CHEFS-D`ŒUVRE DE BU DAPEST
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CHEFS-D`ŒUVRE DE BU DAPEST
2,70 € Première édition. No 10843 SAMEDI 2 ET DIMANCHE 3 AVRIL 2016 www.liberation.fr Pour son nouvel album, le dernier des dandys ouvre son antre à «Libération». Interview hors normes. RENCONTRE, PAGES 2-7 ÉDOUARD CAUPEIL CHRISTOPHE SAMEDI 2 AVRIL 2016 TOTAL «CHAOS» LOI TRAVAIL N°8 LA Le témoignage de Natacha, élève en terminale Pourquoi parle-t-on de cette loi ? Qu’a proposé le gouvernement ? Comment fonctionne une entreprise ? Quelles ont-été les autres grandes mobilisations ? Y a-t-il une «loi travail» pour les enfants ? Concept : Cécile Bourgneuf, Emilie Coquard, Sophie Gindensperger et Elsa Maudet Rédaction : Cécile Bourgneuf, Maïté Darnault, Camille Gévaudan et Elsa Maudet Graphisme et illustrations : Emilie Coquard Maquette : Laurianne Folinais LE P’TIT LIBÉ SPÉCIAL LOI TRAVAIL ET AUSSI… François Fillon s’enlise ANALYSE, PAGE 9 n Hedi Slimane s’en va MODE, PAGES 20-21 n Judy Chicago s’encadre IMAGES, PAGES 27-34 n Annie Ernaux s’enhardit LIVRES, PAGES 41-48 n (PUBLICITÉ) MUSÉE DU LUXEMBOURG 9 MARS • 10 JUILLET 2016 CHEFS-D’ŒUVRE DE BUDAPEST DÜRER, GRECO, TIEPOLO, MANET, RIPPL-RÓNAI… József Rippl-Rónai, Femme à la cage (détail), 1892. Budapest, Galerie nationale hongroise. Conception solennmarrel.fr IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 3,40 €, Andorre 3,40 €, Autriche 3,90 €, Belgique 2,80 €, Canada 6,20 $, Danemark 36 Kr, DOM 3,50 €, Espagne 3,40 €, Etats-Unis 6,00 $, Finlande 3,80 €, Grande-Bretagne 2,80 £, Grèce 3,80 €, Irlande 3,50 €, Israël 27 ILS, Italie 3,40 €, Luxembourg 2,80 €, Maroc 30 Dh, Norvège 36 Kr, Pays-Bas 3,40 €, Portugal (cont.) 3,60 €, Slovénie 3,80 €, Suède 34 Kr, Suisse 4,40 FS, TOM 560 CFP, Tunisie 4,90 DT, Zone CFA 2 900 CFA. 2 u Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe CHRISTOPHE «J’suis pas chanteur, j’suis pas musicien» A une semaine de la sortie de son treizième album, l’artiste de 70 ans a répondu aux questions de «Libération», chez lui, toute une nuit. Recueilli par JULIEN GESTER et DIDIER PÉRON Photos ÉDOUARD CAUPEIL G ainsbourg et Bashung, Jacno et Daniel Darc tous partis, que reste-t-il en France de cette constellation d’étoiles fêlées, à même de concilier la stature de monument pop national et la cinglerie la plus toxique ? A l’heure où Renaud re-re-re-re-revient, tandis qu’on expose à Paris les débris dorés du Velvet Underground, Christophe apparaît l’un des derniers survivants à camper son altière posture dandy avec un pied obstinément planté de chaque côté –à la fois baladin musette et laborantin bizarre. Son treizième album, le magnifique et très bien nommé les Vestiges du chaos (lire cicontre) s’ouvre sur Définitivement, chanson en forme d’autoprofilage de sa légende narcissique et cosmique : «J’suis le plus pur/ Je vous rassure/ Le plus embrasé.» Sa figure continue de fasciner par son aura de freak heureux, prototype du tombeur crooner court sur pattes dont la poésie résiste aux régimes habituels d’appréciation. Un entretien avec lui, en sa tanière de Montparnasse, au début du soir, ne saurait être que du même ordre semi-fantastique et hors de contrôle, avec décor de mini-Xanadu détraqué –plein à ras bord de photos, instruments, juke-boxes, meubles chinois et fauteuils de coiffeurs. Personnage lynchien inclus, volubile et dérégulé, au phrasé en saccades, ponctué de claquements de langues, de tics («Comment?» tous les trois mots), de fragments hachés menus. Des phrases intranscriptibles –on a quand même essayé–, qui tantôt produisent du haïku en rafales («J’suis un mec d’autels, parfois, ça me fait aller à l’hôtel»), tantôt s’évasent en plein milieu en une arborescence boiteuse d’hésitations, historiettes, précisions cryptiques et autres commentaires lunaires. Sans couvercle apparent, sans grandes contraintes horaires non plus. Il avait un temps été vaguement question que l’entretien s’achève à 22h30, il a fallu mettre le holà sur les révélations fracassantes vers 4 heures du matin. Les Vestiges du chaos est un album qu’on aime beaucoup. Marqué par un retour au format pop, à la chanson, alors que les précédents lorgnaient vers la symphonie de poche… Je ne calcule pas. C’est plus une question de nouveauté par rapport à ma passion de la musique, quoi. Les gens qui m’influencent. L’influence, ça compte beaucoup dans la création. C’est bien d’aimer des gens. Je ne parle pas des trucs qui me donnent du plaisir au quotidien, la Callas-Hooker-Elvis-Bowie-Lou. Enfin, tous les classiques. Je parle de la nouveauté. Parce qu’on sait qu’aujourd’hui, c’est assez difficile de créer quelque chose d’un petit peu… original. En fait, quand cet album a démarré, l’autre était pas fini en 2008. Y a des trucs de 2008 qui traînent sur cet album-là. Même si c’est souvent des vestiges, enfin des poussières quoi. Faut pas s’encombrer, mais tout ce qui n’est pas jeté dans la matière sonore, dans la création, est là pour une raison inexpli- cable. C’est dans l’air et avec l’ordinateur, c’est plus facile de stocker. C’est l’inconnu qui me nourrit, le connu je le laisse derrière, j’essaie de le sublimer, quoi. Je connais ma façon de fonctionner, je sais que j’suis pas quelqu’un qui va dire : «Tiens, je vais écrire un texte là, parce que je veux faire un album.» Je fonctionne à la rencontre, à l’inconnu, qui équivaut au plaisir, tant que la rencontre est belle. Une chanson, ça peut être dix ans de travail ? C’est souvent à coups de bribes. Mais le don d’un créateur, c’est d’avoir (il claque des doigts) la vibration. Au bon moment. Et de comprendre l’engrenage possible. Un peu comme un metteur en scène. Quand vous dites des bribes, ça revient à quoi ? Un herbier, un tableau que vous entamez sans connaître le motif final ? Je connais jamais le motif final. Toutes les chansons ont vraiment des failles, chaque chanson a son histoire particulière. C’est un disque que j’ai failli arrêter, pendant dix à quinze jours, à cause de la relation que j’avais avec les gens un peu choisis par mon label et moi-même. A un moment, y a eu des choses qui ont été réalisées à partir de mes maquettes, et ça ressemblait pas du tout au niveau que j’avais envie de donner à cet album. Donc j’ai fait cette cassure, que j’ai voulue, avec ces gens-là. Il s’est passé un truc en moi, terrible. J’ai eu besoin de sortir tout ce mal que j’ai eu, cette incompréhension. Suite page 4 Christophe en sa tanière, à Montparnasse, le 25 mars. u 3 Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 «Vestiges» de l’amour et paradis retrouvés image, un public brassant large, des hipsters tardifs à Drucker, sans jamais rien céder de ses envoûtements alambiqués. Ce nouvel album de l’entrée dans le grand âge est aussi paradoxalement son plus adolescent, de mémoire rél y a tout juste vingt ans, prin- cente. Gorgé de sève, de pulpe, de temps 96, Christophe reparais- chair, où Christophe, en maître de sait, quinquagénaire gominé, marionnettes, redéploie l’éternité de après treize années de silence lors sa figure d’homme aux mots gadesquelles il a surtout lants, à qui les passions fipeaufiné son lancé de pé- CRITIQUE lent entre les doigts tel un tanque – il joue de l’arsablier jamais comblé. gent. L’album Bevilacqua, enregis- Après une doublette d’albums qui tré allongé en état de transe visaient l’anéantissement de sa voix mediumnique sous la console de dans des fresques stellaires surmixage, était le grandiose œuvre au gonflées en images et textures, les noir d’un sorcier du son se décri- Vestiges du chaos marque un retour vant en Tourne-cœur («Beau/ Qui sur un point de classicisme, qui a fait rêver les filles»). Depuis, il s’est aussi pour lui valeur de point d’orirefait une forme, un nom, une gine – la valeur «tube». Son chant Le beau bizarre revient, très entouré, avec de somptueuses mélodies gorgées de sève et d’évidence tubesque. I retrouve le goût de ce qu’il brutalise sur le morqui lui claque bien en ceau-titre (où il retrouve bouche (Tu te moques). Jean-Michel Jarre, quaIl reconquiert aussi une rante ans après les Mots nervosité, une allure, bleus). De vestiges et une dynamique naguère mausolées (l’hommage à égarée. La charpente à Lou) en vertiges des vies l’os des compositions CHRISTOPHE fantasmées, rêvées, perbalaie ornementations LES VESTIGES dues qui «s’acharnent en stuc et engorgements DU CHAOS encore» (Océan d’amour), de pure parure pour (Capitol/Universal) des titres tels que Stella renouer avec l’évidence sortie le 8 avril. Botox ou Tangerine aflimpide du sabre qui fichent, presque fanfatranche. Chaque chanson retrouve rons, la santé et la rondeur d’un sinainsi son unité, son climat, son hu- gle d’artificier, à la fois racé et meur orgueilleuse, coulée dans le soluble dans les ondes radio. raffinement plastique de norias de Sur le second, l’une des cimes du bourdons synthétiques, de frisson- disque, entre les scansions de hooks nements de cordes, d’envolées ma- minimaux imposant leur loi martialadives, entre deux ruissellements les et les prédications trumpoïdes, du piano qui perle ses mélodies aboiements, ahanements de diva pour machines émotives, penchants rockab au bord du déambulateur de l’idole amie Alan Vega (la voix du duo new-yorkais Suicide a 78 ans), Christophe psalmodie sa comptine éthéro-camée comme une supplique («Le temps ne passera plus jamais/ Ni pour toi, ni pour personne»). Sur l’autre foudroiement absolu de ces Vestiges, une ballade profilée en suspension aérodynamique intitulée Drone («Tout en moi voudrait que tu demeures/ Mais le temps veut autrement/ Du haut de son drone»), le sens, le sensuel et le son se fondent en une gerbe de mémoire pixellisée, en miettes, screenshot entre la gloire et la ruine de ce qu’il pourra bien nous rester de ses traversées intimes. J.G. et D.P. En concert à la salle Pleyel le 31 janvier, 1er, 2 et 3 février 2017 et en tournée en France. 4 u Je me suis remis aux machines, tout ça. Lou, le support de Lou [un morceau hommage à Lou Reed, ndlr] est né dans ce chaos. Et j’ai repris vachement confiance en moi parce que je me posais des questions, c’est normal, par rapport aux trouvailles, aux formes sonores, aux gimmicks. Cette cassure a fait que cet album est comme il est. Mais si l’adversaire avait été un peu plus con, il aurait peut-être pas existé. Vous décrivez une forme restée longtemps ouverte, et en même temps, on ressent votre technicité du tube, de l’enchaînement de mélodies accrocheuses… Oui, j’ai un don pour le gimmick. Moi, j’écris pas les cordes, mais je les chante, les cordes ce sont des gimmicks. Et puis, j’ai de la chance, je gère mon affaire tout seul. Ma force, ma guerre, mon art à moi, c’est de la passion. J’ai plutôt tendance… à voir grand. Mes idoles de maintenant, c’est quand même Trent Reznor [leader du groupe Nine Inch Nails], à la limite Black Atlass, mais je suis très difficile dans le choix de musique que j’écoute aujourd’hui. Ce que j’aime bien, et dans la création aussi, c’est fantasmer. J’aime pas qu’on m’impose le fantasme, c’est pour ça que je faisais pas de clips avant. Mais bon, là, j’en ai fait un avec Sara Forestier, qui est une fille super, j’évolue… Est-ce qu’on peut revenir à cette cassure dans l’histoire du disque ? Etait-ce parce que vous savez exactement ce que vous Suite de la page 2 Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 voulez ou parce que vous épuisez les équipes à ne pas savoir le leur expliquer ? Ce qui résonne dans ma tête, ce que je veux mettre sur le son, ce que je pensais avoir expliqué aux gens qui travaillent pendant que je suis pas là, par exemple sur les Mots fous : quand j’arrive, ils me font un essai dessus et tout le monde trouve ça génial et moi, non. Je peux pas. Alors, comme je refuse tout, tout le temps, l’équipe, elle se casse. C’est normal. A un moment, ma tête accepte plus qu’on essaye de m’expliquer comment ça pourrait être. Moi, j’ai besoin d’avoir dans la seconde qui vient le gimmick et la robe sonore du gimmick. J’aime pas qu’on me dise, écoute le truc, ça sera pas comme ça à l’arrivée. Non, j’écoute, je dis: ça craint. Ah non, mais moi non, on va même pas le mixer. Alors, j’ai ressorti un DX7 [un synthé] pour faire deux gimmicks, et je l’ai pas sorti pour rien, quoi, ouais. C’est la machine et moi. C’est le chaos lumineux, le chaos positif, de la baise, de l’amour. Le chaos, c’est pas mal, quand on parle d’amour. Je sais pas si vous voyez la méta? Euh, oui. Des fois, vous pourriez me l’expliquer, parce que je comprends pas toujours ce que je dis. Tangerine, vous l’aviez déjà joué en concert en 2012 avec Alan Vega, dans une version beaucoup plus lente, sans refrain, la chanson n’était pas encore là. Quelle est la trajectoire d’un titre comme celui-là ? Cette chanson, on l’a trimbalée depuis 2007. Et pourquoi elle est pas déjà sur l’album précédent? Parce que, moi, je suis un casse-couilles. Je dis : «Non, les gars, je l’entends cette chanson, elle est pas prête.» Vega m’apporte une nouvelle énergie sur le couplet, de l’écouter lui, déjà, ça m’inspire, en 2012. J’ai fait quelques synthés sur le morceau. Il faut savoir mettre les taches de couleurs sur la toile, mais faut pas en rajouter. Sinon la toile, après, tu la jettes. Juste où il faut, ce qui va donner une profondeur. J’ai trouvé la mélodie du refrain y a un an. J’écoute Vega, une nuit, il est 3 heures du matin, après je vais faire un petit tour au Baron, boire un coup, casser une graine. J’ai toujours un micro prêt pour attraper le truc, je laisse rien passer. Je suis un mec d’instinct, donc je compte beaucoup sur cette chose dans l’inconnu qui vient. Là, c’est le «yop» [du chant en «yaourt», sans paroles]. Quand je fais une chanson, souvent, elle naît avec un yop, d’accord ? Et puis quand je réécoute ça, j’ai mes films, j’ai mes mots, j’ai tout ce que j’écris, il y en a des milliards dans mon ordinateur. C’est des trucs qui sont dimensionnels. Cette matière de yop, elle est vachement importante parce qu’elle est la naissance des images, du film que ça me projette, tu vois. Bien sûr, le sens passe bien après le son. Je me souviens toujours de l’époque où je fais les Marionnettes, j’avais 20 ans et le producteur, il me fait: «Ah non, tu vas pas chanter ça, tu te fous de ma «Quand je me couche vers 5 ou 6 heures du mat, je regarde un film, jusqu’à 8 heures, tu vois. Après, j’allume la téloche pour voir si y a pas une redif d’Hanouna.» gueule.» J’impose ma loi, c’est normal, depuis que j’ai 15 ans, j’ai toujours fait ma route en solitaire. J’ai fait mon chemin et c’est pour ça que j’ai toujours été dur avec mes producteurs, parce qu’on va pas t’apprendre ce que tu es, tu vois. Quand tu veux m’atteindre sur mon terrain de créateur, personne n’imagine cette passion que j’ai encore en moi, qui brûle de plus en plus. Encore, si elle se calmait… T’arrives à un âge, normalement, elle s’apaise. Mais ce qui est terrible, c’est qu’elle augmente! Est-ce que je vais être encore debout longtemps pour l’envoyer? Il y a pas mal de gens qui ont collaboré aux paroles du disque. Qu’est-ce qui fait, quand on vous apporte un texte, que vous reconnaissez que tel ou tel peut être une chanson de Christophe? C’est des commandes, on m’apporte pas. Y en a qu’un qui m’apporte le texte tout prêt, c’est Daniel Bélanger [lire page 7]. Et quand je le reçois, je suis le roi du pétrole. Il a écrit Tangerine et Drone. Y a un truc entre nous, des trucs. (A l’attachée de presse) Tu me servirais un petit? Il est bien frais, glacé ? J’aime le champagne, enfin j’aime pas d’ailleurs. J’aime bien le boire archi- glacé, comme la vodka. Regarde comment j’écris. Quand je me couche vers 5 ou 6 heures du mat, je regarde un film, jusqu’à 8 heures, tu vois. Après, j’allume la téloche pour voir si y a pas une redif d’Hanouna, parce qu’il me fait rire, j’ai besoin de rire, quand t’as bien gambergé, que tu t’es bien levé tôt. Je passe par Dave, sur la Trois, et cette fille, elle arrive, je sais pas pourquoi [lire page 7]. Je vois la meuf, elle commence à chanter une chanson, son 45 tours. Vous allez comprendre pourquoi j’ai fait appel à elle. Elle écrit comme j’aimerais écrire, elle a un truc, elle a un don, la meuf. Et je la fais venir la nuit et on fait des chansons ensemble, tu vois? Je la convoque, je lui explique tout. Je dissèque tout, c’est long. C’est fatigant d’expliquer, ça épuise, tu sais, ne pas rater un détail. La fille, elle note des trucs et trois jours après, elle envoie des textes qui sont bons, et je repasse dessus. J’enlève. C’est mon art, le découpage. Vous avez commandé beaucoup de textes comme ça ? Mon dossier, si je l’ouvre, tu vas comprendre. Pour l’album, il y a eu 300 textes. Les mecs ont réécrit dix fois. Quand vous chantez Dangereuse, le danger, au regard de là où vous en êtes, c’est quoi ? Il est là où il est au quotidien pour tout le monde. Le danger d’avant, il compte pas. Le quartier, l’amourette, c’est pas le même mal, c’est plus ce qu’on vit aujourd’hui. Sorti de ça, on va pas parler de la mort, Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 u 5 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Le domicile de Christophe recèle des tas de fétiches, babioles et trésors. Ses vestiges du chaos ? j’en parle pas parce que je sais pas. Le danger, c’est plutôt vieillir, et se retrouver incapable. Ça, c’est un truc qui me traverse, c’est normal, à 70 balais. Tu n’as plus 30 balais, plus 40, plus 50, t’as même plus 60! (Rires) C’est chaud! Bon, dans une chanson, y a des états, des étapes, la petite dépression qui fait que tu te dis: «Ça va pas être ma tasse de thé, ça fait trois ans que je suis dessus.» Et ça tient à quoi? A l’inconnu, à un hasard. Définitivement, c’est une chanson qui a un vécu pas possible. Si je rentre pas à 2 heures du matin dans ma piaule dans le Lubéron et qu’il y a pas le téléphone sans fil qui résonne dans un des amplis, s’il y a pas ce groove qui est là, de luimême, que j’ai attrapé avec mon ordinateur, elle existe pas, la chanson! Jamais elle existera, parce que je vais pas la créer. C’est le monde qui l’a créée. C’est le truc qui est venu à moi. C’est la magie de la vie. C’est-à-dire ? J’suis pas chanteur, j’suis pas musicien. Moi, je suis autodidacte. J’essaie de faire des trucs, de chercher, du son. J’ai pas appris le piano par exemple, je l’ai observé, j’ai pris des cours d’observation. J’ai eu envie, besoin, de comprendre ce que c’est, la mathématique d’un clavier. J’ai jamais voulu apprendre, sinon je serais peut-être pas là, d’ailleurs. Donc, la maquette de Définitivement, elle arrive en une nuit. 2 heures. Il est 2 heures du matin, je suis à Roussillon, dans la petite maison avec la piscine, je rentre, j’ouvre ma porte, j’entends la faille dans l’am- pli. Alors, je fais une boucle, je fais des chœurs, des percus en tapant sur ma couette avec ce micro, là. Il y a rien d’autre. Depuis ce yop que j’ai fait en 2012, jusqu’à aujourd’hui, il y a simplement eu la guitare et le texte en français qui sont arrivés, tu vois. Sur le moment, je savais de quoi ça allait parler, que je tenais l’ouverture de l’album. Cette idée que je propose quelque chose de légèrement différent. Et quand vous cherchez, c’est toujours la nuit ? Non, parce que quand je travaille sur les Mots fous, c’est sur le voilier où je passe l’été. J’ai ma station en bas, je fais de la voile, et je travaille beaucoup là. Mais normalement, oui, c’est la nuit. Même quand je suis à Tanger, où j’ai beaucoup créé de cet album, beaucoup beaucoup, avec ma petite interface, mon clavier, mon ordinateur. Aujourd’hui, il n’y a pas besoin de grand-chose pour faire un album. T’as envie, tu fais. Mais, si tu veux, moi, j’ai pas chanté le blues parce que j’étais pas black alors que mon admiration n’était que pour les chanteurs de blues. Parce que je les connais bien, profondément, et que je sais que j’ai un truc avec eux. En 78, tu peux pas chanter comme Elvis, tu peux pas chanter du blues en étant un Français, blanc ! Ça n’existe pas ! Moi, c’est le synthé ma came, ma matière. Mais quand tu me demandes tout à l’heure si je pourrais pas faire le disque tout seul, que je produis en un mois, tu me demandes de faire l’album blanc de Suicide, le premier. Le meilleur album possible, et en même temps, t’as l’impression qu’il a été fait en une semaine. C’est la meilleure matière, et tu peux rien faire pareil derrière ça, comme tu peux rien faire derrière la Callas. Il faut bien que le monde continue, mais tu peux pas. Quand t’as eu Caruso, Pavarotti… Tu connais Pavarotti? T’aimes pas? Pourtant, quand il envoie sa technique en même temps que son émotionnel… Pfiou… C’est peut-être pas tout, mais d’un coup, c’est une lumière qui arrive. C’est comme Parker dans le sax… Bon, posez-moi des questions. Quand on vient ici, ce capharnaüm merveilleux, c’est très chargé, quand on vous voit, quand on vous parle, ça part dans tous les sens… Et je prends rien! C’est ça le pire, je bois que du thé. Quand je sors dans des boîtes, on me propose souvent, les mecs croient que je prends des choses. Je leur dis: «Laisse tomber, j’ai déjà donné il y a longtemps, c’est pas ma came.» T’as compris? (Rires) … tout ça pour dire qu’on ne retrouve rien de ce bazar sur votre disque, où l’on sent que tout est très décanté, discipliné. C’est fou comme on sent que vous allez chercher ça loin. De la même façon que, quand il y a une cassure avec l’équipe, on se dit qu’à votre âge, avec votre carrière, vous pourriez laisser filer… J’ai la réponse à ça… C’est le plaisir. C’est l’orgasme. Il y en a qui, comment, ben qui ne baisent plus. Et puis y en a qui, plus ça avance dans la vie, plus ils ont envie de baiser. C’est ça, c’est tout. Moi, quand je crée un album aujourd’hui, pour le prochain, il y a déjà des trucs, de la matière qui bouillonne. Il y a les vestiges! Ce qui compte, c’est de se renouveler après et de créer une différence avec tout ce qui a été fait en même temps. C’est ça, l’inconnu, pour moi. Parce que je sais pas comment j’y arrive. Je pourrai jamais vous l’expliquer, vous, vous pourrez jamais comprendre, mais j’arrive à vous étonner avec mon album et je suis bien content (l’attachée de presse intervient pour dire qu’il reste «un peu moins de dix minutes», rires nerveux). On n’est qu’au début, là ! Mais, eh, tu pourrais me donner quelques glaçons ? Continuons. Il y a des photos de Bowie partout, chez vous… Oh, elles ont toujours été là. Je les ai pas mises depuis qu’il est parti faire un tour. J’avais commandé le vinyle de son album, et quand je l’ai écouté, je ne savais pas du tout, je me suis dit, tiens, dès le premier titre, j’entends une certaine fatigue, d’un truc qu’il a dû avoir. Mais j’avais pas du tout projeté la suite et je me suis dit, putain, enfin je vais pouvoir aller le revoir à l’Olympia ou à Pleyel, ça va être trop bon. Et paf, deux jours après… J’étais loin du compte. Depuis, je l’écoute tout le temps, sans penser qu’il est plus là. De toute façon, pour moi, il est présent. Je suis dans l’inconscience de ça, heureusement, j’espère que je l’aurai longtemps et que quand ça va m’arriver, bon, ce sera pareil, je partirai dans un moment de plaisir. En revanche, je sais pas si j’aurai son niveau. Parce que là, le mec, j’ai jamais eu son niveau, faut être cash. Et c’est pas du cabotinage en disant ça. On sait tous ce que c’est, Bowie. Et la manière dont il est parti… J’ai pas voulu lire, j’ai pas besoin de savoir. Pour moi, il est présent, pourquoi j’irais chercher où il est? Il est là ! (Il désigne une photo du Thin White Duke sur la console de mixage dans la partie studio du salon, entre Bashung et Lou Reed) Vous avez un rapport très fétichiste aux artistes que vous aimez. Tout ce que vous entassez ici, les débris de mythologies américaines, alors que vous n’avez presque jamais mis les pieds aux Etats-Unis… Ça m’a tenté, je l’ai vécu parce que j’ai eu des Cadillac, je l’ai joué, j’ai eu tout ce que je voulais. Je suis juste allé à New York, pour entendre les bruits de la ville, parce que ça, ça manquait à mon expérience. Bref, ça fait soixante ans que vous collectionnez des bribes, des vestiges, des poussières de mythes… Ah, quand je chine un truc, que je l’achète ou que je tombe en admiration devant, je me raconte pas que c’est de la poussière… (Rires) Dans un premier temps ! Vous pourriez trouver ça beau précisément pour cette raison, pourtant. C’est une pensée intellectuelle, ça. Moi, je suis plus dans un truc sensuel. C’est plus des textures… des odeurs. Quand je prends un poste (il pointe les dizaines de postes de radio vintage alignés sur une étagère), j’enlève pas la poussière qui est dessus, je la laisse, mais par contre, je le retourne et je sens le –comment dire– je renifle le derrière du poste! Bon, c’est un petit peu des madeleines de Proust, on est d’accord. Par exemple, pourquoi est-ce que j’ai toujours une boîte, et non pas un tube de lait Nestlé dans mon frigo? Parce que j’ai besoin, au quotidien, quand j’ouvre mon frigo, de voir la boîte de lait Nestlé, et non pas le tube, parce qu’elle me rappelle mes 6 ans, 7 ans, chez une femme qui me gardait de temps en temps. Il y a toujours une femme quelque part dans l’histoire… Le plus souvent possible (il marque un temps de ré- Suite page 6 6 u flexion). Et donc ce soir, je n’en ai pas, et donc je vais m’arrêter dans une petite épicerie arabe m’en acheter. J’en ai pas parce qu’à un moment, j’en peux plus de la voir, il faut que je l’ouvre, en pleine nuit. Et comme c’est très mauvais pour le foie, pour le ventre –je suis très gourmand, mais je fais attention–, quand j’ouvre ma boîte, je la vide, avec l’eau chaude qui coule dans l’évier, pour pas la boire, et quand je sais que j’en suis arrivé à ce qu’il reste juste trois cuillères, parce que j’ai l’habitude, hop! Je redresse. Et, ayant éliminé un peu de gras dans l’évier, avec une cuillère à soupe, je vais prendre… … les vestiges du Nestlé. Voilà, c’est ça, bien! C’est vraiment con que j’en ai pas, on aurait pu le faire, avec une jolie boîte. Enfin bon, je prends le truc. Et là, c’est le goût. C’est le parfum. Je finis par comprendre ce que c’est la madeleine de Proust, avec ça. Même si Proust, c’est pas ma tasse de thé, mais… Vous ne l’avez toujours pas lu ? Proust ? Non. Moi, je lis pas. Je lis Joë Bousquet, tu connais [poète français d’avant-guerre, ndlr] ? Oui, c’est autre chose… Ben, c’est ça ma lecture. Ma première lecture quand j’avais 14 ans, c’était [Edgar Allan] Poe. Très beau. Après, ce que je lis… Moi, je suis moi, quoi (l’attachée de presse reparaît : «Il est l’heure», dit-elle). Non mais là, si on veut rester un peu, j’ai annulé mon dîner… Vous voulez qu’on repasse plus tard, peut-être ? Ecoutez, je suis debout jusqu’à 6 heures du matin, c’est quand vous voulez. Sinon, on peut aller manger un bout? Y a Sara Forestier qui me cherchait pour aller bouffer, mais je vais pas vous l’imposer. Là, je vais aller manger une petite salade d’endives à la moutarde. Rue de Sèvres! Si vous avez envie… On est bien, là, on est dans les temps, on se prend une voiture, on y va. Je suis libre, je me suis libéré… de tous ennuis. C’est bizarre parce que les gens qui viennent m’interviewer me demandent toujours : «Vous aimez l’ennui ?» C’est un mot que je mets souvent dans mes chansons, et c’est pas que j’aime l’ennui, moi je l’entends pas comme ça. Pour moi, le synonyme d’ennui, c’est le silence, la réflexion. C’est pas comme vous pensez l’ennui, vous, c’est pas au premier degré. Pour moi, c’est quelque chose de planant, qui a une belle résonance. Le mot est beau, alors plutôt que de mettre «le silence», ou «la réflexion», je mets «l’ennui». Le sens n’a pas d’importance, ce qui compte, c’est le son, la beauté du mot. Comment supportez-vous l’actualité, quand vous vous réveillez et qu’il y a eu un attentat par exemple ? Je suis très réceptif. Le premier jour, c’est comme si j’avais du plomb dans la tête. Bien sûr, je ne suis pas dans les paramètres des gens qui en souffrent encore à cause de leurs proches et de ce qui se passe. Mais hormis ça, il y a surtout le fait d’être face à un problème qu’on peut pas résoudre. Il y a que le Bataclan est une salle de concert, mais vous passez www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Suite de la page 5 Des pochettes d’album de Christophe, de 1965 (les Marionnettes) à 1996 (Bevilacqua).PHOTOS DR aussi beaucoup de temps à Tanger, qui peut être associé à une forme de danger, justement… Oui, pour ce que j’en sais, c’est un peu chaud. Mais il n’y a qu’un truc qui m’angoisse, c’est de prendre l’avion. Quand je prends l’avion, faut être cash, il y a pas beaucoup de Français, mais moi je ne suis pas français. Je suis un Terrien. Je fais partie de la planète Terre, et je suis né dans le blues. Quand j’avais 9 ans, ma grand-mère était raciste, moi j’adorais les Blacks qui chantaient le blues, et elle m’engueulait: «Ah, y a un nègre !» Je comprenais pas! Mais ça aide à démarrer la vie, des choses comme ça. Donc non, quand je suis à Tanger, j’y pense pas. Je sais pas si j’y pense pas plus ici, à Paris. A vrai dire, un des plus beaux moments de ma vie, c’est quand j’arrive à Tanger, de mettre les pieds là-bas. Et une fois arrivé, je ne pense plus, j’y suis tellement bien avec les parfums, l’odeur, les gens que je croise. Après, je sais qu’on est différents, je me tiens à ma place, on se respecte, c’est tout, et c’est bien. Et quand je quitte Tanger pour rentrer à Paris, je suis triste. L’idée du succès, que le disque marche, ça vous importe ? Non, pas du tout. Je pense surtout «Moi, je vais pas dans les musées, j’ai toujours eu horreur d’aller mater des tableaux, et d’être quinze, devant, à regarder la même chose.» à mon avenir. C’est-à-dire à la seconde qui vient. J’ai un parcours assez décalé par rapport à des gens plus formatés dans un métier. Moi, le métier, la carrière, c’est des mots que je prononce jamais, je sais pas ce que c’est. J’ai toujours choisi. Faut juste que je pense à mes vieux jours. C’est pour ça que je me suis penché un peu sur le piano il y a deux ans, avec une virtuose polonaise. Pourquoi? Parce que tant que je serai debout, il peut m’arriver n’importe quoi, je peux voyager partout dans le monde, jouer du piano et chanter dans n’importe quel bar, comme quand j’avais 15 ans et que je chantais à la Vache enragée ou la pizzeria de Juan-lesPins. Il y a que ma gueule qui a changé et les années en plus. Comment ça s’appelle, quand on a 65 ans ? Non, pas senior. Pas carte vermeil. Pas troisième âge! Ah oui, la retraite. Encore un mot que je connais pas du tout. L’idée, c’est d’être en vie, au quotidien, maître de sa route, sans avoir à attendre les droits d’auteur, sinon t’es dans le formol. Par rapport à ce cabinet de curiosités que vous habitez, tout ce que vous avez pu accumuler de fétiches de mythologies plus ou moins fantasmés et anciennes, plutôt datées, est-ce qu’il y a quelque chose de neuf, aujourd’hui, qui soit aussi intéressant à vos yeux que tout ça ? Moi, le nouveau, je ne sais pas ce que ça veut dire. Le nouveau, c’est un truc que je vais découvrir plus tard. Quand ça ne le sera plus, justement. Quand y aura autre chose. Je vais tomber sur un objet et dire : «Oh, c’est nouveau ça!» Et on va me répondre: «Ben non, ça, ça a un siècle.» Je suis attiré par une forme de nouveau dont seul mon œil, mon émotionnel, a la notion. Après, si vous me montrez des objets en photo… Moi, je vais pas dans les musées, j’ai toujours eu horreur d’aller mater des tableaux, et d’être quinze, devant, à regarder la même chose. C’est intime d’aller regarder des trucs. Je suis pas allé voir les expos de Bowie ou d’Elvis. J’aime pas me mélanger aux gens pour voir les dessous chics, ça se partage pas, ça. Quand des galeries ont accepté de m’ouvrir leur porte à minuit, j’y suis allé. Mais c’est arrivé deux fois. Les gens veulent pas travailler la nuit. Vous avez ce rapport au temps qui vous appartient, mais dans le rapport de vos chansons à des choses intimes, au désir, à l’amour, la séduction, est-ce que vous vous sentez vieillir, mûrir? Vieillir, vieillir… On a dit mûrir, aussi. Oui, mais même, c’est pas vraiment ça. J’ai pas des glaces partout pour me regarder, tant que je cours, je me pose pas trop la question. Il y a un épanouissement, je suis comme je suis, j’aime sentir la liberté en moi, ne pas m’inventer des trucs. Parce que ça me plaît ce que je suis, j’ai de la chance. Cette nuit, quand je vais vous quitter, je vais jouer doucement, pour pas réveiller les voisins, faire quelques notes de piano, et je serai bien. De temps en temps, je me mets par terre, je sors toutes les photos, les vestiges, toutes les images de la famille. Je vire des trucs (Il réfléchit). Vous jouez pas au poker, vous ? Parce qu’aujourd’hui, faut être sportif, footballeur, rugbyman ou jouer au poker. C’est un truc de malade. Je fais des petits tournois de temps en temps, j’adore. C’est un jeu, pour apprendre à se connaître, et apprendre à combattre l’autre, c’est extraordinaire. Bon, vous avez une petite faim, vous voulez manger ? Ou alors vous voulez écouter un peu des choses d’abord? (l’attachée de presse s’en va, l’air au bout du rouleau) Epilogue Sur ce, dans le coin studio du salon, après l’écoute des maquettes de chansons, incroyablement conformes au résultat sur disque, la conversation se prolonge, se disperse et se perd voluptueusement dans une grande brasserie du quartier. Mais les infos cruciales ne cessent de tomber : taux de cholesterol («1,8 gramme, pas mal!»), mondanités (un dîner l’avant-veille avec ses vieux compères Johnny et Eddy Mitchell dans un restaurant où la viande est «si tendre et légère qu’elle s’envole dans l’œsophage, j’vous donnerai l’adresse»), penchants chromatiques («Le violet et le noir, c’est mes couleurs»), états de services sous les drapeaux («J’étais para, mais j’ai déserté avant de sauter, on m’a foutu à l’asile»), fixettes de séducteur (sur la serveuse d’origine kazakhe et «les cuisses superbes» de Catherine Ceylac, présentatrice de Thé ou Café sur France 3), penchants politiques (d’une bouffée de nostalgie pompidolienne à un persistant éloignement des bureaux des votes, sauf éventuelle candidature de Christiane Taubira, qui lui a tapé dans l’œil), appréciations culinaires («Je les trouve vachement bonnes ces pâtes, sauf peut-être la sauce tomate, y a une légère défaillance») et indignations légitimes («Qu’est-ce qui faut faire pour avoir de la poudre de parmesan? Tu pourras le dire dans l’article?»). Avant de rentrer dans la nuit malaxer sa «matière», fringant comme s’il commençait tout juste à s’éveiller, beau vampire planant sur nos heures mortes. • Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Christophe, dandy «un peu maudit», jamais vieilli Depuis «Aline», Christophe a enchaîné cinq décennies de tubes, entre classiques universels et expérimentations volontiers étranges. Par AGNÈS GAYRAUD I l y a cinquante-et-un ans sortait le single Aline, avec une tête de James Dean rital blondinet qui vous fixait d’en dessous sur la pochette. C’était déjà tout Christophe, ces accords de blues ramenés au soleil et à une bonne dose d’emphase dans la variété française du temps des «idoles». La même année, sortait les Marionnettes, c’était aussi tout Christophe, cette chanson apparemment naïve, avec ce texte si étrange, cette voix esseulée qui buttait doucement sur «marionne-e-ettes», en promettant le spectacle le plus humble et le plus fascinant. A 20 ans, Christophe entrait en scène avec un sens de la beauté bien à lui, forgé entre les disques de blues et de rock’n’roll, le visage de Gloria Swanson dans Sunset Boulevard, et le désir précoce que lui inspiraient les femmes. Mais ceux qui s’arrêtent là manquent évidemment tout de ce chanteur et compositeur inénarrable, qui navigue depuis cinq décennies entre classiques universels et expérimentations : «Accroche-toi Marie-Jeanne, j’vais t’montrer c’que c’est qu’une moyenne.» Banjo déglingué. Bien sûr, les années 70, ce sont les Paradis perdus, les Mots bleus, dont les textes écrits par Jean-Michel Jarre lui vont comme un gant blanc. Après «dandy, un peu maudit, un peu vieilli», les «i» en français ne sonneront plus jamais pareil. Mais les années 70, c’est aussi le banjo déglingué de la rengaine parano de la Petite Fille du troisième, les longs synthés dramatiques du Petit Gars qui déambule dans la ville nocturne («Un flash au néon éclaire un homme qui se farde»), c’est la Mélodie, bien nommée, qui parle d’ellemême et s’échafaude à toute allure sur une voix de fausset à la Sparks, avant de freiner comme un bolide sur une reprise de batterie exécutée à la bouche. Ce sont encore les rimes riches et précaires d’Un peu menteur, épopée de boulevard qui fait rimer peur et flipper. C’est enfin le Beau Bizarre – écrit par Bob Decout–, dont Christophe a fait son emblème. Entre «cuir noir qui protège du désespoir» et «smoking blanc cassé» contre lequel les filles se serrent, les chansons de Christophe tiennent alors sur le fil d’une érotique pleine de poncifs (les étoffes, les parfums, les sports mécaniques), mais si vécus qu’on y croit avec lui, de la croyance des amoureux esthètes, de la foi des cinéphiles. Car Christophe fait des chansons comme des films –et en cinéma, comme en voitures, il s’y connaît. Synthé. Dans les années 80, ses singles et faces B recèlent des trésors, de Succès fou ou Voix sans issue (1983) –chantée en yaourt magique – à Chiqué, chiqué (1988), repris par Dominique A en 1993, ou J’l’ai pas touchée (1984). Il écrit des tubes mais il expérimente au synthé, creuse l’expérience sonore. En 1996, l’album Bevilacqua, conçu avec Jean-René Mariani, donne la mesure de son génie synthétique: libéré de parolier, le chanteur y délivre son inimitable sens de la u 7 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe DANIEL BÉLANGER PAROLIER «C’EST L’INCONSCIENT QUI PARLE» «J’ai rencontré Christophe en 2006 ou 2007, à un concert à l’Européen, je crois qu’il cherchait des textes pour son Aimer ce que nous sommes. On a été présentés backstage, par hasard. Et quelques mois plus tard, j’ai appris par un ami français qu’il cherchait mes coordonnées. On s’est donc retrouvés, j’ai fait quelques chansons, on s’est bien entendus parce qu’il chantait n’importe quoi en yaourt, et je procède comme ça aussi. Après ça, plus rien, je n’ai plus entendu parler de lui. «Il y a un an, j’ai appris qu’il me cherchait encore. On a repris là où on s’était quittés, sans plus d’explications. Il m’a envoyé les chansons, j’ai ciblé celles qui m’inspiraient. C’est très naturel, rapide, pas compliqué, il prend ce que je lui donne. Tout ça en essayant chacun de notre côté de l’océan. Notre rapport est très distant, très franc. Ce qui reste à la fin, c’est les chansons qui m’ont le plus touché : Drone et le refrain de Tangerine. En gros, il m’envoie son yaourt, son “yop” comme il dit, avec toutes les orchestrations. Je m’efforce de faire du sur-mesure, de travailler sur ce qu’il m’inspire, en m’oubliant, loin de ce que j’écris pour moi. Je relève le nombre de pieds, les sonorités qui marchent ou qui posent problème, parce que son yaourt est ascendant anglophone ! J’essaie de trouver des équivalences, des mots autour desquels construire le sens. Quand lui les reçoit, il chante par-dessus le yaourt, et me renvoie le tout superposé. «J’aime bien ce côté vrai: chaque chose en son temps, et là c’est le temps d’éprouver le texte, pas d’avoir l’air intelligent ou de bien