droit des entreprises en difficulté
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19 janvier 2016 Nouvelle formule Hebdo 1 3 6 e ANN É E . N O 3 À la une La Cour de cassation pose la question de confiance La beauté intrinsèque du temple judiciaire français, classé monument historique de notre démocratie et unanimement admiré par de nombreux États qui y ont puisé les principes de leurs propres systèmes judiciaires, n’est sans doute plus le modèle envié d’autrefois Actualité Avocate, associée, mère de famille, c’est possible mais… reportage De quelques pistes pour améliorer l’accès au droit à budget constant libres propos par Bruno BLANQUER Jurisprudence Le régime de la notification des droits du suspect attachés à la prolongation de la garde à vue note par Rodolphe MÉSA sous Cass. crim., 1er déc. 2015 © Philippe Cluzeau Chronique de jurisprudence de droit de la responsabilité civile sous la coordination de Mustapha MEKKI La rentrée solennelle de la Cour de cassation du 14 janvier dernier Gazette Spécialisée DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ SOUS LA RESPONSABILITÉ SCIENTIFIQUE DE •Thierry MONTÉRAN, Avocat au barreau de Paris, UGGC Avocats •Pierre-Michel LE CORRE, Professeur à l’université de Nice Sophia Antipolis COORDINATION •Emmanuelle LE CORRE-BROLY AVEC LA PARTICIPATION DE Christophe BIDAN, Diane BOUSTANI, Philippe DUPRAT, Natalie FRICERO, Christine GAILHBAUD, Fabien KENDÉRIAN, Christine LEBEL, Florence REILLE, Corinne ROBACZEWSKI, Isabelle ROHART-MESSAGER, Richard ROUTIER, Julien THÉRON et Denis VOINOT www.gazettedupalais.com Tr i b une DE BENTHAM À SÉGUÉLA 255f0 255f0 L e démon de la communication semble s’être emparé de nos modernes rédacteurs de lois ! Il suffit pour s’en convaincre de considérer l’intitulé de leurs textes récents ; le volontarisme y devient hyperbole : loi « visant à reconquérir l’économie réelle », loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », « Justice du 21e siècle », jusqu’à ce projet de loi constitutionnelle « de protection de la Nation ». À lire ce dernier titre bien solennel, le lecteur s’arrêtant à l’apparence des choses en tirera le sentiment réconfortant que nos gouvernants font des efforts tangibles pour le protéger. Le juriste quant à lui s’aperçoit très vite du hiatus entre l’intitulé et le contenu du texte. En quoi en effet la modification des articles 36 et 34 de la Constitution, visant à constitutionnaliser l’état d’urgence et à permettre la déchéance de la nationalité, protègerait mieux la Nation qu’elle ne l’est déjà par son système juridique existant ? Protéger de quoi ? Du terrorisme, d’éventuelles QPC ou du Parlement lui même ? Le travail rationnel de François MARTINEAU Avocat au barreau de Paris formulation législative cèderait-il donc le pas au souci de communiquer, au risque d’une déconnexion entre intitulé et contenu et donc d’une déception ? Souvenons-nous de cette loi Macron et du titre de ses parties « libérer l’activité », « investir », « travailler », trois termes en singulier décalage avec le corset normatif que la loi continue d’organiser. Ou bien encore de la loi de reconquête de l’économie réelle, dont la désignation guerrière fait sourire quand on se rappelle ce qu’il est advenu, ultérieurement de certains fleurons du CAC 40. Et que dire du projet J21 que le Sénat a lui-même rebaptisé ? Les techniques de Le jurisconsulte britannique Bentham avait, au temps des communication se sont Lumières, ébauché un traité de légistique ; il y recommandait aux rédacteurs de lois, la concision, la brièveté et la clarté. Il invitées dans le processus déconseillait aussi d’entremêler textes normatifs et opinions, affections ou jugements de valeur. Si Bentham revenait, nul d’élaboration des lois doute qu’il s’effrayerait de la difficulté de compréhension de nos projets de lois, à force de renvois, d’abus de numérotation ou d’imprécisions conceptuelles ; nul doute qu’il s’attristerait de cette nouvelle manie de nommer les lois ou leurs parties par des expressions qui sont autant de vœux pieux, ou qui laissent accroire le contraire de ce que la loi organise pour le futur ou qui entendent jouer le rôle d’un verrou moral et dialectique rendant malaisée toute critique ultérieure. Dans notre contexte tragique, on est embarrassé de contester une loi de « protection de la Nation ». De toute évidence les techniques de communication se sont invitées dans le processus d’élaboration des lois ; Jacques Séguéla semble avoir remplacé Bentham dans son magistère. Que l’on ne s’étonne pas alors du discrédit dans lequel s’enfonce la parole politique ! Quand dans le travail législatif la communication commence à peindre du réel sur du rien ou du pas grand-chose, c’est qu’une forme de la démocratie a vieilli ; dans sa « République » Platon appelle cette évolution « dépérissement ». “ ” • 255f0 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 3 S o m m air e Actualité ■■La Directeur honoraire : Jean-Gaston Moore Président : François-Xavier Charvet Directeur de la publication : Pierre-Yves Romain Rédacteur en chef : Clémentine Kleitz Rédacteur en chef adjoint : Iris Joussen Rédacteurs : Catherine Berlaud, Philippe Graveleau, Marie Rajchenbach Assistante d’édition : Elsa Boulinguez Assistante de direction : Evelyne Chelza Direction : 12, place Dauphine 75001 Paris Tél. : 01 44 32 01 50 / Fax : 01 46 33 21 17 Rédaction : 70, rue du Gouverneur Général Félix Eboué 92131 Issy-les-Moulineaux Cedex Tél. : 01 40 93 40 00 / Fax 01 41 08 23 60 Courrier : [email protected] Tarifs 2016 * Prix TTC au n° : 15,32 € + frais de port * Abonnement France (un an) : Journal seul : 362,46 € TTC Recueils + table seuls : 372,67 € TTC Journal, recueil + table : 513,56 € * Abonnement étranger (un an) : Journal seul : 405 € Journal, recueil + table : 621 € Éditeur : LA GAZETTE DU PALAIS – SOCIÉTÉ DU HARLAY SA au capital de 98 460 € Président : François-Xavier Charvet Directeur Général : Pierre-Yves Romain 12, place Dauphine 75001 Paris Internet : www.gazettedupalais.com Twitter : @gazpal Commission paritaire n° H 0518T83097 ISSN 0242-6331 Imprimé par Jouve 1, rue du Docteur Sauvé 53100 Mayenne Illustration de la Gazette spécialisée sur la couverture : Fanny Dallé-Asté / Da-fanny Toute reproduction, même partielle, est interdite, sauf exceptions prévues par la loi. 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Cour de cassation pose la question de confiance ■■Avocate, ■■De associée, mère de famille, c’est possible mais… quelques pistes pour améliorer l’accès au droit à budget constant libres propos par Bruno BLANQUER 7 10 Doctrine ■■L’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel : opportunité ou risque ? note par Christian GAMALEU KAMENI sous L. n° 2015-990, 6 août 2015 17 Jurisprudence ■■ La prescription des indemnités de préavis et de congés payés dues à la suite d’une requalification de contrats de travail en contrat à durée indéterminée avis par Hubert LIFFRAN sous Cass. soc., 16 déc. 2015 régime de la notification des droits du suspect attachés à la prolongation de la garde à vue 21 ■■Le note par Rodolphe MÉSA sous Cass. crim., 1er déc. 2015 ■■Chronique 24 de jurisprudence de droit de la responsabilité civile sous la coordination de Mustapha MEKKI avec la collaboration de Nathalie BLANC, Stéphane GERRY-VERNIÈRES, Anne GUÉGAN-LÉCUYER et Magali JAOUEN ■■Panorama de jurisprudence de la Cour de cassation ■■Panorama de jurisprudence du Conseil d’État par Catherine BERLAUD par Philippe GRAVELEAU 28 40 46 Aux marches du Palais Carte blanche ■■La déposition par Olivia DUFOUR ■■Médias : la grande fabrique des innocents par Olivia DUFOUR 49 50 Gazette Spécialisée DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ Sous la responsabilité scientifique de Thierry MONTÉRAN et Pierre-Michel LE CORRE Sous la coordination d’Emmanuelle LE CORRE-BROLY 4 5 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 51 Ac tu a l it é 256j2 255z5 La phrase 256h8 Le chiffre “ L’avocat ne sera jamais véritablement un marchand du droit et participe souverainement à la construction sans cesse renouvelée de l’État de droit qui instaure notre existence démocratique ” L’indiscret 3 103 C’est la barre franchie par le barreau de Lyon pour le nombre d’avocats inscrits en janvier 2016 255z5 Une commission « Éthique & responsabilité sociale de l’avocat » va être prochainement créée au barreau de Paris sous l’égide de Dominique Attias. C’est Émilie Vasseur, avocate chez Darrois et membre du conseil de l’ordre, qui a été nommée secrétaire générale de cette commission. 256h8 Jean-Marie Huet, procureur général à la cour d’appel d’Aix-en-Provence, lors de la cérémonie de prestation de serment des nouveaux avocats de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 6 janvier dernier. 256j2 Institutions La Cour de cassation pose la question de confiance 256d1 Lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation le 14 janvier dernier, Bertrand Louvel a, dans un contexte d’état d’urgence à la suite des attentats du 13 novembre, ouvert le débat sur la confiance dans la justice. C’est la Cour de cassation qui a ouvert le 14 janvier à Paris le temps des rentrées solennelles, en présence de Christiane Taubira et de Claude Bartolone. © Philippe Cluzeau 256d1 Bertrand Louvel, Christiane Taubira et Jean-Claude Marin On s’attendait à des reproches des juges à l’encontre de l’exécutif qui les a écartés, via l’état d’urgence, de la gestion de la réponse aux événements dramatiques du 13 novembre. En réalité, le Premier président Bertrand Louvel a estimé que ce choix devait amener l’institution judiciaire à ouvrir le débat sur la confiance dans la justice. « Les pouvoirs publics sont-ils parfois portés à prendre leurs distances avec l’autorité judiciaire ? Si oui, pourquoi ? Quelles défaillances ou quels risques l’autorité judiciaire présente-t-elle qui justifieraient que l’État préfère l’éviter lorsqu’il s’agit de la défense de ses intérêts supérieurs ? Le Premier président de la Cour de cassation se doit de poser loyalement cette question ». De même, vis-à-vis du public, l’institution doit réfléchir: « avons-nous construit collégialement une éthique assez forte pour nous communiquer, en toutes circonstances, la clairvoyance dans l’analyse et la détermination dans l’action adaptées à un tel degré d’exigence ? Nous préparons-nous avec suffisamment d’ouverture ?». Tels sont les aspects du débat que le président Louvel souhaite ouvrir en 2016 et qui ne fera pas l’économie de la question des moyens, sur laquelle, après avoir rappelé le dénuement désastreux des juridictions, le président a fait cette suggestion : « Ne faut-il pas songer enfin à une gestion qui soit soustraite aux aléas des changements de politiques ministérielles et confiée à un organe qui n’en soit pas dépendant ? ». Le procureur général Jean-Claude Marin a lui aussi invité à la réflexion : « La beauté intrinsèque du temple judiciaire français, classé monument historique de notre démocratie et unanimement admiré par de nombreux États qui y ont puisé les principes de leurs G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 5 A ct u al i t é cédure pénale, contient des dispositions dangereuses pour les libertés et gravement contraires aux droits de l’Homme. Par exemple, ce texte permettrait : - l’assignation à résidence par l’autorité préfectorale pour des motifs imprécis et sans autorisation ni contrôle du juge judiciaire, - l’extension juridiquement inutile, au regard des critères actuels de la légitime défense, de l’usage des armes