CHEFS-D`ŒUVRE DE BU DAPEST

Transcription

CHEFS-D`ŒUVRE DE BU DAPEST
2,70 € Première édition. No 10843
SAMEDI 2 ET DIMANCHE 3 AVRIL 2016
www.liberation.fr
Pour son nouvel
album, le dernier
des dandys ouvre
son antre
à «Libération».
Interview hors
normes.
RENCONTRE, PAGES 2-7
ÉDOUARD CAUPEIL
CHRISTOPHE
SAMEDI 2 AVRIL 2016
TOTAL
«CHAOS»
LOI
TRAVAIL
N°8 LA
Le témoignage
de Natacha, élève
en terminale
Pourquoi
parle-t-on
de cette loi ?
Qu’a proposé
le gouvernement ?
Comment
fonctionne
une entreprise ?
Quelles ont-été
les autres grandes
mobilisations ?
Y a-t-il une
«loi travail» pour
les enfants ?
Concept : Cécile Bourgneuf, Emilie Coquard, Sophie Gindensperger et Elsa Maudet
Rédaction : Cécile Bourgneuf, Maïté Darnault, Camille Gévaudan et Elsa Maudet
Graphisme et illustrations : Emilie Coquard
Maquette : Laurianne Folinais
LE P’TIT
LIBÉ
SPÉCIAL
LOI
TRAVAIL
ET AUSSI…
François Fillon
s’enlise ANALYSE, PAGE 9
n Hedi Slimane
s’en va MODE, PAGES 20-21
n Judy Chicago
s’encadre IMAGES, PAGES 27-34
n Annie Ernaux
s’enhardit LIVRES, PAGES 41-48
n
(PUBLICITÉ)
MUSÉE DU
LUXEMBOURG
9 MARS • 10 JUILLET 2016
CHEFS-D’ŒUVRE DE BUDAPEST
DÜRER, GRECO, TIEPOLO, MANET, RIPPL-RÓNAI…
József Rippl-Rónai, Femme à la cage (détail), 1892. Budapest, Galerie nationale hongroise. Conception solennmarrel.fr
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 3,40 €, Andorre 3,40 €, Autriche 3,90 €, Belgique 2,80 €, Canada 6,20 $, Danemark 36 Kr, DOM 3,50 €, Espagne 3,40 €, Etats-Unis 6,00 $, Finlande 3,80 €, Grande-Bretagne 2,80 £,
Grèce 3,80 €, Irlande 3,50 €, Israël 27 ILS, Italie 3,40 €, Luxembourg 2,80 €, Maroc 30 Dh, Norvège 36 Kr, Pays-Bas 3,40 €, Portugal (cont.) 3,60 €, Slovénie 3,80 €, Suède 34 Kr, Suisse 4,40 FS, TOM 560 CFP, Tunisie 4,90 DT, Zone CFA 2 900 CFA.
2 u
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
CHRISTOPHE
«J’suis pas
chanteur, j’suis
pas musicien»
A une semaine de la sortie
de son treizième album,
l’artiste de 70 ans a
répondu aux questions
de «Libération», chez lui,
toute une nuit.
Recueilli par
JULIEN GESTER
et DIDIER PÉRON
Photos ÉDOUARD CAUPEIL
G
ainsbourg et Bashung,
Jacno et Daniel Darc tous
partis, que reste-t-il en
France de cette constellation d’étoiles fêlées, à même de concilier la
stature de monument pop national
et la cinglerie la plus toxique ? A
l’heure où Renaud re-re-re-re-revient, tandis qu’on expose à Paris
les débris dorés du Velvet Underground, Christophe apparaît l’un
des derniers survivants à camper
son altière posture dandy avec un
pied obstinément planté de chaque
côté –à la fois baladin musette et laborantin bizarre. Son treizième album, le magnifique et très bien
nommé les Vestiges du chaos (lire cicontre) s’ouvre sur Définitivement,
chanson en forme d’autoprofilage
de sa légende narcissique et cosmique : «J’suis le plus pur/ Je vous
rassure/ Le plus embrasé.» Sa figure
continue de fasciner par son aura de
freak heureux, prototype du tombeur crooner court sur pattes dont
la poésie résiste aux régimes habituels d’appréciation.
Un entretien avec lui, en sa tanière
de Montparnasse, au début du soir,
ne saurait être que du même ordre
semi-fantastique et hors de contrôle, avec décor de mini-Xanadu
détraqué –plein à ras bord de photos, instruments, juke-boxes, meubles chinois et fauteuils de coiffeurs.
Personnage lynchien inclus, volubile et dérégulé, au phrasé en saccades, ponctué de claquements de
langues, de tics («Comment?» tous
les trois mots), de fragments hachés
menus. Des phrases intranscriptibles –on a quand même essayé–,
qui tantôt produisent du haïku en
rafales («J’suis un mec d’autels, parfois, ça me fait aller à l’hôtel»), tantôt s’évasent en plein milieu en une
arborescence boiteuse d’hésitations, historiettes, précisions cryptiques et autres commentaires lunaires. Sans couvercle apparent,
sans grandes contraintes horaires
non plus. Il avait un temps été vaguement question que l’entretien
s’achève à 22h30, il a fallu mettre le
holà sur les révélations fracassantes
vers 4 heures du matin.
Les Vestiges du chaos est un album qu’on aime beaucoup. Marqué par un retour au format pop,
à la chanson, alors que les précédents lorgnaient vers la symphonie de poche…
Je ne calcule pas. C’est plus une
question de nouveauté par rapport
à ma passion de la musique, quoi.
Les gens qui m’influencent. L’influence, ça compte beaucoup dans
la création. C’est bien d’aimer des
gens. Je ne parle pas des trucs qui
me donnent du plaisir au quotidien,
la Callas-Hooker-Elvis-Bowie-Lou.
Enfin, tous les classiques. Je parle
de la nouveauté. Parce qu’on sait
qu’aujourd’hui, c’est assez difficile
de créer quelque chose d’un petit
peu… original. En fait, quand cet album a démarré, l’autre était pas fini
en 2008. Y a des trucs de 2008 qui
traînent sur cet album-là. Même si
c’est souvent des vestiges, enfin des
poussières quoi. Faut pas s’encombrer, mais tout ce qui n’est pas jeté
dans la matière sonore, dans la création, est là pour une raison inexpli-
cable. C’est dans l’air et avec l’ordinateur, c’est plus facile de stocker.
C’est l’inconnu qui me nourrit, le
connu je le laisse derrière, j’essaie
de le sublimer, quoi. Je connais ma
façon de fonctionner, je sais que
j’suis pas quelqu’un qui va dire :
«Tiens, je vais écrire un texte là,
parce que je veux faire un album.»
Je fonctionne à la rencontre, à l’inconnu, qui équivaut au plaisir, tant
que la rencontre est belle.
Une chanson, ça peut être dix
ans de travail ?
C’est souvent à coups de bribes.
Mais le don d’un créateur, c’est
d’avoir (il claque des doigts) la vibration. Au bon moment. Et de comprendre l’engrenage possible. Un
peu comme un metteur en scène.
Quand vous dites des bribes, ça
revient à quoi ? Un herbier, un
tableau que vous entamez sans
connaître le motif final ?
Je connais jamais le motif final.
Toutes les chansons ont vraiment
des failles, chaque chanson a son
histoire particulière. C’est un disque
que j’ai failli arrêter, pendant dix à
quinze jours, à cause de la relation
que j’avais avec les gens un peu
choisis par mon label et moi-même.
A un moment, y a eu des choses qui
ont été réalisées à partir de mes maquettes, et ça ressemblait pas du
tout au niveau que j’avais envie de
donner à cet album. Donc j’ai fait
cette cassure, que j’ai voulue, avec
ces gens-là. Il s’est passé un truc en
moi, terrible. J’ai eu besoin de sortir
tout ce mal que j’ai eu, cette incompréhension.
Suite page 4
Christophe
en sa tanière,
à Montparnasse,
le 25 mars.
u 3
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
«Vestiges» de l’amour et paradis retrouvés
image, un public brassant large, des
hipsters tardifs à Drucker, sans jamais rien céder de ses envoûtements alambiqués.
Ce nouvel album de l’entrée dans le
grand âge est aussi paradoxalement
son plus adolescent, de mémoire rél y a tout juste vingt ans, prin- cente. Gorgé de sève, de pulpe, de
temps 96, Christophe reparais- chair, où Christophe, en maître de
sait, quinquagénaire gominé, marionnettes, redéploie l’éternité de
après treize années de silence lors sa figure d’homme aux mots gadesquelles il a surtout
lants, à qui les passions fipeaufiné son lancé de pé- CRITIQUE lent entre les doigts tel un
tanque – il joue de l’arsablier jamais comblé.
gent. L’album Bevilacqua, enregis- Après une doublette d’albums qui
tré allongé en état de transe visaient l’anéantissement de sa voix
mediumnique sous la console de dans des fresques stellaires surmixage, était le grandiose œuvre au gonflées en images et textures, les
noir d’un sorcier du son se décri- Vestiges du chaos marque un retour
vant en Tourne-cœur («Beau/ Qui sur un point de classicisme, qui a
fait rêver les filles»). Depuis, il s’est aussi pour lui valeur de point d’orirefait une forme, un nom, une gine – la valeur «tube». Son chant
Le beau bizarre revient,
très entouré, avec de
somptueuses mélodies
gorgées de sève et
d’évidence tubesque.
I
retrouve le goût de ce
qu’il brutalise sur le morqui lui claque bien en
ceau-titre (où il retrouve
bouche (Tu te moques).
Jean-Michel Jarre, quaIl reconquiert aussi une
rante ans après les Mots
nervosité, une allure,
bleus). De vestiges et
une dynamique naguère
mausolées (l’hommage à
égarée. La charpente à
Lou) en vertiges des vies
l’os des compositions CHRISTOPHE
fantasmées, rêvées, perbalaie ornementations LES VESTIGES
dues qui «s’acharnent
en stuc et engorgements DU CHAOS
encore» (Océan d’amour),
de pure parure pour (Capitol/Universal) des titres tels que Stella
renouer avec l’évidence sortie le 8 avril.
Botox ou Tangerine aflimpide du sabre qui
fichent, presque fanfatranche. Chaque chanson retrouve rons, la santé et la rondeur d’un sinainsi son unité, son climat, son hu- gle d’artificier, à la fois racé et
meur orgueilleuse, coulée dans le soluble dans les ondes radio.
raffinement plastique de norias de Sur le second, l’une des cimes du
bourdons synthétiques, de frisson- disque, entre les scansions de hooks
nements de cordes, d’envolées ma- minimaux imposant leur loi martialadives, entre deux ruissellements les et les prédications trumpoïdes,
du piano qui perle ses mélodies aboiements, ahanements de diva
pour machines émotives, penchants rockab au bord du déambulateur de
l’idole amie Alan Vega (la voix du
duo new-yorkais Suicide a 78 ans),
Christophe psalmodie sa comptine
éthéro-camée comme une supplique («Le temps ne passera plus jamais/ Ni pour toi, ni pour personne»). Sur l’autre foudroiement
absolu de ces Vestiges, une ballade
profilée en suspension aérodynamique intitulée Drone («Tout en moi
voudrait que tu demeures/ Mais le
temps veut autrement/ Du haut de
son drone»), le sens, le sensuel et le
son se fondent en une gerbe de mémoire pixellisée, en miettes, screenshot entre la gloire et la ruine de ce
qu’il pourra bien nous rester de ses
traversées intimes.
J.G. et D.P.
En concert à la salle Pleyel
le 31 janvier, 1er, 2 et 3 février 2017
et en tournée en France.
4 u
Je me suis remis aux machines, tout ça. Lou, le
support de Lou [un morceau hommage à Lou Reed, ndlr] est né dans
ce chaos. Et j’ai repris vachement
confiance en moi parce que je me
posais des questions, c’est normal,
par rapport aux trouvailles, aux formes sonores, aux gimmicks. Cette
cassure a fait que cet album est
comme il est. Mais si l’adversaire
avait été un peu plus con, il aurait
peut-être pas existé.
Vous décrivez une forme restée
longtemps ouverte, et en même
temps, on ressent votre technicité du tube, de l’enchaînement
de mélodies accrocheuses…
Oui, j’ai un don pour le gimmick.
Moi, j’écris pas les cordes, mais je les
chante, les cordes ce sont des gimmicks. Et puis, j’ai de la chance, je
gère mon affaire tout seul. Ma force,
ma guerre, mon art à moi, c’est de la
passion. J’ai plutôt tendance… à
voir grand. Mes idoles de maintenant, c’est quand même Trent Reznor [leader du groupe Nine Inch
Nails], à la limite Black Atlass, mais
je suis très difficile dans le choix de
musique que j’écoute aujourd’hui.
Ce que j’aime bien, et dans la création aussi, c’est fantasmer. J’aime
pas qu’on m’impose le fantasme,
c’est pour ça que je faisais pas de
clips avant. Mais bon, là, j’en ai fait
un avec Sara Forestier, qui est une
fille super, j’évolue…
Est-ce qu’on peut revenir à cette
cassure dans l’histoire du disque ? Etait-ce parce que vous
savez exactement ce que vous
Suite de la page 2
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
voulez ou parce que vous épuisez les équipes à ne pas savoir le
leur expliquer ?
Ce qui résonne dans ma tête, ce que
je veux mettre sur le son, ce que je
pensais avoir expliqué aux gens qui
travaillent pendant que je suis pas
là, par exemple sur les Mots fous :
quand j’arrive, ils me font un essai
dessus et tout le monde trouve ça
génial et moi, non. Je peux pas.
Alors, comme je refuse tout, tout le
temps, l’équipe, elle se casse. C’est
normal. A un moment, ma tête accepte plus qu’on essaye de m’expliquer comment ça pourrait être. Moi,
j’ai besoin d’avoir dans la seconde
qui vient le gimmick et la robe sonore du gimmick. J’aime pas qu’on
me dise, écoute le truc, ça sera pas
comme ça à l’arrivée. Non, j’écoute,
je dis: ça craint. Ah non, mais moi
non, on va même pas le mixer.
Alors, j’ai ressorti un DX7 [un synthé] pour faire deux gimmicks, et je
l’ai pas sorti pour rien, quoi, ouais.
C’est la machine et moi. C’est le
chaos lumineux, le chaos positif, de
la baise, de l’amour. Le chaos, c’est
pas mal, quand on parle d’amour. Je
sais pas si vous voyez la méta?
Euh, oui.
Des fois, vous pourriez me l’expliquer, parce que je comprends pas
toujours ce que je dis.
Tangerine, vous l’aviez déjà joué
en concert en 2012 avec Alan
Vega, dans une version beaucoup plus lente, sans refrain, la
chanson n’était pas encore là.
Quelle est la trajectoire d’un titre
comme celui-là ?
Cette chanson, on l’a trimbalée depuis 2007. Et pourquoi elle est pas
déjà sur l’album précédent? Parce
que, moi, je suis un casse-couilles.
Je dis : «Non, les gars, je l’entends
cette chanson, elle est pas prête.»
Vega m’apporte une nouvelle énergie sur le couplet, de l’écouter lui,
déjà, ça m’inspire, en 2012. J’ai fait
quelques synthés sur le morceau. Il
faut savoir mettre les taches de couleurs sur la toile, mais faut pas en rajouter. Sinon la toile, après, tu la jettes. Juste où il faut, ce qui va donner
une profondeur. J’ai trouvé la mélodie du refrain y a un an.
J’écoute Vega, une nuit, il est 3 heures du matin, après je vais faire un
petit tour au Baron, boire un coup,
casser une graine. J’ai toujours un
micro prêt pour attraper le truc, je
laisse rien passer. Je suis un mec
d’instinct, donc je compte beaucoup
sur cette chose dans l’inconnu qui
vient. Là, c’est le «yop» [du chant en
«yaourt», sans paroles]. Quand je
fais une chanson, souvent, elle naît
avec un yop, d’accord ? Et puis
quand je réécoute ça, j’ai mes films,
j’ai mes mots, j’ai tout ce que j’écris,
il y en a des milliards dans mon ordinateur. C’est des trucs qui sont dimensionnels. Cette matière de yop,
elle est vachement importante
parce qu’elle est la naissance des
images, du film que ça me projette,
tu vois. Bien sûr, le sens passe bien
après le son. Je me souviens toujours de l’époque où je fais les Marionnettes, j’avais 20 ans et le producteur, il me fait: «Ah non, tu vas
pas chanter ça, tu te fous de ma
«Quand je me
couche vers 5 ou
6 heures du mat,
je regarde un film,
jusqu’à 8 heures, tu
vois. Après, j’allume
la téloche pour voir
si y a pas une redif
d’Hanouna.»
gueule.» J’impose ma loi, c’est normal, depuis que j’ai 15 ans, j’ai toujours fait ma route en solitaire. J’ai
fait mon chemin et c’est pour ça que
j’ai toujours été dur avec mes producteurs, parce qu’on va pas t’apprendre ce que tu es, tu vois. Quand
tu veux m’atteindre sur mon terrain
de créateur, personne n’imagine
cette passion que j’ai encore en moi,
qui brûle de plus en plus. Encore, si
elle se calmait… T’arrives à un âge,
normalement, elle s’apaise. Mais ce
qui est terrible, c’est qu’elle augmente! Est-ce que je vais être encore
debout longtemps pour l’envoyer?
Il y a pas mal de gens qui ont collaboré aux paroles du disque.
Qu’est-ce qui fait, quand on vous
apporte un texte, que vous reconnaissez que tel ou tel peut
être une chanson de Christophe?
C’est des commandes, on m’apporte
pas. Y en a qu’un qui m’apporte le
texte tout prêt, c’est Daniel Bélanger
[lire page 7]. Et quand je le reçois, je
suis le roi du pétrole. Il a écrit Tangerine et Drone. Y a un truc entre
nous, des trucs. (A l’attachée de
presse) Tu me servirais un petit? Il
est bien frais, glacé ? J’aime le
champagne, enfin j’aime pas
d’ailleurs. J’aime bien le boire archi-
glacé, comme la vodka.
Regarde comment j’écris. Quand je
me couche vers 5 ou 6 heures du
mat, je regarde un film, jusqu’à
8 heures, tu vois. Après, j’allume la
téloche pour voir si y a pas une redif
d’Hanouna, parce qu’il me fait rire,
j’ai besoin de rire, quand t’as bien
gambergé, que tu t’es bien levé tôt.
Je passe par Dave, sur la Trois, et
cette fille, elle arrive, je sais pas
pourquoi [lire page 7]. Je vois la
meuf, elle commence à chanter une
chanson, son 45 tours. Vous allez
comprendre pourquoi j’ai fait appel
à elle. Elle écrit comme j’aimerais
écrire, elle a un truc, elle a un don,
la meuf. Et je la fais venir la nuit et
on fait des chansons ensemble, tu
vois? Je la convoque, je lui explique
tout. Je dissèque tout, c’est long.
C’est fatigant d’expliquer, ça épuise,
tu sais, ne pas rater un détail. La
fille, elle note des trucs et trois jours
après, elle envoie des textes qui sont
bons, et je repasse dessus. J’enlève.
C’est mon art, le découpage.
Vous avez commandé beaucoup
de textes comme ça ?
Mon dossier, si je l’ouvre, tu vas
comprendre. Pour l’album, il y a eu
300 textes. Les mecs ont réécrit
dix fois.
Quand vous chantez Dangereuse, le danger, au regard de là
où vous en êtes, c’est quoi ?
Il est là où il est au quotidien pour
tout le monde. Le danger d’avant, il
compte pas. Le quartier, l’amourette, c’est pas le même mal, c’est
plus ce qu’on vit aujourd’hui. Sorti
de ça, on va pas parler de la mort,
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
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Le domicile de
Christophe recèle
des tas de fétiches,
babioles et trésors.
Ses vestiges
du chaos ?
j’en parle pas parce que je sais pas.
Le danger, c’est plutôt vieillir, et se
retrouver incapable. Ça, c’est un
truc qui me traverse, c’est normal,
à 70 balais. Tu n’as plus 30 balais,
plus 40, plus 50, t’as même plus 60!
(Rires) C’est chaud! Bon, dans une
chanson, y a des états, des étapes, la
petite dépression qui fait que tu te
dis: «Ça va pas être ma tasse de thé,
ça fait trois ans que je suis dessus.»
Et ça tient à quoi? A l’inconnu, à un
hasard. Définitivement, c’est une
chanson qui a un vécu pas possible.
Si je rentre pas à 2 heures du matin
dans ma piaule dans le Lubéron et
qu’il y a pas le téléphone sans fil qui
résonne dans un des amplis, s’il y a
pas ce groove qui est là, de luimême, que j’ai attrapé avec mon ordinateur, elle existe pas, la chanson!
Jamais elle existera, parce que je
vais pas la créer. C’est le monde qui
l’a créée. C’est le truc qui est venu à
moi. C’est la magie de la vie.
C’est-à-dire ?
J’suis pas chanteur, j’suis pas musicien. Moi, je suis autodidacte. J’essaie de faire des trucs, de chercher,
du son. J’ai pas appris le piano par
exemple, je l’ai observé, j’ai pris des
cours d’observation. J’ai eu envie,
besoin, de comprendre ce que c’est,
la mathématique d’un clavier. J’ai
jamais voulu apprendre, sinon je
serais peut-être pas là, d’ailleurs.
Donc, la maquette de Définitivement, elle arrive en une nuit. 2 heures. Il est 2 heures du matin, je suis
à Roussillon, dans la petite maison
avec la piscine, je rentre, j’ouvre ma
porte, j’entends la faille dans l’am-
pli. Alors, je fais une boucle, je fais
des chœurs, des percus en tapant
sur ma couette avec ce micro, là. Il
y a rien d’autre. Depuis ce yop que
j’ai fait en 2012, jusqu’à aujourd’hui,
il y a simplement eu la guitare et le
texte en français qui sont arrivés, tu
vois. Sur le moment, je savais de
quoi ça allait parler, que je tenais
l’ouverture de l’album. Cette idée
que je propose quelque chose de légèrement différent.
Et quand vous cherchez, c’est
toujours la nuit ?
Non, parce que quand je travaille
sur les Mots fous, c’est sur le voilier
où je passe l’été. J’ai ma station en
bas, je fais de la voile, et je travaille
beaucoup là. Mais normalement,
oui, c’est la nuit. Même quand je
suis à Tanger, où j’ai beaucoup créé
de cet album, beaucoup beaucoup,
avec ma petite interface, mon clavier, mon ordinateur. Aujourd’hui,
il n’y a pas besoin de grand-chose
pour faire un album. T’as envie, tu
fais. Mais, si tu veux, moi, j’ai pas
chanté le blues parce que j’étais pas
black alors que mon admiration
n’était que pour les chanteurs de
blues. Parce que je les connais bien,
profondément, et que je sais que j’ai
un truc avec eux. En 78, tu peux pas
chanter comme Elvis, tu peux pas
chanter du blues en étant un Français, blanc ! Ça n’existe pas ! Moi,
c’est le synthé ma came, ma matière. Mais quand tu me demandes
tout à l’heure si je pourrais pas faire
le disque tout seul, que je produis en
un mois, tu me demandes de faire
l’album blanc de Suicide, le premier.
Le meilleur album possible, et en
même temps, t’as l’impression qu’il
a été fait en une semaine. C’est la
meilleure matière, et tu peux rien
faire pareil derrière ça, comme tu
peux rien faire derrière la Callas. Il
faut bien que le monde continue,
mais tu peux pas. Quand t’as eu Caruso, Pavarotti… Tu connais Pavarotti? T’aimes pas? Pourtant, quand
il envoie sa technique en même
temps que son émotionnel… Pfiou…
C’est peut-être pas tout, mais d’un
coup, c’est une lumière qui arrive.
C’est comme Parker dans le sax…
Bon, posez-moi des questions.
Quand on vient ici, ce capharnaüm merveilleux, c’est très
chargé, quand on vous voit,
quand on vous parle, ça part
dans tous les sens…
Et je prends rien! C’est ça le pire, je
bois que du thé. Quand je sors dans
des boîtes, on me propose souvent,
les mecs croient que je prends des
choses. Je leur dis: «Laisse tomber,
j’ai déjà donné il y a longtemps, c’est
pas ma came.» T’as compris? (Rires)
… tout ça pour dire qu’on ne retrouve rien de ce bazar sur votre
disque, où l’on sent que tout est
très décanté, discipliné. C’est fou
comme on sent que vous allez
chercher ça loin. De la même façon que, quand il y a une cassure
avec l’équipe, on se dit qu’à votre
âge, avec votre carrière, vous
pourriez laisser filer…
J’ai la réponse à ça… C’est le plaisir.
C’est l’orgasme. Il y en a qui, comment, ben qui ne baisent plus. Et
puis y en a qui, plus ça avance dans
la vie, plus ils ont envie de baiser.
C’est ça, c’est tout. Moi, quand je
crée un album aujourd’hui, pour le
prochain, il y a déjà des trucs, de la
matière qui bouillonne. Il y a les
vestiges! Ce qui compte, c’est de se
renouveler après et de créer une différence avec tout ce qui a été fait en
même temps. C’est ça, l’inconnu,
pour moi. Parce que je sais pas comment j’y arrive. Je pourrai jamais
vous l’expliquer, vous, vous pourrez
jamais comprendre, mais j’arrive à
vous étonner avec mon album et je
suis bien content (l’attachée de
presse intervient pour dire qu’il reste
«un peu moins de dix minutes», rires
nerveux). On n’est qu’au début, là !
Mais, eh, tu pourrais me donner
quelques glaçons ? Continuons.
Il y a des photos de Bowie partout, chez vous…
Oh, elles ont toujours été là. Je les ai
pas mises depuis qu’il est parti faire
un tour. J’avais commandé le vinyle
de son album, et quand je l’ai
écouté, je ne savais pas du tout, je
me suis dit, tiens, dès le premier
titre, j’entends une certaine fatigue,
d’un truc qu’il a dû avoir. Mais
j’avais pas du tout projeté la suite
et je me suis dit, putain, enfin je vais
pouvoir aller le revoir à l’Olympia
ou à Pleyel, ça va être trop bon. Et
paf, deux jours après… J’étais loin
du compte. Depuis, je l’écoute tout
le temps, sans penser qu’il est plus
là. De toute façon, pour moi, il est
présent. Je suis dans l’inconscience
de ça, heureusement, j’espère que
je l’aurai longtemps et que quand ça
va m’arriver, bon, ce sera pareil, je
partirai dans un moment de plaisir.
En revanche, je sais pas si j’aurai son
niveau. Parce que là, le mec, j’ai jamais eu son niveau, faut être cash.
Et c’est pas du cabotinage en disant
ça. On sait tous ce que c’est, Bowie.
Et la manière dont il est parti… J’ai
pas voulu lire, j’ai pas besoin de savoir. Pour moi, il est présent, pourquoi j’irais chercher où il est? Il est
là ! (Il désigne une photo du Thin
White Duke sur la console de mixage
dans la partie studio du salon, entre
Bashung et Lou Reed)
Vous avez un rapport très fétichiste aux artistes que vous
aimez. Tout ce que vous entassez
ici, les débris de mythologies
américaines, alors que vous
n’avez presque jamais mis les
pieds aux Etats-Unis…
Ça m’a tenté, je l’ai vécu parce que
j’ai eu des Cadillac, je l’ai joué, j’ai eu
tout ce que je voulais. Je suis juste
allé à New York, pour entendre les
bruits de la ville, parce que ça, ça
manquait à mon expérience.
Bref, ça fait soixante ans que
vous collectionnez des bribes,
des vestiges, des poussières de
mythes…
Ah, quand je chine un truc, que je
l’achète ou que je tombe en admiration devant, je me raconte pas que
c’est de la poussière… (Rires) Dans
un premier temps !
Vous pourriez trouver ça beau
précisément pour cette raison,
pourtant.
C’est une pensée intellectuelle, ça.
Moi, je suis plus dans un truc sensuel. C’est plus des textures… des
odeurs. Quand je prends un poste (il
pointe les dizaines de postes de radio
vintage alignés sur une étagère),
j’enlève pas la poussière qui est dessus, je la laisse, mais par contre, je
le retourne et je sens le –comment
dire– je renifle le derrière du poste!
Bon, c’est un petit peu des madeleines de Proust, on est d’accord.
Par exemple, pourquoi est-ce que
j’ai toujours une boîte, et non pas un
tube de lait Nestlé dans mon frigo?
Parce que j’ai besoin, au quotidien,
quand j’ouvre mon frigo, de voir la
boîte de lait Nestlé, et non pas le
tube, parce qu’elle me rappelle mes
6 ans, 7 ans, chez une femme qui me
gardait de temps en temps.
Il y a toujours une femme quelque part dans l’histoire…
Le plus souvent possible (il marque
un temps de ré- Suite page 6
6 u
flexion). Et
donc ce soir, je n’en ai pas, et donc
je vais m’arrêter dans une petite épicerie arabe m’en acheter. J’en ai pas
parce qu’à un moment, j’en peux
plus de la voir, il faut que je l’ouvre,
en pleine nuit. Et comme c’est très
mauvais pour le foie, pour le ventre
–je suis très gourmand, mais je fais
attention–, quand j’ouvre ma boîte,
je la vide, avec l’eau chaude qui
coule dans l’évier, pour pas la boire,
et quand je sais que j’en suis arrivé
à ce qu’il reste juste trois cuillères,
parce que j’ai l’habitude, hop! Je redresse. Et, ayant éliminé un peu de
gras dans l’évier, avec une cuillère
à soupe, je vais prendre…
… les vestiges du Nestlé.
Voilà, c’est ça, bien! C’est vraiment
con que j’en ai pas, on aurait pu le
faire, avec une jolie boîte. Enfin bon,
je prends le truc. Et là, c’est le goût.
C’est le parfum. Je finis par comprendre ce que c’est la madeleine de
Proust, avec ça. Même si Proust,
c’est pas ma tasse de thé, mais…
Vous ne l’avez toujours pas lu ?
Proust ? Non. Moi, je lis pas. Je lis
Joë Bousquet, tu connais [poète
français d’avant-guerre, ndlr] ?
Oui, c’est autre chose…
Ben, c’est ça ma lecture. Ma première lecture quand j’avais 14 ans,
c’était [Edgar Allan] Poe. Très beau.
Après, ce que je lis… Moi, je suis
moi, quoi (l’attachée de presse reparaît : «Il est l’heure», dit-elle). Non
mais là, si on veut rester un peu, j’ai
annulé mon dîner…
Vous voulez qu’on repasse plus
tard, peut-être ?
Ecoutez, je suis debout jusqu’à
6 heures du matin, c’est quand vous
voulez. Sinon, on peut aller manger
un bout? Y a Sara Forestier qui me
cherchait pour aller bouffer, mais je
vais pas vous l’imposer. Là, je vais aller manger une petite salade d’endives à la moutarde. Rue de Sèvres! Si
vous avez envie… On est bien, là, on
est dans les temps, on se prend une
voiture, on y va. Je suis libre, je me
suis libéré… de tous ennuis. C’est bizarre parce que les gens qui viennent m’interviewer me demandent
toujours : «Vous aimez l’ennui ?»
C’est un mot que je mets souvent
dans mes chansons, et c’est pas que
j’aime l’ennui, moi je l’entends pas
comme ça. Pour moi, le synonyme
d’ennui, c’est le silence, la réflexion.
C’est pas comme vous pensez l’ennui, vous, c’est pas au premier degré. Pour moi, c’est quelque chose
de planant, qui a une belle résonance. Le mot est beau, alors plutôt
que de mettre «le silence», ou «la réflexion», je mets «l’ennui». Le sens
n’a pas d’importance, ce qui compte,
c’est le son, la beauté du mot.
Comment supportez-vous l’actualité, quand vous vous réveillez et qu’il y a eu un attentat
par exemple ?
Je suis très réceptif. Le premier
jour, c’est comme si j’avais du
plomb dans la tête. Bien sûr, je ne
suis pas dans les paramètres des
gens qui en souffrent encore à
cause de leurs proches et de ce qui
se passe. Mais hormis ça, il y a surtout le fait d’être face à un problème
qu’on peut pas résoudre.
Il y a que le Bataclan est une salle
de concert, mais vous passez
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Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
Suite de la page 5
Des pochettes d’album de Christophe, de 1965 (les Marionnettes) à 1996 (Bevilacqua).PHOTOS DR
aussi beaucoup de temps à Tanger, qui peut être associé à une
forme de danger, justement…
Oui, pour ce que j’en sais, c’est un
peu chaud. Mais il n’y a qu’un truc
qui m’angoisse, c’est de prendre
l’avion. Quand je prends l’avion,
faut être cash, il y a pas beaucoup de
Français, mais moi je ne suis pas
français. Je suis un Terrien. Je fais
partie de la planète Terre, et je suis
né dans le blues. Quand j’avais
9 ans, ma grand-mère était raciste,
moi j’adorais les Blacks qui chantaient le blues, et elle m’engueulait:
«Ah, y a un nègre !» Je comprenais
pas! Mais ça aide à démarrer la vie,
des choses comme ça. Donc non,
quand je suis à Tanger, j’y pense
pas. Je sais pas si j’y pense pas plus
ici, à Paris. A vrai dire, un des plus
beaux moments de ma vie, c’est
quand j’arrive à Tanger, de mettre
les pieds là-bas. Et une fois arrivé, je
ne pense plus, j’y suis tellement
bien avec les parfums, l’odeur, les
gens que je croise. Après, je sais
qu’on est différents, je me tiens à ma
place, on se respecte, c’est tout, et
c’est bien. Et quand je quitte Tanger
pour rentrer à Paris, je suis triste.
L’idée du succès, que le disque
marche, ça vous importe ?
Non, pas du tout. Je pense surtout
«Moi, je vais pas
dans les musées,
j’ai toujours eu
horreur d’aller
mater des tableaux,
et d’être quinze,
devant, à regarder
la même chose.»
à mon avenir. C’est-à-dire à la seconde qui vient. J’ai un parcours assez décalé par rapport à des gens
plus formatés dans un métier. Moi,
le métier, la carrière, c’est des mots
que je prononce jamais, je sais pas
ce que c’est. J’ai toujours choisi.
Faut juste que je pense à mes vieux
jours. C’est pour ça que je me suis
penché un peu sur le piano il y a
deux ans, avec une virtuose polonaise. Pourquoi? Parce que tant que
je serai debout, il peut m’arriver
n’importe quoi, je peux voyager
partout dans le monde, jouer du
piano et chanter dans n’importe
quel bar, comme quand j’avais
15 ans et que je chantais à la Vache
enragée ou la pizzeria de Juan-lesPins. Il y a que ma gueule qui a
changé et les années en plus. Comment ça s’appelle, quand on a
65 ans ? Non, pas senior. Pas carte
vermeil. Pas troisième âge! Ah oui,
la retraite. Encore un mot que je
connais pas du tout. L’idée, c’est
d’être en vie, au quotidien, maître
de sa route, sans avoir à attendre les
droits d’auteur, sinon t’es dans le
formol.
Par rapport à ce cabinet de
curiosités que vous habitez, tout
ce que vous avez pu accumuler
de fétiches de mythologies plus
ou moins fantasmés et anciennes, plutôt datées, est-ce qu’il y
a quelque chose de neuf, aujourd’hui, qui soit aussi intéressant
à vos yeux que tout ça ?
Moi, le nouveau, je ne sais pas ce
que ça veut dire. Le nouveau, c’est
un truc que je vais découvrir plus
tard. Quand ça ne le sera plus, justement. Quand y aura autre chose. Je
vais tomber sur un objet et dire :
«Oh, c’est nouveau ça!» Et on va me
répondre: «Ben non, ça, ça a un siècle.» Je suis attiré par une forme de
nouveau dont seul mon œil, mon
émotionnel, a la notion. Après, si
vous me montrez des objets en
photo… Moi, je vais pas dans les
musées, j’ai toujours eu horreur
d’aller mater des tableaux, et d’être
quinze, devant, à regarder la même
chose. C’est intime d’aller regarder
des trucs. Je suis pas allé voir les expos de Bowie ou d’Elvis. J’aime
pas me mélanger aux gens pour voir
les dessous chics, ça se partage pas,
ça. Quand des galeries ont accepté
de m’ouvrir leur porte à minuit,
j’y suis allé. Mais c’est arrivé
deux fois. Les gens veulent pas travailler la nuit.
Vous avez ce rapport au temps
qui vous appartient, mais dans
le rapport de vos chansons à
des choses intimes, au désir, à
l’amour, la séduction, est-ce que
vous vous sentez vieillir, mûrir?
Vieillir, vieillir…
On a dit mûrir, aussi.
Oui, mais même, c’est pas vraiment
ça. J’ai pas des glaces partout pour
me regarder, tant que je cours, je me
pose pas trop la question. Il y a un
épanouissement, je suis comme je
suis, j’aime sentir la liberté en moi,
ne pas m’inventer des trucs. Parce
que ça me plaît ce que je suis, j’ai de
la chance. Cette nuit, quand je vais
vous quitter, je vais jouer doucement, pour pas réveiller les voisins,
faire quelques notes de piano, et je
serai bien. De temps en temps, je me
mets par terre, je sors toutes les photos, les vestiges, toutes les images de
la famille. Je vire des trucs (Il réfléchit). Vous jouez pas au poker,
vous ? Parce qu’aujourd’hui, faut
être sportif, footballeur, rugbyman
ou jouer au poker. C’est un truc de
malade. Je fais des petits tournois
de temps en temps, j’adore. C’est un
jeu, pour apprendre à se connaître,
et apprendre à combattre l’autre,
c’est extraordinaire. Bon, vous avez
une petite faim, vous voulez manger ? Ou alors vous voulez écouter
un peu des choses d’abord? (l’attachée de presse s’en va, l’air au bout
du rouleau)
Epilogue
Sur ce, dans le coin studio du salon,
après l’écoute des maquettes de
chansons, incroyablement conformes au résultat sur disque, la conversation se prolonge, se disperse et
se perd voluptueusement dans une
grande brasserie du quartier.
Mais les infos cruciales ne cessent
de tomber : taux de cholesterol
(«1,8 gramme, pas mal!»), mondanités (un dîner l’avant-veille avec ses
vieux compères Johnny et Eddy
Mitchell dans un restaurant où la
viande est «si tendre et légère qu’elle
s’envole dans l’œsophage, j’vous donnerai l’adresse»), penchants chromatiques («Le violet et le noir, c’est
mes couleurs»), états de services
sous les drapeaux («J’étais para,
mais j’ai déserté avant de sauter, on
m’a foutu à l’asile»), fixettes de séducteur (sur la serveuse d’origine
kazakhe et «les cuisses superbes» de
Catherine Ceylac, présentatrice de
Thé ou Café sur France 3), penchants
politiques (d’une bouffée de nostalgie pompidolienne à un persistant
éloignement des bureaux des votes,
sauf éventuelle candidature de
Christiane Taubira, qui lui a tapé
dans l’œil), appréciations culinaires
(«Je les trouve vachement bonnes ces
pâtes, sauf peut-être la sauce tomate,
y a une légère défaillance») et indignations légitimes («Qu’est-ce qui
faut faire pour avoir de la poudre de
parmesan? Tu pourras le dire dans
l’article?»). Avant de rentrer dans la
nuit malaxer sa «matière», fringant
comme s’il commençait tout juste à
s’éveiller, beau vampire planant sur
nos heures mortes. •
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
Christophe, dandy
«un peu maudit»,
jamais vieilli
Depuis «Aline»,
Christophe a
enchaîné cinq
décennies de tubes,
entre classiques
universels et
expérimentations
volontiers étranges.
Par
AGNÈS GAYRAUD
I
l y a cinquante-et-un ans
sortait le single Aline,
avec une tête de James
Dean rital blondinet qui vous
fixait d’en dessous sur la
pochette. C’était déjà tout
Christophe, ces accords de
blues ramenés au soleil et à
une bonne dose d’emphase
dans la variété française du
temps des «idoles».
La même année, sortait les
Marionnettes, c’était aussi
tout Christophe, cette chanson apparemment naïve,
avec ce texte si étrange, cette
voix esseulée qui buttait doucement sur «marionne-e-ettes», en promettant le spectacle le plus humble et le plus
fascinant. A 20 ans, Christophe entrait en scène avec un
sens de la beauté bien à lui,
forgé entre les disques de
blues et de rock’n’roll, le visage de Gloria Swanson dans
Sunset Boulevard, et le désir
précoce que lui inspiraient
les femmes. Mais ceux qui
s’arrêtent là manquent évidemment tout de ce chanteur et compositeur inénarrable, qui navigue depuis
cinq décennies entre
classiques universels et
expérimentations : «Accroche-toi Marie-Jeanne, j’vais
t’montrer c’que c’est qu’une
moyenne.»
Banjo déglingué. Bien
sûr, les années 70, ce sont
les Paradis perdus, les Mots
bleus, dont les textes écrits
par Jean-Michel Jarre lui
vont comme un gant blanc.
Après «dandy, un peu maudit, un peu vieilli», les «i» en
français ne sonneront plus
jamais pareil. Mais les années 70, c’est aussi le banjo
déglingué de la rengaine parano de la Petite Fille du troisième, les longs synthés dramatiques du Petit Gars qui
déambule dans la ville nocturne («Un flash au néon
éclaire un homme qui se
farde»), c’est la Mélodie, bien
nommée, qui parle d’ellemême et s’échafaude à toute
allure sur une voix de fausset
à la Sparks, avant de freiner
comme un bolide sur une reprise de batterie exécutée à la
bouche. Ce sont encore les rimes riches et précaires d’Un
peu menteur, épopée de boulevard qui fait rimer peur et
flipper. C’est enfin le Beau
Bizarre – écrit par Bob Decout–, dont Christophe a fait
son emblème. Entre «cuir
noir qui protège du désespoir»
et «smoking blanc cassé»
contre lequel les filles se serrent, les chansons de Christophe tiennent alors sur le fil
d’une érotique pleine de poncifs (les étoffes, les parfums,
les sports mécaniques), mais
si vécus qu’on y croit avec lui,
de la croyance des amoureux
esthètes, de la foi des cinéphiles. Car Christophe fait
des chansons comme des
films –et en cinéma, comme
en voitures, il s’y connaît.