sonner. J’aime ce côté rapide, spontané, artisanal. Il me demande parfois si je veux changer des mots, c’est de l’aménagement, mais notre travail est très cohérent, on n’a jamais été en désaccord. Ce qui est chouette avec son yop, c’est que c’est l’inconscient qui parle, c’est son intuition qui fait sortir des mots, c’est des choses très primitives, proches de ce qu’un enfant peut faire, comme un gosse qui joue avec sa petite voiture sur un comptoir et se fait tout un monde.» punchline paratactique, sur Enzo, Label obscur, J’l’aime à l’envers ou Taqua («Pas faire ton riz amer»). Loin des conventions de la variété, il fait entendre un français à arabesques, qui sonne nickel dans la matière vaporeuse d’une ambiance blues futuriste. On entend des samples d’Enzo Ferrari ou d’autres voix italiennes, des programmations vrillées de boîte à rythme, du Cluster, du PIL, Alan Vega qui fait des chœurs. On entrevoit un genre de trip hop à la française, en plus fou, en plus bizarre ; on entend ce qu’on a jamais entendu et qu’on entendra probablement plus jamais. LAURIE DARMON PAROLIÈRE «AVEC SA VOIX, IL S’APPROPRIE LE TEXTE» Génial en reprises. Sans «Stella Botox, le yaourt qu’il faisait, c’était le même motif qui revenait, la même onomatopée qui revenait autant dans le yaourt et la musique. Un mot qui se répète de manière régulière et j’en suis venu à un prénom. J’avais proposé une version avec “Juliette Botox”. Christophe a proposé Stella, quelque chose de plus imagé qui pouvait faire penser à une étoile. On échangeait par texto ou mail. J’ai toujours écouté Christophe, c’était l’idole de mon père. Même s’il m’a dit de faire les choses de manière très libre et de ne pas imaginer que j’écrivais pour lui, ce qui m’a aidée, j’avais l’idée d’ellipse, de fuite, de suggestion. Il m’avait vue sur l’émission Du côté de chez Dave, j’avais chanté une chanson dont il avait aimé l’écriture. Il m’a fait des compliments adorables. Pour Tu te moques, il y avait les refrains, je devais juste faire les couplets, je devais poursuivre une histoire déjà là. Je suis allée chez lui, c’est la seule fois où je l’ai rencontré. Il a fait des modifications, mais pas tant que ça. Souvent pour des questions de sonorités, je crois que les rimes ne le soucient pas trop, ça vient de son timbre, il sublime ça autrement. Sur Océan d’amour, il me l’a fait écouter en yaourt, mais il y avait le fragment “le courant t’emporte”. Le titre était posé. Je suis partie sur une idée de courants, l’univers de l’eau, l’idée de la fuite, une personne qu’il aime mais qu’il ne peut garder auprès de lui, quelque chose de déchiré. J’ai besoin de le maquetter seule en piano-voix pour qu’il puisse imaginer où ça se place. Avec sa voix, il s’approprie le texte, il a pris peut-être un mois et demi pour savoir comment il voulait les chanter. La version finale est différente en termes de phrasé de la maquette, il a interprété à sa façon. L’entendre chanter des paroles que j’avais parfois écrites un peu au hasard, c’est un peu surréaliste.» Recueilli par J.G. et D.P. se presser, Christophe continue et renoue avec son classicisme dans Comm’ si la terre penchait (2001) et Aimer ce que nous sommes (2008). Epaulé par Christophe Van Huffel depuis lors, il est aussi génial en reprises –à 65 ans, il transcendait le Je viens d’ailleurs de Jacno. Christophe ne tarit pas vraiment, car il aime les sons, c’est sa jouvence. En solo, intime, devant son synthé Prophet ou une guitare qu’il aime toucher, pourvu qu’une belle reverb enveloppe sa voix, il projette encore le film. C’est son style, différent de tous les autres, et ça nous plaît. • Un thriller inventif dans lequel la tension monte, inéluctablement. Télérama Captivant. Un brûlot haletant. Implacable. Un polar chargé de dynamite politique. Tendu et magistralement filmé. Étourdissant. UN Le Canard Enchainé Les Inrocks Un grand film. L’Express MONSTRE Causette A MILLE TETES Après LA ZONA Un thriller social percutant. Studio Ciné Live FESTIVAL DE VENISE OUVERTURE ORIZZONTI le nouveau film de Rodrigo Plá ACTUELLEMENT L’Humanité Ouest France L’Obs 8 u Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe ÉDITOS/ BILLET Royal: tout pour être seule sur la photo Mélange des genres chez les Valls Par ISABELLE HANNE ALEXANDRA SCHWARTZBROD Journaliste au service Planète @isabellehanne Directrice adjointe de la rédaction @ASchwartzbrod C’était un secret de Polichinelle: Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique depuis juin 2014, bras droit de Laurent Fabius et cheville ouvrière de l’accord universel signé en décembre à Paris à l’issue de la COP21, allait être la candidate de la France au poste de secrétaire exécutive de la Convention des Nations unies sur le climat (CCNUCC). Le mandat de Christiana Figueres, à la tête de cette arène onusienne depuis 2010, sa «sœur jumelle» comme elles aiment à s’appeler, s’achève en juillet. Et Laurence Tubiana, avec son casque de cheveux blancs, ses éternelles Converse et sa légitimité aux yeux de tous les camps de cette assemblée bigarrée, semblait favorite pour le poste. Tout semblait écrit d’avance, et il suffisait que la France propose sa candidature avant le 28 mars. C’était sans compter un autre paramètre, qu’on pourrait appeler la nature humaine –ou autre chose, mais restons polis. On apprend finalement que l’Elysée ne soutient plus la candidature de Laurence Tubiana, et que la France ne propose personne à la tête de la CCNUCC. C’est la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, «qui a mis son veto», affirme le Canard enchaîné. Sur Twitter, l’eurodéputé EE-LV Yannick Jadot évoque la «jalousie» de la ministre. «Il y avait beaucoup de venin dans les deux sens», glisse un diplomate. Pas de commentaires à l’Elysée ou chez Royal, où l’on se borne à rappeler que Laurence Tubiana conserve son titre, un peu nébuleux, de «championne du climat» –elle doit «maintenir la dynamique initiée par l’Accord de Paris», explique le site de la COP21–, jusqu’à la COP22, en novembre au Maroc. Un autre facteur aurait entravé la candidature de l’ambassadrice, selon plusieurs sources: le nombre de Français déjà à des haut postes internationaux –Monique Barbut, secrétaire exécutive de la Convention sur la lutte contre la désertification, Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’ONU – ou en passe de l’être (Philippe Douste-Blazy, candidat à la tête de l’Organisation mondiale de la santé, mais le poste ne se libère qu’en juillet 2017). Ségolène Royal, furieuse d’avoir été cornérisée par l’équipe de Laurent Fabius, alors président de la COP 21, pendant toute l’année 2015, va bientôt se retrouver au centre de la photo, notamment pour la cérémonie de signature officielle de l’accord, à l’ONU le 22 avril. Après avoir récupéré les négociations climatiques dans son portefeuille, et la casquette de présidente de la COP 21 quand Fabius a quitté le Quai d’Orsay pour le Conseil Constitutionnel. C’est désormais Janos Pasztor, le Monsieur climat du Secrétaire général de l’ONU, Ban Kimoon, qui tiendrait la corde pour prendre la tête de la Convention. Laurence Tubiana, une Française, compétente, pour gérer la ratification et la mise en application d’un texte qui s’appelle «Accord de Paris», ne semblait pourtant pas complètement absurde. • On sait depuis longtemps à quel point il est difficile, pour une femme, d’être l’épouse ou la compagne d’un homme politique de premier plan (le cas ne s’est malheureusement pas assez présenté dans le sens inverse). Surtout quand la femme en question mène une activité en son nom propre. On ne peut donc que saluer la volonté d’Anne Gravoin, l’épouse du Premier ministre, Manuel Valls, de mener de front obligations de représentation oficielle et carrière de musicienne internationale. On s’inquiète fortement, en revanche, de la légèreté avec laquelle elle gère ses LUIS GRAÑENA Par partenariats à l’étranger et surtout de sa propension à mélanger les genres. Ces failles apparaissent dans un article passionant et très documenté publié cette semaine par l’Obs. David Le Bailly et Caroline Michel ont enquêté sur «le drôle d’orchestre de Mme Valls», l’Alma Chamber Orchestra, dont des hommes d’affaires sulfureux lui ont proposé la direction artistique sur un plateau, sachant qu’elle rêvait depuis longtemps de monter un orchestre classique prestigieux. Et ce qu’ils racontent sur le parcours et les activités de ces vendeurs d’armes ou hommes d’influence liés aux réseaux de la Françafrique est édifiant. Tout comme la façon dont la musicienne Anne Gravoin est accueillie et traitée à l’étranger avec les honneurs dus à Madame Valls. Sans compter la remise des insignes d’officier de la Légion d’honneur, par Manuel Valls lui-même, au président de la fondation qui soutient l’orchestre. Tout cela fait très mauvais effet et ne rehausse pas le crédit déjà très affaibli des politiques. Contactés, les services du Premier ministre se sont contentés de rappeler les réponses factuelles faites aux journalistes de l’Obs mais n’ont pas commenté les conclusions accablantes de l’article. Faudrait-il pour autant qu’Anne Gravoin renonce à exister pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle représente ? Surtout pas. Il nous semble même très sain qu’un individu, homme ou femme, ne soit pas dépendant de la personne qui partage sa vie, quelle qu’elle soit. Mais cet exercice réclame une éthique et une vigilance de chaque instant. Qui semblent manquer au couple Valls. • REVIREMENT Quotas laitiers: un retour qui ne dit pas son nom Par JEANCHRISTOPHE FÉRAUD Rédacteur en chef adjoint, service Futurs @JCFeraud Il y a un an disparaissaient les fameux quotas laitiers. Tout à sa doxa libérale, la Commission européenne y voyait alors un retour à la normale du marché. Les risques de surproduction et d’effondrement mécanique des prix agités par les éleveurs français ? Foutaises ! décrétait le commissaire à l’Agriculture, Phil Hogan, qui déclarait tranquillement dans les allées du Salon de l’agriculture : «Les prix du lait en Europe sont les mêmes qu’il y a deux ans. S’il y a des problèmes, nous les gérerons mais il n’y a aucun problème pour l’instant». Il suffit de se pencher sur les chiffres pour voir que Phil Hogan avait tout faux. Ou qu’il faisait mine d’ignorer la menace. Dans les faits, le prix du lait de vache payé aux éleveurs a baissé de 8 % en un an, à moins de 29 centimes le litre. Et, depuis 2014, il a carrément chuté de 25 % ! En cause, la collecte laitière à tout-va relancée par les pays adeptes des «fermes usines» comme l’Allemagne, les Pays-Bas… et surtout l’Irlande de Hogan, qui a explosé tous les compteurs (+ 14 % en 2015). Il n’y a pas de hasard semble-t-il. En pleine crise agricole, la France, elle, n’a pas ouvert les vannes de ses trayeuses, dans l’espoir de maintenir les prix. Raté. Ce sont les éleveurs français qui subissent de plein fouet la surproduction de leurs voisins. Libérée des quotas, la production laitière européenne a bondi de 2,1 % en un an et de + 6,8 % depuis 2014. C’est le retour des «mers de lait» et des «montagnes de beurre» qui écrèment les revenus déjà modestes des éleveurs et les marges plus grasses des transformateurs. Et les Français ne sont pas les seuls à souffrir : avec l’embargo russe et le ralentissement chinois, la déferlante laitière a bien du mal à s’écouler. C’est contre cette surproduction mortifère que l’Europe avait précisément imposé les quotas laitiers en 1984. Après un quart de siècle de réforme de la Politique agricole commune, l’Europe libérale a finalement eu raison des quotas. Mais, devinez quoi, on y revient : le même Hogan vient d’autoriser «des réductions temporaires de la production dans le secteur laitier». Il faut croire que la Commission a redécouvert que sa sacro-sainte «dérégulation» devait s’incliner devant cette vieille loi de l’économie qui veut que l’on doit toujours adapter l’offre à la demande. • Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe SUR LIBÉRATION.FR Femmes, femmes, femmes… Chaque mois, Libération liste les histoires qui ont fait l’actualité des femmes. Au menu du septième épisode : Wiki des femmes scientifiques, sportives mobilisées… mais aussi, le reportage de notre journaliste Lucie Peytermann chez les épouses et filles de talibans, au Pakistan. PHOTO LUCIE PEYTERMANN u 9 EXPRESSO/ Primaire à droite : François Fillon sommé de se faire violence Déjeuner-débat de François Fillon avec les Conseillers du commerce extérieur, à la Maison des polytechniciens, à Paris, mercredi. ra-t-il? Il laisse lui-même planer le doute.» Si Sarkozy n’y va pas, les fillonistes parient sur une baisse mécanique de Juppé qui est aussi, pour une partie de l’électorat, un refuge anti-Sarkozy. «Miser sur l’abandon d’un concurrent n’est pas le meilleur moyen de faire la course», met en garde Jérôme Fourquet de l’Ifop. Si Fillon reste scotché autour de 10% dans les sondages, ce doit être pour «des raisons profondes»; peut-être que ses «traits d’image vont à l’encontre de son discours thatchérien». Libéral. François Miquet- Malmené dans les sondages, l’ancien Premier ministre rassemble ce samedi ses soutiens à Paris pour activer sa campagne. Ses partisans tablent sur l’abandon de Nicolas Sarkozy et une communication plus efficace. Par ALAIN AUFFRAY Photo ALBERT FACELLY Q uelque chose ne va pas. Manifestement. A huit mois de l’échéance, François Fillon est dépassé par Bruno Le Maire dans les intentions de vote à la primaire de novembre. L’ancien Premier ministre a beau marteler que ces sondages «ne veulent rien dire» puisqu’on ne connaît ni le corps électoral ni même la liste des «vrais candidats», ce décrochage inquiète. Les dernières enquêtes disent toutes la même chose: Fillon serait à 8 % pour l’Ifop, le 23 mars, comme pour Ipsos le 30 mars. Et Bruno Le Maire aurait presque 10 points d’avance. Valeurs sûres. Troublés par ces chiffres, les fillonistes préparent la contre-offensive, en se débattant avec cette injonction contradictoire: comment mettre en scène, au prix d’un minimum d’autocélébration, ce pudique animal politique qui a fait du rejet de la communication sa marque de fabrique ? «La vie politique, ce n’est pas un spectacle. Un homme politique, ce n’est pas une star», a-t-il maintes fois répété, contre Sarkozy. Ce samedi, le candidat réunit à Paris près d’un millier de ses «relais» départementaux, ceux qui vont porter sa candidature et participer, le 20 novembre, à la mise en place de 10 000 bureaux de vote. Animée par le directeur de campagne Patrick Stefanini, cette réunion se terminera par un discours de Fillon, précédé de ceux du président du Sénat, Gérard Larcher, et du chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau. Stefanini, Larcher, Retailleau : ces trois valeurs sûres rassurent les militants. Le premier, directeur de plusieurs campagnes victorieuses (Chirac en 1995 et en 2002, Pécresse en 2015), jouit d’une réputation d’organisateur hors pair. Larcher peut se prévaloir de son autorité de second personnage de l’Etat, tandis que le troisième, Retailleau, est unanimement reconnu, chez LR, comme un ministrable à cote ascendante. Doute. On touche là au paradoxe Fillon, l’un des plus populaires Premiers ministres de la Ve République. Très apprécié à l’Assemblée et au Sénat, il compte plus de soutiens parlementaires que Juppé, Sarkozy et Le Maire. Il est aussi le préféré des chefs d’entreprise, grandes ou petites, séduites par les audaces libérales de son programme: priorité à la baisse massive des charges, suppression de l’ISF et des 35 heures, suppression de 500000 emplois publics, etc. Candidat déclaré depuis l’automne 2012, il est plus avancé dans la construction du projet d’alternance. «J’irai jusqu’au bout!» s’emporte-t-il, très agacé, quand on lui demande s’il n’envi- sage pas de renoncer. La primaire, c’est son combat. Et aussi son œuvre. Après le fiasco de l’élection à la présidence de l’UMP en novembre 2012, il avait posé cet ultimatum à Copé et à ses alliés sarkozystes : si la primaire n’était pas gravée dans le marbre des statuts du parti, la scission était inévitable. A ses soutiens qui doutent, Fillon explique ce samedi dans le Figaro que «les cartes seront rebattues» quand les candidats seront connus : «Nicolas Sarkozy se présente- L’HOMME DU JOUR Marty, président de Viavoice, souligne que malgré la faiblesse des intentions de vote, Fillon reste, derrière Juppé et Macron, au top du palmarès des hommes politiques jugés «crédibles». «On reconnaît l’ancien Premier ministre. Mais la marque Fillon n’existe pas. Quelles sont ses valeurs? Sur quoi est-il prêt à se battre?» s’interroge le sondeur. Dans son entourage, chacun convient qu’il y a, au minimum, «un problème de communication». Les avis divergent sur les remèdes. Pour Retailleau, Fillon doit plus se dévoiler. Il doit aussi investir les thématiques régaliennes: «Répondre à l’angoisse du déclassement économique? Très bien. Là, il est le meilleur ; mais il y a aussi l’angoisse de la dépossession culturelle.» Pour d’autres, comme l’ex-patron de Numéricable Pierre Danon, un de ses proches conseillers, il doit continuer à marteler que la priorité est le redressement économique plus que l’identité, l’immigration et la laïcité. Même conseil de l’ex-ministre Hervé Novelli. Selon lui, il doit incarner «le dirigeant moderne, à la tête d’une organisation horizontale et non pas verticale». Le candidat ne doit pas «entretenir l’illusion de l’homme providentiel, du grand chef infaillible». Il doit pouvoir «faire des forces de ses faiblesses supposées». De quoi occuper les professionnels de la communication. • 10 u SUR LIBÉRATION.FR Etats-Unis Trump qui commet une faute sur l’avortement, Sanders qui convainc cinq Etats en dix jours… Vous n’avez pas tout suivi, voire rien du tout, des courses à l’investiture républicaine et démocrate ces derniers temps ? Tous les vendredis, Libération fait le point sur les primaires américaines. PHOTO JEWEL SAMAD. AFP L’enfant comorien libéré de Roissy Douze jours dans la zone d’attente de l’aéroport. Arrivé le 21 mars pour rejoindre sa tante, un Comorien de 8 ans avait été arrêté à sa sortie d’avion. il voyageait seul avec le passeport français de son cousin. Il devait être rapatrié vendredi, mais a été libéré, selon l’association La voix de l’enfant. Face aux pleurs, le commandant aurait refusé son embarquement. Puis le juge des libertés et de la détention de Bobigny est intervenu. Le procureur décidera d’un placement ou d’une remise à sa famille. «La présidente s’est adressée à ce petit bonhomme avec beaucoup d’humanité», a dit Martine Brousse, de l’association. Bouygues et Orange, échec net Encore raté! Devenu le serpent de mer des télécoms, le passage de quatre à trois opérateurs n’aura pas lieu. En tout cas pas sous la forme, inédite à l’échelle européenne, du rachat du quatrième opérateur Bouygues par le leader du marché, Orange. Convoqués vendredi soir, les conseils d’administration des deux groupes ont acté l’échec des discussions. A l’unanimité, celui de Bouygues a décidé de mettre fin au rapprochement et de faire cavalier seul. Une énorme surprise, tant la volonté de l’ensemble des acteurs –Bouygues, le vendeur; Orange, SFR, Numericable et Free – de parvenir à cette concentration En introduction de son discours devant les sénateurs, mercredi, Jacques Rapoport a eu cette phrase peu engageante pour celui qui le remplacera à la tête de SNCF Réseau : «Je dois dire à mon successeur qu’il va avoir tout sauf un travail facile.» Démissionnaire un an avant la fin de son mandat, il s’est véritablement lâché sur l’état du réseau ferré en France, réseau dont il a eu la responsabilité ces quatre dernières DR «Quand vous avez des portions aussi vétustes, on peut très bien demain avoir un accident.» JACQUES RAPOPORT PDG de SNCF Réseau, mercredi au Sénat EXPRESSO/ années. «Ce patrimoine national est en danger.» Il ne parle pas des lignes à grande vitesse, mais «de la partie la plus circulée de notre réseau, à peu près 20000 à 25 000 kilomètres sur les 30 000 kilomètres de lignes qui, pendant trente ans, n’ont pas bénéficié des investissements de renouvellement requis». Des voies, a-t-il rappelé, dont l’âge moyen est «le double de ce qui est en Allemagne». du marché semblait forte. Après trois mois de fiançailles qui devaient aboutir à un très complexe contrat de mariage sur fond de partage des actifs de Bouygues Telecom entre les trois opérateurs restant, les obstacles se sont finalement révélés trop importants. A commencer par le prix de 10 milliards d’euros exigé par Martin Bouygues pour se revendre à Orange. Principal actionnaire du groupe à hauteur de 23 % de son capital, l’Etat, qui ne veut pas risquer d’en perdre le contrôle, a refusé les conditions fixées par Martin Bouygues, tant en termes de valorisation que sur son poids dans la future gouvernance de l’opé- «Certaines caténaires ont plus de 80 ans, j’ai vu des photos de traverses complètement pourries. Quand vous avez des portions aussi vétustes, on peut très bien demain avoir un accident comparable à Brétigny», a lâché pour sa part Hervé Maurey, président de la commission et sénateur de l’Eure. Pour rappel, l’accident de Brétigny avait tué sept personnes en 2013. La dégradation du réseau est régulièrement pointée par les élus, les associations d’usagers, la cour des comptes et par la SNCF elle-même. Depuis le début des années 80, les capitaux de la société ferroviaire ont été en grande partie aspirés par le plan TGV au détriment des lignes intercités. Depuis quelques années, une réorientation des investissements vers le réseau existant a été opérée (1500 chantiers sont programmés en 2016). Mais, à écouter Jacques Rapoport, l’effort n’est peut-être pas suffisant. Dans les années à venir, les dépenses de SNCF Réseau «vont augmenter et les recettes vont stagner voire baisser», a-t-il expliqué. Or, selon lui, il est urgent d’accroître «cette trajectoire de renouvellement», mais «la priorité, c’est la remise à niveau de la partie la plus circulée du réseau». Ri.P. rateur historique. Martin Bouygues serait devenu le deuxième actionnaire. Les négociations ont aussi buté sur la nature des actifs cédés à Free. Alors que le «Yalta» semblait quasi bouclé ces derniers jours, Xavier Niel aurait fait monter les enchères. Enfin, les incertitudes restaient très élevées concernant le feu vert des autorités de la concurrence pour le redécoupage du secteur. En exigeant des remèdes supplémentaires de manière à préserver une saine compétition dans le secteur, l’ensemble des protagonistes risquaient de se retrouver, dans quelques mois, à la case départ. C.Al. Explosion due au gaz en plein Paris Une déflagration s’est produite, vendredi à la mi-journée, dans un immeuble d’habitation du centre de Paris, faisant 17 blessés dont un grave. A l’origine du sinistre, un «incendie classique» au 4, rue de Bérite, dans le VIe arrondissement, selon le commandant Gabriel Plus, porte-parole des sapeurs-pompiers, cité par l’AFP: «Au moment où nous finalisions le feu, l’immeuble adjacent, au 6, a été soufflé.» Il s’agit vraisemblablement d’une explosion de gaz, probablement un «accident domestique», poursuit-il. Un pompier est gravement blessé, mais son pronostic vital n’est pas engagé. Seize autres personnes dont 10 pompiers ont été plus légèrement touchés. PHOTO AFP Violences policières: deux plaintes déposées à Paris Suite aux violences policières aux abords du lycée Henri-Bergson le 24 mars à Paris, deux familles ont déposé plainte auprès de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) vendredi. La première a été déposée pour violences policières par la mère de Steven, 17 ans, déféré devant un juge d’instruction samedi dernier après deux jours de garde à vue. Placé sous contrôle judiciaire, il a été mis en examen pour outrage et violence contre personne dépositaire de l’autorité publique. Violemment interpellé jeudi 24 devant son lycée, il aurait subi des violences une fois au commissariat selon des lycéens présents au poste. Les adolescents l’auraient vu «en caleçon, à quatre pattes au milieu d’une pièce avec cinq flics qui lui tombaient dessus à coups de claques et de coups de poing», selon des parents d’élèves. Il a bénéficié de trois jours d’ITT (incapacité temporaire de travail). Jeudi, un des témoins, a déposé une main courante pour témoigner des violences infligées à son camarade. La seconde plainte a été déposée pour non-assistance à personne en danger par les parents d’une élève de première. La jeune fille a été bousculée lors d’une charge de policiers, est tombée et a fait une crise d’asthme. «Ses amis ont alors fait barrage pour la protéger», explique sa mère. L’un d’entre eux, qui est allé demander de l’aide aux forces de l’ordre pour lui porter secours «s’est fait insulter». Une voiture de police aurait même fait mine de les percuter «pour leur faire peur», raconte une mère d’élève. Ses amis ont fini par la mettre à l’abri dans une autre aile de l’établissement. L’IGPN a par ailleurs ouvert deux enquêtes suite à la diffusion de deux vidéos montrant des violences policières. La garde à vue d’un des auteurs présumés, débutée jeudi, a été prolongée vendredi matin. P.Mo. DROIT DE SUITE RÂTEAU Montebourg et Filippetti privés d’inauguration Pas content d’avoir «appris par la bande» qu’Arnaud Montebourg et Aurélie Filippetti seraient présents vendredi soir au lancement de la nouvelle saison du U4, ex-haut fourneau transformé en centre culturel, Michel Liebgott, député PS de Moselle et maire de Fameck, a annulé l’événement. «Arnaud Montebourg allait spolier les gens en détournant l’attention sur sa personne pour le buzz», justifie Michel Liebgott à Libération. «On a pris ça pour un poisson d’avril», répond-on du côté de l’entourage d ’A u r é lie Filippetti, qui est, par ailleurs, également députée de Mos elle. On nous explique qu’en tant qu’ex-ministre de la Culture, elle devait être invitée. GRANENA JUSTICE Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11 Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Centrafrique : «l’honneur de la France serait engagé» En marge d’un sommet sur la sûreté nucléaire vendredi à Washington, François Hollande a déclaré que si les allégations «d’abus sexuels innombrables» visant des soldats français engagés en Centrafrique étaient confir- mées, «l’honneur de la France serait engagé». Des rapports accusent des soldats de l’opération Sangaris d’avoir forcé des jeunes filles à avoir des rapports sexuels avec des animaux en échange d’une somme d’argent. 17% C’est la part des jeunes qui pensent que la pilule contraceptive empêche la transmission du sida. Cette donnée est extraite des résultats du sondage mené par l’Ifop auprès des jeunes de 15 à 25 ans pour le Sidaction, dont la 22e édition a lieu ce week-end. D’autres chiffres révèlent l’étendue de la méconnaissance des jeunes: un sondé sur cinq pense que le virus peut se transmettre par un baiser, 15% via un siège de toilettes, 6% en se serrant la main. Si 16% déclarent être très bien informés sur le sida, ce taux a chuté de 10 points depuis 2012. GÂTERIE Carambar bientôt de retour au pays? Le bâton de caramel mou et ses blagues pourraient rejoindre le giron d’Eurazeo. Cette société d’investissement française a annoncé être entrée en «négociations exclusives» avec l’américain Mondelez, afin de lui racheter un panier gourmand d’une dizaine de marques de confiserie françaises et européennes (dont Malabar). Au terme de l’accord, un «nouveau groupe» serait créé, réunissant ces marques et leurs «cinq sites de production en France», dont celui de Marcq-en-Barœul. Cette banlieue lilloise est le berceau des Carambar, créés en 1954 et écoulés chaque année à un milliard d’unités dans l’Hexagone. “INTENSE” TÉLÉRAMA «Les libellules sont menacées par un manque de considération» L’agrion joli s’est raréfié. PHOTO XAVIER HOUARD. OPI. SFO INTERVIEW nourrissent. Elles s’inscrivent ainsi dans la chaîne alimentaire. Leur présence (ou leur absence) et leur diversité informent les scientifiques qui étudient l’équilibre des écosystèmes. Ça peut paraître difficile à concevoir, mais en étudiant les libellules, les chercheurs posent un diagnostic sur l’état de santé des zones humides. L’état des lieux que vous avez dressé est alarmant… Les libellules sont effectivement menacées par le peu de considération que notre so- ciété moderne fait de la nature. Les zones humides sont asséchées pour l’irrigation ou pour gagner des surfaces valorisables économiquement, d’abord par l’agriculture intensive puis par l’artificialisation due à l’urbanisation galopante… Désormais, même les zones humides les plus reculées, en montagne, concentrent des pollutions, subissent les pressions touristiques et la concurrence d’espèces introduites envahissantes. Parmi celles-ci figurent les écrevisses américaines […] ou les carpes amour provenant d’Asie. Recueilli par C.Sc. A lire en intégralité sur Libé.fr. © 2016 Fidélité Films – Wild Bunch – France 2 Cinéma Parmi les 89 espèces de libellules présentes en France métropolitaine, 24 sont menacées de disparition et deux n’existent déjà plus: la leste enfant et la leucorrhine rubiconde. C’est ce qu’indique l’état des lieux publié dans la «liste rouge nationale des espèces menacées», dressée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et le Muséum national d’histoire naturelle. Entomologiste et membre de la Société française d’odonatologie, Xavier Houard rappelle leur importance. Que sait-on des libellules? En Europe, elles figurent parmi les insectes les mieux connus et les plus étudiés. Ce sont des animaux aquatiques, leurs larves se développent dans l’eau puis émergent et se transforment en un adulte volant. Ce sont des prédatrices qui se nourrissent d’autres insectes, tant dans l’air à l’état adulte que dans l’eau au stade larvaire. Sont-elles importantes ? Elles sont importantes à plus d’un titre. Les libellules mangent «utilement» les moustiques et constituent une ressource pour les oiseaux insectivores qui s’en ++++ STUDIO CINÉ LIVE 12 u Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 LA LISTE Foot: révisons les Clásicos VIRUS Ebola : le Liberia de nouveau touché Un nouveau cas d’Ebola a été identifié au Liberia, plus de deux mois après la proclamation officielle de la fin de la transmission du virus dans ce pays, ont annoncé vendredi le ministère de la Santé et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Il s’agit d’«une femme de 30 ans décédée jeudi aprèsmidi après avoir été admise dans un hôpital de la capitale, Monrovia», a précisé l’OMS, qui avait annoncé deux semaines auparavant la fin de l’épidémie en Afrique de l’Ouest. Depuis, les mauvaises nouvelles se succèdent : déjà sept morts ont été recensés en Guinée voisine. 1 El Clásico Le Barça veut honorer la mémoire de Johan Cruyff, tandis que le Real Madrid compte laver l’affront de novembre (0-4) : le premier Clásico de Zinedine Zidane entraîneur (et le 231e de l’histoire) sera fort en émotions, samedi (20 h 30). 13% C’est la part d’obèses dans la population mondiale, selon une étude publiée vendredi dans la revue britannique The Lancet. Cette épidémie touche plus de 640 millions d’adultes (375 millions de femmes et 266 millions d’hommes). Le rythme de progression est tel que le taux pourrait atteindre les 20% d’ici à 2025. Présentée comme l’une des plus complètes réalisées à ce jour sur le sujet, l’enquête se fonde sur des données concernant 19 millions de personnes majeures, vivant dans 186 pays. Ils n’étaient que 105 millions en 1975. Mais en quarante ans, le poids moyen de la population a augmenté de 1,5kg tous les dix ans. 2 Le Superclásico Le préfixe indique qu’il s’agit du derby le plus fameux au monde, opposant en Argentine, Boca Juniors et River Plate. Ils en sont à leur 361e confrontation depuis 1913 et Boca mène 131 victoires à 117 (113 nuls). 3 Le Classique Ou un Paris SG - Olympique de Marseille. Ce «Classique» du foot français, qui s’est joué à 88 reprises dans l’histoire, a été monté en épingle par… Bernard Tapie, boss de l’OM de 1986 à 1994 : «J’ai tout orchestré !» Moscou pense avoir débusqué une taupe ukrainienne VU DE RUSSIE «Le lieutenant-colonel Iouri Ivantchenko du département de contre-espionnage du SBU [les services de sécurité ukrainiens, ndlr] a été arrêté le 26 mars sur le territoire russe, [venu] pour participer à une opération pendant laquelle il devait être recruté par le FSB [exKGB]», ont affirmé jeudi les services secrets russes. Ils précisent que l’agent ukrainien, «entraîné par la CIA», s’était rendu en Russie en prétextant une visite familiale, alors que les services secrets ukrainiens interdisent à leurs employés d’y aller. Du reste, le FSB l’attendait de pied ferme, renseigné sur ses projets «avant son arrivée». Dans un montage vidéo diffusé par la chaîne REN-TV (qui renvoie au service de com du FSB), Ivantchenko a l’air de passer des entretiens d’embauche. «Je travaille pour le SBU depuis 2001. Je ne soutiens pas l’idéologie projetée actuellement par le président et le gouvernement» ukrainiens, explique un homme corpulent, cheveux ras et barbe taillée en bouc, filmé en caméra cachée. Il déplore aussi l’invasion des structures du pouvoir ukrainiennes par des agents américains «qui mènent des opérations de vol et d’extermination de gens dans le Donbass [territoire disputé de l’est de l’Ukraine, ndlr]. Tous les documents sont signés par nos fonctionnaires sous l’égide des Américains». Selon le FSB, ce n’est pas la première fois qu’Ivantchenko cherche à proposer ses services au FSB, il avait déjà tenté le coup en 2014. Dans la mesure où il n’a pas eu le temps de «causer de dommages à la Russie», il sera simplement expulsé et interdit d’entrée. V.D. (à Moscou) LIBAN CORÉE DU NORD La police libanaise a démantelé un réseau de trafic sexuel et libéré 75 femmes, pour la plupart syriennes, a indiqué vendredi à l’AFP une source des services de sécurité. «Il s’agit du plus grand réseau que nous ayons découvert depuis le début de la guerre en Syrie» en 2011, assure cette source sous le couvert de l’anonymat. Les femmes ont été violées et battues, et certaines d’entre elles portaient des marques de «mutilations» sur le corps, indique pour sa part un communiqué des Forces de sécurité intérieure (FSI). Dix hommes et huit femmes, qui gardaient les appartements dans lesquels se trouvaient les victimes, ont été arrêtés. Le Liban accueille plus de 1,1 million de Syriens ayant fui la guerre, soit le quart de sa population. Il s’agit du taux de réfugiés le plus élevé au monde. Vendredi, Pyongyang a lancé un missile sol-air de courte portée. Selon le comité des chefs d’état-major interarmées à Séoul, Pyongyang s’est invité ainsi avec fracas au sommet sur la sécurité nucléaire, organisé par Barack Obama à Washington. Cette nouvelle démonstration de force intervient quelques heures après une réunion entre la Corée du Sud, les Etats-Unis et le Japon. Le président américain avait évoqué jeudi la nécessité de faire respecter avec vigilance les mesures de sécurité imposées à Pyongyang par l’ONU en mars, après le quatrième essai nucléaire du 6 janvier et son tir d’une fusée longue portée, un mois plus tard. Ce vendredi, les médias du Nord ont qualifié d’«absurde» le sommet de Washington et ont rappelé «l’accès légitime aux armes nucléaires» pour leur pays. L’agence sud-coréenne a comptabilisé 17 engins lancés à six occasions depuis le début de l’année. Mort de Hans-Dietrich Genscher, grand artisan de la réunification allemande A l’est comme à l’ouest du Mur, tout le monde connaissait ses grosses lunettes, le pull jaune canari –la couleur de son parti, le Parti libéral (FDP) – qu’il portait invariablement, et son air de chien battu… Peu charismatique, Hans-Dietrich Genscher, chef de la diplomatie allemande sous diverses majorités de 1974 à 1992, a été l’un des politiciens allemands les plus populaires de l’aprèsguerre. Son heure de gloire remonte au 30 juin 1989. A Prague, depuis le balcon de l’ambassade de la RFA (République fédérale d’Allemagne), le ministre s’adresse à quelques milliers de réfugiés est-allemands qui ont fui leur pays pour rejoindre l’Ouest. HansDietrich Genscher leur annonce qu’ils pourront bientôt se rendre en RFA. C’est la première brèche dans le rideau de fer. Un an plus tard, c’est encore lui qui signe, avec l’Union soviétique et les trois puissances occidentales (Etats-Unis, France et Grande-Bretagne) qui occupaient encore la RFA, le traité dit «2+4» annonçant la réunification. Genscher est né à Halle, en ex-RDA, en 1927. Hans-Dietrich Genscher, en 2006, à Halle. REUTERS A la fin de la guerre, il est fait prisonnier par les Américains. A sa libération, au début des années 50, atteint de tuberculose, il passe à l’Ouest. Avocat de formation, Genscher rejoint les rangs du FDP en 1952. Il a été député du Bundestag sans interruption de 1965 à 1998. Tout au long des dix-huit années qu’il a passées à la tête du ministère des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher s’est évertué à mettre en œuvre une politique de rapprochement avec l’Europe de l’Est communiste, refusant de diaboliser l’ennemi soviétique. Son objectif : la fin de la guerre froide et de la course aux armements. Le pire épisode de sa carrière reste l’échec de la libération des otages israéliens, lors des Jeux olympiques de Munich, en 1972. Genscher, alors ministre de l’Intérieur de Willy Brandt (SPD), se propose comme otage en échange des athlètes israéliens. L’intervention des forces de l’ordre, désastreuse, s’achève par la mort de plusieurs otages. Malgré sa démission surprise à 65 ans en 1992, Hans-Dietrich Genscher était resté présent dans le débat politique allemand. A l’automne 2014, accompagné d’anciens réfugiés, il était retourné à l’ambassade allemande de Prague, dans les murs de l’ambassade d’Allemagne, pour y fêter les 25 ans de la chute du Mur. N. V. (à Berlin) du 16 mars au 9 avril 2016 LES 6 JOURS : Choix éclectiques. Prix électriques. …, - 30 %, - 40 %, ... sur une sélection de produits Maison et Mode (1) R.C.S. 572 232 650 - lebhvmarais.fr 52 rue de Rivoli - Paris 4e C . C ial P a r l y 2 (1) Sur une sélection de produits Maison et Mode signalée en magasin (si rayon existant). Non cumulable avec certaines offres en cours. 