par les forces armées et de sécurité intérieure, - des perquisitions de nuit dans les domiciles par les forces de police, en enquête préliminaire, hors flagrant délit, - des retenues, à l’initiative de l’autorité préfectorale, créant une garde à vue administrative. Les attributions nouvelles créées par ce projet aggravent l’évolution déjà constatée remettant en cause la place essentielle du juge judiciaire dans la protection des libertés individuelles, tout particulièrement lorsque l’état de droit est menacé. Elles constituent un transfert de compétence de l’autorité judiciaire vers l’autorité administrative, dans la dépendance de l’exécutif, incompatible avec le principe de la séparation des pouvoirs, fondement de la démocratie. propres systèmes judiciaires, n’est sans doute plus le modèle envié d’autrefois. » Des codes ventripotents et illisibles, des décisions de justice et des juges de plus en plus attaqués, une séparation des pouvoirs qui a changé de visage et… des procureurs en quête d’indépendance. Sur ce point, « il faut que cesse l’assimilation stupide et blessante d’un parquet « bras armé » du pouvoir politique ». Cela suppose à ses yeux une réforme du statut et la création d’un procureur général de la Nation, seule réforme de nature à assurer la cohésion du ministère public et à consacrer la rupture du lien avec l’exécutif. S’agissant de l’état d’urgence, il le juge utile mais il met en garde : « L’inquiétude naîtrait si, à la lumière de l’activisme des services dans le cadre de l’état d’urgence, on en venait à imaginer d’en faire, certes en l’amodiant, un régime de droit commun ». Et de rappeler en une formule bien sentie que « Nos procédures sont légitimement lourdes, en matière civile comme en matière pénale, pour le plus grand bien des justiciables, des citoyens et de l’État de droit ». Délibération adoptée par la conférence des premiers présidents le 14 janvier 2016 Plusieurs hauts magistrats étrangers parmi les invités Plusieurs hauts magistrats de cours étrangères ont assisté à la rentrée solennelle de la Cour de cassation, témoignant des liens étroits noués entre magistrats par-delà les frontières. La présence du Premier président de la Cour de cassation de Tunisie, Khaled Ayari, et du Procureur général près cette Cour, Ridha Ben Amor avait une force symbolique particulière, car ce 14 janvier marque le 5e anniversaire de la révolution tunisienne. Il y avait aussi Jean Fahed, Premier président de la Cour de cassation du Liban, Carlos Lesmes, président de la Cour suprême d’Espagne ainsi que Guido Raimondi, nouveau président de la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans un pays tragiquement endeuillé et attaqué dans ses fondements démocratiques les plus précieux, l’autorité judiciaire doit, plus que jamais, assumer le rôle et la place qui lui sont reconnus par la Constitution. Il est essentiel que le juge judiciaire retrouve l’intégralité de ses fonctions premières de garant des libertés individuelles, notamment de contrôle des mesures d’enquêtes et de privation des libertés. Les premiers présidents rappellent que c’est dans toutes ses composantes, civiles aussi bien que pénales, que l’institution judiciaire contribue à la paix sociale et au mieux vivre ensemble, indispensables à la prévention de toutes les formes de dérives. La France ne saurait sacrifier les valeurs fondamentales de sa justice, au motif qu’un manque cruel et ancien de moyens l’a affaiblie. Un projet de loi du Gouvernement, en cours d’élaboration, renforçant la lutte contre le crime organisé et son financement, l’efficacité et les garanties de la pro- Olivia Dufour 255e8 Veille normative (du 13 au 19 janv. 2016) 255e8 AVOCATS D. n° 2016-11, 12 janv. 2016, relatif au montant de l’aide juridictionnelle : JO 13 janv. 2016 A. 12 janv. 2016 fixant la majoration des unités de valeur pour les missions d’aide juridictionnelle : JO 13 janv. 2016 255e8 6 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 256d1 Ac tu a l it é AVOCAT Avocate, associée, mère de famille, c’est possible mais… 256g0 L’essentiel Comme tout autre secteur d’activité et profession libérale, la profession d’avocat n’échappe pas aux discriminations faites aux femmes. Elles concernent des sujets divers allant de la rémunération à l’évolution de carrière en passant par la maternité. Des conditions de travail dénoncées pour la première fois par le Défenseur des droits dans une décision rendue le 15 novembre dernier. T oujours plus d’heures pour une rémunération Delphine IWEINS plus faible. C’est un sujet connu, qui devient récurrent lors des campagnes au bâtonnat : récompenser par une rémunération juste un temps de travail toujours plus important. L’actuel bâtonnier de Paris, Frédéric Sicard, avait d’ailleurs jugé excessif qu’un collaborateur dépasse les 2 000 heures de travail par an. Et les femmes sont les premières concernées. Selon des chiffres communiqués par le barreau de Paris en 2013, dès la première année d’exercice, une collaboratrice gagne en moyenne 10 % de moins qu’un homme au même poste. Ensuite, les écarts ne font que se creuser tout au long de leur carrière. Elles sont, d’ailleurs, les plus nombreuses à quitter la profession alors même qu’elles sont plus nombreuses que les hommes à intégrer les cabinets. « La première chose à faire est de sanctionner les abus en matière de temps de travail. Il faudrait plus de sévérité de la part de l’ordre qui ne s’interroge pas sur les conditions de travail dans certains cabinets ne conciliant pas vie professionnelle et vie personnelle », déclare Emmanuelle Boussard-Verrichia, avocate engagée sur les questions d’égalité professionnelle. Un contrôle des cabinets doit-il être mis en place ? Et si oui, comment ? « On peut effectivement se poser la question : faut-il appliquer des décisions coercitives pour imposer les femmes dans les cabinets ? », reconnaît Mathilde Jouanneau, membre de l’association Femme & Droit et ancienne élue au Conseil national des barreaux (CNB). Cependant, la sanction ne peut pas être l’unique solution. « Il faut avoir une approche transversale, les discriminations existent et il faut les sanctionner, mais il faut aussi en amont que nous changions nos représentations », insiste Valence Borgia, présidente d’honneur de l’UJA de Paris. Des formations contre les stéréotypes, comme le module « Sensibilisation à l’égalité professionnelle » dispensé à l’EFB, dont l’objet est d’alerter les jeunes avocats sur ces sujets et leur permettre d’être proactifs dans leurs carrières, doivent être multipliés et accessibles à tous. Par Certains cabinets, conscients des enjeux de management et d’image soulevés par ces questions, ont décidé d’afficher des programmes stricts de mixité et de parité. C’est le cas du bureau parisien de Baker & McKenzie qui a signé le programme de l’ONU « Women’s empower principles ». « Nous avons souhaité très vite nous engager dans la lutte contre toute forme de discrimination. Un cabinet comme le nôtre ne peut bien fonctionner qu’en tirant le meilleur parti de la richesse exceptionnelle de ses collaborateurs et collaboratrices d’horizons les plus divers », fait valoir son managing partner Arnaud Cabanes. © La Radiographie 2015 - Juristes_associés 256g0 La parité dans les instances pour donner l’exemple aux cabinets. De leurs côtés, le CNB et l’ordre de Paris ont signé, le 19 juin dernier, le Pacte pour l’égalité dans les professions libérales réglementées. Un premier pas important puisque les deux instances sont redevables de tenir les engagements de ce pacte, c’est-à-dire mener une politique proactive en faveur de l’égalité et de la mixité, développer une culture commune contre l’égalité, garantir la parité au niveau des organes représentatifs et faciliter l’articulation vie privée et vie professionnelle. Et c’est en ce sens que s’inscrit un mouvement de parité au sein des instances représentatives. Les femmes sont de plus en plus élues et des commissions « égalité professionnelle » et « égalité », ont été mises en place à l’ordre et au CNB. À Paris, depuis l’ordonnance du 31 juillet 2015 qui a institué G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 7 A ct u al i t é un scrutin binominal majoritaire à deux tours, chaque binôme devant être composé d’un homme et d’une femme, le conseil de l’ordre compte désormais 22 femmes sur un total de 44 membres. « Globalement, les questions d’égalité homme/femme commencent à être davantage et mieux débattues », s’accorde à dire Marine Duponcheel, associée du cabinet Deprez Perrot et coresponsable de la commission « Égalité professionnelle » de l’UJA, avant d’ajouter « nous allons dans le bon sens, mais trop lentement ». La mise en place très prochainement d’une commission « Éthique et responsabilité sociale de l’avocat » au barreau de Paris, afin d’appliquer les principes de responsabilité sociale au sein des cabinets, semble être aussi un signe de bonne volonté de la part de l’ordre. (V. Gaz. Pal. 11 déc. 2015, p 3, n° 251r7) © La Radiographie 2015 - Juristes_associés L’impénétrable plafond de verre. La flagrante discrimination de rémunération, qui n’est pas propre à la profession d’avocat, se transforme petit à petit en plafond de verre sur lequel le nombre d’heures effectuées n’aura aucune influence. « Lorsque j’étais managing partner du cabinet, j’ai fait faire une étude approfondie pour découvrir les raisons du faible nombre de femmes associées et candidates à l’association. Cette étude a révélé l’existence du plafond de verre. Une fois le constat établi, nous avons annoncé notre politique d’égalité et mis en place un accompagnement spécifique des collaboratrices », témoigne Xavier Chassin de Kergommeaux, associé du cabinet Gide Loyrette Nouel. Selon la radiographie des cabinets d’avocats d’affaires 2016 de Juristes_associés, les femmes représentent toujours 83 % des collaborateurs, et seulement 17 % des associés, alors même que la population totale des associés a augmenté de 6,4 % entre 2014 et 2015. « Tous les cabinets ont des femmes associées, mais c’est une vitrine. En réalité, les discriminations sont quotidiennes », dénonce Carine Benamouzig. Pourtant, au 1er janvier 2014, la profession comptait 60 223 avocats en France, soit une augmentation de 41 % en 10 ans et les femmes représentaient 54 % de la profession en 2014, selon l’observatoire du Conseil national des barreaux. Les cabinets n’ont donc plus d’autres choix que de considérer les avocates comme des confrères comme les autres, tout aussi performantes et essentielles dans le développement de la structure que leurs homologues masculins. 