilisation de la structure de l’amorce à la cible. Cette possibilité est suggérée par une multitude d’indices L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 272 Margot Poletti r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau dans la littérature, montrant qu’en général l’amorçage syntaxique est un effet pluri-déterminé en termes mnésique. Une approche mnésique de l’amorçage syntaxique, comme un simple effet de mémoire, conduit à insister sur sa fonction de facilitation de la production, d’apprentissage de formes syntaxiques, ou les deux. Une approche communicative a aussi été envisagée (par ex., Pickering & Garrod, 2004). Cette approche donne à l’amorçage syntaxique une fonction d’alignement des représentations lors du dialogue en permettant aux interlocuteurs de partager des mêmes représentations syntaxiques. Les travaux actuels sur l’amorçage syntaxique doivent répondre à plusieurs questions évoquées plus haut. Ils doivent délimiter plus précisément les processus qui contribuent aux effets d’amorçage syntaxique à court terme et à long terme. Ces travaux doivent aussi préciser les aspects de la représentation syntaxique qui peuvent être amorcés (par ex. fonctions grammaticales, positions syntaxiques). Il est remarquable qu’aucun travail n’ait porté sur l’amorçage des phénomènes d’accord syntaxique pourtant variables. Par exemple, le problème posé par l’accord de syntagmes nominaux de la forme « La plupart des » ou « l’ensemble des » lorsqu’ils sont sujets de verbes. D’un point de vue général théorique, la présence d’effets d’amorçage entre la compréhension et la production milite en faveur de représentations ainsi que de processus communs entre les différentes modalités d’utilisation du langage. Cette éventuelle intermodalité vient remettre en cause les travaux qui distinguent fortement production et compréhension, en neuropsychologie ou en psycholinguistique. Il conviendrait que cette remise en cause soit accompagnée d’un argumentaire susceptible d’expliquer des résultats apparemment incompatibles. Concernant les données neuropsychologiques sur la dissociation double entre production syntaxique et compréhension syntaxique demeure un phénomène à explorer, en examinant par exemple si les cas de patients pour lesquels la compréhension syntaxique semble sélectivement épargnée peuvent bénéficier d’un amorçage allant de la compréhension vers la production grammaticale. Bien des questions subsistent (ou émergent) concernant l’amorçage syntaxique, phénomène robuste, et fort peu exploré par des travaux francophones. Reçu le 23 février 2010. Révision acceptée le 16 mars 2011. L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique 273 BIBLIOGRAPHIE Bock, K. (1986). Syntactic persistence in language production. Cognitive Psychology, 18, 355-387. Bock, K. (1987). An effect of the accessibility of word-forms on sentence structures. Journal of Memory and Language, 26, 119-137. Bock, K. (1989). Closed-class immanence in sentence production. Cognition, 31, 163-186. Bock, K., Dell, G. S., Chang, F., & Onishi, K. H. (2005). Persistent structural priming from language comprehension to language production. Cognition, 104, 437-458. Bock, K., & Griffin, Z. M. (2000). The persistence of structural priming: Transient activation or implicit learning? Journal of Experimental Psychology: General, 129, 177-192. Bock, K., & Levelt, W. J. M. (1994). Language production: Grammatical encoding. In M. A. Gernsbacher (Ed.), Handbook of psycholinguistics (pp. 945-984). San Diego, CA, US: Academic Press, Inc. Bock, K., & Loebell, H. (1990). Framing sentences. Cognition, 35, 1-39. Bock, K., Loebell, H., & Morey, R. (1992). From conceptual roles to structural relations: Bridging the syntactic cleft. Psychological Review, 99, 150-171. Bradley, D. C., Garrett, M. F., & Zurif, E. B. (1980). Syntactic deficits in Broca’s aphasia. In D. Caplan (Ed.), Biological Studies of Mental Processes (pp. 269-286). Cambridge: MIT Press. Branigan, H. P. (2007). Syntactic priming. Language