Synthé. Dans les années 80,
ses singles et faces B recèlent
des trésors, de Succès fou ou
Voix sans issue (1983) –chantée en yaourt magique – à
Chiqué, chiqué (1988), repris
par Dominique A en 1993, ou
J’l’ai pas touchée (1984).
Il écrit des tubes mais il expérimente au synthé, creuse
l’expérience sonore.
En 1996, l’album Bevilacqua,
conçu avec Jean-René Mariani, donne la mesure de son
génie synthétique: libéré de
parolier, le chanteur y délivre
son inimitable sens de la
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DANIEL BÉLANGER PAROLIER
«C’EST L’INCONSCIENT QUI PARLE»
«J’ai rencontré Christophe en 2006 ou 2007, à un concert à l’Européen, je crois
qu’il cherchait des textes pour son Aimer ce que nous sommes. On a été présentés
backstage, par hasard. Et quelques mois plus tard, j’ai appris par un ami français
qu’il cherchait mes coordonnées. On s’est donc retrouvés, j’ai fait quelques chansons, on s’est bien entendus parce qu’il chantait n’importe quoi en yaourt, et je
procède comme ça aussi. Après ça, plus rien, je n’ai plus entendu parler de lui.
«Il y a un an, j’ai appris qu’il me cherchait encore. On a repris là où on s’était quittés,
sans plus d’explications. Il m’a envoyé les chansons, j’ai ciblé celles qui m’inspiraient. C’est très naturel, rapide, pas compliqué, il prend ce que je lui donne. Tout
ça en essayant chacun de notre côté de l’océan. Notre rapport est très distant, très
franc. Ce qui reste à la fin, c’est les chansons qui m’ont le plus touché : Drone et
le refrain de Tangerine. En gros, il m’envoie son yaourt, son “yop” comme il dit,
avec toutes les orchestrations. Je m’efforce de faire du sur-mesure, de travailler
sur ce qu’il m’inspire, en m’oubliant, loin de ce que j’écris pour moi. Je relève le
nombre de pieds, les sonorités qui marchent ou qui posent problème, parce que
son yaourt est ascendant anglophone ! J’essaie de trouver des équivalences, des
mots autour desquels construire le sens. Quand lui les reçoit, il chante par-dessus
le yaourt, et me renvoie le tout superposé.
«J’aime bien ce côté vrai: chaque chose en son temps, et là c’est le temps d’éprouver le texte, pas d’avoir l’air intelligent ou de bien sonner. J’aime ce côté rapide,
spontané, artisanal. Il me demande parfois si je veux changer des mots, c’est de
l’aménagement, mais notre travail est très cohérent, on n’a jamais été en désaccord.
Ce qui est chouette avec son yop, c’est que c’est l’inconscient qui parle, c’est son
intuition qui fait sortir des mots, c’est des choses très primitives, proches de ce
qu’un enfant peut faire, comme un gosse qui joue avec sa petite voiture sur un
comptoir et se fait tout un monde.»
punchline paratactique, sur
Enzo, Label obscur, J’l’aime à
l’envers ou Taqua («Pas faire
ton riz amer»). Loin des conventions de la variété, il fait
entendre un français à arabesques, qui sonne nickel
dans la matière vaporeuse
d’une ambiance blues futuriste. On entend des samples
d’Enzo Ferrari ou d’autres
voix italiennes, des programmations vrillées de boîte à
rythme, du Cluster, du PIL,
Alan Vega qui fait des
chœurs. On entrevoit un
genre de trip hop à la française, en plus fou, en plus
bizarre ; on entend ce qu’on
a jamais entendu et qu’on
entendra probablement plus
jamais.
LAURIE DARMON PAROLIÈRE
«AVEC SA VOIX, IL S’APPROPRIE LE TEXTE»
Génial en reprises. Sans
«Stella Botox, le yaourt qu’il faisait, c’était le même motif qui revenait, la même onomatopée qui revenait autant dans le yaourt et la musique. Un mot qui se répète de
manière régulière et j’en suis venu à un prénom. J’avais proposé une version avec
“Juliette Botox”. Christophe a proposé Stella, quelque chose de plus imagé qui pouvait faire penser à une étoile. On échangeait par texto ou mail. J’ai toujours écouté
Christophe, c’était l’idole de mon père. Même s’il m’a dit de faire les choses de manière très libre et de ne pas imaginer que j’écrivais pour lui, ce qui m’a aidée, j’avais
l’idée d’ellipse, de fuite, de suggestion. Il m’avait vue sur l’émission Du côté de chez
Dave, j’avais chanté une chanson dont il avait aimé l’écriture. Il m’a fait des compliments adorables. Pour Tu te moques, il y avait les refrains, je devais juste faire les
couplets, je devais poursuivre une histoire déjà là. Je suis allée chez lui, c’est la seule
fois où je l’ai rencontré. Il a fait des modifications, mais pas tant que ça. Souvent
pour des questions de sonorités, je crois que les rimes ne le soucient pas trop, ça
vient de son timbre, il sublime ça autrement. Sur Océan d’amour, il me l’a fait écouter
en yaourt, mais il y avait le fragment “le courant t’emporte”. Le titre était posé. Je
suis partie sur une idée de courants, l’univers de l’eau, l’idée de la fuite, une personne
qu’il aime mais qu’il ne peut garder auprès de lui, quelque chose de déchiré. J’ai
besoin de le maquetter seule en piano-voix pour qu’il puisse imaginer où ça se place.
Avec sa voix, il s’approprie le texte, il a pris peut-être un mois et demi pour savoir
comment il voulait les chanter. La version finale est différente en termes de phrasé
de la maquette, il a interprété à sa façon. L’entendre chanter des paroles que j’avais
parfois écrites un peu au hasard, c’est un peu surréaliste.» Recueilli par J.G. et D.P.
se presser, Christophe continue et renoue avec son classicisme dans Comm’ si la terre
penchait (2001) et Aimer ce
que nous sommes (2008).
Epaulé par Christophe Van
Huffel depuis lors, il est aussi
génial en reprises –à 65 ans,
il transcendait le Je viens
d’ailleurs de Jacno. Christophe ne tarit pas vraiment,
car il aime les sons, c’est sa
jouvence. En solo, intime,
devant son synthé Prophet
ou une guitare qu’il aime
toucher, pourvu qu’une belle
reverb enveloppe sa voix,
il projette encore le film.
C’est son style, différent de
tous les autres, et ça nous
plaît. •
Un thriller inventif dans lequel la tension monte, inéluctablement.
Télérama
Captivant.
Un brûlot haletant.
Implacable.
Un polar chargé de dynamite politique.
Tendu et magistralement filmé.
Étourdissant.
UN
Le Canard Enchainé
Les Inrocks
Un grand film.
L’Express
MONSTRE
Causette
A MILLE TETES
Après LA ZONA
Un thriller social
percutant.

Studio Ciné Live
FESTIVAL DE VENISE
OUVERTURE ORIZZONTI
le nouveau film de Rodrigo Plá
ACTUELLEMENT
L’Humanité
Ouest France
L’Obs
8 u
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
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ÉDITOS/
BILLET
Royal: tout
pour être
seule sur
la photo
Mélange des genres chez les Valls
Par
ISABELLE HANNE
ALEXANDRA
SCHWARTZBROD
Journaliste au service Planète
@isabellehanne
Directrice adjointe de la rédaction
@ASchwartzbrod
C’était un secret de Polichinelle: Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique
depuis juin 2014, bras droit de Laurent Fabius et cheville
ouvrière de l’accord universel signé en décembre à Paris à l’issue de la COP21, allait être la candidate de la France au poste
de secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur
le climat (CCNUCC). Le mandat de Christiana Figueres, à la tête
de cette arène onusienne depuis 2010, sa «sœur jumelle» comme
elles aiment à s’appeler, s’achève en juillet. Et Laurence Tubiana, avec son casque de cheveux blancs, ses éternelles Converse et sa légitimité aux yeux de tous les camps de cette assemblée bigarrée, semblait favorite pour le poste. Tout semblait
écrit d’avance, et il suffisait que la France propose sa candidature avant le 28 mars.
C’était sans compter un autre paramètre, qu’on pourrait appeler
la nature humaine –ou autre chose, mais restons polis. On apprend finalement que l’Elysée ne soutient plus la candidature
de Laurence Tubiana, et que la France ne propose personne à
la tête de la CCNUCC. C’est la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, «qui a mis son veto», affirme le Canard enchaîné.
Sur Twitter, l’eurodéputé EE-LV Yannick Jadot évoque la «jalousie» de la ministre. «Il y avait beaucoup de venin dans les deux
sens», glisse un diplomate. Pas de commentaires à l’Elysée ou
chez Royal, où l’on se borne à rappeler que Laurence Tubiana
conserve son titre, un peu nébuleux, de «championne du climat» –elle doit «maintenir la dynamique initiée par l’Accord de
Paris», explique le site de la COP21–, jusqu’à la COP22, en novembre au Maroc.
Un autre facteur aurait entravé la candidature de l’ambassadrice, selon plusieurs sources: le nombre de Français déjà à des
haut postes internationaux –Monique Barbut, secrétaire exécutive de la Convention sur la lutte contre la désertification, Hervé
Ladsous, secrétaire général adjoint aux opérations de maintien
de la paix de l’ONU – ou en passe de
l’être (Philippe Douste-Blazy, candidat à la tête de l’Organisation mondiale de la santé, mais le poste ne
se libère qu’en juillet 2017).
Ségolène Royal, furieuse d’avoir
été cornérisée par l’équipe de
Laurent Fabius, alors président
de la COP 21, pendant toute l’année 2015, va bientôt se retrouver
au centre de la photo, notamment pour la cérémonie de signature officielle de l’accord, à l’ONU
le 22 avril. Après avoir récupéré les
négociations climatiques dans son
portefeuille, et la casquette de présidente de la COP 21 quand Fabius a
quitté le Quai d’Orsay pour le Conseil
Constitutionnel. C’est désormais Janos Pasztor, le Monsieur climat du
Secrétaire général de l’ONU, Ban Kimoon, qui tiendrait la corde pour prendre la tête de la Convention. Laurence
Tubiana, une Française, compétente,
pour gérer la ratification et la mise en application d’un texte qui s’appelle «Accord
de Paris», ne semblait pourtant pas complètement absurde. •
On sait depuis longtemps à quel
point il est difficile, pour une
femme, d’être l’épouse ou la compagne d’un homme politique de
premier plan (le cas ne s’est malheureusement pas assez présenté
dans le sens inverse). Surtout
quand la femme en question
mène une activité en son nom
propre. On ne peut donc que
saluer la volonté d’Anne Gravoin,
l’épouse du Premier ministre,
Manuel Valls, de mener de front
obligations de représentation
oficielle et carrière de musicienne
internationale. On s’inquiète
fortement, en revanche, de la
légèreté avec laquelle elle gère ses
LUIS GRAÑENA
Par
partenariats à l’étranger et surtout de sa propension à mélanger
les genres. Ces failles apparaissent dans un article passionant et
très documenté publié cette semaine par l’Obs. David Le Bailly
et Caroline Michel ont enquêté
sur «le drôle d’orchestre de
Mme Valls», l’Alma Chamber Orchestra, dont des hommes d’affaires sulfureux lui ont proposé la
direction artistique sur un plateau, sachant qu’elle rêvait depuis
longtemps de monter un orchestre classique prestigieux. Et ce
qu’ils racontent sur le parcours et
les activités de ces vendeurs d’armes ou hommes d’influence liés
aux réseaux de la Françafrique
est édifiant. Tout comme la façon
dont la musicienne Anne Gravoin
est accueillie et traitée à l’étranger avec les honneurs dus à
Madame Valls. Sans compter la
remise des insignes d’officier de
la Légion d’honneur, par Manuel
Valls lui-même, au président de
la fondation qui soutient l’orchestre. Tout cela fait très mauvais
effet et ne rehausse pas le crédit
déjà très affaibli des politiques.
Contactés, les services du Premier ministre se sont contentés
de rappeler les réponses factuelles faites aux journalistes de l’Obs
mais n’ont pas commenté les conclusions accablantes de l’article.
Faudrait-il pour autant qu’Anne
Gravoin renonce à exister pour ce
qu’elle est et non pour ce qu’elle
représente ? Surtout pas. Il nous
semble même très sain qu’un
individu, homme ou femme,
ne soit pas dépendant de la
personne qui partage sa vie,
quelle qu’elle soit. Mais cet exercice réclame une éthique et une
vigilance de chaque instant.
Qui semblent manquer au
couple Valls. •
REVIREMENT
Quotas laitiers:
un retour qui ne dit
pas son nom
Par
JEAN­CHRISTOPHE FÉRAUD
Rédacteur en chef adjoint, service Futurs
@JCFeraud
Il y a un an disparaissaient les fameux
quotas laitiers. Tout à sa doxa libérale, la
Commission européenne y voyait alors un
retour à la normale du marché. Les risques
de surproduction et d’effondrement
mécanique des prix agités par les éleveurs
français ? Foutaises ! décrétait le commissaire à l’Agriculture, Phil Hogan, qui
déclarait tranquillement dans les allées du
Salon de l’agriculture : «Les prix du lait en
Europe sont les mêmes qu’il y a deux ans.
S’il y a des problèmes, nous les gérerons
mais il n’y a aucun problème pour l’instant». Il suffit de se pencher sur les chiffres
pour voir que Phil Hogan avait tout faux.
Ou qu’il faisait mine d’ignorer la menace.
Dans les faits, le prix du lait de vache payé
aux éleveurs a baissé de 8 % en un an,
à moins de 29 centimes le litre. Et, depuis 2014, il a carrément chuté de 25 % ! En
cause, la collecte laitière à tout-va relancée
par les pays adeptes des «fermes usines»
comme l’Allemagne, les Pays-Bas… et surtout l’Irlande de Hogan, qui a explosé tous
les compteurs (+ 14 % en 2015). Il n’y a pas
de hasard semble-t-il. En pleine crise
agricole, la France, elle, n’a pas ouvert les
vannes de ses trayeuses, dans l’espoir de
maintenir les prix. Raté. Ce sont les
éleveurs français qui subissent de plein
fouet la surproduction de leurs voisins.
Libérée des quotas, la production laitière
européenne a bondi de 2,1 % en un an et
de + 6,8 % depuis 2014. C’est le retour des
«mers de lait» et des «montagnes de
beurre» qui écrèment les revenus déjà
modestes des éleveurs et les marges plus
grasses des transformateurs. Et les Français ne sont pas les seuls à souffrir : avec
l’embargo russe et le ralentissement chinois, la déferlante laitière a bien du mal à
s’écouler. C’est contre cette surproduction
mortifère que l’Europe avait précisément
imposé les quotas laitiers en 1984. Après
un quart de siècle de réforme de la Politique agricole commune, l’Europe libérale a
finalement eu raison des quotas. Mais,
devinez quoi, on y revient : le même Hogan vient d’autoriser «des réductions temporaires de la production dans le secteur
laitier». Il faut croire que la Commission a
redécouvert que sa sacro-sainte «dérégulation» devait s’incliner devant cette vieille
loi de l’économie qui veut que l’on doit
toujours adapter l’offre à la demande. •
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
SUR LIBÉRATION.FR
Femmes, femmes, femmes… Chaque mois, Libération liste les histoires qui
ont fait l’actualité des femmes. Au menu du
septième épisode : Wiki des femmes scientifiques, sportives mobilisées… mais aussi,
le reportage de notre journaliste Lucie Peytermann chez les épouses et filles de talibans, au Pakistan. PHOTO LUCIE PEYTERMANN
u 9
EXPRESSO/
Primaire à droite : François Fillon
sommé de se faire violence
Déjeuner-débat de
François Fillon avec les
Conseillers du commerce
extérieur, à la Maison des
polytechniciens, à Paris,
mercredi.
ra-t-il? Il laisse lui-même planer le doute.» Si Sarkozy n’y
va pas, les fillonistes parient
sur une baisse mécanique de
Juppé qui est aussi, pour une
partie de l’électorat, un
refuge anti-Sarkozy.
«Miser sur l’abandon d’un
concurrent n’est pas le
meilleur moyen de faire la
course», met en garde Jérôme
Fourquet de l’Ifop. Si Fillon
reste scotché autour de 10%
dans les sondages, ce doit
être pour «des raisons profondes»; peut-être que ses «traits
d’image vont à l’encontre de
son discours thatchérien».
Libéral. François Miquet-
Malmené dans les sondages, l’ancien
Premier ministre rassemble ce samedi
ses soutiens à Paris pour activer
sa campagne. Ses partisans tablent
sur l’abandon de Nicolas Sarkozy
et une communication plus efficace.
Par
ALAIN AUFFRAY
Photo ALBERT
FACELLY
Q
uelque chose ne va
pas. Manifestement.
A huit mois de
l’échéance, François Fillon
est dépassé par Bruno
Le Maire dans les intentions
de vote à la primaire de novembre. L’ancien Premier ministre a beau marteler que
ces sondages «ne veulent rien
dire» puisqu’on ne connaît ni
le corps électoral ni même la
liste des «vrais candidats», ce
décrochage inquiète. Les dernières enquêtes disent toutes
la même chose: Fillon serait
à 8 % pour l’Ifop, le 23 mars,
comme pour Ipsos le
30 mars. Et Bruno Le Maire
aurait presque 10 points
d’avance.
Valeurs sûres. Troublés
par ces chiffres, les fillonistes
préparent la contre-offensive,
en se débattant avec cette injonction contradictoire: comment mettre en scène, au prix
d’un minimum d’autocélébration, ce pudique animal
politique qui a fait du rejet de
la communication sa marque
de fabrique ? «La vie politique, ce n’est pas un spectacle.
Un homme politique, ce n’est
pas une star», a-t-il maintes
fois répété, contre Sarkozy.
Ce samedi, le candidat réunit
à Paris près d’un millier de
ses «relais» départementaux,
ceux qui vont porter sa candidature et participer,
le 20 novembre, à la mise
en place de 10 000 bureaux
de vote. Animée par le directeur de campagne Patrick
Stefanini, cette réunion se
terminera par un discours de
Fillon, précédé de ceux du
président du Sénat, Gérard
Larcher, et du chef de file
des sénateurs LR, Bruno
Retailleau.
Stefanini, Larcher, Retailleau : ces trois valeurs sûres
rassurent les militants. Le
premier, directeur de plusieurs campagnes victorieuses (Chirac en 1995 et
en 2002, Pécresse en 2015),
jouit d’une réputation d’organisateur hors pair. Larcher
peut se prévaloir de son autorité de second personnage de
l’Etat, tandis que le troisième, Retailleau, est unanimement reconnu, chez LR,
comme un ministrable à cote
ascendante.
Doute. On touche là au paradoxe Fillon, l’un des plus
populaires Premiers ministres de la Ve République. Très
apprécié à l’Assemblée et au
Sénat, il compte plus de soutiens parlementaires que
Juppé, Sarkozy et Le Maire. Il
est aussi le préféré des chefs
d’entreprise, grandes ou petites, séduites par les audaces
libérales de son programme:
priorité à la baisse massive
des charges, suppression de
l’ISF et des 35 heures, suppression de 500000 emplois
publics, etc. Candidat déclaré
depuis l’automne 2012, il est
plus avancé dans la construction du projet d’alternance.
«J’irai jusqu’au bout!» s’emporte-t-il, très agacé, quand
on lui demande s’il n’envi-
sage pas de renoncer. La primaire, c’est son combat. Et
aussi son œuvre. Après le
fiasco de l’élection à la présidence de l’UMP en novembre 2012, il avait posé cet ultimatum à Copé et à ses alliés
sarkozystes : si la primaire
n’était pas gravée dans le
marbre des statuts du parti,
la scission était inévitable.
A ses soutiens qui doutent,
Fillon explique ce samedi
dans le Figaro que «les cartes
seront rebattues» quand les
candidats seront connus :
«Nicolas Sarkozy se présente-
L’HOMME
DU JOUR
Marty, président de Viavoice,
souligne que malgré la faiblesse des intentions de vote,
Fillon reste, derrière Juppé et
Macron, au top du palmarès
des hommes politiques jugés
«crédibles». «On reconnaît
l’ancien Premier ministre.
Mais la marque Fillon n’existe
pas. Quelles sont ses valeurs?
Sur quoi est-il prêt à se battre?» s’interroge le sondeur.
Dans son entourage, chacun
convient qu’il y a, au minimum, «un problème de communication». Les avis divergent sur les remèdes. Pour
Retailleau, Fillon doit plus se
dévoiler. Il doit aussi investir
les thématiques régaliennes:
«Répondre à l’angoisse du déclassement économique? Très
bien. Là, il est le meilleur ;
mais il y a aussi l’angoisse de
la dépossession culturelle.»
Pour d’autres, comme l’ex-patron de Numéricable Pierre
Danon, un de ses proches
conseillers, il doit continuer
à marteler que la priorité est
le redressement économique
plus que l’identité, l’immigration et la laïcité. Même
conseil de l’ex-ministre Hervé
Novelli. Selon lui, il doit incarner «le dirigeant moderne,
à la tête d’une organisation
horizontale et non pas verticale». Le candidat ne doit pas
«entretenir l’illusion de
l’homme providentiel, du
grand chef infaillible». Il doit
pouvoir «faire des forces de ses
faiblesses supposées». De quoi
occuper les professionnels de
la communication. •
10 u
SUR LIBÉRATION.FR
Etats-Unis Trump qui commet une faute
sur l’avortement, Sanders qui convainc
cinq Etats en dix jours… Vous n’avez pas
tout suivi, voire rien du tout, des courses
à l’investiture républicaine et démocrate
ces derniers temps ? Tous les vendredis,
Libération fait le point sur les primaires
américaines. PHOTO JEWEL SAMAD. AFP
L’enfant comorien
libéré de Roissy
Douze jours dans la zone d’attente de l’aéroport. Arrivé
le 21 mars pour rejoindre sa
tante, un Comorien de 8 ans
avait été arrêté à sa sortie
d’avion. il voyageait seul avec
le passeport français de son
cousin. Il devait être rapatrié
vendredi, mais a été libéré,
selon l’association La voix de
l’enfant. Face aux pleurs, le
commandant aurait refusé
son embarquement. Puis le
juge des libertés et de la détention de Bobigny est intervenu. Le procureur décidera
d’un placement ou d’une remise à sa famille. «La présidente s’est adressée à ce petit
bonhomme avec beaucoup
d’humanité», a dit Martine
Brousse, de l’association.
Bouygues et Orange, échec net
Encore raté! Devenu le serpent de mer des télécoms,
le passage de quatre
à trois opérateurs n’aura
pas lieu. En tout cas pas
sous la forme, inédite à
l’échelle européenne, du
rachat du quatrième opérateur Bouygues par le leader
du marché, Orange. Convoqués vendredi soir, les
conseils d’administration
des deux groupes ont acté
l’échec des discussions. A
l’unanimité, celui de Bouygues a décidé de mettre
fin au rapprochement et de
faire cavalier seul. Une
énorme surprise, tant la
volonté de l’ensemble des
acteurs –Bouygues, le vendeur; Orange, SFR, Numericable et Free – de parvenir à cette concentration
En introduction de son discours devant les sénateurs,
mercredi, Jacques Rapoport
a eu cette phrase peu engageante pour celui qui le remplacera à la tête de SNCF Réseau : «Je dois dire à mon
successeur qu’il va avoir tout
sauf un travail facile.» Démissionnaire un an avant la
fin de son mandat, il s’est véritablement lâché sur l’état
du réseau ferré en France, réseau dont il a eu la responsabilité ces quatre dernières
DR
«Quand vous avez
des portions aussi
vétustes, on peut
très bien demain
avoir un accident.»
JACQUES
RAPOPORT
PDG de SNCF
Réseau, mercredi
au Sénat
EXPRESSO/
années. «Ce patrimoine national est en danger.»
Il ne parle pas des lignes à
grande vitesse, mais «de la
partie la plus circulée de notre réseau, à peu près 20000
à 25 000 kilomètres sur les
30 000 kilomètres de lignes
qui, pendant trente ans, n’ont
pas bénéficié des investissements de renouvellement requis». Des voies, a-t-il rappelé, dont l’âge moyen est
«le double de ce qui est en Allemagne».
du marché semblait forte.
Après trois mois de fiançailles qui devaient aboutir
à un très complexe contrat
de mariage sur fond
de partage des actifs de
Bouygues Telecom entre
les trois opérateurs restant,
les obstacles se sont finalement révélés trop importants. A commencer par le
prix de 10 milliards d’euros
exigé par Martin Bouygues
pour se revendre à Orange.
Principal actionnaire du
groupe à hauteur de 23 %
de son capital, l’Etat, qui
ne veut pas risquer d’en
perdre le contrôle, a refusé
les conditions fixées par
Martin Bouygues, tant en
termes de valorisation que
sur son poids dans la future gouvernance de l’opé-
«Certaines caténaires ont
plus de 80 ans, j’ai vu des photos de traverses complètement
pourries. Quand vous avez
des portions aussi vétustes, on
peut très bien demain avoir
un accident comparable à
Brétigny», a lâché pour sa
part Hervé Maurey, président
de la commission et sénateur
de l’Eure. Pour rappel, l’accident de Brétigny avait tué
sept personnes en 2013. La
dégradation du réseau est régulièrement pointée par les
élus, les associations d’usagers, la cour des comptes et
par la SNCF elle-même.
Depuis le début des années 80, les capitaux de la société ferroviaire ont été en
grande partie aspirés par le
plan TGV au détriment des lignes intercités. Depuis quelques années, une réorientation des investissements vers
le réseau existant a été opérée (1500 chantiers sont programmés en 2016). Mais, à
écouter Jacques Rapoport,
l’effort n’est peut-être pas
suffisant. Dans les années à
venir, les dépenses de SNCF
Réseau «vont augmenter et
les recettes vont stagner voire
baisser», a-t-il expliqué. Or,
selon lui, il est urgent d’accroître «cette trajectoire de renouvellement», mais «la priorité, c’est la remise à niveau
de la partie la plus circulée du
réseau».
Ri.P.
rateur historique. Martin
Bouygues serait devenu
le deuxième actionnaire.
Les négociations ont aussi
buté sur la nature des actifs cédés à Free.
Alors que le «Yalta» semblait quasi bouclé ces derniers jours, Xavier Niel
aurait fait monter les enchères. Enfin, les incertitudes restaient très élevées
concernant le feu vert des
autorités de la concurrence pour le redécoupage
du secteur. En exigeant
des remèdes supplémentaires de manière à préserver une saine compétition
dans le secteur, l’ensemble
des protagonistes risquaient de se retrouver,
dans quelques mois, à la
case départ. C.Al.
Explosion due au gaz en plein Paris
Une déflagration s’est produite, vendredi à la mi-journée, dans
un immeuble d’habitation du centre de Paris, faisant 17 blessés
dont un grave. A l’origine du sinistre, un «incendie classique»
au 4, rue de Bérite, dans le VIe arrondissement, selon le commandant Gabriel Plus, porte-parole des sapeurs-pompiers, cité
par l’AFP: «Au moment où nous finalisions le feu, l’immeuble
adjacent, au 6, a été soufflé.» Il s’agit vraisemblablement d’une
explosion de gaz, probablement un «accident domestique»,
poursuit-il. Un pompier est gravement blessé, mais son pronostic vital n’est pas engagé. Seize autres personnes dont
10 pompiers ont été plus légèrement touchés. PHOTO AFP
Violences policières: deux
plaintes déposées à Paris
Suite aux violences policières aux abords du lycée
Henri-Bergson le 24 mars à
Paris, deux familles ont déposé plainte auprès de
l’IGPN (Inspection générale
de la police nationale) vendredi.
La première a été déposée
pour violences policières
par la mère de
Steven, 17 ans,
déféré devant
un juge d’instruction samedi dernier
après deux
jours de garde à vue. Placé
sous contrôle judiciaire, il a
été mis en examen pour
outrage et violence contre
personne dépositaire de
l’autorité publique. Violemment interpellé jeudi 24 devant son lycée, il aurait subi
des violences une fois au
commissariat selon des lycéens présents au poste.
Les adolescents l’auraient
vu «en caleçon, à quatre
pattes au milieu d’une pièce
avec cinq flics qui lui tombaient dessus à coups de claques et de coups de poing»,
selon des parents d’élèves.
Il a bénéficié de trois jours
d’ITT (incapacité temporaire de travail). Jeudi, un
des témoins, a déposé une
main courante pour témoigner des violences infligées
à son camarade.
La seconde plainte a été déposée pour non-assistance
à personne en danger par
les parents d’une élève de
première. La jeune fille a
été bousculée lors d’une
charge de policiers, est tombée et a fait une
crise d’asthme.
«Ses amis ont
alors fait barrage pour la
protéger», explique sa
mère. L’un d’entre eux, qui
est allé demander de l’aide
aux forces de l’ordre pour
lui porter secours «s’est fait
insulter». Une voiture de
police aurait même fait
mine de les percuter «pour
leur faire peur», raconte
une mère d’élève. Ses amis
ont fini par la mettre à l’abri
dans une autre aile de l’établissement.
L’IGPN a par ailleurs ouvert
deux enquêtes suite à la diffusion de deux vidéos montrant des violences policières. La garde à vue d’un des
auteurs présumés, débutée
jeudi, a été prolongée vendredi matin. P.Mo.
DROIT
DE SUITE
RÂTEAU
Montebourg et
Filippetti privés
d’inauguration
Pas content d’avoir «appris par la bande» qu’Arnaud Montebourg et
Aurélie Filippetti seraient
présents vendredi soir au
lancement de la nouvelle
saison du U4, ex-haut
fourneau transformé en
centre culturel, Michel
Liebgott, député PS de
Moselle et maire de Fameck, a annulé l’événement. «Arnaud Montebourg allait spolier les
gens en détournant l’attention sur sa personne
pour le buzz», justifie Michel Liebgott à Libération. «On a pris ça pour
un poisson d’avril», répond-on du côté
de l’entourage
d ’A u r é lie Filippetti, qui
est, par
ailleurs, également députée de Mos elle. On
nous explique qu’en tant
qu’ex-ministre
de la Culture,
elle devait
être invitée.
GRANENA
JUSTICE
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
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u 11
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
Centrafrique : «l’honneur de la France serait engagé»
En marge d’un sommet sur la
sûreté nucléaire vendredi
à Washington, François Hollande
a déclaré que si les allégations
«d’abus sexuels innombrables» visant des soldats français engagés
en Centrafrique étaient confir-
mées, «l’honneur de la France serait engagé». Des rapports accusent des soldats de l’opération
Sangaris d’avoir forcé des jeunes
filles à avoir des rapports sexuels
avec des animaux en échange
d’une somme d’argent.
17%
C’est la part des jeunes qui pensent que la pilule contraceptive empêche la transmission du
sida. Cette donnée est extraite des résultats du sondage mené par l’Ifop auprès des jeunes de 15 à
25 ans pour le Sidaction, dont la 22e édition a lieu
ce week-end. D’autres chiffres révèlent l’étendue de
la méconnaissance des jeunes: un sondé sur cinq
pense que le virus peut se transmettre par un baiser,
15% via un siège de toilettes, 6% en se serrant la
main. Si 16% déclarent être très bien informés sur
le sida, ce taux a chuté de 10 points depuis 2012.
GÂTERIE
Carambar bientôt
de retour au pays?
Le bâton de caramel mou et
ses blagues pourraient rejoindre le giron d’Eurazeo. Cette
société d’investissement française a annoncé être entrée en
«négociations exclusives» avec
l’américain Mondelez, afin de
lui racheter un panier gourmand d’une dizaine de marques de confiserie françaises
et européennes (dont Malabar). Au terme de l’accord, un
«nouveau groupe» serait créé,
réunissant ces marques et
leurs «cinq sites de production
en France», dont celui de
Marcq-en-Barœul. Cette banlieue lilloise est le berceau des
Carambar, créés en 1954 et
écoulés chaque année à
un milliard d’unités dans
l’Hexagone.
“INTENSE”
TÉLÉRAMA
«Les libellules sont menacées
par un manque de considération»
L’agrion joli s’est raréfié. PHOTO XAVIER HOUARD. OPI. SFO
INTERVIEW
nourrissent. Elles s’inscrivent ainsi dans la chaîne alimentaire. Leur présence (ou
leur absence) et leur diversité informent les scientifiques qui étudient l’équilibre des écosystèmes. Ça
peut paraître difficile à
concevoir, mais en étudiant
les libellules, les chercheurs
posent un diagnostic sur
l’état de santé des zones
humides.
L’état des lieux que vous
avez dressé est alarmant…
Les libellules sont effectivement menacées par le peu de
considération que notre so-
ciété moderne fait de la nature. Les zones humides sont
asséchées pour l’irrigation
ou pour gagner des surfaces valorisables économiquement, d’abord par l’agriculture intensive puis par
l’artificialisation due à
l’urbanisation galopante…
Désormais, même les zones
humides les plus reculées,
en montagne, concentrent
des pollutions, subissent
les pressions touristiques et
la concurrence d’espèces
introduites envahissantes.
Parmi celles-ci figurent les
écrevisses américaines […] ou
les carpes amour provenant
d’Asie. Recueilli par C.Sc.
A lire en intégralité sur Libé.fr.
© 2016 Fidélité Films – Wild Bunch – France 2 Cinéma
Parmi les 89 espèces de libellules présentes en France métropolitaine, 24 sont menacées de disparition et deux
n’existent déjà plus: la leste
enfant et la leucorrhine rubiconde. C’est ce qu’indique
l’état des lieux publié dans la
«liste rouge nationale des espèces menacées», dressée par
l’Union internationale pour la
conservation de la nature
(UICN) et le Muséum national
d’histoire naturelle. Entomologiste et membre de la Société française d’odonatologie, Xavier Houard rappelle
leur importance.
Que sait-on des libellules?
En Europe, elles figurent
parmi les insectes les mieux
connus et les plus étudiés.
Ce sont des animaux aquatiques, leurs larves se développent dans l’eau puis émergent et se transforment en
un adulte volant. Ce sont des
prédatrices qui se nourrissent d’autres insectes, tant
dans l’air à l’état adulte que
dans l’eau au stade larvaire.
Sont-elles importantes ?
Elles sont importantes à plus
d’un titre. Les libellules
mangent «utilement» les
moustiques et constituent
une ressource pour les
oiseaux insectivores qui s’en
++++
STUDIO CINÉ LIVE
12 u
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
LA LISTE
Foot: révisons
les Clásicos
VIRUS
Ebola : le Liberia
de nouveau touché
Un nouveau cas d’Ebola a
été identifié au Liberia, plus
de deux mois après la proclamation officielle de la fin
de la transmission du virus
dans ce pays, ont annoncé
vendredi le ministère de la
Santé et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Il s’agit d’«une femme de
30 ans décédée jeudi aprèsmidi après avoir été admise
dans un hôpital de la capitale, Monrovia», a précisé
l’OMS, qui avait annoncé
deux semaines auparavant la fin de l’épidémie en
Afrique de l’Ouest. Depuis,
les mauvaises nouvelles se
succèdent : déjà sept morts
ont été recensés en Guinée
voisine.
1 El Clásico Le Barça
veut honorer la mémoire
de Johan Cruyff, tandis que
le Real Madrid compte laver
l’affront de novembre (0-4) :
le premier Clásico de Zinedine
Zidane entraîneur (et le 231e de
l’histoire) sera fort en émotions, samedi (20 h 30).
13%
C’est la part d’obèses dans la population mondiale, selon une étude publiée vendredi dans
la revue britannique The Lancet. Cette épidémie touche plus de 640 millions d’adultes
(375 millions de femmes et 266 millions d’hommes). Le rythme de progression est tel que le taux
pourrait atteindre les 20% d’ici à 2025. Présentée
comme l’une des plus complètes réalisées à ce jour
sur le sujet, l’enquête se fonde sur des données
concernant 19 millions de personnes majeures, vivant dans 186 pays. Ils n’étaient que 105 millions
en 1975. Mais en quarante ans, le poids moyen de
la population a augmenté de 1,5kg tous les dix ans.
2 Le Superclásico
Le préfixe indique qu’il
s’agit du derby le plus fameux
au monde, opposant en
Argentine, Boca Juniors et
River Plate. Ils en sont à leur
361e confrontation depuis 1913
et Boca mène 131 victoires
à 117 (113 nuls).
3 Le Classique Ou un
Paris SG - Olympique
de Marseille. Ce «Classique»
du foot français, qui s’est joué
à 88 reprises dans l’histoire,
a été monté en épingle par…
Bernard Tapie, boss de l’OM
de 1986 à 1994 : «J’ai tout
orchestré !»
Moscou pense avoir débusqué
une taupe ukrainienne
VU DE
RUSSIE
«Le lieutenant-colonel Iouri
Ivantchenko du département de contre-espionnage
du SBU [les services de sécurité ukrainiens, ndlr] a été
arrêté le 26 mars sur le territoire russe, [venu] pour participer à une opération pendant laquelle il devait être
recruté par le FSB [exKGB]», ont affirmé jeudi les
services secrets russes. Ils
précisent que l’agent ukrainien, «entraîné par la CIA»,
s’était rendu en Russie en
prétextant une visite familiale, alors que les services
secrets ukrainiens interdisent à leurs employés d’y
aller. Du reste, le FSB l’attendait de pied ferme, renseigné sur ses projets «avant
son arrivée». Dans un montage vidéo diffusé par la
chaîne REN-TV (qui renvoie
au service de com du FSB),
Ivantchenko a l’air de passer
des entretiens d’embauche.
«Je travaille pour le SBU
depuis 2001. Je ne soutiens
pas l’idéologie projetée actuellement par le président
et le gouvernement» ukrainiens, explique un homme
corpulent, cheveux ras et
barbe taillée en bouc, filmé
en caméra cachée.
Il déplore aussi l’invasion
des structures du pouvoir
ukrainiennes par des agents
américains «qui mènent des
opérations de vol et d’extermination de gens dans le
Donbass [territoire disputé
de l’est de l’Ukraine, ndlr].
Tous les documents sont signés par nos fonctionnaires
sous l’égide des Américains».
Selon le FSB, ce n’est pas
la première fois qu’Ivantchenko cherche à proposer
ses services au FSB, il avait
déjà tenté le coup en 2014.
Dans la mesure où il n’a pas
eu le temps de «causer de
dommages à la Russie», il
sera simplement expulsé et
interdit d’entrée.
V.D. (à Moscou)
LIBAN
CORÉE DU NORD
La police libanaise a démantelé un réseau de
trafic sexuel et libéré
75 femmes, pour la plupart syriennes, a indiqué
vendredi à l’AFP une
source des services de sécurité. «Il s’agit du plus
grand réseau que nous
ayons découvert depuis le
début de la guerre en Syrie» en 2011, assure cette
source sous le couvert de
l’anonymat.
Les femmes ont été violées et battues, et certaines d’entre elles portaient
des marques de «mutilations» sur le corps, indique pour sa part un communiqué des Forces de
sécurité intérieure (FSI).
Dix hommes et huit femmes, qui gardaient les appartements dans lesquels
se trouvaient les victimes,
ont été arrêtés. Le Liban
accueille plus de 1,1 million de Syriens ayant fui la
guerre, soit le quart de sa
population. Il s’agit du
taux de réfugiés le plus
élevé au monde.
Vendredi, Pyongyang a
lancé un missile sol-air de
courte portée. Selon le comité des chefs d’état-major
interarmées à Séoul, Pyongyang s’est invité ainsi avec
fracas au sommet sur la sécurité nucléaire, organisé par
Barack Obama à Washington.
Cette nouvelle démonstration de force intervient quelques heures après une réunion entre la Corée du Sud,
les Etats-Unis et le Japon. Le
président américain avait
évoqué jeudi la nécessité de
faire respecter avec vigilance
les mesures de sécurité imposées à Pyongyang par
l’ONU en mars, après le
quatrième essai nucléaire
du 6 janvier et son tir d’une
fusée longue portée, un mois
plus tard. Ce vendredi, les
médias du Nord ont qualifié
d’«absurde» le sommet de
Washington et ont rappelé
«l’accès légitime aux armes
nucléaires» pour leur pays.
L’agence sud-coréenne a
comptabilisé 17 engins lancés
à six occasions depuis le début de l’année.
Mort de Hans-Dietrich Genscher,
grand artisan de la réunification allemande
A l’est comme à l’ouest du
Mur, tout le monde connaissait ses grosses lunettes, le
pull jaune canari –la couleur
de son parti, le Parti libéral
(FDP) – qu’il portait invariablement, et son air de chien
battu… Peu charismatique,
Hans-Dietrich Genscher,
chef de la diplomatie allemande sous diverses majorités de 1974 à 1992, a été l’un
des politiciens allemands les
plus populaires de l’aprèsguerre.
Son heure de gloire remonte
au 30 juin 1989. A Prague, depuis le balcon de l’ambassade de la RFA (République
fédérale d’Allemagne), le ministre s’adresse à quelques
milliers de réfugiés est-allemands qui ont fui leur pays
pour rejoindre l’Ouest. HansDietrich Genscher leur annonce qu’ils pourront bientôt se rendre en RFA. C’est la
première brèche dans le rideau de fer. Un an plus tard,
c’est encore lui qui signe,
avec l’Union soviétique et les
trois puissances occidentales
(Etats-Unis, France et Grande-Bretagne) qui occupaient
encore la RFA, le traité dit
«2+4» annonçant la réunification. Genscher est né
à Halle, en ex-RDA, en 1927.
Hans-Dietrich Genscher, en 2006, à Halle. REUTERS
A la fin de la guerre, il est fait
prisonnier par les Américains. A sa libération, au
début des années 50, atteint
de tuberculose, il passe à
l’Ouest. Avocat de formation,
Genscher rejoint les rangs du
FDP en 1952. Il a été député
du Bundestag sans interruption de 1965 à 1998.
Tout au long des dix-huit
années qu’il a passées à la
tête du ministère des Affaires
étrangères, Hans-Dietrich
Genscher s’est évertué à mettre en œuvre une politique
de rapprochement avec l’Europe de l’Est communiste,
refusant de diaboliser l’ennemi soviétique. Son objectif : la fin de la guerre froide
et de la course aux armements.
Le pire épisode de sa carrière
reste l’échec de la libération
des otages israéliens, lors des
Jeux olympiques de Munich,
en 1972. Genscher, alors ministre de l’Intérieur de Willy
Brandt (SPD), se propose
comme otage en échange des
athlètes israéliens. L’intervention des forces de l’ordre,
désastreuse, s’achève par la
mort de plusieurs otages.