8 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 L’étape déterminante de la parentalité. La vie de la famille reste le critère premier expliquant que les femmes quittent la profession avant 10 ans de carrière, et souvent proche de l’association. Pour Valérie Duez-Ruff, qui a mise en place le site d’informations « Moms à la barre », « les conditions de collaboration de manière générale sont difficiles. Mais il existe, effectivement, une cristallisation des tensions autour de la maternité ». Nombreux sont les cabinets à ne pas voir d’un bon œil l’annonce d’un heureux événement pour leurs collaboratrices ou associées. Contrairement aux hommes qui, eux, se verront plus facilement félicités. Sûrement parce qu’il est de coutume de penser que le fait d’être père impactera moins sa productivité que celle des femmes qui deviennent mères. Un constat qui en train d’évoluer avec l’instauration du congé paternité pour les avocats et le nombre croissant de pères divorcés. « Dès que la parentalité commence, il y a un prix à payer dans sa carrière. Et la récente décision du Défenseur des droits démontre que ce n’est pas uniquement du ressenti », insiste Marine Duponcheel. Ce dernier a été saisi par une avocate qui estimait que la rupture de son contrat de collaboration libérale était en lien avec sa grossesse et son sexe. Après instruction, avoir entendu les membres du cabinet en question, et s’être référé à différents textes législatifs en matière d’égalité professionnelle, le Défenseur des droits a pour la première fois, dans sa décision du 25 novembre 2015, conclu à l’existence d’une discrimination et transmis ses observations au bâtonnier de Paris pour information. Il a aussi saisi l’ordre parisien de la procédure, demandant à être tenu informé des suites qui lui seront données dans un délai de cinq mois. Une affaire suivie de près par une audience d’arbitrage qui portait sur le même thème le 26 novembre dernier. Dans cette seconde affaire, une avocate, collaboratrice durant plus de 10 ans au sein d’un cabinet anglo-saxon réputé sur la place parisienne, avait saisi son instance représentative estimant que son contrat de collaboration avait été rompu sans motif après le retour de son troisième congé maternité. L’audience a été l’occasion pour de nombreuses consœurs de partager leurs expériences douloureuses. Les critères de discrimination au sexe et à la maternité n’ont, toutefois, pas été retenus même si le cabinet s’est vu condamné financièrement. « Il existe un grand fossé entre les discours publics et les décisions rendues. Nous demandions au bâtonnier de faire preuve de courage », dénonce Carine Benamouzig, à l’origine de cette procédure. « Mon cas est loin d’être unique, il est même très banal, mais nous sommes peu nombreuses à dénoncer les abus », continue-t-elle. La parole ne serait-elle alors pas tout à fait libre ? Plusieurs avocates concernées ont, en tout cas, refusé de témoigner, par crainte souvent d’être mises à l’écart, de ne pas retrouver un cabinet par la suite ou tout simplement ne pas être protégées et entendues par leurs instances. « Beaucoup de femmes n’osent pas dénoncer les abus. C’est un travail pédagogique qui se fait à moyen terme », reconnaît Valérie Duez-Ruff. Actual ité “ Tous les cabinets ont des femmes associées, mais c’est une vitrine car en réalité, les discriminations sont quotidiennes ” Des efforts aux résultats peu édifiants. Le barreau de Paris a, pourtant, mis en place l’assurance Chance maternité, dont toutes les avocates inscrites au barreau de Paris, collaboratrices, associées ou exerçant leur activité à titre individuel peuvent bénéficier. De plus, selon l’article 14.5 du Règlement intérieur national, une avocate a le droit à 16 semaines de congé maternité, durant lequel le cabinet doit continuer à lui verser sa rétrocession prise en charge à hauteur d’environ 3 150 euros par le régime social des indépendants et l’assurance contractée par l’ordre. Une aide bienvenue, néanmoins insuffisante, surtout lorsque l’avocate est à son propre compte. « Chance maternité reste un acquis fragile. Ce système ne couvre pas toutes les charges de la parentalité et reste l’un des premiers postes remis en question dès que l’ordre veut faire des économies », soutient l’associée de Deprez Perrot. Autre garantie existante : il ne peut être mis fin au contrat d’une collaboratrice enceinte qu’en cas de manquement grave et flagrant aux règles professionnelles. Cette période de protection est valable huit semaines au delà du congé maternité. En amont, la déclaration formelle de grossesse peut s’effectuer dans les 15 jours qui suivraient une rupture à l’initiative du cabinet. Ce qui n’empêche pas certains cabinets, passé ce délai, de rompre le contrat de collaboration sans avoir à la justifier. « Les lettres de ruptures peuvent effectivement ne pas être motivées, mais cela ne signifie pas qu’une telle lettre non motivée n’est pas exclusive de discrimination », explique Emmanuelle Boussard-Verrechia. Des cabinets, de tailles diverses et variées, ont réalisé l’impact de ces discriminations sur la carrière de leurs avocates. Chez Baker & McKenzie, « nous maintenons les rétrocessions des avocats durant leur congé maternité. Et lorsque nous évaluons nos collaboratrices, nous proratisons l’année sur 9 mois et non sur 12, en cas de congé maternité, afin de ne pas pénaliser leur productivité » développe Arnaud Cabanes. Au sein de Gide, plutôt réputé pour être un cabinet peu favorable à la condition féminine, des efforts ont aussi été fournis, ces dernières années, notamment sous le mandat de Xavier Chassin de Kergommeaux à la tête du cabinet : « j’ai mis fin aux discriminations de rémunération liées aux congés maternités des collaboratrices. Une grille de rémunération basée sur l’ancienneté a été mise en place. Il a aussi fallu faire passer le message que les collaboratrices doivent pouvoir organiser leur temps de travail différemment », témoigne-t-il. Une autre organisation du temps de travail est possible, la productivité n’en sera pas pour autant impactée. Ce que confirme Arnaud Cabanes en confiant son expérience : « la présence tard le soir au bureau n’est pas une règle absolue. Ce qui compte c’est le respect des délais indiqués en interne et auprès de nos clients ». Même si des efforts, somme toute relatifs, sont à noter en matière de protection des femmes lors de leur congé maternité, et de parité dans les instances, le bât blesse dès que l’on se penche sur l’évolution de carrière. Le constat est sans appel : la situation des femmes avocates n’a quasiment pas évolué. 256g0 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 9 Actualité 255z2 PROFESSIONS De quelques pistes pour améliorer l’accès au droit à budget constant 255z2 L’essentiel Une grande réforme de l’aide juridictionnelle implique de repenser intégralement nos systèmes d’accès au droit. Concernant l’accès au juge, les systèmes d’aide juridictionnelle et de protection juridique ont été mis en place et réformés indépendamment les uns des autres. Ont été créées d’injustifiables différences entre l’ensemble des justiciables, y compris avec ceux ne bénéficiant d’aucun de ces régimes. La situation des professionnels du droit, selon le mode d’accès au droit de leur client, en est exagérément impactée, ce qui nuit au libre choix du justiciable. À budget constant, les règles applicables pourraient être modifiées pour réintroduire plus d’égalité et d’équité dans la situation de chacun. L a ministre de la Justice, pendant des mois, a annoncé une grande réforme de l’aide juridictionnelle. Libre propos par Bruno BLANQUER Ancien bâtonnier du barreau de Narbonne, membre du bureau de la Conférence des bâtonniers En lieu et place, il a été envisagé par le Gouvernement, des mesures aboutissant à une révision à la baisse de l’indemnisation des avocats intervenant à l’aide juridictionnelle et à une ponction sur les produits des CARPAS à hauteur de 15 millions d’euros sur deux ans. Montant des rétributions, modes de financements… et rien d’autre. Comme si le mode d’accès au droit qu’est l’aide juridictionnelle ne nécessitait aucune autre réforme. Comme si l’on ne pouvait pas envisager des réformes améliorant l’accès au droit qui seraient neutres budgétairement. Comme si la réflexion à mener sur l’aide juridictionnelle n’amenait pas à s’interroger sur l’assurance protection juridique, autre mode d’accès au droit impliquant un financement par un tiers, dont on constatera que les régimes diffèrent de manière incompréhensible si l’on oublie que ces deux régimes sont issus de textes différents, pris à des dates différentes et n’ont jamais fait l’objet d’une tentative de rapprochement. Comme si l’on ne devait pas s’émouvoir du sort de la partie condamnée aux dépens qui, aujourd’hui, est différent en fonction du mode d’accès au droit de la partie qui a gagné le procès, au mépris du principe d’égalité de tous qui n’a aucune raison de ne pas trouver application en l’espèce. Aujourd’hui, alors que le Gouvernement a renoncé à sa réforme, il nous faut repenser l’accès au Droit, pas nécessairement, pas exclusivement, sous l’aspect budgétaire. Un groupe de travail émanant de la Conférence des bâtonniers, sous la présidence de son ancien président, Jean-Luc Forget, s’y attelle. L’accès au droit c’est permettre à chacun de pouvoir connaître ses droits et les faire valoir, le cas échéant, en justice dans des conditions optimales, sans considération de fortune. En d’autres termes garantir l’égalité des armes (1) entre les citoyens non assurés en protection juridique, non bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle (AJ) et ceux qui ont souscrit un contrat d’assurance protection juridique (PJ). Les non-assurés PJ non-bénéficiaires de l’AJ n’ont d’autres limites, dans leur recours à un conseil ou à la défense, que leur connaissance de l’existence d’un problème juridique, leur volonté d’être conseillés et le budget qu’ils sont prêts à y consacrer. Pour les bénéficiaires de l’AJ ou d’une assurance protection juridique si on retrouve, bien évidemment, les mêmes problématiques (y compris financières en cas d’AJ partielle et de PJ qui laissent subsister une part du coût du conseil ou de la défense), s’y rajouteront des contraintes supplémentaires liées aux règles applicables en matière d’AJ et de PJ. Améliorer l’accès au droit c’est agir pour réduire ces contraintes supplémentaires ainsi que les différences entre ces deux régimes d’accès au droit financé par un tiers (État ou assureur), afin de rendre l’accès au droit de tous plus égal. Il peut être, notamment, constaté que les deux systèmes, AJ et PJ se rapprochent en ce qu’ils imposent une prise en charge faible de la rémunération de l’avocat (ce qui est d’autant plus injuste en matière d’assurance de protection juridique que la cherté des honoraires d’avocats est mise en avant dans la communication des assureurs pour obtenir la souscription de leurs contrats) et qu’ils s’éloignent radicalement concernant les conflits d’intérêts, la gestion du contentieux entre l’assuré et l’assureur et les régimes de suspension/interruption de prescription qui y sont attachés. De plus, notre droit en la matière est complexe et génère des différences inexplicables qui ne peuvent être maintenues. (1) Conv. EDH, art. 6. 