14 u MONDE www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 A Garissa, les fantômes du massacre Kenya Il y a un an, 148 personnes étaient tuées par les shebab en plein campus universitaire. Depuis, des cours ont repris mais les blessures sont profondes. Le groupe Al-Shabaab, lié à Al-Qaeda, revendiquera l’attaque. Leur but: imposer la charia Envoyé spécial à Garissa (Kenya) et leur conception du salafisme en Afrique de l’Est. un coup de poing, Abdul ouvre une Un an après le massacre, la vie reprend peu porte grinçante. Elle donne sur le à peu au sein du campus. Le matin, quelques logement de deux étudiants assassi- étudiants rejoignent de nouveau l’université nés par les islamistes shebab il y a un an. Les via un petit chemin de terre. Autrefois lieu coups de crosse assénés pour briser la serrure agité entouré de commerces, c’est dorénavant marquent encore le bois vermoulu. «Je ne un quartier abandonné. Des bidons disposés peux pas toucher la poignée, elle est maudite.» ça et là sur la route ralentissent les voitures. L’employé de l’université de Deux gardes lourdement armés Garissa entre dans la pièce. Deux REPORTAGE filtrent les entrées. Chaque visilits superposés sont entreposés teur est sommairement fouillé dans un coin. La gorge nouée, Abdul détaille avant de franchir le portail. Mohammed les impacts de balles sur les montants métalli- habite à deux pas d’ici. Etudiant en première ques. Un, deux, trois… Impossible de tous les année, il se souvient «de l’avant». Il venait compter tellement les rafales ont été nourries. souvent boire un thé avec ses amis dans l’une «Il va falloir qu’on jette ces lits, ou au moins des gargotes. «Aujourd’hui, on a l’impression qu’on les répare», dit-il avant de désigner le de rentrer dans un camp militaire», soupiresol. Une tache de sang délavée macule tou- t-il. Mais l’important est là: il peut suivre des jours le lino. Sa voix vacille. «Là, l’université cours. prévoit de tout refaire. On doit supprimer les traces de la tuerie.» Dès qu’il pénètre ici, il se PATROUILLES ET «GADGETS» revoit jouant au football avec les étudiants. Longtemps, le sort de la faculté est resté indéLes images des corps mutilés reviennent cis. Ses portes closes, les jeunes ont quitté Gale hanter. rissa, ou interrompu leurs études. Cette réLe 2 avril 2015, plusieurs hommes armés gion à majorité musulmane est désormais pénètrent dans ce campus, dans le nord-est considérée comme un vivier de terroristes. Un du Kenya. Il est 5h30 du matin quand ils abat- endroit à éviter. Perdu dans une zone aride au tent les gardes à l’entrée de la faculté. Les nord du pays, à six heures de route de Nairobi, terroristes se rendent dans la chapelle toute l’endroit intéresse peu les hautes sphères du proche pour répandre la mort, puis finissent pouvoir, centralisées dans la capitale. Pourleur macabre équipée dans les logements. tant, un beau jour du mois de décembre, sa Séparant les musulmans des chrétiens, assas- réouverture est annoncée. En quelques sesinant méthodiquement ces derniers. Ils maines les professeurs sont rappelés, queltuent 142 étudiants, 3 gardes et 3 policiers. ques classes sont nettoyées, et les cours re- Par BASTIEN RENOUIL D’ prennent. «Ils sont tout de suite revenus, clame Ahmed Osman, le directeur de l’université. Ils voulaient faire vivre cette région!» En aparté, un secrétaire confie que s’il n’avait pas été à son poste le jour de la rentrée, il aurait été renvoyé de la fonction publique. Peu importent les raisons de leur retour, pour le chef du campus, l’important, c’est que la vie reprenne et chasse les démons de Garissa. Le jour de notre visite, seule une vingtaine de jeunes assiste aux travaux dirigés. Mais Ahmed Osman s’enorgueillit d’avoir eu 160 inscriptions depuis janvier. «Et tout va changer en septembre, nous accueillerons 700 nouveaux étudiants venus de tout le pays. Nous aurons autant d’inscrits lll «Nos dirigeants devaient montrer aux shebab qu’ils ne peuvent pas l’emporter, que malgré les horreurs, nous continuerons à vivre. Sinon quoi? Ils feront fermer toutes les facultés du pays?!» ABDULRAHMAN HAMO responsable des étudiants de Garissa u 15 Document : LIB_16_04_02_CAR.pdf;Date : 01. Apr 2016 - 13:55:52 Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Les shebab se replient sur la Somalie Et ce, en dépit de contre-offensives antiterroristes féroces. Début mars, les EtatsUnis ont ainsi piloté un raid aérien, avec le soutien au sol des forces spéciales, contre un camp d’entraînement, tuant plus de 150 militants islamistes. Dans la foulée, l’armée kenyane assurait avoir abattu 19 shebab qui s’apprêtaient à attaquer un camp militaire. Et les autorités du Puntland, une région semi-autonome de Somalie, auraient abattu plus d’une dizaine de rebelles. S’ils n’ont plus un contingent de 15 000 hommes, les shebab continuent de recruter en capitalisant sur la fragilité d’un gouvernement central qui entend tenir pour la première fois depuis quarante ans des élections au suffrage universel. S’ils ne sont pas parvenus, à ce jour, à cibler l’Ethiopie, très verrouillée, «ils pourraient à nouveau frapper au Kenya», estime Roland Marchal. «D’autant plus que leur guérilla n’a pas besoin de grands moyens pour déclencher la terreur et qu’ils ont, désormais, des liens désormais substantiels avec AlQaeda au Yémen.» CHRISTIAN LOSSON Les attaques meurtrières du groupe islamiste se multiplient dans le pays, voisin du Kenya, malgré des raids réguliers contre ces rebelles. A ffaiblis, les shebab, depuis le massacre de Garissa ? Loin s’en faut. Issus, en 2006, de la branche la plus radicale de l’union des tribunaux islamiques, chassés de la capitale somalienne Mogadiscio, ils multiplient depuis les frappes dévastatrices dans de vastes zones rurales qu’ils contrôlent encore ou grâce à des alliances de circonstances qu’ils nouent avec des clans ou des tribus qui ne reconnaissent pas le maigre pouvoir central. En Somalie d’abord, en attendant, à nouveau, d’exporter leurs actions hors des frontières. Les insurgés islamistes, affiliés à Al-Qaeda, ont ainsi amplifié leurs attaques létales depuis le début de l’année. «Depuis un an, ils ont attaqué trois camps de l’Amisom, la force de l’Union africaine en Somalie, et ont fait entre 200 et 300 morts», rappelle Roland Marchal, chercheur au CNRS et auteur en 2011 d’une étude sur les shebab. Des attentats massifs ou ciblés dans une guerre asymétrique qui a non seulement entamé le moral de l’Amisom, force hétéroclite et divisée (ses 22 000 hommes viennent d’Ouganda, du Burundi, d’Ethiopie et du Kenya), mais a également permis de récupérer du matériel de guerre. «Ils ont pris des équipements lourds, des mitrailleuses, des lance-roquettes, et s’en sont servis pour bombarder la présidence de la République au mortier», dit encore Roland Marchal. Les islamistes ont également placé un engin explosif dans un avion, multiplié les attaques kamikazes contre des hôtels, fait exploser des voitures piégées contre des policiers. Des «victoires» qui reflètent une certaine force des shebab et un ancrage local diffus mais toujours réel, car «la population est souvent plus encline à collaborer avec eux qu’avec les forces étrangères». qu’avant le massacre!» Pour les rassu- nyme de vivre-ensemble et d’espoir d’obtenir rer, Ahmed Osman a développé un plan d’en- un jour un emploi. vergure. Il a fait construire un poste de police au cœur du campus. Depuis, 30 hommes viTEMPS FIGÉ vent à proximité des salles de cours. Armes Malgré la réouverture de l’établissement, les automatiques à la main, ils patrouillent jour allées qui courent entre les bâtiments sont et nuit. «Bientôt, ils devront surveiller un mur désespérément vides. Seules deux vaches se d’enceinte. Il y aura également des caméras de sont faufilées à travers les barbelés et apporsurveillance partout. On va avoir de nombreux tent un semblant de vie à cet endroit aux airs gadgets pour éviter qu’une telle tragédie ne se de petite ville fantôme. Dans les salles de clasreproduise.» ses, les chaises sont encore renverDes «gadgets». Le terme est sées à même le sol. Une pellicule SOUDAN ÉTHIOPIE bien choisi. Le jour de sa de sable venu du désert réouverture, l’université s’amoncelle par terre. Rien est équipée d’un lecteur n’a bougé depuis que les KENYA d’empreintes. Les étuterroristes ont semé la OUGANDA diants ont tous une fiche mort. Au milieu de la Garissa biométrique, seuls ceux cour voisine, des bancs étant référencés peuvent sont toujours disposés Lac Victoria Nairobi franchir le barrage à l’endevant une table. Elle trée du site. Mais quelques accueillait le téléviseur semaines seulement après autour duquel on se rasTANZANIE sa mise en service, le dispositif semblait pour regarder tombe en panne, sans jamais être le championnat de football 150 km réparé. La sécurité attendra. Les salles anglais. de classes accueillent des élèves, et c’est bien Le temps s’est figé à Garissa. Deux étudiants la priorité. traversent la cour déserte afin de saluer Abdulrahman Hamo est responsable des étu- Abdulrahman Hamo. Devant eux, il répète diants. Ne pas laisser tomber cette université, pour la dixième fois de la journée que «dans c’était, selon lui, primordial. «Nos dirigeants la ville de Garissa et à l’intérieur de la faculté, devaient montrer aux shebab qu’ils ne peuvent la vie est sûre. Pour tous. Musulmans et chrépas l’emporter, que malgré les horreurs, nous tiens». Comme un mantra qu’il ressasserait continuerons à vivre. Sinon quoi ? Ils feront devant chaque visiteur pour mieux s’en perfermer toutes les facultés du pays?!» En atta- suader, se convaincre lui-même de ne pas quant l’université, les jihadistes s’en sont pris abandonner. Rester à Garissa pour continuer à un symbole. Dans un pays très pauvre aux à faire vivre son établissement et sa région. tensions religieuses rampantes, elle est syno- Pour continuer à vivre. • lll SOMALIE En haut, un concert en hommage aux victimes de la tuerie de Garissa, à Nairobi, le 14 avril 2015. En bas, la reprise des cours à l’université, le 11 janvier. PHOTOS D. KUROKAWA. EPA. MAXPPP ET T. MUKOYA. REUTERS Carnet DécèS Ghislaine GLASSON DESCHAUMES, son épouse, Alexandre et Meriam DEVAL, Raphaël DEVAL, Laure DEVAL, ses enfants, Adonis, son petit-fils, Jean-Marc DEVAL, son frère, Monique GLASSON DESCHAUMES, sa belle-mère, Francisco de LA ROSA et tous ses amis, ont la douleur de vous faire part du décès de Frédéric DEVAL Directeur de programme à la Fondation Royaumont, survenu le 27 mars 2016, à l'âge de 65 ans. Le Conseil d'Administration et les membres du CERCLE FREUDIEN ont la profonde tristesse de faire part du décès de leur président PHILIPPE BEUCKÉ Nous nous réunirons le mardi 5 avril à 10h30. Salle de la Coupole du crématorium du Père-Lachaise 71 rue des Rondeaux Paris 20° [email protected] SouvenirS 11 ans sans mon amour, Guy Helo, Je te cherche chaque jour. conférenceS On se réunira en l'église Saint-Julien-le-Pauvre, à Paris (5e), le mardi 5 avril, à 10 h 30. L'inhumation aura lieu ensuite au cimetière parisien d'Ivry-sur-Seine. Le Conseil d'Administration et le personnel de la Fondation Royaumont ont l'immense tristesse de vous annoncer le décès de Frédéric Deval, Fondateur et Directeur du programme des Musiques Transculturelles, survenu le 27 mars 2016. Ils s'associent à la douleur de Ghislaine Glasson Deschaumes, son épouse, de Laure, Alexandre et Raphaël, ses enfants et de tous ses proches Les 18 années de compagnonnage artistique et humain avec Frédéric s'inscrivent désormais dans l'histoire de Royaumont » Bande dessinée : la relation auteur/éditeur Rencontre & brunch avec les Etats généraux de la BD et Le Motif. Dimanche 10 avril à 11h à la Ferme du Buisson, Noisiel. Dans le cadre du PULP Festival entrée libre, réservations 01 64 62 77 77 lafermedubuisson.com La Fédération Française de l’Ordre Maçonnique Mixte International « LE DROIT HUMAIN », le Grand Maître National, Madeleine POSTAL organisent une conférence publique : « Franc-maçonnerie et spiritualités » Conférenciers : André COMTE-SPONVILLE Philosophe Bruno PINCHARD Professeur de philosophie à l’université Jean Moulin Lyon 3 La reproduction de nos petites annonces est interdite Le Carnet Emilie Rigaudias 01 40 10 52 45 [email protected] Le samedi 16 avril à 14h00, 9, rue Pinel Paris 13e Inscription par courriel : [email protected] 01 44 08 62 62 Informations : www.droithumain-france.org 16 u FRANCE que le duo. D’où leur idée d’obliger l’employeur, lorsqu’il adresse une lettre de convocation à un salarié qu’il envisage de licencier, de préciest un cadre agréable, ser le motif ou du moins les «faits mais il le faut bien: ce susceptibles de justifier la mesure». n’est pas facile de réé- «J’y suis favorable, car dans 90 % crire un code du travail», s’amuse des cas les gens se font convoquer Emmanuel Dockès, professeur de sans savoir pourquoi», souligne-t-on droit à l’université Paris-X. Dans la dans l’assistance. Puis, on se penche cour pavée du château de Goutelas sur la «cause réelle et sérieuse» du (Loire), niché entre vignes et forêts, licenciement économique. Proposile juriste n’a que quelques minutes tion est faite de la remplacer par pour profiter des rares rayons de so- «motif nécessaire et pertinent». leil de ce matin de début mars. Le but? «Mieux protéger les salariés A l’étage de l’imposante bâtisse de et, mécaniquement, baisser la liberté style Renaissance l’attend une quin- des entreprises», précise Morgan zaine de pointures du droit du tra- Sweeney. Mais la mesure est loin de vail, venues de toute la France, pour faire l’unanimité, elle a donc peu de participer à une aventure hors du chance d’aboutir. «Je ne suis pas commun: réécrire un code du tra- convaincu», tranche un réfractaire. vail «plus court, plus clair, plus pro- En revanche, le groupe Pact devrait tecteur et mieux adapté aux difficul- accroître les sanctions pour les emtés de notre temps». Le tout sans ployeurs qui licencient sans juscommande, et donc en tification. Quant au pétoute «indépendance», REPORTAGE rimètre d’appréciation précisent les membres du motif économique, bénévoles de ce groupe de recher- «il ne s’arrêtera pas à la frontière nache baptisé Pact. Soit, en toutes tionale». Référence au très décrié lettres: «Pour un autre code du tra- projet de loi du gouvernement qui vail». Autre que celui que réécrit prévoit, lui, de le restreindre aux actuellement le gouvernement. Au seules sociétés françaises d’un programme de leur semaine coupée groupe. du monde : des ateliers en petits De ce texte, porté par Myriam groupes le matin, chacun avançant El Khomri, la ministre du Travail, il sur un chapitre du volumineux livre n’y a d’ailleurs, selon eux, pas grandrouge, et des plénières, l’après-midi, chose à garder. «Ce n’est pas la prepour discuter des propositions. mière fois qu’on voit s’ajouter des petites dérogations qui cassent l’esprit Haribo. A l’heure d’ouvrir le volet du texte, mais là c’est un paquet de sur le licenciement, après quatre mélasse et d’infamies», s’agace Emjours de remue-méninges, les traits manuel Dockès. «C’est une remise en sont tirés. C’est au tour des universi- cause à chaque page», ajoute Mortaires Josepha Dirringer (Rennes-I) gan Sweeney. Même la structure, et Morgan Sweeney (Paris-Dau- visant à donner plus de place à la néphine) de faire défiler leur présenta- gociation d’entreprise, «pose protion sur le vidéoprojecteur. Face à blème», insiste Dirk Baugard (Pariseux, les juristes en jean-baskets pi- VIII): «Ce n’est pas très élégant. On corent des Haribo tout en prenant peut craindre que des petits patrons des notes. «On a voulu renforcer le ne la comprennent pas et que ça rendroit de défense des salariés», expli- force le risque de conten- lll Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Par AMANDINE CAILHOL Photo BRUNO AMSELLEM «C’ Le 10 mars (de g. à dr.) : Sophie Rozez (Paris-Ouest Nanterre), Franck Héas (Nantes), Dirk Baugard (Paris-VIII), Code du travail Des juristes refont le boulot Débat Pendant une semaine, dans une ambiance de colo, des universitaires se sont attelés à la réécriture de A à Z du droit social. De la réforme El Khomri, il n’y aurait, selon eux, pas grand-chose à garder. Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Morgan Sweeney (Paris-Dauphine) et Josepha Dirringer (Rennes-I) lll tieux.» Eux, à l’inverse, promettent de donner sa place à chaque niveau de réglementation. «Il faut laisser son utilité à la loi et à l’accord de branche. Surtout, nous ne pensons pas qu’on peut résoudre un problème social en baissant la protection dont bénéficient les travailleurs», résume Dockès dans une seconde salve contre la loi travail. «Grotte». Reste que le pari de cette réécriture alternative n’était pas gagné d’avance. «La question se posait de savoir si c’était possible», raconte le juriste. Agacé, à l’été 2015, par la vague de rapports d’experts publiés en amont de la réforme, il rédige un «premier brouillon global» dans son coin et se dit: «C’est difficile, au-des- sus de mes forces, mais faisable en équipe.» S’ensuivent quelques mails, un peu de bouche à oreille et le groupe prend forme à l’automne. Non sans bousculer quelques habitudes. «Les universitaires sont plus naturellement portés à l’étude paisible dans leur grotte», s’amuse Dockès. «C’est un travail novateur, d’habitude on commente les décisions ou les lois, poursuit un autre. Mais il n’y avait pas de raison qu’on se contente de déplorer la situation.» D’autant que, regrettent-ils, les possibilités d’expression offertes aux universitaires sur le sujet restent faibles, seule une minorité ayant l’occasion de se faire entendre. Dans leur ligne de mire : la commission Badinter, mandatée pour éclairer le gouverne- www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe ment, jugée «déséquilibrée dans le sens du patronat». D’où l’importance de proposer autre chose, à la grande satisfaction des juristes de la CGT et de la CGC, venus participer au séminaire. «La doctrine est dominée par une pensée unique qui fait passer toute autre vision pour farfelue. C’est essentiel qu’il y ait une réflexion intellectuelle différente», s’enthousiasme Anaïs Ferrer, de la CGT. Les attentes sont donc à la hauteur de la tâche. Du coup, au château de Goutelas, les pauses sont courtes. A peine ont-ils soufflé dix minutes que les juristes s’attaquent à un autre pavé: le salaire. C’est l’universitaire Vincent Bonnin (Poitiers) qui s’y colle lors d’une visioconférence : «Il ne m’a pas paru nécessaire de conserver la formule actuelle du “Salaire minimum interprofessionnel de croissance”, parce que la notion de croissance me semble relever d’une autre époque. Cela laisse supposer que, s’il n’y avait pas de croissance, il pourrait être réduit. Le “Smi” me convient largement!» Rires collectifs d’approbation. Puis vient la question du «délai de prescription de la dette et de l’action», qui détermine sur combien de temps en arrière et combien de temps après, il est possible de réclamer un rappel de salaires. Faut-il fixer le délai à trois, cinq, six, dix ans? De quoi tendre un peu les échanges : «C’est grave de ne pas payer les salaires ! – Je croyais qu’on faisait un truc raisonnable ! – OK, on remet à quinquennal, on est modéré.» Pas le temps de s’étendre plus: place au dîner, pris à 19 h 30, sans faute, «pour éviter que les salariés du château fassent des heures sup». Près de la cheminée, entre deux plats copieux et quelques bouteilles de vin de pays, le code du travail n’a plus sa place. A peine refait-il surface lors du Time’s Up, jeu de société au cours duquel les personnages à faire deviner seront, entre autres, la ministre du Travail et le patron de la CGT. Mais aussi Jules Bonnot (l’anarchiste) et Sócrates (le footballeur). On retiendra de la soirée, la prestation remarquable d’une joueuse : une parodie de Philippe Martinez résumé à ses moustaches et à un doigt qui dit non. Cette ambiance de colonie de vacances a-t-elle rythmé toute la semaine ? Pas si sûr. «Les premiers jours ont été plus rudes, pointe Carole Giraudet (Lyon-II). Il a fallu mettre en place un cadre et une rigueur personnelle.» Résultat, lorsqu’ils s’écharpent désormais, c’est toujours en bons élèves: on lève la main pour demander la parole, on s’excuse d’être trop NUIT BLANCHE POUR LES OPPOSANTS À LA LOI TRAVAIL Après les manifs, jeudi, contre le projet El Khomri, les participants se sont retrouvés, dans plusieurs villes, pour occuper l’espace public. Reportage place de la République, à Paris. long, et surtout on arrondit les angles. Car s’ils partagent le diagnostic, et sont tous marqués à gauche, comme ils le concèdent volontiers, les membres du groupe restent des «individus qui pensent par eux-mêmes», euphémise Emmanuel Dockès. Et les différences de points de vue ne manquent pas. Parmi les gros morceaux pas encore tranchés: le contrat de travail. Plusieurs propositions sont sur la table, dont la création d’un «contrat unique», «mais pas celui que réclament les économistes, qui crée une période de précarité», pointe-t-on. L’idée: supprimer le CDD, tel qu’on le connaît aujourd’hui, et le remplacer par un CDI qui pourrait, dans certains cas seulement, prévoir un terme. Mais la rupture ne serait, alors, pas pour autant automatique, puisque, arrivé à l’échéance, l’employeur aurait pour obligation d’essayer de reclasser les salariés. Et, à défaut, les règles du licenciement simplifié s’appliqueraient. «On unifie tous les contrats pour leur appliquer le régime du licenciement», précise Baugard. «Et surtout, on rend les contrats précaires moins précaires», ajoute Dockès. Autre chantier, présenté le lendemain par Sylvaine Laulom et Cécile Nicod (Lyon-II) après une nuit courte : la négociation collective. En accéléré, elles proposent de simplifier les négociations annuelles obligatoires, de per- u 17 mettre aux syndicats d’organiser des réunions d’information pendant le temps de travail et dans l’entreprise, et de déclencher les négociations. Et ensuite? «Rien n’est tranché, on a ouvert l’imaginaire, il faut maintenant un temps de maturation», insiste Dirringer. Le groupe, qui a déjà publié, début mars, un chapitre sur le temps de travail, tiendra-t-il son objectif: terminer la réécriture totale du code d’ici septembre? «On sera toujours plus à l’heure que les décrets Rebsamen», s’amuse la maître de conférence. «Il ne faut pas laisser retomber le soufflet», note Franck Héas (Nantes). Site collaboratif. Alors, au moment du départ, chacun file avec sa partie à finir sous le bras. A charge pour les autres de proposer des alternatives dans un document partagé en ligne. Soit, dans leur jargon, de «soulever les litiges et des opinions dissidentes» qui pourront être intégrés à la version finale. D’ici là, l’ensemble des syndicats, que le groupe à déjà rencontrés en octobre, devraient être consultés, tout comme les organisations patronales, et un site collaboratif mis en place. Un prochain séminaire est aussi évoqué. Reste à savoir comment le payer… Une subvention issue des fonds propres de l’Institut de formation syndicale de Lyon a financé celui de Goutelas. Pour le suivant, un financement participatif, type KissKissBankBank, est évoqué. «On a pas les moyens des think tanks patronaux», pointe un des juristes. Pour l’heure, on s’applaudit, on s’embrasse. Et on s’encourage. «Ce que vous faites va aller au-delà de l’actualité, c’est du long terme», note Anne Braun, juriste de la CGT. «C’est remarquable! Cette puissance de frappe intellectuelle et cette diversité! abonde Laurence Matthys, de la CGC. On compte sur vous !» • VALLS FAIT UN PAS VERS LA JEUNESSE En déplacement à Orléans, au lendemain d’une nouvelle journée de mobilisation contre le projet de loi travail, le Premier ministre a proposé vendredi de recevoir les organisations de jeunesse «avant la mi-avril». Il s’est également dit «prêt à regarder» certaines propositions de l’Unef, le syndicat étudiant majoritaire, fermement opposé au texte gouvernemental. Et ce, a ajouté Manuel Valls, afin d’«améliorer l’ensemble des politiques publiques vers la jeunesse». La ministre du Travail, Myriam El Khomri, était elle aussi en déplacement au même moment, dans une usine de Décines-Charpieu (Rhône). «C’est normal qu’il y ait de l’exaspération, on connaît un chômage de masse depuis trente ans», a-t-elle commenté, au sujet des manifestations de jeudi qu’elle a jugé «significatives». Mais «si je reste à l’écoute, l’opinion publique ne peut pas être la seule boussole de l’action gouvernementale» a contre-attaqué la ministre. 10E ÉDITION FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM SUR LES MÉTIERS D’ART CO-ORGANISATEUR 7-10 AVRIL 2016 – LE MÉLIÈS, MONTREUIL WWW.FIFMA.COM 18 u SPORTS www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Quatre faces pour un Tour des Flandres La classique belge de 255 km se dispute dimanche. Elle compte dans son peloton une nouvelle génération pleine de promesses. «Libération» a choisi ses poulains. Par PIERRE CARREY L e Tour des Flandres, la grande classique belge qui fêtera dimanche son 100e anniversaire, séduit toujours la jeune vague des coureurs cyclistes. D’autant plus que deux anciens triples vainqueurs sont en bout de course. Le Suisse Fabian Cancellara (Trek Segafredo), qui a annoncé sa retraite fin 2016, est redouté comme le favori pour sa dernière participation, tandis que le PROFILS Belge Tom Boonen (EtixxQuick Step), autre figure charismatique, semble sur le déclin. Un changement de génération en vue. Et un renouvellement des codes sur cette mythique épreuve ? Pas tout à fait. Les quatre cyclistes de moins de 25 ans que Libération a interrogés portent chacun un regard différent sur le Tour des Flandres, tantôt moderne, tantôt tradi. Ils convoquent, pêlemêle, brutalité humaine, fête populaire, labeur agricole, bonne ou mauvaise fortune, souffrances et délivrances. Leur point commun est une passion pour cette épreuve au moins aussi ébouriffante que Paris-Roubaix, programmé le 10 avril. Maxime le Breton, Toms le Letton, Tiesj le Flamand et Stefan le Suisse ont des itinéraires opposés, des chances très variables de réussite dimanche, mais une commune «excitation», selon leurs propres mots, pour les routes étroites de Flandres, les plaines à vent, les pavés disjoints qui secouent les os ou encore les dix-huit «monts», ces ascensions explosives, courtes et raides, qui émailleront les 255 kilomètres de course entre Bruges et Audenarde. • TIESJ BENOOT (LOTTO-SOUDAL) LE MESURÉ C’est une plaie d’être «le nouveau Merckx». La presse flamande n’a pas lésiné sur l’hyperbole quand Tiesj Benoot, 22 ans, a terminé cinquième du Tour des Flandres l’année passée, du jamais-vu depuis 1974 pour un coureur fraîchement arrivé chez les pros. «C’est un peu fou, non?» s’inquiète le protégé de Lotto-Soudal. Qui n’était pas assuré de quitter les rangs amateurs un an plus tôt. Tout va très vite pour Benoot. Ce destin qu’il ne peut freiner avec ses jambes, il le retient par d’autres biais. «Je n’ai rien changé à ma vie», confie-t-il à Libération. Il parle mezzavoce, des pauses entre les mots, pour respirer tranquille. Rien changé sauf la mise à distance des journaux de son pays, qui font et défont les carrières. Pour le reste, Benoot vit toujours près de Gand chez ses parents, mange sain et bio. Fait rare à un tel niveau, il poursuit ses études à la fac, en économie appliquée. Son avis sur Keynes: «Il est nécessaire que le gouvernement intervienne dans l’économie. Mais je ne crois pas pour autant en une réelle économie communiste.» Son avis sur le Tour des Flandres 2016 : «Je suis un des outsiders. Mais je ne suis pas le grand favori.» Tiesj Benoot, un homme mesuré. Son frère Jaat a choisi la danse classique. La maman trouve d’ailleurs que le ballet est plus difficile que le vélo. A dire vrai, les Benoot ne sont pas cyclistes dans l’âme. Tiesj, qui voulait débuter ce sport à 5 ans, patiente six années pour recevoir son premier deux-roues à 50 euros. Puis il fait serveur dans les bars pour s’acheter du matériel. «Je sais la valeur des choses», dit-il. Benoot n’a pas besoin d’en rajouter dans la métaphysique du cyclisme. «Le Tour des Flandres n’est pas cruel. C’est notre choix de prendre le départ.» Amateur d’histoire, il se veut cartésien, balaye les poncifs et les superlatifs. Un «Flandrien» du XXIe siècle. Tiesj Benoot aux Etats-Unis en mai. PHOTO HARRY HOW. GETTY IMAGES MAXIME DANIEL (AG2R LA MONDIALE) LE GARS DU CRU Oublions un instant Thibaut Pinot ou Romain Bardet : Maxime Daniel est le coureur professionnel qui compte officiellement le plus de fans dans l’Hexagone. Ils sont 270 dans son club de supporteurs qui se déplacent à trois autobus. «On peut se reconnaître dans Maxime. C’est un coureur sain et sympa qui fait son petit truc», explique Jean-François Aubry, le président. Le sprinter d’AG2R La Mondiale, 24 ans, n’est pas une vedette mais un homme de la terre, discret et travailleur. Ce qui le rapproche de ses supporteurs, ses voisins du village de Boisgervilly, près de Rennes. Chez les Daniel, on est agriculteur de père en fils, et cycliste pareil. Maxime conduit encore le tracteur en hiver. Quand il revient de l’entraînement, il boit le café à la ferme de ses parents. Il s’inquiète des vaches et des chèvres laitières: les temps sont durs. Eux lui parlent de sa vie dans les pelotons: il y a les hauts et les bas. Depuis sa chute au Tour de Berlin en 2011 jusqu’à une cruralgie (inflammation du nerf crural, dans la jambe) survenue mi-mars, Maxime fraye avec la malchance. «Mais je dois me battre, ne serait-ce que pour mon club de supporteurs», dit-il. Dimanche, les copains n’iront pas en Belgique : le voyage est trop long. Maxime Daniel se battra quand même. Ce Tour des Flandres sera son premier mais il connaît ces terrains âpres. «Il faut être solide, comme aux champs, explique-t-il. Tu en baves mais tu as le bonheur de tirer les fruits de ton travail…» Le Breton espère prendre l’échappée matinale et travailler pour ses leaders. En mars, il s’est classé onzième du Samyn, une classique belge de préparation. «Il y avait de la grêle, j’avais la mâchoire gelée, je ne pouvais plus manger, raconte-t-il. Mais certains coureurs avaient encore plus mal que moi, alors j’ai insisté. Quelque part, la souffrance est une motivation.» Maxime Daniel, au Portugal, en 2013. PHOTO JOSE SENA GOULAO. EPA. MAXPPP u 19 Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 nouveau cyclisme TOMS SKUJINŠ (CANNONDALE) L’ÉCOLO Toms Skujinš aux Etats-Unis en mai. PHOTO HARRY HOW. GETTY IMAGES A Gand, où il est confiné depuis mardi, avec vue sur les canaux et les façades en briques, Toms Skujinš bout à grosses bulles. «Il faut que je sorte d’ici. Moi, il me faut la campagne!» implore le coureur letton. Il lui tarde d’entamer le Tour des Flandres, avec ses chemins de charroi, l’odeur de tourbe et de bière. «Ce sera une fête de village, dit-il à Libération. C’est ça, le cyclisme: de la passion. Personne n’est là pour l’argent, pas même nous, les coureurs.» En tout cas pas lui, un équipier de 24 ans, nouveau venu dans l’équipe américaine Cannondale. Skujinš s’est déjà gorgé de cette course champêtre, en 2011, quand il termine deuxième du Tour des Flandres des 19-22 ans. A l’époque, il est présenté comme un «moteur» à explosion, un talent à fracasser n’importe quelle classique. «Un bébé avec une tête d’assassin !» dépeint son soigneur, pour nuancer les yeux bleus candides et les cheveux blonds. «Un très grand potentiel sportif mais aussi un esprit extraordinairement cultivé», relève Lionel Lahoun, son entraîneur du temps où le Letton courait en France, au team La Pomme Marseille. Bon élève, polyglotte, Toms Skujinš se serait plu dans les statistiques, une discipline «reposante». Boulot de bureau en journée, avant les balades dans ces forêts où il cueillait autrefois myrtilles et champignons. Finalement, il a choisi le sport, avec le même équilibre balte du plein air. Toms Skujiņš se dit «écologiste». «J’essaie d’utiliser uniquement ce dont j’ai besoin», confie-t-il. Mais il l’admet, le cyclisme est discutable: «On fait 25000 km par an sur le vélo mais on voyage beaucoup en avion. J’espère que ça compense le bilan carbone !» Skujinš, le coureur vert, a offert aux parents de son entraîneur français un cadeau de grande valeur: un jeune cerisier. Au Tour des Flandres, la route longe des arbres fruitiers. STEFAN KÜNG (BMC) LE BON GORILLE Stefan Küng en Suisse en mai. PHOTO TIM DE WAELE. DPPI Le Tour des Flandres est une épreuve sauvage. Chaque coureur y est tantôt chasseur, tantôt proie. En 2014, le Suisse Stefan Küng, alias «King Küng», est en mesure de gagner l’épreuve des 19-22 ans lorsqu’un concurrent le fait chuter au sprint. «Le danger, ça fait partie du job sur les classiques», dit-il. Qui a tort? Qui a raison? Dans un peloton, la culpabilité se brouille. Tour de Nouvelle-Calédonie 2013: Küng jette au sol un coureur français, à 50km/h. Sa version : «Je lui avais dit de se calmer, il était trop nerveux.» Le mec accidenté : «Cet enfoiré m’a donné un coup de coude alors que je remontais le peloton.» Küng: «Bon, d’accord, il ne faut pas me prendre au sérieux quand je suis sur le vélo, je deviens une autre personne !» Le bon gorille de BMC ne se rend pas toujours compte de sa force. Carcasse massive: 1,93 m pour 83 kg. Palmarès déjà éloquent : champion du monde en poursuite individuelle et en contre-la-montre par équipe, huit titres de champion d’Europe, une étape du Tour de Romandie… Enflammés, certains journaux le comparent à Fabian Cancellara. Comme son compatriote, Stefan Küng a le cuir épais. En deux mois, il a vaincu une mononucléose pour s’aligner sur son premier Tour des Flandres. Voilà pour le terrifiant «King Küng». Revenu dans sa cage, dans la région de Toggenburg, près du lac de Constance, le coureur se révèle tout mignon. «C’est un type adorable», témoigne Simon Pellaud, professionnel dans l’équipe IAM. Stefan Küng, 22 ans, assume sa dualité, qui coagule aussi dans le Tour des Flandres: «Le vélo, c’est la nervosité, les gens qui se bousculent et qui gueulent dans un peloton. Et puis parfois, c’est de l’entraide, quand tu te retrouves dans un petit groupe d’attardés et que tu leur serres la main après l’arrivée. C’est sincère, le vélo.» 20 u MODE Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Saint Laurent: Hedi Slimane se taille Prêt-à-porter Le départ du directeur artistique de la maison de couture du groupe Kering a été annoncé vendredi matin. Il illustre l’intransigeance du styliste français. ter Jean-Jacques Picart, cofondateur de la maison de haute couture Christian Lacroix. En 1997, il dirige epuis plusieurs semaines les collections de prêt-à-porter chez déjà, la rumeur était devenue Yves Saint Laurent puis, en 2000, une certitude: Hedi Slimane, prend la direction artistique de Dior directeur artistique de Saint Lau- Homme (propriété de LVMH). Après rent, ne renouvelle pas son contrat sept années, il s’en va, pourtant au au sein de la maison de couture sommet de sa gloire: il a non seulefrançaise détenue par le ment créé une marque groupe Kering. Bien que pré- PROFIL (avant lui, la poussiéreuse visible, cette nouvelle a de ligne masculine vivotait quoi surprendre. En quatre ans, Sli- sous le nom de Christian Dior Monmane a apporté à Saint Laurent un sieur) mais aussi un style, noir et formidable coup de jeune qui s’est blanc, près du corps, déclinant les matérialisé par une croissance hors codes du rock, qui a marqué l’esthénorme en période de crise. tique de la décennie, de Tokyo à PaLe designer semble avoir joui d’une ris. Il est au cœur d’une nébuleuse totale liberté et du financement né- de jeunes musiciens qu’il photogracessaire pour concrétiser ses pro- phie et fait travailler sur ses défilés jets. Il a rebaptisé la maison à son (en tant que mannequins ou à la arrivée (Yves Saint Laurent est de- bande-son, selon leur poids). venue Saint Laurent Paris), a entièrement revu l’esthétique des bouti- Saluts brefs ques, de la communication, des Les raisons de son départ n’ont japublicités, a toujours bénéficié du mais été clairement explicitées, soutien du PDG de Kering, Fran- mais il semble que, déjà à l’époque, çois-Henri Pinault, présent à tous sa volonté de contrôler l’ensemble les défilés, ainsi que de la figure de la marque (incluant la ligne tutélaire de Saint Laurent, Pierre femme, les bijoux…) ait été un point Bergé. Plusieurs éléments concrets d’achoppement avec ses emexpliquent la raison du départ ployeurs qui, pour le retenir, lui de Hedi Slimane (lire encadré), avaient proposé de créer sa propre d’autres sont à chercher dans le par- griffe. Mais cette option, pourtant la cours et la personnalité de ce desi- plus évidente pour un control freak, gner pugnace, dont la volonté de ne semble jamais l’avoir vraiment tout contrôler, qui confine parfois attiré. Après son départ de Dior, il à la folie, force aussi le respect. avait évoqué l’idée de lancer une ligne de prêt-à-porter pour Guerlain, Nébuleuse marque de cosmétique également Il y a, dans le parcours de Slimane, détenue par LVMH. Finalement, il une forme de répétition. Né en 1968 se retirera de la mode pendant cinq à Paris d’un comptable tunisien ans, jusqu’à son retour triomphant et d’une couturière italienne, il a chez Saint Laurent. d’abord souhaité devenir journa- Le succès de Hedi Slimane ne l’a jaliste. Après une année en hypo- mais fait sortir de sa réserve, qui khâgne, il s’inscrit en histoire de l’art s’est même plutôt accentuée avec à l’Ecole du Louvre et finit par assis- le temps. Peu d’interviews, saluts Par ELVIRE VON BARDELEBEN D Hedi Slimane à Los Angeles, le 10 février. PHOTO KEVORK DJANSEZIAN. GETTY IMAGES Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 brefs à la fin des défilés, regards fuyants sur les photos. A l’époque Dior Homme, sa timidité dénotait déjà auprès de ses collègues extravagants John Galliano (alors à la femme) et Victoire de Castellane (aux bijoux). Aujourd’hui, à l’ère d’Instagram où Olivier Rousteing (Balmain) et Riccardo Tisci (Givenchy) partagent allègrement leur quotidien, la discrétion et le silence de Slimane détonnent encore plus. Avec une interview accordée en quatre ans (par mail, au site Yahoo) et des saluts de plus en plus rares à la fin des défilés, il est devenu l’homme invisible. En contrepartie, il a modelé l’univers Saint Laurent exactement à son image. u 21 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Les coulisses d’un départ A droite, la campagne menée par Hedi Slimane. A gauche, celle réalisée par Yves Saint Laurent Beauté, propriété de L’Oréal. PHOTOS DR Obsession Il a souvent été reproché à cette diva discrète de n’avoir pas respecté l’ADN de la maison Saint Laurent quand il l’a reprise. Les premières saisons, beaucoup d’observateurs, dont Libération, n’y ont vu qu’une redite de son esthétique rock érigée chez Dior Homme, avec des silhouettes nostalgiques qui évoquaient alternativement Kurt Cobain, David Bowie, Courtney Love ou Marianne Faithfull. Cependant, avec le temps, l’obsession de Slimane à creuser son sillon, doublée d’un discours global très cohérent sur la marque (nombre de musiciens dont Kim Gordon ou Marilyn Manson ont été mis en avant dans les campagnes de pubs) et de quelques collections particulièrement convaincantes (notamment les deux dernières, seventies flamboyantes à Los Angeles et une ode à la haute couture à Paris), a fini par forcer l’admiration. Et les ventes lui ont donné raison. «Ce qu’a accompli Yves Saint Laurent ces quatre dernières années restera comme un chapitre unique dans l’histoire de la maison. Je suis très reconnaissant à Hedi Slimane», a affirmé François-Henri Pinault dans un communiqué. De son côté, Francesca Bellettini, PDG d’Yves Saint Laurent, le remercie «d’avoir insufflé sa vision […]. La direction prise ces quatre dernières années constitue un socle formidable sur lequel construire le succès durable de la marque». Laquelle semble envisager, pour reprendre le flambeau, Anthony Vaccarello, designer belge à la tête de sa propre marque, connu pour ses vêtements sexy et féminins. Et quel avenir pour Slimane? Selon toute vraisemblance, il réapparaîtra au sein d’une grande maison. Chanel, qui doit penser l’avenir après Karl Lagerfeld (82 ans), semble une option vraisemblable, d’autant que la maison, indépendante, a l’avantage de tout gérer en interne. • L a rupture entre Hedi Slimane et Saint Laurent aurait été négociée et finalisée il y a un an, après de longues tractations au sein du pôle luxe du groupe Kering dont la maison est l’un des fleurons. En quatre années passée à la tête de la création de Saint Laurent, Hedi Slimane est parvenu a faire passer le chiffre d’affaires de la marque de 353 millions d’euros (avant son arrivée en 2011) à 974 millions d’euros l’an dernier (soit près de trois fois plus). Pour parvenir à cette progression fulgurante, il a misé sur le prêt-à-porter (un quart du chiffre d’affaires), quand les maisons de couture se reposent généralement sur la maroquinerie et les accessoires pour gagner des parts de marché. Contentieux. Si Slimane quitte la tête de Saint Laurent auréolé de succès, ce n’est pas pour prendre immédiatement la tête d’une autre maison (il devrait se consacrer à ses autres passions : la musique et la photographie). Ce qui l’aurait d’abord poussé à mettre fin à sa collaboration, c’est un contentieux avec Yves Saint Laurent Beauté, filiale de L’Oréal qui détient le contrat de licence des cosmétiques et des parfums Saint Laurent. A son arrivée au sein du groupe français Kering, alors PPR, dirigé par François-Henri Pinault, Hedi Slimane pensait avoir la mainmise sur l’ensemble de la direction artistique des produits estampillés Saint Laurent, parfums compris. Mais ce fut loin d’être le cas. Slimane, aussi intransigeant qu’il est sur l’image (variations autour du rock, androgynie de rigueur, noir et blanc systématique), n’a jamais pu imposer sa ligne sur les campagnes publicitaires des parfums et n’aurait supporté de voir à quel point celles diligentées par Yves Saint Laurent Beauté ne collaient en rien à ce qu’il développait chez Saint Laurent Paris. L’autre point de discorde concernerait Gucci, le navire amiral du pôle luxe de Kering (la marque italienne représente 50% de ce pôle, Saint Laurent 12%) au chiffre d’affaires colossal de 3,9 milliards d’euros en 2015. Après des années compliquées, l’arrivée d’Alessandro Michele à la tête de la création de la griffe italienne en janvier 2015 devait relancer les affaires de l’enseigne. Mais celle-ci a pris, dès le départ, des allures de rivalité. Non pas que Slimane se sente ébranlé par le talent d’un autre. Mais Alessandro Michele a, dès son entrée en scène, rendu un hommage un peu trop vibrant à son camarade en accolant des allures plus rock et des profils androgynes à ses mannequins, deux des axes majeurs de la «vision Slimane». Outrecuidance. Le Français aurait vu là une outrecuidance intolérable, et se serait offusqué de ses emprunts. Mais, depuis l’arrivée de l’Italien barbu au look folk, les ventes de Gucci se sont légèrement améliorées. Les critiques se sont faites plus positives (et ont même parfois mentionné les points communs entre les collections des deux maisons). La reprise en main de Gucci, tant attendue, semble enfin entamée, douze ans après le départ de Tom Ford, l’homme providentiel qui fit muter la maison de maroquinerie en griffe de prêt-à-porter de luxe sexy en diable. Si le départ de Slimane ressemble à un coup dur au vu de ses bons résultats (le cours de l’action Kering avait chuté de 2,5% vendredi à 14 heures après l’annonce de la fin de sa collaboration), Kering aurait d’ores et déjà trouvé un styliste pour le remplacer. Mais tout ceci ne concerne plus Slimane, qui va retrouver sa liberté en attendant de revenir par la grande porte, dans une maison où il aura enfin le contrôle total. Vendredi matin, le porte-parole du groupe Kering a démenti l’ensemble de nos informations. MARIE OTTAVI I MOMES I Paris Des rivalités avec le créateur de Gucci et de profonds désaccords sur l’esthétique des cosmetiques ont pu motiver le départ de Hedi Slimane. ANS 0 A 12 TS DE ENFAN IS DES LE PAR MERCREDI 6 AVRIL AVEC LIBÉRATION Ne manquez pas le numéro d’avril-mai et retrouvez le meilleur de l’actualité culturelle pour les 0-12 ans. 22 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 IDÉES/ Benjamin Lemoine «En voulant plaire aux marchés financiers, l’Etat fait de leurs priorités les siennes» Recueilli par VITTORIO DE FILIPPIS Dessin CHRISTELLE ÉNAULT DR Q ui pourrait se satisfaire, nous dit-on urbi et orbi, d’une situation qui conduit chaque année à prélever sur nos finances publiques un montant proche de celui affecté à l’Education nationale pour payer les seuls intérêts de la dette publique? Seuls les loufoques refusent de voir ce qui est donné à voir. Dans l’Ordre de la dette (La Découverte), le jeune sociologue Benjamin Lemoine s’oppose à cette fatalité. A la manière d’un paléontologue, il a gratté le moindre document, épluché le moindre discours, pour aller par-delà du miroir des évidences. Benjamin Lemoine y trouve une histoire oubliée et montre comment l’Etat a abandonné le privilège qui fut longtemps le sien d’avoir la main sur ses dettes. Certes, tout au long de la lecture de l’Ordre de la dette, ce chercheur apparaît d’abord comme un sociologue. Mais il se montre aussi économiste, historien et même juriste. A mettre entre les mains de tous ceux qui s’intéressent à la vie publique. Qu’est-ce que la dette publique ? Pendant longtemps, cette dette était matérialisée par des titres détenus «en physique», sous forme papier. Le bon père de famille détenait en direct son bon et ses coupons d’intérêts à se faire payer régulièrement. Aujourd’hui, la dette est dématérialisée. Elle est distribuée et s’échange à travers le monde sur les marchés financiers. Mais tout l’enjeu politique et sociologique est que la dette peut exister de différentes façons. Elle peut par exemple être «mise en marché» ou encastrée dans un contrôle politique et administratif. C’est-à-dire, «mise en marché» ? Contrairement à l’idée qu’il est naturel que l’Etat se soumette au bon vouloir d’éventuels prêteurs, il a existé des alternatives à ce recours aux marchés financiers. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, on met en place un système qui permet précisément d’y échapper. La dette de marché ne représente alors que 20% du financement de l’Etat. Il y a, dans les plus les hautes sphères, y compris dans la très libérale direction du Trésor, un imaginaire, une idéologie et un sens de l’intérêt public qui s’appliquent aussi à la question de la monnaie et de la finance. On considère Dans son dernier ouvrage, le sociologue montre comment la France a abandonné sciemment à la finance le contrôle de sa dette. Cette histoire, aujourd’hui présentée comme une loi économique, se révèle éminemment politique. que, vu l’urgence de la situation économique, le financement public doit se faire sans risque et en toutes circonstances. Pour y parvenir, on fait du Trésor une véritable banque de dépôt qui draine l’épargne nationale en permanence vers ses caisses. Aussi, au lieu de se soumettre à la loi du marché pour placer ses titres, l’Etat contraint les banques à détenir une partie de leurs avoirs en dette, à un taux d’intérêt fixé d’autorité par les pouvoirs publics. Tout est fait pour que l’Etat ne soit pas un emprunteur parmi d’autres. Placé en surplomb, il est responsable de la monnaie et du crédit, et décide des investissements. Ce système s’arrêtera vers la fin des années 70 ? Dès la fin des années 60, on considère que la guerre est lointaine et qu’il est normal de revenir à la «loi naturelle» du marché sur ces questions de finance, de monnaie et de dette. Des hauts fonctionnaires avides de réforme, mais aussi des banquiers voulant rompre avec le dirigisme militent pour que l’Etat redevienne un emprunteur comme les autres. Une mise en marché de la dette qui n’affecte pas que la France ? C’est une dynamique mondiale, mais produite par des forces politiques et administratives. C’est là qu’entrent en scène, dans les plus hautes sphères de l’Etat, des élites qui promeuvent la rupture avec le crédit et les financements administrés. Surtout, l’inflation devient la préoccupation politique numéro 1, et ce, alors même qu’elle est contenue dans les limites du raisonnable. C’est le début de la grande transformation. On démantèle les règlements qui régissent le financement de l’Etat, et on réintroduit des dispositifs de marché pour la dette : la loi de l’offre et de la demande fixe les règles du jeu, soit le niveau des taux d’intérêt. Et si les marchés font la fine bouche, l’Etat n’a d’autre choix pour attirer l’épargne à lui que de proposer des taux d’intérêt plus élevés, au risque de voir augmenter la part du service de sa dette dans le total de ses dépenses et d’amputer ainsi ses marges budgétaires. Et pourtant des voix s’élèvent pour mettre en garde contre les risques de la mise en marché de la dette… Ce sont d’ailleurs certains hauts fonctionnaires du Trésor eux-mêmes qui contestent ce changement de philosophie, le jugent illégitime et parlent d’un «enrichissement sans cause» pour les banques. Mais ils sont inaudibles parce que confrontés à un nouveau récit de la modernité. Ce n’est plus l’Etat qui doit diriger les banques, mais la finance qui, de moins en moins contrainte et de plus en plus privée, doit apprendre à l’Etat à se discipliner, à veiller à ses dépenses, à son équilibre budgétaire, et l’aider à créer moins de monnaie, afin de baisser l’inflation. Le coup de grâce de cette mise en marché de la dette publique est porté par la gauche lorsqu’elle arrive au pouvoir en 1981… Michel Debré, ministre des Finances, et son conseiller de l’époque Jean-Yves Haberer [il deviendra directeur du Trésor en 1978, ndlr] avaient déjà entre 1966 et 1968 remis en cause le financement «hors marché» de l’Etat. Mais c’est Pierre Bérégovoy, ministre socialiste de l’Economie et des Finances qui, en 1985, ouvrira totalement les marchés de capitaux. Avec l’élection de François Mitterrand en 1981, la France entreprend une politique budgétaire de relance de la consommation, de type keynésienne. Alors que les déficits se creusent, les hauts fonctionnaires du Trésor, convertis à l’orthodoxie monétaire, vont jouer un rôle décisif. Ils vont expliquer aux socialistes au pouvoir ce que le gouvernement doit u 23 Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 raient d’elles-mêmes. Ils ont été conçus comme des outils pour l’action politique. Le ratio de dette rapporté à la croissance (le seuil des 60% par rapport au PIB) doit, au sein de l’Union monétaire européenne, maintenir l’attention de l’opinion publique et des gouvernements sur le problème de la dette. L’apport de la sociologie est de montrer que ces chiffres, au lieu de mesurer passivement la réalité de la dette, comme un miroir neutre, façonnent et modifient «ce qu’est la dette». Par exemple, lorsque Thierry Breton est ministre de l’Economie et des Finances de Jacques Chirac, de 2005 à 2007, il explique, avec le rapport Pébereau, que la dette publique légitimement faire afin de trouver l’argent qui n’est pas de 60% mais de 120 %. Pourquoi ? lui manque désormais: ne surtout pas revenir Parce qu’il faudrait inclure l’engagement de à des mécanismes de financement adminis- paiement de l’Etat vis-à-vis des retraites des tré, du type de l’après-guerre, encore moins fonctionnaires et traduire cette dépense furecourir à une monnaie publique, via la Ban- ture, dès lors, dans le bilan comptable de que centrale –ce que proposent pourtant aux l’Etat. pouvoirs publics des chefs d’entreprise ou des Quelle est la philosophie qui sous-tend économistes qui transmettent d’abondantes ce discours ? notes –, mais aller plus loin dans la mise en Cela permet d’introduire l’idée que ces foncmarché de la dette publique. tionnaires ont une créance sur l’Etat. Qu’ils L’Etat a construit sa propre prison ? ont capitalisé des droits sur l’Etat. Et voilà En tout cas, il ne s’est pas opposé aux mar- comment on tente de transformer un engagechés financiers. Au contraire. Il a construit ment de dépense en contrat de dette. Et voilà leur terrain de jeu et leur légiticomment on change la manière mité. Quand, au milieu des ande penser la retraite : non plus nées 80, il ne reste plus que la comme un transfert intergénédette de marché pour assurer la rationnel, mais comme des survie des services publics, les droits accumulés par chaque inEtats se doivent d’adopter des dividu. On peut considérer que politiques économiques et moc’est une façon d’accoutumer à nétaires conformes aux exigenl’idée que la retraite est un petit ces des investisseurs. Les hauts capital qu’on accumule, ou pas, fonctionnaires qui agissent ainsi au détriment de l’idée de retraite le font «au nom de l’intérêt génégarantie et solidaire. ral». Il s’agit d’obtenir les Que faites-vous de la formeilleurs taux pour réduire la mule : «Chaque nouveau né charge d’intérêt assumée par le porte une dette de plusieurs contribuable. Quand les taux L’ORDRE milliers d’euros» ? sont bas, voire négatifs, on ne DE LA DETTE La rhétorique des générations voit pas cela comme une conde BENJAMIN futures est une manière de nier trainte ou une prison, mais LEMOINE que nous ne sommes pas tous comme une facilité. Il n’en reste La Découverte, égaux devant la dette. La générapas moins qu’une relation de dé308 pp., 22 €. tion future ne recouvre pas une pendance s’est installée. Et on réalité sociale et économique sait que les marchés sont imprévisibles… homogène. Et, derrière la formule, se cachent En quoi l’Etat s’aligne-t-il sur les attentes des disparités nombreuses. Avec la dette, il des marchés financiers ? y a des gagnants et des perdants. S’il est diffiPour séduire, il faut se transformer. En vou- cile de retracer avec précision, à un inslant plaire aux marchés financiers, l’Etat fait tant «i», qui sont les propriétaires de la dette de leurs priorités les siennes. En vendant son française, il est en revanche évident qu’une produit de dette, il est confronté aux inquié- ligne de fracture sépare les ménages dont les tudes du marché qui sont, par exemple: quel revenus et patrimoines, éventuellement alléparti politique sera au gouvernement ? Les gés d’impôts, permettent de dégager de syndicats sont-ils trop puissants? Le coût du l’épargne placée en emprunts d’Etat. Ils sont, travail est-il trop élevé? Bien entendu, ces in- directement ou indirectement (via les diffévestisseurs veulent aussi que l’inflation rents supports de leur épargne et institutions soit sous contrôle, et que la Banque centrale qui la gèrent), les créanciers de l’Etat. Loin soit indépendante du politique, afin que les d’être lestée d’une charge, cette partie des gérentiers, qui détiennent la dette, ne soient pas nérations futures est enrichie via la dette, car euthanasiés et remboursés en monnaie de leur capital qui y est placé bénéficie du resinge, comme on dit. Les investisseurs ont venu des intérêts. Et puis, il y a ceux qui vid’ailleurs des sentinelles qui surveillent vent tout juste de leur salaire. Qui n’ont pas, les politiques publiques : les agences de ou très peu, les moyens d’épargner. Par connotation. tre, en payant des impôts, ils contribuent à asLes chiffres de la dette sont partout dans surer le service de la dette et de ses intérêts à le débat public. Ne traduisent-ils pas la ceux qui en profitent. Eux subissent l’ordre vérité sur l’urgence de la situation ? de la dette, au nom duquel on engage les Les chiffres des finances publiques ne sont plans d’économie budgétaire et le démantèlepas des vérités mathématiques qui parle- ment de l’Etat social. • «[A partir des années 70], ce n’est plus l’Etat qui doit diriger les banques, mais la finance qui […] doit apprendre à l’Etat à se discipliner, à veiller à ses dépenses, à son équilibre budgétaire.» Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe volé son iPad, l’autre s’énerve, prend le cou d’Edouard entre ses mains, et le serre, en disant : «Je vais te faire la gueule !» Il dit ça à Eddy Bellegueule. La phrase le cloue sur place, Réda serre, le viole, et s’en va. Edouard alors appelle un ami, Emmanuel, avocat, qui lui conseille d’aller tout de suite au commissariat, sans se doucher, et de porter plainte. Sur son cou, il y a des traces de strangulation, et comme il ne s’est pas douché, il a encore sur lui du sperme de Réda. Les policiers prélèvent l’ADN. Quelques jours plus tard, En finir avec Eddy Bellegueule sort. Gros succès. Enormes ventes. Beaucoup de courrier. Parmi les lettres, celle d’un jeune éditeur, Christophe Lucquin, qui se dit amoureux. Il a une petite maison d’édition, qui publie des textes à caractère essentiellement pédophile. De l’avis même des amateurs d’érotisme, ces textes sont un peu limites, un peu lourds et ne rencontrent pas le public. Christophe est amoureux, il met sur Facebook la lettre d’amour qu’il a envoyé à Edouard Louis. Mais celui-ci ne lui répond pas. Christophe met alors un tout autre type de messages sur Facebook, moqueries, jalousie littéraire, dénigrement. Il en poste un par semaine. Plus tard, ou peut-être déjà à ce moment-là, je ne sais pas, Christophe Lucquin tombe amoureux IDÉES/ ÉCRITURES Par CHRISTINE ANGOT Entre amis L e soir de Noël 2012, un garçon, Edouard Louis, traverse la place de la République, il s’apprête à publier son premier roman, En finir avec Eddy Bellegueule. Bellegueule est son vrai nom, Eddy est son vrai prénom. Il en a fini avec cette identité-là, il traverse la place de la République, il a passé Noël avec deux amis, sociologues, homosexuels, qui vivent #YABON FUTUR & à Paris, qui lisent des livres, et qui en publient, comme lui. C’est la vie qu’il veut. Eddy Bellegueule, c’est fini, Edouard Louis ça a une autre gueule. Mais, pile à ce moment-là, un autre garçon traverse la place de la République, un peu trafiquant, un peu voyou, Réda, ils montent tous les deux chez lui, ils ont un rapport sexuel, puis Edouard s’aperçoit que Réda lui a Le mixer c’est pour imager mon propos. Par YASSINE et TOMA BLETNER sous prétexte que nous sommes français, ces enfoirés de Facebook nous font bosser comme cuisinier ou jardinier. d’un Mexicain qui joue du violoncelle. Après la fameuse soirée, Réda est rentré chez lui. Il vit comme avant. Il a un compagnon, appelons-le… Ricardo. Ricardo est le meilleur ami du Mexicain qui joue du violoncelle et qui vit avec Christophe Lucquin, l’amoureux éconduit. En finir avec Eddy Bellegueule est en tête des ventes. Réda dit à Ricardo, son petit ami, qu’il connaît Edouard Louis, il a eu une aventure avec lui, ils ont passé une nuit ensemble. Ricardo le répète au Mexicain. Bien sûr, celui-ci le répète à Christophe. Pendant ce temps-là, la plainte qu’Edouard a déposée le soir de Noël dort. Aucun ADN dans les fichiers de la police ne correspond à celui qui a été prélevé sur lui. Trois années passent. Il a écrit un nouveau livre, Histoire de la violence. En 2016, tout début janvier, pour une histoire de stupéfiants, qui n’a rien à voir avec tout ça, Réda est arrêté. Il est incarcéré, on enquête, on prélève son ADN. Fin janvier, un autre garçon, appelons-le… Renaud, porte plainte pour vol, il avait invité quelqu’un à monter chez lui, ce quelqu’un l’a volé. Les flics se rendent à son domicile, ils relèvent des empreintes et prélèvent l’ADN. De retour au commissariat, ils voient que l’ADN prélevé chez Renaud correspond à celui du sperme prélevé sur alors que nous sommes certainement les meilleurs développeurs du monde. Edouard, qui avait pris la précaution de ne pas se doucher et d’aller porter plainte dans la foulée. Réda est présumé innocent. Il va être jugé pour l’affaire de stupéfiants, le vol chez Renaud et le viol d’Edouard. Histoire de la violence est en librairie. Toute la fine équipe le lit. Ricardo savait que son petit copain, Réda, connaissait Edouard Louis, il lit le livre, Réda lui-même s’était vanté d’avoir passé une nuit avec lui, il ne le découvre pas en le lisant. Ricardo le prête au Mexicain qui joue du violoncelle, son meilleur ami, en précisant que le Réda du livre est son Réda à lui. Le Mexicain raconte ça à son propre petit ami, Christophe Lucquin, l’amoureux éconduit par Edouard Louis. Et tous se persuadent qu’un être qu’ils connaissent dans la réalité se trouve non pas en prison pour une affaire de stupéfiants, mais dans un livre par l’opération du Saint-Esprit. Puis, logiquement, à la demande des avocats de Réda, ils fournissent les lettres de témoignages, dont ceux-ci ont besoin pour prétendre que leur client est reconnaissable dans Histoire de la violence. Afin de pouvoir réclamer 50 000 euros à Edouard Louis en réparation. • Cette chronique est assurée en alternance par Olivier Adam, Christine Angot, Thomas Clerc et Camille Laurens. ils vont voir ce que c’est l’esprit français. 2 Frenchies 1 american dream notre Logiciel va changer le monde, et notre compte en banque. On va se mettre en GrÈve regarde, ils sont désemparés. ?? On vous retire de notre liste d’amis. alors ? Qu’allez vous faire contre la révolte française ? Oh non ! ?? Yassine & Toma BleTner — © monsieur sTrip 0 24 u Bip Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 SI J’AI BIEN COMPRIS… Pas de pitié pour les lycéens Par Les attentats ont rendu la police plus proche. Elle y est cependant allée fort, côté renseignement humain, devant le lycée Henri-Bergson. MATHIEU LINDON S i j’ai bien compris, il faut peser ses mots quand on parle de la police. Jusqu’au 7 janvier, il était de bon ton, dans certains milieux, de ne pas la ménager. Puis un de ses membres a été assassiné comme un dessinateur de Charlie et il n’y avait pas moins de raisons de le pleurer que les autres, on s’est rendu compte qu’on était dans la même galère et qu’on avait besoin d’elle. De même que, lorsqu’on se retrouve à devoir aller aux urgences, on réalise que tout ce qu’on raconte sur le service public et les sous-effectifs des fonctionnaires attente plus à notre bien-être qu’on en avait conscience, de même on peut se retrouver à avoir pour la police les yeux de Chimène et constater, quand on y met les pieds, que ses locaux donnent l’impression d’avoir été eux-mêmes dévalisés. On mobilise souvent la police pour rassurer la population et cette mobilisation parfois inquiète. Mais ça fait partie de sa fonction: une police qui n’inquiéterait personne serait inquiétante. Et des policiers ne doivent pas être trop rassurés d’être aux premières loges dans la lutte contre le terrorisme. D’une façon générale, le tact est au cœur de nos relations avec la police. Il arrive qu’on estime qu’elle en manque alors que, de son côté, elle ne veut pas s’exposer au ridicule en prenant trop de gants avec les criminels. On lui reproche certaines bavures mais pourquoi ne lui accorderait-on pas ce qu’on tolère pour la justice, à savoir d’être humaine et donc d’avoir l’erreur bien ancrée dans son patrimoine génétique. Pourquoi dit-on «bavure» et pas «erreur policière»? En plus, on ne peut que se féliciter qu’elle ne soit pas infaillible comme le pape, on n’en mènerait pas large. C’est quand même parce LA PHRASE «La réforme El Khomri affaiblira les syndicats déjà affectés par la crise économique.» FEDERICO BASSI chercheur en économie, sur le blog «Changer l’Europe», sur Libération.fr u 25 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe qu’il y a des erreurs qu’on a un peu de mou. Tel est le bon coté de la bavure. Cependant, la différence avec la justice, c’est qu’on a parfois l’impression que la police commet des erreurs en pleine connaissance de cause, comme si elle se faisait justice elle-même. Après tout, pourquoi n’aurait-elle pas le droit d’être aveugle et de balancer son glaive dans la balance? Toutefois, le lycéen tabassé par quatre malabars en uniforme de combat de- vant le lycée Henri-Bergson, à Paris, remet les pieds sur terre. Il ne semble pas s’agir ici d’une victoire sur le terrorisme. Les policiers sont de toute évidence armés pour affronter des hordes de collégiens, mais c’est plutôt son antonyme que le mot «courage» qui vient spontanément aux lèvres pour commenter cette action. C’est comme si se déchaîner sur un ennemi inoffensif donnait à la police un peu d’oxygène en plein état d’urgence. Qui reçoit un œuf tue un agneau. D’ailleurs, elle n’est pas fière de son image. A Noël, postiers, pompiers et éboueurs défilent pour leur calendrier, la police se tient à carreau, ce n’est pas de son ressort, et le 14 Juillet n’est pas synonyme de bal de la police. On a tous l’image d’un policier idéal, notre policier à nous : il dirait bonjour quand on sort le matin, il aiderait les vieilles dames à porter leur sac, il ferait les gros yeux au petit qui travaille mal à l’école, il n’oublierait jamais de dire s’il vous plaît, on l’inviterait aux anniversaires et on lui dirait «Entrez, je vous en prie» avant une perquisition. Sûrement que les policiers ne demanderaient pas mieux que faire ça, s’ils n’avaient pas tous les méchants à s’occuper. Si j’ai bien compris, la méchanceté est contagieuse. • FORUM CITOYEN POUR UNE PRIMAIRE À GAUCHE HERVÉ LE BRAS - JULIA CAGÉ - DANIEL COHN-BENDIT MARIE DESPLECHIN - GUILLAUME DUVAL - SUSAN GEORGE -YANNICK JADOT - LAURENT JOFFRIN - MOHAMED MECHMACHE - DOMINIQUE MÉDA - THOMAS PIKETTY BENJAMIN STORA - BENOÎT THIEULIN- MICHEL WIEVIORKA SAMEDI 16 AVRIL THÉÂTRE DE LA PORTE SAINT-MARTIN Entrée sur inscription- 5€ la journée www.liberation.fr/pour-une-primaire-a-gauche 18, boulevard Saint-Martin. 75010 Paris. #notreprimaire www.liberation.fr f facebook.com/liberationDocument t @libe 26 u DIMANCHE 3 SAMEDI 2 La situation est incertaine entre le Golfe du Lion et la Normandie. Le temps devrait être plus calme dans le nord-est et à l'ouest. L’APRÈS-MIDI L'incertitude perdure, en particulier entre les régions du sud-est et le bassin parisien. Quelques éclaircies sont présentes entre la Lorraine et les Alpes du nord. Mais c'est au sud de la Garonne qu'il fera le plus beau et le plus doux. 0,3 m/10º On retrouvera un temps perturbé dans l'est et plus calme à l'ouest, avec même un ciel souvent dégagé. L’APRÈS-MIDI Le temps reste perturbé sur l'est du pays et en Bretagne, tandis qu'à l'ouest la journée pourrait être très printanière, avec des températures très douces mais qui pourraient donner lieu à une dégradation orageuse. 0,3 m/10º Lille 0,3 m/10º 0,3 m/10º Caen Caen Paris Strasbourg Brest Paris 0,6 m/12º 1 m/12º IP 04 91 27 01 16 0,3 m/13º Bordeaux 0,3 m/13º Nice Montpellier Toulouse Toulouse Marseille Nice Montpellier 11/15° 6/10° 1/5° 1 m/14º 21/25° 16/20° Disquaire sérieux achète disques vinyles 33t/45t. Pop/rock, jazz, classique,... Grande quantité préférée. Déplacement possible. Tél. : 06 89 68 71 43 Tél. 01.47.99.00.20 micheltransport@ wanadoo.fr Marseille 0,3 m/14º -10/0° lIVres - reVues " DÉMÉNAGEMENT URGENT " MICHEL TRANSPORT Devis gratuit. Prix très intéressant. Lyon Bordeaux dIVers Dijon Nantes Lyon [email protected] 01 40 50 51 66 dÉmÉnageurs Orléans Dijon Nantes Répertoire Strasbourg Brest Orléans IP Lille : LIB_16_04_02_PA.pdf;Date : 01. 2Apr 2016 - 314:17:39 Libération Samedi et Dimanche Avril 2016 26/30° 36/40° 31/35° Entre-nous entrenous-libe@ teamedia.fr 01 40 10 51 66 Soleil Agitée Nuageux Éclaircies Peu agitée FRANCE Lille Caen Brest Nantes Paris Nice Strasbourg Fort Calme MIN MAX 5 1 7 1 4 14 6 17 13 11 13 17 20 16 Couvert Pluie Modéré FRANCE Dijon Lyon Bordeaux Ajaccio Toulouse Montpellier Marseille ABONNEZ Orage Pluie/neige Neige jour de fête Faible MIN MAX 6 7 3 14 5 9 13 18 18 18 23 17 16 21 MONDE Alger Bruxelles Jérusalem Londres Berlin Madrid New York MIN MAX 12 5 13 7 5 5 4 15 18 25 13 13 14 13 Dimanche 3 avril 2016, jour de fête ! ''Voici le gage de mon amour'' (Apollinaire) Félicitations à notre LULU parisienne de la République La petite TRIBU messages personnels Marilou s'endort sous la pluie et attends le baiser a u goût sablé. Du blé à porter. FQQCH. MissP. Offre intégrale 25€ par mois(1), soit plus de 55% de réduction par rapport au prix de vente en kiosque. VOUS Offre à durée libre sans engagement valable jusqu’au 30.06.2016 LIBRAIRE ACHETE : Livres modernes, anciens pléiades,bibliothèques, service de presse, cd,dvd. Me contacter : 06 80 43 82 70 antIQuItÉs/ BroCantes Achète tableaux anciens XIXe et Moderne avant 1960 Tous sujets, école de Barbizon, orientaliste, vue de venise, marine, chasse, peintures de genre, peintres français & étrangers (russe, grec, américains...), ancien atelier de peintre décédé, bronzes... 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Carte bancaire N° Expire le J’inscris mon cryptogramme mois année (les 3 derniers chiffres au dos de votre carte bancaire) Signature obligatoire : est habilité pour toutes vos annonces légales sur les départements 75 - 91 - 92 - 93 - 94 Règlement par chèque. Je paye en une seule fois par chèque de 300€ pour un an d’abonnement Vous pouvez aussi vous abonner très simplement sur : www.liberation.fr/abonnement/ Tarif garanti la première année d’abonnement. (2) Cette offre est valable jusqu’au 30/06/2016 exclusivement pour un nouvel abonnement en France métropolitaine. La livraison du quotidien est assurée par porteur avant 7h30 dans plus de 500 villes, les autres communes sont livrées par voie postale. Les informations recueillies sont destinées au service de votre abonnement et, le cas échéant, à certaines publications partenaires. Si vous ne souhaitez pas recevoir de propositions de ces publications cochez cette case . (1) Renseignements commerciaux de 9h00 à 18h00 au 01 40 10 51 51 ou par email : [email protected] Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 27 Judy Chicago, à perte de vulves Through the Flower (1973), de Judy Chicago. PHOTO DONALD WOODMAN Page 32 : Photo/ Les Russes meilleurs Page 33 : BD/ A Aix, Brecht Evens et sa «Panthère» rosse Pages 30-31 : Plein cadre/ Le Chinatown de Thomas Holton 28 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Phallo, le peuple aura ta peau ART Au CAPC de Bordeaux, une première monographie française retrace le parcours de Judy Chicago, à l’origine de l’art féministe aux Etats-Unis. Une œuvre pionnière, décriée, méconnue, et riche en vagins floraux. Par CLÉMENTINE GALLOT Envoyée spéciale à Bordeaux C eux qui n’ont jamais entendu parler de Judy Chicago connaissent souvent sans le savoir l’installation The Dinner Party (1974-79), une œuvre-monstre qui a bien failli éclipser sa carrière. Cette version domestique de la Cène vue des fourneaux et revisitée à la manière de Georgia O’Keeffe raconte, en 39 assiettes décorées de corolles vaginales et disposées sur une immense table triangulaire, «l’histoire occidentale à travers ses héroïnes». Parmi les guests, on trouve des déesses égyptiennes, Virginia Woolf, Simone de Beauvoir et d’autres figures moins en vue, c’est d’ailleurs l’idée. Ces assiettes en céramique et leur dessin biomorphique suggestif réalisés collectivement sont le fruit d’une réflexion de l’artiste remarquant que «les formes phalliques étant universelles, il fallait conceptualiser un équivalent féminin». «Grossier!» Divisée, voire dégoûtée, la critique des seventies ne goûte que très peu ces «vulves papillons». L’œuvre explicite suscite le scandale, avant de faire le tour du monde, puis de prendre la poussière aux archives pendant trente ans. Désormais bien en vue au centre féministe du Brooklyn Museum, The Dinner Party attirerait 30% des visiteurs. En 2011, l’exposition «Pacific Standard Time» à la Getty Foundation de Los Angeles a permis au grand public de redécouvrir Judy Chicago, tout comme le récent panorama de la Tate Modern à Londres, «The World Goes Pop». «Depuis, note-t-elle, tout mon travail émerge de l’ombre de The Dinner Party.» Sans aigreur, l’énergique plasticienne américaine à touffe rousse se félicite de cette reconnaissance tardive, à 76 ans. Broderie et céramique Smoke Bodies (1972), une des incursions de Judy Chicago dans le land art. PHOTO COURTESY OF THROUGH THE FLOWER ARCHIVES Précédé d’un avertissement aux mineurs, l’accrochage du CAPC (musée d’art contemporain) de Bordeaux, baptisé «Why not Judy Chicago?», retrace cinquante ans d’une carrière marquée par une volonté farouche de désobéissance. Ce parcours inégal scindé en deux parties, chronologique et thématique, renverse les perspectives en proposant un «regard féminin sur l’art phallocentrique», résume son commissaire, Xabier Arakistain, curateur du Centre Azkuna de Bilbao. Mêlant stimulations et frustrations, l’expo pâtit d’un manque de moyens invalidant (des reproductions! pas de u 29 Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Judy Chicago (à droite), en 1974 à Santa Monica (Californie) lors de la préparation de son œuvre phare : The Dinner Party (à gauche), une version domestique de la Cène avec 39 assiettes décorées de corolles vaginales. PHOTOS JONGHEON MARTIN KIM ; COURTESY OF THROUGH THE FLOWER ARCHIVES catalogue!). Et si certaines périodes exposées pour des pratiques réprouvées par la doxa du sont moins enthousiasmantes (The Birth Pro- milieu de l’art: broderie, céramique, réapproject, The Holocaust Project), le parcours éclaire priation du folk art et de la culture populaire, tout de même un jalon décisif dans l’histoire préfère l’ouvrage collectif au mythe du génie de l’art contemporain américain. solitaire. «En revalorisant le travail féminin, Née en 1939, Judy Cohen est élevée par un elle annonce des motifs postmodernes», contexpère juif progressiste à Chicago, ville à la- tualise le commissaire de l’expo. quelle elle empruntera plus tard son pseudonyme, craignant de voir son identité dissoute Activisme et pédagogie dans plusieurs mariages successifs. Une mé- Figure cruciale et obstinée du laboratoire de tamorphose qu’elle actera par petite annonce la scène californienne en même temps que interposée dans le magazine ArtForum, de- John Baldessari ou Ed Ruscha, Judy Chicago bout sur un ring de boxe. crée en plein mouvement pour les women’s riA UCLA (University of California Los Ange- ghts le premier programme d’art féministe les), elle fait partie de la première génération en 1970 à la fac de Fresno, longtemps avant les d’étudiantes à accéder en masse à la fac après gender studies. Invitée ensuite au CalArts avec la Seconde Guerre mondiale. Le récit de sa Miriam Schapiro –disparue en juin–, elle injeunesse passée en Californie dans les an- vestit une maison abandonnée et convie les nées 60 dessine pourtant étudiants à remplir ses l’envers de l’euphorie des 17 pièces d’installations sixties et traduit une tout farfelues. L’invitation de autre expérience que celle Womanhouse est expéde la libération des mœurs: diée sur un naperon en «A mes débuts, le monde de dentelle. Méconnaissal’art était très hostile aux ble, l’espace compte un créatrices.» A l’université, mannequin nu figé dans elle apprend qu’il n’existe une baignoire, un autre aucune femme artiste digne découpé dans un plade ce nom: «Les livres et les card ou encore des paicours nous assénaient que res de seins collées dans les femmes n’étaient pas imla cuisine du sol au portantes, c’étaient soit des XABIER ARAKISTAIN plafond. L’accueillante groupies soit des épouses», se commissaire de l’expo Menstruation Bathroom souvient-elle. Entourée de de Judy Chicago est 250 éphèbes, elle suit des cours de mécanique remplie de tampons sanglants. Ce modèle colpour apprendre à peindre des carrosseries à laboratif et éphémère, qui réconcilie activisme l’aérographe. et pédagogie, fait date et sera plus tard décliné Installée à Pasadena, elle infiltre le micro- sur d’autres campus à travers le pays. cosme de l’art par l’intermédiaire de toiles con- Trop kitsch, daté, criard, les raisons ne manceptuelles qui font de l’œil au travail de ses quent pas de dédaigner un parcours lui-même congénères masculins. «Mon prof détestait exemplaire d’un travail féminin relégué à la mes travaux, alors, pour me faire accepter, j’ai marge et peu reconnu. Le titre de l’expo, «Why fait des choses minimalistes en essayant de dis- not Judy Chicago?», s’adresse à l’establishsimuler leur contenu plus personnel. Je tra- ment artistique comme une invitation, dévaillais dans mon coin, dans un paysage entiè- crypte Arakistain. «Où sont le MoMA et le rement masculin: à l’époque, une expo était Whitney? Il y a un problème, s’agace-t-il. Le forcément un one-man show. Je me sentais très goût et le style sont des canons culturellement isolée. A la fin des années 60, j’en ai eu marre. construits, or si toute votre carrière défie ce caJ’ai commencé à lire la littérature féministe de non, on vous exclut. Personne ne nie qu’elle est l’époque, et le récit de ces expériences m’a en- une figure historique, mais le marché et les couragée à formuler une vision propre.» La grands musées sont en retard.» Sans apitoieconscience politique transmise par son père ment, l’intéressée évoque ces rapports de dol’aide à désamorcer les remarques sexistes. «Je mination: «Les consciences ont évolué, mais savais que cette barrière qui n’était jamais cela ne s’est pas converti dans les institutions.» nommée n’avait rien à voir avec moi ou mon Férue de Niki de Saint Phalle et auteure d’un travail. On me traitait de suffragette. C’était un ouvrage sur Frida Kahlo, la plasticienne, détabou dont personne ne parlait.» Elle opte alors sormais installée au Nouveau-Mexique avec son mari photographe, a constamment jonglé avec les techniques, passant du textile à la photo ou au land art avec des feux d’artifice en plein air. Dans ses illustrations des récits érotiques d’Anaïs Nin, on voit notamment un pénis à bout de framboise «qui avait mis très mal à l’aise les imprimeurs», s’amuse-t-elle. Si l’on peut reprocher à la troisième vague féministe ses tendances à l’essentialisme et son symbolisme hippie (papillons et fleurs new age), «cette imagerie parle du vagin comme signe socialement construit», rappelle Xabier Arakistain. Son cunt art transgressif a certainement essaimé chez la jeune garde des photographes virales, comme Petra Collins et Arvida Byström, qui subissent ces jours-ci les foudres d’une nouvelle forme de censure tatillonne, celle des réseaux sociaux. • WHY NOT JUDY CHICAGO? Au CAPC de Bordeaux. Jusqu’au 4 septembre. Rens: www.capc-bordeaux.fr «Le goût et le style sont des canons culturellement construits, or si toute votre carrière défie ce canon, on vous exclut.» La Veronal Chorégraphie Marcos Morau Voronia Photo Edu Pérez 13 au 15 avril 2016 www.theatre-chaillot.fr 01 53 65 30 00 30 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 u 31 Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 IMAGES / PLEIN CADRE Par ÉLISABETH FRANCKDUMAS Chine city à New York Family Portrait, in The Lams of Ludlow Street. PHOTO THOMAS HOLTON V ite, combien de bols, de blousons, de chaises dans cette photo ? Combien de tasses, et de quelle couleur le plumeau ? La pièce est bourrée à craquer. Mais bien ordonnée, grâce aux tringles enchevêtrées et aux casiers grillagés dans le fond. Et il y a même une guirlande lumineuse! Nous sommes chez les Lam, dans leur appartement de 30 m2 sur Ludlow Street, à New York, au cœur de Chinatown. Mickael, Franklin et Cindy, les enfants, sont scolarisés à l’école du coin, la Public School 184M, dont ils portent l’uniforme. Steven et Shirley, les parents, ont laissé derrière eux la famille à Hongkong pour s’installer aux EtatsUnis, avec des attentes vieilles comme le pays. On le devine au «USA» tonitruant imprimé sur le sweat-shirt du père, auquel l’adresse vient faire écho, car Ludlow Street hébergea aux XIXe et XXe siècles des vagues d’immigrations successives, à l’ombre de la statue de la Liberté. Le foyer semble posé à un point d’équilibre entre espoir et sacrifice. Et si l’on y cuisine encore les plats de là-bas, arrosés de thé grâce au distributeur sur la table, les coutumes locales y ont fait leur entrée –voir, au fond du cadre, la carafe Brita. La photo date de 2005, elle est signée Thomas Holton. De père américain et de mère chinoise, Holton avait des grands-parents installés à Chinatown, mais ne s’y est jamais senti chez lui. Jusqu’à sa rencontre avec les Lam, en 2002, qui ont accepté de lui ouvrir leur porte et de se laisser photographier toutes les semaines. Cela fait désormais treize ans que Tho- mas Holton les suit, avec quelques interruptions. En feuilletant le livre consacré à la série, The Lams of Ludlow Street, on voit les enfants grandir, le halo bleu de leurs écrans électroniques envahir les lieux, la fatigue gagner le père, employé puis viré d’une entreprise d’import-export, souvent photographié allongé ou pelotonné dans une couette. L’exiguïté des lieux devient plus pesante, des pieds qui pendent d’un lit superposé traversent le cadre, les ados ont des moues boudeuses, et il y a toujours plus de trucs, vêtements, livres, boîtes, petit électroménager, artefacts de la société de consommation, dans le cadre. La surface même des photos s’en trouve morcelée, à tel point que, parfois, la seule chose qui semble réunir la famille est l’espace même de l’image. C’est avec une étrange tristesse, mais sans trop de surprise, qu’on apprend que les parents ont fini par divorcer. Ce travail au long cours est plus qu’un beau témoignage sur les fortunes diverses de cette immense masse de travailleurs qui se déplace à l’échelle du globe. C’est aussi un document sur la famille contemporaine, les liens plus ou moins distendus qui tissent sa toile, le quotidien dont le décor révèle l’intime. «Whose life is perfect ?» («Qui a une vie parfaite ?») fait semblant de s’interroger Thomas Holton dans une postface. Personne. Mais lui a su en extraire la moelle. • THE LAMS OF LUDLOW STREET de THOMAS HOLTON Kehrer Verlag 96 pp., 56 photographies. 