Malgré sa démission surprise
à 65 ans en 1992, Hans-Dietrich Genscher était resté présent dans le débat politique
allemand. A l’automne 2014,
accompagné d’anciens réfugiés, il était retourné à l’ambassade allemande de Prague, dans les murs de
l’ambassade d’Allemagne,
pour y fêter les 25 ans de la
chute du Mur.
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14 u
MONDE
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Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
A Garissa,
les fantômes
du massacre
Kenya Il y a un an, 148 personnes
étaient tuées par les shebab
en plein campus universitaire.
Depuis, des cours ont repris
mais les blessures sont profondes.
Le groupe Al-Shabaab, lié à Al-Qaeda, revendiquera l’attaque. Leur but: imposer la charia
Envoyé spécial à Garissa (Kenya)
et leur conception du salafisme en Afrique
de l’Est.
un coup de poing, Abdul ouvre une Un an après le massacre, la vie reprend peu
porte grinçante. Elle donne sur le à peu au sein du campus. Le matin, quelques
logement de deux étudiants assassi- étudiants rejoignent de nouveau l’université
nés par les islamistes shebab il y a un an. Les via un petit chemin de terre. Autrefois lieu
coups de crosse assénés pour briser la serrure agité entouré de commerces, c’est dorénavant
marquent encore le bois vermoulu. «Je ne un quartier abandonné. Des bidons disposés
peux pas toucher la poignée, elle est maudite.» ça et là sur la route ralentissent les voitures.
L’employé de l’université de
Deux gardes lourdement armés
Garissa entre dans la pièce. Deux REPORTAGE filtrent les entrées. Chaque visilits superposés sont entreposés
teur est sommairement fouillé
dans un coin. La gorge nouée, Abdul détaille avant de franchir le portail. Mohammed
les impacts de balles sur les montants métalli- habite à deux pas d’ici. Etudiant en première
ques. Un, deux, trois… Impossible de tous les année, il se souvient «de l’avant». Il venait
compter tellement les rafales ont été nourries. souvent boire un thé avec ses amis dans l’une
«Il va falloir qu’on jette ces lits, ou au moins des gargotes. «Aujourd’hui, on a l’impression
qu’on les répare», dit-il avant de désigner le de rentrer dans un camp militaire», soupiresol. Une tache de sang délavée macule tou- t-il. Mais l’important est là: il peut suivre des
jours le lino. Sa voix vacille. «Là, l’université cours.
prévoit de tout refaire. On doit supprimer les
traces de la tuerie.» Dès qu’il pénètre ici, il se
PATROUILLES ET «GADGETS»
revoit jouant au football avec les étudiants. Longtemps, le sort de la faculté est resté indéLes images des corps mutilés reviennent cis. Ses portes closes, les jeunes ont quitté Gale hanter.
rissa, ou interrompu leurs études. Cette réLe 2 avril 2015, plusieurs hommes armés gion à majorité musulmane est désormais
pénètrent dans ce campus, dans le nord-est considérée comme un vivier de terroristes. Un
du Kenya. Il est 5h30 du matin quand ils abat- endroit à éviter. Perdu dans une zone aride au
tent les gardes à l’entrée de la faculté. Les nord du pays, à six heures de route de Nairobi,
terroristes se rendent dans la chapelle toute l’endroit intéresse peu les hautes sphères du
proche pour répandre la mort, puis finissent pouvoir, centralisées dans la capitale. Pourleur macabre équipée dans les logements. tant, un beau jour du mois de décembre, sa
Séparant les musulmans des chrétiens, assas- réouverture est annoncée. En quelques sesinant méthodiquement ces derniers. Ils maines les professeurs sont rappelés, queltuent 142 étudiants, 3 gardes et 3 policiers. ques classes sont nettoyées, et les cours re-
Par
BASTIEN RENOUIL
D’
prennent. «Ils sont tout de suite revenus,
clame Ahmed Osman, le directeur de l’université. Ils voulaient faire vivre cette région!»
En aparté, un secrétaire confie que s’il n’avait
pas été à son poste le jour de la rentrée, il
aurait été renvoyé de la fonction publique.
Peu importent les raisons de leur retour, pour
le chef du campus, l’important, c’est que la vie
reprenne et chasse les démons de Garissa.
Le jour de notre visite, seule une vingtaine
de jeunes assiste aux travaux dirigés.
Mais Ahmed Osman s’enorgueillit d’avoir
eu 160 inscriptions depuis janvier. «Et tout
va changer en septembre, nous accueillerons 700 nouveaux étudiants venus de tout le
pays. Nous aurons autant d’inscrits lll
«Nos dirigeants
devaient montrer
aux shebab qu’ils
ne peuvent pas
l’emporter, que malgré
les horreurs, nous
continuerons à vivre.
Sinon quoi? Ils feront
fermer toutes les
facultés du pays?!»
ABDULRAHMAN HAMO
responsable des étudiants de Garissa
u 15
Document : LIB_16_04_02_CAR.pdf;Date : 01. Apr 2016 - 13:55:52
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
Les shebab se replient
sur la Somalie
Et ce, en dépit de contre-offensives antiterroristes féroces. Début mars, les EtatsUnis ont ainsi piloté un raid
aérien, avec le soutien au sol
des forces spéciales, contre
un camp d’entraînement,
tuant plus de 150 militants islamistes. Dans la foulée, l’armée kenyane assurait avoir
abattu 19 shebab qui s’apprêtaient à attaquer un camp
militaire. Et les autorités
du Puntland, une région
semi-autonome de Somalie,
auraient abattu plus d’une
dizaine de rebelles.
S’ils n’ont plus un contingent
de 15 000 hommes, les shebab continuent de recruter
en capitalisant sur la fragilité
d’un gouvernement central
qui entend tenir pour la première fois depuis quarante
ans des élections au suffrage
universel. S’ils ne sont pas
parvenus, à ce jour, à cibler
l’Ethiopie, très verrouillée,
«ils pourraient à nouveau
frapper au Kenya», estime
Roland Marchal. «D’autant
plus que leur guérilla n’a pas
besoin de grands moyens pour
déclencher la terreur et qu’ils
ont, désormais, des liens désormais substantiels avec AlQaeda au Yémen.»
CHRISTIAN LOSSON
Les attaques meurtrières du groupe
islamiste se multiplient dans le pays,
voisin du Kenya, malgré des raids
réguliers contre ces rebelles.
A
ffaiblis, les shebab,
depuis le massacre de
Garissa ? Loin s’en
faut. Issus, en 2006, de la
branche la plus radicale de
l’union des tribunaux islamiques, chassés de la capitale
somalienne Mogadiscio, ils
multiplient depuis les frappes dévastatrices dans de
vastes zones rurales qu’ils
contrôlent encore ou grâce à
des alliances de circonstances qu’ils nouent avec des
clans ou des tribus qui ne reconnaissent pas le maigre
pouvoir central. En Somalie
d’abord, en attendant, à nouveau, d’exporter leurs actions
hors des frontières.
Les insurgés islamistes, affiliés à Al-Qaeda, ont ainsi amplifié leurs attaques létales
depuis le début de l’année.
«Depuis un an, ils ont attaqué trois camps de l’Amisom,
la force de l’Union africaine
en Somalie, et ont fait entre
200 et 300 morts», rappelle
Roland Marchal, chercheur
au CNRS et auteur en 2011
d’une étude sur les shebab.
Des attentats massifs ou
ciblés dans une guerre asymétrique qui a non seulement entamé le moral de
l’Amisom, force hétéroclite
et divisée (ses 22 000 hommes viennent d’Ouganda, du
Burundi, d’Ethiopie et du
Kenya), mais a également
permis de récupérer du matériel de guerre. «Ils ont pris
des équipements lourds, des
mitrailleuses, des lance-roquettes, et s’en sont servis
pour bombarder la présidence de la République au
mortier», dit encore Roland
Marchal.
Les islamistes ont également
placé un engin explosif dans
un avion, multiplié les attaques kamikazes contre des
hôtels, fait exploser des voitures piégées contre des policiers. Des «victoires» qui reflètent une certaine force des
shebab et un ancrage local
diffus mais toujours réel,
car «la population est souvent
plus encline à collaborer
avec eux qu’avec les forces
étrangères».
qu’avant le massacre!» Pour les rassu- nyme de vivre-ensemble et d’espoir d’obtenir
rer, Ahmed Osman a développé un plan d’en- un jour un emploi.
vergure. Il a fait construire un poste de police
au cœur du campus. Depuis, 30 hommes viTEMPS FIGÉ
vent à proximité des salles de cours. Armes Malgré la réouverture de l’établissement, les
automatiques à la main, ils patrouillent jour allées qui courent entre les bâtiments sont
et nuit. «Bientôt, ils devront surveiller un mur désespérément vides. Seules deux vaches se
d’enceinte. Il y aura également des caméras de sont faufilées à travers les barbelés et apporsurveillance partout. On va avoir de nombreux tent un semblant de vie à cet endroit aux airs
gadgets pour éviter qu’une telle tragédie ne se de petite ville fantôme. Dans les salles de clasreproduise.»
ses, les chaises sont encore renverDes «gadgets». Le terme est
sées à même le sol. Une pellicule
SOUDAN
ÉTHIOPIE
bien choisi. Le jour de sa
de sable venu du désert
réouverture, l’université
s’amoncelle par terre. Rien
est équipée d’un lecteur
n’a bougé depuis que les
KENYA
d’empreintes. Les étuterroristes ont semé la
OUGANDA
diants ont tous une fiche
mort. Au milieu de la
Garissa
biométrique, seuls ceux
cour voisine, des bancs
étant référencés peuvent
sont toujours disposés
Lac
Victoria
Nairobi
franchir le barrage à l’endevant une table. Elle
trée du site. Mais quelques
accueillait le téléviseur
semaines seulement après
autour duquel on se rasTANZANIE
sa mise en service, le dispositif
semblait pour regarder
tombe en panne, sans jamais être
le championnat de football
150 km
réparé. La sécurité attendra. Les salles
anglais.
de classes accueillent des élèves, et c’est bien Le temps s’est figé à Garissa. Deux étudiants
la priorité.
traversent la cour déserte afin de saluer
Abdulrahman Hamo est responsable des étu- Abdulrahman Hamo. Devant eux, il répète
diants. Ne pas laisser tomber cette université, pour la dixième fois de la journée que «dans
c’était, selon lui, primordial. «Nos dirigeants la ville de Garissa et à l’intérieur de la faculté,
devaient montrer aux shebab qu’ils ne peuvent la vie est sûre. Pour tous. Musulmans et chrépas l’emporter, que malgré les horreurs, nous tiens». Comme un mantra qu’il ressasserait
continuerons à vivre. Sinon quoi ? Ils feront devant chaque visiteur pour mieux s’en perfermer toutes les facultés du pays?!» En atta- suader, se convaincre lui-même de ne pas
quant l’université, les jihadistes s’en sont pris abandonner. Rester à Garissa pour continuer
à un symbole. Dans un pays très pauvre aux à faire vivre son établissement et sa région.
tensions religieuses rampantes, elle est syno- Pour continuer à vivre. •
lll
SOMALIE
En haut, un concert
en hommage
aux victimes de la
tuerie de Garissa,
à Nairobi,
le 14 avril 2015.
En bas, la reprise
des cours
à l’université,
le 11 janvier.
PHOTOS D. KUROKAWA.
EPA. MAXPPP
ET T. MUKOYA. REUTERS
Carnet
DécèS
Ghislaine GLASSON
DESCHAUMES,
son épouse,
Alexandre et Meriam
DEVAL,
Raphaël DEVAL,
Laure DEVAL,
ses enfants,
Adonis,
son petit-fils,
Jean-Marc DEVAL,
son frère,
Monique GLASSON
DESCHAUMES,
sa belle-mère,
Francisco de LA ROSA
et tous ses amis,
ont la douleur de vous
faire part du décès de
Frédéric DEVAL
Directeur de programme
à la Fondation
Royaumont,
survenu le 27 mars 2016,
à l'âge de 65 ans.
Le Conseil d'Administration
et les membres
du CERCLE FREUDIEN
ont la profonde tristesse de
faire part du décès de leur
président
PHILIPPE
BEUCKÉ
Nous nous réunirons le
mardi 5 avril à 10h30.
Salle de la Coupole du
crématorium
du Père-Lachaise
71 rue des Rondeaux Paris
20°
[email protected]
SouvenirS
11 ans sans mon amour,
Guy Helo,
Je te cherche chaque jour.
conférenceS
On se réunira en l'église
Saint-Julien-le-Pauvre,
à Paris (5e),
le mardi 5 avril,
à 10 h 30.
L'inhumation aura lieu
ensuite au cimetière
parisien d'Ivry-sur-Seine.
Le Conseil d'Administration
et le personnel de la
Fondation Royaumont
ont l'immense tristesse de
vous annoncer le décès de
Frédéric Deval,
Fondateur et
Directeur
du programme
des
Musiques
Transculturelles,
survenu le 27 mars 2016.
Ils s'associent à la douleur de
Ghislaine Glasson
Deschaumes,
son épouse, de Laure,
Alexandre
et Raphaël, ses enfants
et de tous ses proches
Les 18 années de
compagnonnage
artistique et humain avec
Frédéric
s'inscrivent désormais dans
l'histoire de Royaumont »
Bande dessinée :
la relation
auteur/éditeur
Rencontre & brunch avec
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Dimanche 10 avril à 11h à la
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Conférenciers :
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Philosophe
Bruno PINCHARD
Professeur de philosophie à l’université
Jean Moulin Lyon 3
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est interdite
Le Carnet
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01 40 10 52 45
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Le samedi 16 avril
à 14h00, 9, rue Pinel Paris 13e
Inscription par courriel :
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01 44 08 62 62
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16 u
FRANCE
que le duo. D’où leur idée d’obliger
l’employeur, lorsqu’il adresse une
lettre de convocation à un salarié
qu’il envisage de licencier, de préciest un cadre agréable, ser le motif ou du moins les «faits
mais il le faut bien: ce susceptibles de justifier la mesure».
n’est pas facile de réé- «J’y suis favorable, car dans 90 %
crire un code du travail», s’amuse des cas les gens se font convoquer
Emmanuel Dockès, professeur de sans savoir pourquoi», souligne-t-on
droit à l’université Paris-X. Dans la dans l’assistance. Puis, on se penche
cour pavée du château de Goutelas sur la «cause réelle et sérieuse» du
(Loire), niché entre vignes et forêts, licenciement économique. Proposile juriste n’a que quelques minutes tion est faite de la remplacer par
pour profiter des rares rayons de so- «motif nécessaire et pertinent».
leil de ce matin de début mars. Le but? «Mieux protéger les salariés
A l’étage de l’imposante bâtisse de et, mécaniquement, baisser la liberté
style Renaissance l’attend une quin- des entreprises», précise Morgan
zaine de pointures du droit du tra- Sweeney. Mais la mesure est loin de
vail, venues de toute la France, pour faire l’unanimité, elle a donc peu de
participer à une aventure hors du chance d’aboutir. «Je ne suis pas
commun: réécrire un code du tra- convaincu», tranche un réfractaire.
vail «plus court, plus clair, plus pro- En revanche, le groupe Pact devrait
tecteur et mieux adapté aux difficul- accroître les sanctions pour les emtés de notre temps». Le tout sans ployeurs qui licencient sans juscommande, et donc en
tification. Quant au pétoute «indépendance», REPORTAGE rimètre d’appréciation
précisent les membres
du motif économique,
bénévoles de ce groupe de recher- «il ne s’arrêtera pas à la frontière nache baptisé Pact. Soit, en toutes tionale». Référence au très décrié
lettres: «Pour un autre code du tra- projet de loi du gouvernement qui
vail». Autre que celui que réécrit prévoit, lui, de le restreindre aux
actuellement le gouvernement. Au seules sociétés françaises d’un
programme de leur semaine coupée groupe.
du monde : des ateliers en petits De ce texte, porté par Myriam
groupes le matin, chacun avançant El Khomri, la ministre du Travail, il
sur un chapitre du volumineux livre n’y a d’ailleurs, selon eux, pas grandrouge, et des plénières, l’après-midi, chose à garder. «Ce n’est pas la prepour discuter des propositions.
mière fois qu’on voit s’ajouter des petites dérogations qui cassent l’esprit
Haribo. A l’heure d’ouvrir le volet du texte, mais là c’est un paquet de
sur le licenciement, après quatre mélasse et d’infamies», s’agace Emjours de remue-méninges, les traits manuel Dockès. «C’est une remise en
sont tirés. C’est au tour des universi- cause à chaque page», ajoute Mortaires Josepha Dirringer (Rennes-I) gan Sweeney. Même la structure,
et Morgan Sweeney (Paris-Dau- visant à donner plus de place à la néphine) de faire défiler leur présenta- gociation d’entreprise, «pose protion sur le vidéoprojecteur. Face à blème», insiste Dirk Baugard (Pariseux, les juristes en jean-baskets pi- VIII): «Ce n’est pas très élégant. On
corent des Haribo tout en prenant peut craindre que des petits patrons
des notes. «On a voulu renforcer le ne la comprennent pas et que ça rendroit de défense des salariés», expli- force le risque de conten- lll
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
Par
AMANDINE CAILHOL
Photo BRUNO AMSELLEM
«C’
Le 10 mars (de g. à dr.) : Sophie Rozez (Paris-Ouest Nanterre), Franck Héas (Nantes), Dirk Baugard (Paris-VIII),
Code du travail
Des juristes
refont le boulot
Débat Pendant une
semaine, dans une ambiance
de colo, des universitaires
se sont attelés à la réécriture
de A à Z du droit social.
De la réforme El Khomri,
il n’y aurait, selon eux, pas
grand-chose à garder.
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
Morgan Sweeney (Paris-Dauphine) et Josepha Dirringer (Rennes-I)
lll tieux.» Eux, à l’inverse, promettent de donner sa place à chaque
niveau de réglementation. «Il faut
laisser son utilité à la loi et à l’accord
de branche. Surtout, nous ne pensons
pas qu’on peut résoudre un problème
social en baissant la protection dont
bénéficient les travailleurs», résume
Dockès dans une seconde salve contre la loi travail.
«Grotte». Reste que le pari de cette
réécriture alternative n’était pas gagné d’avance. «La question se posait
de savoir si c’était possible», raconte
le juriste. Agacé, à l’été 2015, par la
vague de rapports d’experts publiés
en amont de la réforme, il rédige un
«premier brouillon global» dans son
coin et se dit: «C’est difficile, au-des-
sus de mes forces, mais faisable en
équipe.» S’ensuivent quelques mails,
un peu de bouche à oreille et le
groupe prend forme à l’automne.
Non sans bousculer quelques habitudes. «Les universitaires sont plus
naturellement portés à l’étude paisible dans leur grotte», s’amuse Dockès. «C’est un travail novateur, d’habitude on commente les décisions ou
les lois, poursuit un autre. Mais il n’y
avait pas de raison qu’on se contente
de déplorer la situation.» D’autant
que, regrettent-ils, les possibilités
d’expression offertes aux universitaires sur le sujet restent faibles,
seule une minorité ayant l’occasion
de se faire entendre. Dans leur ligne
de mire : la commission Badinter,
mandatée pour éclairer le gouverne-
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
ment, jugée «déséquilibrée dans
le sens du patronat». D’où l’importance de proposer autre chose, à la
grande satisfaction des juristes de la
CGT et de la CGC, venus participer
au séminaire. «La doctrine est dominée par une pensée unique qui fait
passer toute autre vision pour farfelue. C’est essentiel qu’il y ait une
réflexion intellectuelle différente»,
s’enthousiasme Anaïs Ferrer, de
la CGT.
Les attentes sont donc à la hauteur
de la tâche. Du coup, au château de
Goutelas, les pauses sont courtes. A
peine ont-ils soufflé dix minutes que
les juristes s’attaquent à un autre
pavé: le salaire. C’est l’universitaire
Vincent Bonnin (Poitiers) qui s’y
colle lors d’une visioconférence :
«Il ne m’a pas paru nécessaire de
conserver la formule actuelle du “Salaire minimum interprofessionnel de
croissance”, parce que la notion de
croissance me semble relever d’une
autre époque. Cela laisse supposer
que, s’il n’y avait pas de croissance,
il pourrait être réduit. Le “Smi” me
convient largement!» Rires collectifs
d’approbation.
Puis vient la question du «délai de
prescription de la dette et de l’action», qui détermine sur combien
de temps en arrière et combien
de temps après, il est possible de
réclamer un rappel de salaires.
Faut-il fixer le délai à trois, cinq,
six, dix ans? De quoi tendre un peu
les échanges : «C’est grave de ne
pas payer les salaires ! – Je croyais
qu’on faisait un truc raisonnable !
– OK, on remet à quinquennal, on
est modéré.»
Pas le temps de s’étendre plus: place
au dîner, pris à 19 h 30, sans faute,
«pour éviter que les salariés du château fassent des heures sup». Près de
la cheminée, entre deux plats copieux et quelques bouteilles de vin
de pays, le code du travail n’a plus sa
place. A peine refait-il surface lors
du Time’s Up, jeu de société au cours
duquel les personnages à faire deviner seront, entre autres, la ministre
du Travail et le patron de la CGT.
Mais aussi Jules Bonnot (l’anarchiste) et Sócrates (le footballeur).
On retiendra de la soirée, la prestation remarquable d’une joueuse :
une parodie de Philippe Martinez
résumé à ses moustaches et à un
doigt qui dit non. Cette ambiance de
colonie de vacances a-t-elle rythmé
toute la semaine ? Pas si sûr. «Les
premiers jours ont été plus rudes,
pointe Carole Giraudet (Lyon-II). Il
a fallu mettre en place un cadre et
une rigueur personnelle.»
Résultat, lorsqu’ils s’écharpent désormais, c’est toujours en bons élèves: on lève la main pour demander
la parole, on s’excuse d’être trop
NUIT BLANCHE
POUR LES OPPOSANTS
À LA LOI TRAVAIL
Après les manifs, jeudi,
contre le projet El Khomri,
les participants se sont retrouvés, dans plusieurs villes, pour occuper l’espace
public. Reportage place de
la République, à Paris.
long, et surtout on arrondit les angles. Car s’ils partagent le diagnostic, et sont tous marqués à gauche,
comme ils le concèdent volontiers,
les membres du groupe restent des
«individus qui pensent par eux-mêmes», euphémise Emmanuel Dockès. Et les différences de points de
vue ne manquent pas. Parmi les
gros morceaux pas encore tranchés:
le contrat de travail. Plusieurs propositions sont sur la table, dont la
création d’un «contrat unique»,
«mais pas celui que réclament les
économistes, qui crée une période de
précarité», pointe-t-on. L’idée: supprimer le CDD, tel qu’on le connaît
aujourd’hui, et le remplacer par un
CDI qui pourrait, dans certains cas
seulement, prévoir un terme. Mais
la rupture ne serait, alors, pas pour
autant automatique, puisque, arrivé
à l’échéance, l’employeur aurait
pour obligation d’essayer de reclasser les salariés. Et, à défaut, les
règles du licenciement simplifié
s’appliqueraient. «On unifie tous les
contrats pour leur appliquer le régime du licenciement», précise Baugard. «Et surtout, on rend les contrats précaires moins précaires»,
ajoute Dockès. Autre chantier, présenté le lendemain par Sylvaine
Laulom et Cécile Nicod (Lyon-II)
après une nuit courte : la négociation collective. En accéléré, elles
proposent de simplifier les négociations annuelles obligatoires, de per-
u 17
mettre aux syndicats d’organiser
des réunions d’information pendant le temps de travail et dans l’entreprise, et de déclencher les négociations.
Et ensuite? «Rien n’est tranché, on a
ouvert l’imaginaire, il faut maintenant un temps de maturation», insiste Dirringer. Le groupe, qui a déjà
publié, début mars, un chapitre sur
le temps de travail, tiendra-t-il son
objectif: terminer la réécriture totale du code d’ici septembre? «On
sera toujours plus à l’heure que les
décrets Rebsamen», s’amuse la maître de conférence. «Il ne faut pas
laisser retomber le soufflet», note
Franck Héas (Nantes).
Site collaboratif. Alors, au moment du départ, chacun file avec sa
partie à finir sous le bras. A charge
pour les autres de proposer des alternatives dans un document partagé en ligne. Soit, dans leur jargon,
de «soulever les litiges et des opinions dissidentes» qui pourront être
intégrés à la version finale. D’ici là,
l’ensemble des syndicats, que le
groupe à déjà rencontrés en octobre, devraient être consultés, tout
comme les organisations patronales, et un site collaboratif mis en
place. Un prochain séminaire est
aussi évoqué.
Reste à savoir comment le payer…
Une subvention issue des fonds
propres de l’Institut de formation
syndicale de Lyon a financé celui de
Goutelas. Pour le suivant, un financement participatif, type KissKissBankBank, est évoqué. «On a pas les
moyens des think tanks patronaux»,
pointe un des juristes. Pour l’heure,
on s’applaudit, on s’embrasse. Et on
s’encourage. «Ce que vous faites va
aller au-delà de l’actualité, c’est du
long terme», note Anne Braun, juriste de la CGT. «C’est remarquable!
Cette puissance de frappe intellectuelle et cette diversité! abonde Laurence Matthys, de la CGC. On
compte sur vous !» •
VALLS FAIT UN PAS VERS LA JEUNESSE
En déplacement à Orléans, au lendemain d’une nouvelle journée
de mobilisation contre le projet de loi travail, le Premier ministre
a proposé vendredi de recevoir les organisations de jeunesse
«avant la mi-avril». Il s’est également dit «prêt à regarder»
certaines propositions de l’Unef, le syndicat étudiant
majoritaire, fermement opposé au texte gouvernemental. Et ce,
a ajouté Manuel Valls, afin d’«améliorer l’ensemble des politiques
publiques vers la jeunesse». La ministre du Travail, Myriam
El Khomri, était elle aussi en déplacement au même moment,
dans une usine de Décines-Charpieu (Rhône). «C’est normal qu’il
y ait de l’exaspération, on connaît un chômage de masse depuis
trente ans», a-t-elle commenté, au sujet des manifestations de
jeudi qu’elle a jugé «significatives». Mais «si je reste à l’écoute,
l’opinion publique ne peut pas être la seule boussole de l’action
gouvernementale» a contre-attaqué la ministre.
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Tour des
Flandres
La classique
belge de 255 km
se dispute
dimanche.
Elle compte
dans son peloton
une nouvelle
génération pleine
de promesses.
«Libération»
a choisi ses
poulains.
Par
PIERRE CARREY
L
e Tour des Flandres, la grande classique
belge qui fêtera dimanche son 100e anniversaire, séduit toujours la jeune vague des coureurs cyclistes. D’autant plus que
deux anciens triples vainqueurs sont en bout
de course. Le Suisse Fabian Cancellara (Trek
Segafredo), qui a annoncé sa retraite fin 2016,
est redouté comme le favori pour sa dernière
participation, tandis que le
PROFILS Belge Tom Boonen (EtixxQuick Step), autre figure
charismatique, semble sur le déclin. Un changement de génération en vue. Et un renouvellement des codes sur cette mythique
épreuve ? Pas tout à fait.
Les quatre cyclistes de moins de 25 ans que
Libération a interrogés portent chacun un regard différent sur le Tour des Flandres, tantôt
moderne, tantôt tradi. Ils convoquent, pêlemêle, brutalité humaine, fête populaire, labeur agricole, bonne ou mauvaise fortune,
souffrances et délivrances. Leur point commun est une passion pour cette épreuve au
moins aussi ébouriffante que Paris-Roubaix,
programmé le 10 avril.
Maxime le Breton, Toms le Letton, Tiesj le
Flamand et Stefan le Suisse ont des itinéraires
opposés, des chances très variables de réussite dimanche, mais une commune «excitation», selon leurs propres mots, pour les routes étroites de Flandres, les plaines à vent, les
pavés disjoints qui secouent les os ou encore
les dix-huit «monts», ces ascensions explosives, courtes et raides, qui émailleront les
255 kilomètres de course entre Bruges et
Audenarde. •
TIESJ BENOOT (LOTTO-SOUDAL)
LE MESURÉ
C’est une plaie d’être «le nouveau Merckx». La presse flamande n’a pas lésiné sur l’hyperbole quand Tiesj Benoot,
22 ans, a terminé cinquième du Tour des Flandres l’année
passée, du jamais-vu depuis 1974 pour un coureur fraîchement arrivé chez les pros. «C’est un peu fou, non?» s’inquiète
le protégé de Lotto-Soudal. Qui n’était pas assuré de quitter
les rangs amateurs un an plus tôt.
Tout va très vite pour Benoot. Ce destin qu’il ne peut freiner
avec ses jambes, il le retient par d’autres biais. «Je n’ai rien
changé à ma vie», confie-t-il à Libération. Il parle mezzavoce, des pauses entre les mots, pour respirer tranquille.
Rien changé sauf la mise à distance des journaux de son
pays, qui font et défont les carrières. Pour le reste, Benoot
vit toujours près de Gand chez ses parents, mange sain et
bio. Fait rare à un tel niveau, il poursuit ses études à la fac,
en économie appliquée. Son avis sur Keynes: «Il est nécessaire que le gouvernement intervienne dans l’économie. Mais
je ne crois pas pour autant en une réelle économie communiste.» Son avis sur le Tour des Flandres 2016 : «Je suis un
des outsiders. Mais je ne suis pas le grand favori.» Tiesj
Benoot, un homme mesuré.
Son frère Jaat a choisi la danse classique. La maman trouve
d’ailleurs que le ballet est plus difficile que le vélo. A dire vrai,
les Benoot ne sont pas cyclistes dans l’âme. Tiesj, qui voulait
débuter ce sport à 5 ans, patiente six années pour recevoir
son premier deux-roues à 50 euros. Puis il fait serveur dans
les bars pour s’acheter du matériel. «Je sais la valeur des choses», dit-il. Benoot n’a pas besoin d’en rajouter dans la métaphysique du cyclisme. «Le Tour des Flandres n’est pas cruel.
C’est notre choix de prendre le départ.» Amateur d’histoire,
il se veut cartésien, balaye les poncifs et les superlatifs. Un
«Flandrien» du XXIe siècle.
Tiesj Benoot aux Etats-Unis en mai. PHOTO HARRY HOW. GETTY IMAGES
MAXIME DANIEL (AG2R LA MONDIALE)
LE GARS DU CRU
Oublions un instant Thibaut Pinot ou Romain Bardet :
Maxime Daniel est le coureur professionnel qui compte officiellement le plus de fans dans l’Hexagone. Ils sont 270 dans
son club de supporteurs qui se déplacent à trois autobus.
«On peut se reconnaître dans Maxime. C’est un coureur sain
et sympa qui fait son petit truc», explique Jean-François
Aubry, le président. Le sprinter d’AG2R La Mondiale, 24 ans,
n’est pas une vedette mais un homme de la terre, discret et
travailleur. Ce qui le rapproche de ses supporteurs, ses voisins du village de Boisgervilly, près de Rennes.
Chez les Daniel, on est agriculteur de père en fils, et cycliste
pareil. Maxime conduit encore le tracteur en hiver. Quand
il revient de l’entraînement, il boit le café à la ferme de ses
parents. Il s’inquiète des vaches et des chèvres laitières: les
temps sont durs. Eux lui parlent de sa vie dans les pelotons:
il y a les hauts et les bas. Depuis sa chute au Tour de Berlin
en 2011 jusqu’à une cruralgie (inflammation du nerf crural,
dans la jambe) survenue mi-mars, Maxime fraye avec la malchance. «Mais je dois me battre, ne serait-ce que pour
mon club de supporteurs», dit-il.
Dimanche, les copains n’iront pas en Belgique : le voyage
est trop long. Maxime Daniel se battra quand même. Ce Tour
des Flandres sera son premier mais il connaît ces terrains
âpres. «Il faut être solide, comme aux champs, explique-t-il.
Tu en baves mais tu as le bonheur de tirer les fruits de ton
travail…» Le Breton espère prendre l’échappée matinale et
travailler pour ses leaders. En mars, il s’est classé onzième
du Samyn, une classique belge de préparation. «Il y avait
de la grêle, j’avais la mâchoire gelée, je ne pouvais plus manger, raconte-t-il. Mais certains coureurs avaient encore plus
mal que moi, alors j’ai insisté. Quelque part, la souffrance est
une motivation.»
Maxime Daniel, au Portugal, en 2013. PHOTO JOSE SENA GOULAO. EPA. MAXPPP
u 19
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
nouveau cyclisme
TOMS SKUJINŠ (CANNONDALE)
L’ÉCOLO
Toms Skujinš aux Etats-Unis en mai. PHOTO HARRY HOW. GETTY IMAGES
A Gand, où il est confiné depuis mardi, avec vue sur les canaux et les façades en briques, Toms Skujinš bout à grosses
bulles. «Il faut que je sorte d’ici. Moi, il me faut la campagne!»
implore le coureur letton. Il lui tarde d’entamer le Tour des
Flandres, avec ses chemins de charroi, l’odeur de tourbe et
de bière. «Ce sera une fête de village, dit-il à Libération. C’est
ça, le cyclisme: de la passion. Personne n’est là pour l’argent,
pas même nous, les coureurs.» En tout cas pas lui, un équipier de 24 ans, nouveau venu dans l’équipe américaine Cannondale. Skujinš s’est déjà gorgé de cette course champêtre,
en 2011, quand il termine deuxième du Tour des Flandres
des 19-22 ans. A l’époque, il est présenté comme un «moteur»
à explosion, un talent à fracasser n’importe quelle classique.
«Un bébé avec une tête d’assassin !» dépeint son soigneur,
pour nuancer les yeux bleus candides et les cheveux blonds.
«Un très grand potentiel sportif mais aussi un esprit extraordinairement cultivé», relève Lionel Lahoun, son entraîneur
du temps où le Letton courait en France, au team La Pomme
Marseille.
Bon élève, polyglotte, Toms Skujinš se serait plu dans les statistiques, une discipline «reposante». Boulot de bureau en
journée, avant les balades dans ces forêts où il cueillait autrefois myrtilles et champignons. Finalement, il a choisi le
sport, avec le même équilibre balte du plein air. Toms
Skujiņš se dit «écologiste». «J’essaie d’utiliser uniquement
ce dont j’ai besoin», confie-t-il. Mais il l’admet, le cyclisme
est discutable: «On fait 25000 km par an sur le vélo mais on
voyage beaucoup en avion. J’espère que ça compense le bilan carbone !» Skujinš, le coureur vert, a offert aux parents
de son entraîneur français un cadeau de grande valeur: un
jeune cerisier. Au Tour des Flandres, la route longe des
arbres fruitiers.
STEFAN KÜNG (BMC)
LE BON GORILLE
Stefan Küng en Suisse en mai. PHOTO TIM DE WAELE. DPPI
Le Tour des Flandres est une épreuve sauvage. Chaque coureur y est tantôt chasseur, tantôt proie. En 2014, le Suisse
Stefan Küng, alias «King Küng», est en mesure de gagner
l’épreuve des 19-22 ans lorsqu’un concurrent le fait chuter
au sprint. «Le danger, ça fait partie du job sur les classiques»,
dit-il. Qui a tort? Qui a raison? Dans un peloton, la culpabilité se brouille. Tour de Nouvelle-Calédonie 2013: Küng jette
au sol un coureur français, à 50km/h. Sa version : «Je lui
avais dit de se calmer, il était trop nerveux.» Le mec accidenté : «Cet enfoiré m’a donné un coup de coude alors que
je remontais le peloton.» Küng: «Bon, d’accord, il ne faut pas
me prendre au sérieux quand je suis sur le vélo, je deviens
une autre personne !»
Le bon gorille de BMC ne se rend pas toujours compte de
sa force. Carcasse massive: 1,93 m pour 83 kg. Palmarès déjà
éloquent : champion du monde en poursuite individuelle
et en contre-la-montre par équipe, huit titres de champion
d’Europe, une étape du Tour de Romandie… Enflammés,
certains journaux le comparent à Fabian Cancellara.
Comme son compatriote, Stefan Küng a le cuir épais.
En deux mois, il a vaincu une mononucléose pour s’aligner
sur son premier Tour des Flandres. Voilà pour le terrifiant
«King Küng».
Revenu dans sa cage, dans la région de Toggenburg, près
du lac de Constance, le coureur se révèle tout mignon. «C’est
un type adorable», témoigne Simon Pellaud, professionnel
dans l’équipe IAM. Stefan Küng, 22 ans, assume sa dualité,
qui coagule aussi dans le Tour des Flandres: «Le vélo, c’est
la nervosité, les gens qui se bousculent et qui gueulent dans
un peloton. Et puis parfois, c’est de l’entraide, quand tu te
retrouves dans un petit groupe d’attardés et que tu leur serres la main après l’arrivée. C’est sincère, le vélo.»
20 u
MODE
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
Saint Laurent:
Hedi Slimane se taille
Prêt-à-porter Le départ
du directeur artistique
de la maison de couture
du groupe Kering a été
annoncé vendredi matin.
Il illustre l’intransigeance
du styliste français.
ter Jean-Jacques Picart, cofondateur de la maison de haute couture
Christian Lacroix. En 1997, il dirige
epuis plusieurs semaines les collections de prêt-à-porter chez
déjà, la rumeur était devenue Yves Saint Laurent puis, en 2000,
une certitude: Hedi Slimane, prend la direction artistique de Dior
directeur artistique de Saint Lau- Homme (propriété de LVMH). Après
rent, ne renouvelle pas son contrat sept années, il s’en va, pourtant au
au sein de la maison de couture sommet de sa gloire: il a non seulefrançaise détenue par le
ment créé une marque
groupe Kering. Bien que pré- PROFIL (avant lui, la poussiéreuse
visible, cette nouvelle a de
ligne masculine vivotait
quoi surprendre. En quatre ans, Sli- sous le nom de Christian Dior Monmane a apporté à Saint Laurent un sieur) mais aussi un style, noir et
formidable coup de jeune qui s’est blanc, près du corps, déclinant les
matérialisé par une croissance hors codes du rock, qui a marqué l’esthénorme en période de crise.
tique de la décennie, de Tokyo à PaLe designer semble avoir joui d’une ris. Il est au cœur d’une nébuleuse
totale liberté et du financement né- de jeunes musiciens qu’il photogracessaire pour concrétiser ses pro- phie et fait travailler sur ses défilés
jets. Il a rebaptisé la maison à son (en tant que mannequins ou à la
arrivée (Yves Saint Laurent est de- bande-son, selon leur poids).
venue Saint Laurent Paris), a entièrement revu l’esthétique des bouti- Saluts brefs
ques, de la communication, des Les raisons de son départ n’ont japublicités, a toujours bénéficié du mais été clairement explicitées,
soutien du PDG de Kering, Fran- mais il semble que, déjà à l’époque,
çois-Henri Pinault, présent à tous sa volonté de contrôler l’ensemble
les défilés, ainsi que de la figure de la marque (incluant la ligne
tutélaire de Saint Laurent, Pierre femme, les bijoux…) ait été un point
Bergé. Plusieurs éléments concrets d’achoppement avec ses emexpliquent la raison du départ ployeurs qui, pour le retenir, lui
de Hedi Slimane (lire encadré), avaient proposé de créer sa propre
d’autres sont à chercher dans le par- griffe. Mais cette option, pourtant la
cours et la personnalité de ce desi- plus évidente pour un control freak,
gner pugnace, dont la volonté de ne semble jamais l’avoir vraiment
tout contrôler, qui confine parfois attiré. Après son départ de Dior, il
à la folie, force aussi le respect.
avait évoqué l’idée de lancer une ligne de prêt-à-porter pour Guerlain,
Nébuleuse
marque de cosmétique également
Il y a, dans le parcours de Slimane, détenue par LVMH. Finalement, il
une forme de répétition. Né en 1968 se retirera de la mode pendant cinq
à Paris d’un comptable tunisien ans, jusqu’à son retour triomphant
et d’une couturière italienne, il a chez Saint Laurent.
d’abord souhaité devenir journa- Le succès de Hedi Slimane ne l’a jaliste. Après une année en hypo- mais fait sortir de sa réserve, qui
khâgne, il s’inscrit en histoire de l’art s’est même plutôt accentuée avec
à l’Ecole du Louvre et finit par assis- le temps. Peu d’interviews, saluts
Par
ELVIRE VON BARDELEBEN
D
Hedi Slimane à Los Angeles, le 10 février. PHOTO KEVORK DJANSEZIAN. GETTY IMAGES
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
brefs à la fin des défilés, regards
fuyants sur les photos. A l’époque
Dior Homme, sa timidité dénotait
déjà auprès de ses collègues extravagants John Galliano (alors à la
femme) et Victoire de Castellane
(aux bijoux). Aujourd’hui, à l’ère
d’Instagram où Olivier Rousteing
(Balmain) et Riccardo Tisci (Givenchy) partagent allègrement leur
quotidien, la discrétion et le silence
de Slimane détonnent encore plus.
Avec une interview accordée en
quatre ans (par mail, au site Yahoo)
et des saluts de plus en plus rares à
la fin des défilés, il est devenu
l’homme invisible. En contrepartie,
il a modelé l’univers Saint Laurent
exactement à son image.
u 21
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Les coulisses d’un départ
A droite,
la campagne
menée par
Hedi Slimane.
A gauche,
celle réalisée
par Yves Saint
Laurent
Beauté,
propriété
de L’Oréal.
PHOTOS DR
Obsession
Il a souvent été reproché à cette diva
discrète de n’avoir pas respecté
l’ADN de la maison Saint Laurent
quand il l’a reprise. Les premières
saisons, beaucoup d’observateurs,
dont Libération, n’y ont vu qu’une
redite de son esthétique rock érigée
chez Dior Homme, avec des silhouettes nostalgiques qui évoquaient alternativement Kurt Cobain, David Bowie, Courtney Love
ou Marianne Faithfull. Cependant,
avec le temps, l’obsession de Slimane à creuser son sillon, doublée
d’un discours global très cohérent
sur la marque (nombre de musiciens dont Kim Gordon ou Marilyn
Manson ont été mis en avant dans
les campagnes de pubs) et de quelques collections particulièrement
convaincantes (notamment les
deux dernières, seventies flamboyantes à Los Angeles et une ode
à la haute couture à Paris), a fini par
forcer l’admiration. Et les ventes lui
ont donné raison.
