al` cole suisse des bonnes manieres

fOUCAT/ON
,
UN PENSIONNAT POUR JEUNES FILLES CHICS DU MONDE ENTIER
Cadre privilégié.
l'école de Surval
est installée dans
un chalet confortable
qui accueille
chaque année une
soixantaine de jeunes '
pensionnaires.
,
,
A L' COLE SUISSE DES BONNES MANIERES
On croyait disparues ces écoles où les jeunes filles
de bonne famille apprenaient à devenir de parfaites
maÎtresses de maison. La pension Surval Mont-Fleuri,
à Montreux, est l'une des dernières institutions
à enseigner cet art un peu d~suet. LAURENCE D'HONDT
S
avez-vous comment onfait un plan de
table à la française?» La question
peut paraître désuète. Certaines ont
même envie de hausser les épaules, bien que
la plupart ne connaissent pas la réponse
exacte. Mais les jeunes filles qui sont là
écoutent attentivement leur professeur.
« Une table dressée à la française place les
maÎtre et maÎtresse de maison ainsi que les
personnes importantes au centre, afin que
la conversation soit menée à partir du milieu
de la table », explique-t-il. «Savez-vous comment on reçoit le cadeau qu'un Chinois vous
fait? », interroge à nouveau le professeur.
Là encore, la question peut sembler sans
intérêt, mais savoir qu'il ne faut jamais
ouvrir le cadeau devant la personne qui vous
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LE MONOE 2 > 30 SEPTEMB RE 2006
l'offre vaut son pesant d'or lorsqu'on sait
ce que le commerce avec la Chine peut
rapporter à ceux qui savent s'y conduire ...
Ces détails de la vie en société ont pour
Surval Mont-Fleuri, une des dernières écoles
où' on les enseigne, toute leur importance.
Le lieu est idyllique: un chalet confortable et
fleuri avec, au rez-de-chaussée, une cuisine
aux vastes plans de travail et une belle salle
à manger, à l'étage, des chambres, et au
sous-sol tout l'outillage moderne nécessaire
à l'entretien de l'école. Dans chaque pièce,
des jeunes filles s'appliquent, certaines
à faire un gâteau, d'autres, un bouquet,
d'autres encore, à retenir les formules de
politesse les plus courantes en français. Bientôt, chacune deviendra la parfaite maîtresse
de maison qu'elle est venue apprendre à être
ici - une jeune femme élégante en même
temps qu'une ménagère avertie.
L'école de Surval, située sur les hauteurs
de Montreux qui surplombent le lac Léman,
est la dernière authentique finishing school
(école de bonnes manières pour jeunes
filles) sous la forme trad ition nelle d' i nternat
en Europe. Au XIX' siècle, les pays européens
possédaient chacun orgueilleusement leur
finishing school - les unes, de tradition
anglaise, axées sur la présentation personnelle, les autres, germaniques, axées davan- .
tage sur la gestion domestique.
Mais lorsque les filles ont commencé
à avoir accès aux universités, ces écoles
ont été progressivement délaissées, car les
jeunes filles ne se pensaient jamais assez
stupides pour se contenter d'une finishing
school... «L'événement qui a signé leur déc/in
a étéMai 68», explique Fritz Sidler, le directeur de l'école de Surval. « Les gens ne
voulaient plus d'éducation autoritaire où l'on
apprend comment il faut se tenir, comment il
faut se conduire avec les autres. C'était cons;déré comme vieux jeu, antidémocratique.»
Dès lors, les écoles ont fermé leurs portes,
les unes après les autres et, s'il en restait
encore une douzaine entre Lausanne et
Bex il y a quinze ans, elles ont presque
toutes disparu aujourd'hui. Dans les pays
francophones, la fermeture des écoles a été
d'autant plus rapide que le français a perdu
l'aura de langue de culture, qui motivait
souvent l'inscription des jeunes filles.
40000 EUROS PAR AN
Aujourd'hui, les jeunes filles qui s'inscrivent à Surval viennent souvent de l'autre
côté du globe, là où des parents soucieux de
l'éducation de leurs filles, et prêts à débourser 40000 euros pour une année, entretiennent encore l' image d'une Europe à l'ancienne - référence en matière de bonnes
manières -, où il serait donc bon de faire
séjourner un temps leur descendance.
eux-mêmes appris le français et ont gardé la
nostalgie de ce qu'il représentait... »
L'origine sociale de ce~ jeunes filles est
donc rarement modeste: les parents sont
souvent des industriels, de riches propriétaires terriens, des diplomates, des politiciens,
autant de métiers q'ui supposent une vie
mondaine et sociale, dans laquelle leurs filles
doivent pouvoir évoluer avec aisance. Les
filles de plusieurs têtes couronnées ont égaiement été pensionnaires, mais, dans le respect
des bonnes manières qu'il enseigne, le directeur se gardera biefll d'en préciser les noms ...
Cette année, comme chaque année désormais, les jeunes filles en intérnat sont une
soixantaine. Leur vie est rythmée par des
horaires stricts, des autorisations de sortie à
demander et des feuilles de présence à remplir... Mais derrière la relative austérité et la
discipline qui règnent à Surval se cachent
aussi les réalités de la vie d'une jeune fille
du début du XXI' siècle : les pauses cigarette,
les téléphones et les ordinateurs portables
omniprésents, Internet, les « chats » ... La
« Nous avons des jeunes filles qui viennent
d'Am érique latine, notamment du Mexique
et du Venezuela, explique le directeur de
Surval, mais aussi d'Asie, d'Inde, du japon et
plus.·récemment de Russie ou de pays slaves. violence que connaissent beaucoup d'écoles
Ce sont souvent des filles dont les parents ont paraît loin de ce cadre privilégié, où les
jeunes filles sont servies ... à table, dans une
salle à manger aux grandes baies vitrées, qui
offrent une vue apaisante sur le lac Léman!
Dans ce contexte, on comprend aussi qu'elles
ne cherchent pas à faire la révolution .
Lorsqu'on leur demande de rentrer à
minuit, le samedi soir, jour de sortie, elles
s'exécutent de bonne grâce. « Mon père
attend de moi que j'apprenne ici à bien
me comporter dans toutes les situations de
la vie », explique une jeune Colombienne.
Ët aussi étonnant que cela puisse paraître,
parmi les cours proposés, c'est le cours
d'étiquette, où l'on apprend les bonnes
manières justement, qui a le plus de succès.
Arts de la table.
Tous les aspects de
la vie en société sont
enseignés, comme
l'art du plan de table
à la française ou dès
règles de préséance.
Vue apaisante.
Il flanc de montagne,
la terrasse de
l'établissement,
sur les hauteurs
de Montreux, olfre
une vue plongeante
sur le lac Léman.
FRtDtRIC RAEVENS /
THEREPORTAGE .COM
« C'est celui-là qui vaut vraiment la peine,
assure une jeune Mexicaine, les leçons de
langue, on peut les avoir ailleurs.»
Dans le programme de fin ishing, il y a l'apprentissage des langues le matin et les cours
d'étiquette l'après-midi. Cours le plus original de l'école, son contenu n'est pas déterminé à la légère: il y a les bonnes manières
bien sOr, mais aussi la gestion des mets
difficiles - comme l'asperge, que l'on peut
consommer avec les doigts, ou la banane, •••
30 SEPTEMBRE 2006 < LE MONDE 2
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