32 u Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 SUR LIBÉRATION.FR Diaporama La photographe néerlandaise Désirée Van Hoek a travaillé pendant six ans sur le quartier défavorisé de Skid Row à Los Angeles. Mégalopole des stars, la ville abrite aussi des milliers d’habitants vivant dans une extrême pauvreté sur les trottoirs. Skid Row, son livre auto-édité, vient de paraître : Libé.fr en publie des morceaux choisis. PHOTO DÉSIRÉE VAN HOEK ses et 50 % d’étrangers pendant la biennale, pour les collections du musée [constituées de 300000 photos avec négatifs, ndlr], je n’achète que des Russes, vu les moyens impartis.» Dans un climat géopolitique tendu, sur fond de crise économique, la manifestation perd des mécènes (sauf le géant minier Norilsk Nickel): «Créer une Biennale à Moscou, c’était courageux. Durer, c’est difficile.» D’autant plus que des lois récentes corsètent le milieu artistique, entre obligation de signalétique pour protéger les enfants et interdiction des mots grossiers. «Carcan». Au MAMM, des jeunes Avion amphibie, série «Restricted Area» (2013). DANILA TKACHENKO Série «Mosh» (2015). EKATERINA MAMONTOVA Série «Library» (2014). VADIM GUSHIN Série «Only a Game ?» (2014-2016). MARIA IONOVA-GRIBINA Photo/ L’œil de Moscou Pour sa 11e édition, la Photobiennale moscovite distille en dix lieux une vision de la grandeur russe, sans oublier de s’ouvrir sur le monde. Reportage. Par CLÉMENTINE MERCIER Envoyée spéciale à Moscou U ne carlingue d’avion au fuselage rétrofuturiste dans un paysage enneigé. Sous les flocons, la carcasse grise et ventrue, congelée, a un air de fantôme endormi. Il s’agit d’un avion amphibie, le VVA-14, fabriqué par l’Union soviétique dans les années 70, destiné à détruire les sous-marins américains avec des missiles Polaris. Seulement deux modèles ont existé et l’un des prototypes s’est écrasé. Ce cliché appartient à la série «Restricted Area» de Danila Tkachenko, né en 1989 à Moscou, et s’intègre à l’exposition «Evolution of Sight, 19912016» qui se termine tout juste au Manège, lieu traditionnel de la Pho- tobiennale de Moscou. Dans le soussol de cet espace à l’architecture néoclassique, non loin de la place Rouge, la biennale montre les photographes russes depuis la fin de l’URSS. A travers le prisme de la Russian Union of Art Photographers, une association qui fête ses 25 ans, l’exposition accumule les clichés de ses membres, de la star Igor Moukhin à la génération des moins de 30 ans. Un an avant le centenaire de la révolution de 1917, la photographie russe se cherche, comme partout, dans la mondialisation. Et mouline les stigmates de son passé. Partout, dans cette 11e édition, on sent l’histoire qui affleure. «Patrie». Danila Tkachenko a travaillé longtemps sur sa série des reliques du progrès soviétique. Il a attendu une météo propice et fait plusieurs voyages pour atteindre ces lieux éloignés. Des autorisations ? Le photographe reconnaît qu’il vaut mieux se mettre les gardes dans la poche pour parvenir à ses fins. Ancien élève de l’Ecole Rodchenko, Tkachenko, fort de son succès, a quelques réserves sur la situation des photographes en Russie, qu’il voudrait plus stimulante. A côté de ces vestiges militaires congelés, Ivan Mikhailov a photographié des aires de jeux pour enfants, hérissées de fusées en tôle, sortes de Soyouz de pacotille (Playground, 2010). Plus loin, les natures mortes de Vadim Gushin («Library», 2014) rappellent le constructivisme. George Mayer, lui, a habillé des enfants avec l’uniforme de leurs parents, agents du ministère de l’Intérieur de la Fédération de Russie (Children of Militia Officers, 2011). Ainsi attifée, il montre «la jeune génération russe prête à accepter la responsabilité de défendre sa patrie dans les temps à venir». On ne plaisante pas avec la Russie mythique: «La seule fois où j’ai été battue par mon père, c’était le jour du vol de Gagarine. Car, petite fille, je ne voulais pas aller dans l’espace. Mon père m’a dit que je n’avais aucune imagination», plaisante Olga Sviblova, directrice de la biennale et du Multimedia Art Museum de Moscou (MAMM). Tornade blonde, chignon Bolchoï, corps de ballerine et regard vert, Sviblova, la femme aux «3000 expos», passée de balayeuse à directrice de musée, tient sa légende : «Il faut garder les yeux ouverts», répète celle qui a fondé la Maison de la photographie en 1996, devenue MAMM en 2010. Ouverte sur le monde, la biennale –qu’elle a aussi créée– montre des étrangers (Olivier Culmann, Karen Knorr et, cette année, des Japonais: Hiroshi Sugimoto, Osamu Shiihara…) mais aussi des Russes. «Comme partout, la situation des photographes est difficile. Dans les années 90, la presse était plus développée. Certains ont émigré. Si nous montrons 50% de photographes rus- couples se tiennent la main devant des vues grandioses, frontales et vides du musée de l’Hermitage prises par Candida Höfer. Parmi les trouvailles, deux coups de cœur du début et de la fin de l’ère soviétique: Mikhail Smodor, envoyé au goulag en 1935, a suivi la vie d’une petite bourgade de Galich au début du siècle dernier où la collectivisation progressive trouble le regard des habitants. Juste avant la pérestroïka, l’œil sarcastique de Vladimir Vorobyov frappe. Sur ses photos, une babouchka tranche la Pravda avec une hache, un gradé scientifique tient deux téléphones, une femme tire la langue. Un air de folie flotte. Ça sent la fin d’un régime. Dans une annexe du Musée d’art moderne de Moscou, place aux jeunes qui suivent la tendance des récits intimes et des mises en scène. Maria Ionova-Gribina a fourré des armes en plastique semblables à celles de l’armée russe dans des mains d’enfants. Ekaterina Mamontova s’est, elle, immiscée dans des clubs de folk metal où des hommes torse nu effectuent des danses musclées. Ils se chauffent avec une musique qui évoque «les anciens guerriers, la victoire sur l’ennemi, les personnages légendaires, l’esthétique du Grand Nord et le paganisme», explique la photographe. «Je voulais montrer comment les hommes jeunes, prisonniers du carcan rigide du monde moderne –bureaux, bouchons, hypothèques–, se donnent du courage dans une communion avec la culture antique. Là, ils éprouvent les rôles traditionnels de guerriers, de défenseurs, de voyageurs, d’envahisseurs.» Face à ces images chargées, la vidéo absurde de Polina Muzyka, atteinte du syndrome de Pica, un trouble alimentaire, rassure presque. La photographe se filme, assise par terre, mangeant de la neige. Elle a très certainement froid dans le dos. • PHOTOBIENNALE 2016 A Moscou. Jusqu’au 19 juin. Rens. : www.mamm-mdf.ru Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 UN CHARME DE REVUE u 33 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe «EXTRAORDINARY» de MAX SIEDENTOPF 48 pages, 22 photos. Extra : Couverts en plastique, 15 €. Le désopilant Max Siedentopf, photographe, vidéaste et collectionneur d’images – de policiers posant avec des plants de cannabis par exemple – a fixé une règle du jeu simple pour le magazine qu’il vient de lancer. Il a envoyé à 20 artistes aussi poilants que lui un sachet de couverts en plastique à photographier. Les heureux élus s’en sont donné à cœur joie en ajoutant leur touche «extra» à ce matériel si ordinaire. Thomas Mailaender a ôté les dents de son modèle en gardant deux piques à la fourchette, Beni Bishop a collé les couverts sur une maison qui flambe, Jaap Scheeren a planté les fourchettes dans une feuille de papier… Bref, un festival de créativité, du meilleur goût. KEVIN SIMON MACERA BD/ Brecht Evens, bon pour la case Art/ Drawing Now Paris, tout le monde dessin Pour sa dixième édition, Drawing Now Paris, le salon du dessin contemporain, fête son anniversaire avec un focus sur l’Allemagne. On y trouve des petits formats sur papier comme des dessins plus imposants avec des techniques variées : crayon, gouache, collage, pyrogravure et même céramique collée. Parmi les 74 galeries venues de 16 pays, la galerie Michael Sturm montre une belle série de Kevin Simon Macera (photo), la galerie 6mas1 un ensemble d’oiseaux dessinés à même des boîtes de médicaments par Sara Landeta et la galerie Martin Kudlek des miniatures persanes burlesques d’Alexander Gorlizki. Plusieurs artistes revisitent l’imagerie de la presse comme Natasja Van Kampen qui habille d’or des photos de journaux ou Anastasis Stratakis qui repeint consciencieusement les unes de Time et de The Economist. C.Me. L’auteur flamand de «Panthère» est présent ce week-end aux Rencontres d’Aix-enProvence qui consacrent une rétrospective à son style foisonnant. G ourou aquarelliste hirsute, le flamboyant illustrateur flamand Brecht Evens s’est imposé en trois bandes dessinées, dont la première, une virée nocturne dépravée intitulée les Noceurs, était un projet d’études, suivie des Amateurs, sur les coulisses déréglées d’une exposition. Panthère, son dernier album illustré, sorti en 2014, esquisse une amitié entre une petite fille et un félin imaginaire envahissant, évoquant en creux une figure de prédateur pédophile. «J’aurais sans doute aimé le livre si je l’avais lu petit, mais je crois que certains parents l’interdisent à leurs enfants. Le récit à tendance à troubler les adultes, à provoquer un peu de nausée ou de dépression», détaille Evens dans un français chantant. A cette occasion, son trait s’est délié : «Je savais, en créant ce personnage de panthère, que je ne retrouverais jamais plus ce plaisir de créer une entité qui se transforme autant. Ne pas dessiner deux fois la même chose permet de travailler de manière moins mécanique.» Ce fils de profs de langue germanique dessine depuis toujours, d’autant plus librement qu’«en Belgique, on ne chie pas sur la BD», résume-t-il. Le trentenaire s’est installé à Paris en 2013 après un coup de mou. Il y a rédigé un dispendieux carnet de voyage relié pour Vuitton (sortie en mai). Dans le cadre d’un accrochage au festival de BD d’Aix, il présente ce week-end des images inédites de son prochain ouvrage «in progress». Prévu pour 2017, les Rigoles porte le nom du café de Belleville où il tient souvent salon. Porté aux nues au festival d’Angoulême, Evens le fréquente assidûment (quoiqu’échaudé par la dernière édition polémique), enchaînant méthodiquement dédicaces et gueules de bois. Un prix de l’audace lui y a été remis en 2011 pour la profusion vibrionnante de ses planches. Faire la queue pour se voir signer l’un de ses précieux ouvrages est même devenu un sport local. Brecht Evens a fait ses classes à l’Ecole supérieure des arts Saint-Luc de Gand, où il s’est essayé à diverses techniques –gouache, encre, feutres–, en particulier l’aquarelle, sa marque de fabrique: «Je cherchais une forme qui ne soit pas stérile, qui me surprenne et que je ne maîtrise pas trop. Cela provoquait des accidents et des taches avec lesquelles je devais composer, c’était génial.» Une enseignante l’encourage à transgresser les codes, à dessiner sans gaufrier, donc sans cases. Ce sens de la compo- sition qui semble émaner des miniatures de Bosch, du papier peint de mamie et des mosaïques ottomanes s’étale sur certaines pages en vastes capharnaüms chatoyants croulant sous la surabondance de petits détails. Intimidé par l’épure, il justifie cette accumulation compulsive par «l’économie de la BD. J’ai beaucoup à raconter, comme je ne veux pas publier 1000 pages, je stocke. Un livre me choppe deux ans». Menacé d’étouffement par sa propre virtuosité, le trait est sans cesse mis en tension par l’écriture. «En dessinant, je peux faire du jazz, je regrette presque de trop contrôler le médium. En revanche, je ne suis pas un professionnel de l’écrit», admet-il. Pour enrayer une tendance à la dispersion, Brecht Evens a élaboré pour les Rigoles un story-board détaillé et méthodique. Il sort de son sac un épais carnet qui décompose un à un éléments et silhouettes : «Ce sont trois personnages un peu tarés qui se croisent une nuit. Le titre anglais est The City of Belgium, j’aime l’idée que certains Américains ne savent pas si la Belgique est une ville ou un pays.» CLÉMENTINE GALLOT LE MEILLEUR DES MONDES au Musée du palais de l’archevêché d’Aix-en-Provence jusqu’en juillet. Dans le cadre des Rencontres du 9e art ce week-end. DRAWING NOW PARIS Au Carreau du temple. Ce week-end. théâtre ADELINE ROSENSTEIN N Décris-ravage 31 mars > 3 avril 2016 Lentement, précisément : cartes, faits, arguments pour démêler l’épineuse Question de Palestine. © Julien Brachhammer Panthère, félin fêlé. DESSIN BRECHT EVENS Théâtre de la Cité internationale — moins de 30 ans 13 € Réservations 01 43 13 50 50 — www.theatredelacite.com 34 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 SUR LE WEB L’ex du mal «Tous les gens avec qui tu as couché sont devenus chiants.» Disaster Zine, nouveau fanzine conçu à Bristol (Royaume-Uni) compile et illustre les petits désastres amoureux, rancards ratés et autres coups d’un soir foireux. PHOTO DR www.instagram.com/disaster.zine Californie : cheap & love AU REVOIR Ciné/ André Téchiné, l’école des Pyrénées Avec Quand on a 17 ans, saga d’hiver teintée de sentiments contradictoires, André Téchiné signe, accompagné de Céline Sciamma (Tomboy) au scénario, une nouvelle approche des émois adolescents autour de deux lycéens des Pyrénées, pires ennemis puis amants. QUAND ON A 17 ANS d’ANDRÉ TÉCHINÉ 1 h 54. Arts/ Jean-Michel Alberola, chercheur d’art DAMIEN MALONEY Indifférent aux modes et au marché depuis ses débuts dans les années 80, le plasticien discret, «artiste d’artistes», est exposé à Paris, au Palais de Tokyo et en galerie. Une stature de créateur habité par mille pensées, traduites aussi bien en néons qu’en objets, en slogans détournés ou en tableaux qui détricotent l’héritage moderne. Par CLÉMENT GHYS «L a Californie est un endroit où s’unissent dans une suspension difficile une mentalité de la prospérité et un sens tchékhovien de la perte : l’esprit y est troublé par une suspicion enfouie mais indéracinable que les choses marchent mieux qu’ailleurs, parce qu’ici, sous l’immense ciel délavé, le continent n’existe plus», écrivait Joan Didion dans son recueil d’articles Slouching Towards Bethlehem (traduit partiellement en français sous le nom de l’Amérique 1965-1990-Chroniques). Quel rapport avec ce café à la banalité soporifique? Aucun a priori. Des collègues sont attablés, un homme boit une canette de Coca-Cola Light tout seul devant son ordinateur portable, 16 u FUTURS Libération Jeudi 31 Mars 2016 Libération Jeudi 31 Mars 2016 Après des années de galère, Imani Smothers a décroché un contrat d’apprenti cuistot non loin des campus de Facebook et d’Oracle à Redwood City, près de Palo Alto. ARIZ ONA Business social Dans les environs de Palo Alto, l’essor des géants de la «tech» californienne ne profite pas à tout le monde. Des initiatives privées, rentables, se consacrent à la réinsertion des exclus. Par SOLÈNE CHALVON Q uand elle rentre chez elle, après sa journée de travail, Imani Smothers n’ouvre ni les volets ni les rideaux. «C’est pour me sentir comme dans un cocon», précise cette quadragénaire afroaméricaine aux traits tirés. Après des années de galère, des mois à dormir dans la rue, plusieurs condamnations pour vol à l’étalage, dont un séjour de dix-huit mois en prison, son modeste trois-pièces situé dans une résidence du quartier démuni d’East Palo Alto est effectivement le «seul endroit au monde» où elle se sent chez elle. Bien que l’appartement appartienne à un ensemble résidentiel peu avenant, sinon franchement glauque, le loyer est de 2 600 dollars par mois (2 290 euros), la moitié étant prise en charge par la ville. De son propre aveu, cette mère de trois enfants est sur le point d’être libérée des fantômes du passé : après neuf mois et demi de travaux d’intérêt général (TIG), vestiges de sa dernière peine, il ne lui reste plus que deux week-ends de TIG à accomplir pour tourner définitive- ment la page. «Je peux même re- tout bêtement pas aux Etats-Unis», prendre des activités à la paroisse, observe son fondateur, Nicolas Hamaintenant que j’ai un bon travail», zard, trentenaire affable sacré se réjouit-elle, les yeux brillants. «young global leader» au Forum Imani Smothers désigne par là l’em- économique de Davos en 2015. Jusploi d’apprenti cuistot qu’alors, la formation se qu’elle occupe au Rendez- ENQUÊTE faisait sans salaire en Calivous Café, restaurant tenfornie. Seuls les plus aisés dance de la Silicon Valley. Ouvert pouvaient donc gagner en compéen septembre, le lieu est niché non tence. «C’est un cercle vicieux. Les loin des campus de Facebook et gens en grande difficulté se forment d’Oracle, à Redwood City, l’un des peu parce qu’ils ne sont pas rémunéprincipaux foyers de la «tech» (sec- rés pendant leur formation. Ils ne teur des technologies). peuvent tout simplement pas se permettre de ne rien gagner pendant «Cercle vicieux» huit ou dix semaines, décrypte une A la différence des autres restau- travailleuse sociale de JobTrain, rants du coin, le Rendez-vous Café association d’aide à la recherche emploie presque uniquement des d’emploi financée par les géants de personnes issues des minorités –et la tech. Aucune boîte ici n’a envie de pas seulement au ménage des cuisi- se fatiguer à rémunérer des employés nes. Ses bientôt 85 salariés bénéfi- au trop lourd déficit productif, ce cient surtout d’une petite révolu- n’est pas rentable. Chez vous, c’est tion pour les Etats-Unis, qui différent, l’Etat aide à combler ce reprend les bases du contrat d’in- déficit.» sertion à la française : pendant un En France, les prestations sociales an (au lieu de deux en France), les couvrent effectivement des sesemployés se forment et travaillent sions de formation, et l’Etat appuie en même temps, tout en étant payés le contrat d’insertion, à hauteur de au-dessus du salaire minimum, lé- 9500 euros par personne et par an, gèrement supérieur à 12 dollars de pour des salaires avoisinant soul’heure. Cette formule créée par vent le Smic. Alors comment Calso l’entreprise sociale Calso ne ressem- parvient-il à combler ce déficit ? ble à rien d’autre qu’un banal ap- «Nous comptions sur des événeprentissage. Mais elle «n’existait ments de sponsoring», explique Ni- qui fonctionnent», explique Wallen- autocars aux vitres fumées avec berg. Fort de ces premiers succès, wi-fi intégré –pour travailler– afin Calso accélère le développement de les acheminer vers son siège de d’une de ses nouvelles activités Mountain View, distant d’une cind’insertion qu’eBay et Google se quantaine de kilomètres. Et en fésont dits prêts à appuyer : le pilo- vrier, le maire de San Francisco, Edtage de drones par d’anciens sol- win Lee, a carrément fait déguerpir dats, l’une des populations les plus les sans-abri de la ville en prévision précarisées des Etats-Unis. Rien du Super Bowl, qui se tenait à Santa qu’à San Francisco, on a dénombré Clara, une localité de la Silicon Valplus de 4 000 SDF vétérans. ley à 70 km de là… «Il y a clairement un attrait des en- Dans ce contexte de plus en plus treprises de la tech pour investir tendu et alors que les actions de dans le champ social», constate Co- protestation des laissés-pourlette Auerswald, profescompte de cette OREGON seure au département ruée vers l’or de santé publique à technologique se l’université de Bemultiplient, les Sacramento NEVADA rkeley. Cela doit entreprises de la San faire un peu tech califorFrancisco ÉTATS-UNIS grincer des nienne ont comdents en France, pris l’enjeu Palo Alto mais il est clair d’image que reCALIFORNIE que nous attenprésente cette Océan Pacifique dons énormément question sociale. Los Angeles du privé, à tous les D’où la multiplicaMEXIQUE niveaux. Or cette redistion d’actions sur le ter100 km tribution doit être bien rain, afin de contrer les acplus généreuse», insiste cette spécia- cusations de gentrification et liste des rapports entre santé publi- d’explosion du coût de la vie qu’elles que et inégalités sociales, pour qui ont engendrées. les géants du Net «ont les moyens de «L’engouement des entreprises de financer bien davantage». tech pour le social fait naturellement partie d’une stratégie qui consiste à Ruée vers l’or investir le terrain au moyen de “comL’enjeu est de préserver un mini- munity advisors” [«agents de termum de diversité dans une région rain», ndlr], à la manière d’une camoù l’explosion des installations de pagne électorale. Ils s’occupent ici de start-up de la tech ces dix dernières soutenir un nouvel an chinois, là les années a profondément remodelé le petits commerçants du coin, ou telle paysage social. Pour se faire une idée ou telle manifestation. Exactement de l’impact de cette ruée technologi- comme pour une campagne électoque sur l’écosystème résidentiel de rale», note Jeremy Wallenberg. la région, la partie de la baie où se De son côté, le fondateur de Calso se trouve le Rendez-vous Café est par défend d’entretenir un système qui exemple devenue inaccessible aux consacre encore davantage la touteenseignants de la classe moyenne puissance de la tech. «J’essaie de tant les loyers y ont grimpé. Les faire marcher un modèle inclusif, Afro-Américains n’y représentent qui intègre les travailleurs dans un plus que 5% de la population, contre écosystème, analyse Nicolas Hazard, 15% dans les années 70. le nouveau «Frenchie» de la Silicon A San Francisco même, les apparte- Valley. Entre les tensions autour des ments les plus chers sont aujour- ressources naturelles et les inégalités d’hui situés à proximité des «Google sociales, cette région du monde est Stop», ces points de ramassage où évidemment flippante. Je veux la multinationale embarque quoti- croire à une révolution qui vienne de diennement ses employés dans des l’intérieur.» • UTAH Dans l’angle mort de la Silicon Valley Envoyée spéciale à San Francisco Photos DAMIEN MALONEY u 17 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe colas Hazard. Mais après quelques mois d’activité à peine, ce n’est plus nécessaire en raison du succès remporté par l’activité de traiteur du restaurant. Contrairement aux autres modèles économiques d’insertion sociale en Californie, le Rendez-vous Café est financièrement viable grâce aux revenus générés par sa large palette de services de restauration. Un modèle qui ne s’appuie pas sur des fonds philanthropiques et se distingue de celui d’un grand nombre d’organisations d’insertion ayant pignon sur rue outre-Atlantique, mais dépendantes de financements privés de charité –dont elles doivent renouveler les demandes chaque année. C’est le cas de la très populaire Homeboys, au slogan «jobs, not jails» («des emplois, pas de la prison»), créée en 1992 à Los Angeles. Ses locaux bondés dans le centre de Los Angeles accueillent tous les matins jusqu’à 200 gros bras tatoués de pied en cap, en grande majorité d’ex-taulards latinos ayant frayé avec des gangs, pour un débriefing et une prière. Une boulangerie attenante présente les produits de la maison. Alors que les franchises Homeboys émergent progressivement, l’activité de boulangerie ne génère que 25% du budget total de Les entreprises californiennes ont compris l’enjeu d’image. D’où la multiplication de leurs actions afin de contrer les accusations de gentrification et d’explosion du coût de la vie qu’elles ont engendrées. l’organisation. Le reste dépend de financements sociaux. Rencontrer des entrepreneurs qui portaient «un projet entièrement viable ne dépendant pas de financements de charité [relevait d’une] réelle innovation sociale», commente Amy Millington, directrice de la eBay Foundation, partenaire du Rendez-vous Café. Autre entreprise associée, Google a mis 600 000 dollars dans le capital du restaurant, soit près du tiers du projet. A terme, les deux géants du Net percevront des dividendes de leur investissement. Le chiffre d’affaires annuel escompté oscille entre 4 millions et 5 millions de dollars. L’activité de traiteur du Rendezvous Café, qui s’étend désormais à l’organisation de réceptions pour les entreprises de la tech des environs, permet d’envisager les scénarios les plus optimistes. «On a même cuisiné pour Hillary Clinton!» sourit Say, Américano-Coréenne active en fond de cuisine, où elle expérimente une sauce à base de cranberries, ces petites baies rouges que chérissent particulièrement les Américains. Deux mois plus tôt, un buffet offert par la candidate démocrate afin de remercier 400 donateurs de sa campagne a ainsi été pris en charge par les employés de Calso. Preuve qu’en quelques mois, l’entreprise s’est imposée dans le paysage californien. Table gastronomique Nommé par le maire de San Francisco à la tête d’une commission qui évalue les besoins des populations en difficulté comme les seniors et les handicapés, Jeremy Wallenberg a récemment recommandé l’expertise de Calso à des associations afroaméricaines qui se lancent, elles aussi, dans la restauration. Une table gastronomique est en cours d’installation à Oakland, de l’autre côté de la baie de San Francisco, et c’est Calso qui a été choisi pour la partie opérationnelle. L’ouverture est prévue en 2017. «Nous manquons de connaisseurs de l’entreprenariat social aux Etats-Unis, c’est très clair. Si les fonds d’investissement à impact social fleurissent, il est très rare de croiser des entreprises sociales Libération du jeudi 31 mars. A l’intérieur du Rendez-vous Café, l’un des rares établissements californiens à proposer des contrats d’insertion. deux femmes prennent un verre et l’une d’elles a un bébé à la main. L’image est signée Damien Maloney, photographe texan qui a grandi en Arizona et vit aujourd’hui à Oakland. Elle est parue jeudi dans Libération, accompagnant un article de Solène Chalvon consacré à la face cachée de la Silicon Valley, aux loyers exorbitants, à tout ce qui exclut ceux qui ne sont pas de l’eldorado numérique, et aux initiatives locales pour essayer de juguler le torrent de gentrification. Car voilà, ce bar, le Rendez-Vous Café, est situé en Californie, à Redwood City précisément, non loin du campus de Stanford, des locaux de Facebook et d’Oracle, autant de temples du monde «moderne», intelligent, connecté et richissime. L’établissement emploie du personnel en contrat d’insertion. L’article cite ainsi des cas de serveurs ou cuisiniers, quasiment tous issus de minorités, pour qui le Rendez-Vous Café a été salvateur. Les quelque 85 salariés profitent également de contrats de travail particulièrement attractifs et de salaires au-dessus du minimum américain. Tout va bien. Mais si cette image de Damien Maloney interpelle, c’est qu’elle peut se découper en plusieurs couches, plusieurs tranches de la Californie, Etat qui est à la fois une réalité et un espace mental. «L’immense ciel délavé» de Joan Didion, on ne le voit pas, si ce n’est dans un petit cadre. Comme si la voûte céleste californienne, autrefois matrice à rêves, avait été remplacée par des panneaux d’isolation grisâtres (de ceux qui rendent neurasthéniques les collégiens et salariés du monde entier) et des néons jaunâtres. L’autre point saillant de cette photographie de café, c’est que malgré l’ennui du lieu, tout semble y être fait pour célébrer une convivialité: les petites plantes sur les tables, le tableau noir crayonné de «Welcome» et de petits dessins, les notes de couleur sur le sol et le mur. Tout cela ne rend qu’encore plus tristounet (et désuet), la décontraction et la «coolitude de vivre» dont la Californie est synonyme. Et puis il y a le mobilier, ces chaises blanches. Le modèle est présent dans le monde entier, mais il vient du coin. Il a été créé dans les années 50 par le couple de designers Charles et Ray Eames, qui dessinait une esthétique élitiste destinée au plus grand nombre. La lumière est forte, mais cette image est sombre, le signe d’une Californie disparue, transformée en quelque chose de dur, moche, cheap et, surtout, d’inégal socialement. Mais, comme certains businessmen y deviennent milliardaires en peu de temps, qu’ils ont des baskets et qu’ils sont jugés «cool», cette Californie fait toujours rêver certains. • REGARDER VOIR L’AVENTURE DES DÉTAILS Palais de Tokyo. Jusqu’au 16 mai. L’EXPÉRIENCE DES SEUILS Galerie Item. Jusqu’au 20 avril. Série/ «Togetherness», 40 ans toujours plus sots Les frères Duplass jonglent avec les codes du mumblecore, mouvance fauchée du cinéma indé américain, et manipulent à la perfection le comique des situations ridicules dans ces mésaventures sentimentales, amicales et existentielles de quatre personnages (deux hommes et deux femmes), au tournant délicat de leur vie de quadras insatisfaits. Du «presque rien» que les frères Duplass manient à merveille. TOGETHERNESS de JAY DUPLASS, MARK DUPLASS et STEVE ZISSIS Saisons 1 et 2. Actuellement sur la chaîne OCS. Jeu vidéo/ «SuperHot», temps mieux Ce FPS (jeu de tir en vue subjective) au design minimaliste décline en 26 niveaux un concept fort : le temps n’avance que si le joueur bouge. Avec son design minimaliste et son décor d’une blancheur immaculée, une simple vidéo suffit pour donner envie de se jeter dans ce stop motion balistique. SUPERHOT par SUPERHOT TEAM sur PC et Mac. Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 35 Les goons, sur les traces du rap trash A Brooklyn, berceau du mouvement goon, issu de la communauté juive new-yorkaise. PHOTO ALEX WEBB. MAGNUM POUR «LIBÉRATION» Page 37 : On y croit / Pet Shop Boys Page 38 : Cinq sur cinq / Les «side projects» Page 40 : Casque t’écoutes ? / Manu Katché 36 u Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 Tous les goons sont dans Necro (Ron Raphael Braunstein), un des pères fondateurs du mouvement goon avec son frère Ill Bill (William Braunstein) : «On puait tous la rue !» PHOTONECROHIPHOP.COM Par KARIM MADANI Envoyé spécial à New York J anvier 2015. La nuit tombe sur Farragut Houses, une cité HLM en briques brunes typique du parc social de New York. Necro vient à peine de terminer son clip Smooth Crimy, d’essence purement goon. Des goons (terme anglais signifiant «voyou», mais aussi «imbécile»), il y en a un paquet dans le quartier, venus boire quelques bières maltées et fumer quelques joints avec Necro. Des rappeurs juifs avec des casiers judiciaires épais comme l’annuaire de Brooklyn, ayant grandi dans des familles dysfonctionelles, tous étiquetés pour troubles graves de l’apprentissage par les psys. Des juifs et des Blancs qui feraient passer Eminem pour une grenouille de bénitier, créateurs d’une musique rap «hors norme», décomplexée et loin des clichés bling-bling. Le style est apparu au milieu des années 80, à Brooklyn. Un truc de bandes et de gangs, pour survivre dans un environnement hostile, puis rapidement les goons (plus proche du metal que du rap à leurs débuts) trouvent dans la culture hip-hop une grosse caisse de résonance. «Le mouvement goon est né dans ces HLM Retour aux origines d’un mouvement, né chez les voyous juifs de New York au milieu des années 80, qui essaime encore aujourd’hui dans le rap américain. de Farragut à Coney Island, en passant par Glenwood, explique Necro. A la base, c’était un truc de voyous juifs, puis ça s’est propagé aux Blancs déclassés, aux white trash.» Le rappeur et son frère Ill Bill sont nés dans les années 70 dans ces HLM sinistres de Brooklyn. Leur père, ex-gangster, a été expulsé d’Israël puis est venu s’installer à New York. William Braunstein (Ill Bill) et son frère Ron Raphael (Necro) sont des dingues de metal. Necro pique son blase dans une chanson de Slayer, Necrophobic. Très vite, les deux frangins juifs se retrouvent coin- cés dans une guerre entre les deux plus dangereux gangs noirs de Brooklyn des années 80, les Infesticons et les Decepticons. «On a lâché le metal pour le rap, et on s’est rapidement fait un nom dans la rue, aussi bien pour nos rimes que pour nos crimes», explique Ill Bill. Les premiers artistes goons ne se reconnaissent pas dans le gangsta rap traditionnel, bastonné par les majors et ultra-marketé au milieu des années 90. Pour le producteur The Alchemist, qui a bossé avec pas mal de goons, ils étaient inclassables: «Pas assez noirs pour le public noir, pas assez blancs pour le public blanc, trop juifs pour les radios!» Ils approchent quelques labels (Tommy Boy, Jive, Elektra) mais sont très vite classés «rappeurs alternatifs». «Ça voulait dire quoi, alternatif? Blanc et chelou? On puait tous la rue!» ricane Necro. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, les frangins unifient et structurent le mouvement. Avec leur oncle, ils fondent Uncle Howie Records en 1998 puis Psycho-Logical Records un an plus tard, qui produiront une cinquantaine de disques suintant de psychose new-yorkaise. Les deux labels agrègent une grosse fan base jusqu’à la décennie 2000, créant une forte émulation dans leur sillage. Là ou les gangsta rappeurs noirs «tradis» réclamaient à leurs producteurs des samples de soul carbonisés ou des nappes de violons grillées, les goons proposent déjà une production expérimentale, plus abstract, plus cloud, quinze ans avant l’avènement de la cloud music, basée exclusivement sur des beats éthérés propices à la fumette. Une musique qui pioche allègrement aussi dans les bandes originales de film des seventies (Kubrick, Peckinpah, Arthur Penn, Romero…) «Raclures de bidet» «J’étais en prison à Rikers Island [New York, ndlr] quand j’ai été enrôlé dans le mouvement goon. “Goon”, c’est un vieux terme qui désignait les raclures de bidet sans foi ni loi dans les années 70, raconte Nems, un rappeur des cités O’Dwyers, à Coney Island, arborant tatouages menaçants et un dentier grillagé d’or. Y avait pas mal de racailles juives à Brooklyn, mais le truc n’était pas communautaire. Ils se sont unis pour survivre, parce qu’ils étaient minoritaires dans des cités à 98 % noires et portoricaines. Et les directeurs artistiques des maisons de disques ont commencé à nous renifler le cul quand ils ont vu que nos concerts étaient blindés.» Nems a vendu toutes sortes de drogues dans ces HLM en briques qui donnent sur l’Atlantique, entre les petits malfrats ukrainiens et les grands-mères juives qui soi- Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 u 37 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe la nature ON Y CROIT sent aux rappeurs issus de cette scène. Necro se vante d’ailleurs régulièrement d’avoir fait son «premier million» avant 30 ans, non pas avec l’argent de la dope mais avec celui de la musique. Nems a été approché par Def Jam, le label historique de Public Enemy et des Beastie Boys. Il a refusé le deal, autant par méfiance des majors que parce qu’il était sous le coup d’un mandat d’arrêt dans l’Etat de New York. AQUILES TORRES «Fusil a canon scié» PEDRO FIUZA. DEMOTIWX. CORBIS Nems, ex-taulard, tatouages et dentier en or. Mac Miller, amphètes et nouvelle génération. gnaient leurs varices en trempant leurs jambes dans les eaux glacées de l’océan. «C’est la musique qui réunit les goons. Un rap de taré, d’inadapté. Ni noir ni blanc. On est vraiment entre deux mondes», lâche Nems. Ces gangsta rappeurs juifs new-yorkais vont chercher leur mythologie criminelle du côté des légendes de la Yiddish Connection, Meyer Lansky, Dutch Schultz ou Bugsy Siegel. «Meyer Lansky a créé Murder Inc. dans les années 20, une entreprise de tueurs à gages qui bossait même pour la mafia italienne», explique Gore Elohim, goon originel qui a grandi avec les frères Braunstein avant de couper les ponts, à cause d’une embrouille liée au succès des premiers albums du label Psycho-Logical Records. Sous le pseudo Goretex, il a connu son heure de gloire en 2004 avec un disque très dark, The Art of Dying, dans lequel il dénonce pêle-mêle franc-maçonnerie, capitalisme et violence policière. «On a tourné comme des dingues, le fric affluait, tout ça en indépendants, et les tensions sont se fait sentir dans le groupe», se souvient Gore, amer. Selon lui, ce qui était à la base un délire de gang s’éloigne de la musique pour se rapprocher du business. Et Necro est un entrepreneur féroce. Car, en ce début des années 2000, la musique goon se porte bien. De gros labels s’intéres- En 2015, Chris Palko (alias Cage), habitué des hôpitaux psychiatriques, enregistrait quelques maquettes pour son nouvel album. Victime d’un père violent, Cage affiche des tendances suicidaires. Il a sauté dans le train goon début 2000 et incarne sa deuxième génération, très portée sur la pop-rock dépressive britannique et la musique électronique: «Un emo thug, c’est une raclure qui est en perpétuelle insécurité émotionnelle. Beaucoup de goons appartiennent à cette catégorie. Mon père avait l’habitude de nous menacer, ma mère et moi, avec un fusil a canon scié.» Son manager explique que chaque maison de disques voulait signer son goon. On cherchait le prochain Eminem, même si tous les goons vous assureront que le rappeur caucasien de Detroit n’est pas un vrai goon. Cage a agressé des types dans la rue et évité de justesse la prison, avant de tirer plus de seize mois à l’HP, où il s’est porté volontaire pour un programme sur les effets de la fluoxétine (Prozac) qui l’a rendu suicidaire. Les titres de ses disques (Hell’s Winter, Movies for the Blind…) donnent un aperçu de son univers claustro. Au milieu des années 2000, Necro et son frère étaient toujours considérés comme les pères fondateurs, mais personne n’a envie d’être enfermé dans un musée. Les goons ont essaimé dans tout New York et même jusque dans les villes les plus paumées des Etats-Unis, là où spleen et dépression économique font bon ménage, principalement grâce à la Toile et aux réseaux sociaux, puisque la nouvelle génération de goons n’aura plus besoin de labels pour faire connaître sa musique. Mais, à partir de 2007, le mouvement goon orthodoxe s’essouffle un peu. Il faudra attendre l’arrivée fracassante en 2011 d’un jeune rappeur juif camé aux amphètes, Mac Miller (qui s’est fait connaître sur le Web), pour donner une seconde jeunesse au mouvement. Aujourd’hui, il est cool d’être goon, mais cette étiquette se mérite. Certains essaient de surfer sur la vague, mais «les vrais savent», comme dit le dicton. «C’est pas comme chez les hipsters, l’habit ne fait pas le moine», sourit Necro. Mac Miller propose, sans pour autant sacrifier les codes goons, une musique mainstream bien dans l’air du temps, paumée et technologique, et les kids adorent. Kanye West l’a même adoubé. Dans les labels, on s’arrache cette nouvelle génération en jean slim, qui vendent des disques et maîtrisent la communication sur les réseaux sociaux: Tyler, The Creator et sa clique de nerds, le mouvement Odd Future, et évidemment Kendrick Lamar, rappeur à succès de Compton, un des plus dangereux ghettos de South LA, prototype du nouvel avatar goon. Les applis ont remplacé les Uzi, les slims les baggys, mais le fond de l’air est toujours aussi pollué. • Chris Lowe (56 ans) et Neil Tennant (61 ans). PHOTO PELLE CRÉPIN Pet Shop Boys le plein de «super» Le duo britannique revient avec une pop électronique décomplexée, inspirée par les sons des années 90. «C ombien de Pet Shop Boys faut-il pour changer une ampoule? Deux. Un qui change l’ampoule, l’autre qui fait la gueule.» Bien qu’éculée, la blague «officielle» du duo britannique fait toujours son petit effet. Depuis 1981, le numéro de Neil Tennant et Chris Lowe (qui ne sourit jamais en public) ressemble à l’auguste et au clown blanc de la techno pop. Révérés en Allemagne et au Royaume-Uni, les Pet Shop Boys sont vaguement méprisés en France, où on ne leur a jamais accordé le même statut que New Order ou Depeche Mode, sans doute parce qu’ils cultivent trop ce goût si british du second degré et du détachement. Perpétuellement en équilibre instable, leur pop électronique flamboyante flirte régulièrement avec le mauvais goût pur et simple. Si l’alchimie de leurs productions réside dans ce cocktail entre chansons doucesamères et hymnes pour clubs stéroïdés, l’extraordinaire sens mélodique de Lowe et la plume de Tennant, l’un des plus brillants paroliers de la pop culture, font régulièrement mouche. Douzième album studio, Super s’inscrit dans la droite ligne d’Electric, son prédécesseur bodybuildé qui embrassait la culture club à pleine bouche, tout en se rappelant que, dans les années 80 et 90, le duo était réputé pour la qualité de ses chansons électroniques (format couplet-refrain) aux textes brillants et à la mélancolie toujours présente. Super agit ainsi comme une passerelle entre le «vieux» Pet Shop Boys et le nouveau, prenant comme point de référence thématique et musical les années 90, époque de leur climax créatif (en particulier sur l’euphorique single The Pop Kids). On surprend çà et là des gimmicks qu’on n’avait pas entendus de- PET SHOP BOYS Super (x2/Kobalt/Pias) puis vingt ans et des recyclages malins de sonorités venues de la house qui donnent au disque un sentiment global d’euphorie et d’hédonisme débridé. Décomplexé, nostalgique, enjoué, spirituel (on n’avait encore jamais dansé sur les états d’âme d’un dictateur, comme sur ce The Dictator Decides) et toujours vaguement triste en même temps, ce Super très réussi apporte une forte dose d’intelligence à la pop music. Ça fait du bien. BENOÎT CARRETIER Vous aimerez aussi DUSTY SPRINGFIELD Faithful (2015) L’album perdu de la plus grande voix de la soul blanche anglaise, récemment réédité. Une influence majeure de Tennant et Lowe. THE FLIRTS Passion (1982) La HI-NRG new-yorkaise dans toute sa grandeur, entre pop, dance et électronique un peu cheap. Une création de Bobby O, premier producteur des Pet Shop Boys. ÉTIENNE DAHO Corps & armes (2000) Le cousin français. Même finesse, même détachement, le cynisme en moins, quelques guitares en plus. 38 u Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe PLAYLIST KCPK Who Wants It Jusque-là plutôt labellisé «electrodark-punk», le trio parisien se lance dans une exploration hip-hop avec le réputé rappeur de Philadelphie STS. Energique, tout en restant inventif, le virage est réussi. Pas de sortie de route à l’horizon. CASSIUS Action Cinq ans après leur dernière apparition discographique, le duo Zdar-Boombass crée un formidable millefeuille sonore pop funky rétrofuturiste. Avec la participation de Mike D (Beastie Boys) et Cat Power. Beau casting. les noms de Dntel ou Figurine. Leur unique album, Give Up, mêle à merveille écriture pop classique et arrangements électroniques ambitieux. Le second, évoqué en 2007, ne verra jamais le jour, et le duo restera mutique jusqu’à une série de concerts en 2013, accompagnés de deux nouveaux titres pour célébrer les 10 ans de Give Up, devenu mythique entre-temps. A en croire Ben Gibbard, pourtant, ces concerts étaient les derniers. CINQ SUR CINQ Alex Turner (à droite), du groupe Arctic Monkeys, a lancé The Last Shadow Puppets avec Miles Kane (à gauche). PHOTO ZACKERY MICHAEL Bingo le hobby Les projets parallèles d’artistes font parfois de l’ombre à l’original. C e n’est pas toujours marrant, la vie d’artiste. Il y a les hauts, les bas, les moments où l’on a besoin de prendre du champ ou du recul pour se réinventer. C’est à ça que servent les side projects, littéralement les «projets à côté», équivalents en musique du spin-off dans les séries télé. Souvent, cela prend la forme d’un album solo d’un des musiciens du groupe, mais parfois l’histoire est plus complexe… 1 XTC The Dukes of Stratosphear L’aventure de The Dukes of Stratosphear et de XTC est un peu l’équivalent musical de Romain Gary et Emile Ajar. Au mitan des années 80, les Britanniques de XTC, dont la carrière avait décollé avec le tube Making Plans for Nigel, ont échoué à devenir un groupe de new wave populaire. Leurs deux derniers albums, Mummer (1983) et The Big Express (1984), sont des flops. Pour se changer les idées, ils enregistrent quelques chansons en pastichant leurs influences dans le plus pur style psychédélique. En ayant pris soin de se cacher derrière des pseudonymes, ils sortent ces titres en 1985 sous le nom The Dukes of Stratosphear. Le succès immédiat de 25 O’Clock va relancer la carrière de XTC, que son label était prêt à lâcher. La légende prétend que cer- tains critiques ont été convaincus d’écouter la réédition d’un disque oublié des années 60. Un second Dukes of Stratosphear sortira même en 1987. 2 The Stranglers The Purple Helmets Les hommes en noir de The Stranglers («les étrangleurs») ont toujours eu une réputation un peu lourde à porter. Consommation d’héroïne, concerts qui virent à l’émeute, galères à répétition ou concept album baptisé la Folie… ces garçons n’ont jamais été là pour rigoler. Sauf quand, pour se détendre, trois de ses membres, le bassiste (et chanteur) d’origine française Jean-Jacques Burnel, le guitariste John Ellis et le clavier Dave Greenfield, forment The Purple Helmets pour jouer discrètement dans les bars des reprises des Kinks, des Who ou des classiques blues et garage. Après une série de concerts, notamment aux Transmusicales de Rennes en 1986 (où les rejoint Laurent Sinclair, ancien de Taxi Girl), deux albums sortiront, en 1988 (chez New Rose, toute une époque) et en 1989. 3 Death Cab for Cutie The Postal Service En 2018, le premier album du quatuor indie-rock américain Death Cab for Cutie fêtera ses 20 ans. De ce côté-ci de l’Atlantique, on voit le groupe de Ben Gibbard comme gentillet et ultraclassique, mais, sur l’autre rive, Death Cab est une institution. Pourtant, Ben Gibbard a fait plus intéressant dans sa carrière. Au début des années 2000, il crée The Postal Service avec Jimmy Tamborello, connu pour quelques excellents disques electro-pop sous 4 Radiohead Atoms for Peace 5 Arctic Monkeys The Last Shadow Puppets C’est à un mélange de «supergroupe» et de side project, deux amusants passe-temps de l’industrie de la musique, qu’on a ici affaire. Atoms for Peace, composé de Tom Yorke, de Radiohead, du bassiste de Red Hot Chili Peppers, Flea, du producteur Nigel Godrich, du batteur de R.E.M. Joey Waronker et du percussionniste Mauro Refosco, n’a été monté en 2009 que pour permettre à Tom Yorke de jouer live les morceaux de son album solo The Eraser (2006). Pourtant, Atom for Peace deviendra un vrai groupe en 2013 avec l’album Amok, né d’expérimentations électroniques de Tom Yorke retravaillées en groupe. Le chanteur de Radiohead y semble plus libre que jamais, et une luminosité inédite transperce une série de morceaux plongés dans une transe électronique salvatrice. Bientôt la suite ? En 2008, Alex Turner, l’idole des jeunes Anglaises, se remet à peine du triomphe du deuxième album de son groupe Arctic Monkeys et annonce la naissance d’un projet avec Miles Kane, leader des moins prestigieux Rascals. The Last Shadow Puppets est né et ajoute à ses rangs le producteur James Ford, moitié du duo électronique Simian Mobile Disco et faiseur de miracles pop (Florence and the Machine, Haim…). Le premier album, The Age of the Understatement, cavalcade poprock ébouriffante richement arrangée par le violoniste Owen Pallett, bénéficie d’un culte certain aujourd’hui. Attendue par de nombreux fans, la suite, dans la même veine lyrique qui faisait le sel du précédent, s’appelle Everything You’ve Come to Expect. Elle vient de sortir. Pour le même succès ? ALEXIS BERNIER et FRANÇOIS BLANC u 39 Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 DMX KREW You Can’t Hide Your Love (Aphex Twin Mix) Compagnon de route d’Aphex Twin sur le label Rephlex, DMX Krew creuse depuis vingt ans le sillon electro, entre virulence, beats tordus, naïveté, italo-disco et sonorités Bontempi. Extrait d’un coffret de douze maxis, ce remix, dans une veine chanson tordue, n’a pas pris une ride. RENDEZ-VOUS Distance Un tube potentiel extrait du deuxième EP de quatre jeunes Parisiens énervés et triplement hantés par les années 80, puisque gothique, indus et hardcore en même temps. Le clip, quatre minutes de bagarre de rue à poings nus, fait aussi son petit effet viral. HISTOIRE DE POCHETTE KEREN ANN Insensible World C’est quand ses instrumentations se font les plus douces possible que Keren Ann parvient à nous faire frissonner, comme sur cette ballade amère superbement arrangée qui fait partie des plus belles chansons entendues en ce début 2016. Retrouvez cette playlist sur Libération.fr en partenariat avec Tsugi radio LA DÉCOUVERTE Yeasayer leurres de gloire La rencontre Le groupe Sculpteur québécois, David Altmejd s’est imposé comme une évidence pour Chris Keating, l’un des deux chanteurs de Yeasayer: «Quand j’ai découvert ses expositions, j’ai senti que son travail graphique ressemblait au son auquel j’aspire avec notre musique.» Autour d’un café, il lui propose de créer l’identité visuelle de leur futur album. Une offre que le sculpteur juge d’abord «trop graphique», avant de soumettre quelques idées: «Je pense dans l’espace, explique David Altmejd, et j’ai donc suggéré de réaliser des objets, que je prendrai ensuite en photo. Et nous avons considéré que cela aurait plus d’impact si ces créations étaient directement issues de l’univers musical de Yeasayer.» Durant l’été 2014, Yeasayer enregistrait Amen & Goodbye loin de New York, lorsque David Altmejd leur a envoyé des sculptures de leurs visages, incrustées de cristaux. Chris Keating se souvient ainsi avoir reçu «une boîte avec trois masques, des portraits sévères, qu’il avait créés afin que l’on puisse s’en inspirer». Des œuvres que l’on retrouve au dos de la pochette et que le groupe posa dans le studio pour qu’elles les surveillent durant le reste des sessions. DR Avec «Amen & Goodbye», leur quatrième album, les New-Yorkais poursuivent l’exploration d’un univers art-pop foisonnant. Une rencontre, tant musicale que graphique, entre personnages contemporains et figures mythologiques. Na’am élégance dans l’âme D ans notre pays, ces derniers temps, la musique électronique pour danser semble coupée en deux. D’un côté, les producteurs qui se baladent sur l’autoroute du beat en tapant vite et fort et, de l’autre, ceux, plus tranquilles, qui empruntent des chemins de traverse en misant sur la mélodie. Une bonne idée, sauf que la plupart du temps, c’est pour nous servir des cascades de sax bien gerbantes mixées à des nappes synthétiques dégoulinantes. Heureusement, cette «deep soupe» n’est pas servie par tout le monde. Exemple avec le duo toulousain Na’am, dont le premier EP, Alyah, sorti en février sur le petit (mais brillant) label Canal auditif, séduit par sa propension à faire danser, grâce évidemment à un rythme plutôt enlevé, mihouse, mi-techno, mais aussi par ses élé- gantes ambiances mélodiques. Tout en s’autorisant à l’occasion quelques dissonances, comme sur Targa, leur titre le plus aventureux. Mais à 20 ans à peine, on peut tout se permettre, et même glisser dans ses compositions quelques petits clins d’œil «world music» sans qu’on puisse y voir le signe d’un exotisme de pacotille. Normal, puisque Pierre-Loys Joubert et Mehdi Zaim se sont rencontrés enfants au Maroc, avant de lancer leur projet un plus tard lorsqu’ils sont venus étudier en France. Si alyah signifie «éveil spirituel» en arabe, c’est avant tout musicalement que l’on a été secoué par leur spiritualité. Pour l’ouverture des chakras, on attendra le prochain EP. PATRICE BARDOT NA’AM Alyah (Canal auditif). LE MOT Test pressing YEASAYER Amen & Goodbye (Mute/Pias) Les inspirations Une fois le mode opératoire défini, le groupe a transmis «une liste d’une trentaine de noms et des inspirations, comme le Jardin des délices de Jérôme Bosch ou le Sgt. Pepper’s des Beatles», se souvient Chris Keating. L’intrigant résultat, tel un tableau vivant, associant sculptures, acteurs et images digitales, a été avant tout pensé pour le format vinyle. En le dépliant, il forme une sorte de fresque babylonienne dans laquelle on retrouve un mélange de l’univers de Yeasayer et des obsessions du sculpteur liées à la société et à la politique américaine. La tête de Donald Trump flottant dans les airs, l’actrice Rosie O’Donnell ou encore l’ancien champion de décathlon Caitlyn Jenner. Et, dans un style proche de l’univers art-pop du groupe, on retrouve, au centre de la fresque, un poster de Yayslayer (un groupe inventé, contraction de Slayer et Yeasayer), dans lequel Chris Keating voit «un moyen de montrer que l’art n’a pas besoin d’être tout le temps si sérieux, il peut y avoir des pointes d’humour». VALENTIN ALLAIN L es deux font la paire. Après avoir récemment traité dans cette rubrique du cas «white label» (lire Libération des 12 et 13 mars), il était logique de décrypter aujourd’hui «test pressing». Pourquoi logique ? Parce qu’ils font tous deux partie de ce type de vinyles pour lesquels les collectionneurs sont prêts à s’entretuer. Tout comme le white label, le test pressing est souvent dépourvu d’indication au niveau de sa rondelle centrale. En revanche, le test pressing n’est pas censé avoir une circulation publique ou même promotionnelle. Son utilité est purement technique: tester la bonne qualité de la duplication des disques. Il peut donc exister plusieurs test pressings d’un même album. En plus, certains peuvent comporter des titres qui ne figureront pas dans la version finale. C’est par exemple le cas du test pressing du premier album du Velvet Underground & Nico, estimé à 25 000 dollars (plus de 22 000 euros). Une paille par rapport à celui de Caustic Window d’Aphex Twin (1994), vendu sur eBay à plus de 46 000 dollars (près de 41 000 euros). Mais cette légende de la musique électronique avait sorti cet album en seulement dix exemplaires qui étaient autant de test pressings. Il en posséderait luimême quatre. De quoi assurer ses vieux jours en cas de besoin. P.B. 40 u Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe LE BOUQUIN Mémoires de Ramone Par quel miracle les Ramones, entre galères, drogues, alcool et troubles mentaux ont-ils pu durer vingt ans ? Si l’autobiographie de Marky Ramone, arrivé à la batterie pour l’enregistrement du quatrième album du quatuor, ne répond pas à la question, Punk Rock Blitzkrieg reste un document d’une honnêteté et d’une modestie rares sur la naissance et l’essor de la scène new-yorkaise à la fin des années 70. Une plongée dans le quotidien du plus grand groupe punk rock américain, des traversées du pays en bus aux tournées internationales, en passant par les sessions avec le très fêlé Phil Spector. Captivant. CASQUE T’ÉCOUTES ? Manu Katché Batteur incontournable «Avec Peter Gabriel, face à 300 000 personnes» S’ il y a un batteur dont on connaît le nom, c’est bien celui-là. De Peter Gabriel à Sting en passant par les Gipsy Kings ou le jazzman norvégien Jan Garbarek, avec qui il collabore activement, Manu Katché a joué avec les plus grands. Entouré de ses amis musiciens, il sera à l’Olympia le 7 avril. Quel est le premier disque que vous avez acheté adolescent avec votre propre argent ? Atom Heart Mother, Pink Floyd. J’avais été interpellé par la pochette [une vache, ndlr], je devais avoir une douzaine d’années, et à cette époque, j’écoutais beaucoup les Flyod, qui permettaient de voyager et ce, sans substances artificielles… Votre moyen préféré pour écouter de la musique : MP3, autoradio, platine CD, vinyle? Platine CD et platine vinyle. Le dernier disque que vous avez acheté, et sous quel format ? Kind of Blue, Miles Davis, en vinyle. Un disque fétiche pour bien débuter la journée ? Aucun rituel, mais je débute souvent mes journées avec des mélodies qui tournent dans ma tête, et qui parfois sont tellement présentes que cela en devient pénible. SES TITRES FÉTICHES MARVIN GAYE Mercy Mercy Me (1971) MICHAEL JACKSON Remember the Time (1991) JAMES TAYLOR You’ve Got a Friend (1971) Manu Katché, 57 ans. PHOTO ETIENNE DE VILLARS La chanson que vous avez honte d’écouter avec plaisir ? Marylin et John, Vanessa Paradis. Ce n’est pas du tout la «honte», mais ce titre fait plutôt partie de la variété française, que j’écoute peu. J’ai trouvé immédiatement l’arrangement et la mélodie super catchy. Le disque que tout le monde aime et que vous détestez ? James Blunt. Assez commun, peu de personnalité vocale, idem pour les arrangements et la production, et les chansons ne sont pas très profondes! Je ne suis pas touché, tout simplement. Le disque pour survivre sur une île déserte ? Journey Through the Secret Life of Plants, Stevie Wonder. Il m’accompagne partout, une richesse musicale unique et originale. Bi- zarrement, cet album a été démonté par la presse à sa sortie… Dommage ! Une ode à la nature, alors sur une île déserte, c’est totalement cohérent. Quel disque avez-vous envie d’encadrer chez vous comme une œuvre d’art ? Beaucoup de ceux édités par le label Blue Note, mais je choisis Quartet/Quintet/Sextet, Lou Donaldson. Préférez-vous les disques ou la musique live ? L’émotion n’est pas la même, «profonde» à l’écoute en solitaire, «exacerbée» entouré d’un public en concert ! Savez-vous ce qu’est le drone metal ? Je vais chercher sur le Net, pour «faire genre» dans les soirées branchées. Votre plus beau souvenir de concert ? Il y en a deux. Le premier, dans les années 80, un concert de Paul Simon au Théâtre des ChampsElysées, entouré des plus grands musiciens du moment (Richard Tee, Steve Gadd, Eric Gale…), le souvenir est toujours époustouflant. Le deuxième, avec Peter Gabriel, avec lequel je jouais en 1994 à Woodstock (seconde édition), face à 300 000 personnes. Intense et exceptionnel. Allez-vous en club pour danser, draguer, écouter de la musique sur un bon sound system ou n’allez-vous jamais en club ? J’adore aller dans les clubs pour danser! Evidemment si la musique me plaît, sinon, ça peut vraiment tourner au cauchemar… Quel est le disque que vous partagez avec la personne qui vous accompagne dans la vie? You’ve Got a Friend, James Taylor. Le morceau qui vous rend fou de rage ? Il y en a tellement, les citer tous ne tiendrait pas dans ce quotidien… Le dernier disque que vous avez écouté en boucle ? Continuum, John Mayer. Tout ce que j’aime d’un artiste «pop», une superbe voix, des grooves à tomber, un super jeu de guitare, un son «rock» actuel et une production classe ! Le groupe dont vous auriez aimé faire partie ? Les Beatles. Le groupe pop par définition ! Le morceau de musique qui vous fait toujours pleurer ? Fragile, Sting. Recueilli par JACQUES DRUJON MARKY RAMONE Punk Rock Blitzkrieg, ma vie chez les Ramones, Rivages Rouge, 400 pp., 24 €. L’AGENDA 2-8 avril n Aux côtés des Chet Faker, Flume ou encore du tricolore Fakear, le duo de Seattle Odesza (photo) compte parmi le gratin des artistes électroniques qui n’hésitent pas à composer des hymnes (très) pop dans le but de faire danser. Enfin surtout les jeunes. Et les filles de préférence. Nouveaux groupes à minettes ? (Le 2 avril à l’Olympia, 75009.) n Qu’est-ce que l’on peut faire un dimanche après-midi à Lyon? Aller au parc de la Tête-d’Or mater trois singes pelés et deux boas en cloque. Pas notre genre. On préfère prendre la direction de la banlieue Nord pour remuer la tête et les jambes au son de la techno indestructible de Len Faki (photo). Mais on sera de retour pour Stade 2, promis. (Le 3 avril à Villeurbanne, Rhône.) n Leur nom est un clin d’œil au Pôle Emploi britannique, dont un formulaire se nomme également UB40. Mais, depuis leur formation en 1978 et la pléiade de hits qu’ils ont alignés, de Food for Thought à Kingston Town en passant par Red Red Wine, le groupe de Birmingham n’a pas eu besoin de pointer au chômage. Jusqu’à aujourd’hui en tout cas. (Le 5 avril à Sausheim, Haut-Rhin.) PHOTOS TONJE THILESEN. DR Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 41 Annie Ernaux, à Cergy (Val-d’Oise), le 23 mars. 44 : «Des psychanalystes en séance» / Vignettes de cure 45 : Sylvie Germain / Humus et métamorphoses 48 : Delfeil de Ton et «Hara-Kiri» / «Comment ça s’écrit» Recueilli par CLAIRE DEVARRIEUX Photo EMMANUEL BOVET A nnie Ernaux fête ses 18 ans le 1er septembre 1958, mousseux, boudoirs et Chamonix orange. Dans la petite ville de S, elle est la plus jeune monitrice de la colonie de vacances, et la seule à sortir d’une institution religieuse. Elle s’apprête à entrer en terminale dans un lycée de Rouen. Ensuite, une erreur d’aiguillage et «une volonté malheureuse» l’enverront à l’Ecole normale. Mais elle ne sera pas institutrice, et s’inscrira à l’université à l’automne 1960, après un séjour au pair Suite page 42 «L’écriture, une aventure de l’être» Rencontre avec Annie Ernaux 42 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 LIVRES/À LA UNE «L’écriture, une aventure de l’être» en Angleterre. Mémoire de fille accompagne celle qui s’appelle encore Annie Duchesne de 1958 à 1960, de part et d’autre de l’été à la colonie. Ce sont «deux années de boulimie, de détresse, à cause des hommes», a-t-elle noté dans Se perdre (2001), le journal de Passion simple. Deux années qu’elle a transposées dans Ce qu’ils disent ou rien (1977). Mémoire de fille affronte pour la première fois les événements de «58», code secret du projet impossible – impossible à affronter, impossible à écrire, ce cheminement faisant partie du récit. Il le leste, et il l’allège, selon la mystérieuse alchimie qu’Annie Ernaux pratique. Cet été-là, c’est la première fois que la jeune fille quitte ses parents, la première fois qu’un homme – il s’agit de «H, le moniteur-chef»– la choisit, et l’emmène dans sa chambre. «Elle n’a pas le temps de s’habituer à sa nudité entière, son corps d’homme nu, elle sent aussitôt l’énormité et la rigidité du membre qu’il pousse entre ses cuisses. Il force. Elle a mal. Elle dit qu’elle est vierge, comme une défense ou une explication. Elle crie. Il la houspille: “J’aimerais mieux que tu jouisses, plutôt que tu gueules!” Elle voudrait être ailleurs mais elle ne part pas.» Il n’y aura qu’une seule autre nuit avec H. Techniquement, elle est toujours vierge, mais «elle décide qu’il l’a déflorée même s’il ne l’a pas pénétrée». Comme toujours dans les récits d’Annie Ernaux, la honte est originelle, la honte va l’emporter. Mais pas dans ces moments de S où elle s’enivre de liberté. «Depuis H il lui faut un corps d’homme contre elle, des mains, un sexe dressé. L’érection consolatrice.» Même lorsqu’elle devient «un objet de mépris et de dérision» pour les autres moniteurs, elle est encore prise «dans le bonheur du groupe». Elle a écrit une lettre sentimentale à sa meilleure amie, où elle évoque son amour pour H. Le cuisinier a trouvé le brouillon dans la poubelle, il l’a affiché, tout le monde se moque d’elle. La honte s’abattra plus tard. Elle ne mange plus ou mange tout le temps, n’a plus ses règles pendant deux ans. «C’est une autre honte que celle d’être fille d’épiciers-cafetiers. C’est la honte de la fierté d’avoir été un objet de désir. D’avoir considéré comme une conquête de la liberté sa vie à la colonie. […] Honte des rires et du mépris des autres. C’est une honte de fille.» Tantôt «je», tantôt «elle», Annie Ernaux tend la main à Annie Duchesne: «La fille de la photo est une étrangère qui m’a légué sa méSuite de la page 41 moire.» Elle parvient à la rejoindre: «Il me semble que j’ai désincarcéré la fille de 58, cassé le sortilège qui la retenait prisonnière depuis plus de cinquante ans dans cette vieille bâtisse majestueuse longée par l’Orne, pleine d’enfants qui chantaient C’est nous la bande des enfants de l’été.» L’entretien a lieu chez elle, Annie Ernaux est parfaitement détendue, et rit souvent. Vous arrive-t-il, par souci de véracité, d’inventer un détail, la couleur d’un manteau ? Non. Si je ne me souviens pas, je n’en parle pas. La couleur des vêtements, des robes, tout cela est absolument juste. Alors pourquoi, quel scrupule… J’ai besoin de ça. Tout au début, quand j’ai commencé d’écrire, je ne parle même pas du texte qui n’a pas été publié, mais des Armoires vides, je n’ai pas respecté l’exacte vérité, quelquefois il y avait un désir de rajouter des détails. Le tournant, pour moi, c’est le livre sur mon père, la Place, et le choix de la mémoire. La vérité ne naît-elle pas du récit ? C’est une vérité qui, au fur et à mesure du récit, se dégage. Ce n’est pas le récit qui m’intéresse, c’est ce que contiennent toutes les images du souvenir. C’est une exploration. Je ne cherche pas une interprétation, je tâche de saisir les choses. Je veux me situer dans la mémoire d’un présent sans avenir. Avez-vous conscience que votre biographe, plus tard, ira vérifier qu’il y avait bien un magasin Eram à Rouen ? Oui. Rue du Gros-Horloge ! Votre professeur de philosophie ne s’appelait-elle pas Janine plutôt que Jeanne Berthier ? Je suis à peu près certaine. On peut vérifier tout de suite dans mon livret scolaire [il est immédiatement accessible, rangé dans le secrétaire du salon, tiroir du haut, ndlr]. Les professeurs ne donnent pas leur prénom. Elle signe J. Bertier. Est-ce que je l’ai bien écrit ? Aïe, j’ai mis un h. Est-ce qu’on découvre, en écrivant, des choses qu’on avait oubliées ? Ce n’est pas la mémoire, mais l’écriture qui compte. C’est ce qu’on fait avec les images de la mémoire. Elles sont là, mais c’est la main qui tient la plume qui va les faire exister. Ces images, sans doute sont-elles fixées depuis longtemps. Je pense qu’il y a quelque chose qui est perdu définitivement. Il y a les enchaînements qui sont perdus, entre les images. On n’écrit pas pour les retrouver? Non. L’image est là, elle existe, mais à l’état de latence. Avant d’écrire, j’ai l’impression qu’elle n’existe pas. Elle naît de l’ordre des mots choisis, c’est du travail, mais pas du travail stylistique, il s’agit de l’accord entre la chose ressentie et les mots. C’est pour tout le monde pareil, cet accord à trouver qui me permette de penser: c’est ça. C’est le sentiment que j’ai éprouvé en écrivant la première nuit avec H, d’être allée au bout des possibilités de dire ce que c’était. Je ne l’avais jamais fait, je n’avais jamais écrit cette nuit. Je suis allée au bout, et après, je n’ai rien changé. Chaque phrase est cet ajustement des mots et de la sensation. L’image n’existe pas pour moi sans sensation. C’est normal. Il n’y a pas de mémoire sans sensation. On retient les choses qui vous ont impressionné. C’est ce qui permet ensuite à la mémoire de les retrouver. Mais moi, je fais la démarche inverse. Puisque j’ai cette image, je cherche quelle a été la sensation, que je vais traduire par les mots. Avez-vous relu Ce qu’ils disent ou rien ? Non. J’ai laissé de côté ce récit –ce roman – d’il y a trente ans. Je ne pouvais pas dire les choses, à cette époque-là. Je venais de publier les Armoires vides, j’avais commencé d’écrire la Place, mais j’étais bloquée. Il fallait que j’écrive très vite un autre livre pour me sentir à peu près bien. Je suis partie sur l’été, la rencontre amoureuse, mais en transformant. C’est le monologue de quelqu’un d’autre. Vous terminiez Se perdre (2001) par l’expression : «Ce besoin d’écrire quelque chose de dangereux pour moi…» C’est toujours le cas ? L’écriture, si elle n’est pas une aventure, une aventure de l’être, un engagement, c’est rien. Si on ne pense pas qu’on peut mourir après, ça ne vaut pas le coup d’écrire. Vous avez souvent parlé de «58», comme d’un moment terrible, jamais élucidé. C’est quelque chose de fermé, de nodal. J’y reviens aussi dans l’Atelier noir [journal d’écriture, Editions des Busclats, 2011], c’est très présent, je me demande à quel moment je vais l’écrire. C’est un projet ancien. Ce qu’ils disent ou rien est nul et non avenu pour ce qui est de la réalité, de la recherche. Je n’irai jamais plus au bout que dans ce livre-là, Mémoire de fille. Je me prenais souvent à dire: je n’y arriverai pas. Parce qu’il y a trop de choses qui touchent la sexualité, dans sa nudité, dans son animalité, dans son, comme disait Breton, «noyau de nuit». Et puis cette microsociété, entre jeunes, l’importance que ça a quand on est adolescente. Comment est-elle, cette fille de 1958 ? Il y a des tas de choses que j’ai découvertes en écrivant. Je ne suis jamais sortie de mon trou. Je n’ai jamais quitté mes parents. Se dire ça comme ça. Je n’ai jamais passé une nuit avec quelqu’un que je ne connais pas, dans un endroit nouveau. Ce sont des choses que je n’avais pas perçues jusqu’à présent. C’est important, cette scène où je suis avec ma mère sur le quai de la gare de S. Quels sont les sentiments, c’est très facile à retrouver : je voulais foutre le camp, et qu’elle me laisse tranquille. Elle n’a pas eu de train le soir? Qu’est-ce que j’en ai à faire! Dans ce lieu, je/elle n’a pas de culpabilité. Quand les parents viennent me voir, avec mon oncle et ma tante, que je n’ai pas vus depuis plus d’un mois, et débarquent dans la 4 CV, c’est comme si je ne les avais pas vus depuis dix ans. A la fin du livre, je pars en Angleterre. C’est une scène symétrique avec la précédente, ma mère veut m ’a c c o m p a gner – une fois de plus – jusqu’au bateau, mais c’est interdit, et c’est le sentiment inverse, le chagrin de la séparation. C’est en écrivant que je le découvre. Je ne démontre pas. Ce n’est pas une histoire écrite à l’avance. C’est l’écriture qui fait exister vraiment les choses, qui les sauve, aussi. C’était important de sauver ma perte, ces deux ans assez horribles. Tout passe par le corps, l’envie de manger, la boulimie, qui conduit à voler des bonbons dans le placard des gamines, et puis l’aménorrhée, qui est une exclusion du féminin. C’est le corps sans âge. Et de se dire que peut-être ça ne reviendra jamais, je serai peut-être toute ma vie boulimique – le mot, je ne le connais pas. Est-ce que je serai toujours une fille qui se goinfre, et une fille qui ne voit jamais le sang. Il faut vivre avec ça. Et puis il faut penser à un métier. Et puis ça va durer longtemps, parce que j’ai 18 ans, parce que j’ai 19 ans, et la vie qui est devant moi ne m’intéresse pas. Ce sont des années blanches. Il fallait les sauver. D’être écrites, de m’avoir traversée, elles se dissolvent «Ma force est la question centrale: d’où me vient qu’il n’y ait pas de honte? Est-ce le fait d’avoir été jusquelà complètement à l’écart des garçons? Je ne connais rien à ce qu’on appellerait maintenant la domination masculine.» Annie Ernaux, été 1959. Dans Mémoire dans ces consciences dont j’imagine qu’elles peuvent me lire. Du moins que ce temps-là ne soit pas perdu. Que ces deux années n’aient pas disparu, qu’elles existent, avec le monde autour, ces années 50. Je ne cherche pas du tout à faire revivre d u 43 Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 ANNIE ERNAUX MÉMOIRE DE FILLE Gallimard, 152 pp., 15 €. de fille, elle décrit cette photo et se compare à une «poupée de foire posée sur un lit de galets». PHOTO DR une époque, mais les détails sont là, dont il faut bien parler. Il y a des chansons, notamment celle de Dalida… C’est mon roman, la chanson. Mon histoire, c’est l’histoire d’un amour donnait du sens à ce que je vivais alors, un sens collectif. Comme la vérité du monde. La vérité du monde, c’est l’amour. Je me jette alors sur l’amour, sur l’idée de l’amour, comme une affamée, en refusant de voir la réalité, en la voyant quand même. C’est vouloir se per- dre. Pas seulement perdre sa virginité. Se perdre. Quelque chose qui est plus grand que moi. Et qui fait, naturellement, que je ne comprends rien aux sarcasmes, aux moqueries, je les trouve complètement injustifiés. Ma force est la question centrale : d’où me vient qu’il n’y ait pas de honte? Est-ce le fait d’avoir été jusque-là complètement à l’écart des garçons ? Je ne connais rien à ce qu’on appellerait maintenant la domination, l’hégémonie masculine, totalement acceptée par la société, inébranlable à ce moment-là. Les filles doivent se tenir à carreau, avoir de la conduite. Les garçons sont encouragés à être des coqs. Ils ne le sont pas tous, certains ont du mal à être conquérants. Je pense que cette force vient, paradoxalement, d’une ignorance des rapports des sexes. Les garçons des milieux populaires, je n’y pense pas, je suis déjà une transfuge de classe. En revanche, les moniteurs ont fait un minimum d’études, ils ont du prestige. Et puis, tout simplement, c’est mon éducation. Je suis habituée à considérer que je suis une élève brillante. Il me semble qu’on ne peut pas juger une fille amoureuse. Je suis dans cette croyance que j’ai le droit de l’être. L’éducation sexuelle a-t-elle changé grâce ou à cause d’Internet? Cette fille, à 18 ans – moi –, n’a jamais vu un sexe, même pas en peinture. Longtemps je n’ai pas su ce qu’étaient des testicules. Internet change tout, on a une connaissance de la sexualité. Mais il y aura toujours ce gouffre entre la connaissance et la réalité des corps, la réalité de comment ça se passe. Ça restera l’événement, autant pour un garçon que pour une fille, cette rencontre qui peut être progressive, la découverte de l’autre. Internet a-t-il modifié votre rapport aux encyclopédies et dictionnaires ? De manière générale, oui, mais je continue de consulter le Grand Robert, tous les volumes, qui datent un peu, mais j’ai une fidélité à ça. Pour la recherche, Internet est tout à fait extraordinaire. De retrouver des noms. Et de voir la localisation. C’est ce qui m’a paru le plus effrayant. Moi, je suis là, derrière mon écran, et, cinquante ans après, de me dire: il [l’initiale H du livre, ndlr] est là. Trouver la photo de ses noces d’or, c’est un gouffre. On transcende le temps. La mémoire, dit Ricœur, est garante de la profondeur du temps et de la distance temporelle. Mais maintenant, Internet vous apporte cette profondeur du temps. Cela rendait ce livre différent à écrire, de savoir que leur existence, à certains, était réelle. D’où le désir d’appeler au téléphone, du moins d’en caresser l’idée. On se la joue, comme on dit, on joue la scène, on s’entend dire : je fais une enquête sur les colonies de vacances des an- nées 50 et 60… Internet apporte tellement de changements. Même dans l’écriture, les livres. L’ordinateur me donne la possibilité de corriger sans arrêt. Je retravaille beaucoup, alors ce n’est pas un gain de temps, c’est perfectible à l’infini, j’y passe beaucoup plus de temps qu’avant. Mémoire de fille, c’est le livre le plus important depuis les Années ? Je suis d’accord. L’Autre fille (Nil, 2011) a été important, mais pas comme ça. C’est étonnant que vous n’ayez jamais eu le Goncourt… Avec quoi? Les Années? Comment vous expliquer. C’est le genre d’ambition que je n’ai pas. J’ai eu la grande surprise, pour moi quelque chose d’extraordinaire, que la Place ait le prix Renaudot, en 1984. Un tout petit texte comme ça, je ne m’y attendais pas. Il a été publié en janvier, il a eu le Renaudot en novembre, il a eu ce chemin, c’était tellement important. J’en suis restée là. J’écris sans doute des livres un peu atypiques, qui ne se ressemblent pas, même si c’est toujours la même matière, ce sont des formes différentes. J’ai 75 ans, si c’est pour pousser un livre l’un après l’autre, pour exister, non, il y a des choses plus agréables à faire. Il y a aussi beaucoup de choses que je n’aime pas. Le «Quarto» [Gallimard, 2011] c’est bon, je l’ai fait. Mais se replonger par exemple dans les lettres que j’ai reçues, non! Continuer de vivre, c’est continuer d’écrire en cherchant. Il n’y a que ça. Quels conseils donnez-vous aux jeunes écrivains ? Vraiment de ne pas chercher à plaire. D’aller au bout de l’histoire qu’ils possèdent en eux, et de ne jamais avoir de complaisance envers ce qu’ils écrivent. Je leur conseille de lire beaucoup. En même temps, il y a de jeunes écrivains, des filles et des garçons, qui ont déjà une voix. Quand on écrit, on tombe tout de suite dans un marché. Je suis frappée par le désir de certains jeunes auteurs, très pressés d’être reconnus, d’exister. Tous ces textes mis sur Internet, un phénomène qui se répand, je ne suis pas sûre que ce soit une bonne méthode. Vous trouvez toujours des gens qui vous disent que c’est bien, alors vous êtes content. On ne va pas jusqu’au bout de sa propre vérité, qui peut d’ailleurs être dans l’imaginaire. Première chose, lire. Et ne jamais se décourager. Encore que je comprenne qu’on se décourage. J’ai une longue «vie littéraire» derrière moi, et je vois combien ça reste hasardeux d’écrire. • 44 u Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 SUR LIBÉRATION.FR Blog Camicaos. «Crowdsourcing : et si vous donniez votre temps aux archives ?» Numériser les documents, c’est bien, encore faut-il les déchiffrer pour les rendre lisibles. En 2014, la Smithsonian Institution lançait un appel à contributions auprès des internautes, pour la transcription de ses archives numérisées. Il s’agit de la plus grosse opération de crowdsourcing (production participative) jamais connue. Asile au Brésil Premier roman de l’Américain d’origine coréenne Paul Yoon La séance est ouverte Rousseau, transfert, contretransfert… des instantanés de cure analysés par 58 psys Par VIRGINIE BLOCHLAINÉ Par GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL L’ C histoire se passe au Brésil après la guerre de Corée, dans l’atelier d’un tailleur japonais qui accueille et forme au métier Yohan, un jeune Nord-Coréen sortant de trois années de captivité en Corée du Sud, auprès de soldats américains devenus au fil des mois ses compagnons d’infortune. La ville côtière brésilienne dans laquelle accoste Yohan n’est pas nommée, et même si une note de trompette ou de guitare monte de temps en temps depuis la rue jusqu’aux