«Ce qu’a accompli Yves Saint Laurent ces quatre dernières années restera comme un chapitre unique dans
l’histoire de la maison. Je suis très reconnaissant à Hedi Slimane», a affirmé François-Henri Pinault dans
un communiqué. De son côté, Francesca Bellettini, PDG d’Yves Saint
Laurent, le remercie «d’avoir insufflé
sa vision […]. La direction prise ces
quatre dernières années constitue
un socle formidable sur lequel construire le succès durable de la marque». Laquelle semble envisager,
pour reprendre le flambeau, Anthony Vaccarello, designer belge à
la tête de sa propre marque, connu
pour ses vêtements sexy et féminins.
Et quel avenir pour Slimane? Selon
toute vraisemblance, il réapparaîtra
au sein d’une grande maison. Chanel, qui doit penser l’avenir après
Karl Lagerfeld (82 ans), semble une
option vraisemblable, d’autant que
la maison, indépendante, a l’avantage de tout gérer en interne. •
L
a rupture entre Hedi Slimane et Saint
Laurent aurait été négociée et finalisée il y a un an, après de longues tractations au sein du pôle luxe du groupe Kering dont la maison est l’un des fleurons. En
quatre années passée à la tête de la création
de Saint Laurent, Hedi Slimane est parvenu
a faire passer le chiffre d’affaires de la marque de 353 millions d’euros (avant son arrivée en 2011) à 974 millions d’euros l’an dernier (soit près de trois fois plus). Pour
parvenir à cette progression fulgurante, il a
misé sur le prêt-à-porter (un quart du chiffre
d’affaires), quand les maisons de couture se
reposent généralement sur la maroquinerie
et les accessoires pour gagner des parts de
marché.
Contentieux. Si Slimane quitte la tête de
Saint Laurent auréolé de succès, ce n’est pas
pour prendre immédiatement la tête d’une
autre maison (il devrait se consacrer à ses
autres passions : la musique et la photographie). Ce qui l’aurait d’abord poussé à mettre
fin à sa collaboration, c’est un contentieux
avec Yves Saint Laurent Beauté, filiale de
L’Oréal qui détient le contrat de licence des
cosmétiques et des parfums Saint Laurent.
A son arrivée au sein du groupe français
Kering, alors PPR, dirigé par François-Henri
Pinault, Hedi Slimane pensait avoir la mainmise sur l’ensemble de la direction artistique
des produits estampillés Saint Laurent, parfums compris. Mais ce fut loin d’être le cas.
Slimane, aussi intransigeant qu’il est sur
l’image (variations autour du rock, androgynie de rigueur, noir et blanc systématique),
n’a jamais pu imposer sa ligne sur les campagnes publicitaires des parfums et n’aurait
supporté de voir à quel point celles diligentées par Yves Saint Laurent Beauté ne collaient en rien à ce qu’il développait chez Saint
Laurent Paris.
L’autre point de discorde concernerait Gucci,
le navire amiral du pôle luxe de Kering (la
marque italienne représente 50% de ce pôle,
Saint Laurent 12%) au chiffre d’affaires colossal de 3,9 milliards d’euros en 2015. Après des
années compliquées, l’arrivée d’Alessandro
Michele à la tête de la création de la griffe italienne en janvier 2015 devait relancer les affaires de l’enseigne. Mais celle-ci a pris, dès
le départ, des allures de rivalité. Non pas que
Slimane se sente ébranlé par le talent d’un
autre. Mais Alessandro Michele a, dès son entrée en scène, rendu un hommage un peu
trop vibrant à son camarade en accolant des
allures plus rock et des profils androgynes à
ses mannequins, deux des axes majeurs de
la «vision Slimane».
Outrecuidance. Le Français aurait vu là
une outrecuidance intolérable, et se serait offusqué de ses emprunts. Mais, depuis l’arrivée de l’Italien barbu au look folk, les ventes
de Gucci se sont légèrement améliorées. Les
critiques se sont faites plus positives (et ont
même parfois mentionné les points communs entre les collections des deux maisons). La reprise en main de Gucci, tant attendue, semble enfin entamée, douze ans
après le départ de Tom Ford, l’homme providentiel qui fit muter la maison de maroquinerie en griffe de prêt-à-porter de luxe sexy
en diable.
Si le départ de Slimane ressemble à un coup
dur au vu de ses bons résultats (le cours de
l’action Kering avait chuté de 2,5% vendredi
à 14 heures après l’annonce de la fin de sa collaboration), Kering aurait d’ores et déjà
trouvé un styliste pour le remplacer. Mais
tout ceci ne concerne plus Slimane, qui va retrouver sa liberté en attendant de revenir par
la grande porte, dans une maison où il aura
enfin le contrôle total. Vendredi matin, le
porte-parole du groupe Kering a démenti
l’ensemble de nos informations.
MARIE OTTAVI
I
MOMES
I
Paris
Des rivalités avec le créateur
de Gucci et de profonds
désaccords sur l’esthétique
des cosmetiques ont
pu motiver le départ
de Hedi Slimane.
ANS
0 A 12
TS DE
ENFAN
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LE PAR
MERCREDI 6 AVRIL AVEC LIBÉRATION
Ne manquez pas le numéro d’avril-mai
et retrouvez le meilleur de l’actualité culturelle pour les 0-12 ans.
22 u
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Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
IDÉES/
Benjamin Lemoine
«En voulant plaire aux
marchés financiers, l’Etat fait
de leurs priorités les siennes»
Recueilli par
VITTORIO DE FILIPPIS
Dessin CHRISTELLE ÉNAULT
DR
Q
ui pourrait se satisfaire, nous dit-on
urbi et orbi, d’une situation qui
conduit chaque année à prélever sur
nos finances publiques un montant proche
de celui affecté à l’Education nationale pour
payer les seuls intérêts de la dette publique?
Seuls les loufoques refusent de voir ce qui est
donné à voir. Dans l’Ordre de la dette (La Découverte), le jeune sociologue Benjamin Lemoine s’oppose à cette fatalité.
A la manière d’un paléontologue, il a gratté
le moindre document, épluché le moindre
discours, pour aller par-delà du miroir des
évidences. Benjamin Lemoine y trouve une
histoire oubliée et montre comment l’Etat a
abandonné le privilège qui fut longtemps le
sien d’avoir la main sur ses dettes. Certes, tout
au long de la lecture de l’Ordre de la dette, ce
chercheur apparaît d’abord comme un sociologue. Mais il se montre aussi économiste,
historien et même juriste. A mettre entre les
mains de tous ceux qui s’intéressent à la vie
publique.
Qu’est-ce que la dette publique ?
Pendant longtemps, cette dette était matérialisée par des titres détenus «en physique»,
sous forme papier. Le bon père de famille
détenait en direct son bon et ses coupons
d’intérêts à se faire payer régulièrement.
Aujourd’hui, la dette est dématérialisée. Elle
est distribuée et s’échange à travers le monde
sur les marchés financiers. Mais tout l’enjeu
politique et sociologique est que la dette peut
exister de différentes façons. Elle peut par
exemple être «mise en marché» ou encastrée
dans un contrôle politique et administratif.
C’est-à-dire, «mise en marché» ?
Contrairement à l’idée qu’il est naturel que
l’Etat se soumette au bon vouloir d’éventuels
prêteurs, il a existé des alternatives à ce recours aux marchés financiers. Au sortir de la
Seconde Guerre mondiale, on met en place
un système qui permet précisément d’y
échapper. La dette de marché ne représente
alors que 20% du financement de l’Etat. Il y a,
dans les plus les hautes sphères, y compris
dans la très libérale direction du Trésor, un
imaginaire, une idéologie et un sens de l’intérêt public qui s’appliquent aussi à la question
de la monnaie et de la finance. On considère
Dans son dernier ouvrage,
le sociologue montre
comment la France
a abandonné
sciemment à la finance
le contrôle de sa dette.
Cette histoire, aujourd’hui
présentée comme une loi
économique, se révèle
éminemment politique.
que, vu l’urgence de la situation économique,
le financement public doit se faire sans risque
et en toutes circonstances. Pour y parvenir,
on fait du Trésor une véritable banque de dépôt qui draine l’épargne nationale en permanence vers ses caisses. Aussi, au lieu de se
soumettre à la loi du marché pour placer ses
titres, l’Etat contraint les banques à détenir
une partie de leurs avoirs en dette, à un taux
d’intérêt fixé d’autorité par les pouvoirs publics. Tout est fait pour que l’Etat ne soit pas
un emprunteur parmi d’autres. Placé en surplomb, il est responsable de la monnaie et du
crédit, et décide des investissements.
Ce système s’arrêtera vers la fin des années 70 ?
Dès la fin des années 60, on considère que la
guerre est lointaine et qu’il est normal de revenir à la «loi naturelle» du marché sur ces
questions de finance, de monnaie et de dette.
Des hauts fonctionnaires avides de réforme,
mais aussi des banquiers voulant rompre avec
le dirigisme militent pour que l’Etat redevienne un emprunteur comme les autres.
Une mise en marché de la dette qui n’affecte pas que la France ?
C’est une dynamique mondiale, mais produite par des forces politiques et administratives. C’est là qu’entrent en scène, dans les
plus hautes sphères de l’Etat, des élites qui
promeuvent la rupture avec le crédit et les financements administrés. Surtout, l’inflation
devient la préoccupation politique numéro 1,
et ce, alors même qu’elle est contenue dans
les limites du raisonnable. C’est le début de
la grande transformation. On démantèle les
règlements qui régissent le financement de
l’Etat, et on réintroduit des dispositifs de marché pour la dette : la loi de l’offre et de la demande fixe les règles du jeu, soit le niveau des
taux d’intérêt. Et si les marchés font la fine
bouche, l’Etat n’a d’autre choix pour attirer
l’épargne à lui que de proposer des taux d’intérêt plus élevés, au risque de voir augmenter
la part du service de sa dette dans le total de
ses dépenses et d’amputer ainsi ses marges
budgétaires.
Et pourtant des voix s’élèvent pour mettre en garde contre les risques de la mise
en marché de la dette…
Ce sont d’ailleurs certains hauts fonctionnaires du Trésor eux-mêmes qui contestent ce
changement de philosophie, le jugent illégitime et parlent d’un «enrichissement sans
cause» pour les banques. Mais ils sont inaudibles parce que confrontés à un nouveau récit
de la modernité. Ce n’est plus l’Etat qui doit
diriger les banques, mais la finance qui, de
moins en moins contrainte et de plus en plus
privée, doit apprendre à l’Etat à se discipliner,
à veiller à ses dépenses, à son équilibre budgétaire, et l’aider à créer moins de monnaie,
afin de baisser l’inflation.
Le coup de grâce de cette mise en marché
de la dette publique est porté par la gauche lorsqu’elle arrive au pouvoir en 1981…
Michel Debré, ministre des Finances, et son
conseiller de l’époque Jean-Yves Haberer [il
deviendra directeur du Trésor en 1978, ndlr]
avaient déjà entre 1966 et 1968 remis en cause
le financement «hors marché» de l’Etat. Mais
c’est Pierre Bérégovoy, ministre socialiste de
l’Economie et des Finances qui, en 1985,
ouvrira totalement les marchés de capitaux.
Avec l’élection de François Mitterrand
en 1981, la France entreprend une politique
budgétaire de relance de la consommation,
de type keynésienne. Alors que les déficits se
creusent, les hauts fonctionnaires du Trésor,
convertis à l’orthodoxie monétaire, vont jouer
un rôle décisif. Ils vont expliquer aux socialistes au pouvoir ce que le gouvernement doit
u 23
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
raient d’elles-mêmes. Ils ont été conçus
comme des outils pour l’action politique. Le
ratio de dette rapporté à la croissance (le seuil
des 60% par rapport au PIB) doit, au sein de
l’Union monétaire européenne, maintenir
l’attention de l’opinion publique et des gouvernements sur le problème de la dette. L’apport de la sociologie est de montrer que ces
chiffres, au lieu de mesurer passivement la
réalité de la dette, comme un miroir neutre,
façonnent et modifient «ce qu’est la dette».
Par exemple, lorsque Thierry Breton est ministre de l’Economie et des Finances de Jacques Chirac, de 2005 à 2007, il explique, avec
le rapport Pébereau, que la dette publique
légitimement faire afin de trouver l’argent qui n’est pas de 60% mais de 120 %. Pourquoi ?
lui manque désormais: ne surtout pas revenir Parce qu’il faudrait inclure l’engagement de
à des mécanismes de financement adminis- paiement de l’Etat vis-à-vis des retraites des
tré, du type de l’après-guerre, encore moins fonctionnaires et traduire cette dépense furecourir à une monnaie publique, via la Ban- ture, dès lors, dans le bilan comptable de
que centrale –ce que proposent pourtant aux l’Etat.
pouvoirs publics des chefs d’entreprise ou des Quelle est la philosophie qui sous-tend
économistes qui transmettent d’abondantes ce discours ?
notes –, mais aller plus loin dans la mise en Cela permet d’introduire l’idée que ces foncmarché de la dette publique.
tionnaires ont une créance sur l’Etat. Qu’ils
L’Etat a construit sa propre prison ?
ont capitalisé des droits sur l’Etat. Et voilà
En tout cas, il ne s’est pas opposé aux mar- comment on tente de transformer un engagechés financiers. Au contraire. Il a construit ment de dépense en contrat de dette. Et voilà
leur terrain de jeu et leur légiticomment on change la manière
mité. Quand, au milieu des ande penser la retraite : non plus
nées 80, il ne reste plus que la
comme un transfert intergénédette de marché pour assurer la
rationnel, mais comme des
survie des services publics, les
droits accumulés par chaque inEtats se doivent d’adopter des
dividu. On peut considérer que
politiques économiques et moc’est une façon d’accoutumer à
nétaires conformes aux exigenl’idée que la retraite est un petit
ces des investisseurs. Les hauts
capital qu’on accumule, ou pas,
fonctionnaires qui agissent ainsi
au détriment de l’idée de retraite
le font «au nom de l’intérêt génégarantie et solidaire.
ral». Il s’agit d’obtenir les
Que faites-vous de la formeilleurs taux pour réduire la
mule : «Chaque nouveau né
charge d’intérêt assumée par le
porte une dette de plusieurs
contribuable. Quand les taux
L’ORDRE
milliers d’euros» ?
sont bas, voire négatifs, on ne
DE LA DETTE
La rhétorique des générations
voit pas cela comme une conde BENJAMIN
futures est une manière de nier
trainte ou une prison, mais
LEMOINE
que nous ne sommes pas tous
comme une facilité. Il n’en reste
La Découverte,
égaux devant la dette. La générapas moins qu’une relation de dé308 pp., 22 €.
tion future ne recouvre pas une
pendance s’est installée. Et on
réalité sociale et économique
sait que les marchés sont imprévisibles…
homogène. Et, derrière la formule, se cachent
En quoi l’Etat s’aligne-t-il sur les attentes des disparités nombreuses. Avec la dette, il
des marchés financiers ?
y a des gagnants et des perdants. S’il est diffiPour séduire, il faut se transformer. En vou- cile de retracer avec précision, à un inslant plaire aux marchés financiers, l’Etat fait tant «i», qui sont les propriétaires de la dette
de leurs priorités les siennes. En vendant son française, il est en revanche évident qu’une
produit de dette, il est confronté aux inquié- ligne de fracture sépare les ménages dont les
tudes du marché qui sont, par exemple: quel revenus et patrimoines, éventuellement alléparti politique sera au gouvernement ? Les gés d’impôts, permettent de dégager de
syndicats sont-ils trop puissants? Le coût du l’épargne placée en emprunts d’Etat. Ils sont,
travail est-il trop élevé? Bien entendu, ces in- directement ou indirectement (via les diffévestisseurs veulent aussi que l’inflation rents supports de leur épargne et institutions
soit sous contrôle, et que la Banque centrale qui la gèrent), les créanciers de l’Etat. Loin
soit indépendante du politique, afin que les d’être lestée d’une charge, cette partie des gérentiers, qui détiennent la dette, ne soient pas nérations futures est enrichie via la dette, car
euthanasiés et remboursés en monnaie de leur capital qui y est placé bénéficie du resinge, comme on dit. Les investisseurs ont venu des intérêts. Et puis, il y a ceux qui vid’ailleurs des sentinelles qui surveillent vent tout juste de leur salaire. Qui n’ont pas,
les politiques publiques : les agences de ou très peu, les moyens d’épargner. Par connotation.
tre, en payant des impôts, ils contribuent à asLes chiffres de la dette sont partout dans surer le service de la dette et de ses intérêts à
le débat public. Ne traduisent-ils pas la ceux qui en profitent. Eux subissent l’ordre
vérité sur l’urgence de la situation ?
de la dette, au nom duquel on engage les
Les chiffres des finances publiques ne sont plans d’économie budgétaire et le démantèlepas des vérités mathématiques qui parle- ment de l’Etat social. •
«[A partir des années 70],
ce n’est plus l’Etat qui
doit diriger les banques,
mais la finance qui […]
doit apprendre à l’Etat
à se discipliner, à veiller
à ses dépenses, à son
équilibre budgétaire.»
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
volé son iPad, l’autre s’énerve,
prend le cou d’Edouard entre ses
mains, et le serre, en disant : «Je
vais te faire la gueule !» Il dit ça à
Eddy Bellegueule. La phrase le
cloue sur place, Réda serre, le
viole, et s’en va.
Edouard alors appelle un ami, Emmanuel, avocat, qui lui conseille
d’aller tout de suite au commissariat, sans se doucher, et de porter
plainte. Sur son cou, il y a des traces de strangulation, et comme il
ne s’est pas douché, il a encore sur
lui du sperme de Réda. Les policiers prélèvent l’ADN. Quelques
jours plus tard, En finir avec Eddy
Bellegueule sort. Gros succès.
Enormes ventes. Beaucoup de
courrier. Parmi les lettres, celle
d’un jeune éditeur, Christophe
Lucquin, qui se dit amoureux. Il a
une petite maison d’édition, qui
publie des textes à caractère essentiellement pédophile. De l’avis
même des amateurs d’érotisme,
ces textes sont un peu limites, un
peu lourds et ne rencontrent pas le
public. Christophe est amoureux,
il met sur Facebook la lettre
d’amour qu’il a envoyé à Edouard
Louis. Mais celui-ci ne lui répond
pas. Christophe met alors un tout
autre type de messages sur Facebook, moqueries, jalousie littéraire, dénigrement. Il en poste un
par semaine.
Plus tard, ou peut-être déjà à ce
moment-là, je ne sais pas, Christophe Lucquin tombe amoureux
IDÉES/
ÉCRITURES
Par
CHRISTINE ANGOT
Entre amis
L
e soir de Noël 2012, un garçon, Edouard Louis, traverse
la place de la République, il
s’apprête à publier son premier roman, En finir avec Eddy Bellegueule. Bellegueule est son vrai
nom, Eddy est son vrai prénom. Il
en a fini avec cette identité-là, il
traverse la place de la République,
il a passé Noël avec deux amis, sociologues, homosexuels, qui vivent
#YABON FUTUR
&
à Paris, qui lisent des livres, et qui
en publient, comme lui. C’est la vie
qu’il veut. Eddy Bellegueule, c’est
fini, Edouard Louis ça a une autre
gueule. Mais, pile à ce moment-là,
un autre garçon traverse la place
de la République, un peu trafiquant, un peu voyou, Réda, ils
montent tous les deux chez lui, ils
ont un rapport sexuel, puis
Edouard s’aperçoit que Réda lui a
Le mixer
c’est pour
imager
mon
propos.
Par YASSINE et TOMA BLETNER
sous prétexte que nous sommes français, ces
enfoirés de Facebook nous font bosser comme
cuisinier ou jardinier.
d’un Mexicain qui joue du
violoncelle.
Après la fameuse soirée, Réda est
rentré chez lui. Il vit comme avant.
Il a un compagnon, appelons-le…
Ricardo. Ricardo est le meilleur
ami du Mexicain qui joue du violoncelle et qui vit avec Christophe
Lucquin, l’amoureux éconduit. En
finir avec Eddy Bellegueule est en
tête des ventes. Réda dit à Ricardo,
son petit ami, qu’il connaît
Edouard Louis, il a eu une aventure avec lui, ils ont passé une nuit
ensemble. Ricardo le répète au
Mexicain. Bien sûr, celui-ci le répète à Christophe.
Pendant ce temps-là, la plainte
qu’Edouard a déposée le soir de
Noël dort. Aucun ADN dans les fichiers de la police ne correspond
à celui qui a été prélevé sur lui.
Trois années passent. Il a écrit
un nouveau livre, Histoire de la
violence.
En 2016, tout début janvier, pour
une histoire de stupéfiants, qui n’a
rien à voir avec tout ça, Réda est arrêté. Il est incarcéré, on enquête,
on prélève son ADN.
Fin janvier, un autre garçon, appelons-le… Renaud, porte plainte
pour vol, il avait invité quelqu’un
à monter chez lui, ce quelqu’un l’a
volé. Les flics se rendent à son domicile, ils relèvent des empreintes
et prélèvent l’ADN. De retour au
commissariat, ils voient que l’ADN
prélevé chez Renaud correspond
à celui du sperme prélevé sur
alors que nous sommes
certainement les meilleurs
développeurs du monde.
Edouard, qui avait pris la précaution de ne pas se doucher et d’aller
porter plainte dans la foulée. Réda
est présumé innocent. Il va être
jugé pour l’affaire de stupéfiants,
le vol chez Renaud et le viol
d’Edouard.
Histoire de la violence est en librairie. Toute la fine équipe le lit. Ricardo savait que son petit copain,
Réda, connaissait Edouard Louis,
il lit le livre, Réda lui-même s’était
vanté d’avoir passé une nuit avec
lui, il ne le découvre pas en le lisant. Ricardo le prête au Mexicain
qui joue du violoncelle, son
meilleur ami, en précisant que le
Réda du livre est son Réda à lui. Le
Mexicain raconte ça à son propre
petit ami, Christophe Lucquin,
l’amoureux éconduit par Edouard
Louis. Et tous se persuadent qu’un
être qu’ils connaissent dans la réalité se trouve non pas en prison
pour une affaire de stupéfiants,
mais dans un livre par l’opération
du Saint-Esprit.
Puis, logiquement, à la demande
des avocats de Réda, ils fournissent les lettres de témoignages,
dont ceux-ci ont besoin pour prétendre que leur client est reconnaissable dans Histoire de la violence. Afin de pouvoir réclamer
50 000 euros à Edouard Louis en
réparation. •
Cette chronique est assurée en alternance
par Olivier Adam, Christine Angot,
Thomas Clerc et Camille Laurens.
ils vont voir ce que c’est l’esprit français.
2 Frenchies
1 american dream
notre Logiciel va changer
le monde, et notre
compte en
banque.
On va se mettre
en GrÈve
regarde, ils sont désemparés.
??
On vous retire de notre liste d’amis.
alors ? Qu’allez vous faire contre la
révolte française ?
Oh
non !
??
Yassine & Toma BleTner — © monsieur sTrip
0
24 u
Bip
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
SI J’AI BIEN
COMPRIS…
Pas de pitié
pour les lycéens
Par
Les attentats ont rendu la police plus proche.
Elle y est cependant allée fort, côté renseignement
humain, devant le lycée Henri-Bergson.
MATHIEU LINDON
S
i j’ai bien compris, il faut peser ses mots quand on parle
de la police. Jusqu’au 7 janvier, il était de bon ton, dans certains milieux, de ne pas la ménager. Puis un de ses membres a été
assassiné comme un dessinateur
de Charlie et il n’y avait pas moins
de raisons de le pleurer que les
autres, on s’est rendu compte
qu’on était dans la même galère et
qu’on avait besoin d’elle. De même
que, lorsqu’on se retrouve à devoir
aller aux urgences, on réalise que
tout ce qu’on raconte sur le service
public et les sous-effectifs des
fonctionnaires attente plus à notre
bien-être qu’on en avait conscience, de même on peut se retrouver à avoir pour la police les
yeux de Chimène et constater,
quand on y met les pieds, que ses
locaux donnent l’impression
d’avoir été eux-mêmes dévalisés.
On mobilise souvent la police pour
rassurer la population et cette mobilisation parfois inquiète. Mais ça
fait partie de sa fonction: une police qui n’inquiéterait personne
serait inquiétante. Et des policiers
ne doivent pas être trop rassurés
d’être aux premières loges dans la
lutte contre le terrorisme.
D’une façon générale, le tact est au
cœur de nos relations avec la police. Il arrive qu’on estime qu’elle en
manque alors que, de son côté, elle
ne veut pas s’exposer au ridicule en
prenant trop de gants avec les criminels. On lui reproche certaines
bavures mais pourquoi ne lui accorderait-on pas ce qu’on tolère
pour la justice, à savoir d’être humaine et donc d’avoir l’erreur bien
ancrée dans son patrimoine génétique. Pourquoi dit-on «bavure» et
pas «erreur policière»?
En plus, on ne peut que se féliciter
qu’elle ne soit pas infaillible
comme le pape, on n’en mènerait
pas large. C’est quand même parce
LA PHRASE
«La réforme
El Khomri affaiblira
les syndicats déjà
affectés par la crise
économique.»
FEDERICO BASSI chercheur
en économie, sur le blog «Changer
l’Europe», sur Libération.fr
u 25
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
qu’il y a des erreurs qu’on a un peu
de mou. Tel est le bon coté de la
bavure. Cependant, la différence
avec la justice, c’est qu’on a parfois
l’impression que la police commet
des erreurs en pleine connaissance
de cause, comme si elle se faisait
justice elle-même. Après tout,
pourquoi n’aurait-elle pas le droit
d’être aveugle et de balancer son
glaive dans la balance? Toutefois,
le lycéen tabassé par quatre malabars en uniforme de combat de-
vant le lycée Henri-Bergson, à Paris, remet les pieds sur terre. Il ne
semble pas s’agir ici d’une victoire
sur le terrorisme. Les policiers sont
de toute évidence armés pour affronter des hordes de collégiens,
mais c’est plutôt son antonyme
que le mot «courage» qui vient
spontanément aux lèvres pour
commenter cette action. C’est
comme si se déchaîner sur un
ennemi inoffensif donnait à la police un peu d’oxygène en plein état
d’urgence. Qui reçoit un œuf tue
un agneau. D’ailleurs, elle n’est pas
fière de son image. A Noël, postiers, pompiers et éboueurs défilent pour leur calendrier, la police
se tient à carreau, ce n’est pas de
son ressort, et le 14 Juillet n’est pas
synonyme de bal de la police.
On a tous l’image d’un policier
idéal, notre policier à nous : il dirait bonjour quand on sort le matin, il aiderait les vieilles dames à
porter leur sac, il ferait les gros
yeux au petit qui travaille mal à
l’école, il n’oublierait jamais de
dire s’il vous plaît, on l’inviterait
aux anniversaires et on lui dirait
«Entrez, je vous en prie» avant une
perquisition. Sûrement que les
policiers ne demanderaient pas
mieux que faire ça, s’ils n’avaient
pas tous les méchants à s’occuper.
Si j’ai bien compris, la méchanceté
est contagieuse. •
FORUM
CITOYEN POUR
UNE PRIMAIRE
À GAUCHE
HERVÉ LE BRAS - JULIA CAGÉ - DANIEL COHN-BENDIT MARIE DESPLECHIN - GUILLAUME DUVAL - SUSAN GEORGE
-YANNICK JADOT - LAURENT JOFFRIN - MOHAMED
MECHMACHE - DOMINIQUE MÉDA - THOMAS PIKETTY BENJAMIN STORA - BENOÎT THIEULIN- MICHEL WIEVIORKA
SAMEDI 16 AVRIL
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t @libe
26 u
DIMANCHE 3
SAMEDI 2
La situation est incertaine entre le Golfe du
Lion et la Normandie. Le temps devrait être
plus calme dans le nord-est et à l'ouest.
L’APRÈS-MIDI L'incertitude perdure, en
particulier entre les régions du sud-est et le
bassin parisien. Quelques éclaircies sont
présentes entre la Lorraine et les Alpes du
nord. Mais c'est au sud de la Garonne qu'il
fera le plus beau et le plus doux.
0,3 m/10º
On retrouvera un temps perturbé dans l'est
et plus calme à l'ouest, avec même un ciel
souvent dégagé.
L’APRÈS-MIDI Le temps reste perturbé sur
l'est du pays et en Bretagne, tandis qu'à
l'ouest la journée pourrait être très
printanière, avec des températures très
douces mais qui pourraient donner lieu à
une dégradation orageuse.
0,3 m/10º
Lille
0,3 m/10º
0,3 m/10º
Caen
Caen
Paris
Strasbourg
Brest
Paris
0,6 m/12º
1 m/12º
IP 04 91 27 01 16
0,3 m/13º
Bordeaux
0,3 m/13º
Nice
Montpellier
Toulouse
Toulouse
Marseille
Nice
Montpellier
11/15°
6/10°
1/5°
1 m/14º
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: LIB_16_04_02_PA.pdf;Date
: 01. 2Apr
2016 - 314:17:39
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et Dimanche
Avril 2016
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36/40°
31/35°
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jour de fête
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Alger
Bruxelles
Jérusalem
Londres
Berlin
Madrid
New York
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5
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18
25
13
13
14
13
Dimanche 3 avril 2016,
jour de fête !
''Voici le gage de mon
amour'' (Apollinaire)
Félicitations à notre
LULU parisienne de la
République La petite TRIBU
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(1)
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Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
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u 27
Judy Chicago, à perte de vulves
Through the Flower (1973), de Judy Chicago. PHOTO DONALD WOODMAN
Page 32 : Photo/ Les Russes meilleurs
Page 33 : BD/ A Aix, Brecht Evens et sa «Panthère» rosse
Pages 30-31 : Plein cadre/ Le Chinatown de Thomas Holton
28 u
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Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
Phallo, le peuple
aura ta peau
ART
Au CAPC de Bordeaux, une première monographie
française retrace le parcours de Judy Chicago, à l’origine
de l’art féministe aux Etats-Unis. Une œuvre pionnière,
décriée, méconnue, et riche en vagins floraux.
Par
CLÉMENTINE GALLOT
Envoyée spéciale à Bordeaux
C
eux qui n’ont jamais entendu
parler de Judy Chicago connaissent souvent sans le savoir
l’installation The Dinner Party
(1974-79), une œuvre-monstre qui a bien failli
éclipser sa carrière. Cette version domestique
de la Cène vue des fourneaux et revisitée
à la manière de Georgia O’Keeffe raconte,
en 39 assiettes décorées de corolles vaginales
et disposées sur une immense table triangulaire, «l’histoire occidentale à travers ses héroïnes». Parmi les guests, on trouve des déesses
égyptiennes, Virginia Woolf, Simone de Beauvoir et d’autres figures moins en vue, c’est
d’ailleurs l’idée. Ces assiettes en céramique
et leur dessin biomorphique suggestif réalisés
collectivement sont le fruit d’une réflexion de
l’artiste remarquant que «les formes phalliques étant universelles, il fallait conceptualiser un équivalent féminin».
«Grossier!» Divisée, voire dégoûtée, la critique
des seventies ne goûte que très peu ces «vulves
papillons». L’œuvre explicite suscite le scandale, avant de faire le tour du monde, puis de
prendre la poussière aux archives pendant
trente ans. Désormais bien en vue au centre
féministe du Brooklyn Museum, The Dinner
Party attirerait 30% des visiteurs.
En 2011, l’exposition «Pacific Standard Time»
à la Getty Foundation de Los Angeles a permis au grand public de redécouvrir Judy Chicago, tout comme le récent panorama de la
Tate Modern à Londres, «The World Goes
Pop». «Depuis, note-t-elle, tout mon travail
émerge de l’ombre de The Dinner Party.» Sans
aigreur, l’énergique plasticienne américaine
à touffe rousse se félicite de cette reconnaissance tardive, à 76 ans.
Broderie et céramique
Smoke Bodies (1972), une des incursions de Judy Chicago dans le land art. PHOTO COURTESY OF THROUGH THE FLOWER ARCHIVES
Précédé d’un avertissement aux mineurs, l’accrochage du CAPC (musée d’art contemporain) de Bordeaux, baptisé «Why not Judy Chicago?», retrace cinquante ans d’une carrière
marquée par une volonté farouche de désobéissance. Ce parcours inégal scindé en deux
parties, chronologique et thématique, renverse les perspectives en proposant un «regard
féminin sur l’art phallocentrique», résume son
commissaire, Xabier Arakistain, curateur du
Centre Azkuna de Bilbao. Mêlant stimulations
et frustrations, l’expo pâtit d’un manque de
moyens invalidant (des reproductions! pas de
u 29
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
Judy Chicago
(à droite),
en 1974
à Santa Monica
(Californie)
lors de la
préparation
de son
œuvre phare :
The Dinner
Party (à gauche),
une version
domestique
de la Cène
avec 39 assiettes
décorées
de corolles
vaginales.
PHOTOS JONGHEON
MARTIN KIM ;
COURTESY OF
THROUGH THE
FLOWER ARCHIVES
catalogue!). Et si certaines périodes exposées pour des pratiques réprouvées par la doxa du
sont moins enthousiasmantes (The Birth Pro- milieu de l’art: broderie, céramique, réapproject, The Holocaust Project), le parcours éclaire priation du folk art et de la culture populaire,
tout de même un jalon décisif dans l’histoire préfère l’ouvrage collectif au mythe du génie
de l’art contemporain américain.
solitaire. «En revalorisant le travail féminin,
Née en 1939, Judy Cohen est élevée par un elle annonce des motifs postmodernes», contexpère juif progressiste à Chicago, ville à la- tualise le commissaire de l’expo.
quelle elle empruntera plus tard son pseudonyme, craignant de voir son identité dissoute Activisme et pédagogie
dans plusieurs mariages successifs. Une mé- Figure cruciale et obstinée du laboratoire de
tamorphose qu’elle actera par petite annonce la scène californienne en même temps que
interposée dans le magazine ArtForum, de- John Baldessari ou Ed Ruscha, Judy Chicago
bout sur un ring de boxe.
crée en plein mouvement pour les women’s riA UCLA (University of California Los Ange- ghts le premier programme d’art féministe
les), elle fait partie de la première génération en 1970 à la fac de Fresno, longtemps avant les
d’étudiantes à accéder en masse à la fac après gender studies. Invitée ensuite au CalArts avec
la Seconde Guerre mondiale. Le récit de sa Miriam Schapiro –disparue en juin–, elle injeunesse passée en Californie dans les an- vestit une maison abandonnée et convie les
nées 60 dessine pourtant
étudiants à remplir ses
l’envers de l’euphorie des
17 pièces d’installations
sixties et traduit une tout
farfelues. L’invitation de
autre expérience que celle
Womanhouse est expéde la libération des mœurs:
diée sur un naperon en
«A mes débuts, le monde de
dentelle. Méconnaissal’art était très hostile aux
ble, l’espace compte un
créatrices.» A l’université,
mannequin nu figé dans
elle apprend qu’il n’existe
une baignoire, un autre
aucune femme artiste digne
découpé dans un plade ce nom: «Les livres et les
card ou encore des paicours nous assénaient que
res de seins collées dans
les femmes n’étaient pas imla cuisine du sol au
portantes, c’étaient soit des XABIER ARAKISTAIN
plafond. L’accueillante
groupies soit des épouses», se commissaire de l’expo
Menstruation Bathroom
souvient-elle. Entourée de
de Judy Chicago est
250 éphèbes, elle suit des cours de mécanique remplie de tampons sanglants. Ce modèle colpour apprendre à peindre des carrosseries à laboratif et éphémère, qui réconcilie activisme
l’aérographe.
et pédagogie, fait date et sera plus tard décliné
Installée à Pasadena, elle infiltre le micro- sur d’autres campus à travers le pays.
cosme de l’art par l’intermédiaire de toiles con- Trop kitsch, daté, criard, les raisons ne manceptuelles qui font de l’œil au travail de ses quent pas de dédaigner un parcours lui-même
congénères masculins. «Mon prof détestait exemplaire d’un travail féminin relégué à la
mes travaux, alors, pour me faire accepter, j’ai marge et peu reconnu. Le titre de l’expo, «Why
fait des choses minimalistes en essayant de dis- not Judy Chicago?», s’adresse à l’establishsimuler leur contenu plus personnel. Je tra- ment artistique comme une invitation, dévaillais dans mon coin, dans un paysage entiè- crypte Arakistain. «Où sont le MoMA et le
rement masculin: à l’époque, une expo était Whitney? Il y a un problème, s’agace-t-il. Le
forcément un one-man show. Je me sentais très goût et le style sont des canons culturellement
isolée. A la fin des années 60, j’en ai eu marre. construits, or si toute votre carrière défie ce caJ’ai commencé à lire la littérature féministe de non, on vous exclut. Personne ne nie qu’elle est
l’époque, et le récit de ces expériences m’a en- une figure historique, mais le marché et les
couragée à formuler une vision propre.» La grands musées sont en retard.» Sans apitoieconscience politique transmise par son père ment, l’intéressée évoque ces rapports de dol’aide à désamorcer les remarques sexistes. «Je mination: «Les consciences ont évolué, mais
savais que cette barrière qui n’était jamais cela ne s’est pas converti dans les institutions.»
nommée n’avait rien à voir avec moi ou mon Férue de Niki de Saint Phalle et auteure d’un
travail. On me traitait de suffragette. C’était un ouvrage sur Frida Kahlo, la plasticienne, détabou dont personne ne parlait.» Elle opte alors sormais installée au Nouveau-Mexique avec
son mari photographe, a constamment jonglé
avec les techniques, passant du textile à la
photo ou au land art avec des feux d’artifice
en plein air. Dans ses illustrations des récits
érotiques d’Anaïs Nin, on voit notamment un
pénis à bout de framboise «qui avait mis très
mal à l’aise les imprimeurs», s’amuse-t-elle.
Si l’on peut reprocher à la troisième vague
féministe ses tendances à l’essentialisme et
son symbolisme hippie (papillons et fleurs
new age), «cette imagerie parle du vagin
comme signe socialement construit», rappelle
Xabier Arakistain. Son cunt art transgressif a
certainement essaimé chez la jeune garde des
photographes virales, comme Petra Collins et
Arvida Byström, qui subissent ces jours-ci les
foudres d’une nouvelle forme de censure tatillonne, celle des réseaux sociaux. •
WHY NOT JUDY CHICAGO?
Au CAPC de Bordeaux. Jusqu’au 4 septembre.
Rens: www.capc-bordeaux.fr
«Le goût et le style
sont des canons
culturellement
construits, or si
toute votre carrière
défie ce canon,
on vous exclut.»
La Veronal
Chorégraphie Marcos Morau
Voronia
Photo Edu Pérez
13 au 15 avril 2016
www.theatre-chaillot.fr
01 53 65 30 00
30 u
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
u 31
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
IMAGES /
PLEIN CADRE
Par
ÉLISABETH
FRANCK­DUMAS
Chine city
à New York
Family Portrait, in The Lams of Ludlow Street. PHOTO THOMAS HOLTON
V
ite, combien de
bols, de blousons,
de chaises dans
cette
photo ?
Combien de tasses, et de quelle
couleur le plumeau ? La pièce
est bourrée à craquer. Mais bien
ordonnée, grâce aux tringles enchevêtrées et aux casiers grillagés dans le fond. Et il y a même
une guirlande lumineuse!
Nous sommes chez les Lam,
dans leur appartement de 30 m2
sur Ludlow Street, à New York,
au cœur de Chinatown. Mickael,
Franklin et Cindy, les enfants,
sont scolarisés à l’école du coin,
la Public School 184M, dont ils
portent l’uniforme. Steven et
Shirley, les parents, ont laissé
derrière eux la famille à Hongkong pour s’installer aux EtatsUnis, avec des attentes vieilles
comme le pays. On le devine au
«USA» tonitruant imprimé sur
le sweat-shirt du père, auquel
l’adresse vient faire écho, car
Ludlow Street hébergea aux
XIXe et XXe siècles des vagues
d’immigrations successives, à
l’ombre de la statue de la Liberté. Le foyer semble posé à un
point d’équilibre entre espoir et
sacrifice. Et si l’on y cuisine encore les plats de là-bas, arrosés
de thé grâce au distributeur sur
la table, les coutumes locales
y ont fait leur entrée –voir, au
fond du cadre, la carafe Brita.
La photo date de 2005, elle est
signée Thomas Holton. De père
américain et de mère chinoise,
Holton avait des grands-parents installés à Chinatown,
mais ne s’y est jamais senti
chez lui. Jusqu’à sa rencontre
avec les Lam, en 2002, qui ont
accepté de lui ouvrir leur porte
et de se laisser photographier
toutes les semaines. Cela fait
désormais treize ans que Tho-
mas Holton les suit, avec quelques interruptions.
En feuilletant le livre consacré
à la série, The Lams of Ludlow
Street, on voit les enfants grandir, le halo bleu de leurs écrans
électroniques envahir les lieux,
la fatigue gagner le père, employé puis viré d’une entreprise
d’import-export, souvent photographié allongé ou pelotonné
dans une couette. L’exiguïté des
lieux devient plus pesante, des
pieds qui pendent d’un lit superposé traversent le cadre, les
ados ont des moues boudeuses,
et il y a toujours plus de trucs,
vêtements, livres, boîtes, petit
électroménager, artefacts de la
société de consommation, dans
le cadre. La surface même des
photos s’en trouve morcelée, à
tel point que, parfois, la seule
chose qui semble réunir la
famille est l’espace même de
l’image. C’est avec une étrange
tristesse, mais sans trop de surprise, qu’on apprend que les parents ont fini par divorcer.
Ce travail au long cours est plus
qu’un beau témoignage sur les
fortunes diverses de cette immense masse de travailleurs
qui se déplace à l’échelle du
globe. C’est aussi un document
sur la famille contemporaine,
les liens plus ou moins distendus qui tissent sa toile, le quotidien dont le décor révèle l’intime. «Whose life is perfect ?»
(«Qui a une vie parfaite ?») fait
semblant de s’interroger Thomas Holton dans une postface.
Personne. Mais lui a su en extraire la moelle. •
THE LAMS
OF LUDLOW STREET
de THOMAS HOLTON
Kehrer Verlag 96 pp.,
56 photographies.