10 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 Actual ité I. L’ÉGALITÉ ET UNE PLUS GRANDE SIMPLICITÉ COMME PRINCIPES DIRECTEURS Les études menées sur l’accès au droit relèvent la complexité du système d’aide juridictionnelle qui ne serait qu’en partie « naturelle » (2). Il s’agit de permettre à celui qui n’en a pas les moyens de pouvoir connaître ses droits, et les faire valoir en justice dans des conditions équivalentes à celles dont il pourrait bénéficier s’il n’avait pas de difficultés financières. Pour ce faire, les mesures préconisées pour parvenir à cette égalité doivent, sauf à manquer leur objet, être les plus simples possibles. Il s’agit donc d’améliorer tout en simplifiant. Toute simplification générant en elle-même une amélioration du système. L’égalité doit également se retrouver dans le traitement réservé aux professionnels qui participent à l’accès au droit. Force est de constater que ce traitement n’est pas équitable. Si un expert qui intervient au « bénéfice » de l’AJ (3) voit ses honoraires taxés par le juge taxateur à l’identique d’un dossier où les dépens ne sont pas supportés par le Trésor, il n’en va pas de même des huissiers (10 € l’acte, 22 € le constat)… outre quelques maigres majorations au titre des copies faites par l’huissier (3,50 €) et des frais de transport ou d’affranchissement (4), valorisant un acte de signification à 20 € en lieu et place des 60 à 80 € ressortant du tarif des huissiers. L’avocat à la Cour de cassation ne perçoit que 382 €, soit très loin des honoraires habituellement pratiqués (5), le notaire, lui, perçoit 18 € pour les actes soumis à droit fixe, 54 € pour ceux soumis à droit proportionnel et 80 € pour une liquidation du régime matrimonial (6)… Le barème appliqué aux avocats n’a d’autres ambitions que de constituer une « indemnisation » et non emporter rétribution. Rien ne justifie cette absence d’égalité entre les différents intervenants, rémunération complète pour l’expert alors qu’elle n’est que partielle et faible pour les autres. Cette absence d’égalité de traitement est d’autant moins justifiable quand, en définitive, ce n’est pas l’État qui est le payeur final mais la partie qui succombe (7) dès lors qu’elle doit rembourser au Trésor public les sommes exposées par l’État. (2) Rapp. Modernisation de l’Action Publique, Inspection générale des services judiciaires 2013, p. 2 à 7. (3) Pour les besoins du raisonnement cette contribution est effectuée à droit constant. Les propositions qu’elle contient pourraient, a priori, être transposées dans un autre système de rémunération/indemnisation de l’avocat et des autres professionnels intervenant à l’AJ, sous réserve des changements qui devraient alors y être apportés, notamment si cette rémunération/indemnisation augmentait très sensiblement… (4) D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 94. (5) D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 93. (6) D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 95. (7) D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 43. De plus rien ne justifie que la situation de la partie qui perd son procès diffère uniquement en fonction des conditions d’accès au droit du vainqueur de la procédure. Comment en effet expliquer que la partie qui succombe et qui n’a pas été condamnée à un article 700 (ou 37 de la loi de 1991) se voit rajouter au titre des dépens le remboursement à l’État des indemnités AJ versés à l’avocat du bénéficiaire de l’AJ, alors que si le gagnant n’avait pas l’AJ il n’aurait, en l’absence de condamnation à un article 700 rien à payer au titre des frais d’avocat adverse. Pourquoi, la partie qui succombe, va-t-elle rembourser au titre des dépens les frais d’huissier à l’État sur la base du forfait (faible) payé à l’huissier, alors que si le gagnant du procès n’avait pas eu l’AJ, le même acte aurait été remboursé par le perdant sur la base du barème des huissiers ? Est-ce logique qu’in fine l’huissier subisse un paiement du coût de son acte à tarif très réduit au seul motif que cet acte a été délivré pour le compte d’un bénéficiaire de l’AJ alors que son coût final sera supporté par l’adversaire du bénéficiaire de l’AJ ? Est-il juste que le banquier ou l’assureur qui perd son procès contre un bénéficiaire d’AJ bénéficie d’un tel rabais ? À cet égard, le mécanisme prévu à l’article 37, alinéa 1, de la loi qui prévoit que « les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l’aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre » n’est, pour de nombreux actes, que purement virtuel. En effet comment imaginer que l’huissier attende pour se faire payer une assignation le résultat d’un procès qui durera de nombreuses années (entraînant par l’effet de la prescription l’impossibilité d’obtenir son règlement de l’État, avant que l’on connaisse la partie condamnée aux dépens). De plus ce procès peut se passer loin de son lieu d’exercice et la partie succombante peut être domiciliée très loin de celui-ci, de sorte que vouloir « bénéficier » de ce régime induirait un coût de gestion et de recouvrement des émoluments correspondant à chaque acte délivré à l’AJ sans rapport avec le montant de ceux-ci. Question effectivité des droits et simplicité, on peut difficilement faire pire. Dès lors que, dans les faits, l’huissier sera contraint de se contenter de la faible rémunération de son acte telle que versée par l’État, dans la très grande majorité des cas, cela induira une différence injustifiable entre deux justiciables pourtant placés dans des conditions similaires. Celui plaidant contre un bénéficiaire de l’AJ remboursera les frais d’huissier à tarif très réduit, alors que l’autre les remboursera à taux plein. Sauf à remettre en cause le principe d’égalité de tous devant la loi, les deux devraient se trouver dans une situation identique. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 11 A ct u al i t é II. INCLURE DANS LES DÉPENS DES SOMMES QUI COMPLÈTENT LA RÉMUNÉRATION DES PROFESSIONNELS INTERVENUS POUR UN BÉNÉFICIAIRE DE L’AJ Il pourrait être conçu un mécanisme bien plus simple que l’actuel article 37 de la loi de 1991, tant pour les huissiers que pour tout professionnel étant intervenu pour un bénéficiaire de l’AJ qui gagne son procès et dont l’adversaire est condamné aux dépens. Pourquoi, en pareil cas, le perdant au procès ne paierait-il pas le coût des actes d’huissier au tarif des actes d’huissier, l’État récupérant ce qu’il a effectivement payé et l’huissier obtenant au travers de ce complément la juste rémunération de son travail dont il est injuste qu’il soit, dans de telles conditions, privé ? Il s’agirait là d’un système simple, facilement effectif alors que celui résultant de l’article 37, alinéa 1, de la loi de 1991 est tout le contraire. Pourquoi, ce qui est manifestement vrai pour les huissiers ne le serait pas pour les autres acteurs du procès qui ne sont pas payés au coût de leur intervention mais… juste indemnisés ? La correction concernant le complément de rémunération dû à l’huissier, quand il est intervenu pour une partie bénéficiaire de l’AJ qui gagne son procès, doit également être imaginée au titre de la rémunération de l’avocat. Cette réflexion pourrait, au surplus, nous aider à contribuer à régler, au moins en partie, le problème d’application de l’article 37 de la loi de 1991 pour lequel on constate au regard des taux et des montants de condamnation sur ce fondement des pratiques extrêmement variables en fonction des juridictions et des magistrats qui statuent (8). En effet, la mise en place du mécanisme de l’article 37 suppose une demande à ce titre et une décision du juge, puis la décision de renoncer au bénéfice de l’AJ, dans l’année de la décision et donc une décision du BAJ entérinant cette renonciation. Soit beaucoup de travail à faire qui mobilise de nombreuses énergies et donc de temps, pour l’avocat (demande, renonciation), le juge (prise de décision et rédaction), le BAJ (entérinement de la renonciation à l’AJ). Tout cela explique le faible recours à ce mécanisme et le coût non négligeable que génère nécessairement sa mise en œuvre (9). Ainsi, quand le gagnant à l’AJ, la répétibilité des honoraires d’avocats est soit traitée de manière automatique par la mise à la charge des dépens du perdant, soit par la mise à sa charge d’un article 37, sans que le juge ne sache si le surcroît de travail que lui a occasionné le fait de statuer sur cette demande entraînera, en définitive, un quelconque bénéfice pour l’État ou l’avocat dès lors que la décision d’encaisser l’AFM ou de recouvrer les sommes au titre de l’article 37 en ces lieux et place sera prise ultérieurement, dans l’année qui suit. (8) La remarque est transposable aux avocats concernant le taux de formulation de demande au titre de l’article 37. (9) Le temps mis par chacun des intervenants pour demander, statuer, gérer, prendre acte… 12 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 Que de travail, de complications, pour un résultat aléatoire. Pourtant, il est possible, dans un même élan, de simplifier le travail du juge, d’améliorer la rémunération des avocats des bénéficiaires d’AJ qui gagnent leur procès, de ne pas obliger le BAJ à intervenir pour enregistrer des renonciations à AJ en cas d’article 37 et… d’améliorer le taux de recouvrement des indemnités payées par l’État, tout en déchargeant l’État du suivi de ce recouvrement. Il suffirait pour ce faire que les dépens, mis à la charge du perdant du procès dont le gagnant bénéficie de l’AJ, comprennent, de lege ferenda, en plus de l’indemnité payée par l’État à l’avocat du gagnant, un complément à cette indemnité fixée à un pourcentage de celle-ci outre les compléments de rémunération des actes d’huissier. L’avocat se chargerait de recouvrer les dépens, en ce compris les sommes revenant à l’État en vertu d’un mandat qui lui serait donné en ce sens par la loi, conserverait par devers lui le complément de son indemnité, rembourserait à l’État les frais, d’avocat, d’expertise ou d’huissier pris en charge (10) et verserait aux huissiers les sommes correspondant au complément du coût de leurs actes. Ce complément d’indemnité pourrait, compte tenu de la faiblesse de l’actuel barème de l’AJ s’établir à 100 % des sommes versées par l’État. (11) Ainsi, dans les dossiers où le bénéficiaire de l’AJ gagne son procès, sous réserve de l’encaissement effectif des dépens, la rémunération de l’avocat abandonnerait le champ de l’indemnisation pour rejoindre celui d’une certaine rétribution, sans que l’État n’ait à financer une telle majoration. L’intervention, sur mandat issu de la loi, de l’avocat pour recouvrer au titre des dépens les sommes venant rembourser celles versées par l’État constituerait une contribution complémentaire de la profession d’avocat au financement et au fonctionnement du système (sujet au combien d’actualité, tant par le travail en moins qui incomberait aux greffes et aux trésoreries que par l’amélioration qui ne peut que découler de ce partenariat gagnant-gagnant entre l’avocat du bénéficiaire de l’AJ et l’État, au bénéfice également des autres professionnels – huissiers, notaires, avocat aux Conseils) (12). III. CETTE NOUVELLE DÉFINITION DES DÉPENS DEVRAIT ÊTRE ÉTENDUE DANS TOUTES LES PROCÉDURES Il ne serait pas juste, pas équitable que la situation de la partie qui perd son procès soit différente en fonction des conditions d’accès au droit de la partie qui a gagné le procès. Dans tous les cas le perdant doit faire face aux mêmes sommes, au titre des dépens. (10) Ou à prendre en charge, afin de tenir compte des nombreux retards que subissent ces officiers publics ministériels. (11) Il pourrait bien évidemment être décidé d’un autre pourcentage, inférieur ou supérieur. Cette très importante réserve pourrait être renouvelée à chaque fois qu’il sera fait référence à ce mécanisme dans les pages qui suivent. (12) Ce qui correspondrait à remplir un des objectifs du rapport Gosselin-Langevin dont la proposition n° 9, p. 65, est intitulée « Poursuivre les efforts tendant à permettre la mise en œuvre effective des procédures prévues par la loi de mise en recouvrement des sommes exposées par l’État au titre de l’aide juridictionnelle ». Actual ité Afin de ne pas recréer de distorsion d’égalité entre les justiciables, devrait être incluse dans les dépens une somme égale à celle définie ci-dessus au titre d’une prise en charge, dans toutes les procédures, par la partie perdante et condamnée aux dépens, d’une somme minimale aux titres des honoraires d’avocat de la partie gagnante. Ainsi serait comprise dans les dépens une somme au titre des frais d’avocat de la partie gagnante d’un montant égal au double des sommes