toits-terrasses, malgré la présence d’une église, on se croirait plutôt dans un petit port asiatique dans lequel les déplacements se font à vélo. Ce méli-mélo intrigant et subtil de pays, d’images et d’ambiances ne s’arrête pas là. Chasseurs de neige fait penser à l’une des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar, «Comment Wang-Fô fut sauvé», car les flots sont ici essentiels. Par ailleurs, Paul Yoon, auteur d’origine coréenne né à New York en 1980, dit que pour ce premier roman, publié après un recueil de nouvelles remarqué, la lecture de l’Israélien David Grossman fut déterminante. Ce n’est pas sur l’écriture de Yoon que semble s’exercer l’influence de Grossman, mais sur les questions qui traversent le livre : parvient-on à reprendre goût à la vie après une guerre traumatisante ? L’amour et l’intimité partagés avec un être ne sont-ils donc rien, puisque la vie reprend son cours avec tellement d’insolence une fois que l’on a perdu un parent ou rompu avec un aimé? «Malgré tout, ils ont partagé quelque chose», songe Yohan à propos d’une voisine à laquelle, au fil des ans, il n’envoie plus qu’un signe de la main. Espérer que restent des traces du temps révolu sur un objet ou sur un morceau de soie, telle est la préoccupation de Yohan, trop placide pour que l’on parle à son sujet d’obsession, héros solitaire aux inquiétudes universelles. Les liens comme la neige filent entre nos doigts et Yohan ne s’y fait pas. En 1954, Yohan a 26 ans. Les violences dont cet orphelin fut victime et témoin comme prisonnier ne sont qu’esquissées, et beaucoup de faits demeurent mystérieux. Le roman se rapproche encore du merveilleux par la politesse des uns envers les autres, une fois le conflit terminé bien sûr. Yohan peut alors choisir entre retourner en Corée du Nord ou partir pour le Brésil, en vertu d’un accord négocié par les Nations unies. Pourquoi préfère-t-il le Brésil? On ne sait pas. Le roman met en images (c’est ainsi qu’il raconte) la cohabitation entre le tailleur et son disciple, l’acclimatation de Yohan à ce pays étranger et quelques scènes de son enfance auprès de son père. Chasseurs de neige parle d’attachement, de manque et de chagrin avec un art de la suggestion comme on en rencontre rarement. Amoureux, Yohan pose l’oreille contre le nombril d’une femme pour écouter «cette chambre enclose sous sa peau». A la fin de ce livre sur l’oubli et la séparation, Yohan navigue sur un canot et pense aux fleuves: «Ceux au bord desquels il s’est reposé, ceux qu’il a franchis, ceux qui ont détruit des vies humaines.» • PAUL YOON CHASSEURS DE NEIGE Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marina Boraso, Albin Michel, 208 pp., 19 €. inquante-huit analystes ont joué le jeu de raconter une séance en deux ou trois pages. «La psychanalyse est d’abord une expérience clinique intime qui se joue dans l’espace singulier d’une cure quand un patient parle et qu’un analyste l’écoute. C’est cette dimension-là, à l’écart des modes et des polémiques, dont nous souhaitons présenter les déploiements contemporains», écrivent, dans leur préface, les maîtres d’œuvre de Des psychanalystes en séance. Glossaire clinique de psychanalyste contemporaine, livre foisonnant et passionnant. Le choix des auteurs s’est porté en priorité sur des travaux internationaux récents. On verra au passage qu’il existe une différence notable entre analystes, suivant les écoles, mais pas que… On sera sans doute convaincu en fin d’ouvrage qu’il n’y a pas la psychanalyse mais des psychanalystes. Le lecteur passera d’une entrée à l’autre, suivant son intérêt pour les différents thèmes. Choisissons, parce qu’il est récurrent, celui de l’épreuve du transfert, le moins connu ou le moins bien compris des non-analystes. Première surprise : à rebours d’une représentation largement répandue, le contre-transfert de l’analyste précède le transfert (un livre de Michel Neyraut a fait date en 1972 sur ce sujet). L’approche de la future cure se joue parfois dès le premier entretien, quand l’analyste ouvre la porte. Un exemple clinique l’illustre: un homme entre, les regards se croisent et à cet instant, une pensée traverse l’analyste : «Encore un toxico!» Idée intempestive, commente-t-elle, qui s’oppose à l’idéal de bienveillance avec lequel elle souhaite accueillir une nouvelle demande. Qu’avait en fait perçu l’analyste dans le regard de cet homme? Du désarroi, l’intensité d’un manque, le sentiment d’être perdu sans doute. Les premiers entretiens se sont ouverts sur une passionnante analyse où tous les fils ramenaient à l’événement majeur de l’histoire de cet homme, qui avait eu une réussite professionnelle éclatante : la disparition précoce de sa mère. Mais la faille que l’analyste avait perçue dans son regard l’avait renvoyée à sa propre analyse, dans laquelle son transfert était associé à une drogue dure. «Encore un drogué du transfert, encore un», avaitelle pensé, ce «encore» l’ayant renvoyée aux affects qu’elle avait traversés dans son analyse. Cet homme était en manque, comme elle l’avait été, d’une autre manière. Dans un bref article sur la polyphonie de rêve, une analyste raconte l’étrangeté de son vécu lorsqu’une patiente pour laquelle elle ressentait une grande empathie lui a raconté un cauchemar, patiente qui venait de subir un traumatisme brutal: la perte de son fils adolescent. L’analyste est troublée de la proximité de ce rêve avec celui qu’elle a fait la même nuit, car elle-même a perdu il y a longtemps un enfant en bas âge. Dans cette situation de «rêves croisés dans la cure», le psychanalyste fait travailler ce qu’on peut appeler «l’espace onirique commun et partagé du rêve». On constate ici la nécessité de la poursuite constante de la propre auto-analyse de l’analyste. Hypocondriaques. Dans ce foisonnement de brèves vignettes de cure, on sera passionné par l’article «L’hypocondrie créative», où l’auteur revient sur le cas de Jean-Jacques Rousseau. Homme de douleurs, Rousseau exhibait à l’occasion ses états souffrants ; il écrivait : «J’étais presque né mourant; on espérait peu me conserver.» L’énigme de sa maladie a fait couler beaucoup d’encre. L’auteur se réfère aux travaux de Jean Starobinski qui ont permis de saisir cette pathologie, frontière entre la mélancolie et les accès paranoïaques. La maladie de Rousseau lui a toutefois «permis» de se construire une destinée profondément originale. Ce qui n’est pas forcément le cas de tous les hypocondriaques; encore que le cas Rousseau porte le débat sur les troubles dits psychosomatiques et sur l’intérêt que les analystes portent aux liens qui unissent la vie de l’âme et le fonctionnement corporel. Une issue est donc parfois possible en plaçant les désordres corporels au cœur d’une création. L’alliance de la littérature et de la psychanalyse est particulièrement féconde, on le verra une fois de plus. Un (autre) article passionnant concerne la normopathie, notion introduite par Joyce McDougall en 1972 dans Plaidoyer pour une certaine anormalité. La ques- L’approche de la future cure se joue parfois tion de savoir si on est normal ou pas en taraude plus d’un, même à notre époque où tout ce qui paraissait transgressif autrefois semble banalisé. L’auteur revient sur les analyses d’Hannah Arendt du cas Eichmann, «monstrueusement normal» ; sur ce petit homme enfermé dans une cage de verre (à son procès), bourré de tics, ergotant sur des détails anecdotiques (heures, dates) alors qu’on lui reprochait d’avoir participé à l’un des plus grands crimes commis contre l’humanité. «Absence de pathologie, ou normopathie?» écrivait-elle dans son reportage Eichmann à Jérusalem. On peut, suivant McDougall, saisir à travers cette figure «banale» comment la méconnaissance de son propre inconscient peut amener à en projeter les contenus sur d’autres qu’il faut à l’extrême suivre aveuglément (le Führer in- Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 POCHES FRANCESCA MELANDRI PLUS HAUT QUE LA MER Traduit de l’italien par Danièle Valin. Folio, 224 pp., 7,10 €. u 45 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe «Quand il était arrivé tout jeune sur l’Île, elle lui avait fait l’effet d’une prison à ciel ouvert. Mais pour lui, pas pour les condamnés. En revanche, maintenant, il lui était impossible d’imaginer le jour, encore lointain mais inévitable, où il prendrait sa retraite et devrait la quitter.» FLORENCE ARTHAUD CETTE NUIT LA MER EST NOIRE Arthaud «poche», 192 pp., 6,90 €. «Je prends peu à peu conscience de ma situation, et la détresse m’envahit comme l’eau alourdit mes vêtements. De mon bateau, à présent, je ne distingue plus que le feu de mât. Autour de moi, le noir, rien que le noir. L’eau n’est ni chaude ni froide.» L’auge d’homme Un étrange roman d’apprentissage par Sylvie Germain Par FRÉDÉRIQUE ROUSSEL L dès le premier entretien, quand l’analyste ouvre la porte. PHOTO GETTY IMAGES carnait pour Eichmann à la fois le moi idéal, le surmoi et l’idéal du moi tout ensemble). «Voilà qui invite, écrit l’auteure de l’article, à réfléchir plus avant sur les abîmes que révèle et auxquels peut mener la soumission aveugle à l’idée d’une norme ou à une autorité, quelle qu’elle soit.» «Surtout quand on est psychanalyste», ajoute-t-elle. Curiosité. L’article suivant, de la même auteure, porte sur l’anti-analysant, suivant une autre expression de Joyce McDougall. Anti-analysant qui est ponctuel, assidu, qui ne manque jamais une séance mais pour qui le processus analytique ne se déclenche pas: il refuse les liens, les associations, la relation transférentielle. Du coup l’analyste finit par se retirer, par se désinvestir, par ne plus éprouver de curiosité. Mais au fond ce patient est-il vraiment un anti-analysant ? L’analyste a toujours tendance à se demander quand il s’ennuie, écrit l’auteur, si ce n’est pas lui qui est à certains moments ou avec certains patients, anti-analyste. Peut-être est-ce à cela qu’on reconnaît contretransférentiellement les anti-analysants dont parle Joyce McDougall… Transfert et contre-transfert ne sont pas des affaires simples! On ne sort pas indemne de ce livre, par quelque bout qu’on le prenne. • LAURENT DANON-BOILEAU et JEAN-YVES TAMET (sous la direction de) DES PSYCHANALYSTES EN SÉANCE. GLOSSAIRE CLINIQUE DE PSYCHANALYSE CONTEMPORAINE Folio Essais, 576 pp., 9,20 €. es livres n’ont pas d’odeur. A part peutêtre celle de l’encre et du neuf quand ils s’ouvrent pour la première fois. Peut-être aussi celle du passé quand leurs pages ont jauni, soumises à la dégradation chimique, ou à l’humidité quand ils ont pris la pluie. Mais ils ne sentent pas autre chose que leur composition physique. Si les livres pouvaient exhaler ce qu’ils contiennent, A la table des hommes se distinguerait. Sous-bois, sang, remugles, sueur, pommes fermentées… Le lecteur entre dès l’orée du corps du livre dans un univers chargé d’effluves. A hauteur d’animal, ce qui transpire, embaume et pue, compte plus que tout. Le flair permet de rester vivant. Et c’est dans la peau d’un porcelet que Sylvie Germain invite à se projeter et à imaginer cet animal perdu gambadant dans la forêt, se gavant de racines terreuses et de végétaux spongieux et reculant devant l’odeur de l’homme en chasse. C’est la guerre civile qui a arraché le cochonnet de la mamelle de sa mère, détruisant les humains et les bêtes de la ferme, le propulsant dans l’inconnu et la forêt primaire. Où va-t-il donc, ce pourceau solitaire bientôt rejoint par une corneille qui semble veiller sur lui? Cette première partie est une plongée dans l’état sauvage. Celui de la guerre, où les voisins s’entretuent, qui pourrait être une référence à celle de l’ex-Yougoslavie, avec des villages dressés les uns contre les autres et la découverte de charniers au retour des survivants hagards. Celui du monde animal, qui s’agite à l’avant-scène, dont l’auteur embaume la description, avec ses miasmes et ses joies du présent. Figure animale à peine dégrossie, le porcelet se fatigue de fuir les prédations incessantes. Dans un taillis, il tombe littéralement sur un enfant gravement blessé qui a fui les tueries pour se traîner dans un semblant d’abri. Les deux états, animal et humain, s’empoignent à l’approche de la mort et mêlent leur désir de vivre pour engendrer un tout jeune garçon. Une métamorphose qui sonne le glas de l’aventure instinctive pour l’apprentissage de la vie humaine. C’est donc un enfant sauvage qui sort du bois pour être trouvé par des femmes au lavoir. Il n’est pas comme les autres, renifle et ne parle pas. S’il a été recueilli par la Vieille, il se sent davantage chez lui dehors, avec sa corneille. «Il s’abandonne au flux du temps, il repose à fleur de torpeur, à l’unisson du monde qui l’entoure, l’abrite, le berce et le caresse. Mais par instants, ce calme se trouble, comme si un caillou venait crever la surface d’une eau dormante, formant des ondes fines, fébriles.» Cet être tout d’instinct, figure de la maladresse et de l’étrangeté, suscite les foudres des autres enfants qui l’humilient et le maltraitent. Celui qu’on appelle Babel perd même, après une rouste, ses quelques rudiments de parole, avant de comprendre le rôle crucial du langage comme outil de survie. «Nommer pour tenter de s’orienter dans ce labyrinthe intérieur semé d’obstacles, de traquenards, de gouffres. Nommer pour grandir, pour lutter, se défendre. Nommer pour vivre.» «Il s’abandonne au flux du temps, il repose à fleur de torpeur, à l’unisson du monde qui l’entoure, l’abrite, le berce et le caresse.» Une autre métamorphose va donc s’opérer. Si la part animale, qui demeure en lui de manière souterraine, lui assurait sa survie par le flair, c’est l’acquisition du langage qui lui permettra d’échanger avec les autres et de se doter d’une mémoire. Image classique du passage entre nature et culture, entre pulsion et réflexion, vers la complexité humaine «équivoque» et «inquiétante». Emmené loin du village par un habitant pour le soustraire à la haine, Babel va grandir dans un environnement moins hostile mais tout aussi étrange. La sensualité stylistique du début gagne alors en distance et en gravité, même si le regard narratif conserve l’innocence des yeux de Babel sur le monde. Ce sont les livres, les rencontres et les sentiments qui participent désormais de sa construction personnelle. A la table des hommes a le parcours d’une fable philosophique et même politique, avec sa dose de métaphores, de symboles et de références religieuses. Ce roman, comme la plupart de ceux de Sylvie Germain, sert de creuset à nombre d’observations, réflexions, qui ont façonné cet être nu et pulsionnel qui chemine vers l’être complexe et tyrannique qu’est l’humain. Reste la fibre originelle, symbolisée par la corneille. Quand elle disparaît, tout remonte dans cette prose unique, propre à l’auteur de Tobie des marais. «Odeur de paille fraîche et de soleil, odeur douceâtre de peau tiède et de lait, odeur de fumée au goût de sucre et de coing. Couinement et grognements, bruits d’insectes, caquètements, alternance d’aboiements, de ramages et, plus confus, de voix, de meuglements, de bêlements. Roseur et chaleur d’un ventre soyeux.» • SYLVIE GERMAIN À LA TABLE DES HOMMES Albin Michel, 261 pp., 19,80 €. 46 u POCHES Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 «On peut se demander dans quelle mesure ces intellectuels médiatiques, qui se caractérisent souvent par des propos réactionnaires, sont les héritiers (la bêtise s’améliore) des raisonnements des années antérieures.» BELINDA CANNONE LA BÊTISE S’AMÉLIORE Pocket «Agora», 206 pp., 7,30 €. LETTRES RÉCIT ALEJANDRA PIZARNIK CORRESPONDANCE AVEC LÉON OSTROV 1955-1966 Traduit de l’espagnol par Mikaël Gómez Guthart. Les Busclats, 110 p., 12 €. BRUNO RACINE LA VOIX DE MA MÈRE Gallimard, 127 pp., 12,50 €. Si Pizarnik avait été une poète torturée jour et nuit sur fond de misère noire, la vie aurait été sûrement beaucoup «plus facile». Tandis que la Correspondance de cette Argentine avec son pre- mier analyste – quand elle s’installe à Paris à 24 ans –, cela donne invariablement tout et son contraire: les lettres envoyées aussitôt déchirées, le confort alimentaire mais les carences vitales, la vie dissolue mais l’écriture, les idées de roman qui finissent en poèmes qui ne finissent pas, l’éternel «changement» après l’angoisse avant l’humour, la solitude choisie et la misanthropie feinte, et le chaud et le froid des «amours fantômes» qui défilent en quinconce –puis soudain, la phrase qui sauve tout in extremis : «Mon seul vœu est de ne pas perdre ma foi dans certaines valeurs spirituelles (poésie, peinture). Lorsqu’elle me quitte arrive alors la folie, le monde se vide et se met à grincer comme un couple de robots en train de copuler.» L. de C. ROMANS RAYAS RICHA LES JEUNES CONSTELLATIONS Illustrations de Donatien Mary. L’Arbre vengeur «L’Alambic», 250 pp. 18 €. Un premier roman étonnamment libre dans le registre des dynamiteurs de prose. Un voyage sur les traces du père dont le fils ne détient que le journal. Il chemine à travers l’Europe en direction de l’Orient accompagné d’un cicérone «quelque peu ratiocineur». Sur un canevas de roman d’apprentissage, un récit médiéval tout à fait achronique, drôle, provocateur, parfois hirsute. Rayas Richa, Français d’origine libanaise, a fait tous les métiers, précise l’éditeur. Si nous ne savons rien de ses aptitudes de banquier, épicier, photographe, en revanche son talent d’écrivain est bien réel. J.-D.W. FRANCESCO MUZZOPAPPA TOUT VA TRÈS BIEN, MADAME LA COMTESSE ! Traduit de l’italien par Marianne Faurobert, Autrement, 261 pp., 18,50 €. Il y a des notes d’humour anglais dans cette comédie qui débute comme un vaudeville. Une comtesse veuve et son majordome se font face, la première est en ébullition, le second de marbre. L’âge de la dame n’est pas précisé mais elle dispose encore d’une belle énergie. Il lui en faut pour empêcher son fils de la ruiner. La comtesse orchestre son propre enlèvement pour obtenir une rançon. Le ravisseur est un «cageot» doublé d’un «connard». Chez lui, c’est laid : «Même un professionnel ne viendrait pas à bout du mauvais goût de ce chalet. Il faudrait un incendie, pas moins, pour cela.» Deuxième roman d’un Italien né en 1976, publicitaire et youtubeur. C’est drôle comme ce texte moqueur prend partie pour les femmes. Une adaptation au cinéma est prévue. V.B.-L. Près de trente ans après la mort de sa mère, Bruno Racine tente de retrouver pour le décrire le timbre de sa voix. L’enquête mêle des souvenirs et de nombreuses références à des auteurs qui ont écrit sur le rapport à leur mère, Amoz Oz, Valère Novarina, Marcel Proust, La- martine, Pierre Guyotat, Elias Canetti, Stendhal, Albert Cohen… Roland Barthes lui aussi ne parvenait pas à se rappeler la voix de sa mère, demeurée un mystère «après avoir vécu si longtemps ensemble». Derrière la voix, la vie. Le président de la Bibliothèque nationale de France, qui quitte l’établissement ce samedi après neuf ans de mandat, écrit une page de son histoire familiale, parle des origines américaines de sa mère (qui avait un léger accent), russes de ses grandsparents. Ce récit chemine tout en délicatesse et en érudition pour ne pas conclure sur cette aporie des sens mais sur une quête. Et sur Virgile. Incipe, parve puer, risu cognoscere matrem («Commence, petit enfant, à faire connaissance avec ta mère par son rire.») F.Rl PHILOSOPHIE PIERRE VESPERINI DROITURE ET MÉLANCOLIE. SUR LES ÉCRITS DE MARC AURÈLE Verdier, 192 pp., 15 €. De l’empereur Marc Aurèle, on dit généralement qu’il est un «philosophe stoïcien». Mais de quel genre d’«affiliation» s’agit-il? Est-il stoïcien comme on dit de tel penseur qu’il est kantien ou heideg- gerien, et ses «pensées», ses «exercices spirituels» doivent-ils tout au stoïcisme ? Répondre à cette question est l’occasion, pour Pierre Vesperini, de montrer ce que signifiaient les «discours philosophiques» en Grèce ou à Rome, et de contester le retour à l’«éthique antique» dont on parle tant depuis Pierre Hadot ou Michel Foucault. En fait, l’éthique ancienne peut se définir comme orthopraxie, c’est-àdire une manière d’apprendre à agir de façon «droite» (à se comporter «comme il faut», au lit, lors d’un procès, pendant une maladie, devant la mort, les soins du corps, l’habillement, etc.). Dès lors le «souci de soi» n’a pas du tout le sens que lui donnait par exemple Foucault : il est constitué du regard social que l’on porte sur nous. R.M. HISTOIRE YANNICK RIPA LES FEMMES DANS LA SOCIÉTÉ. UNE HISTOIRE DES IDÉES REÇUES Le Cavalier bleu, 168 pp., 20 €. On ne sait pas très bien d’où les «idées reçues» sont…reçues –sauf peut-être à relire Gramsci, qui dans son travail sur l’idéologie décrivait la façon dont les idées d’abord élaborées dans les sphères de la philosophie, du droit, de la science, «descendent» comme une pluie, se dénaturent et finissent par constituer le «sens commun». Aussi, quand la condition des femmes, par exemple, change, évolue, les «idées reçues», elles, demeurent et continuent à charrier les préjugés séculaires: les femmes sont «le sexe faible», elles sont «hystériques», «reines du foyer», «il n’y a pas de femmes parmi les grands peintres et les grands musiciens», «les femmes ne sont pas faites pour la politique», «les femmes n’ont pas d’histoire», «les féministes sont contre les hommes», etc. Professeure d’histoire contemporaine à l’université ParisVIII, collaboratrice des pages Livres de Libération, Yannick Ripa explique les raisons de la persistance de ces idées, qui «consolident le genre» et «paraissent justifier le partage, hiérarchisé, des rôles, des espaces et des pouvoirs selon les sexes». R.M. discipliné («Putain de gosses/ qui braillent/et/comme moi/ Maurepas ne dort pas»). Le nouveau locataire croise les voisin(e)s qui se plaignent de la vie dure («quand on sait/elle ne le sait peut-être pas/qu’à Maurepas/dix pour cent des gens vivent avec/devinez quoi ?/ soixante-sept euros par mois»), effeuille les infos du journal et les petits riens du quotidien. On ne s’ennuie pas sur le fil de ce long poème plein de suspense du barde Le Men, qu’on surprendra même à appeler le 17… F. Rl GASTRONOMIE JACKY DURAND VOYAGE AMOUREUX DANS LA CUISINE DES TERROIRS Carnets nord, 304 pp., 16 €. POÉSIE YVON LE MEN LES RUMEURS DE BABEL Illustrations d’Emmanuel Lepage. Dialogues, 191 pp., 18 €. Plus de quarante-cinq ans après son arrivée à Rennes en fac, Yvon Le Men s’est retrouvé, en 2015, en résidence dans le quartier de Maurepas. C’était sa deuxième résidence de poète après la Cité radieuse du Corbusier à Rezé en 2006. Là-bas, il avait souffert de la solitude. A Maurepas, ce fut plutôt l’inverse, trop de promiscuité sonore. «Me voici en HLM à la merci de mes voisins qui sont aussi à ma merci. A cause du bruit.» L’habitant temporaire, absent de son habituel havre de Lannion, se situe aux premières loges du chantier du métro («qui reliera le quartier/et le centre/les pauvres et les riches/ qui ne vont pas chez les pauvres/ne traversent pas la frontière»), et de l’habitat in- «C’était mardi sur le coup des 9 heures. Une odeur alléchante de charcutaille grillée flottait dans le matin frais de la place Saint-Martin à L’Aigle dans l’Orne. On soupesa du regard une andouillette et un morceau de boudin noir, avant de succomber pour une saucisse blanche vite emmanchée dans une demi-baguette moutardée…» Hum. Voici un ouvrage dans lequel on se sent monter une petite faim de plats canailles, de bonnes pâtes à étaler sur des grosses tartines (comme le fromage de Bergues dans le Nord), de soupes (de célerirave aux châtaignes). Dans son Voyage…, Jacky Durand, chroniqueur à Libération, nous embarque avec son carnet de notes à anecdotes dans un savoureux tour de la France qui aime cuisiner et manger. Pas forcément dans les restaurants étoilés. Mais avec la conviction certaine que «la bectance et les terroirs, c’est quand même autre chose que Meetic pour assaisonner les sentiments, hein?» C.Ma. Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 «Contrairement à ses cousins la pieuvre et le calmar, l’escargot terrestre ne dispose pas d’une pupille et d’un cristallin sophistiqué à travers lesquels former des images nettes. Mais dans quelle mesure lui apparaît-il flou ? Mystère. Il est difficile pour les scientifiques de demander aux escargots ce qu’ils perçoivent.» DAVID G. HASKELL UN AN DANS LA VIE D’UNE FORÊT Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Thierry Piélat. Flammarion «libres Champs», 368 pp., 9 €. u 47 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe «La propension du cœur humain à être contrariant est telle, depuis Eve, que notre nature de pécheurs nous pousse à préférer naturellement les fruits défendus. Aussi Mary se complaisait-elle dans l’idée qu’un jour elle deviendrait une dame, et qu’elle ferait tous les petits riens élégants qui allaient de pair avec ce statut.» ELIZABETH GASKELL MARY BARTON Traduit de l’anglais, préfacé et annoté par Françoise du Sorbier. Points «Grands romans», 600 pp., 8,40 €. 93 «Hors limites» LIBRAIRIE ÉPHÉMÈRE Simone Weil et le sens de l’amitié Né en Seine-Saint-Denis, destiné aux lecteurs de ce département via les bibliothèques, le festival Hors limites propose jusqu’au 16 avril d’aller à la rencontre d’«une littérature remuante et ambitieuse, complexe et vivante». Parmi les écrivains invités cette année : Michèle Audin, Olivier Cadiot, Fabrice Colin, Jean Echenoz, Hakan Günday, Yves Ravey, Emmanuelle Richard, Olivia Rosenthal, Fabio Viscogliosi, Alice Zeniter. www.hors-limites.fr Par FLORENCE ILLOUZ scénariste et traductrice I l faudrait lire trois fois ce petit opus de textes de Simone Weil sur l’amitié : une première pour le plaisir de n’y rien comprendre – se demander pourquoi cette femme pensante s’acharne à verser de l’absolu dans le relatif et du divin dans nos bonnes choses terrestres. Une deuxième pour frôler ce que l’on pressent comme une préhension vertigineuse et quasi définitive de la relation à l’autre, d’autant plus puissante que parfaitement indemne de toute logomachie freudienne. Une troisième enfin pour suivre, en une dizaine de pages à tout rompre, l’implacable cheminement de la pensée dans la matière de l’attachement et des affects. On voudrait, pour plus de confort, de légèreté et, pourquoi pas, par souci de laisser la grâce l’emporter sur la pesanteur, rester blotti dans ce que les Chinois nomment «la précieuse confusion». C’est impossible avec Simone Weil –ayatollah de l’absolu– pour qui la relation d’amitié, au sens pur, «la préférence à l’égard d’un être humain» reste en tout premier lieu une expérience de l’impossible : je ne supporte pas celui que j’aime s’il reste extérieur à moi, mais si celui que j’aime est à moi, il perd tout intérêt. C’est à l’intérieur de cette contradiction fondamentale – «nous haïssons ce dont nous dépendons. Nous prenons en dégoût ce qui dépend de nous» –, dans l’art et la manière de pratiquer la distance –«il n’y a amitié que là où la distance est conservée et respectée»– par un travail sur soi qui exige «force d’âme» et «transformation», que l’on crée les conditions de la véritable amitié. Amitié pure qui, selon Simone Weil, «est une image de l’amitié originelle et parfaite de la Trinité et qui est l’essence même de Dieu». Amen ! Escale du livre Simone Weil (1909-1943), probablement en 1936, pendant la guerre d’Espagne. PHOTO RUE SIMONE WEIL AMITIÉ. L’ART DE BIEN AIMER Rivages Poche «Petite Bibliothèque», 80 pp., 5 €. VENTES Classement datalib des meilleures ventes de livres (semaine du 25 au 31/03/2016) ÉVOLUTION 1 (1) 2 (10) 3 (14) 4 (2) 5 (5) 6 (9) 7 (13) 8 (6) 9 (8) 10 (7) DES ARCHIVES. PVDE TITRE En attendant Bojangles La Fille de Brooklyn Vivez mieux et plus longtemps Comédie française Trois Jours et une vie Trois Amis en quête de sagesse Condor Les Cahiers d’Esther Le Grand marin Un fauteuil sur la Seine C’est toujours amusant de voir à quel point les titres, en eux-mêmes, parlent du succès ou de l’insuccès de l’auteur. On ne s’en lasse pas. Regardez Michel Cymes, dont le guide sympathique s’apprête à vivre mieux que les autres, et plus longtemps. Voyez le charme discret de Giulia Enders, la jeune Allemande qui lit dans nos entrailles. Son livre sur l’intestin est sorti le 1er avril 2015, il a dépassé sans faire de bruit les 500000 exemplaires, et figure à la douzième place de notre classement. AUTEUR Olivier Bourdeaut Guillaume Musso Michel Cymes Fabrice Luchini Pierre Lemaitre André, Jollien et Ricard Caryl Férey Riad Sattouf Catherine Poulain Alain Maalouf ÉDITEUR Finitude XO Stock Flammarion Albin Michel L’Iconoclaste/Allary Gallimard Allary L’Olivier Grasset A l’inverse, gare à l’effet du boomerang dans le miroir aux alouettes. Logique retour des choses, le texte de Michel Onfray dégringole cette semaine de la 4e à la 15e place. A l’autre bout du tableau, des éléments brillants prennent leurs marques: Dispersez-vous, ralliez-vous! de Philippe Djian, Un chemin de tables, de Maylis de Kerangal, et Etre ici est une splendeur, la «vie de Paula M. Becker» (artiste allemande bientôt exposée au Musée d’art moderne) signée Marie Darrieussecq. Cl.D. SORTIE 07/01/2016 23/03/2016 10/02/2016 02/03/2016 02/03/2016 13/01/2016 17/03/2016 21/01/2016 04/02/2016 09/03/2016 VENTES 100 72 32 32 28 26 20 20 20 19 Source: Datalib et l’Adelc, d’après un panel de 246 librairies indépendantes de premier niveau. Classement des nouveautés relevé (hors poche, scolaire, guides, jeux, etc.) sur un total de 85 072 titres différents. Entre parenthèses, le rang tenu par le livre la semaine précédente. En gras : les ventes du livre rapportées, en base 100, à celles du leader. Exemple : les ventes de la Fille de Brooklyn représentent 72 % de celles d’En attendant Bojangles. Débats entre romanciers, historiens ou philosophes, lectures, regards croisés : les trois journées d’Escale du livre à Bordeaux s’achèvent ce dimanche 3 avril. Parmi les «grands entretiens» : Camille Laurens, Pierre Bergounioux, Alain Veinstein, Jens Christian Grøndahl, Mathieu Lindon et Olivier Rolin. Kéthévane Davrichewy parle famille avec Isabelle Monnin, Philippe Artières de «Qu’est-ce qui fait l’histoire» avec Bruno Dive. www.escaledulivre.com Rendezvous Georges-Arthur Goldschmidt s’entretient avec Claude Burgelin le 3 avril à 16 heures au Musée d’art et d’histoire du judaïsme (71, rue du Temple, 75003) et avec Marcel Cohen dans le cadre du festival Raccord(s) le 6 à 19 heures, à la Maison de la poésie (157, rue Saint-Martin, 75003). Conférence de Cees Nooteboom (le Visage de l’œil et J’avais bien mille vies et je n’en ai pris qu’une, Actes Sud) à la BNF le 6 à 18 h 30 (Petit auditorium, quai François-Mauriac 75013). 48 u Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe COMMENT ÇA S’ÉCRIT Quand ils faisaient «Hara-kiri» Par MATHIEU LINDON O n sait comment l’Hebdo Hara-Kiri est mort. Quelques jours après la mort de Charles de Gaulle, quelques semaines après un incendie ayant provoqué un carnage dans une boîte de nuit, il titre «Bal tragique à Colombey: un mort». Des interdictions lui tombent dessus et il ressuscite dès la semaine suivante en devenant Charlie Hebdo. Mais c’est comment Hara-Kiri hebdo est né que raconte Delfeil de Ton. Ces récits ont d’abord paru, du premier au dernier numéro de Siné hebdo de 2008 à 2010, en 83 épisodes de 2 500 signes, les 82 premiers se terminant ainsi: «Mais je vois que Siné m’a demandé 2500 signes. Quand j’aurai écrit “La suite la semaine prochaine”, ça les fera juste, les 2500 signes.» Siné a lui-même créé Siné hebdo après avoir été viré, parce qu’on l’accusait d’antisémitisme (il a ensuite gagné son procès), d’un nouveau Charlie Hebdo –et Delfeil se retrouve donc à ce moment-là avec Siné «coupable à 80 ans d’être resté fidèle aux idéaux de sa jeunesse et de sa maturité» plutôt qu’avec un Charlie «qui se prétend l’héritier» de Hara-Kiri hebdo, ce qui est une autre histoire mais montre comme Hara-Kiri a essaimé. Le mensuel Hara-Kiri existait depuis sept ans quand Delfeil de Ton (de son vrai nom Henri Roussel, né en 1934, qui fait miroiter en vain dans ce texte l’explication de son pseudonyme) rejoint l’équipe pour y écrire bientôt une chronique qu’il tiendra ensuite dans le Nouvel Observateur et toujours aujourd’hui dans l’Obs, «Les lundis de Delfeil de Ton». En 1969, le directeur de la publication, l’homme qui s’occupe de faire paraître le journal (trouver l’argent…), Bernier, «autre nom du professeur Choron, celui sous lequel il était connu dans les banques et les commissariats», suggère de créer un hebdo en plus, et aussi un nouveau mensuel dont Delfeil trouvera le nom, Charlie, et dont il deviendra le rédacteur en chef. Il n’y a pas un sou, chacun est payé une misère, mais tout le monde trouve que c’est une idée formidable. Et Delfeil, qui a rejoint avec fierté ce journal où il ne dessinera jamais rien parce que le dessin n’est pas «Ben oui, c’est évident: on aime traverser en dehors des clous, nous changez pas les clous de place.» CAVANNA ET DELFEIL contre une réforme de l’orthographe son truc, n’en revient toujours pas de la qualité de l’équipe, décrite à travers le numéro de janvier 1969. «Il n’y avait que des bons. Pas un seul con. […] D’abord et avant tout notre maître respecté, Cavanna. Ensuite, il y avait Trix et Sépia, mais ces deux-là c’était aussi Cavanna. Pellaert, invité d’honneur permanent, donnait “She”, pages couleur esthético-peinturlurées dont il avait le secret et qui épateraient jusqu’à Hollywood. Il y avait, comme dans chaque numéro, trois ou quatre dessins par des pigistes, puis, et c’était tout, Fournier, Reiser, Wolinski, Choron, moi, plus Willem qui venait d’arriver et Cabu qui venait de revenir.» Il y a mille petits récits qui font une époque dans Ma véritable histoire d’“Hara-Kiri hebdo” (où l’adjectif et le pronom personnel se pondèrent et s’exacerbent l’un l’autre), «la dame de l’avenue Trudaine» qui donnait de l’argent en échange des faveurs du professeur Choron qui déclarait à l’équipe «je viens d’enculer la vieille. La vache, elle en voulait», la version italienne d’Hara-Kiri et les plagiats, et puis les descriptions page par page des premiers numéros, le 1 recelant un éditorial, ce qui n’est pas «le genre de la maison». «Nous ne lançons pas un journal pour donner des leçons. Serions-nous modestes? Même pas. Ecoutons Cavanna : “Un journal sans façon. Sans façon mais pas sans prétention. Nous ne nous prenons pas pour de la crotte de bique. […] Si vous aimez les calembours, l’esprit bien parisien, les histoires de cocus, le festival du Marais, la fête des Mères, les safaris-congés payés, les grands patrons simples et pas fiers et les jeunes patrons de combat, n’achetez pas, n’achetez pas, n’achetez pas!”» On apprend dans le livre de Delfeil de Ton comment Reiser disait «Monsieur» à Cavanna, ce qui n’était pas non plus le genre de la maison, comment Choron se débrouillait pour avoir un beau papier afin de mieux imprimer ses dessinateurs et son Cavanna adorés, comment Cavanna et Delfeil prennent des libertés avec l’orthographe mais s’indignent qu’on le réforme : «Ben oui, c’est évident: on aime traverser en dehors des clous, nous changez pas les clous de place.» Une note supplémentaire à la toute fin du livre: «Depuis la prépublication de cette histoire, Cavanna, Cabu, Wolinski sont morts. Nous ne sommes plus que deux./ A la tienne, Willem!» Pour Cabu et Wolinski qui ne sont pas toujours ménagés dans le texte, le 7 janvier 2015 est passé par là. Les balles tragiques à Charlie Hebdo font aussi partie de l’histoire d’Hara-Kiri. • DELFEIL DE TON MA VÉRITABLE HISTOIRE D’HARA-KIRI HEBDO Les Cahiers dessinés, 172 pp., 18€. Dans les rues de New York. PHOTO LEO DELAFONTAINE. PICTURETANK POURQUOI ÇA MARCHE Guillaume Musso et les «mille flèches glacées» Nouveaux frissons Par EMMANUÈLE PEYRET C ’est quoi, un auteur le plus vendu, indétrônable (même par Marc Levy) depuis cinq ans, un type qui a vendu plus de 25 millions d’exemplaires dans le monde depuis son premier roman, Skidamarink, en 2001, et 1,7 million de livres rien que pour 2015? On n’est pas là dans un vrai monde où les auteurs se trimballent avec des brouettées d’invendus et de non-publiéson-vous-rappellera, on est dans le monde de Guillaume Musso qui, à bientôt 42 ans, a trouvé the recette pour faire lire et faire vendre ses polars (le dernier, sorti le 24 mars, s’intitule la Fille de Brooklyn) tout à fait acceptables et lisibles. Si on aime un peu les clichés mêlés à une intrigue forcément «haletante», des histoires d’amour hyperémouvantes avec de belles métisses aux yeux verts, et un zeste de surnaturel (comme chez Marc Levy, mais fous-nous la paix avec Marc Levy). Sauve-moi (2005), Seras-tu là ? (2006), Parce que je t’aime, (2007), Je reviens te chercher (2008), Que serais-je sans toi ? (2009), la Fille de papier (2010), l’Appel de l’ange (2011), 7 ans après (2012), Demain (2013), Central Park (2014) et l’Instant présent (2015) : du rythme, de l’ambiance un peu téléfilmloukoum de M6, des tartinades de bon sens et d’amour fou, en plus c’est écrit gros, c’est parfait pour la plage. 1 Et si c’était vrai ? Musso le dit avec sincérité: il écrit les livres qu’il aimerait lire, «j’ai toujours pour habitude d’écrire le roman que j’aimerais lire», explique l’auteur (à l’Express), ajoutant avoir voulu «mettre l’intensité du récit au premier plan, en le conjuguant à des personnages complexes et à une intrigue suffisamment dense et charpentée pour se déployer avec suspense sur cinq cents pages». Au moins il a une haute idée de ce qu’il fait, soit une intrigue qu’on ne dévoilera pas, parce que déjà c’est laborieux, alors si c’est spoilé en plus, merci bien. 2 Et après ? Après, il y a l’étude des personnages. Un ex-flic de la BRB bourru, une directrice de pensionnat qui fait forcément penser à Delphine Seyrig, un pied-noir à chaîne en or, etc. Et évidemment, ce que Musso connaît le mieux, en tête de gondole de l’opus: l’écrivain à succès qui sort un roman par an, et qui a été vendeur de glaces en Amérique, une expérience apparemment marquante. Le tout parsemé de piques du genre «c’est fou comme les gens détestent les journalistes, alors qu’ils aiment plutôt bien les romanciers». Voilà qui parle à tout le monde. 3 Que serais-je sans toi ? Oui, que serais-je, sans toutes ces citations de Flaubert, d’Ana- tole France, d’Apollinaire. Sans ces phrases comme «sa silhouette poudroyait dans les particules dorées de cette fin d’été» ou encore un définitif «la vie était une vraie salope. Lors de la distribution des cartes, elle servait à certains un jeu trop difficile à jouer». Voire, très en forme, «mon corps fut transpercé de mille flèches glacées qui me paralysèrent». Surtout, ce qui est merveilleux, ce sont ces petites phrases qui montrent la supériorité de l’écrivain sur le reste du monde, avec un V-Effekt très brechtien: on lui demande s’il a «un stylo»? Il répond en voix off, sans coup férir, «drôle de question pour un écrivain». Humour, humour. Et celui-là, sur le piednoir que «si j’en avais fait un personnage de roman, on aurait hurlé à la caricature». Habile, ça, très habile. C’est Musso, ça : une boîte à outils qui est une machine de guerre. • GUILLAUME MUSSO LA FILLE DE BROOKLYN XO Editions, 470 pp., 21,90 €. Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 CARNET D’ÉCHECS a la tele ce SAMEDI TF1 FRANCE 5 NT1 20h55. The voice. La plus belle voix. Divertissement. 23h20. The voice. La suite. Divertissement. 20h40. Échappées belles. Magazine. Sainte Lucie et la Barbade. 