32 u
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
SUR LIBÉRATION.FR
Diaporama La photographe néerlandaise
Désirée Van Hoek a travaillé pendant six ans sur le
quartier défavorisé de Skid Row à Los Angeles.
Mégalopole des stars, la ville abrite aussi des
milliers d’habitants vivant dans une extrême
pauvreté sur les trottoirs. Skid Row, son livre
auto-édité, vient de paraître : Libé.fr en publie des
morceaux choisis. PHOTO DÉSIRÉE VAN HOEK
ses et 50 % d’étrangers pendant la
biennale, pour les collections du musée [constituées de 300000 photos
avec négatifs, ndlr], je n’achète que
des Russes, vu les moyens impartis.»
Dans un climat géopolitique tendu,
sur fond de crise économique, la
manifestation perd des mécènes
(sauf le géant minier Norilsk Nickel): «Créer une Biennale à Moscou,
c’était courageux. Durer, c’est difficile.» D’autant plus que des lois récentes corsètent le milieu artistique,
entre obligation de signalétique
pour protéger les enfants et interdiction des mots grossiers.
«Carcan». Au MAMM, des jeunes
Avion amphibie, série «Restricted Area» (2013). DANILA TKACHENKO
Série «Mosh» (2015). EKATERINA MAMONTOVA
Série «Library» (2014). VADIM GUSHIN
Série «Only a Game ?» (2014-2016). MARIA IONOVA-GRIBINA
Photo/ L’œil de Moscou
Pour sa 11e édition, la Photobiennale moscovite
distille en dix lieux une vision de la grandeur russe,
sans oublier de s’ouvrir sur le monde. Reportage.
Par
CLÉMENTINE MERCIER
Envoyée spéciale à Moscou
U
ne carlingue d’avion
au fuselage rétrofuturiste dans un paysage
enneigé. Sous les flocons, la carcasse grise et ventrue,
congelée, a un air de fantôme endormi. Il s’agit d’un avion amphibie,
le VVA-14, fabriqué par l’Union soviétique dans les années 70, destiné
à détruire les sous-marins américains avec des missiles Polaris. Seulement deux modèles ont existé et
l’un des prototypes s’est écrasé. Ce
cliché appartient à la série «Restricted Area» de Danila Tkachenko, né
en 1989 à Moscou, et s’intègre à l’exposition «Evolution of Sight, 19912016» qui se termine tout juste au
Manège, lieu traditionnel de la Pho-
tobiennale de Moscou. Dans le soussol de cet espace à l’architecture
néoclassique, non loin de la place
Rouge, la biennale montre les photographes russes depuis la fin de
l’URSS. A travers le prisme de la
Russian Union of Art Photographers, une association qui fête
ses 25 ans, l’exposition accumule les
clichés de ses membres, de la star
Igor Moukhin à la génération des
moins de 30 ans. Un an avant le centenaire de la révolution de 1917,
la photographie russe se cherche,
comme partout, dans la mondialisation. Et mouline les stigmates de son
passé. Partout, dans cette 11e édition, on sent l’histoire qui affleure.
«Patrie». Danila Tkachenko a travaillé longtemps sur sa série des reliques du progrès soviétique. Il a attendu une météo propice et fait
plusieurs voyages pour atteindre ces
lieux éloignés. Des autorisations ?
Le photographe reconnaît qu’il vaut
mieux se mettre les gardes dans la
poche pour parvenir à ses fins. Ancien élève de l’Ecole Rodchenko,
Tkachenko, fort de son succès, a
quelques réserves sur la situation
des photographes en Russie, qu’il
voudrait plus stimulante.
A côté de ces vestiges militaires
congelés, Ivan Mikhailov a photographié des aires de jeux pour enfants, hérissées de fusées en tôle,
sortes de Soyouz de pacotille (Playground, 2010). Plus loin, les natures
mortes de Vadim Gushin («Library», 2014) rappellent le constructivisme. George Mayer, lui, a habillé
des enfants avec l’uniforme de leurs
parents, agents du ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie
(Children of Militia Officers, 2011).
Ainsi attifée, il montre «la jeune génération russe prête à accepter la
responsabilité de défendre sa patrie
dans les temps à venir».
On ne plaisante pas avec la Russie
mythique: «La seule fois où j’ai été
battue par mon père, c’était le jour
du vol de Gagarine. Car, petite fille,
je ne voulais pas aller dans l’espace.
Mon père m’a dit que je n’avais
aucune imagination», plaisante Olga
Sviblova, directrice de la biennale et
du Multimedia Art Museum de Moscou (MAMM). Tornade blonde, chignon Bolchoï, corps de ballerine et
regard vert, Sviblova, la femme aux
«3000 expos», passée de balayeuse
à directrice de musée, tient sa légende : «Il faut garder les yeux
ouverts», répète celle qui a fondé la
Maison de la photographie en 1996,
devenue MAMM en 2010.
Ouverte sur le monde, la biennale
–qu’elle a aussi créée– montre des
étrangers (Olivier Culmann, Karen
Knorr et, cette année, des Japonais:
Hiroshi Sugimoto, Osamu Shiihara…) mais aussi des Russes.
«Comme partout, la situation des
photographes est difficile. Dans les
années 90, la presse était plus développée. Certains ont émigré. Si nous
montrons 50% de photographes rus-
couples se tiennent la main devant
des vues grandioses, frontales et vides du musée de l’Hermitage prises
par Candida Höfer. Parmi les trouvailles, deux coups de cœur du début et de la fin de l’ère soviétique:
Mikhail Smodor, envoyé au goulag
en 1935, a suivi la vie d’une petite
bourgade de Galich au début du siècle dernier où la collectivisation progressive trouble le regard des
habitants. Juste avant la pérestroïka,
l’œil sarcastique de Vladimir
Vorobyov frappe. Sur ses photos,
une babouchka tranche la Pravda
avec une hache, un gradé scientifique tient deux téléphones, une
femme tire la langue. Un air de folie
flotte. Ça sent la fin d’un régime.
Dans une annexe du Musée d’art
moderne de Moscou, place aux jeunes qui suivent la tendance des récits intimes et des mises en scène.
Maria Ionova-Gribina a fourré des
armes en plastique semblables à celles de l’armée russe dans des mains
d’enfants. Ekaterina Mamontova
s’est, elle, immiscée dans des clubs
de folk metal où des hommes torse
nu effectuent des danses musclées.
Ils se chauffent avec une musique
qui évoque «les anciens guerriers, la
victoire sur l’ennemi, les personnages
légendaires, l’esthétique du Grand
Nord et le paganisme», explique la
photographe. «Je voulais montrer
comment les hommes jeunes, prisonniers du carcan rigide du monde moderne –bureaux, bouchons, hypothèques–, se donnent du courage dans
une communion avec la culture antique. Là, ils éprouvent les rôles traditionnels de guerriers, de défenseurs,
de voyageurs, d’envahisseurs.» Face
à ces images chargées, la vidéo absurde de Polina Muzyka, atteinte du
syndrome de Pica, un trouble alimentaire, rassure presque. La photographe se filme, assise par terre,
mangeant de la neige. Elle a très certainement froid dans le dos. •
PHOTOBIENNALE 2016
A Moscou. Jusqu’au 19 juin.
Rens. : www.mamm-mdf.ru
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
UN CHARME
DE REVUE
u 33
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
«EXTRAORDINARY» de MAX SIEDENTOPF
48 pages, 22 photos. Extra : Couverts en plastique, 15 €.
Le désopilant Max Siedentopf, photographe, vidéaste et collectionneur
d’images – de policiers posant avec des
plants de cannabis par exemple – a fixé
une règle du jeu simple pour le magazine qu’il vient de lancer. Il a envoyé
à 20 artistes aussi poilants que lui un
sachet de couverts en plastique à photographier. Les heureux élus s’en sont
donné à cœur joie en ajoutant leur touche «extra» à ce matériel si ordinaire.
Thomas Mailaender a ôté les dents
de son modèle en gardant deux piques
à la fourchette, Beni Bishop a collé les
couverts sur une maison qui flambe,
Jaap Scheeren a planté les fourchettes
dans une feuille de papier… Bref, un festival de créativité, du meilleur goût.
KEVIN SIMON MACERA
BD/ Brecht Evens,
bon pour la case
Art/ Drawing Now Paris,
tout le monde dessin
Pour sa dixième édition, Drawing Now Paris, le salon du dessin contemporain, fête son anniversaire avec un focus sur l’Allemagne. On y trouve des petits formats sur papier comme
des dessins plus imposants avec des techniques variées :
crayon, gouache, collage, pyrogravure et même céramique
collée. Parmi les 74 galeries venues de 16 pays, la galerie Michael Sturm montre une belle série de Kevin Simon Macera
(photo), la galerie 6mas1 un ensemble d’oiseaux dessinés
à même des boîtes de médicaments par Sara Landeta et la
galerie Martin Kudlek des miniatures persanes burlesques
d’Alexander Gorlizki. Plusieurs artistes revisitent l’imagerie
de la presse comme Natasja Van Kampen qui habille d’or des
photos de journaux ou Anastasis Stratakis qui repeint consciencieusement les unes de Time et de The Economist. C.Me.
L’auteur flamand
de «Panthère» est présent
ce week-end aux
Rencontres d’Aix-enProvence qui consacrent
une rétrospective
à son style foisonnant.
G
ourou aquarelliste hirsute, le flamboyant illustrateur flamand
Brecht Evens s’est imposé en trois bandes dessinées, dont la
première, une virée nocturne dépravée
intitulée les Noceurs, était un projet
d’études, suivie des Amateurs, sur les
coulisses déréglées d’une exposition.
Panthère, son dernier album illustré,
sorti en 2014, esquisse une amitié entre une petite fille et un félin imaginaire envahissant, évoquant en creux
une figure de prédateur pédophile.
«J’aurais sans doute aimé le livre si je
l’avais lu petit, mais je crois que certains parents l’interdisent à leurs enfants. Le récit à tendance à troubler les
adultes, à provoquer un peu de nausée
ou de dépression», détaille Evens dans
un français chantant. A cette occasion,
son trait s’est délié : «Je savais, en
créant ce personnage de panthère, que
je ne retrouverais jamais plus ce plaisir
de créer une entité qui se transforme
autant. Ne pas dessiner deux fois la
même chose permet de travailler de
manière moins mécanique.»
Ce fils de profs de langue germanique
dessine depuis toujours, d’autant plus
librement qu’«en Belgique, on ne chie
pas sur la BD», résume-t-il. Le trentenaire s’est installé à Paris en 2013 après
un coup de mou. Il y a rédigé un dispendieux carnet de voyage relié pour
Vuitton (sortie en mai).
Dans le cadre d’un accrochage au festival de BD d’Aix, il présente ce week-end
des images inédites de son prochain
ouvrage «in progress». Prévu pour 2017,
les Rigoles porte le nom du café de Belleville où il tient souvent salon. Porté
aux nues au festival d’Angoulême,
Evens le fréquente assidûment (quoiqu’échaudé par la dernière édition polémique), enchaînant méthodiquement dédicaces et gueules de bois. Un
prix de l’audace lui y a été remis en 2011
pour la profusion vibrionnante de ses
planches. Faire la queue pour se voir signer l’un de ses précieux ouvrages est
même devenu un sport local.
Brecht Evens a fait ses classes à l’Ecole
supérieure des arts Saint-Luc de Gand,
où il s’est essayé à diverses techniques
–gouache, encre, feutres–, en particulier l’aquarelle, sa marque de fabrique:
«Je cherchais une forme qui ne soit pas
stérile, qui me surprenne et que je ne
maîtrise pas trop. Cela provoquait des
accidents et des taches avec lesquelles
je devais composer, c’était génial.» Une
enseignante l’encourage à transgresser les codes, à dessiner sans gaufrier,
donc sans cases. Ce sens de la compo-
sition qui semble émaner des miniatures de Bosch, du papier peint de mamie et des mosaïques ottomanes
s’étale sur certaines pages en vastes
capharnaüms chatoyants croulant
sous la surabondance de petits détails.
Intimidé par l’épure, il justifie cette
accumulation compulsive par «l’économie de la BD. J’ai beaucoup à raconter, comme je ne veux pas publier 1000 pages, je stocke. Un livre me
choppe deux ans». Menacé d’étouffement par sa propre virtuosité, le trait
est sans cesse mis en tension par
l’écriture. «En dessinant, je peux faire
du jazz, je regrette presque de trop contrôler le médium. En revanche, je ne
suis pas un professionnel de l’écrit»,
admet-il.
Pour enrayer une tendance à la dispersion, Brecht Evens a élaboré pour les
Rigoles un story-board détaillé et méthodique. Il sort de son sac un épais
carnet qui décompose un à un éléments et silhouettes : «Ce sont trois
personnages un peu tarés qui se croisent une nuit. Le titre anglais est The
City of Belgium, j’aime l’idée que certains Américains ne savent pas si la
Belgique est une ville ou un pays.»
CLÉMENTINE GALLOT
LE MEILLEUR DES MONDES
au Musée du palais de l’archevêché
d’Aix-en-Provence jusqu’en juillet.
Dans le cadre des Rencontres
du 9e art ce week-end.
DRAWING NOW PARIS Au Carreau du temple. Ce week-end.
théâtre
ADELINE ROSENSTEIN
N
Décris-ravage
31 mars > 3 avril 2016
Lentement, précisément :
cartes, faits, arguments
pour démêler l’épineuse
Question de Palestine.
© Julien Brachhammer
Panthère, félin fêlé. DESSIN BRECHT EVENS
Théâtre de la Cité internationale — moins de 30 ans 13 €
Réservations 01 43 13 50 50 — www.theatredelacite.com
34 u
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
SUR LE WEB
L’ex du mal «Tous les gens avec
qui tu as couché sont devenus chiants.»
Disaster Zine, nouveau fanzine conçu
à Bristol (Royaume-Uni) compile
et illustre les petits désastres amoureux, rancards ratés et autres coups
d’un soir foireux. PHOTO DR
www.instagram.com/disaster.zine
Californie : cheap & love
AU REVOIR
Ciné/ André Téchiné,
l’école des Pyrénées
Avec Quand on a 17 ans, saga d’hiver
teintée de sentiments contradictoires, André Téchiné signe, accompagné de Céline Sciamma (Tomboy) au
scénario, une nouvelle approche
des émois adolescents autour de
deux lycéens des Pyrénées, pires
ennemis puis amants.
QUAND ON A 17 ANS
d’ANDRÉ TÉCHINÉ 1 h 54.
Arts/ Jean-Michel
Alberola, chercheur d’art
DAMIEN MALONEY
Indifférent aux modes et au marché
depuis ses débuts dans les années 80, le plasticien discret, «artiste d’artistes», est exposé à Paris,
au Palais de Tokyo et en galerie. Une
stature de créateur habité par mille
pensées, traduites aussi bien en
néons qu’en objets, en slogans détournés ou en tableaux qui détricotent l’héritage moderne.
Par
CLÉMENT GHYS
«L
a Californie est un endroit où
s’unissent dans une suspension difficile une mentalité
de la prospérité et un sens
tchékhovien de la perte : l’esprit y est troublé
par une suspicion enfouie mais indéracinable
que les choses marchent mieux qu’ailleurs,
parce qu’ici, sous l’immense ciel délavé, le continent n’existe plus», écrivait Joan Didion dans
son recueil d’articles Slouching Towards Bethlehem (traduit partiellement en français sous
le nom de l’Amérique 1965-1990-Chroniques).
Quel rapport avec ce café à la banalité soporifique? Aucun a priori. Des collègues sont attablés, un homme boit une canette de Coca-Cola
Light tout seul devant son ordinateur portable,
16 u
FUTURS
Libération Jeudi 31 Mars 2016
Libération Jeudi 31 Mars 2016
Après des années de galère, Imani
Smothers a décroché un contrat
d’apprenti cuistot non loin des
campus de Facebook et d’Oracle
à Redwood City, près de Palo Alto.
ARIZ
ONA
Business social Dans les environs de
Palo Alto, l’essor des géants de la «tech»
californienne ne profite pas à tout le
monde. Des initiatives privées, rentables,
se consacrent à la réinsertion des exclus.
Par
SOLÈNE CHALVON
Q
uand elle rentre chez elle,
après sa journée de travail,
Imani Smothers n’ouvre ni
les volets ni les rideaux. «C’est pour
me sentir comme dans un cocon»,
précise cette quadragénaire afroaméricaine aux traits tirés. Après
des années de galère, des mois à
dormir dans la rue, plusieurs condamnations pour vol à l’étalage,
dont un séjour de dix-huit mois en
prison, son modeste trois-pièces situé dans une résidence du quartier
démuni d’East Palo Alto est effectivement le «seul endroit au monde»
où elle se sent chez elle. Bien que
l’appartement appartienne à un ensemble résidentiel peu avenant, sinon franchement glauque, le loyer
est de 2 600 dollars par mois
(2 290 euros), la moitié étant prise
en charge par la ville.
De son propre aveu, cette mère de
trois enfants est sur le point d’être
libérée des fantômes du passé :
après neuf mois et demi de travaux
d’intérêt général (TIG), vestiges de
sa dernière peine, il ne lui reste plus
que deux week-ends de TIG à accomplir pour tourner définitive-
ment la page. «Je peux même re- tout bêtement pas aux Etats-Unis»,
prendre des activités à la paroisse, observe son fondateur, Nicolas Hamaintenant que j’ai un bon travail», zard, trentenaire affable sacré
se réjouit-elle, les yeux brillants. «young global leader» au Forum
Imani Smothers désigne par là l’em- économique de Davos en 2015. Jusploi d’apprenti cuistot
qu’alors, la formation se
qu’elle occupe au Rendez- ENQUÊTE faisait sans salaire en Calivous Café, restaurant tenfornie. Seuls les plus aisés
dance de la Silicon Valley. Ouvert pouvaient donc gagner en compéen septembre, le lieu est niché non tence. «C’est un cercle vicieux. Les
loin des campus de Facebook et gens en grande difficulté se forment
d’Oracle, à Redwood City, l’un des peu parce qu’ils ne sont pas rémunéprincipaux foyers de la «tech» (sec- rés pendant leur formation. Ils ne
teur des technologies).
peuvent tout simplement pas se permettre de ne rien gagner pendant
«Cercle vicieux»
huit ou dix semaines, décrypte une
A la différence des autres restau- travailleuse sociale de JobTrain,
rants du coin, le Rendez-vous Café association d’aide à la recherche
emploie presque uniquement des d’emploi financée par les géants de
personnes issues des minorités –et la tech. Aucune boîte ici n’a envie de
pas seulement au ménage des cuisi- se fatiguer à rémunérer des employés
nes. Ses bientôt 85 salariés bénéfi- au trop lourd déficit productif, ce
cient surtout d’une petite révolu- n’est pas rentable. Chez vous, c’est
tion pour les Etats-Unis, qui différent, l’Etat aide à combler ce
reprend les bases du contrat d’in- déficit.»
sertion à la française : pendant un En France, les prestations sociales
an (au lieu de deux en France), les couvrent effectivement des sesemployés se forment et travaillent sions de formation, et l’Etat appuie
en même temps, tout en étant payés le contrat d’insertion, à hauteur de
au-dessus du salaire minimum, lé- 9500 euros par personne et par an,
gèrement supérieur à 12 dollars de pour des salaires avoisinant soul’heure. Cette formule créée par vent le Smic. Alors comment Calso
l’entreprise sociale Calso ne ressem- parvient-il à combler ce déficit ?
ble à rien d’autre qu’un banal ap- «Nous comptions sur des événeprentissage. Mais elle «n’existait ments de sponsoring», explique Ni-
qui fonctionnent», explique Wallen- autocars aux vitres fumées avec
berg. Fort de ces premiers succès, wi-fi intégré –pour travailler– afin
Calso accélère le développement de les acheminer vers son siège de
d’une de ses nouvelles activités Mountain View, distant d’une cind’insertion qu’eBay et Google se quantaine de kilomètres. Et en fésont dits prêts à appuyer : le pilo- vrier, le maire de San Francisco, Edtage de drones par d’anciens sol- win Lee, a carrément fait déguerpir
dats, l’une des populations les plus les sans-abri de la ville en prévision
précarisées des Etats-Unis. Rien du Super Bowl, qui se tenait à Santa
qu’à San Francisco, on a dénombré Clara, une localité de la Silicon Valplus de 4 000 SDF vétérans.
ley à 70 km de là…
«Il y a clairement un attrait des en- Dans ce contexte de plus en plus
treprises de la tech pour investir tendu et alors que les actions de
dans le champ social», constate Co- protestation des laissés-pourlette Auerswald, profescompte de cette
OREGON
seure au département
ruée vers l’or
de santé publique à
technologique se
l’université de Bemultiplient, les
Sacramento NEVADA
rkeley. Cela doit
entreprises de la
San
faire un peu
tech califorFrancisco
ÉTATS-UNIS
grincer
des
nienne ont comdents en France,
pris
l’enjeu
Palo Alto
mais il est clair
d’image que reCALIFORNIE
que nous attenprésente cette
Océan
Pacifique
dons énormément
question sociale.
Los Angeles
du privé, à tous les
D’où la multiplicaMEXIQUE
niveaux. Or cette redistion d’actions sur le ter100 km
tribution doit être bien
rain, afin de contrer les acplus généreuse», insiste cette spécia- cusations de gentrification et
liste des rapports entre santé publi- d’explosion du coût de la vie qu’elles
que et inégalités sociales, pour qui ont engendrées.
les géants du Net «ont les moyens de «L’engouement des entreprises de
financer bien davantage».
tech pour le social fait naturellement
partie d’une stratégie qui consiste à
Ruée vers l’or
investir le terrain au moyen de “comL’enjeu est de préserver un mini- munity advisors” [«agents de termum de diversité dans une région rain», ndlr], à la manière d’une camoù l’explosion des installations de pagne électorale. Ils s’occupent ici de
start-up de la tech ces dix dernières soutenir un nouvel an chinois, là les
années a profondément remodelé le petits commerçants du coin, ou telle
paysage social. Pour se faire une idée ou telle manifestation. Exactement
de l’impact de cette ruée technologi- comme pour une campagne électoque sur l’écosystème résidentiel de rale», note Jeremy Wallenberg.
la région, la partie de la baie où se De son côté, le fondateur de Calso se
trouve le Rendez-vous Café est par défend d’entretenir un système qui
exemple devenue inaccessible aux consacre encore davantage la touteenseignants de la classe moyenne puissance de la tech. «J’essaie de
tant les loyers y ont grimpé. Les faire marcher un modèle inclusif,
Afro-Américains n’y représentent qui intègre les travailleurs dans un
plus que 5% de la population, contre écosystème, analyse Nicolas Hazard,
15% dans les années 70.
le nouveau «Frenchie» de la Silicon
A San Francisco même, les apparte- Valley. Entre les tensions autour des
ments les plus chers sont aujour- ressources naturelles et les inégalités
d’hui situés à proximité des «Google sociales, cette région du monde est
Stop», ces points de ramassage où évidemment flippante. Je veux
la multinationale embarque quoti- croire à une révolution qui vienne de
diennement ses employés dans des l’intérieur.» •
UTAH
Dans l’angle
mort de la
Silicon Valley
Envoyée spéciale à San Francisco
Photos DAMIEN MALONEY
u 17
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
colas Hazard. Mais après quelques
mois d’activité à peine, ce n’est plus
nécessaire en raison du succès remporté par l’activité de traiteur du
restaurant.
Contrairement aux autres modèles
économiques d’insertion sociale en
Californie, le Rendez-vous Café est
financièrement viable grâce aux revenus générés par sa large palette de
services de restauration. Un modèle
qui ne s’appuie pas sur des fonds
philanthropiques et se distingue de
celui d’un grand nombre d’organisations d’insertion ayant pignon sur
rue outre-Atlantique, mais dépendantes de financements privés de
charité –dont elles doivent renouveler les demandes chaque année.
C’est le cas de la très populaire Homeboys, au slogan «jobs, not jails»
(«des emplois, pas de la prison»),
créée en 1992 à Los Angeles. Ses locaux bondés dans le centre de
Los Angeles accueillent tous les matins jusqu’à 200 gros bras tatoués de
pied en cap, en grande majorité
d’ex-taulards latinos ayant frayé
avec des gangs, pour un débriefing
et une prière. Une boulangerie attenante présente les produits de la
maison. Alors que les franchises
Homeboys émergent progressivement, l’activité de boulangerie ne
génère que 25% du budget total de
Les entreprises
californiennes ont
compris l’enjeu
d’image. D’où la
multiplication de
leurs actions afin
de contrer les
accusations de
gentrification et
d’explosion du coût
de la vie qu’elles
ont engendrées.
l’organisation. Le reste dépend de
financements sociaux.
Rencontrer des entrepreneurs qui
portaient «un projet entièrement
viable ne dépendant pas de financements de charité [relevait d’une]
réelle innovation sociale», commente Amy Millington, directrice
de la eBay Foundation, partenaire
du Rendez-vous Café. Autre entreprise associée, Google a mis
600 000 dollars dans le capital du
restaurant, soit près du tiers du projet. A terme, les deux géants du Net
percevront des dividendes de leur
investissement. Le chiffre d’affaires
annuel escompté oscille entre
4 millions et 5 millions de dollars.
L’activité de traiteur du Rendezvous Café, qui s’étend désormais à
l’organisation de réceptions pour
les entreprises de la tech des environs, permet d’envisager les scénarios les plus optimistes. «On a même
cuisiné pour Hillary Clinton!» sourit
Say, Américano-Coréenne active en
fond de cuisine, où elle expérimente une sauce à base de cranberries, ces petites baies rouges que
chérissent particulièrement les
Américains. Deux mois plus tôt, un
buffet offert par la candidate démocrate afin de remercier 400 donateurs de sa campagne a ainsi été pris
en charge par les employés de
Calso. Preuve qu’en quelques mois,
l’entreprise s’est imposée dans le
paysage californien.
Table gastronomique
Nommé par le maire de San Francisco à la tête d’une commission qui
évalue les besoins des populations
en difficulté comme les seniors et
les handicapés, Jeremy Wallenberg
a récemment recommandé l’expertise de Calso à des associations afroaméricaines qui se lancent, elles
aussi, dans la restauration. Une table gastronomique est en cours
d’installation à Oakland, de l’autre
côté de la baie de San Francisco, et
c’est Calso qui a été choisi pour la
partie opérationnelle. L’ouverture
est prévue en 2017. «Nous manquons
de connaisseurs de l’entreprenariat
social aux Etats-Unis, c’est très clair.
Si les fonds d’investissement à impact social fleurissent, il est très rare
de croiser des entreprises sociales
Libération du jeudi 31 mars.
A l’intérieur du
Rendez-vous Café,
l’un des rares
établissements
californiens à
proposer des
contrats d’insertion.
deux femmes prennent un
verre et l’une d’elles a un bébé
à la main.
L’image est signée Damien
Maloney, photographe texan
qui a grandi en Arizona et vit
aujourd’hui à Oakland. Elle est
parue jeudi dans Libération, accompagnant un
article de Solène Chalvon consacré à la face
cachée de la Silicon Valley, aux loyers exorbitants, à tout ce qui exclut ceux qui ne sont pas
de l’eldorado numérique, et aux initiatives locales pour essayer de juguler le torrent de gentrification. Car voilà, ce bar, le Rendez-Vous
Café, est situé en Californie, à Redwood City
précisément, non loin du campus de Stanford,
des locaux de Facebook et d’Oracle, autant de
temples du monde «moderne», intelligent,
connecté et richissime.
L’établissement emploie du personnel en
contrat d’insertion. L’article cite ainsi des cas
de serveurs ou cuisiniers, quasiment tous issus
de minorités, pour qui le Rendez-Vous Café
a été salvateur. Les quelque 85 salariés profitent également de contrats de travail particulièrement attractifs et de salaires au-dessus du
minimum américain. Tout va bien.
Mais si cette image de Damien Maloney interpelle, c’est qu’elle peut se découper en plusieurs couches, plusieurs tranches de la Californie, Etat qui est à la fois une réalité et un
espace mental. «L’immense ciel délavé» de Joan
Didion, on ne le voit pas, si
ce n’est dans un petit cadre.
Comme si la voûte céleste californienne, autrefois matrice
à rêves, avait été remplacée par
des panneaux d’isolation grisâtres (de ceux qui rendent
neurasthéniques les collégiens et salariés du
monde entier) et des néons jaunâtres.
L’autre point saillant de cette photographie
de café, c’est que malgré l’ennui du lieu, tout
semble y être fait pour célébrer une convivialité: les petites plantes sur les tables, le tableau
noir crayonné de «Welcome» et de petits dessins, les notes de couleur sur le sol et le mur.
Tout cela ne rend qu’encore plus tristounet (et
désuet), la décontraction et la «coolitude de vivre» dont la Californie est synonyme. Et puis
il y a le mobilier, ces chaises blanches. Le modèle est présent dans le monde entier, mais il
vient du coin. Il a été créé dans les années 50
par le couple de designers Charles et Ray
Eames, qui dessinait une esthétique élitiste
destinée au plus grand nombre. La lumière est
forte, mais cette image est sombre, le signe
d’une Californie disparue, transformée en
quelque chose de dur, moche, cheap et, surtout, d’inégal socialement. Mais, comme certains businessmen y deviennent milliardaires
en peu de temps, qu’ils ont des baskets et qu’ils
sont jugés «cool», cette Californie fait toujours
rêver certains. •
REGARDER VOIR
L’AVENTURE DES DÉTAILS
Palais de Tokyo. Jusqu’au 16 mai.
L’EXPÉRIENCE DES SEUILS
Galerie Item. Jusqu’au 20 avril.
Série/ «Togetherness»,
40 ans toujours plus sots
Les frères Duplass jonglent avec les
codes du mumblecore, mouvance
fauchée du cinéma indé américain,
et manipulent à la perfection le comique des situations ridicules dans
ces mésaventures sentimentales,
amicales et existentielles de quatre
personnages (deux hommes et deux
femmes), au tournant délicat
de leur vie de quadras insatisfaits.
Du «presque rien» que les frères
Duplass manient à merveille.
TOGETHERNESS
de JAY DUPLASS, MARK DUPLASS
et STEVE ZISSIS Saisons 1 et 2.
Actuellement sur la chaîne OCS.
Jeu vidéo/ «SuperHot»,
temps mieux
Ce FPS (jeu de tir en vue subjective)
au design minimaliste décline
en 26 niveaux un concept fort : le
temps n’avance que si le joueur
bouge. Avec son design minimaliste
et son décor d’une blancheur immaculée, une simple vidéo suffit
pour donner envie de se jeter dans
ce stop motion balistique.
SUPERHOT par SUPERHOT TEAM
sur PC et Mac.
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
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u 35
Les goons,
sur les
traces
du rap
trash
A Brooklyn, berceau du mouvement goon, issu de la communauté juive new-yorkaise. PHOTO ALEX WEBB. MAGNUM POUR «LIBÉRATION»
Page 37 : On y croit / Pet Shop Boys
Page 38 : Cinq sur cinq / Les «side projects»
Page 40 : Casque t’écoutes ? / Manu Katché
36 u
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
Tous les goons sont dans
Necro (Ron Raphael Braunstein), un des pères fondateurs du mouvement goon avec son frère Ill Bill (William Braunstein) : «On puait tous la rue !» PHOTONECROHIPHOP.COM
Par
KARIM MADANI
Envoyé spécial à New York
J
anvier 2015. La nuit tombe sur Farragut Houses, une cité HLM en briques
brunes typique du parc social de
New York. Necro vient à peine de
terminer son clip Smooth Crimy, d’essence
purement goon. Des goons (terme anglais signifiant «voyou», mais aussi «imbécile»), il y
en a un paquet dans le quartier, venus boire
quelques bières maltées et fumer quelques
joints avec Necro. Des rappeurs juifs avec des
casiers judiciaires épais comme l’annuaire de
Brooklyn, ayant grandi dans des familles dysfonctionelles, tous étiquetés pour troubles
graves de l’apprentissage par les psys. Des
juifs et des Blancs qui feraient passer Eminem
pour une grenouille de bénitier, créateurs
d’une musique rap «hors norme», décomplexée et loin des clichés bling-bling.
Le style est apparu au milieu des années 80, à
Brooklyn. Un truc de bandes et de gangs, pour
survivre dans un environnement hostile, puis
rapidement les goons (plus proche du metal
que du rap à leurs débuts) trouvent dans la culture hip-hop une grosse caisse de résonance.
«Le mouvement goon est né dans ces HLM
Retour aux origines
d’un mouvement, né
chez les voyous juifs
de New York au
milieu des années 80,
qui essaime encore
aujourd’hui dans
le rap américain.
de Farragut à Coney Island, en passant par
Glenwood, explique Necro. A la base, c’était un
truc de voyous juifs, puis ça s’est propagé aux
Blancs déclassés, aux white trash.» Le rappeur
et son frère Ill Bill sont nés dans les années 70
dans ces HLM sinistres de Brooklyn. Leur père,
ex-gangster, a été expulsé d’Israël puis est venu
s’installer à New York. William Braunstein
(Ill Bill) et son frère Ron Raphael (Necro) sont
des dingues de metal. Necro pique son blase
dans une chanson de Slayer, Necrophobic. Très
vite, les deux frangins juifs se retrouvent coin-
cés dans une guerre entre les deux plus dangereux gangs noirs de Brooklyn des années 80,
les Infesticons et les Decepticons. «On a lâché
le metal pour le rap, et on s’est rapidement fait
un nom dans la rue, aussi bien pour nos rimes
que pour nos crimes», explique Ill Bill. Les premiers artistes goons ne se reconnaissent pas
dans le gangsta rap traditionnel, bastonné par
les majors et ultra-marketé au milieu des années 90. Pour le producteur The Alchemist,
qui a bossé avec pas mal de goons, ils étaient
inclassables: «Pas assez noirs pour le public
noir, pas assez blancs pour le public blanc, trop
juifs pour les radios!» Ils approchent quelques
labels (Tommy Boy, Jive, Elektra) mais sont
très vite classés «rappeurs alternatifs». «Ça
voulait dire quoi, alternatif? Blanc et chelou?
On puait tous la rue!» ricane Necro.
Comme on n’est jamais mieux servi que par
soi-même, les frangins unifient et structurent
le mouvement. Avec leur oncle, ils fondent
Uncle Howie Records en 1998 puis Psycho-Logical Records un an plus tard, qui produiront
une cinquantaine de disques suintant de psychose new-yorkaise. Les deux labels agrègent
une grosse fan base jusqu’à la décennie 2000,
créant une forte émulation dans leur sillage.
Là ou les gangsta rappeurs noirs «tradis» réclamaient à leurs producteurs des samples de
soul carbonisés ou des nappes de violons
grillées, les goons proposent déjà une production expérimentale, plus abstract, plus cloud,
quinze ans avant l’avènement de la cloud
music, basée exclusivement sur des beats
éthérés propices à la fumette. Une musique
qui pioche allègrement aussi dans les bandes
originales de film des seventies (Kubrick,
Peckinpah, Arthur Penn, Romero…)
«Raclures de bidet»
«J’étais en prison à Rikers Island [New York,
ndlr] quand j’ai été enrôlé dans le mouvement
goon. “Goon”, c’est un vieux terme qui désignait les raclures de bidet sans foi ni loi dans
les années 70, raconte Nems, un rappeur des
cités O’Dwyers, à Coney Island, arborant tatouages menaçants et un dentier grillagé d’or.
Y avait pas mal de racailles juives à Brooklyn,
mais le truc n’était pas communautaire. Ils se
sont unis pour survivre, parce qu’ils étaient
minoritaires dans des cités à 98 % noires et
portoricaines. Et les directeurs artistiques des
maisons de disques ont commencé à nous renifler le cul quand ils ont vu que nos concerts
étaient blindés.» Nems a vendu toutes sortes
de drogues dans ces HLM en briques qui donnent sur l’Atlantique, entre les petits malfrats
ukrainiens et les grands-mères juives qui soi-
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
u 37
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la nature
ON Y CROIT
sent aux rappeurs issus de cette scène. Necro
se vante d’ailleurs régulièrement d’avoir fait
son «premier million» avant 30 ans, non pas
avec l’argent de la dope mais avec celui de la
musique. Nems a été approché par Def Jam,
le label historique de Public Enemy et des
Beastie Boys. Il a refusé le deal, autant par
méfiance des majors que parce qu’il était sous
le coup d’un mandat d’arrêt dans l’Etat de
New York.
AQUILES TORRES
«Fusil a canon scié»
PEDRO FIUZA. DEMOTIWX. CORBIS
Nems, ex-taulard, tatouages et dentier en or.
Mac Miller, amphètes et nouvelle génération.
gnaient leurs varices en trempant leurs jambes dans les eaux glacées de l’océan. «C’est la
musique qui réunit les goons. Un rap de taré,
d’inadapté. Ni noir ni blanc. On est vraiment
entre deux mondes», lâche Nems.
Ces gangsta rappeurs juifs new-yorkais vont
chercher leur mythologie criminelle du côté
des légendes de la Yiddish Connection, Meyer
Lansky, Dutch Schultz ou Bugsy Siegel.
«Meyer Lansky a créé Murder Inc. dans les années 20, une entreprise de tueurs à gages qui
bossait même pour la mafia italienne», explique Gore Elohim, goon originel qui a grandi
avec les frères Braunstein avant de couper les
ponts, à cause d’une embrouille liée au succès
des premiers albums du label Psycho-Logical
Records. Sous le pseudo Goretex, il a connu
son heure de gloire en 2004 avec un disque
très dark, The Art of Dying, dans lequel il
dénonce pêle-mêle franc-maçonnerie, capitalisme et violence policière. «On a tourné
comme des dingues, le fric affluait, tout ça en
indépendants, et les tensions sont se fait sentir
dans le groupe», se souvient Gore, amer. Selon
lui, ce qui était à la base un délire de gang
s’éloigne de la musique pour se rapprocher du
business. Et Necro est un entrepreneur féroce.
Car, en ce début des années 2000, la musique
goon se porte bien. De gros labels s’intéres-
En 2015, Chris Palko (alias Cage), habitué des
hôpitaux psychiatriques, enregistrait quelques maquettes pour son nouvel album. Victime d’un père violent, Cage affiche des tendances suicidaires. Il a sauté dans le train
goon début 2000 et incarne sa deuxième génération, très portée sur la pop-rock dépressive britannique et la musique électronique:
«Un emo thug, c’est une raclure qui est en perpétuelle insécurité émotionnelle. Beaucoup de
goons appartiennent à cette catégorie. Mon
père avait l’habitude de nous menacer, ma
mère et moi, avec un fusil a canon scié.» Son
manager explique que chaque maison de disques voulait signer son goon. On cherchait le
prochain Eminem, même si tous les goons
vous assureront que le rappeur caucasien de
Detroit n’est pas un vrai goon. Cage a agressé
des types dans la rue et évité de justesse la prison, avant de tirer plus de seize mois à l’HP,
où il s’est porté volontaire pour un programme
sur les effets de la fluoxétine (Prozac) qui
l’a rendu suicidaire. Les titres de ses disques
(Hell’s Winter, Movies for the Blind…) donnent
un aperçu de son univers claustro.
Au milieu des années 2000, Necro et son frère
étaient toujours considérés comme les pères
fondateurs, mais personne n’a envie d’être enfermé dans un musée. Les goons ont essaimé
dans tout New York et même jusque dans les
villes les plus paumées des Etats-Unis, là
où spleen et dépression économique font bon
ménage, principalement grâce à la Toile et
aux réseaux sociaux, puisque la nouvelle
génération de goons n’aura plus besoin de labels pour faire connaître sa musique. Mais, à
partir de 2007, le mouvement goon orthodoxe
s’essouffle un peu. Il faudra attendre l’arrivée
fracassante en 2011 d’un jeune rappeur juif
camé aux amphètes, Mac Miller (qui s’est fait
connaître sur le Web), pour donner une
seconde jeunesse au mouvement.
Aujourd’hui, il est cool d’être goon, mais cette
étiquette se mérite. Certains essaient de surfer
sur la vague, mais «les vrais savent», comme
dit le dicton. «C’est pas comme chez les hipsters,
l’habit ne fait pas le moine», sourit Necro.
Mac Miller propose, sans pour autant sacrifier
les codes goons, une musique mainstream
bien dans l’air du temps, paumée et technologique, et les kids adorent. Kanye West l’a même
adoubé. Dans les labels, on s’arrache cette
nouvelle génération en jean slim, qui vendent
des disques et maîtrisent la communication
sur les réseaux sociaux: Tyler, The Creator et
sa clique de nerds, le mouvement Odd Future,
et évidemment Kendrick Lamar, rappeur à
succès de Compton, un des plus dangereux
ghettos de South LA, prototype du nouvel avatar goon. Les applis ont remplacé les Uzi, les
slims les baggys, mais le fond de l’air est toujours aussi pollué. •
Chris Lowe (56 ans) et Neil Tennant (61 ans). PHOTO PELLE CRÉPIN
Pet Shop Boys
le plein de «super»
Le duo britannique revient
avec une pop électronique
décomplexée, inspirée par
les sons des années 90.
«C
ombien de Pet Shop
Boys faut-il pour
changer une ampoule? Deux. Un qui
change l’ampoule, l’autre qui fait la
gueule.» Bien qu’éculée, la blague «officielle» du duo britannique fait toujours son
petit effet. Depuis 1981, le numéro de Neil
Tennant et Chris Lowe (qui ne sourit jamais
en public) ressemble à l’auguste et au clown
blanc de la techno pop. Révérés en Allemagne et au Royaume-Uni, les Pet Shop Boys
sont vaguement méprisés en France, où on
ne leur a jamais accordé le même statut que
New Order ou Depeche Mode, sans doute
parce qu’ils cultivent trop ce goût si british
du second degré et du détachement. Perpétuellement en équilibre instable, leur pop
électronique flamboyante flirte régulièrement avec le mauvais goût pur et simple.
Si l’alchimie de leurs productions réside
dans ce cocktail entre chansons doucesamères et hymnes pour clubs stéroïdés,
l’extraordinaire sens mélodique de Lowe et
la plume de Tennant, l’un des plus brillants
paroliers de la pop culture, font régulièrement mouche.