qui auraient été prises en charge par l’État au titre de l’AJ si le gagnant avait été bénéficiaire de l’AJ. Les articles 700 du Code de procédure civile et 37 de la loi de 1991 n’auraient plus vocation à s’appliquer que pour compléter la prise en charge des frais d’avocats de la partie ayant gagné son procès, sur la partie de ceux-ci qui ne serait pas comprise dans les dépens, ainsi que les autres frais irrépétibles. La nécessité d’égalité de tous devant la loi et son application obligerait à ne pas différencier l’application de ces dépens ainsi revisités en fonction du fait que le perdant bénéfice, lui aussi de l’aide juridictionnelle. En effet il n’est pas juste, qu’actuellement, le bénéficiaire de l’AJ qui perd son procès, ne rembourse pas à l’État les frais d’huissiers (et d’avocats) exposés pour le gagnant bénéficiaire de l’AJ alors qu’il devra le faire si celui est plus aisé et n’en bénéficie pas. De plus, rien, ne protège les bénéficiaires de l’AJ qui perdent leur procès d’une condamnation à un article 700 du Code de procédure civile ou 37 de la loi de 1991. Leur situation au regard des sommes comprises dans les dépens, devraient donc être identiques à celle des autres justiciables, à tout le moins pour le complément revenant aux professionnels intervenant à l’AJ pour le compte du gagnant du procès, l’État pouvant continuer à faire ce qu’il souhaite concernant les sommes à recouvrer pour son compte sur les perdants bénéficiaires de l’AJ. Serait ainsi instituée une répétibilité d’une partie de l’honoraire de l’avocat, dans tous les cas, d’un montant similaire quel que soit le mode d’accès au droit de la partie gagnant le procès, en fonction d’un barème minimal basé sur le barème de l’AJ (13). IV. L’AIDE JURIDICTIONNELLE PARTIELLE Une telle réforme qui donnerait l’occasion de rendre plus lisible et plus efficace notre système d’accès au droit devrait permettre, en se servant du montant des honoraires d’avocats compris dans les dépens, d’apporter des réponses claires et précises concernant le montant de la rémunération de l’avocat en matière d’aide juridictionnelle partielle. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et le rapport GosselinLangevin notait fort justement que le justiciable « ignore le montant total des dépenses qui lui restent à payer avant (13) Le président Eydoux et le bâtonnier Ducasse dans Avocat et Ordres du XXIe siècle, Dalloz, 2014, p. 181 proposaient la répitibilité de l’honoraire en matière d’AJ basée sur une condamnation à prononcer sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, basée soit sur la convention d’honoraires homologuée par le bâtonnier, soit sur un barème minimal. d’engager une procédure » (14) dès lors que la convention est régularisée sous le contrôle du bâtonnier, a posteriori. Ce qui posait déjà problème en 2011, date du rapport précité, ne peut plus être maintenu en 2015, alors que tous les clients d’avocats doivent, en toutes matières avoir signé une convention d’honoraires avant l’intervention de celui-ci (15). Le bénéficiaire de l’AJ partielle doit, lui aussi, pouvoir connaître le montant des honoraires d’avocats dès avant l’engagement de la procédure. A minima il devrait signer, en même temps que le dossier d’AJ, une convention précisant le montant de l’honoraire complémentaire. Éventuellement, au lieu d’être déterminé, celui-ci pourrait être déterminable en fonction du taux d’AJ qui sera retenu par le BAJ. Cela étant, il pourrait aussi être décidé d’aller plus loin en prévoyant que la rémunération globale perçue par l’avocat s’établira au montant de la somme mise à la charge de la partie perdante aux titres des honoraires d’avocat de la partie gagnante au titre des dépens, le bénéficiaire de l’AJ complétant alors les sommes versées par l’État pour arriver à cette somme. En d’autres termes l’avocat percevrait un honoraire complémentaire de la part de son client d’un montant lui permettant de percevoir le double du montant qu’il percevrait si son client bénéficiait de l’AJ totale. Pareille somme est sûrement souvent inférieure à ce qui est convenu. Cela étant, le recours à un tel mécanisme, dont les montants pourraient bien évidemment être modifiés, permettrait d’offrir au système de l’AJ partielle une grande lisibilité et prévisibilité. De plus, le total des sommes perçues par l’avocat pourrait être complété dans le cadre de conventions d’honoraires de résultat dont la mise en œuvre pourrait grandement être simplifiée. V. LA CONVENTION D’HONORAIRES DE RÉSULTAT Ainsi définies et répétibles, les sommes reçues par l’avocat du bénéficiaire de l’AJ pourraient être complétées par un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu qui ne nécessiterait plus d’avoir recours à la complexe procédure de retrait d’aide juridictionnelle. L’article 36 de la loi de 1991 prévoit que : « Lorsque la décision passée en force de chose jugée rendue au profit du bénéficiaire de l’aide juridictionnelle a procuré à celuici des ressources telles que, si elles avaient existé au jour de la demande d’aide juridictionnelle, celle-ci ne lui aurait pas été accordée, l’avocat désigné peut demander des honoraires à son client après que le bureau d’aide juridictionnelle a prononcé le retrait de l’aide juridictionnelle ». Pourquoi retirer le bénéfice de l’AJ à la partie gagnante si l’adversaire doit en tout cas rembourser l’État, on peut imaginer que si le gagnant a obtenu réellement un complément de ressources tel que décrit à l’article 36 précité, l’État aura été remboursé de sa mise… (14) P. 30. (15) Article 10 de la loi n° 71-1130 de 1971 dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 13 A ct u al i t é Dans ces conditions, il pourrait être prévu que l’avocat et son client peuvent dans les conditions de l’article 10 de la loi de 1971 convenir d’un « honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ». La convention devrait-t-elle, dans ces conditions, continuer à être obligatoirement soumise à l’approbation du bâtonnier ? Tant pour simplifier le travail des avocats, de leur bâtonnier, que pour ne pas discriminer une partie de la population (qui n’aurait qu’une capacité juridique réduite en la matière nécessitant un contrôle a priori de leurs actes), on doit pouvoir répondre « non » et s’en tenir au droit commun du contrôle a posteriori dans le cadre d’une contestation d’honoraires. VI. GARANTIR LE LIBRE CHOIX DE L’AVOCAT EN MATIÈRE D’ASSURANCE PJ PAR L’ADOPTION DE MINIMAS EN MATIÈRE DE PRISE EN CHARGES DES HONORAIRES D’AVOCATS Au titre des griefs importants recensés par le rapport Gosselin-Langevin, figurent les réticences des assureurs pour mettre en jeu cette garantie, le manque de transparence et de lisibilité des contrats, le rôle marginal des avocats le plus souvent absents de la phase amiable, « les missions d’assurance de protection juridique étant de plus très souvent captées par quelques avocats liés aux réseaux des assureurs et rémunérés selon des barèmes préétablis… » (16). Ce constat est en contradiction avec le libre choix de l’avocat garanti par les textes qui devrait déboucher sur une large répartition de la clientèle des assurés PJ entre tous les avocats. En effet la directive n° 87/344/CEE du Conseil du 22 juin 1987 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l’assurance-protection juridique prévoit que « l’assuré a la liberté de choisir un avocat » (17). Les deux premiers aliénas de l’article L. 127-4 proclament également ce droit : « Tout contrat d’assurance de protection juridique stipule explicitement que, lorsqu’il est fait appel à un avocat ou à toute autre personne qualifiée par la législation ou la réglementation en vigueur pour défendre, représenter ou servir les intérêts de l’assuré, dans les circonstances prévues à l’article L. 127-1, l’assuré a la liberté de le choisir. Le contrat stipule également que l’assuré a la liberté de choisir un avocat ou, s’il le préfère, une personne qualifiée pour l’assister, chaque fois que survient un conflit d’intérêts entre lui-même et l’assureur ». L’alinéa 3 de ce texte, sous couvert de le défendre vient en fait le restreindre. En effet il est y disposé qu’« aucune clause du contrat ne doit porter atteinte, dans les limites de la garantie, au libre choix ouvert à l’assuré par les deux alinéas précédents ». A contrario, il suffit en effet à l’assureur de stipuler dans le contrat (d’adhésion) que la garantie porte, concernant la (16) P. 35. (17) Dir. Cons. UE, n° 87/344/CEE, 22 juin 1987, art. 4. 14 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 prise en charge des honoraires d’avocats, sur un montant maximal défini dans le barème « contractuel » pour que, dans les faits, la liberté ne soit plus vraiment garantie, dès lors que ce barème va être faible et parfois inférieur aux montants versés en matière d’AJ. Les « avocats liés aux réseaux des assureurs et rémunérés selon des barèmes préétablis » pourront accepter en échange d’un volume certain de n’être rémunérés qu’à hauteur du barème alors que ces sommes, trop faibles, amèneront les autres à demander un honoraire complémentaire. Entre des avocats demandant un honoraire complémentaire par rapport à ce que verse l’assureur, en raison de la faiblesse de son barème de prise en charges, et un autre acceptant de travailler sans honoraires complémentaires, parce qu’il est l’avocat de la compagnie, malgré la faiblesse du barème de prise en charge, peut-on dire qu’il n’y a pas une atteinte au libre choix ouvert à l’assuré ? Il doit donc être prévu, comme en matière de complémentaire santé des salariés par exemple, un minimum de garantie, afin de garantir l’effectivité du libre choix de l’assuré, c’est-à-dire un montant minimal et décent de prise en charge des honoraires d’avocats. Ce montant pourrait être établi en rapport avec le montant de la somme mise à la charge de la partie perdante aux titres des honoraires d’avocat de la partie gagnante au titre des dépens, soit le double de l’indemnité versée par l’État à l’avocat du bénéficiaire de l’AJ. Ainsi serait mieux garantie l’effectivité du libre choix proclamé de l’avocat par l’assuré bénéficiant d’une PJ. La corrélation entre le barème de l’AJ et les montants minima pris en charge par les assureurs PJ permettraient en outre au consommateur de pouvoir comparer les prestations de leurs assureurs. En effet, les plafonds garantis pourraient être mentionnés en euros, et, comme le font en matière de remboursement de soins les complémentaires santé en mentionnant leurs garanties en pourcentage des remboursements de la sécurité sociale, en pourcentage du barème de prise en charge par l’AJ du type de litige concerné. “ La corrélation entre le barème de l’AJ et les montants minima pris en charge par les assureurs PJ permettraient au consommateur de pouvoir comparer les prestations de leurs assureurs ” VII. SYSTÉMATISER LE PAIEMENT DIRECT DE L’AVOCAT PAR L’ASSUREUR PJ Devrait aussi être systématisé le paiement direct de l’avocat, quel qu’il soit, par l’assureur qui lui aussi favorise le libre choix. Dans la pratique certains assureurs indiquent à leurs assurés que lorsqu’ils choisissent l’avocat recommandé par la compagnie d’assurances ils n’auront pas à faire Actual ité l’avance des honoraires alors qu’en cas d’exercice du « libre » choix ils seront remboursés sur facture acquittée. Cette information est erronée comme incomplète. Devrait être donnée l’information complémentaire tenant au texte de l’article 8 de « L’engagement relatif à l’assurance de protection juridique » approuvé par les