22h10. Échappées belles. Magazine. Birmanie, un nouveau départ. 20h55. Chroniques criminelles. Magazine. Affaire Chabert : une disparition mystérieuse / 25 ans pour connaître la vérité / Meurtre à Hollywood. 22h45. Chroniques criminelles. Magazine. FRANCE 2 21h00. Tous au Lido pour le Sidaction. Divertissement. 23h15. On n’est pas couché. Divertissement. FRANCE 3 20h55. Mongeville. Téléfilm. Légende vivante. Avec : Francis Perrin, Gaelle Bona. 22h35. Soir 3. 22h55. Le général du roi. Téléfilm. CANAL + 20h55. Enfant 44. Thriller. Avec : Tom Hardy, Noomi Rapace. 23h10. Le supplément interdit. Magazine. PARIS PREMIÈRE 20h45. À gauche en sortant de l’ascenseur. Spectacle. Avec : Stéphane Plaza, Yannik Mazzilli. 22h30. Le bonheur. Spectacle. Avec : Marie-Anne Chazel, Sam Karmann. TMC 20h55. 90’ Enquêtes. Magazine. Délits, trafics, maisons closes : alerte à la frontière belge !. 22h35. New York Section Criminelle. Série. W9 ARTE 20h50. The queen. Documentaire. 22h20. Les aïeux de la Queen. Documentaire. L’union des SaxeCobourg avec le pouvoir. M6 20h55. Hawaii 5-0. Série. Na Kame Hele. Piko Pau ‘iole. Pe’epe’e Kanaka. 23h35. Hawaii 5-0. Série. FRANCE 4 20h50. Le clan des vikings. Téléfilm. Avec : Harry Lister Smith, Jenny Boyd. 22h30. À la poursuite de la chambre d’Ambre. Téléfilm. Avec : Kai Wiesinger, Sonja Gerhardt. 20h55. Les Simpson. Jeunesse. Lisa a la meilleure note. Touche pas à mon rein. Homer garde du corps. Noël d’enfer. Simpsonnerie chantante. 22h55. Les Simpson. Jeunesse. NRJ12 20h55. Code ennemi. Téléfilm. Avec : John Cusack, Malin Akerman. 22h50. Piégés. Téléfilm. Avec : Billy Bob Thornton, James Marsden. D8 21h00. Le grand bêtisier de Pâques. Divertissement. 23h10. Génération Canal+. Divertissement. D17 20h50. Le zap. Divertissement. 23h30. Enquête très spéciale. Magazine. HD1 20h50. Les experts : Manhattan. Série. Scandales à la clé. Taxi driver. Madame X. 23h20. Section de recherches. Série. 6 TER 20h55. Le convoi de l’extrême : l’hiver de tous les dangers. Divertissement. 3 épisodes. 22h35. Le convoi de l’extrême : l’hiver de tous les dangers. CHÉRIE 25 20h55. Le secret du vol 353 1/2. Téléfilm. Avec : Billy Zane, Gloria Reuben. 22h35. Le secret du vol 353 - 2/2. Téléfilm. NUMÉRO 23 20h50. Face au crime. Série. La lycéenne et le tueur en série. Qui a tué la réceptionniste. 23h00. Phénomène paranormal. Série. LCP 21h00. Bibliothèque Medicis. Magazine. 22h00. Samedi soir dimanche matin - Le face-àface. 22h08. Bassin miné. a la tele DIMANCHE TF1 20h55. Les visiteurs. Comédie. Avec : Marie-Anne Chazel, Jean Reno. 23h00. Esprits criminels. Série. FRANCE 2 20h55. Tellement proches. Comédie. Avec : Vincent Elbaz, Isabelle Carré. 22h35. Faites entrer l’accusé. Magazine. Jeanette O’Keefe, la mort au rendez vous. FRANCE 3 20h55. Les enquêtes de Morse. Téléfilm. Le pays de cocagne. Avec : Shaun Evans, Anton Lesser. 22h25. Les enquêtes de Morse. Téléfilm. Nocturne. CANAL + 21h00. Football : Lorient / Lyon. Sport. 32e journée - Ligue 1. 22h55. Canal football club le débrief. Sport. ARTE 20h45. Le dictateur. Comédie dramatique. Avec : Charles Chaplin, Jack Oakie. 22h45. La naissance de Charlot. Documentaire. M6 20h55. Capital. Magazine. Travail en famille : ils ont le business dans le sang !. 23h00. Enquête exclusive. Magazine. Enfants migrants : prêts à tout pour vivre le rêve américain. FRANCE 4 20h50. Malabar Princess. Comédie dramatique. Avec : Jacques Villeret, Jules-Angelo Bigarnet. 22h20. Good bye Lenin !. Comédie. Avec : Daniel Brühl, Katrin Saß. FRANCE 5 20h40. Manger plus pour se nourrir moins. Documentaire. 21h30. Obésité, la médecine dans la balance. PARIS PREMIÈRE 20h45. Heavy water war : les soldats de l’ombre. Série. Épisodes 5 & 6. Avec : Espen Klouman Høiner, Christoph Bach. 22h30. 39-45 : le monde en guerre. Documentaire. TMC 20h55. Les experts : Miami. Série. Défilé électrique. Dernières vacances. 22h45. Les experts : Miami. Série. W9 20h55. Source code. ScienceFiction. Avec : Jake Gyllenhaal, Michelle Monaghan. 22h25. Les fils du vent. Film. NRJ12 20h55. SOS ma famille a besoin d’aide. Magazine. SOS de Jordan et Patricia. 22h20. SOS ma famille a besoin d’aide. Magazine. D8 21h00. Signes. Fantastique. Avec : Mel Gibson, Joaquin Phoenix. 23h00. Jumper. Film. u 49 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe NT1 20h55. Miss FBI : divinement armée. Comédie. Avec : Sandra Bullock, Regina King. 23h05. Bachelor, le gentleman célibataire. D17 20h50. Chicago Fire. Série. Une journée noire. Le jour J. Pas de répit pour les braves. 23h20. Les filles de l’ambassadeur. Téléfilm. HD1 20h50. La mort dans la peau. Thriller. Avec : Matt Damon, Franka Potente. 22h45. La pmémoire dans la peau. Film. 6 TER 20h55. Willow. Fantastique. Avec : Warwick Davis, Val Kilmer. 23h00. Storage Wars : enchères surprises. Série. CHÉRIE 25 20h55. Diane femme flic. Série. Jeune fille en crise. 22h45. Diane femme flic. Série. L’apprenti. NUMÉRO 23 20h55. Complots. Thriller. Avec : Julia Roberts, Mel Gibson. 23h15. Le secret de Brokeback Mountain. Film. LCP 20h30. Garde à vue. Policier. Avec : Lino Ventura, Michel Serrault. 21h00. Débat - Les Français aiment-ils leurs flics ?. 22h30. Transportez-moi !. Sergueï Kariakine, enfant prodige, a dû attendre ses 26 ans pour enfin sortir de l’ombre. Classé à plus de 2700 Elo depuis 2008, il se situait aux alentours de la 15e place mondiale. Rien ne présageait donc une domination aussi écrasante sur le tournoi des candidats. Il marque pourtant 8,5 points sur 14 possibles, soit une performance stratosphérique de 2860! Dix points de plus que le classement de Magnus Carlsen, l’actuel champion du monde. Kariakine s’offre ainsi le droit de rencontrer Carlsen, titre en jeu (un match en 12 rondes doté d’un million d’euros). Le suspense a duré jusqu’au bout: Kariakine, avec les blancs, était opposé à Fabio Caruano. Tous les deux affichaient 7,5 points au compteur. Caruano choisissait une ouverture tranchante où le moindre impair peut coûter la défaite à un camp comme à l’autre. Mais c’est lui qui va commettre la première faute (il vient de jouer Tour e4 dans la position du jour)… Né lui aussi en 1990, Carlsen survole les échecs depuis 2009, année durant laquelle il passe la barre mythique des 2 800. Alors numéro 1 mondial, il bat Viswanathan Anand en 2013 et s’empare du titre mondial. www.liberation.fr 23, rue de Châteaudun 75009 Paris tél.: 01 42 76 17 89 Edité par la SARL Libération SARL au capital de 15 560 250 €. 23, rue de Châteaudun 75009 Paris RCS Paris: 382.028.199 Durée: 50 ans à compter du 3 juin 1991. Associés: SA investissements Presse au capital de 18 098 355 € et Presse Media Participations SAS au capital de 2 532 €. Cogérants Laurent Joffrin Marc Laufer Directeur opérationnel Pierre Fraidenraich Directeur de la publication et de la rédaction Laurent Joffrin Directeur en charge des Editions Johan Hufnagel Directeurs adjoints de la rédaction Stéphanie Aubert David Carzon Alexandra Schwartzbrod Rédacteurs en chef Christophe Boulard (tech.), Sabrina Champenois (Next), Guillaume Launay (web). Directeur artistique Alain Blaise Rédacteurs en chef adjoints Michel Becquembois (édition), Grégoire Biseau (France), Lionel Charrier (photo), Cécile Daumas (idées), Jean Christophe Féraud (futurs), Elisabeth Franck-Dumas (culture), Didier Péron (culture), Marc Semo (monde), Sibylle Vincendon et Fabrice Drouzy (spéciaux). Directeur administratif et financier Grégoire de Vaissière Directrice Marketing et Développement Valérie Bruschini Service commercial [email protected] Avec les Blancs, Sergueï Kariakine, trouve le chemin de la victoire et par le même coup celui du championnat du monde. Solution de la semaine dernière : Cxg6, Ce6 ; Ce7+ , Rh8 ; Dg7+, Cxg7 ; fxg7 Txg7 ; hxg7 Mat !. ◗ SUDOKU 3005 MOYEN 9 Team Media 25, avenue Michelet 93405 Saint-Ouen cedex tél.: 01 40 10 53 04 [email protected] Petites annonces. Carnet IMPRESSION Midi Print (Gallargues) POP (La Courneuve) Nancy Print (Jarville) CILA (Nantes) Imprimé en France Membre de OJD-Diffusion Contrôle. CPPP: 1115C 80064. ISSN 0335-1793. 7 7 ◗ SUDOKU 3005 DIFFICILE 8 8 4 6 5 9 6 1 9 8 3 1 5 2 3 3 2 8 8 8 4 2 5 6 1 2 4 6 5 8 2 7 9 3 2 9 7 1 5 6 3 7 5 6 8 9 1 2 1 5 3 6 7 8 4 9 2 5 8 9 1 2 4 3 7 7 2 4 5 9 1 6 8 3 9 1 2 3 7 4 5 6 8 8 6 9 2 3 4 1 7 5 2 3 6 1 4 9 7 8 5 2 3 1 8 4 5 9 6 7 1 7 9 6 8 5 3 2 4 9 8 5 1 6 7 2 3 4 4 8 5 7 2 3 6 9 1 4 7 6 3 2 9 5 1 8 5 6 1 8 9 7 2 4 3 3 4 2 9 8 6 7 5 1 7 9 4 2 3 1 8 5 6 5 9 7 4 1 3 8 2 6 8 2 3 4 5 6 1 7 9 6 1 8 7 5 2 3 4 9 Solutions des grilles d’hier ON S’EN GRILLE UNE? 2 3 4 II III IV V VI VII VIII IX X XI Grille n°258 6 2 9 SUDOKU 3004 DIFFICILE 4 6 1 5 6 4 3 I 4 1 7 SUDOKU 3004 MOYEN ABONNEMENTS [email protected] abonnements.liberation.fr tarif abonnement 1 an France métropolitaine: 391€ tél.: 01 55 56 71 40 PUBLICITÉ Directeur général de Libération Médias Jean-Michel Lopes tél. : 01 44 78 30 18 Libération Medias. 23, rue de Châteaudun, 75009 Paris - tél.: 01 44 78 30 67 Par PIERRE GRAVAGNA 5 6 7 8 9 Par GAËTAN GORON HORIZONTALEMENT I. Pratique dangereuse qui laisse des traces II. Vainqueur du dernier Tour d’Espagne ; Alternative au pétrole III. Il fait voyager des moustachus ; On en fait une forme d’être IV. Il pratique un rugby avec moins de contacts et plus d’espace V. Il est déterminant ; Corneille est son père, Pompée son grand-père VI. Il est vital pour justifier l’injustifiable; Musique de film VII. Commun à Callas et Kennedy VIII. Unité centrale ; Il divise les musulmans IX. Avec elle, pas de problème pour se nourrir X. Grande ville du nord de l’Europe ; Trié n’importe comment XI. Elles sont en compétition La responsabilité du journal ne saurait être engagée en cas de nonrestitution de documents. Pour joindre un journaliste par mail : initiale du pré[email protected] VERTICALEMENT 1. Ils surviennent lorsque les nausées abondent 2. D’aucuns y font une sacrée entrée ; Avec à Rome 3. Mouvement de foule ; Il fait front face au mal 4. Ferai de sarcastiques bruits de bouche 5. Quand on pince sans rire mais en jouant tout de même 6. Ad hoc ; ViIle de rugby 7. Réfléchi ; Un peu d’étain ; Lieu de passage et de passeurs 8. Si elle est importante, l’expérience est facilitée 9. Langue européenne ; Ils ne se cultivent pas hors saules Libération est une publication du Groupe PMP Directeur général Pierre Fraidenraich Directrice Marketing et Développement Valérie Bruschini Solutions de la grille d’hier Horizontalement I. CACOCHYME. II. ENVOLA IS. III. ST. SILANT. IV. SIR. PLIAI. V. ÉDAM. UNIV. VI. ZODIAC. SA. VII. LUISAIS. VIII. ÉLÉE. NABI. IX. FEU. MÉTÉO. X. EUSCARIEN. XI. URÉES. ERS. Verticalement 1. CESSEZ-LE-FEU. 2. ANTIDOULEUR. 3. CV. RADIEUSE. 4. OOS. MISE. CE. 5. CLIP. AA. MAS. 6. HALLUCINER. 7. AIN. SATIE. 8. MINAIS. BÉER. 9. ESTIVATIONS. 50 u Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 JEANPIERRE PERRIN Envoyé spécial à Beaune, Belleville et Vinzelles Photos CLAIRE JACHYMIAK Maison Drouhin La a le vin en poupe Si l’entreprise familiale, façonnée à l’ombre des Hospices de Beaune, possède quelques-unes des appellations les plus prisées de Bourgogne, elle ne cesse de s’étendre: du Beaujolais voisin à la lointaine Amérique. I l se trompe, Philippe Sollers, quand il mitraille à vue le bourgogne avec une telle puissance folliculaire que l’on dirait des rafales de 12,7. Tout à la défense de son Bordelais natal dont il vante l’ouverture au grand large, le romancier accuse son illustre concurrent d’être «trop sanguin», de «l’ordre de la sauce» et le miroir d’une «fermeture hexagonale», soit une France continentale, centrée, «centrique», «pétainiste», «reproduction sans cesse de l’esprit paysan de collaboration» (1). Si on l’a bien compris, les grands crus du Borde- lais seraient donc résistants et collabos les climats (terroirs) de Bourgogne. Sauf que ça ne colle pas : le maire de Bordeaux Adrien Marquet fut un serviteur zélé de l’Allemagne nazie –et ministre de l’Intérieur de Pétain et Laval– quand le maire de Dijon de l’époque, le chanoine Kir, père spirituel de la célèbre boisson qui porte son nom, fut un héros de la Résistance, sauva la synagogue de la ville et manqua mourir sous les balles de la Milice. Legs. A Beaune (Côte-d’Or), Véronique et Frédéric Drouhin, héritiers avec leurs deux autres frères de la maison du même nom, ont un autre récit sur cette époque. Cette fois, il concerne leur famille et commence rue d’Enfer, dans le lacis des étonnantes caves des XIII e , XIV e et XVe siècles. Là, dans un recoin, non loin des barriques alignées comme les régiments du 14 Juillet, on distingue une vieille porte noirâtre. Elle ouvre sur un passage secret. C’est par ce chemin que leur grandpère, Maurice Drouhin, s’est sauvé en 1944, la Gestapo aux trousses. Ce n’était pas la première fois qu’elle venait l’arrêter. En 1941, il avait déjà été embastillé à Fresnes (Val-de- maisons de retraite et d’un monuMarne) pour faits de résistance. Le ment historique, le célèbre Hôteltribunal l’avait libéré l’année sui- Dieu datant du XVe siècle– d’un dovante. Une clémence qu’il devait à maine vinicole de 61 hectares, consun soldat allemand, un fantassin titué des meilleures appellations de qu’il avait sauvé le 11 mars 1915. Bourgogne. Toutes les vignes proL’homme gisait blessé dans le no viennent de legs et de donations. man’s land, et le négociant, alors of- Leur production est commercialificier, s’était avancé jusqu’à la tran- sée chaque année aux enchères, le chée ennemie pour garantir à ses troisième dimanche de novembre, camarades une trêve s’ils venaient dans le cadre de la vente de charité le chercher. la plus célèbre du monde. Ce n’est peut-être pas la seule raison Par ailleurs, le même grand-père se de sa libération: il connaissait aussi verra aussi confier la gestion de plud’avant-guerre le Weinführer, sieurs autres hospices de l’est de la Adolph Segnitz, chargé de supervi- France, dont celui de Belleville ser les vignobles français pour le (Rhône), dans le Beaujolais. Cincompte des dignitaires nazis. Qu’im- quante ans plus tard, ce sont les viporte ! Ce qui compte, c’est qu’en gnes de cet hôtel-Dieu –créé en 1733 1944, lors de sa cavale, Maurice pour soigner aussi les malades les Drouhin put trouver refuge aux Hos- plus pauvres et devenu depuis étapices civils de Beaune, où la sœur blissement public– que les héritiers supérieure Germaine de Maurice Drouhin et quelques autres reprennent. «Un Dijon frangines le planquerapprochement qui CÔTED’OR ront pendant six prend l’allure d’une CÔTESCÔTE mois, jusqu’à l’arridestinée. Une façon DE DE-NUIT NUITS vée des Alliés, en pour nous de marseptembre 1944. cher dans les pas de Beaune «Pour témoigner de notre grand-père et CÔTESCÔTE sa reconnaissance d’assumer à notre DE-BEAUNE DE BEAUNE aux Hospices qui tour la gestion de CÔTECÔTE l’ont sauvé, mon cette œuvre caritaCHALONNAISE grand-père leur a tive», souligne FréChalondonné deux hectares déric Drouhin, le sur-Saône SAÔNEet demi de vignes, et PDG de l’entreprise ET-LOIRE décidé de leur consafamiliale. crer, comme admiCe n’est pas la preMÂCONNAIS nistrateur bénévole, mière fois que la une journée par sequatrième généraVinzelles Mâcon maine», raconte Vétion de la vieille ronique Drouhin, maison beaunoise AIN l’œnologue de la créée en 1880, célèmaison. bre pour son mythiBelleville BEAUJOLAIS L’originalité de ces que clos-des-mouVillefranchehospices, vieille insches (en rouge et en sur-Saône titution fondée en blanc) et ses deux 1443, c’est qu’ils disféaux que sont bonRHÔNE posent – outre d’un nes-mares et bâtardLYON 10 km hôpital général, de montrachet, se risSaô ne FOOD/ Par Libération Samedi 2 et Dimanche 3 Avril 2016 u 51 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe ROND DE SERVIETTE A gauche, le mythique Clos des Mouches, premier cru rouge et blanc produit sur la commune de Beaune. Au centre, Véronique et Frédéric Drouhin, deux des quatre héritiers qui possèdent encore l’entreprise familiale. A droite, la cave de la Maison Drouhin, à Beaune. que hors du périmètre sacré des premiers et grands crus. Ils représentent les deux tiers de ses 73 hectares dans la côte de Nuits, côte de Beaune, côte chalonnaise et chablisien. Elle a ainsi tenté l’aventure du Nouveau Monde, faisant un grand écart de 8 500 km entre Beaune et l’Oregon (côte ouest des EtatsUnis). Elle y a acquis le Roserock Vineyard, soit 150 hectares, où l’on retrouve les deux cépages rois du bourgogne: pinot noir et chardonnay. Pour une bonne raison, les Dundee Hills et Beaune sont situés le long du 45e parallèle, «la latitude idéale des grands vins du monde» (2). Jolie robe. Parallèlement, cette quatrième génération a fait le pari, dans sa stratégie d’expansion, de rester proche des vignerons, d’adopter la viticulture biologique et de contribuer à la renaissance des terroirs traditionnels. Avec des incursions dans le Mâconnais, puis le Beaujolais, extensions logiques de la grande Bourgogne, mais que celle-ci a souvent regardées de haut dans le passé. Aujourd’hui, le sud de la région, c’est la pente naturelle des grandes maisons bourguignonnes: elles ont besoin de s’étendre, ont du savoir-faire et des moyens alors que celles du Beaujolais manquent d’argent. La maison Drouhin possède ainsi, près de ses vignes de pouilly-fuissé (Saône-et-Loire), le mâcon-bussières-les-clos, un blanc issu de rendements assez faibles, ce qui permet aux raisins de développer les nuances propres à chaque parcelle, avec une jolie robe jaune claire, des notes minérales et de fleurs blanches. Pour un prix raisonnable: 13 euros. A 10 kilomètres au sud-ouest de Mâcon, on trouve aussi l’appellation de pouilly-vinzelles, souvent razziée par le fléau de la grêle. Peu connu malgré ses origines romaines, beaucoup moins célèbre que ses voisins de pouilly-fuissé mais moins cher, c’est un vin typique de terroir. Il est gras, puissant, avec des arômes de noisettes fraîches et d’amandes grillées, puis une belle tenue en bouche. La propriété est familiale, la maison Drouhin s’occupant, outre la commercialisation, de sa vinification et de conseiller les exploitants. A l’occasion d’une balade dans la région, il faut aller se perdre au gré de petites routes serpentines bordées de murets qui ne sont plus guère entretenus. Un château surveille le vignoble planté sur un coteau escarpé, à côté des vestiges d’une place forte du XIe siècle, vieil aigle déplumé par les années et les guerres. «Je n’ai ja- A boire et à voir n L’Hôtel-Dieu de Belleville est devenu un musée de la médecine des pauvres d’autrefois. Ce n’est pas une collection d’instruments de torture, mais bien de médecine qui est présentée dans les vitrines. Belle apothicairerie. Ouvert du mardi au samedi. Toute la semaine en été. n Le château de Vinzelles se visite en juillet et août tous les jours de 14 à 19 heures (fermeture le lundi) et lors des Journées du patrimoine. n Le mont Brouilly avec sa célèbre chapelle dédiée à Notre-Dame-aux-Raisins, dont la silhouette s’aperçoit de loin, est l’un des plus beaux paysages viticoles du monde. n Les caves de la Maison Drouhin, au 7, rue d’Enfer, à Beaune, peuvent se visiter sur demande. mais vu un château dont les murs parlent autant», s’exclame Frédéric Drouhin. On n’en sait pas beaucoup sur son histoire : ses archives ont brûlé pendant la Révolution. Apothicairerie. Le nouveau partenariat exclusif signé avec les Hospices de Belleville apporte au patrimoine de la maison Drouhin 14 hectares issus de ce domaine dans trois crus: fleurie (43000 bouteilles), brouilly (14400) et morgon (12500). Le cépage est le gamay noir à jus blanc, typique du Beaujolais. La première vendange à la main a été faite en 2014. «Les vignes ont fait l’objet d’un audit afin de mieux identifier et comprendre chacune des parcelles. Il s’agit d’être au plus près de la plante. Pour sortir par le haut, il faut jouer la carte des terroirs», souligne Frédéric Drouhin. Les bouteilles de ces crus sont soignées, avec des étiquettes qui s’inspirent des vases d’onguent de l’apothicairerie de l’ancien Hôtel-Dieu de Belleville. Des trois crus (vendus entre 13 et 15 euros), notre préférence va à l’élégance assez austère du fleurie. Bien sûr, il y a un monde, et même plusieurs, entre ces vins et les premiers ou grands crus de la maison Drouhin. Mais, à l’heure où ces derniers deviennent de plus en plus inabordables (un clos-des-mouches 2011 en rouge coûte près de 80 euros), ils sont une bonne entrée en matière et réconcilient avec les beaujolais. Ils sont aussi une initiation au terroir, dont le géographe Roger Dion écrivait qu’il est «le résultat d’une victoire chèrement acquise et non pas la réponse aux invites d’une nature bienveillante». • (1) Fugues, de Phillipe Sollers, éditions Gallimard, «Folio», 1 312 pp., 14 €. (2) La Magie du 45e parallèle : latitude des grands vins, d’Olivier Bernard et Thierry Dussard, éditions Féret, 160 pp., 20 €. Mensae, lauréat parce qu’il le vaut bien Par ELVIRE VON BARDELEBEN C e coin-là de Paris n’est pas encore très fréquenté par les gourmands : en haut d’une butte (Chaumont), un peu excentrée (métro Pyrénées), dans une rue (Mélingue) silencieuse, se trouve l’enseigne fraîchement récompensée par le guide Lebey des bistrots dans son édition 2016. Mensae, ouvert fin octobre, propose une cuisine savoureuse et simple, mais pas dénuée de fantaisie. Quelques jours avant la parution du guide des bistrots en librairie (mercredi) et le relooking nécessaire de son site, Lebey conviait la presse à un déjeuner où le chef de Mensae, Kévin D’Andréa (24 ans), montrait l’étendue de son talent : œuf réellement parfait où le blanc est rebondi et le jaune, comme un petit fleuve, se fraie un chemin dans une mayonnaise vaporeuse à l’huile d’olive fruitée, coiffée d’asperges ; puis un civet de joue de porc si tendre qu’on dirait un bonbon, avec une polenta et un jus de viande qui réchauffe; enfin, un dessert plus complexe, à base de mousse au chocolat tiède, au praliné et au cacao, avec une glace vanille et une écume de lait. Ce dernier mets, d’un raffinement surprenant, est un classique de la carte, qui donne fort envie de revenir lorsqu’on égrène les intitulés sobres mais prometteurs: terrine de foies de volaille, pickles de légumes (13€), ravioles d’escargot et noix, bouillon d’aïoli (15€), chipirons à la basquaise (14€), pluma de cochon ibérique, pommes grenaille confites, jus court (23€)… En récompensant Mensae, le guide fait preuve d’une belle Kévin D’Andréa de Mensae. PHOTO PIERRE OLIVIER. M6 constance : le bistrot est tenu par deux anciens finalistes de Top Chef, Kévin D’Andréa donc, et Thibault Sombardier, qui gère la boutique ainsi qu’Antoine, son restaurant de poisson étoilé dans le XVIe arrondissement de Paris. L’an dernier, Lebey avait sacré A Noste, le bistrot, situé dans le IIe arrondissement, d’un autre candidat Top Chef, Julien Duboué. Pas d’ostracisme cathodique donc, et tant mieux. Soixante-cinq adresses ont été ajoutées cette année, et, ô joie, elles ne sont pas toutes sises dans le XIe arrondissement. Certaines sont en banlieue (waou!), d’autres dans des plaines sciemment désertées par les restaurateurs branchés telles que la Rive gauche –les Enfants gâtés, un des prétendants au prix du meilleur bistrot de l’année se trouve d’ailleurs du côté de Denfert-Rochereau : «Jolie cuisine bistrotière avec plats construits […], attentifs aux textures, très esthétiques sans chichi. Excellent pain.» Voilà une base sur laquelle on pourrait s’entendre. • Mensae, 23, rue Mélingue (75019). Rens. : 01 53 19 80 98. COUP DE CŒUR Saucer vraiment toi La vie serait un brouet clair et insipide sans le plaisir de saucer. Et que je fais trempette dans la blanquette; que tu mouillettes dans l’œuf coque ; que nous dégustons le fond du bourguignon. Le tout avec des lichettes de pain aussi imbibées qu’une fin de cordée à Pigalle. On tutoie le sublime quand on sauce, comme l’évoque si finement Mayalen Zubillaga dans l’Art de saucer : « C’est une pulsion primitive, une manière instinctive de goûter le monde», écrit cette native de Marseille, «où l’on sauce énormément». Nous voilà donc à récurer en pensée notre assiette en songeant à ses «pieds et paquets presque comme à Marseille», à ses «œufs au purgatoire» et à ses autres recettes de jus idéaux à saucer. J.D. «L’Art de saucer», de Mayalen Zubillaga, éd. de l’épure, 120 pp., 10 €. ! Aujourd’hui, en France, presque tous les enfants vont à l’école. Ça paraît normal, mais pendant des centaines d’années, ils ont travaillé douze heures par jour et ils étaient moins bien payés que des adultes. Ce n’est qu’au XIXe (19e) siècle que les hommes politiques ont décidé de changer les choses, afin de préserver la santé des enfants. Il y a 175 ans, en 1841, une loi a été votée pour interdire le travail aux enfants de moins de 8 ans. Puis la limite est passée à 12 ans. Mais les choses ont vraiment changé quand, au lieu d’interdire aux enfants de travailler, on les a obligés à s’instruire, c’est-à-dire à apprendre la lecture et l’écriture, la géographie et l’histoire de France, les mathématiques, la gymnastique… Le ministre Jules Ferry a créé une loi pour ça, en 1882. L’école est devenue obligatoire pour tous les enfants âgés de 6 à 13 ans. Aujourd’hui, on est obligé de suivre un enseignement jusqu’à 16 ans. Ce sont les parents qui décident s’ils veu- LE P'TIT LIBÉ lent leur donner des cours eux-mêmes, à la maison, ou payer des professeurs particuliers. Ou alors, comme la majorité, ils peuvent envoyer leurs enfants à l’école. Mais que ce soit à l’école ou chez soi, il est obligatoire de suivre des cours, dans différentes matières et avec un programme précis. Il existe des écoles privées, qui sont payantes. Mais pour que tout le monde puisse avoir une éducation, même les enfants pauvres, Jules Ferry a aussi décidé, en 1881, qu’il y aurait des écoles gratuites. Comme ça, pas d’excuse. Pour que les enfants se sentent bien à l’école et ne soient pas trop fatigués, il existe des règles sur leurs conditions de travail, comme pour les adultes. C’est le ministère de l’Education nationale qui les choisit. Par exemple, en 2016, un élève de primaire travaille 24 heures par semaine et a 16 semaines de vacances par an. Si les enfants ne sont pas satisfaits de leurs conditions de travail, ils peuvent râler, mais ils n’ont pas le droit de faire grève, ni de manifester. Ils peuvent compter sur leurs professeurs et même leurs parents pour se faire entendre quand le gouvernement veut changer des choses qui ne leur plaisent pas, comme c’était le cas il y a deux ans avec la réforme des rythmes scolaires. Avant 2013, la plupart des élèves allaient à l’école quatre jours par semaine : lundi, mardi, jeudi et vendredi. Maintenant, ils doivent aussi y aller le mercredi ou le samedi matin, et en échange ils finissent plus tôt. Il y a eu beaucoup de manifestations de professeurs pour protester contre ce changement. Y a-t-il une «loi travail» pour les enfants ? Des enfants travaillent dans une fabrique de tissus, au XIXe siècle. PHOTO RUE DES ARCHIVES. CCI 8 Quelles ont été les autres grandes mobilisations ? Comment fonctionne une entreprise ? Y a-t-il une «loi travail» pour les enfants ? Qu’a proposé le gouvernement ? Concept : Cécile Bourgneuf, Emilie Coquard, Sophie Gindensperger et Elsa Maudet. Rédaction : Cécile Bourgneuf, Maïté Darnault, Camille Gévaudan et Elsa Maudet. Graphisme et illustrations : Emilie Coquard Maquette : Laurianne Folinais Pourquoi parle-t-on de cette loi ? Le témoignage de Natacha, élève en terminale N°8 LA LOI TRAVAIL SAMEDI 2 AVRIL 2016 ! 2 LE P'TIT LIBÉ belles et des barrières devant la grille de l’école. Certains élèves ont tout de même voulu entrer, mais ceux qui bloquaient leur ont crié dessus. Ils sont passés en baissant la tête et ils ont fini par accéder au lycée par une autre porte. Vers 10 h 30, des élèves de deux autres lycées de Chambéry sont venus rejoindre le blocage, devant la grille. Tout le monde était assis par terre, des phrases étaient écrites sur des affiches, un porte-parole les criait dans un mégaphone (un objet qui permet d’augmenter le son de la voix). Des journalistes de France 3 sont venus filmer les lycéens. Natacha ne sait pas si elle est pour ou contre la manifestation, mais elle est restée pour voir ce qui se passait. Le lendemain, le jeudi, elle est allée en cours normalement. Chambéry, ville de Natacha LE TÉMOIGNAGE DE NATACHA, ÉLÈVE EN TERMINALE Natacha a 18 ans, elle est en terminale et elle habite à Chambéry, en Savoie. Le mercredi 9 mars, des élèves ont bloqué son lycée pour montrer qu’ils n’étaient pas d’accord avec une loi que le gouvernement (les ministres) propose, qui doit modifier l’organisation du travail dans les entreprises. Les lycéens sont encore à l’école mais ils travailleront dans quelques années, donc certains sont inquiets. Natacha n’a pas participé à l’organisation du blocage, mais le jour précédent, le mardi, elle a entendu dire que des élèves s’étaient réunis pour décider, en votant à main levée, d’empêcher les gens d’entrer dans l’établissement. Ils ont ensuite prévenu les professeurs et le proviseur, qui est le chef du lycée. Quand Natacha est arrivée le mercredi, un peu avant 8 heures, il y avait de grosses pou- Note de la rédaction: jeudi, environ 400000 personnes ont de nouveau manifesté contre le projet de loi travail un peu partout en France. SAMEDI 2 AVRIL 2016 Des ouvriers des usines Renault manifestent à Paris en mai 1968. PHOTO JANINE NIEPCE. ROGER-VIOLLET Des travailleurs manifestent en 1995 à Paris contre une proposition du gouvernement de repousser l’âge de départ à la retraite. PHOTO SIMON BUU Des jeunes manifestent contre le contrat première embauche (CPE), à Paris, en 2006. PHOTO BRUNO LEVY POUR L’ÂGE DE LA RETRAITE (1995, 2003, 2010) 7 A partir d’un certain âge (aux alentours de 60 ans), on peut prendre sa retraite. Ça veut dire qu’on arrête de travailler pour toujours, mais qu’on gagne quand même de l’argent. Pour ça, il faut avoir eu un emploi avant parce que, quand on travaille, une partie du salaire que l’entreprise distribue chaque mois est mise de côté exprès pour payer les retraites. Pour recevoir l’argent de la retraite, il faut avoir travaillé un certain nombre d’années et avoir un âge minimum. Plusieurs gouvernements ont voulu obliger les gens à travailler plus longtemps avant d’avoir le droit de recevoir l’argent de la retraite. Ça a notamment été le cas en 1995, en 2003 et en 2010. Ces années-là, des citoyens n’étaient pas d’accord pour travailler plus longtemps, donc ils ont manifesté afin que les gouvernements retirent leurs propositions. En 1995, ce sont les manifestants qui ont obtenu ce qu’ils voulaient. En 2003 et en 2010, ce sont les gouvernements. Aujourd’hui, la plupart des gens doivent avoir travaillé 43 années et avoir au moins 62 ans pour recevoir tout l’argent de la retraite. Si on s’arrête avant ces limites, on reçoit moins d’argent, sauf si on a commencé à travailler très jeune. CONTRE LE CONTRAT DES JEUNES, LE CPE (2006) Le gouvernement a voulu créer un nouveau contrat de travail, qui s’appelait le contrat première embauche, le CPE. Il devait permettre aux patrons de licencier les salariés âgés de moins de 26 ans sans leur expliquer pourquoi, au cours des deux premières années où ils travaillent dans l’entreprise. Les jeunes n’étaient pas d’accord et ont beaucoup manifesté. Finalement, le gouvernement a renoncé à créer le CPE. LE P'TIT LIBÉ Les ouvriers (employés dans les usines, là où on fabrique des voitures, par exemple) voulaient des améliorations de leurs conditions de travail. Pour le faire savoir au gouvernement qui venait d’être élu, ils ont fait grève (ils ont arrêté de travailler). Puis des personnes qui étaient employées dans d’autres types d’entreprises, comme des grands magasins, ont fait de même. Puisqu’il y avait vraiment beaucoup de grévistes (les gens qui font grève), le gouvernement a réuni les représentants des patrons et ceux des ouvriers pour discuter. Ensemble, ils ont trouvé plusieurs solutions, dont : – l’augmentation des salaires ; – la diminution du temps de travail, qui est passé à 40 heures par semaine, au lieu de 48 heures (aujourd’hui, c’est 35 heures) ; – la création des congés payés: les travailleurs ont eu le droit de partir en vacances pendant deux semaines chaque année tout en recevant de l’argent (aujourd’hui, c’est cinq semaines par an). POUR LES CONGÉS PAYÉS (1936) En 1936, des ouvriers font grève en s’amusant et occupent leur usine pour empêcher que d’autres gens travaillent à leur place. PHOTO BHVP. ROGER-VIOLLET. Au mois de mai, il y a eu de nombreuses manifestations en France. Cette période est surnommée «Mai 68». Ce sont d’abord des étudiants qui se sont mobilisés pour critiquer plusieurs choses qui ne leur plaisaient pas dans la société. Puis des ouvriers se sont mis en grève, pour protester contre leur rythme de travail et pour demander à être mieux payés. Des personnes qui travaillaient dans d’autres types d’entreprises ont fait pareil, partout en France. Après ces manifestations, les salaires ont été augmentés. Mais surtout, les syndicats, c’est-à-dire des groupes de gens qui défendent les employés, ont été autorisés dans les entreprises. POUR QU’IL Y AIT DES SYNDICATS DANS LES ENTREPRISES (1968) D’AUTRES GRANDES MOBILISATIONS Ce n’est pas la première fois qu’il y a des manifestations au sujet du travail en France. Les gens se mobilisent parce qu’ils estiment que leurs conditions de travail ne sont pas assez bonnes ou qu’ils ont peur qu’une loi les rende moins bonnes. Parfois, ils obtiennent ce qu’ils veulent, parfois non. 6 3 Il existe des milliers de lois pour dire comment la société doit fonctionner. Elles sont regroupées dans de gros livres qu’on appelle des «codes». Dans le code du travail, on trouve toutes les lois qui concernent le travail. Pour travailler, il faut signer un contrat, c’est-à-dire un accord entre l’employeur (le chef d’entreprise) et l’employé (le salarié) sur le temps de travail (35 heures par semaine, en France), le salaire (l’argent qu’on gagne) et les congés payés (cinq semaines par an au minimum), notamment. Pour éviter que les gens soient trop pauvres, la loi garantit un salaire minimum, qu’on appelle le Smic, de 1 466 euros par mois. S’ils sont malades, les employés ont droit à des congés maladie, durant lesquels ils sont payés. COMMENT FONCTIONNE UNE ENTREPRISE ? Haas, a publié un texte pour demander au gouvernement d’abandonner son projet. Elle a proposé aux gens qui étaient d’accord avec elle de le signer. Ce type de texte s’appelle une pétition. Elle a mobilisé plus d’un million de personnes, un record pour une pétition en ligne. Des jeunes ont posté une vidéo où ils expliquent pourquoi cette loi les inquiète. Ils ont aussi créé un site pour demander aux gens d’y raconter les pires histoires qui leur sont arrivées au travail. Des milliers de personnes ont témoigné sur les réseaux sociaux, comme Twitter et Facebook. Ensuite, les syndicats ont critiqué le texte et appelé à manifester. Face à toutes ces protestations, y compris celle des gens qui sont d’habitude d’accord avec lui, le gouvernement a modifié plusieurs parties de la loi qui étaient critiquées. Mais la plupart des gens qui sont contre trouvent que ça ne suffit pas. POURQUOI PARLE-T-ON DE CETTE LOI ? Depuis la mi-février, des milliers de personnes ont manifesté (elles ont marché dans la rue en groupe pour dénoncer des choses avec lesquelles elles ne sont pas d’accord) partout en France. Elles critiquent la «loi travail», proposée par le gouvernement, qui doit changer plusieurs choses dans les entreprises. Ces gens veulent que le gouvernement l’abandonne, parce qu’ils ont peur, notamment, que les patrons puissent renvoyer plus facilement leurs employés. Parmi les manifestants, il y a des lycéens et des étudiants, des gens qui travaillent, des chômeurs (ils n’ont pas de travail), des syndicats (des groupes de personnes qui défendent les travailleurs ou les élèves) et des hommes et femmes politiques. La mobilisation a d’abord commencé sur Internet. Une militante (une personne qui se bat pour défendre ses idées), Caroline de SAMEDI 2 AVRIL 2016 LE P'TIT LIBÉ QU’A PROPOSÉ LE GOUVERNEMENT ? nement a proposé de fixer de nouvelles règles pour autoriser les licenciements économiques. Les gens qui sont contre le projet de loi travail pensent que ces règles permettraient aux entreprises de faire comme si elles avaient des problèmes d’argent alors que ce n’est pas vrai. Et donc qu’elles pourraient renvoyer des gens au lieu de continuer à les faire travailler. SAMEDI 2 AVRIL 2016 L’ARGENT REÇU QUAND ON N’AURAIT PAS DÛ ÊTRE LICENCIÉ Si une personne qui a perdu son travail pense que son patron n’avait pas le droit de la licencier, elle peut faire appel à un tribunal spécialisé dans les relations entre salariés et patrons : le conseil des prud’hommes. Si le juge estime que cette personne n’aurait effectivement pas dû être licenciée (on parle de licenciement abusif), elle a droit à de l’argent. La loi indique la somme minimum que doit recevoir une personne qui a été victime d’un licenciement abusif. Mais il n’existe pas de maximum. Le gouvernement a proposé de fixer une somme maximum à donner à quelqu’un qui a été licencié de façon abusive. Les opposants à la loi travail ont peur que, s’il existe une somme maximum, les personnes licenciées abusivement reçoivent moins d’argent qu’avant. LES RÈGLES DES DIFFÉRENTS MÉTIERS Les entreprises doivent respecter les règles du code du travail, mais aussi certaines règles qui concernent spécialement leur profession. Ça peut être au sujet du salaire, des horaires de travail et de plein d’autres choses. Prenons l’exemple des vendeurs de glaces. S’ils travaillent plus de 35 heures par semaine, il peuvent par exemple se mettre d’accord pour gagner 3 euros de plus par heure supplémentaire. Ça concernera tous les vendeurs de glaces de France. Leurs patrons ont le droit de les payer plus, mais pas moins. Le gouvernement a proposé de permettre aux entreprises de prendre plus de décisions par elles-mêmes plutôt que ce soit décidé par toute la profession. Ça voudrait dire qu’un vendeur de glaces d’une entreprise pourrait gagner 1 euro de plus par heure supplémentaire alors qu’un vendeur de glaces qui travaille dans une autre entreprise gagnerait 3 euros de plus. Ceux qui critiquent le projet de loi disent que ça provoquera des inégalités entre les gens qui exercent le même métier dans des entreprises différentes. 5 ! ! 4 Le gouvernement pense que certains patrons n’ont pas envie d’employer des gens parce que les règles du code du travail sont trop sévères. C’est pour ça qu’il propose une loi pour le changer. Il espère que ça permettra de faire baisser le chômage. Mais ceux qui s’opposent au projet de loi travail disent que ça donnerait surtout moins de droits aux travailleurs et plus de pouvoir aux patrons. Voici quelques exemples des changements proposés par le gouvernement qui ont été critiqués. Ça ne veut pas forcément dire qu’ils seront mis en place. LE LICENCIEMENT ÉCONOMIQUE Une entreprise peut renvoyer des salariés si elle ne gagne plus assez d’argent pour les payer ou si elle a peur de ne plus réussir à en gagner suffisamment. On dit alors qu’elle fait des licenciements économiques. Pour en avoir le droit, elle doit prouver qu’elle est vraiment en difficulté ou qu’elle risque de l’être bientôt. Ce sont les juges qui disent si l’entreprise a été sincère ou pas. Le gouver-