Douzième album studio, Super s’inscrit
dans la droite ligne d’Electric, son prédécesseur bodybuildé qui embrassait la culture club à pleine bouche, tout en se rappelant que, dans les années 80 et 90, le duo
était réputé pour la qualité de ses chansons électroniques (format couplet-refrain) aux textes brillants et à la mélancolie toujours présente. Super agit ainsi
comme une passerelle entre le «vieux» Pet
Shop Boys et le nouveau, prenant comme
point de référence thématique et musical
les années 90, époque de leur climax créatif (en particulier sur l’euphorique single
The Pop Kids). On surprend çà et là des
gimmicks qu’on n’avait pas entendus de-
PET SHOP BOYS
Super (x2/Kobalt/Pias)
puis vingt ans et des recyclages malins de
sonorités venues de la house qui donnent
au disque un sentiment global d’euphorie
et d’hédonisme débridé. Décomplexé,
nostalgique, enjoué, spirituel (on n’avait
encore jamais dansé sur les états d’âme
d’un dictateur, comme sur ce The Dictator
Decides) et toujours vaguement triste en
même temps, ce Super très réussi apporte
une forte dose d’intelligence à la pop
music. Ça fait du bien.
BENOÎT CARRETIER
Vous aimerez aussi
DUSTY SPRINGFIELD
Faithful (2015)
L’album perdu de la plus grande
voix de la soul blanche anglaise,
récemment réédité. Une influence
majeure de Tennant et Lowe.
THE FLIRTS
Passion (1982)
La HI-NRG new-yorkaise dans toute
sa grandeur, entre pop, dance et
électronique un peu cheap. Une
création de Bobby O, premier
producteur des Pet Shop Boys.
ÉTIENNE DAHO
Corps & armes (2000)
Le cousin français. Même finesse,
même détachement, le cynisme en
moins, quelques guitares en plus.
38 u
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
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PLAYLIST
KCPK
Who Wants It
Jusque-là plutôt labellisé «electrodark-punk», le trio parisien se lance
dans une exploration hip-hop avec
le réputé rappeur de Philadelphie
STS. Energique, tout en restant
inventif, le virage est réussi.
Pas de sortie de route à l’horizon.
CASSIUS
Action
Cinq ans après leur dernière
apparition discographique,
le duo Zdar-Boombass crée un
formidable millefeuille sonore
pop funky rétrofuturiste. Avec la
participation de Mike D (Beastie
Boys) et Cat Power. Beau casting.
les noms de Dntel ou Figurine. Leur
unique album, Give Up, mêle à merveille écriture pop classique et arrangements électroniques ambitieux. Le second, évoqué en 2007,
ne verra jamais le jour, et le duo restera mutique jusqu’à une série de
concerts en 2013, accompagnés de
deux nouveaux titres pour célébrer
les 10 ans de Give Up, devenu mythique entre-temps. A en croire Ben
Gibbard, pourtant, ces concerts
étaient les derniers.
CINQ SUR CINQ
Alex Turner (à droite), du groupe Arctic Monkeys, a lancé The Last Shadow Puppets avec Miles Kane (à gauche). PHOTO ZACKERY MICHAEL
Bingo le hobby
Les projets
parallèles
d’artistes
font parfois
de l’ombre
à l’original.
C
e n’est pas toujours
marrant, la vie d’artiste. Il y a les hauts,
les bas, les moments
où l’on a besoin de prendre du
champ ou du recul pour se réinventer. C’est à ça que servent les side
projects, littéralement les «projets à
côté», équivalents en musique du
spin-off dans les séries télé. Souvent,
cela prend la forme d’un album solo
d’un des musiciens du groupe, mais
parfois l’histoire est plus complexe…
1
XTC
The Dukes
of Stratosphear
L’aventure de The Dukes of
Stratosphear et de XTC est un peu
l’équivalent musical de Romain
Gary et Emile Ajar. Au mitan des
années 80, les Britanniques de XTC,
dont la carrière avait décollé avec le
tube Making Plans for Nigel, ont
échoué à devenir un groupe de new
wave populaire. Leurs deux derniers albums, Mummer (1983) et
The Big Express (1984), sont des
flops. Pour se changer les idées, ils
enregistrent quelques chansons en
pastichant leurs influences dans le
plus pur style psychédélique. En
ayant pris soin de se cacher derrière
des pseudonymes, ils sortent ces titres en 1985 sous le nom The Dukes
of Stratosphear. Le succès immédiat
de 25 O’Clock va relancer la carrière
de XTC, que son label était prêt à lâcher. La légende prétend que cer-
tains critiques ont été convaincus
d’écouter la réédition d’un disque
oublié des années 60. Un second
Dukes of Stratosphear sortira même
en 1987.
2
The Stranglers
The Purple Helmets
Les hommes en noir de
The Stranglers («les étrangleurs»)
ont toujours eu une réputation un
peu lourde à porter. Consommation d’héroïne, concerts qui
virent à l’émeute, galères à répétition ou concept album baptisé
la Folie… ces garçons n’ont jamais
été là pour rigoler. Sauf quand,
pour se détendre, trois de ses membres, le bassiste (et chanteur) d’origine française Jean-Jacques
Burnel, le guitariste John Ellis et le
clavier Dave Greenfield, forment
The Purple Helmets pour jouer
discrètement dans les bars des
reprises des Kinks, des Who ou des
classiques blues et garage. Après
une série de concerts, notamment
aux Transmusicales de Rennes
en 1986 (où les rejoint Laurent
Sinclair, ancien de Taxi Girl), deux
albums sortiront, en 1988 (chez
New Rose, toute une époque) et
en 1989.
3
Death Cab for Cutie
The Postal Service
En 2018, le premier album
du quatuor indie-rock américain
Death Cab for Cutie fêtera ses
20 ans. De ce côté-ci de l’Atlantique,
on voit le groupe de Ben Gibbard
comme gentillet et ultraclassique,
mais, sur l’autre rive, Death Cab est
une institution. Pourtant, Ben Gibbard a fait plus intéressant dans sa
carrière.
Au début des années 2000, il crée
The Postal Service avec Jimmy
Tamborello, connu pour quelques
excellents disques electro-pop sous
4
Radiohead
Atoms for Peace
5
Arctic Monkeys
The Last
Shadow Puppets
C’est à un mélange de
«supergroupe» et de side project,
deux amusants passe-temps de
l’industrie de la musique, qu’on a
ici affaire. Atoms for Peace,
composé de Tom Yorke, de Radiohead, du bassiste de Red Hot Chili
Peppers, Flea, du producteur Nigel
Godrich, du batteur de R.E.M.
Joey Waronker et du percussionniste Mauro Refosco, n’a été monté
en 2009 que pour permettre à
Tom Yorke de jouer live les
morceaux de son album solo
The Eraser (2006).
Pourtant, Atom for Peace deviendra un vrai groupe en 2013 avec
l’album Amok, né d’expérimentations électroniques de Tom Yorke
retravaillées en groupe. Le chanteur de Radiohead y semble plus
libre que jamais, et une luminosité
inédite transperce une série de
morceaux plongés dans une transe
électronique salvatrice. Bientôt la
suite ?
En 2008, Alex Turner, l’idole des
jeunes Anglaises, se remet à peine
du triomphe du deuxième album
de son groupe Arctic Monkeys et
annonce la naissance d’un projet
avec Miles Kane, leader des moins
prestigieux Rascals. The Last
Shadow Puppets est né et ajoute à
ses rangs le producteur James
Ford, moitié du duo électronique
Simian Mobile Disco et faiseur de
miracles pop (Florence and the Machine, Haim…).
Le premier album, The Age of the
Understatement, cavalcade poprock ébouriffante richement arrangée par le violoniste Owen Pallett, bénéficie d’un culte certain
aujourd’hui. Attendue par de
nombreux fans, la suite, dans la
même veine lyrique qui faisait le
sel du précédent, s’appelle Everything You’ve Come to Expect. Elle
vient de sortir. Pour le même
succès ?
ALEXIS BERNIER
et FRANÇOIS BLANC
u 39
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
DMX KREW
You Can’t Hide Your Love (Aphex Twin Mix)
Compagnon de route d’Aphex Twin sur
le label Rephlex, DMX Krew creuse depuis
vingt ans le sillon electro, entre virulence,
beats tordus, naïveté, italo-disco et
sonorités Bontempi. Extrait d’un coffret
de douze maxis, ce remix, dans une veine
chanson tordue, n’a pas pris une ride.
RENDEZ-VOUS
Distance
Un tube potentiel extrait du deuxième
EP de quatre jeunes Parisiens énervés
et triplement hantés par les années 80,
puisque gothique, indus et hardcore
en même temps. Le clip, quatre
minutes de bagarre de rue à poings
nus, fait aussi son petit effet viral.
HISTOIRE DE POCHETTE
KEREN ANN
Insensible World
C’est quand ses instrumentations
se font les plus douces possible
que Keren Ann parvient à nous faire
frissonner, comme sur cette ballade
amère superbement arrangée qui fait
partie des plus belles chansons
entendues en ce début 2016.
Retrouvez cette playlist
sur Libération.fr
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Tsugi radio
LA DÉCOUVERTE
Yeasayer leurres
de gloire
La rencontre
Le groupe
Sculpteur québécois, David Altmejd s’est imposé comme une évidence pour Chris Keating,
l’un des deux chanteurs de Yeasayer: «Quand
j’ai découvert ses expositions, j’ai senti que son
travail graphique ressemblait au son auquel
j’aspire avec notre musique.» Autour d’un café,
il lui propose de créer l’identité visuelle de leur
futur album. Une offre que le sculpteur juge
d’abord «trop graphique», avant de soumettre
quelques idées: «Je pense dans l’espace, explique David Altmejd, et j’ai donc suggéré de réaliser des objets, que je prendrai ensuite en
photo. Et nous avons considéré que cela aurait
plus d’impact si ces créations étaient directement issues de l’univers musical de Yeasayer.»
Durant l’été 2014, Yeasayer enregistrait Amen & Goodbye loin de
New York, lorsque David Altmejd leur a envoyé des sculptures de leurs visages, incrustées
de cristaux. Chris Keating se
souvient ainsi avoir reçu «une
boîte avec trois masques, des portraits sévères, qu’il avait créés
afin que l’on puisse s’en inspirer».
Des œuvres que l’on retrouve au
dos de la pochette et que le
groupe posa dans le studio pour
qu’elles les surveillent durant le
reste des sessions.
DR
Avec «Amen & Goodbye», leur quatrième album, les New-Yorkais
poursuivent l’exploration d’un univers art-pop foisonnant.
Une rencontre, tant musicale que graphique, entre personnages
contemporains et figures mythologiques.
Na’am élégance
dans l’âme
D
ans notre pays, ces derniers
temps, la musique électronique pour danser semble
coupée en deux. D’un côté,
les producteurs qui se baladent sur l’autoroute du beat en tapant vite et fort et, de
l’autre, ceux, plus tranquilles, qui empruntent des chemins de traverse en misant sur
la mélodie. Une bonne idée, sauf que la
plupart du temps, c’est pour nous servir
des cascades de sax bien gerbantes mixées
à des nappes synthétiques dégoulinantes.
Heureusement, cette «deep soupe» n’est
pas servie par tout le monde. Exemple
avec le duo toulousain Na’am, dont le premier EP, Alyah, sorti en février sur le petit
(mais brillant) label Canal auditif, séduit
par sa propension à faire danser, grâce évidemment à un rythme plutôt enlevé, mihouse, mi-techno, mais aussi par ses élé-
gantes ambiances mélodiques. Tout en
s’autorisant à l’occasion quelques dissonances, comme sur Targa, leur titre le plus
aventureux. Mais à 20 ans à peine, on peut
tout se permettre, et même glisser dans ses
compositions quelques petits clins d’œil
«world music» sans qu’on puisse y voir le
signe d’un exotisme de pacotille. Normal,
puisque Pierre-Loys Joubert et Mehdi
Zaim se sont rencontrés enfants au Maroc,
avant de lancer leur projet un plus tard
lorsqu’ils sont venus étudier en France.
Si alyah signifie «éveil spirituel» en arabe,
c’est avant tout musicalement que l’on a
été secoué par leur spiritualité. Pour
l’ouverture des chakras, on attendra le
prochain EP.
PATRICE BARDOT
NA’AM Alyah (Canal auditif).
LE MOT
Test pressing
YEASAYER Amen & Goodbye (Mute/Pias)
Les inspirations
Une fois le mode opératoire défini, le groupe
a transmis «une liste d’une trentaine de noms
et des inspirations, comme le Jardin des délices de Jérôme Bosch ou le Sgt. Pepper’s des
Beatles», se souvient Chris Keating. L’intrigant résultat, tel un tableau vivant, associant
sculptures, acteurs et images digitales, a été
avant tout pensé pour le format vinyle. En le
dépliant, il forme une sorte de fresque babylonienne dans laquelle on retrouve un mélange
de l’univers de Yeasayer et des obsessions du
sculpteur liées à la société et à la politique
américaine. La tête de Donald Trump flottant
dans les airs, l’actrice Rosie O’Donnell ou encore l’ancien champion de décathlon Caitlyn
Jenner. Et, dans un style proche de l’univers
art-pop du groupe, on retrouve, au centre de
la fresque, un poster de Yayslayer (un groupe
inventé, contraction de Slayer et Yeasayer),
dans lequel Chris Keating voit «un moyen de
montrer que l’art n’a pas besoin d’être tout le
temps si sérieux, il peut y avoir des pointes
d’humour».
VALENTIN ALLAIN
L
es deux font la
paire. Après
avoir récemment traité
dans cette rubrique du cas
«white label» (lire Libération des 12 et 13 mars), il
était logique de décrypter
aujourd’hui «test pressing». Pourquoi logique ?
Parce qu’ils font tous deux
partie de ce type de vinyles
pour lesquels les collectionneurs sont prêts à s’entretuer. Tout comme le
white label, le test pressing
est souvent dépourvu d’indication au niveau de sa
rondelle centrale. En revanche, le test pressing
n’est pas censé avoir une
circulation publique ou
même promotionnelle.
Son utilité est purement
technique: tester la bonne
qualité de la duplication
des disques. Il peut donc
exister plusieurs test pressings d’un même album.
En plus, certains peuvent
comporter des titres qui ne
figureront pas dans la version finale. C’est par exemple le cas du test pressing
du premier album du Velvet Underground & Nico,
estimé à 25 000 dollars
(plus de 22 000 euros). Une
paille par rapport à celui
de Caustic Window
d’Aphex Twin (1994),
vendu sur eBay à plus
de 46 000 dollars (près
de 41 000 euros). Mais
cette légende de la musique électronique avait
sorti cet album en seulement dix exemplaires qui
étaient autant de test pressings. Il en posséderait luimême quatre. De quoi assurer ses vieux jours en cas
de besoin.
P.B.
40 u
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
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LE BOUQUIN
Mémoires de Ramone
Par quel miracle les Ramones, entre galères, drogues,
alcool et troubles mentaux
ont-ils pu durer vingt ans ?
Si l’autobiographie de Marky
Ramone, arrivé
à la batterie pour l’enregistrement
du quatrième album du quatuor, ne
répond pas à la question, Punk Rock
Blitzkrieg reste un document d’une
honnêteté et d’une modestie rares
sur la naissance et l’essor de la scène
new-yorkaise à la fin des années 70.
Une plongée dans le quotidien du
plus grand groupe punk rock américain, des traversées du pays en bus
aux tournées internationales, en
passant par les sessions avec le très
fêlé Phil Spector. Captivant.
CASQUE T’ÉCOUTES ?
Manu Katché
Batteur
incontournable
«Avec Peter Gabriel,
face à 300 000 personnes»
S’
il y a un batteur dont on
connaît le
nom, c’est bien
celui-là. De Peter Gabriel à Sting
en passant par les Gipsy Kings ou
le jazzman norvégien Jan Garbarek, avec qui il collabore activement, Manu Katché a joué avec
les plus grands. Entouré de ses
amis musiciens, il sera à l’Olympia le 7 avril.
Quel est le premier disque que
vous avez acheté adolescent
avec votre propre argent ?
Atom Heart Mother, Pink Floyd.
J’avais été interpellé par la pochette [une vache, ndlr], je devais
avoir une douzaine d’années, et
à cette époque, j’écoutais beaucoup les Flyod, qui permettaient
de voyager et ce, sans substances
artificielles…
Votre moyen préféré pour
écouter de la musique : MP3,
autoradio, platine CD, vinyle?
Platine CD et platine vinyle.
Le dernier disque que vous
avez acheté, et sous quel
format ?
Kind of Blue, Miles Davis, en
vinyle.
Un disque fétiche pour bien
débuter la journée ?
Aucun rituel, mais je débute souvent mes journées avec des mélodies qui tournent dans ma tête,
et qui parfois sont tellement
présentes que cela en devient
pénible.
SES TITRES FÉTICHES
MARVIN GAYE
Mercy Mercy Me (1971)
MICHAEL JACKSON
Remember the Time (1991)
JAMES TAYLOR
You’ve Got a Friend (1971)
Manu Katché, 57 ans. PHOTO ETIENNE DE VILLARS
La chanson que vous avez
honte d’écouter avec plaisir ?
Marylin et John, Vanessa Paradis.
Ce n’est pas du tout la «honte»,
mais ce titre fait plutôt partie de
la variété française, que j’écoute
peu. J’ai trouvé immédiatement
l’arrangement et la mélodie super
catchy.
Le disque que tout le monde
aime et que vous détestez ?
James Blunt. Assez commun,
peu de personnalité vocale, idem
pour les arrangements et la production, et les chansons ne sont
pas très profondes! Je ne suis pas
touché, tout simplement.
Le disque pour survivre sur
une île déserte ?
Journey Through the Secret Life
of Plants, Stevie Wonder. Il m’accompagne partout, une richesse
musicale unique et originale. Bi-
zarrement, cet album a été démonté par la presse à sa sortie…
Dommage ! Une ode à la nature,
alors sur une île déserte, c’est totalement cohérent.
Quel disque avez-vous envie
d’encadrer chez vous comme
une œuvre d’art ?
Beaucoup de ceux édités par le
label Blue Note, mais je choisis
Quartet/Quintet/Sextet, Lou
Donaldson.
Préférez-vous les disques ou
la musique live ?
L’émotion n’est pas la même,
«profonde» à l’écoute en solitaire,
«exacerbée» entouré d’un public
en concert !
Savez-vous ce qu’est le drone
metal ?
Je vais chercher sur le Net, pour
«faire genre» dans les soirées
branchées.
Votre plus beau souvenir de
concert ?
Il y en a deux. Le premier, dans
les années 80, un concert de Paul
Simon au Théâtre des ChampsElysées, entouré des plus grands
musiciens du moment (Richard
Tee, Steve Gadd, Eric Gale…), le
souvenir est toujours époustouflant. Le deuxième, avec Peter
Gabriel, avec lequel je jouais
en 1994 à Woodstock (seconde
édition), face à 300 000 personnes. Intense et exceptionnel.
Allez-vous en club pour danser, draguer, écouter de la musique sur un bon sound system ou n’allez-vous jamais en
club ?
J’adore aller dans les clubs pour
danser! Evidemment si la musique me plaît, sinon, ça peut vraiment tourner au cauchemar…
Quel est le disque que vous
partagez avec la personne qui
vous accompagne dans la vie?
You’ve Got a Friend, James
Taylor.
Le morceau qui vous rend fou
de rage ?
Il y en a tellement, les citer
tous ne tiendrait pas dans ce
quotidien…
Le dernier disque que vous
avez écouté en boucle ?
Continuum, John Mayer. Tout ce
que j’aime d’un artiste «pop», une
superbe voix, des grooves à tomber, un super jeu de guitare, un
son «rock» actuel et une production classe !
Le groupe dont vous auriez
aimé faire partie ?
Les Beatles. Le groupe pop par
définition !
Le morceau de musique qui
vous fait toujours pleurer ?
Fragile, Sting.
Recueilli par
JACQUES DRUJON
MARKY RAMONE
Punk Rock Blitzkrieg,
ma vie chez les Ramones,
Rivages Rouge, 400 pp., 24 €.
L’AGENDA
2-8 avril
n Aux côtés des Chet Faker,
Flume ou encore du tricolore
Fakear, le duo de Seattle Odesza
(photo) compte parmi le gratin
des artistes électroniques qui
n’hésitent pas à composer des
hymnes (très) pop dans le but de
faire danser. Enfin surtout les
jeunes. Et les filles de préférence.
Nouveaux groupes à minettes ?
(Le 2 avril à l’Olympia, 75009.)
n Qu’est-ce que l’on peut faire
un dimanche après-midi à Lyon?
Aller au parc de la Tête-d’Or
mater trois singes pelés et deux
boas en cloque. Pas notre genre.
On préfère prendre la direction
de la banlieue Nord pour remuer
la tête et les jambes au son
de la techno indestructible
de Len Faki (photo). Mais on sera
de retour pour Stade 2, promis.
(Le 3 avril à Villeurbanne, Rhône.)
n Leur nom est un clin d’œil au
Pôle Emploi britannique, dont
un formulaire se nomme
également UB40. Mais, depuis
leur formation en 1978 et la
pléiade de hits qu’ils ont alignés,
de Food for Thought à Kingston
Town en passant par Red Red
Wine, le groupe de Birmingham
n’a pas eu besoin de pointer
au chômage. Jusqu’à aujourd’hui
en tout cas. (Le 5 avril
à Sausheim, Haut-Rhin.)
PHOTOS TONJE THILESEN. DR
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
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u 41
Annie Ernaux, à Cergy (Val-d’Oise), le 23 mars.
44 : «Des psychanalystes en séance» / Vignettes de cure
45 : Sylvie Germain / Humus et métamorphoses
48 : Delfeil de Ton et «Hara-Kiri» / «Comment ça s’écrit»
Recueilli par
CLAIRE DEVARRIEUX
Photo EMMANUEL BOVET
A
nnie Ernaux fête
ses 18 ans le 1er septembre 1958, mousseux, boudoirs et
Chamonix orange. Dans la petite
ville de S, elle est la plus jeune monitrice de la colonie de vacances, et
la seule à sortir d’une institution religieuse. Elle s’apprête à entrer en
terminale dans un lycée de Rouen.
Ensuite, une erreur d’aiguillage et
«une volonté malheureuse» l’enverront à l’Ecole normale. Mais elle ne
sera pas institutrice, et s’inscrira à
l’université à l’automne 1960, après
un séjour au pair
Suite page 42
«L’écriture,
une aventure
de l’être»
Rencontre avec
Annie Ernaux
42 u
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Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
LIVRES/À LA UNE
«L’écriture,
une aventure
de l’être»
en Angleterre. Mémoire de fille accompagne
celle qui s’appelle encore Annie Duchesne de 1958 à 1960, de part et
d’autre de l’été à la colonie. Ce sont
«deux années de boulimie, de détresse, à cause des hommes», a-t-elle
noté dans Se perdre (2001), le journal de Passion simple. Deux années
qu’elle a transposées dans Ce qu’ils
disent ou rien (1977).
Mémoire de fille affronte pour la
première fois les événements
de «58», code secret du projet impossible – impossible à affronter,
impossible à écrire, ce cheminement faisant partie du récit. Il le
leste, et il l’allège, selon la mystérieuse alchimie qu’Annie Ernaux
pratique. Cet été-là, c’est la première fois que la jeune fille quitte
ses parents, la première fois qu’un
homme – il s’agit de «H, le moniteur-chef»– la choisit, et l’emmène
dans sa chambre. «Elle n’a pas le
temps de s’habituer à sa nudité entière, son corps d’homme nu, elle
sent aussitôt l’énormité et la rigidité
du membre qu’il pousse entre ses
cuisses. Il force. Elle a mal. Elle dit
qu’elle est vierge, comme une défense
ou une explication. Elle crie. Il la
houspille: “J’aimerais mieux que tu
jouisses, plutôt que tu gueules!” Elle
voudrait être ailleurs mais elle ne
part pas.» Il n’y aura qu’une seule
autre nuit avec H. Techniquement,
elle est toujours vierge, mais «elle
décide qu’il l’a déflorée même s’il ne
l’a pas pénétrée».
Comme toujours dans les récits
d’Annie Ernaux, la honte est originelle, la honte va l’emporter. Mais
pas dans ces moments de S où elle
s’enivre de liberté. «Depuis H il lui
faut un corps d’homme contre elle,
des mains, un sexe dressé. L’érection
consolatrice.» Même lorsqu’elle devient «un objet de mépris et de dérision» pour les autres moniteurs, elle
est encore prise «dans le bonheur du
groupe». Elle a écrit une lettre sentimentale à sa meilleure amie, où elle
évoque son amour pour H. Le cuisinier a trouvé le brouillon dans
la poubelle, il l’a affiché, tout le
monde se moque d’elle. La honte
s’abattra plus tard. Elle ne mange
plus ou mange tout le temps, n’a
plus ses règles pendant deux ans.
«C’est une autre honte que celle
d’être fille d’épiciers-cafetiers. C’est
la honte de la fierté d’avoir été un objet de désir. D’avoir considéré comme
une conquête de la liberté sa vie à la
colonie. […] Honte des rires et du
mépris des autres. C’est une honte de
fille.»
Tantôt «je», tantôt «elle», Annie Ernaux tend la main à Annie Duchesne: «La fille de la photo est une
étrangère qui m’a légué sa méSuite de la page 41
moire.» Elle parvient à la rejoindre:
«Il me semble que j’ai désincarcéré la
fille de 58, cassé le sortilège qui la retenait prisonnière depuis plus de
cinquante ans dans cette vieille bâtisse majestueuse longée par l’Orne,
pleine d’enfants qui chantaient C’est
nous la bande des enfants de l’été.»
L’entretien a lieu chez elle, Annie
Ernaux est parfaitement détendue,
et rit souvent.
Vous arrive-t-il, par souci de véracité, d’inventer un détail, la
couleur d’un manteau ?
Non. Si je ne me souviens pas, je
n’en parle pas. La couleur des vêtements, des robes, tout cela est absolument juste. Alors pourquoi, quel
scrupule… J’ai besoin de ça. Tout au
début, quand j’ai commencé
d’écrire, je ne parle même pas du
texte qui n’a pas été publié, mais des
Armoires vides, je n’ai pas respecté
l’exacte vérité, quelquefois il y avait
un désir de rajouter des détails. Le
tournant, pour moi, c’est le livre sur
mon père, la Place, et le choix de la
mémoire.
La vérité ne naît-elle pas du
récit ?
C’est une vérité qui, au fur et à mesure du récit, se dégage. Ce n’est pas
le récit qui m’intéresse, c’est ce que
contiennent toutes les images du
souvenir. C’est une exploration. Je
ne cherche pas une interprétation,
je tâche de saisir les choses. Je veux
me situer dans la mémoire d’un présent sans avenir.
Avez-vous conscience que votre
biographe, plus tard, ira vérifier
qu’il y avait bien un magasin
Eram à Rouen ?
Oui. Rue du Gros-Horloge !
Votre professeur de philosophie
ne s’appelait-elle pas Janine plutôt que Jeanne Berthier ?
Je suis à peu près certaine. On peut
vérifier tout de suite dans mon livret scolaire [il est immédiatement
accessible, rangé dans le secrétaire
du salon, tiroir du haut, ndlr]. Les
professeurs ne donnent pas leur
prénom. Elle signe J. Bertier. Est-ce
que je l’ai bien écrit ? Aïe, j’ai mis
un h.
Est-ce qu’on découvre, en écrivant, des choses qu’on avait
oubliées ?
Ce n’est pas la mémoire, mais l’écriture qui compte. C’est ce qu’on fait
avec les images de la mémoire. Elles
sont là, mais c’est la main qui tient
la plume qui va les faire exister. Ces
images, sans doute sont-elles fixées
depuis longtemps. Je pense qu’il y a
quelque chose qui est perdu définitivement. Il y a les enchaînements
qui sont perdus, entre les images.
On n’écrit pas pour les retrouver?
Non. L’image est là, elle existe, mais
à l’état de latence. Avant d’écrire, j’ai
l’impression qu’elle n’existe pas.
Elle naît de l’ordre des mots choisis,
c’est du travail, mais pas du travail
stylistique, il s’agit de l’accord entre
la chose ressentie et les mots. C’est
pour tout le monde pareil, cet accord à trouver qui me permette de
penser: c’est ça. C’est le sentiment
que j’ai éprouvé en écrivant la première nuit avec H, d’être allée au
bout des possibilités de dire ce que
c’était. Je ne l’avais jamais fait, je
n’avais jamais écrit cette nuit. Je
suis allée au bout, et après, je n’ai
rien changé. Chaque phrase est cet
ajustement des mots et de la sensation. L’image n’existe pas pour moi
sans sensation. C’est normal. Il n’y
a pas de mémoire sans sensation.
On retient les choses qui vous ont
impressionné. C’est ce qui permet
ensuite à la mémoire de les retrouver. Mais moi, je fais la démarche
inverse. Puisque j’ai cette image, je
cherche quelle a été la sensation,
que je vais traduire par les mots.
Avez-vous relu Ce qu’ils disent
ou rien ?
Non. J’ai laissé de côté ce récit –ce
roman – d’il y a trente ans. Je ne
pouvais pas dire les choses, à cette
époque-là. Je venais de publier
les Armoires vides, j’avais commencé d’écrire la Place, mais j’étais
bloquée. Il fallait que j’écrive très
vite un autre livre pour me sentir à
peu près bien. Je suis partie sur
l’été, la rencontre amoureuse, mais
en transformant. C’est le monologue de quelqu’un d’autre.
Vous terminiez Se perdre (2001)
par l’expression : «Ce besoin
d’écrire quelque chose de dangereux pour moi…» C’est toujours
le cas ?
L’écriture, si elle n’est pas une aventure, une aventure de l’être, un engagement, c’est rien. Si on ne pense
pas qu’on peut mourir après, ça ne
vaut pas le coup d’écrire.
Vous avez souvent parlé de «58»,
comme d’un moment terrible,
jamais élucidé.
C’est quelque chose de fermé, de
nodal. J’y reviens aussi dans l’Atelier noir [journal d’écriture, Editions
des Busclats, 2011], c’est très présent, je me demande à quel moment
je vais l’écrire. C’est un projet ancien. Ce qu’ils disent ou rien est nul
et non avenu pour ce qui est de la
réalité, de la recherche. Je n’irai jamais plus au bout que dans ce livre-là, Mémoire de fille. Je me prenais souvent à dire: je n’y arriverai
pas. Parce qu’il y a trop de choses
qui touchent la sexualité, dans sa
nudité, dans son animalité, dans
son, comme disait Breton, «noyau
de nuit». Et puis cette microsociété,
entre jeunes, l’importance que ça a
quand on est adolescente.
Comment est-elle, cette fille
de 1958 ?
Il y a des tas de choses que j’ai découvertes en écrivant. Je ne suis jamais sortie de mon trou. Je n’ai jamais quitté mes parents. Se dire ça
comme ça. Je n’ai jamais passé une
nuit avec quelqu’un que je ne
connais pas, dans un endroit nouveau. Ce sont des choses que je
n’avais pas perçues jusqu’à présent.
C’est important, cette scène où je
suis avec ma mère sur le quai de la
gare de S. Quels sont les sentiments,
c’est très facile à retrouver : je voulais foutre le camp, et qu’elle me
laisse tranquille. Elle n’a pas eu de
train le soir? Qu’est-ce que j’en ai à
faire! Dans ce lieu, je/elle n’a pas de
culpabilité. Quand les parents viennent me voir, avec mon oncle et
ma tante, que je n’ai pas vus depuis
plus d’un mois,
et débarquent
dans la 4 CV,
c’est comme si
je ne les avais
pas vus depuis
dix ans.
A la fin du livre,
je pars en Angleterre. C’est
une scène symétrique avec
la précédente,
ma mère veut
m ’a c c o m p a gner – une fois
de plus – jusqu’au bateau,
mais c’est interdit, et c’est le
sentiment inverse, le chagrin
de la séparation. C’est en écrivant que je le découvre. Je ne démontre pas. Ce n’est
pas une histoire écrite à l’avance.
C’est l’écriture qui fait exister vraiment les choses, qui les sauve,
aussi. C’était important de sauver
ma perte, ces deux ans assez horribles. Tout passe par le corps, l’envie
de manger, la boulimie, qui conduit
à voler des bonbons dans le placard
des gamines, et puis l’aménorrhée,
qui est une exclusion du féminin.
C’est le corps sans âge. Et de se dire
que peut-être ça ne reviendra jamais, je serai peut-être toute ma vie
boulimique – le mot, je ne le connais pas. Est-ce que je serai toujours
une fille qui se goinfre, et une fille
qui ne voit jamais le sang. Il faut vivre avec ça. Et puis il faut penser à
un métier. Et puis ça va durer longtemps, parce que j’ai 18 ans, parce
que j’ai 19 ans, et la vie qui est devant moi ne m’intéresse pas.
Ce sont des années blanches. Il fallait les sauver. D’être écrites, de
m’avoir traversée, elles se dissolvent
«Ma force est la
question centrale:
d’où me vient qu’il
n’y ait pas de
honte? Est-ce le fait
d’avoir été jusquelà complètement à
l’écart des garçons?
Je ne connais rien à
ce qu’on appellerait
maintenant
la domination
masculine.»
Annie Ernaux, été 1959. Dans Mémoire
dans ces consciences dont j’imagine
qu’elles peuvent me lire. Du moins
que ce temps-là ne soit pas perdu.
Que ces deux années n’aient pas
disparu, qu’elles existent, avec le
monde autour, ces années 50. Je ne
cherche pas du tout à faire revivre
d
u 43
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
ANNIE
ERNAUX
MÉMOIRE
DE FILLE
Gallimard,
152 pp., 15 €.
de fille, elle décrit cette photo et se compare à une «poupée de foire posée sur un lit de galets». PHOTO DR
une époque, mais les détails sont là,
dont il faut bien parler.
Il y a des chansons, notamment
celle de Dalida…
C’est mon roman, la chanson. Mon
histoire, c’est l’histoire d’un amour
donnait du sens à ce que je vivais
alors, un sens collectif. Comme la
vérité du monde. La vérité du
monde, c’est l’amour. Je me jette
alors sur l’amour, sur l’idée de
l’amour, comme une affamée, en refusant de voir la réalité, en la voyant
quand même. C’est vouloir se per-
dre. Pas seulement perdre sa virginité. Se perdre. Quelque chose qui
est plus grand que moi. Et qui fait,
naturellement, que je ne comprends rien aux sarcasmes, aux moqueries, je les trouve complètement
injustifiés.
Ma force est la question centrale :
d’où me vient qu’il n’y ait pas de
honte? Est-ce le fait d’avoir été jusque-là complètement à l’écart des
garçons ? Je ne connais rien à ce
qu’on appellerait maintenant la domination, l’hégémonie masculine,
totalement acceptée par la société,
inébranlable à ce moment-là. Les
filles doivent se tenir à carreau,
avoir de la conduite. Les garçons
sont encouragés à être des coqs. Ils
ne le sont pas tous, certains ont du
mal à être conquérants. Je pense
que cette force vient, paradoxalement, d’une ignorance des rapports
des sexes. Les garçons des milieux
populaires, je n’y pense pas, je suis
déjà une transfuge de classe. En revanche, les moniteurs ont fait un
minimum d’études, ils ont du prestige. Et puis, tout simplement, c’est
mon éducation. Je suis habituée à
considérer que je suis une élève
brillante. Il me semble qu’on ne
peut pas juger une fille amoureuse.
Je suis dans cette croyance que j’ai
le droit de l’être.
L’éducation sexuelle a-t-elle changé grâce ou à cause d’Internet?
Cette fille, à 18 ans – moi –, n’a jamais vu un sexe, même pas en peinture. Longtemps je n’ai pas su ce
qu’étaient des testicules. Internet
change tout, on a une connaissance
de la sexualité. Mais il y aura toujours ce gouffre entre la connaissance et la réalité des corps, la réalité de comment ça se passe. Ça
restera l’événement, autant pour un
garçon que pour une fille, cette rencontre qui peut être progressive, la
découverte de l’autre.
Internet a-t-il modifié votre
rapport aux encyclopédies et
dictionnaires ?
De manière générale, oui, mais je
continue de consulter le Grand Robert, tous les volumes, qui datent un
peu, mais j’ai une fidélité à ça. Pour
la recherche, Internet est tout à fait
extraordinaire. De retrouver des
noms. Et de voir la localisation. C’est
ce qui m’a paru le plus effrayant.
Moi, je suis là, derrière mon écran,
et, cinquante ans après, de me dire:
il [l’initiale H du livre, ndlr] est là.
Trouver la photo de ses noces d’or,
c’est un gouffre. On transcende le
temps. La mémoire, dit Ricœur, est
garante de la profondeur du temps
et de la distance temporelle. Mais
maintenant, Internet vous apporte
cette profondeur du temps. Cela
rendait ce livre différent à écrire, de
savoir que leur existence, à certains, était réelle. D’où le désir d’appeler au téléphone, du moins d’en
caresser l’idée. On se la joue,
comme on dit, on joue la scène, on
s’entend dire : je fais une enquête
sur les colonies de vacances des an-
nées 50 et 60… Internet apporte tellement de changements. Même
dans l’écriture, les livres. L’ordinateur me donne la possibilité de corriger sans arrêt. Je retravaille beaucoup, alors ce n’est pas un gain de
temps, c’est perfectible à l’infini, j’y
passe beaucoup plus de temps
qu’avant.
Mémoire de fille, c’est le livre
le plus important depuis les
Années ?
Je suis d’accord. L’Autre fille
(Nil, 2011) a été important, mais pas
comme ça.
C’est étonnant que vous n’ayez
jamais eu le Goncourt…
Avec quoi? Les Années? Comment
vous expliquer. C’est le genre d’ambition que je n’ai pas. J’ai eu la
grande surprise, pour moi quelque
chose d’extraordinaire, que la Place
ait le prix Renaudot, en 1984. Un
tout petit texte comme ça, je ne m’y
attendais pas. Il a été publié en janvier, il a eu le Renaudot en novembre, il a eu ce chemin, c’était tellement important. J’en suis restée là.
J’écris sans doute des livres un peu
atypiques, qui ne se ressemblent
pas, même si c’est toujours la même
matière, ce sont des formes différentes. J’ai 75 ans, si c’est pour
pousser un livre l’un après l’autre,
pour exister, non, il y a des choses
plus agréables à faire. Il y a aussi
beaucoup de choses que je n’aime
pas. Le «Quarto» [Gallimard, 2011]
c’est bon, je l’ai fait. Mais se replonger par exemple dans les lettres que
j’ai reçues, non! Continuer de vivre,
c’est continuer d’écrire en cherchant. Il n’y a que ça.
Quels conseils donnez-vous aux
jeunes écrivains ?
Vraiment de ne pas chercher à
plaire. D’aller au bout de l’histoire
qu’ils possèdent en eux, et de ne jamais avoir de complaisance envers
ce qu’ils écrivent. Je leur conseille
de lire beaucoup. En même temps,
il y a de jeunes écrivains, des filles
et des garçons, qui ont déjà une
voix. Quand on écrit, on tombe tout
de suite dans un marché. Je suis
frappée par le désir de certains jeunes auteurs, très pressés d’être reconnus, d’exister. Tous ces textes
mis sur Internet, un phénomène qui
se répand, je ne suis pas sûre que ce
soit une bonne méthode. Vous trouvez toujours des gens qui vous disent que c’est bien, alors vous êtes
content. On ne va pas jusqu’au bout
de sa propre vérité, qui peut
d’ailleurs être dans l’imaginaire.
Première chose, lire. Et ne jamais se
décourager. Encore que je comprenne qu’on se décourage. J’ai une
longue «vie littéraire» derrière moi,
et je vois combien ça reste hasardeux d’écrire. •
44 u
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
SUR LIBÉRATION.FR
Blog Camicaos. «Crowdsourcing : et si vous donniez
votre temps aux archives ?» Numériser les documents,
c’est bien, encore faut-il les déchiffrer pour les rendre
lisibles. En 2014, la Smithsonian Institution lançait un
appel à contributions auprès des internautes, pour la
transcription de ses archives numérisées. Il s’agit de la
plus grosse opération de crowdsourcing (production
participative) jamais connue.
Asile au Brésil
Premier roman
de l’Américain
d’origine coréenne
Paul Yoon
La séance est ouverte
Rousseau, transfert, contretransfert… des instantanés
de cure analysés par 58 psys
Par VIRGINIE BLOCH­LAINÉ
Par GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL
L’
C
histoire se passe au Brésil après la guerre de
Corée, dans l’atelier d’un tailleur japonais qui
accueille et forme au métier Yohan, un jeune
Nord-Coréen sortant de trois années de captivité en Corée du Sud, auprès de soldats américains devenus
au fil des mois ses compagnons d’infortune. La ville côtière
brésilienne dans laquelle accoste Yohan n’est pas nommée,
et même si une note de trompette ou de guitare monte de
temps en temps depuis la rue jusqu’aux toits-terrasses, malgré la présence d’une église, on se croirait plutôt dans un
petit port asiatique dans lequel les déplacements se font
à vélo. Ce méli-mélo intrigant et subtil de pays, d’images
et d’ambiances ne s’arrête pas là. Chasseurs de neige fait
penser à l’une des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar, «Comment Wang-Fô fut sauvé», car les flots sont ici
essentiels.
Par ailleurs, Paul Yoon, auteur d’origine coréenne né à
New York en 1980, dit que pour ce premier roman, publié
après un recueil de nouvelles remarqué, la lecture de l’Israélien David Grossman fut déterminante. Ce n’est pas sur
l’écriture de Yoon que semble s’exercer l’influence de Grossman, mais sur les questions qui traversent le livre : parvient-on à reprendre goût à la vie après une guerre traumatisante ? L’amour et l’intimité partagés avec un être ne
sont-ils donc rien, puisque la vie reprend son cours avec
tellement d’insolence une fois que l’on a perdu un parent
ou rompu avec un aimé? «Malgré tout, ils ont partagé quelque chose», songe Yohan à propos d’une voisine à laquelle,
au fil des ans, il n’envoie plus qu’un signe de la main. Espérer que restent des traces du temps révolu sur un objet ou
sur un morceau de soie, telle est la préoccupation de Yohan,
trop placide pour que l’on parle à son sujet d’obsession, héros solitaire aux inquiétudes universelles. Les liens comme
la neige filent entre nos doigts et Yohan ne s’y fait pas.