assemblées générales de la Fédération française des sociétés d’assurances les 21 juin 2005 et 10 novembre 2011 qui prévoit : « 8 Règlement direct. En présence d’une délégation d’honoraires consentie par l’assuré à l’avocat et permettant à celui-ci de s’adresser directement à l’assureur pour le paiement de ses frais et honoraires, l’assureur s’engage à régler directement l’avocat à concurrence du plafond contractuel… ». Cette information devrait, en l’état de l’impératif de libre choix, être d’autant plus systématique que l’alinéa 2 de l’article 10 de cet « engagement » prévoit que « ces engagements sont d’application immédiate et se substituent aux dispositions contractuelles moins favorable aux assurés ». Pourquoi, dès lors, ne pas inscrire ce principe de règlement direct dans le Code des assurances afin d’assurer une plus grande effectivité au libre choix de l’avocat. VIII. MODIFIER LE RÈGLEMENT DES LITIGES ENTRE L’ASSUREUR PJ ET L’ASSURÉ ET UNIFIER L’INFLUENCE DU RECOURS À L’AJ OU À LA PJ SUR LA PRESCRIPTION Le rapport Gosselin-Langevin relève que l’assurance protection juridique qui « doit répondre à des besoins distincts de ceux couverts par l’aide juridictionnelle y répond de manière très insatisfaisante » (18). Les régimes d’AJ et de PJ divergent sur le conflit d’intérêts, très peu présent en matière d’AJ entre le justiciable et le financeur (sauf lorsque, par exemple, localement on essaie de réduire le recours aux expertises pour sauvegarder le budget du tribunal), alors qu’il est très prégnant en matière d’assurance protection juridique ou défense et recours. Le rapport Gosselin-Langevin y consacre de longs développements. (19) Proposer de remédier à l’ensemble des difficultés liées au conflit d’intérêts entre l’assureur PJ et son assuré supposerait une étude spécifique et exhaustive sur le sujet. Cela étant, il n’apparaît pas opportun de maintenir le système actuel de règlement des litiges entre l’assureur et son assuré. « En cas de désaccord entre l’assureur et l’assuré au sujet de mesures à prendre pour régler un différend » celui-ci (18) P. 39. (19) P. 36 not. est soumis à « l’appréciation d’une tierce personne » désignée d’un commun accord ou à défaut par le président du TGI et rémunéré par l’assureur (C. assur., art. L. 127-4). L’article L. 127-5 du Code des assurances impose qu’« En cas (…) entre l’assureur et l’assuré (…) de désaccord quant au règlement du litige, l’assureur informe l’assuré (…) de la possibilité de recourir à la procédure mentionnée à l’article L. 127-4 ». C’est article n’oblige pas l’assureur à indiquer très précisément les modalités du recours à l’arbitrage ni les modalités de désignation de l’arbitre (d’un commun accord ou sur décision du président du TGI statuant en la forme des référés) ni que cette procédure se fait aux frais de l’assureur. Peu d’assurés semblent avoir recours à cette procédure, ce qui laisse penser qu’elle est méconnue et que, trop complexe à mettre en œuvre, elle ne remplit pas son office. Comment parler d’un recours effectif pour un assuré qui se voit refuser la saisine d’une juridiction et donc la prise en charge des frais d’avocats pour ce faire, qui doit proposer à son assureur le nom d’un arbitre et en cas de désaccord, rédiger une assignation en la forme des référés pour demander au président du TGI de désigner l’arbitre. Les autres litiges concernant, le jeu du contrat, l’application des garanties, leur interprétation, le montant des sommes prises en charge relèvent du droit commun, sauf à ce que le contrat ne prévoit en l’espèce une obligation de recours à un arbitrage, et que cette clause ne soit pas, en son principe ou dans ses modalités de mise en œuvre, contesté. On peut donc imaginer qu’un assuré soit contraint de saisir le tribunal pour obtenir la reconnaissance du jeu de la garantie, l’assureur ayant pu, à tort estimer que les causes du sinistre (litige de l’assuré avec un tiers) préexistaient à la conclusion du contrat, puis, saisisse l’arbitre s’il veut plaider alors que l’assureur ne voudrait pas financer… On peut noter que seule cette dernière saisine serait suspensive « du délai de recours contentieux ». En effet la saisine d’une tierce personne visant à « proposer une solution » en cas de désaccord entre l’assureur et l’assuré au sujet de mesures à prendre pour régler un différend, suspend le cours de la prescription jusqu’à ce qu’il formule sa proposition. (20) En revanche le délai continuerait de courir en cas de contentieux sur le principe même de la garantie devant les juridictions du fonds, ce qui est une différence très notable au détriment de l’assuré PJ par rapport au bénéficiaire de l’AJ, qui lui bénéficie au terme de l’article 38 du décret de 1991 d’une véritable interruption de prescription dès le (20) C. assur., art. L. 127-4, dernier alinéa. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 15 A ct u al i t é dépôt de la demande d’aide juridictionnelle dans les conditions définies par cet article (21). Cette différence est d’autant moins justifiée si on tient compte que le principe de subsidiarité de l’aide juridictionnelle (22) est de nature à imposer à un justiciable d’avoir recours à son assureur protection juridique (qui n’interrompt ni ne suspend la prescription), et rester dans l’attente de sa réponse avant de pouvoir demander en cas de réponse négative, le bénéfice de l’aide juridictionnelle qui, lui, interrompt la prescription dont on espère qu’elle n’est pas intervenue entre-temps. Si l’on prend en considération l’inutile dualité des régimes de contentieux assureur/assuré, le caractère complexe d’un recours à un arbitre et les différences incompréhensibles en termes de prescription entre l’action de l’assuré PJ concernant « les mesures à prendre pour régler un différend » qui bénéficie d’une suspension, le contentieux avec l’assureur sur le jeu du contrat ou des garanties qui est neutre en termes de prescription et la situation du demandeur d’AJ qui voit la prescription interrompue dès le dépôt de la demande pour bénéficier d’« un nouveau délai de même durée » on en vient à la conclusion qu’il faut, autant que faire se peut, unifier ces deux régimes. Ainsi pourrait être donnée compétence au BAJ, qui deviendrait dès lors Bureau d’Accès au Droit, pour trancher toutes les difficultés entre un assureur PJ et un assuré PJ. Cela permettrait en outre au BAD, de mettre réellement en œuvre la subsidiarité entre PJ et AJ puisqu’il pourrait, dans une seule et même décision confirmer le refus de garantie au titre de la PJ et accorder l’AJ… Le BAD ou son président pourrait également enjoindre aux assureurs non diligents de délivrer (le cas échéant sous astreinte) une attestation sur le jeu ou le non jeu de la PJ. La date à prendre en considération dans le cadre de l’effet interruptif de prescription du dépôt du dossier d’aide juridictionnelle, pourrait, à condition que ce dépôt intervienne dans un certain délai de la réception de l’attestation, celle de la saisine du BAD ou de son président sur ce point. (21) D. n° 91-1266, 19 déc. 1991, art. 38. « Lorsqu’une action en justice doit être intentée avant l’expiration d’un délai devant la juridiction du premier degré, devant le premier président de la cour d’appel en application des articles 149-1 et 149-2 du Code de procédure pénale ou devant la Commission nationale de réparation des détentions provisoires, l’action est réputée avoir été intentée dans le délai si la demande d’aide juridictionnelle s’y rapportant est adressée au bureau d’aide juridictionnelle avant l’expiration dudit délai et si la demande en justice est introduite dans un nouveau délai de même durée à compter : a) de la notification de la décision d’admission provisoire ; b) de la notification de la décision constatant la caducité de la demande ; c) de la date à laquelle la décision d’admission ou de rejet de la demande est devenue définitive ; d) ou, en cas d’admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné ». (22) L. n° 91-647, 10 juill. 1991, art. 2, al. 3. 16 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 Afin d’unifier les régimes d’interruption de prescription en matière d’AJ et de PJ, la situation du justiciable étant similaire, la demande à un tiers d’un accord préalable pour financer une procédure judiciaire, la demande par un assuré PJ, adressée à son assureur, de prise en charge d’une procédure à lancer devrait, à l’instar du dépôt du dossier d’aide juridictionnelle, être interruptive de prescription. Celle-ci ne recommencerait à courir qu’à compter de la décision de l’assureur ou du BAD en cas de recours, comme c’est le cas en matière d’AJ. Les pistes proposées permettraient : ––de rapprocher la situation de tous les justiciables, quel que soit leur mode d’accès au droit lorsqu’ils saisissent le juge ; ––de garantir plus efficacement leur libre choix de l’avocat tant en matière d’AJ que de PJ ; ––de mettre fin à des disparités de situations pour la personne condamnée aux dépens qui ne dépendrait plus du mode d’accès au droit de la personne qui a gagné le procès ; ––d’améliorer la rétribution des professionnels acceptant d’intervenir à l’AJ quand leur client gagne le procès ; ––d’assurer une prise en charge minimale des honoraires de l’avocat de la personne qui gagne le procès par celle condamnée aux dépens ; ––d’unifier les régimes d’interruption de prescriptions en cas de demande de prise en charge des frais de procédures par l’État en cas demande d’AJ ou par un assureur protection juridique sans dépenses supplémentaires pour l’État, voire avec une baisse de charges et un supplément de rentrées résultant du transfert à la partie gagnant son procès de la charge de recouvrer les sommes revenant à l’État. ––de simplifier et rendre réellement effectif le système de règlement des litiges entre assuré et assureur PJ ––de renforcer la subsidiarité de l’AJ par rapport à la PJ 255z2 D oc tr i ne 255z6 SOCIÉTÉS L’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel : opportunité ou risque ? 255z6 L’essentiel L’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel a été consacrée par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques. L’institution de cette mesure dispense désormais l’entrepreneur individuel de procéder à la déclaration notariée d’insaisissabilité afin de protéger sa résidence principale. Cette mesure qui heurte les droits des créanciers professionnels du débiteur vise clairement à faciliter la création d’entreprises individuelles. L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques 1. Peut-on considérer la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 Christian GAMALEU pour la croissance, l’actiKAMENI vité et l’égalité des chances Docteur en droit, élève économiques dite loi Macron Avocat, chercheur – comme une loi-fleuve (1) ? CREDIMI, université de La réponse nous semble Bourgogne –Franche Comté affirmative. En effet, malgré la censure par le Conseil constitutionnel de certaines de ses dispositions (2), la loi Macron appréhende plusieurs secteurs d’activités économiques (3). Ce qualificatif apparaît idoine dans la mesure où cette loi (4) vise des objectifs variés : créer la croissance, libérer et faciliter l’activité économique. L’atteinte desdits objectifs a justifié l’institution de mesures diverses parmi lesquelles on peut citer l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel. Note par 2. De manière laconique, l’insaisissabilité est le caractère de ce qui est insaisissable (5). Au sens technique, l’insaisissabilité est une protection spéciale découlant de la loi qui met en tout ou partie certains biens d’une personne hors d’atteinte de ses créanciers, en interdisant que ces biens soient l’objet d’une saisie dans les limites et les exceptions déterminées par la loi (6). Cette acception coïncide fort heureusement avec la logique de la loi du 6 août 2015. Dans le cadre de cette loi, l’insaisissabilité de plein droit protège le patrimoine de l’entrepreneur individuel contre ses créanciers professionnels. Ce qui signifie que dans l’hypothèse où la créance de l’entrepreneur individuel n’a pas une (1) Pour M. Véricel, « Les dispositions de la loi Macron sur le travail le dimanche et le travail de nuit » : RDT n° 10, sept. 2015, p. 505, la loi Macron constitue une loi-fleuve comportant des dispositions touchant à des domaines très divers ; pour P.