and Linguistics Compass, 1, 1-16. Branigan, H. P., Pickering, M. J., & Cleland, A. A. (1999). Syntactic priming in written production: Evidence for rapid decay. Psychonomic Bulletin & Review, 6, 635-640. Branigan, H. P., Pickering, M. J., & Cleland, A. A. (2000). Syntactic co-ordination in dialogue. Cognition, 75, B13-B25. Branigan, H. P., Pickering, M. J., & McLean, J. F. (2005). Priming prepositional-phrase attachment during comprehension. Journal of Experimental Psychology: Learning, Memory, and Cognition, 31, 468-481. Caramazza, A. (1986). On drawing inferences about the structure of normal cognitive systems from the analysis of patterns of impaired performance: The case for single-patient studies. Brain and Cognition, 5, 41-66. Caramazza, A., Capitani, E., Rey, A., & Berndt, R. S. (2001). Agrammatic Broca’s Aphasia Is Not Associated with a Single Pattern of Comprehension Performance. Brain and Language, 76, 158-184. Chang, F., Bock, J. K., & Goldberg, A. (2003). Can thematic roles leave traces of their places? Cognition, 90, 29-49. Chang, F., Dell, G. S., & Bock, K. (2006). Becoming syntactic. Psychological Review, 113, 234-272. Chang, F., Dell, G. S., Bock, J. K., & Griffin, Z. M. (2000). Structural priming as implicit learning: A comparison of models of sentence production. Journal of Psycholinguistic Research, 29, 217-229. Christianson, K., Hollingworth, A., Halliwell, J., & Ferreira, F. (2001). Thematic roles assigned along the garden path linger. Cognitive Psychology, 42, 368-407. Clark, E. V. (1982). Language change during language acquisition. In: M. Lamb & A. L. Brown (Eds.), Advances in developmental psychology, 2 (pp. 171-195). Hillsdale, NJ: Lawrence Erlbaum. Clark, E. V., & Hecht, B. F. (1983). Comprehension, production, and languageacquisition. Annual Review of Psychology, 34, 325-349. L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 274 Margot Poletti Cleland, A. A., & Pickering, M. J. (2003). The use of lexical and syntactic information in language production: Evidence from the priming of noun-phrase structure. Journal of Memory and Language, 49, 214-230. Desmet, T., & Declercq, M. (2006). Crosslinguistic priming of syntactic hierarchical configuration information. Journal of Memory and Language, 54, 610-632. Fayol, M. (1997). Des idées au texte. Paris : PUF. Ferreira, V. S. (2003). The persistence of optional complementizer production: Why saying “that” is not saying “that” at all. Journal of Memory and Language, 48, 379-398. Ferreira, F. (2003). The misinterpretation of noncanonical sentences. Cognitive Psychology, 47, 164-203. Ferreira, F., & Patson, N.D. (2007). The “Good Enough” approach to language comprehension. Language and Linguistics Compass, 1, 71-83. Ferreira, V. S., & Bock, J. K. (2006). The functions of structural priming. Language and Cognitive Processes, 21, 1011-1029. Ferreira, V. S., Bock, J. K., Wilson, M., & Cohen, N. J. (2008). Memory for syntax despite amnesia. Psychological Science, 19, 940-946. Fouilloux, L., Guitton, L., Le Bigot, L., & Rigalleau, F. (2007). Syntactic priming in production of French sentences: Priming the subject-verb order. Proceedings from the 13th Annual Conference on Architectures and Mechanisms for Language Processing (p. 89). University of Turku, Finland, 24-27 August. Garrett, M. F. (1975). The analysis of sentence production. In G. H. Bower (Ed.), The psychology of learning and motivation, 9, 133-177. New York: Academic Press. Gimenes, M. Rigalleau, F., & Gaonac’h, D. (2009). The effect of noun phrase type on working memory saturation during sentence comprehension. European Journal of Cognitive Psychology, 21, 980-1000. L’année psychologique, 2012, 112, 247-275 r Ludovic Le Bigot r François Rigalleau Hartsuiker, R.J., Bernolet, S., Schoonbaert, S., Speybroeck, S. & Vanderelst, D. (2008). Syntactic priming persists while lexical boost decays: Evidence from written and spoken dialogue. Journal of Memory and Language, 58, 214-238. Hartsuiker, R. J., & Kolk, H. H. J. (1998). Syntactic