En 1954, Yohan a 26 ans. Les violences dont cet orphelin
fut victime et témoin comme prisonnier ne sont qu’esquissées, et beaucoup de faits demeurent mystérieux. Le roman
se rapproche encore du merveilleux par la politesse des uns
envers les autres, une fois le conflit terminé bien sûr. Yohan
peut alors choisir entre retourner en Corée du Nord ou partir pour le Brésil, en vertu d’un accord négocié par les Nations unies. Pourquoi préfère-t-il le Brésil? On ne sait pas.
Le roman met en images (c’est ainsi qu’il raconte) la cohabitation entre le tailleur et son disciple, l’acclimatation de Yohan à ce pays étranger et quelques scènes de son enfance
auprès de son père. Chasseurs de neige parle d’attachement,
de manque et de chagrin avec un art de la suggestion
comme on en rencontre rarement. Amoureux, Yohan pose
l’oreille contre le nombril d’une femme pour écouter «cette
chambre enclose sous sa peau». A la fin de ce livre sur l’oubli
et la séparation, Yohan navigue sur un canot et pense aux
fleuves: «Ceux au bord desquels il s’est reposé, ceux qu’il a
franchis, ceux qui ont détruit des vies humaines.» •
PAUL YOON CHASSEURS DE NEIGE
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marina Boraso,
Albin Michel, 208 pp., 19 €.
inquante-huit analystes
ont joué le jeu de raconter une séance en deux
ou trois pages. «La psychanalyse est d’abord une expérience clinique intime qui se joue dans l’espace
singulier d’une cure quand un patient
parle et qu’un analyste l’écoute. C’est
cette dimension-là, à l’écart des modes et
des polémiques, dont nous souhaitons
présenter les déploiements contemporains», écrivent, dans leur préface, les
maîtres d’œuvre de Des psychanalystes
en séance. Glossaire clinique de psychanalyste contemporaine, livre foisonnant
et passionnant. Le choix des auteurs
s’est porté en priorité sur des travaux internationaux récents. On verra au passage qu’il existe une différence notable
entre analystes, suivant les écoles, mais
pas que… On sera sans doute convaincu
en fin d’ouvrage qu’il n’y a pas la psychanalyse mais des psychanalystes.
Le lecteur passera d’une entrée à l’autre,
suivant son intérêt pour les différents
thèmes. Choisissons, parce qu’il est récurrent, celui de l’épreuve du transfert,
le moins connu ou le moins bien compris des non-analystes. Première surprise : à rebours d’une représentation
largement répandue, le contre-transfert
de l’analyste précède le transfert (un livre de Michel Neyraut a fait date en 1972
sur ce sujet). L’approche de la future
cure se joue parfois dès le premier entretien, quand l’analyste ouvre la porte. Un
exemple clinique l’illustre: un homme
entre, les regards se croisent et à cet instant, une pensée traverse l’analyste :
«Encore un toxico!» Idée intempestive,
commente-t-elle, qui s’oppose à l’idéal
de bienveillance avec lequel elle souhaite accueillir une nouvelle demande.
Qu’avait en fait perçu l’analyste dans le
regard de cet homme? Du désarroi, l’intensité d’un manque, le sentiment d’être
perdu sans doute. Les premiers entretiens se sont ouverts sur une passionnante analyse où tous les fils ramenaient à l’événement majeur de
l’histoire de cet homme, qui avait eu une
réussite professionnelle éclatante : la
disparition précoce de sa mère. Mais la
faille que l’analyste avait perçue dans
son regard l’avait renvoyée à sa propre
analyse, dans laquelle son transfert était
associé à une drogue dure. «Encore un
drogué du transfert, encore un», avaitelle pensé, ce «encore» l’ayant renvoyée
aux affects qu’elle avait traversés dans
son analyse. Cet homme était en manque, comme elle l’avait été, d’une autre
manière.
Dans un bref article sur la polyphonie de
rêve, une analyste raconte l’étrangeté de
son vécu lorsqu’une patiente pour
laquelle elle ressentait une grande empathie lui a raconté un cauchemar,
patiente qui venait de subir un traumatisme brutal: la perte de son fils adolescent. L’analyste est troublée de la proximité de ce rêve avec celui qu’elle a fait
la même nuit, car elle-même a perdu il
y a longtemps un enfant en bas âge.
Dans cette situation de «rêves croisés
dans la cure», le psychanalyste fait travailler ce qu’on peut appeler «l’espace
onirique commun et partagé du rêve».
On constate ici la nécessité de la poursuite constante de la propre auto-analyse de l’analyste.
Hypocondriaques. Dans ce foisonnement de brèves vignettes de cure, on
sera passionné par l’article «L’hypocondrie créative», où l’auteur revient sur le
cas de Jean-Jacques Rousseau. Homme
de douleurs, Rousseau exhibait à l’occasion ses états souffrants ; il écrivait :
«J’étais presque né mourant; on espérait
peu me conserver.» L’énigme de sa maladie a fait couler beaucoup d’encre.
L’auteur se réfère aux travaux de Jean
Starobinski qui ont permis de saisir cette
pathologie, frontière entre la mélancolie
et les accès paranoïaques. La maladie de
Rousseau lui a toutefois «permis» de se
construire une destinée profondément
originale. Ce qui n’est pas forcément le
cas de tous les hypocondriaques; encore
que le cas Rousseau porte le débat sur
les troubles dits psychosomatiques et
sur l’intérêt que les analystes portent
aux liens qui unissent la vie de l’âme et
le fonctionnement corporel. Une issue
est donc parfois possible en plaçant les
désordres corporels au cœur d’une création. L’alliance de la littérature et de la
psychanalyse est particulièrement féconde, on le verra une fois de plus.
Un (autre) article passionnant concerne
la normopathie, notion introduite par
Joyce McDougall en 1972 dans Plaidoyer
pour une certaine anormalité. La ques-
L’approche de la future cure se joue parfois
tion de savoir si on est normal ou pas en
taraude plus d’un, même à notre époque où tout ce qui paraissait transgressif autrefois semble banalisé. L’auteur
revient sur les analyses d’Hannah
Arendt du cas Eichmann, «monstrueusement normal» ; sur ce petit homme
enfermé dans une cage de verre (à son
procès), bourré de tics, ergotant sur des
détails anecdotiques (heures, dates)
alors qu’on lui reprochait d’avoir participé à l’un des plus grands crimes commis contre l’humanité. «Absence de pathologie, ou normopathie?» écrivait-elle
dans son reportage Eichmann à Jérusalem. On peut, suivant McDougall, saisir
à travers cette figure «banale» comment
la méconnaissance de son propre inconscient peut amener à en projeter les
contenus sur d’autres qu’il faut à l’extrême suivre aveuglément (le Führer in-
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
POCHES
FRANCESCA
MELANDRI
PLUS HAUT QUE
LA MER
Traduit de l’italien par
Danièle Valin.
Folio, 224 pp., 7,10 €.
u 45
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
«Quand il était arrivé tout jeune
sur l’Île, elle lui avait fait l’effet
d’une prison à ciel ouvert. Mais
pour lui, pas pour les condamnés. En revanche, maintenant, il
lui était impossible d’imaginer
le jour, encore lointain mais inévitable, où il prendrait sa retraite et devrait la quitter.»
FLORENCE
ARTHAUD
CETTE NUIT LA MER
EST NOIRE
Arthaud «poche»,
192 pp., 6,90 €.
«Je prends peu à peu conscience de ma situation, et la détresse m’envahit comme l’eau
alourdit mes vêtements. De
mon bateau, à présent, je ne
distingue plus que le feu de
mât. Autour de moi, le noir, rien
que le noir. L’eau n’est ni chaude
ni froide.»
L’auge d’homme
Un étrange roman
d’apprentissage par
Sylvie Germain
Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL
L
dès le premier entretien, quand l’analyste ouvre la porte. PHOTO GETTY IMAGES
carnait pour Eichmann à la fois le moi
idéal, le surmoi et l’idéal du moi tout
ensemble). «Voilà qui invite, écrit
l’auteure de l’article, à réfléchir plus
avant sur les abîmes que révèle et auxquels peut mener la soumission aveugle
à l’idée d’une norme ou à une autorité,
quelle qu’elle soit.» «Surtout quand on
est psychanalyste», ajoute-t-elle.
Curiosité. L’article suivant, de la
même auteure, porte sur l’anti-analysant, suivant une autre expression de
Joyce McDougall. Anti-analysant qui
est ponctuel, assidu, qui ne manque jamais une séance mais pour qui le processus analytique ne se déclenche pas:
il refuse les liens, les associations, la relation transférentielle. Du coup l’analyste finit par se retirer, par se désinvestir, par ne plus éprouver de curiosité.
Mais au fond ce patient est-il vraiment
un anti-analysant ? L’analyste a toujours tendance à se demander quand il
s’ennuie, écrit l’auteur, si ce n’est pas lui
qui est à certains moments ou avec certains patients, anti-analyste. Peut-être
est-ce à cela qu’on reconnaît contretransférentiellement les anti-analysants dont parle Joyce McDougall…
Transfert et contre-transfert ne sont
pas des affaires simples! On ne sort pas
indemne de ce livre, par quelque bout
qu’on le prenne. •
LAURENT DANON-BOILEAU
et JEAN-YVES TAMET
(sous la direction de)
DES PSYCHANALYSTES EN SÉANCE.
GLOSSAIRE CLINIQUE DE
PSYCHANALYSE CONTEMPORAINE
Folio Essais, 576 pp., 9,20 €.
es livres n’ont pas
d’odeur. A part peutêtre celle de l’encre
et du neuf quand ils
s’ouvrent pour la première fois.
Peut-être aussi celle du passé
quand leurs pages ont jauni,
soumises à la dégradation chimique, ou à l’humidité quand ils
ont pris la pluie. Mais ils ne sentent pas autre chose que leur
composition physique. Si les livres pouvaient exhaler ce qu’ils
contiennent, A la table des hommes se distinguerait. Sous-bois,
sang, remugles, sueur, pommes
fermentées… Le lecteur entre
dès l’orée du corps du livre dans
un univers chargé d’effluves.
A hauteur d’animal, ce qui transpire, embaume et pue, compte
plus que tout. Le flair permet de
rester vivant. Et c’est dans la
peau d’un porcelet que Sylvie
Germain invite à se projeter et à
imaginer cet animal perdu gambadant dans la forêt, se gavant
de racines terreuses et de végétaux spongieux et reculant devant l’odeur de l’homme en
chasse. C’est la guerre civile qui
a arraché le cochonnet de la mamelle de sa mère, détruisant les
humains et les bêtes de la ferme,
le propulsant dans l’inconnu et
la forêt primaire. Où va-t-il donc,
ce pourceau solitaire bientôt rejoint par une corneille qui semble veiller sur lui?
Cette première partie est une
plongée dans l’état sauvage. Celui de la guerre, où les voisins
s’entretuent, qui pourrait être
une référence à celle de l’ex-Yougoslavie, avec des villages dressés les uns contre les autres et la
découverte de charniers au retour des survivants hagards. Celui du monde animal, qui s’agite
à l’avant-scène, dont l’auteur
embaume la description, avec
ses miasmes et ses joies du présent. Figure animale à peine dégrossie, le porcelet se fatigue de
fuir les prédations incessantes.
Dans un taillis, il tombe littéralement sur un enfant gravement
blessé qui a fui les tueries pour
se traîner dans un semblant
d’abri. Les deux états, animal et
humain, s’empoignent à l’approche de la mort et mêlent leur désir de vivre pour engendrer un
tout jeune garçon. Une métamorphose qui sonne le glas de
l’aventure instinctive pour l’apprentissage de la vie humaine.
C’est donc un enfant sauvage
qui sort du bois pour être trouvé
par des femmes au lavoir. Il n’est
pas comme les autres, renifle et
ne parle pas. S’il a été recueilli
par la Vieille, il se sent davantage chez lui dehors, avec sa corneille. «Il s’abandonne au flux du
temps, il repose à fleur de torpeur, à l’unisson du monde qui
l’entoure, l’abrite, le berce et le
caresse. Mais par instants, ce
calme se trouble, comme si un
caillou venait crever la surface
d’une eau dormante, formant
des ondes fines, fébriles.» Cet être
tout d’instinct, figure de la maladresse et de l’étrangeté, suscite
les foudres des autres enfants
qui l’humilient et le maltraitent.
Celui qu’on appelle Babel perd
même, après une rouste, ses
quelques rudiments de parole,
avant de comprendre le rôle crucial du langage comme outil de
survie. «Nommer pour tenter de
s’orienter dans ce labyrinthe intérieur semé d’obstacles, de traquenards, de gouffres. Nommer
pour grandir, pour lutter, se défendre. Nommer pour vivre.»
«Il s’abandonne
au flux du temps,
il repose à fleur
de torpeur,
à l’unisson
du monde qui
l’entoure, l’abrite,
le berce
et le caresse.»
Une autre métamorphose va
donc s’opérer. Si la part animale, qui demeure en lui de manière souterraine, lui assurait sa
survie par le flair, c’est l’acquisition du langage qui lui permettra d’échanger avec les autres et
de se doter d’une mémoire.
Image classique du passage entre nature et culture, entre pulsion et réflexion, vers la complexité humaine «équivoque» et
«inquiétante». Emmené loin du
village par un habitant pour le
soustraire à la haine, Babel va
grandir dans un environnement
moins hostile mais tout aussi
étrange. La sensualité stylistique du début gagne alors en distance et en gravité, même si le
regard narratif conserve l’innocence des yeux de Babel sur le
monde. Ce sont les livres, les
rencontres et les sentiments qui
participent désormais de sa
construction personnelle.
A la table des hommes a le parcours d’une fable philosophique
et même politique, avec sa dose
de métaphores, de symboles et
de références religieuses. Ce roman, comme la plupart de ceux
de Sylvie Germain, sert de creuset à nombre d’observations, réflexions, qui ont façonné cet être
nu et pulsionnel qui chemine
vers l’être complexe et tyrannique qu’est l’humain. Reste la fibre originelle, symbolisée par la
corneille. Quand elle disparaît,
tout remonte dans cette prose
unique, propre à l’auteur de
Tobie des marais. «Odeur de
paille fraîche et de soleil, odeur
douceâtre de peau tiède et de
lait, odeur de fumée au goût de
sucre et de coing. Couinement et
grognements, bruits d’insectes,
caquètements, alternance
d’aboiements, de ramages et,
plus confus, de voix, de meuglements, de bêlements. Roseur et
chaleur d’un ventre soyeux.» •
SYLVIE GERMAIN
À LA TABLE DES HOMMES
Albin Michel, 261 pp., 19,80 €.
46 u
POCHES
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
«On peut se demander
dans quelle mesure ces
intellectuels médiatiques, qui
se caractérisent souvent par
des propos réactionnaires,
sont les héritiers (la bêtise
s’améliore) des
raisonnements des années
antérieures.»
BELINDA CANNONE
LA BÊTISE S’AMÉLIORE
Pocket «Agora»,
206 pp., 7,30 €.
LETTRES
RÉCIT
ALEJANDRA PIZARNIK
CORRESPONDANCE AVEC
LÉON OSTROV 1955-1966
Traduit de l’espagnol par
Mikaël Gómez Guthart.
Les Busclats, 110 p., 12 €.
BRUNO RACINE
LA VOIX DE MA MÈRE
Gallimard, 127 pp., 12,50 €.
Si Pizarnik avait été une
poète torturée jour et nuit
sur fond de misère noire,
la vie aurait été sûrement
beaucoup «plus facile». Tandis que la Correspondance de
cette Argentine avec son pre-
mier analyste – quand elle
s’installe à Paris à 24 ans –,
cela donne invariablement
tout et son contraire: les lettres envoyées aussitôt déchirées, le confort alimentaire
mais les carences vitales, la
vie dissolue mais l’écriture,
les idées de roman qui finissent en poèmes qui ne finissent pas, l’éternel «changement» après l’angoisse avant
l’humour, la solitude choisie
et la misanthropie feinte,
et le chaud et le froid des
«amours fantômes» qui défilent en quinconce –puis soudain, la phrase qui sauve
tout in extremis : «Mon seul
vœu est de ne pas perdre ma
foi dans certaines valeurs
spirituelles (poésie, peinture). Lorsqu’elle me quitte
arrive alors la folie, le monde
se vide et se met à grincer
comme un couple de robots
en train de copuler.» L. de C.
ROMANS
RAYAS RICHA
LES JEUNES
CONSTELLATIONS
Illustrations de Donatien
Mary. L’Arbre vengeur
«L’Alambic», 250 pp. 18 €.
Un premier roman étonnamment libre dans le registre des dynamiteurs de
prose. Un voyage sur les traces du père dont le fils ne détient que le journal. Il chemine à travers l’Europe en
direction de l’Orient accompagné d’un cicérone «quelque peu ratiocineur». Sur un
canevas de roman d’apprentissage, un récit médiéval
tout à fait achronique, drôle,
provocateur, parfois hirsute.
Rayas Richa, Français d’origine libanaise, a fait tous les
métiers, précise l’éditeur. Si
nous ne savons rien de ses
aptitudes de banquier, épicier, photographe, en revanche son talent d’écrivain est
bien réel. J.-D.W.
FRANCESCO
MUZZOPAPPA
TOUT VA TRÈS BIEN,
MADAME LA COMTESSE !
Traduit de l’italien par
Marianne Faurobert,
Autrement, 261 pp., 18,50 €.
Il y a des notes d’humour anglais dans cette comédie qui
débute comme un vaudeville. Une comtesse veuve et
son majordome se font face,
la première est en ébullition,
le second de marbre. L’âge
de la dame n’est pas précisé
mais elle dispose encore
d’une belle énergie. Il lui en
faut pour empêcher son fils
de la ruiner. La comtesse orchestre son propre enlèvement pour obtenir une rançon. Le ravisseur est un
«cageot» doublé d’un «connard». Chez lui, c’est laid :
«Même un professionnel ne
viendrait pas à bout du mauvais goût de ce chalet. Il faudrait un incendie, pas moins,
pour cela.» Deuxième roman
d’un Italien né en 1976, publicitaire et youtubeur. C’est
drôle comme ce texte moqueur prend partie pour les
femmes. Une adaptation au
cinéma est prévue. V.B.-L.
Près de trente ans après la
mort de sa mère, Bruno Racine tente de retrouver pour
le décrire le timbre de sa
voix. L’enquête mêle des
souvenirs et de nombreuses
références à des auteurs qui
ont écrit sur le rapport à leur
mère, Amoz Oz, Valère Novarina, Marcel Proust, La-
martine, Pierre Guyotat,
Elias Canetti, Stendhal, Albert Cohen… Roland Barthes lui aussi ne parvenait
pas à se rappeler la voix de
sa mère, demeurée un mystère «après avoir vécu si
longtemps ensemble». Derrière la voix, la vie. Le président de la Bibliothèque nationale de France, qui quitte
l’établissement ce samedi
après neuf ans de mandat,
écrit une page de son histoire familiale, parle des origines américaines de sa
mère (qui avait un léger accent), russes de ses grandsparents. Ce récit chemine
tout en délicatesse et en érudition pour ne pas conclure
sur cette aporie des sens
mais sur une quête. Et sur
Virgile. Incipe, parve puer,
risu cognoscere matrem
(«Commence, petit enfant, à
faire connaissance avec ta
mère par son rire.») F.Rl
PHILOSOPHIE
PIERRE VESPERINI
DROITURE ET
MÉLANCOLIE. SUR LES
ÉCRITS DE MARC AURÈLE
Verdier, 192 pp., 15 €.
De l’empereur Marc Aurèle,
on dit généralement qu’il est
un «philosophe stoïcien».
Mais de quel genre d’«affiliation» s’agit-il? Est-il stoïcien
comme on dit de tel penseur
qu’il est kantien ou heideg-
gerien, et ses «pensées», ses
«exercices spirituels» doivent-ils tout au stoïcisme ?
Répondre à cette question
est l’occasion, pour Pierre
Vesperini, de montrer ce
que signifiaient les «discours
philosophiques» en Grèce ou
à Rome, et de contester le
retour à l’«éthique antique»
dont on parle tant depuis
Pierre Hadot ou Michel Foucault. En fait, l’éthique ancienne peut se définir
comme orthopraxie, c’est-àdire une manière d’apprendre à agir de façon «droite»
(à se comporter «comme il
faut», au lit, lors d’un procès,
pendant une maladie, devant la mort, les soins du
corps, l’habillement, etc.).
Dès lors le «souci de soi» n’a
pas du tout le sens que lui
donnait par exemple Foucault : il est constitué du regard social que l’on porte sur
nous. R.M.
HISTOIRE
YANNICK RIPA
LES FEMMES DANS LA
SOCIÉTÉ. UNE HISTOIRE
DES IDÉES REÇUES
Le Cavalier bleu,
168 pp., 20 €.
On ne sait pas très bien d’où
les «idées reçues» sont…reçues –sauf peut-être à relire
Gramsci, qui dans son travail
sur l’idéologie décrivait la façon dont les idées d’abord
élaborées dans les sphères de
la philosophie, du droit, de
la science, «descendent»
comme une pluie, se dénaturent et finissent par constituer le «sens commun».
Aussi, quand la condition
des femmes, par exemple,
change, évolue, les «idées reçues», elles, demeurent et
continuent à charrier les préjugés séculaires: les femmes
sont «le sexe faible», elles
sont «hystériques», «reines
du foyer», «il n’y a pas de
femmes parmi les grands
peintres et les grands musiciens», «les femmes ne sont
pas faites pour la politique»,
«les femmes n’ont pas d’histoire», «les féministes sont
contre les hommes», etc. Professeure d’histoire contemporaine à l’université ParisVIII, collaboratrice des pages
Livres de Libération, Yannick Ripa explique les raisons
de la persistance de ces idées,
qui «consolident le genre» et
«paraissent justifier le partage, hiérarchisé, des rôles,
des espaces et des pouvoirs
selon les sexes». R.M.
discipliné («Putain de gosses/
qui braillent/et/comme moi/
Maurepas ne dort pas»). Le
nouveau locataire croise les
voisin(e)s qui se plaignent
de la vie dure («quand on
sait/elle ne le sait peut-être
pas/qu’à Maurepas/dix pour
cent des gens vivent avec/devinez quoi ?/ soixante-sept
euros par mois»), effeuille les
infos du journal et les petits
riens du quotidien. On ne
s’ennuie pas sur le fil de ce
long poème plein de suspense du barde Le Men,
qu’on surprendra même à
appeler le 17… F. Rl
GASTRONOMIE
JACKY DURAND
VOYAGE AMOUREUX
DANS LA CUISINE DES
TERROIRS Carnets nord,
304 pp., 16 €.
POÉSIE
YVON LE MEN
LES RUMEURS DE BABEL
Illustrations d’Emmanuel
Lepage. Dialogues,
191 pp., 18 €.
Plus de quarante-cinq ans
après son arrivée à Rennes
en fac, Yvon Le Men s’est retrouvé, en 2015, en résidence
dans le quartier de Maurepas. C’était sa deuxième résidence de poète après la Cité
radieuse du Corbusier à Rezé
en 2006. Là-bas, il avait
souffert de la solitude. A
Maurepas, ce fut plutôt l’inverse, trop de promiscuité
sonore. «Me voici en HLM à
la merci de mes voisins qui
sont aussi à ma merci. A
cause du bruit.» L’habitant
temporaire, absent de son
habituel havre de Lannion,
se situe aux premières loges
du chantier du métro («qui
reliera le quartier/et le centre/les pauvres et les riches/
qui ne vont pas chez les pauvres/ne traversent pas la
frontière»), et de l’habitat in-
«C’était mardi sur le coup
des 9 heures. Une odeur alléchante de charcutaille grillée
flottait dans le matin frais de
la place Saint-Martin à
L’Aigle dans l’Orne. On soupesa du regard une andouillette et un morceau de
boudin noir, avant de succomber pour une saucisse blanche
vite emmanchée dans une demi-baguette moutardée…»
Hum. Voici un ouvrage dans
lequel on se sent monter une
petite faim de plats canailles,
de bonnes pâtes à étaler sur
des grosses tartines (comme
le fromage de Bergues dans le
Nord), de soupes (de célerirave aux châtaignes). Dans
son Voyage…, Jacky Durand,
chroniqueur à Libération,
nous embarque avec son carnet de notes à anecdotes
dans un savoureux tour de la
France qui aime cuisiner
et manger. Pas forcément
dans les restaurants étoilés.
Mais avec la conviction certaine que «la bectance et les
terroirs, c’est quand même
autre chose que Meetic pour
assaisonner les sentiments,
hein?» C.Ma.
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
«Contrairement à ses cousins la
pieuvre et le calmar, l’escargot
terrestre ne dispose pas d’une pupille
et d’un cristallin sophistiqué à travers
lesquels former des images nettes.
Mais dans quelle mesure lui apparaît-il
flou ? Mystère. Il est difficile pour les
scientifiques de demander aux
escargots ce qu’ils perçoivent.»
DAVID G. HASKELL
UN AN DANS LA VIE
D’UNE FORÊT
Traduit de l’anglais
(Etats-Unis) par Thierry
Piélat. Flammarion «libres
Champs», 368 pp., 9 €.
u 47
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
«La propension du cœur humain à
être contrariant est telle, depuis Eve,
que notre nature de pécheurs nous
pousse à préférer naturellement les
fruits défendus. Aussi Mary se
complaisait-elle dans l’idée qu’un jour
elle deviendrait une dame, et qu’elle
ferait tous les petits riens élégants qui
allaient de pair avec ce statut.»
ELIZABETH GASKELL
MARY BARTON
Traduit de l’anglais, préfacé
et annoté par Françoise
du Sorbier. Points «Grands
romans», 600 pp., 8,40 €.
93 «Hors
limites»
LIBRAIRIE ÉPHÉMÈRE
Simone Weil
et le sens de l’amitié
Né en Seine-Saint-Denis,
destiné aux lecteurs de ce
département via les bibliothèques, le festival Hors
limites propose jusqu’au
16 avril d’aller à la rencontre d’«une littérature
remuante et ambitieuse,
complexe et vivante».
Parmi les écrivains invités
cette année : Michèle
Audin, Olivier Cadiot, Fabrice Colin, Jean Echenoz,
Hakan Günday, Yves Ravey, Emmanuelle Richard,
Olivia Rosenthal, Fabio
Viscogliosi, Alice Zeniter.
www.hors-limites.fr
Par FLORENCE ILLOUZ
scénariste et traductrice
I
l faudrait lire trois fois ce petit opus de textes de Simone
Weil sur l’amitié : une première pour le plaisir de n’y rien
comprendre – se demander pourquoi cette femme
pensante s’acharne à verser de l’absolu dans le relatif et du
divin dans nos bonnes choses terrestres. Une deuxième pour
frôler ce que l’on pressent comme une préhension vertigineuse
et quasi définitive de la relation à l’autre, d’autant plus puissante
que parfaitement indemne de toute logomachie freudienne. Une
troisième enfin pour suivre, en une dizaine de pages à tout rompre, l’implacable cheminement de la pensée dans la matière de
l’attachement et des affects.
On voudrait, pour plus de confort, de légèreté et, pourquoi pas,
par souci de laisser la grâce l’emporter sur la pesanteur, rester
blotti dans ce que les Chinois nomment «la précieuse confusion».
C’est impossible avec Simone Weil –ayatollah de l’absolu– pour
qui la relation d’amitié, au sens pur, «la préférence à l’égard d’un
être humain» reste en tout premier lieu une expérience de l’impossible : je ne supporte pas celui que j’aime s’il reste extérieur
à moi, mais si celui que j’aime est à moi, il perd tout intérêt.
C’est à l’intérieur de cette contradiction fondamentale – «nous
haïssons ce dont nous dépendons. Nous prenons en dégoût ce qui
dépend de nous» –, dans l’art et la manière de pratiquer la distance –«il n’y a amitié que là où la distance est conservée et respectée»– par un travail sur soi qui exige «force d’âme» et «transformation», que l’on crée les conditions de la véritable amitié.
Amitié pure qui, selon Simone Weil, «est une image de l’amitié
originelle et parfaite de la Trinité et qui est l’essence même de
Dieu». Amen !
Escale
du livre
Simone Weil
(1909-1943),
probablement en 1936,
pendant la guerre
d’Espagne. PHOTO RUE
SIMONE WEIL
AMITIÉ. L’ART DE BIEN AIMER
Rivages Poche «Petite Bibliothèque»,
80 pp., 5 €.
VENTES
Classement datalib des
meilleures ventes de
livres (semaine du
25 au 31/03/2016)
ÉVOLUTION
1
(1)
2 (10)
3 (14)
4
(2)
5
(5)
6
(9)
7 (13)
8
(6)
9
(8)
10
(7)
DES ARCHIVES. PVDE
TITRE
En attendant Bojangles
La Fille de Brooklyn
Vivez mieux et plus longtemps
Comédie française
Trois Jours et une vie
Trois Amis en quête de sagesse
Condor
Les Cahiers d’Esther
Le Grand marin
Un fauteuil sur la Seine
C’est toujours amusant de voir à quel point les titres, en
eux-mêmes, parlent du succès ou de l’insuccès de l’auteur.
On ne s’en lasse pas. Regardez Michel Cymes, dont le guide
sympathique s’apprête à vivre mieux que les autres, et plus
longtemps. Voyez le charme discret de Giulia Enders, la
jeune Allemande qui lit dans nos entrailles. Son livre sur
l’intestin est sorti le 1er avril 2015, il a dépassé sans faire de
bruit les 500000 exemplaires, et figure à la douzième place
de notre classement.
AUTEUR
Olivier Bourdeaut
Guillaume Musso
Michel Cymes
Fabrice Luchini
Pierre Lemaitre
André, Jollien et Ricard
Caryl Férey
Riad Sattouf
Catherine Poulain
Alain Maalouf
ÉDITEUR
Finitude
XO
Stock
Flammarion
Albin Michel
L’Iconoclaste/Allary
Gallimard
Allary
L’Olivier
Grasset
A l’inverse, gare à l’effet du boomerang dans le miroir aux
alouettes. Logique retour des choses, le texte de Michel Onfray dégringole cette semaine de la 4e à la 15e place.
A l’autre bout du tableau, des éléments brillants prennent
leurs marques: Dispersez-vous, ralliez-vous! de Philippe
Djian, Un chemin de tables, de Maylis de Kerangal, et Etre
ici est une splendeur, la «vie de Paula M. Becker» (artiste
allemande bientôt exposée au Musée d’art moderne) signée Marie Darrieussecq. Cl.D.
SORTIE
07/01/2016
23/03/2016
10/02/2016
02/03/2016
02/03/2016
13/01/2016
17/03/2016
21/01/2016
04/02/2016
09/03/2016
VENTES
100
72
32
32
28
26
20
20
20
19
Source: Datalib et l’Adelc, d’après un
panel de 246 librairies indépendantes
de premier niveau. Classement des
nouveautés relevé (hors poche, scolaire,
guides, jeux, etc.) sur un total
de 85 072 titres différents. Entre
parenthèses, le rang tenu par le livre la
semaine précédente. En gras : les ventes
du livre rapportées, en base 100, à celles
du leader. Exemple : les ventes de la Fille
de Brooklyn représentent 72 % de celles
d’En attendant Bojangles.
Débats entre romanciers,
historiens ou philosophes,
lectures, regards croisés :
les trois journées d’Escale
du livre à Bordeaux s’achèvent ce dimanche 3 avril.
Parmi les «grands entretiens» : Camille Laurens,
Pierre Bergounioux, Alain
Veinstein, Jens Christian
Grøndahl, Mathieu Lindon
et Olivier Rolin. Kéthévane
Davrichewy parle famille
avec Isabelle Monnin,
Philippe Artières de
«Qu’est-ce qui fait l’histoire» avec Bruno Dive.
www.escaledulivre.com
Rendezvous
Georges-Arthur Goldschmidt s’entretient avec
Claude Burgelin le 3 avril
à 16 heures au Musée d’art
et d’histoire du judaïsme
(71, rue du Temple, 75003)
et avec Marcel Cohen dans
le cadre du festival Raccord(s) le 6 à 19 heures, à
la Maison de la poésie (157,
rue Saint-Martin, 75003).
Conférence de Cees Nooteboom (le Visage de l’œil
et J’avais bien mille vies et
je n’en ai pris qu’une, Actes
Sud) à la BNF le 6 à 18 h 30
(Petit auditorium, quai
François-Mauriac 75013).
48 u
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
COMMENT ÇA S’ÉCRIT
Quand ils faisaient
«Hara-kiri»
Par MATHIEU LINDON
O
n sait comment l’Hebdo
Hara-Kiri est mort.
Quelques jours après
la mort de Charles
de Gaulle, quelques semaines après un
incendie ayant provoqué un carnage
dans une boîte de nuit, il titre «Bal tragique à Colombey: un mort». Des interdictions lui tombent dessus et il
ressuscite dès la semaine suivante en
devenant Charlie Hebdo. Mais c’est
comment Hara-Kiri hebdo est né que
raconte Delfeil de Ton. Ces récits ont
d’abord paru, du premier au dernier
numéro de Siné hebdo de 2008 à 2010,
en 83 épisodes de 2 500 signes, les
82 premiers se terminant ainsi: «Mais
je vois que Siné m’a demandé 2500 signes. Quand j’aurai écrit “La suite la
semaine prochaine”, ça les fera juste,
les 2500 signes.» Siné a lui-même créé
Siné hebdo après avoir été viré, parce
qu’on l’accusait d’antisémitisme
(il a ensuite gagné son procès), d’un
nouveau Charlie Hebdo –et Delfeil se
retrouve donc à ce moment-là avec
Siné «coupable à 80 ans d’être resté fidèle aux idéaux de sa jeunesse et de sa
maturité» plutôt qu’avec un Charlie
«qui se prétend l’héritier» de Hara-Kiri
hebdo, ce qui est une autre histoire
mais montre comme Hara-Kiri
a essaimé.
Le mensuel Hara-Kiri existait depuis
sept ans quand Delfeil de Ton (de son
vrai nom Henri Roussel, né en 1934,
qui fait miroiter en vain dans ce texte
l’explication de son pseudonyme) rejoint l’équipe pour y écrire bientôt une
chronique qu’il tiendra ensuite dans
le Nouvel Observateur et toujours
aujourd’hui dans l’Obs, «Les lundis de
Delfeil de Ton». En 1969, le directeur
de la publication, l’homme qui s’occupe de faire paraître le journal (trouver l’argent…), Bernier, «autre nom du
professeur Choron, celui sous lequel il
était connu dans les banques et les
commissariats», suggère de créer un
hebdo en plus, et aussi un nouveau
mensuel dont Delfeil trouvera le nom,
Charlie, et dont il deviendra le rédacteur en chef. Il n’y a pas un sou, chacun est payé une misère, mais tout le
monde trouve que c’est une idée formidable. Et Delfeil, qui a rejoint avec
fierté ce journal où il ne dessinera jamais rien parce que le dessin n’est pas
«Ben oui, c’est
évident: on aime
traverser en dehors
des clous, nous
changez pas les clous
de place.»
CAVANNA ET DELFEIL contre
une réforme de l’orthographe
son truc, n’en revient toujours pas de
la qualité de l’équipe, décrite à travers
le numéro de janvier 1969. «Il n’y avait
que des bons. Pas un seul con. […]
D’abord et avant tout notre maître respecté, Cavanna. Ensuite, il y avait Trix
et Sépia, mais ces deux-là c’était aussi
Cavanna. Pellaert, invité d’honneur
permanent, donnait “She”, pages couleur esthético-peinturlurées dont il
avait le secret et qui épateraient jusqu’à Hollywood. Il y avait, comme dans
chaque numéro, trois ou quatre dessins par des pigistes, puis, et c’était
tout, Fournier, Reiser, Wolinski, Choron, moi, plus Willem qui venait d’arriver et Cabu qui venait de revenir.»
Il y a mille petits récits qui font une
époque dans Ma véritable histoire
d’“Hara-Kiri hebdo” (où l’adjectif et le
pronom personnel se pondèrent et
s’exacerbent l’un l’autre), «la dame de
l’avenue Trudaine» qui donnait de
l’argent en échange des faveurs du
professeur Choron qui déclarait à
l’équipe «je viens d’enculer la vieille.
La vache, elle en voulait», la version
italienne d’Hara-Kiri et les plagiats,
et puis les descriptions page par page
des premiers numéros, le 1 recelant
un éditorial, ce qui n’est pas «le genre
de la maison». «Nous ne lançons pas
un journal pour donner des leçons. Serions-nous modestes? Même pas. Ecoutons Cavanna : “Un journal sans façon. Sans façon mais pas sans
prétention. Nous ne nous prenons pas
pour de la crotte de bique. […] Si vous
aimez les calembours, l’esprit bien parisien, les histoires de cocus, le festival
du Marais, la fête des Mères, les safaris-congés payés, les grands patrons
simples et pas fiers et les jeunes patrons de combat, n’achetez pas, n’achetez pas, n’achetez pas!”» On apprend
dans le livre de Delfeil de Ton comment Reiser disait «Monsieur» à Cavanna, ce qui n’était pas non plus le
genre de la maison, comment Choron
se débrouillait pour avoir un beau papier afin de mieux imprimer ses dessinateurs et son Cavanna adorés, comment Cavanna et Delfeil prennent des
libertés avec l’orthographe mais s’indignent qu’on le réforme : «Ben oui,
c’est évident: on aime traverser en dehors des clous, nous changez pas les
clous de place.»
Une note supplémentaire à la toute fin
du livre: «Depuis la prépublication de
cette histoire, Cavanna, Cabu, Wolinski sont morts. Nous ne sommes plus
que deux./ A la tienne, Willem!» Pour
Cabu et Wolinski qui ne sont pas toujours ménagés dans le texte, le 7 janvier 2015 est passé par là. Les balles
tragiques à Charlie Hebdo font aussi
partie de l’histoire d’Hara-Kiri. •
DELFEIL DE TON MA VÉRITABLE
HISTOIRE D’HARA-KIRI HEBDO
Les Cahiers dessinés, 172 pp., 18€.
Dans les rues de New York. PHOTO LEO DELAFONTAINE. PICTURETANK
POURQUOI ÇA MARCHE
Guillaume Musso et les
«mille flèches glacées»
Nouveaux frissons
Par EMMANUÈLE PEYRET
C
’est quoi, un
auteur le plus
vendu, indétrônable (même par
Marc Levy) depuis cinq ans, un
type qui a vendu plus de 25 millions d’exemplaires dans le
monde depuis son premier roman, Skidamarink, en 2001,
et 1,7 million de livres rien que
pour 2015? On n’est pas là dans
un vrai monde où les auteurs se
trimballent avec des brouettées
d’invendus et de non-publiéson-vous-rappellera, on est dans
le monde de Guillaume Musso
qui, à bientôt 42 ans, a trouvé the
recette pour faire lire et faire vendre ses polars (le dernier, sorti
le 24 mars, s’intitule la Fille de
Brooklyn) tout à fait acceptables
et lisibles. Si on aime un peu les
clichés mêlés à une intrigue forcément «haletante», des histoires d’amour hyperémouvantes
avec de belles métisses aux yeux
verts, et un zeste de surnaturel
(comme chez Marc Levy, mais
fous-nous la paix avec Marc
Levy).
Sauve-moi (2005), Seras-tu là ?
(2006), Parce que je t’aime,
(2007), Je reviens te chercher
(2008), Que serais-je sans toi ?
(2009), la Fille de papier (2010),
l’Appel de l’ange (2011), 7 ans
après (2012), Demain (2013),
Central Park (2014) et l’Instant
présent (2015) : du rythme, de
l’ambiance un peu téléfilmloukoum de M6, des tartinades
de bon sens et d’amour fou, en
plus c’est écrit gros, c’est parfait
pour la plage.
1 Et si c’était vrai ?
Musso le dit avec sincérité: il écrit les livres qu’il aimerait lire, «j’ai toujours pour
habitude d’écrire le roman
que j’aimerais lire», explique
l’auteur (à l’Express), ajoutant
avoir voulu «mettre l’intensité du
récit au premier plan, en le conjuguant à des personnages complexes et à une intrigue suffisamment dense et charpentée pour se
déployer avec suspense sur cinq
cents pages». Au moins il a une
haute idée de ce qu’il fait, soit
une intrigue qu’on ne dévoilera
pas, parce que déjà c’est laborieux, alors si c’est spoilé en plus,
merci bien.
2 Et après ?
Après, il y a l’étude des
personnages. Un ex-flic de la
BRB bourru, une directrice de
pensionnat qui fait forcément
penser à Delphine Seyrig, un
pied-noir à chaîne en or, etc. Et
évidemment, ce que Musso
connaît le mieux, en tête de gondole de l’opus: l’écrivain à succès
qui sort un roman par an, et qui
a été vendeur de glaces en Amérique, une expérience apparemment marquante. Le tout parsemé de piques du genre «c’est
fou comme les gens détestent les
journalistes, alors qu’ils aiment
plutôt bien les romanciers». Voilà
qui parle à tout le monde.
3 Que serais-je sans
toi ?
Oui, que serais-je, sans toutes
ces citations de Flaubert, d’Ana-
tole France, d’Apollinaire. Sans
ces phrases comme «sa silhouette poudroyait dans les particules dorées de cette fin d’été»
ou encore un définitif «la vie
était une vraie salope. Lors de la
distribution des cartes, elle servait à certains un jeu trop difficile à jouer». Voire, très en forme,
«mon corps fut transpercé de
mille flèches glacées qui me paralysèrent». Surtout, ce qui est
merveilleux, ce sont ces petites
phrases qui montrent la supériorité de l’écrivain sur le reste du
monde, avec un V-Effekt très
brechtien: on lui demande s’il a
«un stylo»? Il répond en voix off,
sans coup férir, «drôle de question pour un écrivain». Humour,
humour. Et celui-là, sur le piednoir que «si j’en avais fait un personnage de roman, on aurait
hurlé à la caricature». Habile,
ça, très habile. C’est Musso, ça :
une boîte à outils qui est une
machine de guerre. •
GUILLAUME MUSSO
LA FILLE DE BROOKLYN
XO Editions,
470 pp., 21,90 €.
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
CARNET D’ÉCHECS
a la tele ce SAMEDI
TF1
FRANCE 5
NT1
20h55. The voice. La plus
belle voix. Divertissement.
23h20. The voice. La suite.
Divertissement.
20h40. Échappées belles.