-H. Conac et I.-U. Parleani, « Loi Macron : une loi omnibus » : Rev. sociétés sept. 2015, p. 623, c’est une loi touchant l’ensemble de l’économie… C’est une loi de simplification au domaine plus large. Dans sa parution du 15 février 2015, le Journal Le Figaro Économie qualifiait la loi Macron de « texte fleuve ». (2) La censure de la disposition portant sur le plafonnement de l’indemnisation des licenciements. (3) L’on peut citer le transport, la concurrence, la consommation le travail dominical, la fiscalité, etc. (4) Loi parue dans le Journal officiel n° 181 du 7 août 2015, p. 13537. (5) Dictionnaire de la langue française Le Petit Robert, éd. Dictionnaire Le Robert, Paris, 2004, p. 13710. (6) V. « Insaisissabilité » in Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant. nature professionnelle, le patrimoine de ce dernier n’est guère insaisissable. On peut alors lire à l’article 526-1 du Code de commerce : « par dérogation aux articles 2284 et 2285 du Code civil, les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne (…) L’insaisissabilité mentionnée aux deux premiers alinéas du présent article n’est pas opposable à l’administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l’encontre de la personne, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, au sens de l’article 1729 du Code général des impôts ». Tout ce qui précède laisse présager que l’insaisissabilité constitue désormais un principe assorti d’exceptions. Elle n’est plus subordonnée à une déclaration unilatérale de l’entrepreneur. En tant que tel, elle est destinée à relancer l’entreprenariat dans un contexte de crise manifeste. Il convient alors de s’interroger sur l’institution d’une telle mesure. Pourra-t-elle produire l’effet escompté ? 3. L’analyse de la problématique relative à l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel permet de rappeler qu’avant la loi Macron notamment sous l’empire de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique, la protection du patrimoine de l’entrepreneur était assurée au moyen de la déclaration notariée d’insaisissabilité (7). Cette déclaration, réalisée auprès d’un notaire, était soumise à des conditions (8) bien déterminées. La loi n° 2008-658 du 4 août 2008 dite Loi de modernisation de l’économie a permis l’extension (9) du domaine de la déclaration d’insaisissabilité de l’entrepreneur individuel. Grâce à la loi de 2008, la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel s’est trouvée renforcée. Outre l’immeuble où (7) F. Vauvillé, « La déclaration notariée d’insaisissabilité » : Rép. Defrénois 2011, p. 1292 ; « La déclaration notariée d’insaisissabilité » : Rép. Defrénois, ibid. (8) M. Dagot, « Conditions de formes (déclaration d’insaisissabilité) », JCP N 2004, 1028, spéc. n° 4, (9) L. Lauvergnat, « Réflexions sur l’extension du domaine de la déclaration d’insaisissabilité par la LME » : Dr. et procéd. Fév. 2009, p. 68. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 17 D octr i n e est affectée la résidence principale, « tout bien foncier bâti ou non bâti non affecté à l’usage professionnel » de l’entrepreneurpeut être déclaré insaisissable. S’inscrivant dans la même mouvance, la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 relative à l’Entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) a permis le cloisonnement du patrimoine de l’entrepreneur. L’on assiste donc à la distinction patrimoine privé ou domestique et patrimoine affecté ou professionnel. Grâce à ce statut, les créanciers professionnels ne peuvent poursuivre que le patrimoine affecté. Les éléments du patrimoine privé demeurent ainsi hors de portée des créanciers professionnels sauf si l’entrepreneur fait l’objet d’une procédure collective et qu’une action en réunion du patrimoine ait été initiée par un organe de la procédure. L’article L. 632-1, I, 12°, du Code de commerce issu de l’ordonnance du 12 mars 2014 (10) relève en outre que la déclaration d’insaisissabilité peut être frappée de nullité si elle est intervenue dans les six mois précédant la cessation des paiements du débiteur. 4. Il est notable de souligner que l’insaisissabilité bénéficie exclusivement aux personnes physiques. Les auto-entrepreneurs, les artisans, les exploitants agricoles et tout professionnel libéral peuvent être cités à titre illustratif. Cela étant, cette insaisissabilité peut être totale ou partielle suivant l’usage réservé par l’entrepreneur individuel à sa résidence principale. Dans l’hypothèse où toute la résidence principale est affectée à l’activité professionnelle, l’insaisissabilité demeure totale. En revanche, lorsque la résidence principale de l’entrepreneur est utilisée en partie pour un usage professionnel,« la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire » (11). Dans le même ordre d’idées, le prix de vente de la résidence principale demeure insaisissable sous certaines conditions. Ainsi, « en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par la personne mentionnée au premier alinéa de l’article L. 526-1 d’un immeuble où est fixée sa résidence principale » (12). 5. Une lecture a contrario du texte instituant l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel laisse entendre que tous les autres biens immobiliers telle la résidence secondaire de ce dernier ne bénéficient pas de la même protection. Aussi, une déclaration reste indispensable pour les mettre à l’abri des poursuites des créanciers professionnels. Force est de constater que si l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel constitue une mesure manifestement opportune (I), elle n’est cependant pas dépourvue de risque (II). I. L’OPPORTUNITÉ DE LA MESURE 6. Il est important d’entrée de jeu de souligner que l’insaisissabilité de plein droit consacrée par la loi Macron n’a pas un caractère absolu. C’est ainsi qu’en cas d’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales (13) ou (10) Ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 réformant le droit des entreprises en difficulté. (11) C. com., art. L. 526-1, al. 1er. (12) C. com., art. L. 526-3, al. 1er. (13) Suivant les termes du CGI, art. 1729. 18 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 de manœuvres frauduleuses (14), l’entrepreneur individuel ne saurait bénéficier de cette mesure vis-à-vis de l’administration fiscale. Il ne saurait davantage en bénéficier si sa renonciation est exprimée de manière délibérée (15). Dans ce cas de figure, l’entrepreneur renonce à ladite insaisissabilité en faveur de telle ou telle personne, afin sans doute de trouver du crédit (16). Ceci dit, deux arguments permettent d’accréditer la thèse suivant laquelle l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale est une mesure opportune : faciliter la création d’entreprises individuelles et l’auto-entreprenariat et résoudre les incertitudes inhérentes à la déclaration notariée d’insaisissabilité du déclarant en état de procédure collective. “ L’insaisissabilité de plein droit consacrée par la loi Macron n’a pas un caractère absolu ” 7. En ce qui concerne la création d’entreprises individuelles, la loi Macron est dénuée d’ambiguïtés. Cette loi actionne tous les leviers afin de relancer la croissance, l’investissement et l’emploi (17) dans un contexte de frémissement de l’activité économique. Le titre premier de cette loi est d’ailleurs assez évocateur « Libérer l’activité » (18). Ici, il est question, à travers l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale, de mettre fin à la réticence et/ou à la pusillanimité de toutes personnes physiques désirant initier une activité économique. Rappelons que cette réticence ou pusillanimité se trouve accrue au moment des difficultés ou de la défaillance de l’activité puisque la résidence principale, bien immobilier généralement unique (19) des personnes physiques, fera alors l’objet des procédures civiles d’exécution par les créanciers de l’entrepreneur. L’insaisissabilité instituée met donc en exergue la sanctuarisation de la résidence principale de l’entrepreneur individuel. L’opportunité de la mesure réside par conséquent dans la sécurité offerte aux entrepreneurs individuels lors de la mise en œuvre de leurs activités économiques. Les créateurs d’entreprises sont protégés ab initio (20). 8. S’agissant de la déclaration notariée d’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, son opposabilité demeure problématique lorsque l’entrepreneur fait l’objet d’une procédure collective. Avant la loi (14) En vertu de l’adage« Fraus omnia corrumpit »(« La fraude corrompt tout »), le droit français sanctionne l’auteur de la fraude par l’inopposabilité du droit ou de l’acte obtenu. (15) La renonciation de l’insaisissabilité est prévue par le C. com., art. L. 526-3, al. 2. (16) P. Roussel Galle, « Brèves observations sur la loi “Macron” et le droit des entreprises en difficulté » : Rev. Société, sept. 2015, p. 543 ; P. Simler, JCP E 2015, 1222, spéc. n° 12. (17) M. Véricel, art. préc., p. 505. (18) La loi Macron comporte trois titres : le titre I est intitulé « Libérer l’activité », le titre II et le titre III s’intitulent respectivement « Investir » et « Travailler ». (19) S’il est notoire de reconnaître que les personnes physiques réalisant les activités économiques possèdent des biens immobiliers variés, il faut tout de même reconnaître que la majorité de ces personnes possèdent comme bien immobilier leur résidence principale. (20) V. Legrand, « L’insaisissabilité de la résidence principale : le cadeau empoisonné de la loi Macron ? » : LPA 9 sept. 2015, p. 7, n° 180. Do ctr in e Macron, la question lancinante était relative à l’efficacité de cette déclaration spécifiquement lors de la procédure de liquidation judiciaire du déclarant. La position des juridictions inférieures (21) a été ambivalente confortée par le caractère équivoque des textes sur la question. Par arrêt de principe datant du 28 juin 2011 (22) confirmé plus tard (23), la haute juridiction a énoncé que« le débiteur peut opposer la déclaration d’insaisissabilité qu’il a effectuée en application de l’article L. 526-1 du Code de commerce, avant qu’il ne soit mis en liquidation judiciaire, en dépit de la règle du dessaisissement prévue par l’article L. 641-9 ». Cette opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité au liquidateur laisse planer une évidente interrogation : les créanciers auxquels cette déclaration est inopposable (24) peuvent-ils saisir la résidence principale de l’entrepreneur ? La réponse est incontestablement affirmative. Toutefois, vu que l’entrepreneur fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, et sur la base de la discipline collective, ces créanciers se trouvaient malheureusement privés du