persistence in Dutch. Language and Speech, 41, 143-184. Hartsuiker, R. J., Kolk, H. H. J., & Huiskamp, P. (1999). Priming word order in sentence production. Quarterly Journal of Experimental Psychology, 52A, 129-147. Hartsuiker, R. J., Pickering, M. J., & Veltkamp, E. (2004). Is syntax separate or shared between languages? Cross-linguistic syntactic priming in Spanish-English bilinguals. Psychological Science, 15, 409-414. Hartsuiker, R. J., & Westenberg, C. (2000). Word order priming in written and spoken sentence production. Cognition, 75, B27-B39. Jaeger, T. F. & Norcliffe, E. (2009). The cross-linguistic study of sentence production. Language and Linguistics Compass, 3, 866-887. Kaschak, M. P., & Glenberg, A. M. (2004). This construction needs learned. Journal of Experimental Psychology: General, 133, 450-467. Kempen, G., & Hoenkamp, E. (1987). An incremental procedural grammar for sentence formulation. Cognitive Science, 11, 201-258. Kempen, G., & Huijbers, P. (1983). The lexicalization process in sentence production and naming: Indirect election of words. Cognition, 14, 824-43. Kolk, H. J., van Grunsven, M. J. F., & Keyser, A. (1985). On the parallelism between production and comprehension in agrammatism. In M.-L. Kean (Ed.), Agrammatism (pp. 165-206). New York: Academic Press. Levelt, W. J. M. (1989). Speaking: From intention to articulation. Cambridge, MA: MIT Press. Les intérêts théoriques de l’amorçage syntaxique Levelt, W. J. M., & Kelter, S. (1982). Surface form and memory in question answering. Cognitive Psychology, 14, 78-106. Loebell, H., & Bock, K. (2003). Structural priming across languages. Linguistics, 41, 791-824. Meijer, P. J. A., & Fox Tree, J. E. (2003). Building syntactic structures in speaking: A bilingual exploration. Experimental Psychology, 50, 184-195. Melinger, A., & Dobel, C. (2005). Lexicallydriven syntactic priming. Cognition, 98, B11-B20. Miceli, G., Mazzucchi, A., Menn, L., & Goodglass, H. (1983). Contrasting cases of Italian agrammatic aphasia with and without comprehension disorder. Brain and Language, 19, 65-98. Pickering, M. J., & Branigan, H. P. (1998). The representation of verbs: Evidence from syntactic priming in language production. Journal of Memory and Language, 39, 633-651. Pickering, M. J., & Ferreira, V. S. (2008). Structural priming: A critical review. Psychology Bulletin, 134, 427-459. Pickering, M. J., & Garrod, S. (2004). Toward a mechanistic psychology of dialogue. Behavioral and Brain Sciences, 27, 169-225. Potter, M. C., & Lombardi, L. (1998). Syntactic priming in immediate recall of sentences. Journal of Memory and Language, 38, 265-282. 275 Rigalleau, F., Nespoulous, J. -L., & Gaonac’h, D. (1997). La compréhension asyntaxique dans tous ses états. Des représentations linguistiques aux ressources cognitives. L’Année psychologique, 97, 449-494. Rumelhart, D. E., Hinton, G. E., & Williams, R. J. (1986). Learning internal representations by back-propagating errors. Nature, 323, 533-536. Savage, C., Lieven, E., Theakston, A., & Tomassello, M. (2003). Testing the abstractness of children’s linguistic representations: Lexical and structural priming of syntactic constructions in young children. Developmental Science, 6, 557-567. Scheepers, C. (2003). Syntactic priming of relative clause attachments: Persistence of structural configuration in sentence production. Cognition, 89, 179-205. Shimpi, P. M., Gamez, P. B., Huttenlocher, J., & Vasilyeva, M. (2007). Syntactic priming in 3- and 4-year-old children: Evidence for abstract representations of transitive and dative forms. Developmental Psychology, 43, 1334-1346. Smith, M., & Wheeldon, L. (2001). Syntactic priming in spoken sentence production: An online study. Cognition, 78, 123-164. Van Gompel, R. P.G ., Pickering, M. J., Pearson, J., & Jacob, G. (2006). The activation of inappropriate analyses in garden-path sentences: Evidence from structural priming. Journal of Memory and Language, 55, 335-362. L’année psychologique, 2012, 112, 247-275