Magazine. Sainte Lucie et la
Barbade. 22h10. Échappées
belles. Magazine. Birmanie,
un nouveau départ.
20h55. Chroniques criminelles. Magazine. Affaire Chabert : une disparition
mystérieuse / 25 ans pour
connaître la vérité / Meurtre à
Hollywood. 22h45. Chroniques criminelles. Magazine.
FRANCE 2
21h00. Tous au Lido pour
le Sidaction. Divertissement.
23h15. On n’est pas couché.
Divertissement.
FRANCE 3
20h55. Mongeville. Téléfilm.
Légende vivante. Avec : Francis Perrin, Gaelle Bona. 22h35.
Soir 3. 22h55. Le général du
roi. Téléfilm.
CANAL +
20h55. Enfant 44.
Thriller. Avec : Tom Hardy,
Noomi Rapace. 23h10.
Le supplément interdit.
Magazine.
PARIS PREMIÈRE
20h45. À gauche en sortant
de l’ascenseur. Spectacle.
Avec : Stéphane Plaza, Yannik
Mazzilli. 22h30. Le bonheur.
Spectacle. Avec : Marie-Anne
Chazel, Sam Karmann.
TMC
20h55. 90’ Enquêtes. Magazine. Délits, trafics, maisons
closes : alerte à la frontière
belge !. 22h35. New York
Section Criminelle.
Série.
W9
ARTE
20h50. The queen.
Documentaire. 22h20. Les
aïeux de la Queen. Documentaire. L’union des SaxeCobourg avec le pouvoir.
M6
20h55. Hawaii 5-0. Série.
Na Kame Hele. Piko Pau ‘iole.
Pe’epe’e Kanaka. 23h35.
Hawaii 5-0. Série.
FRANCE 4
20h50. Le clan des vikings.
Téléfilm. Avec : Harry Lister
Smith, Jenny Boyd. 22h30.
À la poursuite de la chambre
d’Ambre. Téléfilm. Avec : Kai
Wiesinger, Sonja Gerhardt.
20h55. Les Simpson.
Jeunesse. Lisa a la meilleure
note. Touche pas à mon rein.
Homer garde du corps.
Noël d’enfer. Simpsonnerie
chantante. 22h55. Les
Simpson. Jeunesse.
NRJ12
20h55. Code ennemi.
Téléfilm. Avec : John Cusack,
Malin Akerman.
22h50. Piégés. Téléfilm.
Avec : Billy Bob Thornton,
James Marsden.
D8
21h00. Le grand bêtisier de
Pâques. Divertissement.
23h10. Génération Canal+.
Divertissement.
D17
20h50. Le zap. Divertissement. 23h30. Enquête très
spéciale. Magazine.
HD1
20h50. Les experts : Manhattan. Série. Scandales à la clé.
Taxi driver. Madame X. 23h20.
Section de recherches. Série.
6 TER
20h55. Le convoi de l’extrême :
l’hiver de tous les dangers.
Divertissement. 3 épisodes.
22h35. Le convoi de l’extrême :
l’hiver de tous les dangers.
CHÉRIE 25
20h55. Le secret du vol 353 1/2. Téléfilm. Avec : Billy Zane,
Gloria Reuben. 22h35. Le secret du vol 353 - 2/2. Téléfilm.
NUMÉRO 23
20h50. Face au crime. Série.
La lycéenne et le tueur en
série. Qui a tué la réceptionniste. 23h00. Phénomène paranormal. Série.
LCP
21h00. Bibliothèque Medicis.
Magazine. 22h00. Samedi soir
dimanche matin - Le face-àface. 22h08. Bassin miné.
a la tele DIMANCHE
TF1
20h55. Les visiteurs.
Comédie. Avec : Marie-Anne
Chazel, Jean Reno. 23h00.
Esprits criminels.
Série.
FRANCE 2
20h55. Tellement proches.
Comédie. Avec : Vincent
Elbaz, Isabelle Carré. 22h35.
Faites entrer l’accusé. Magazine. Jeanette O’Keefe, la mort
au rendez vous.
FRANCE 3
20h55. Les enquêtes de
Morse. Téléfilm. Le pays
de cocagne. Avec : Shaun
Evans, Anton Lesser. 22h25.
Les enquêtes de Morse.
Téléfilm. Nocturne.
CANAL +
21h00. Football :
Lorient / Lyon. Sport.
32e journée - Ligue 1.
22h55. Canal football club
le débrief. Sport.
ARTE
20h45. Le dictateur. Comédie
dramatique. Avec : Charles
Chaplin, Jack Oakie. 22h45.
La naissance de Charlot.
Documentaire.
M6
20h55. Capital. Magazine.
Travail en famille : ils ont le
business dans le sang !.
23h00. Enquête exclusive.
Magazine. Enfants migrants :
prêts à tout pour vivre le rêve
américain.
FRANCE 4
20h50. Malabar Princess.
Comédie dramatique. Avec :
Jacques Villeret, Jules-Angelo
Bigarnet. 22h20. Good bye
Lenin !. Comédie. Avec :
Daniel Brühl, Katrin Saß.
FRANCE 5
20h40. Manger plus pour se
nourrir moins. Documentaire.
21h30. Obésité, la médecine
dans la balance.
PARIS PREMIÈRE
20h45. Heavy water war : les
soldats de l’ombre. Série. Épisodes 5 & 6. Avec : Espen Klouman Høiner, Christoph Bach.
22h30. 39-45 : le monde en
guerre. Documentaire.
TMC
20h55. Les experts : Miami.
Série. Défilé électrique.
Dernières vacances. 22h45.
Les experts : Miami. Série.
W9
20h55. Source code. ScienceFiction. Avec : Jake Gyllenhaal, Michelle Monaghan.
22h25. Les fils du vent. Film.
NRJ12
20h55. SOS ma famille
a besoin d’aide. Magazine.
SOS de Jordan et Patricia.
22h20. SOS ma famille
a besoin d’aide. Magazine.
D8
21h00. Signes. Fantastique.
Avec : Mel Gibson, Joaquin
Phoenix. 23h00. Jumper.
Film.
u 49
www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe
NT1
20h55. Miss FBI : divinement
armée. Comédie. Avec :
Sandra Bullock, Regina King.
23h05. Bachelor, le gentleman célibataire.
D17
20h50. Chicago Fire. Série.
Une journée noire. Le jour J.
Pas de répit pour les braves.
23h20. Les filles de l’ambassadeur. Téléfilm.
HD1
20h50. La mort dans la peau.
Thriller. Avec : Matt Damon,
Franka Potente. 22h45. La
pmémoire dans la peau. Film.
6 TER
20h55. Willow. Fantastique.
Avec : Warwick Davis, Val Kilmer. 23h00. Storage Wars :
enchères surprises. Série.
CHÉRIE 25
20h55. Diane femme flic.
Série. Jeune fille en crise.
22h45. Diane femme flic.
Série. L’apprenti.
NUMÉRO 23
20h55. Complots. Thriller.
Avec : Julia Roberts, Mel
Gibson. 23h15. Le secret de
Brokeback Mountain. Film.
LCP
20h30. Garde à vue. Policier.
Avec : Lino Ventura, Michel
Serrault. 21h00. Débat - Les
Français aiment-ils leurs flics ?.
22h30. Transportez-moi !.
Sergueï Kariakine, enfant prodige, a dû attendre ses 26 ans
pour enfin sortir de l’ombre. Classé à plus de 2700 Elo depuis
2008, il se situait aux alentours de la 15e place mondiale. Rien
ne présageait donc une domination aussi écrasante sur le
tournoi des candidats. Il marque pourtant 8,5 points sur 14
possibles, soit une performance stratosphérique de 2860! Dix
points de plus que le classement de Magnus Carlsen, l’actuel
champion du monde. Kariakine s’offre ainsi le droit de rencontrer Carlsen, titre en jeu (un match en 12 rondes doté d’un
million d’euros). Le suspense a duré jusqu’au bout: Kariakine,
avec les blancs, était opposé à Fabio Caruano. Tous les deux
affichaient 7,5 points au compteur. Caruano choisissait une
ouverture tranchante où le moindre impair peut coûter la défaite à un camp comme à l’autre. Mais c’est lui qui va commettre la première faute (il vient
de jouer Tour e4 dans la position du jour)…
Né lui aussi en 1990, Carlsen
survole les échecs depuis
2009, année durant laquelle
il passe la barre mythique
des 2 800. Alors numéro 1
mondial, il bat Viswanathan
Anand en 2013 et s’empare
du titre mondial.
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Durée: 50 ans à compter
du 3 juin 1991.
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Avec les Blancs, Sergueï Kariakine, trouve le chemin de la victoire et
par le même coup celui du championnat du monde.
Solution de la semaine dernière : Cxg6, Ce6 ; Ce7+ , Rh8 ; Dg7+, Cxg7 ; fxg7
Txg7 ; hxg7 Mat !.
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Par PIERRE
GRAVAGNA
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Par GAËTAN
GORON
HORIZONTALEMENT
I. Pratique dangereuse qui
laisse des traces II. Vainqueur
du dernier Tour d’Espagne ;
Alternative au pétrole III. Il fait
voyager des moustachus ; On
en fait une forme d’être IV. Il
pratique un rugby avec moins
de contacts et plus d’espace
V. Il est déterminant ; Corneille
est son père, Pompée son
grand-père VI. Il est vital pour
justifier l’injustifiable; Musique
de film VII. Commun à Callas et
Kennedy VIII. Unité centrale ;
Il divise les musulmans
IX. Avec elle, pas de problème
pour se nourrir X. Grande ville
du nord de l’Europe ; Trié
n’importe comment XI. Elles
sont en compétition
La responsabilité du
journal ne saurait être
engagée en cas de nonrestitution de documents.
Pour joindre un journaliste
par mail : initiale du
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VERTICALEMENT
1. Ils surviennent lorsque les nausées abondent 2. D’aucuns y font une
sacrée entrée ; Avec à Rome 3. Mouvement de foule ; Il fait front face au mal
4. Ferai de sarcastiques bruits de bouche 5. Quand on pince sans rire mais
en jouant tout de même 6. Ad hoc ; ViIle de rugby 7. Réfléchi ; Un peu
d’étain ; Lieu de passage et de passeurs 8. Si elle est importante, l’expérience
est facilitée 9. Langue européenne ; Ils ne se cultivent pas hors saules
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Horizontalement I. CACOCHYME. II. ENVOLA IS. III. ST. SILANT.
IV. SIR. PLIAI. V. ÉDAM. UNIV. VI. ZODIAC. SA. VII. LUISAIS.
VIII. ÉLÉE. NABI. IX. FEU. MÉTÉO. X. EUSCARIEN. XI. URÉES. ERS.
Verticalement 1. CESSEZ-LE-FEU. 2. ANTIDOULEUR. 3. CV. RADIEUSE.
4. OOS. MISE. CE. 5. CLIP. AA. MAS. 6. HALLUCINER. 7. AIN. SATIE.
8. MINAIS. BÉER. 9. ESTIVATIONS.
50 u
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
JEAN­PIERRE PERRIN
Envoyé spécial à Beaune,
Belleville et Vinzelles
Photos
CLAIRE JACHYMIAK
Maison
Drouhin
La
a le vin en poupe
Si l’entreprise familiale, façonnée à l’ombre des Hospices
de Beaune, possède quelques-unes des appellations
les plus prisées de Bourgogne, elle ne cesse de s’étendre:
du Beaujolais voisin à la lointaine Amérique.
I
l se trompe, Philippe Sollers,
quand il mitraille à vue le
bourgogne avec une telle puissance folliculaire que l’on dirait des rafales de 12,7. Tout à la défense de son Bordelais natal dont il
vante l’ouverture au grand large,
le romancier accuse son illustre
concurrent d’être «trop sanguin», de
«l’ordre de la sauce» et le miroir
d’une «fermeture hexagonale», soit
une France continentale, centrée,
«centrique», «pétainiste», «reproduction sans cesse de l’esprit paysan
de collaboration» (1). Si on l’a bien
compris, les grands crus du Borde-
lais seraient donc résistants et collabos les climats (terroirs) de Bourgogne. Sauf que ça ne colle pas : le
maire de Bordeaux Adrien Marquet
fut un serviteur zélé de l’Allemagne
nazie –et ministre de l’Intérieur de
Pétain et Laval– quand le maire de
Dijon de l’époque, le chanoine Kir,
père spirituel de la célèbre boisson
qui porte son nom, fut un héros de
la Résistance, sauva la synagogue de
la ville et manqua mourir sous les
balles de la Milice.
Legs. A Beaune (Côte-d’Or), Véronique et Frédéric Drouhin, héritiers
avec leurs deux autres frères de la
maison du même nom, ont un autre
récit sur cette époque. Cette fois, il
concerne leur famille et commence
rue d’Enfer, dans le lacis des étonnantes caves des XIII e , XIV e
et XVe siècles. Là, dans un recoin,
non loin des barriques alignées
comme les régiments du 14 Juillet,
on distingue une vieille porte noirâtre. Elle ouvre sur un passage secret.
C’est par ce chemin que leur grandpère, Maurice Drouhin, s’est sauvé
en 1944, la Gestapo aux trousses. Ce
n’était pas la première fois qu’elle
venait l’arrêter. En 1941, il avait déjà
été embastillé à Fresnes (Val-de- maisons de retraite et d’un monuMarne) pour faits de résistance. Le ment historique, le célèbre Hôteltribunal l’avait libéré l’année sui- Dieu datant du XVe siècle– d’un dovante. Une clémence qu’il devait à maine vinicole de 61 hectares, consun soldat allemand, un fantassin titué des meilleures appellations de
qu’il avait sauvé le 11 mars 1915. Bourgogne. Toutes les vignes proL’homme gisait blessé dans le no viennent de legs et de donations.
man’s land, et le négociant, alors of- Leur production est commercialificier, s’était avancé jusqu’à la tran- sée chaque année aux enchères, le
chée ennemie pour garantir à ses troisième dimanche de novembre,
camarades une trêve s’ils venaient dans le cadre de la vente de charité
le chercher.
la plus célèbre du monde.
Ce n’est peut-être pas la seule raison Par ailleurs, le même grand-père se
de sa libération: il connaissait aussi verra aussi confier la gestion de plud’avant-guerre le Weinführer, sieurs autres hospices de l’est de la
Adolph Segnitz, chargé de supervi- France, dont celui de Belleville
ser les vignobles français pour le (Rhône), dans le Beaujolais. Cincompte des dignitaires nazis. Qu’im- quante ans plus tard, ce sont les viporte ! Ce qui compte, c’est qu’en gnes de cet hôtel-Dieu –créé en 1733
1944, lors de sa cavale, Maurice pour soigner aussi les malades les
Drouhin put trouver refuge aux Hos- plus pauvres et devenu depuis étapices civils de Beaune, où la sœur blissement public– que les héritiers
supérieure Germaine
de Maurice Drouhin
et quelques autres
reprennent. «Un
Dijon
frangines le planquerapprochement qui
CÔTED’OR
ront pendant six
prend l’allure d’une
CÔTESCÔTE
mois, jusqu’à l’arridestinée. Une façon
DE
DE-NUIT
NUITS
vée des Alliés, en
pour nous de marseptembre 1944.
cher dans les pas de
Beaune
«Pour témoigner de
notre grand-père et
CÔTESCÔTE
sa reconnaissance
d’assumer à notre
DE-BEAUNE
DE BEAUNE
aux Hospices qui
tour la gestion de
CÔTECÔTE
l’ont sauvé, mon
cette œuvre caritaCHALONNAISE
grand-père leur a
tive», souligne FréChalondonné deux hectares
déric Drouhin, le
sur-Saône
SAÔNEet demi de vignes, et
PDG de l’entreprise
ET-LOIRE
décidé de leur consafamiliale.
crer, comme admiCe n’est pas la preMÂCONNAIS
nistrateur bénévole,
mière fois que la
une journée par sequatrième généraVinzelles
Mâcon
maine», raconte Vétion de la vieille
ronique Drouhin,
maison beaunoise
AIN
l’œnologue de la
créée en 1880, célèmaison.
bre pour son mythiBelleville
BEAUJOLAIS
L’originalité de ces
que clos-des-mouVillefranchehospices, vieille insches (en rouge et en
sur-Saône
titution fondée en
blanc) et ses deux
1443, c’est qu’ils disféaux que sont bonRHÔNE
posent – outre d’un
nes-mares et bâtardLYON
10 km
hôpital général, de
montrachet, se risSaô
ne
FOOD/
Par
Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016
u 51
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ROND DE SERVIETTE
A gauche,
le mythique
Clos des
Mouches,
premier cru
rouge et blanc
produit sur
la commune
de Beaune.
Au centre,
Véronique
et Frédéric
Drouhin, deux
des quatre
héritiers qui
possèdent
encore
l’entreprise
familiale.
A droite,
la cave
de la Maison
Drouhin,
à Beaune.
que hors du périmètre sacré des
premiers et grands crus. Ils représentent les deux tiers de ses 73 hectares dans la côte de Nuits, côte de
Beaune, côte chalonnaise et chablisien. Elle a ainsi tenté l’aventure du
Nouveau Monde, faisant un grand
écart de 8 500 km entre Beaune et
l’Oregon (côte ouest des EtatsUnis). Elle y a acquis le Roserock Vineyard, soit 150 hectares, où l’on retrouve les deux cépages rois du
bourgogne: pinot noir et chardonnay. Pour une bonne raison, les
Dundee Hills et Beaune sont situés
le long du 45e parallèle, «la latitude
idéale des grands vins du
monde» (2).
Jolie robe. Parallèlement, cette
quatrième génération a fait le pari,
dans sa stratégie d’expansion, de
rester proche des vignerons,
d’adopter la viticulture biologique
et de contribuer à la renaissance des
terroirs traditionnels. Avec des incursions dans le Mâconnais, puis le
Beaujolais, extensions logiques de
la grande Bourgogne, mais que celle-ci a souvent regardées de haut
dans le passé. Aujourd’hui, le sud de
la région, c’est la pente naturelle des
grandes maisons bourguignonnes:
elles ont besoin de s’étendre, ont
du savoir-faire et des moyens alors
que celles du Beaujolais manquent
d’argent.
La maison Drouhin possède ainsi,
près de ses vignes de pouilly-fuissé
(Saône-et-Loire), le mâcon-bussières-les-clos, un blanc issu de rendements assez faibles, ce qui permet
aux raisins de développer les nuances propres à chaque parcelle, avec
une jolie robe jaune claire, des notes
minérales et de fleurs blanches.
Pour un prix raisonnable: 13 euros.
A 10 kilomètres au sud-ouest de Mâcon, on trouve aussi l’appellation de
pouilly-vinzelles, souvent razziée
par le fléau de la grêle. Peu connu
malgré ses origines romaines, beaucoup moins célèbre que ses voisins
de pouilly-fuissé mais moins cher,
c’est un vin typique de terroir. Il est
gras, puissant, avec des arômes de
noisettes fraîches et d’amandes
grillées, puis une belle tenue en
bouche. La propriété est familiale,
la maison Drouhin s’occupant,
outre la commercialisation, de sa
vinification et de conseiller les
exploitants.
A l’occasion d’une balade dans la région, il faut aller se perdre au gré de
petites routes serpentines bordées
de murets qui ne sont plus guère entretenus. Un château surveille le vignoble planté sur un coteau escarpé,
à côté des vestiges d’une place forte
du XIe siècle, vieil aigle déplumé par
les années et les guerres. «Je n’ai ja-
A boire et à voir
n L’Hôtel-Dieu de Belleville
est devenu un musée de la
médecine des pauvres
d’autrefois. Ce n’est pas une
collection d’instruments de
torture, mais bien de médecine
qui est présentée dans les
vitrines. Belle apothicairerie.
Ouvert du mardi au samedi.
Toute la semaine en été.
n Le château de Vinzelles
se visite en juillet et août tous
les jours de 14 à 19 heures
(fermeture le lundi) et lors des
Journées du patrimoine.
n Le mont Brouilly
avec sa célèbre chapelle dédiée
à Notre-Dame-aux-Raisins, dont
la silhouette s’aperçoit de loin,
est l’un des plus beaux
paysages viticoles du monde.
n Les caves de la Maison
Drouhin, au 7, rue d’Enfer,
à Beaune, peuvent se visiter
sur demande.
mais vu un château dont les murs
parlent autant», s’exclame Frédéric
Drouhin. On n’en sait pas beaucoup
sur son histoire : ses archives ont
brûlé pendant la Révolution.
Apothicairerie. Le nouveau partenariat exclusif signé avec les Hospices de Belleville apporte au patrimoine de la maison Drouhin
14 hectares issus de ce domaine
dans trois crus: fleurie (43000 bouteilles), brouilly (14400) et morgon
(12500). Le cépage est le gamay noir
à jus blanc, typique du Beaujolais.
La première vendange à la main a
été faite en 2014. «Les vignes ont fait
l’objet d’un audit afin de mieux identifier et comprendre chacune des
parcelles. Il s’agit d’être au plus près
de la plante. Pour sortir par le haut,
il faut jouer la carte des terroirs»,
souligne Frédéric Drouhin. Les bouteilles de ces crus sont soignées,
avec des étiquettes qui s’inspirent
des vases d’onguent de l’apothicairerie de l’ancien Hôtel-Dieu de Belleville. Des trois crus (vendus entre 13 et 15 euros), notre préférence
va à l’élégance assez austère du fleurie.
Bien sûr, il y a un monde, et même
plusieurs, entre ces vins et les premiers ou grands crus de la maison
Drouhin. Mais, à l’heure où ces derniers deviennent de plus en plus
inabordables (un clos-des-mouches
2011 en rouge coûte près de
80 euros), ils sont une bonne entrée
en matière et réconcilient avec les
beaujolais. Ils sont aussi une initiation au terroir, dont le géographe
Roger Dion écrivait qu’il est «le résultat d’une victoire chèrement acquise et non pas la réponse aux invites d’une nature bienveillante». •
(1) Fugues, de Phillipe Sollers,
éditions Gallimard, «Folio», 1 312 pp., 14 €.
(2) La Magie du 45e parallèle : latitude des
grands vins, d’Olivier Bernard et Thierry
Dussard, éditions Féret, 160 pp., 20 €.
Mensae, lauréat
parce qu’il le vaut bien
Par ELVIRE VON BARDELEBEN
C
e coin-là de Paris n’est
pas encore très fréquenté par les gourmands : en haut d’une butte
(Chaumont), un peu excentrée
(métro Pyrénées), dans une rue
(Mélingue) silencieuse, se
trouve l’enseigne fraîchement
récompensée par le guide Lebey des bistrots dans son édition 2016. Mensae, ouvert fin
octobre, propose une cuisine
savoureuse et simple, mais pas
dénuée de fantaisie.
Quelques jours avant la parution du guide des bistrots en librairie (mercredi) et le relooking nécessaire de son site,
Lebey conviait la presse à un
déjeuner où le chef de Mensae,
Kévin D’Andréa (24 ans), montrait l’étendue de son talent :
œuf réellement parfait où le
blanc est rebondi et le jaune,
comme un petit fleuve, se fraie
un chemin dans une mayonnaise vaporeuse à l’huile
d’olive fruitée, coiffée d’asperges ; puis un civet de joue de
porc si tendre qu’on dirait un
bonbon, avec une polenta et un
jus de viande qui réchauffe; enfin, un dessert plus complexe,
à base de mousse au chocolat
tiède, au praliné et au cacao,
avec une glace vanille et une
écume de lait. Ce dernier mets,
d’un raffinement surprenant,
est un classique de la carte, qui
donne fort envie de revenir
lorsqu’on égrène les intitulés
sobres mais prometteurs: terrine de foies de volaille, pickles
de légumes (13€), ravioles d’escargot et noix, bouillon d’aïoli
(15€), chipirons à la basquaise
(14€), pluma de cochon ibérique, pommes grenaille confites, jus court (23€)…
En récompensant Mensae, le
guide fait preuve d’une belle
Kévin D’Andréa de Mensae.
PHOTO PIERRE OLIVIER. M6
constance : le bistrot est tenu
par deux anciens finalistes de
Top Chef, Kévin D’Andréa
donc, et Thibault Sombardier,
qui gère la boutique ainsi
qu’Antoine, son restaurant de
poisson étoilé dans le XVIe arrondissement de Paris. L’an
dernier, Lebey avait sacré
A Noste, le bistrot, situé dans le
IIe arrondissement, d’un autre
candidat Top Chef, Julien Duboué. Pas d’ostracisme cathodique donc, et tant mieux.
Soixante-cinq adresses ont été
ajoutées cette année, et, ô joie,
elles ne sont pas toutes sises
dans le XIe arrondissement.
Certaines sont en banlieue
(waou!), d’autres dans des plaines sciemment désertées par
les restaurateurs branchés telles que la Rive gauche –les Enfants gâtés, un des prétendants
au prix du meilleur bistrot de
l’année se trouve d’ailleurs du
côté de Denfert-Rochereau :
«Jolie cuisine bistrotière avec
plats construits […], attentifs
aux textures, très esthétiques
sans chichi. Excellent pain.»
Voilà une base sur laquelle on
pourrait s’entendre. •
Mensae, 23, rue Mélingue (75019).
Rens. : 01 53 19 80 98.
COUP DE CŒUR
Saucer vraiment toi
La vie serait un brouet clair et insipide sans le
plaisir de saucer. Et que je fais trempette dans
la blanquette; que tu mouillettes dans l’œuf coque ; que nous dégustons le fond du bourguignon. Le tout avec des lichettes de pain aussi imbibées qu’une fin de cordée à Pigalle. On tutoie
le sublime quand on sauce, comme l’évoque si
finement Mayalen Zubillaga dans l’Art de saucer : « C’est une pulsion primitive, une manière
instinctive de goûter le monde», écrit cette native
de Marseille, «où l’on sauce énormément». Nous voilà donc à récurer en pensée notre assiette en songeant à ses «pieds et paquets
presque comme à Marseille», à ses «œufs au purgatoire» et à ses
autres recettes de jus idéaux à saucer. J.D.
«L’Art de saucer», de Mayalen Zubillaga, éd. de l’épure, 120 pp., 10 €.
!
Aujourd’hui, en France, presque tous les enfants vont à l’école. Ça paraît normal, mais
pendant des centaines d’années, ils ont travaillé douze heures par jour et ils étaient
moins bien payés que des adultes. Ce n’est
qu’au XIXe (19e) siècle que les hommes politiques ont décidé de changer les choses, afin
de préserver la santé des enfants.
Il y a 175 ans, en 1841, une loi a été votée pour
interdire le travail aux enfants de moins
de 8 ans. Puis la limite est passée à 12 ans.
Mais les choses ont vraiment changé quand,
au lieu d’interdire aux enfants de travailler, on les a obligés à s’instruire,
c’est-à-dire à apprendre la lecture et
l’écriture, la géographie et l’histoire
de France, les mathématiques, la
gymnastique… Le ministre Jules
Ferry a créé une loi pour ça, en 1882.
L’école est devenue obligatoire pour
tous les enfants âgés de 6 à 13 ans.
Aujourd’hui, on est obligé de suivre
un enseignement jusqu’à 16 ans. Ce
sont les parents qui décident s’ils veu-
LE P'TIT LIBÉ
lent leur donner des cours eux-mêmes, à la
maison, ou payer des professeurs particuliers. Ou alors, comme la majorité, ils peuvent
envoyer leurs enfants à l’école. Mais que ce
soit à l’école ou chez soi, il est obligatoire de
suivre des cours, dans différentes matières et
avec un programme précis. Il existe des écoles privées, qui sont payantes. Mais pour que
tout le monde puisse avoir une éducation,
même les enfants pauvres, Jules Ferry a aussi
décidé, en 1881, qu’il y aurait des écoles gratuites. Comme ça, pas d’excuse.
Pour que les enfants se sentent bien à l’école
et ne soient pas trop fatigués, il existe des règles sur leurs conditions de travail, comme
pour les adultes. C’est le ministère de l’Education nationale qui les choisit. Par exemple,
en 2016, un élève de primaire travaille
24 heures par semaine et a 16 semaines de
vacances par an.
Si les enfants ne sont pas satisfaits de leurs
conditions de travail, ils peuvent râler, mais
ils n’ont pas le droit de faire grève, ni de manifester. Ils peuvent compter sur leurs professeurs et même leurs parents pour se faire entendre quand le gouvernement veut changer
des choses qui ne leur plaisent pas,
comme c’était le cas il y a deux ans
avec la réforme des rythmes scolaires. Avant 2013, la plupart des élèves
allaient à l’école quatre jours par semaine : lundi, mardi, jeudi et vendredi. Maintenant, ils doivent aussi
y aller le mercredi ou le samedi matin, et en échange ils finissent plus
tôt. Il y a eu beaucoup de manifestations de professeurs pour protester contre ce changement.
Y a-t-il une
«loi travail» pour
les enfants ?
Des enfants travaillent dans une fabrique de tissus,
au XIXe siècle. PHOTO RUE DES ARCHIVES. CCI
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Quelles ont été
les autres grandes
mobilisations ?
Comment
fonctionne
une entreprise ?
Y a-t-il une
«loi travail» pour
les enfants ?
Qu’a proposé
le gouvernement ?
Concept : Cécile Bourgneuf, Emilie Coquard, Sophie Gindensperger et Elsa
Maudet. Rédaction : Cécile Bourgneuf, Maïté Darnault, Camille Gévaudan
et Elsa Maudet. Graphisme et illustrations : Emilie Coquard
Maquette : Laurianne Folinais
Pourquoi
parle-t-on
de cette loi ?
Le témoignage
de Natacha, élève
en terminale
N°8
LA LOI
TRAVAIL
SAMEDI 2 AVRIL 2016
!
2
LE P'TIT LIBÉ
belles et des barrières devant la grille de
l’école. Certains élèves ont tout de même
voulu entrer, mais ceux qui bloquaient leur
ont crié dessus. Ils sont passés en baissant
la tête et ils ont fini par accéder au lycée par
une autre porte.
Vers 10 h 30, des élèves de deux autres lycées de Chambéry sont venus rejoindre le
blocage, devant la grille. Tout le monde était
assis par terre, des phrases étaient écrites
sur des affiches, un porte-parole les criait
dans un mégaphone (un objet qui permet
d’augmenter le son de la voix). Des journalistes de France 3 sont venus filmer les
lycéens.
Natacha ne sait pas si elle est pour ou contre
la manifestation, mais elle est restée pour
voir ce qui se passait. Le lendemain, le jeudi,
elle est allée en cours normalement.
Chambéry, ville de Natacha
LE TÉMOIGNAGE
DE NATACHA, ÉLÈVE
EN TERMINALE
Natacha a 18 ans, elle est en terminale et elle
habite à Chambéry, en Savoie. Le mercredi 9 mars, des élèves ont bloqué son lycée
pour montrer qu’ils n’étaient pas d’accord
avec une loi que le gouvernement (les ministres) propose, qui doit modifier l’organisation du travail dans les entreprises. Les lycéens sont encore à l’école mais ils
travailleront dans quelques années, donc
certains sont inquiets.
Natacha n’a pas participé à l’organisation du
blocage, mais le jour précédent, le mardi,
elle a entendu dire que des élèves s’étaient
réunis pour décider, en votant à main levée,
d’empêcher les gens d’entrer dans l’établissement. Ils ont ensuite prévenu les professeurs et le proviseur, qui est le chef du lycée.
Quand Natacha est arrivée le mercredi, un
peu avant 8 heures, il y avait de grosses pou-
Note de la rédaction: jeudi, environ 400000 personnes ont de nouveau manifesté contre le projet de loi travail un peu partout en France.
SAMEDI 2 AVRIL 2016
Des ouvriers des usines Renault manifestent à Paris
en mai 1968. PHOTO JANINE NIEPCE. ROGER-VIOLLET
Des travailleurs manifestent en 1995 à Paris contre
une proposition du gouvernement de repousser l’âge
de départ à la retraite. PHOTO SIMON BUU
Des jeunes manifestent contre le contrat première
embauche (CPE), à Paris, en 2006. PHOTO BRUNO LEVY
POUR L’ÂGE DE LA RETRAITE
(1995, 2003, 2010)
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A partir d’un certain âge (aux alentours
de 60 ans), on peut prendre sa retraite.
Ça veut dire qu’on arrête de travailler
pour toujours, mais qu’on gagne quand
même de l’argent. Pour ça, il faut avoir eu
un emploi avant parce que, quand on travaille, une partie du salaire que l’entreprise distribue chaque mois est mise de
côté exprès pour payer les retraites. Pour
recevoir l’argent de la retraite, il faut
avoir travaillé un certain nombre d’années et avoir un âge minimum. Plusieurs
gouvernements ont voulu obliger les
gens à travailler plus longtemps avant
d’avoir le droit de recevoir l’argent de la
retraite. Ça a notamment été le cas
en 1995, en 2003 et en 2010. Ces années-là, des citoyens n’étaient pas d’accord pour travailler plus longtemps,
donc ils ont manifesté afin que les gouvernements retirent leurs propositions.
En 1995, ce sont les manifestants qui ont
obtenu ce qu’ils voulaient. En 2003 et
en 2010, ce sont les gouvernements.
Aujourd’hui, la plupart des gens doivent
avoir travaillé 43 années et avoir au
moins 62 ans pour recevoir tout l’argent
de la retraite. Si on s’arrête avant ces limites, on reçoit moins d’argent, sauf si on
a commencé à travailler très jeune.
CONTRE LE CONTRAT
DES JEUNES, LE CPE
(2006)
Le gouvernement a voulu créer un nouveau contrat de travail, qui s’appelait le
contrat première embauche, le CPE.
Il devait permettre aux patrons de licencier les salariés âgés de moins de 26 ans
sans leur expliquer pourquoi, au cours
des deux premières années où ils travaillent dans l’entreprise. Les jeunes
n’étaient pas d’accord et ont beaucoup
manifesté. Finalement, le gouvernement
a renoncé à créer le CPE.
LE P'TIT LIBÉ
Les ouvriers (employés dans les usines, là où on
fabrique des voitures, par exemple) voulaient des
améliorations de leurs conditions de travail. Pour
le faire savoir au gouvernement qui venait d’être
élu, ils ont fait grève (ils ont arrêté de travailler).
Puis des personnes qui étaient employées dans
d’autres types d’entreprises, comme des grands
magasins, ont fait de même. Puisqu’il y avait vraiment beaucoup de grévistes (les gens qui font
grève), le gouvernement a réuni les représentants
des patrons et ceux des ouvriers pour discuter. Ensemble, ils ont trouvé plusieurs solutions, dont :
– l’augmentation des salaires ;
– la diminution du temps de travail, qui est passé
à 40 heures par semaine, au lieu de 48 heures
(aujourd’hui, c’est 35 heures) ;
– la création des congés payés: les travailleurs ont
eu le droit de partir en vacances pendant deux semaines chaque année tout en recevant de l’argent
(aujourd’hui, c’est cinq semaines par an).
POUR LES CONGÉS PAYÉS (1936)
En 1936, des ouvriers font grève
en s’amusant et occupent leur usine pour
empêcher que d’autres gens travaillent
à leur place. PHOTO BHVP. ROGER-VIOLLET.
Au mois de mai, il y a eu de nombreuses manifestations en France.
Cette période est surnommée
«Mai 68». Ce sont d’abord des étudiants qui se sont mobilisés pour critiquer plusieurs choses qui ne leur
plaisaient pas dans la société. Puis
des ouvriers se sont mis en grève,
pour protester contre leur rythme de
travail et pour demander à être
mieux payés. Des personnes qui travaillaient dans d’autres types d’entreprises ont fait pareil, partout en
France. Après ces manifestations,
les salaires ont été augmentés. Mais
surtout, les syndicats, c’est-à-dire
des groupes de gens qui défendent
les employés, ont été autorisés dans
les entreprises.
POUR QU’IL Y AIT DES SYNDICATS
DANS LES ENTREPRISES (1968)
D’AUTRES
GRANDES
MOBILISATIONS
Ce n’est pas la première fois qu’il y a
des manifestations au sujet du travail
en France. Les gens se mobilisent
parce qu’ils estiment que leurs conditions de travail ne sont pas assez bonnes ou qu’ils ont peur qu’une loi les
rende moins bonnes. Parfois, ils obtiennent ce qu’ils veulent, parfois non.
6
3
Il existe des milliers de lois pour dire comment la société doit
fonctionner. Elles sont regroupées dans de gros livres qu’on
appelle des «codes». Dans le code du travail, on trouve toutes
les lois qui concernent le travail. Pour travailler, il
faut signer un contrat, c’est-à-dire un accord
entre l’employeur (le chef d’entreprise) et
l’employé (le salarié) sur le temps de travail (35 heures par semaine,
en France), le salaire (l’argent qu’on gagne) et les congés payés
(cinq semaines par an au minimum), notamment. Pour éviter que
les gens soient trop pauvres, la loi garantit un salaire minimum, qu’on
appelle le Smic, de 1 466 euros par mois. S’ils sont malades, les employés ont droit à des congés maladie, durant lesquels ils sont payés.
COMMENT FONCTIONNE UNE ENTREPRISE ?
Haas, a publié un texte pour demander au
gouvernement d’abandonner son projet. Elle
a proposé aux gens qui étaient d’accord avec
elle de le signer. Ce type de texte s’appelle
une pétition. Elle a mobilisé plus d’un million
de personnes, un record pour une pétition en
ligne. Des jeunes ont posté une vidéo où ils
expliquent pourquoi cette loi les inquiète. Ils
ont aussi créé un site pour demander aux
gens d’y raconter les pires histoires qui leur
sont arrivées au travail. Des milliers de personnes ont témoigné sur les réseaux sociaux,
comme Twitter et Facebook. Ensuite, les syndicats ont critiqué le texte et appelé à manifester. Face à toutes ces protestations, y compris celle des gens qui sont d’habitude
d’accord avec lui, le gouvernement a modifié
plusieurs parties de la loi qui étaient critiquées. Mais la plupart des gens qui sont contre trouvent que ça ne suffit pas.
POURQUOI
PARLE-T-ON DE
CETTE LOI ?
Depuis la mi-février, des milliers de personnes ont manifesté (elles ont marché dans la
rue en groupe pour dénoncer des choses
avec lesquelles elles ne sont pas d’accord)
partout en France. Elles critiquent la «loi travail», proposée par le gouvernement, qui doit
changer plusieurs choses dans les entreprises. Ces gens veulent que le gouvernement
l’abandonne, parce qu’ils ont peur, notamment, que les patrons puissent renvoyer plus
facilement leurs employés. Parmi les manifestants, il y a des lycéens et des étudiants,
des gens qui travaillent, des chômeurs (ils
n’ont pas de travail), des syndicats (des groupes de personnes qui défendent les travailleurs ou les élèves) et des hommes et femmes politiques.
La mobilisation a d’abord commencé sur Internet. Une militante (une personne qui se
bat pour défendre ses idées), Caroline de
SAMEDI 2 AVRIL 2016
LE P'TIT LIBÉ
QU’A PROPOSÉ LE
GOUVERNEMENT ?
nement a proposé de fixer de nouvelles règles pour autoriser les licenciements économiques. Les gens qui sont contre le projet de
loi travail pensent que ces règles permettraient aux entreprises de faire comme si elles avaient des problèmes d’argent alors que
ce n’est pas vrai. Et donc qu’elles pourraient
renvoyer des gens au lieu de continuer à les
faire travailler.
SAMEDI 2 AVRIL 2016
L’ARGENT REÇU QUAND ON
N’AURAIT PAS DÛ ÊTRE LICENCIÉ
Si une personne qui a perdu son travail
pense que son patron n’avait pas le droit
de la licencier, elle peut faire appel à un
tribunal spécialisé dans les relations entre salariés et patrons : le conseil des
prud’hommes. Si le juge estime que cette
personne n’aurait effectivement pas dû
être licenciée (on parle de licenciement
abusif), elle a droit à de l’argent. La loi indique la somme minimum que doit recevoir une personne qui a été victime d’un
licenciement abusif. Mais il n’existe pas
de maximum. Le gouvernement a proposé de fixer une somme maximum à
donner à quelqu’un qui a été licencié
de façon abusive. Les opposants à la loi
travail ont peur que, s’il existe une
somme maximum, les personnes licenciées abusivement reçoivent moins d’argent qu’avant.
LES RÈGLES DES DIFFÉRENTS MÉTIERS
Les entreprises doivent respecter les règles du
code du travail, mais aussi certaines règles qui
concernent spécialement leur profession. Ça
peut être au sujet du salaire, des horaires de travail et de plein d’autres choses. Prenons l’exemple des vendeurs de glaces. S’ils travaillent plus
de 35 heures par semaine, il peuvent par exemple se mettre d’accord pour gagner 3 euros de
plus par heure supplémentaire. Ça concernera tous les vendeurs de glaces de France.
Leurs patrons ont le droit de les payer plus,
mais pas moins. Le gouvernement a proposé
de permettre aux entreprises de prendre plus
de décisions par elles-mêmes plutôt que ce soit
décidé par toute la profession. Ça voudrait dire
qu’un vendeur de glaces d’une entreprise pourrait gagner 1 euro de plus par heure supplémentaire alors qu’un vendeur de glaces qui travaille dans une autre entreprise gagnerait
3 euros de plus. Ceux qui critiquent le projet de
loi disent que ça provoquera des inégalités entre les gens qui exercent le même métier dans
des entreprises différentes.
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Le gouvernement pense
que certains patrons n’ont
pas envie d’employer des
gens parce que les règles du
code du travail sont trop sévères. C’est pour ça qu’il
propose une loi pour le
changer. Il espère que ça
permettra de faire baisser le
chômage. Mais ceux qui
s’opposent au projet de loi
travail disent que ça donnerait surtout moins de droits
aux travailleurs et plus de
pouvoir aux patrons. Voici
quelques exemples des
changements proposés par
le gouvernement qui ont été
critiqués. Ça ne veut pas
forcément dire qu’ils seront
mis en place.
LE LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE
Une entreprise peut renvoyer des salariés si
elle ne gagne plus assez d’argent pour les
payer ou si elle a peur de ne plus réussir à en
gagner suffisamment. On dit alors qu’elle fait
des licenciements économiques. Pour en
avoir le droit, elle doit prouver qu’elle est
vraiment en difficulté ou qu’elle risque de
l’être bientôt. Ce sont les juges qui disent si
l’entreprise a été sincère ou pas. Le gouver-