droit de poursuite de la résidence principale lors de la liquidation judiciaire et même après sa clôture alors même que la déclaration de ladite résidence leur était inopposable. Que faire ? Sans être une solution parfaite, l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale apparaît comme une mesure propice puisqu’elle permet de« mettre fin aux incertitudes liées aux effets d’une déclaration d’insaisissabilité à l’égard des créanciers à qui cette déclaration était inopposable ». Elle cesse d’être réalisée par une déclaration unilatérale avec son lot d’aléas et se réalise désormais de droit. Pour un auteur (25), à travers la mesure instituée, le législateur s’est contenté de rajouter du neuf sur l’existant ; une situation qui ne serait pas dénuée de risque. II. LE RISQUE INHÉRENT À LA MESURE 9. Définitivement adoptée le 10 juillet 2015 au terme d’une procédure ponctuée par trois recours du gouvernement à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution et par (21) Pour CA Aix-en-Provence, 3 déc. 2009 : Act. proc. coll. 2010, comm. n° 164, obs. J. Vallansan : « La déclaration d’insaisissabilité qui n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent postérieurement à la publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant, ne permet pas de déroger au principe de dessaisissement à l’égard du bien concerné ».La logique propre à cet arrêt est conforme à celle de la CA d’Orléans, 5 mai 2008 : JCP E 2009, 1008, spéc. n° 9, obs. P. Pétel – CA Douai, 23 sept. 2010 : JCP E 2010, obs. C. Lebel, s’est en revanche prononcée différemment sur la question : « Une déclaration d’insaisissabilité régulièrement publiée ne permet pas aux organes de la procédure collective d’incorporer l’immeuble concerné dans le périmètre de la saisie des biens appartenant au débiteur ; que les créanciers antérieurs ou extra professionnels ont seuls qualité pour appréhender et réaliser ce bien ; que la règle de suspension des poursuites individuelles (…) ne peut leur opposer dès lors que le bien déclaré insaisissable n’entre pas dans le gage commun de l’ensemble des créanciers de la procédure collective ». (22) Cass.com., 28 juin 2011, n° 10-15482 : D. 2011, p. 1751, obs. A. Lienhard ; JCP E 2011, 1551, note F. Pérochon. (23) Cass. com., 24 mars 2015, n° 14-10175 : D. 2015, p. 799, obs. A. Lienhard ; LPA 16 sept. 2015, p. 11, n° 185, note M. Laugier. (24) Les créanciers privés et les créanciers professionnels antérieurs à la déclaration d’insaisissabilité et éventuellement les créanciers professionnels postérieurs bénéficiant de la renonciation. (25) V. Legrand, « L’insaisissabilité de la résidence principale : le cadeau empoisonné de la loi Macron ? » : LPA 9 sept. 2015, p. 7, n° 180. deux motions (26) de censure finalement rejetées (27), la loi Macron du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques comporte des mesures notables. Outre l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel contre ses créanciers professionnels, la loi institue l’ouverture des commerces le dimanche, l’épargne salariale, la mobilité bancaire, etc. La loi simplifie également les règles applicables à la publication des comptes de résultat et les bons de souscription de parts de créateur d’entreprises afin d’accroître les marges de manœuvre des petites entreprises. S’agissant de l’insaisissabilité de plein droit, il faut reconnaître qu’elle est instituée par l’article 206 de la loi précitée. Elle se réalise désormais sans formalités particulières et sans frais. Dans cette mouvance, elle est censée rassurer les personnes physiques créatrices d’entreprises individuelles. Ici, la question qui mérite d’être soulevée est la suivante : en quoi l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale constitue-t-elle un risque ? 10. Bien qu’elle soit fondée sur un objectif irrécusable, l’insaisissabilité automatique de la résidence principale peut malencontreusement avoir un effet inattendu. Autrement dit, destinée à sanctuariser la résidence principale de l’entrepreneur individuel en la mettant hors de portée de ses créanciers professionnels, l’insaisissabilité de plein droit amenuise le patrimoine de l’entrepreneur individuel et est susceptible de réduire sa capacité d’accès au crédit (28). Très concrètement, le risque inhérent à cette mesure est la diminution des possibilités de l’entrepreneur à l’accès au financement lors de la création et de la mise en œuvre de son activité. Mais alors, ce risque est-il insurmontable ? Aucunement. L’article L. 526-3 du Code de commerce permet en effet à l’entrepreneur individuel de renoncer à cette insaisissabilité automatique. Pour un auteur (29), « la loi reprend d’une main ce qu’elle a donné de l’autre ». Dans cette circonstance, il est logique de penser que les établissements de crédits et les créanciers institutionnels feront de la renonciation à l’insaisissabilité de plein droit la condition sine qua non de l’obtention d’un financement (30). Ces créanciers pourront tout aussi préalablement à l’octroi du financement exiger des entrepreneurs la constitution d’une autre forme de société (31) au moyen de laquelle ils contourneront le principe de l’insaisissabilité. De tels faits videraient l’insaisissabilité automatique de tout son sens et lui priveraient subséquemment d’effectivité. Il apparaît donc que le risque inhérent à l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel réside dans son quasi-ineffectivité. L’exception de renonciation qui est assortie à l’insaisissabilité de plein droit rendrait cette mesure contre productive. Nous approuvons le point de vue d’un auteur selon lequel « faire croire que l’entreprise individuelle est sans risque, afin d’inciter tous les (26) Les deux motions de censure ontété rejetées respectivement le 19 février et le 18 juin 2015. (27) M. Plankensteiner et E. Créquer, « Les relations commerciales après la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » : LPA 4 nov. 2015, p. 14, n° 220. (28) J.-L. Vallens, art. préc., p. 8. (29) Ibid. (30) V. Legrand, « Faut-il supprimer la déclaration notariée d’insaisissabilité ? » : D. 2015, p. 2388. (31) Il est fait allusion à l’Entreprise Unipersonnelle à Responsabilité Limitée. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 19 D octr i n e chômeurs à lancer leur activité, est dangereux (…) pour l’entrepreneur lui-même ». 11. En somme, s’il est évident que l’insaisissabilité de plein droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel contre ses créanciers professionnels est propice à tous entrepreneurs du fait qu’elle se réalisera désormais sans frais et sans contrainte, il convient toutefois de relever que la renonciation à cette insaisissabilité pour des motifs légitimes (32) pourrait faire perdre à cette mesure son applicabilité réelle. Tout compte fait, une intervention législative reste nécessaire afin d’articuler le régime de l’insaisissabilité et la liquidation judiciaire (33) de l’entrepreneur. 255z6 (32) Recherche de tout financement indispensable à la création ou à l’exploitation de l’activité économique. (33) A. Lienhard, obs sous Cass.com., 24 mars 2015, n° 14-10.175 : D. 2015, p. 799. 20 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 Jur i sp rud ence 256c7 TRAVAIL La prescription des indemnités de préavis et de congés payés dues à la suite d’une requalification de contrats de travail en contrat à durée indéterminée 256c7 L’essentiel Les indemnités de préavis et de congés payés, fussent-elles dues à la suite d’une requalification de contrats en contrat à durée indéterminée, ont un caractère de salaire ; il en résulte que l’action en paiement de ces indemnités est soumise à la prescription quinquennale, alors applicable en matière de salaires. Tel est l’apport de deux arrêts rendus le 16 décembre par la Cour de cassation, dont l’avis de l’avocat général sur le pourvoi n° 14- 15999, se trouve ici reproduit. Cass. soc., 16 déc. 2015, no 14-15999, SAEME c/ M. X, FS-D (Cassation partielle sans renvoi, CA Chambéry, 18 févr. 2014), M. Frouin, prés., SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, av. : V. également Cass. soc., 16 déc. 2015, n°14-15997, ECLI:FR:CCASS:2015:SO02205, FS-P+B (Cassation partielle sans renvoi, CA Chambéry, 18 févr. 2014), M. Frouin, prés., SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, av. M . Marc X a été embauché le 30 juillet 1984 par la Hubert LIFFRAN société anonyme des Eaux Avocat général à la Cour minérales d’Evian (société de cassation SAEME) en qualité d’agent de production, dans le cadre d’un contrat saisonnier qui a pris fin le 28 septembre suivant. Par la suite, au cours des années 1985 à 1987, M. X a été embauché par cette même société, toujours en qualité d’agent de production, dans le cadre de différents contrats saisonniers et de contrats à durée déterminée. Avis par À l’issue d’un contrat dit « de saison » qui a pris fin le 30 septembre 1987, M. X a poursuivi son activité d’agent de production au sein de la société SAEME dans le cadre de diverses missions d’intérim, jusqu’au 24 juin 1988. Après avoir été à nouveau engagé par la société SAEME par un contrat à durée déterminée pour le mois de juillet 1988, il a poursuivi son activité au sein de cette société dans le cadre de nouvelles missions d’intérim jusqu’au 4 novembre 1988. Après une interruption de la relation de travail pendant près de sept ans, M. X a repris le 22 mars 1995 son activité d’agent de production au sein de la société SAEME dans le cadre de missions d’intérim jusqu’au 19 mai suivant. Par un dernier contrat à durée déterminée du 22 mai 1995, M. X a été embauché par la société SAEME, au motif du remplacement d’un salarié absent. À l’issue de ce contrat, le 8 septembre 1995, la relation de travail a définitivement pris fin. Le 19 juin 2012, M. X a saisi la juridiction prud’homale de demandes de requalification de sa relation de travail avec la société SAEME en contrat à durée indéterminée et de paiement de diverses indemnités de rupture ainsi que de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par jugement du 11 mars 2013, le conseil de prud’hommes d’Annemasse a accueilli les demandes de M. X. Par arrêt du 18 février 2014, la cour d’appel de Chambéry a confirmé le jugement sur tous les chefs de son dispositif, à l’exception du montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qu’elle a augmenté. Le 17 avril 2014, la société SAEME s’est régulièrement pourvue en cassation. En un premier moyen, la société SAEME reproche à l’arrêt attaqué de la condamner verser à M. X la somme de 1 296 € titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, en faisant valoir que : - en retenant, pour écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par la société SAEME, que l’action en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis était soumise, au jour de la rupture du contrat de travail de M. X au mois de septembre 1995, à une prescription trentenaire, alors qu’en vertu de l’article L. 3245-1 du Code du travail, dans sa version applicable au litige, l’action en paiement du salaire se prescrit par cinq ans; que l’indemnité compensatrice de préavis ayant un caractère salarial, l’action en paiement de cette indemnité est donc soumise à un délai de prescription quinquennale; que l’action du salarié en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis ayant été engagée le 19 juin 2012, soit plus de cinq ans après la rupture de son dernier contrat de travail au mois de septembre 1995, elle était donc frappée de prescription, la cour d’appel a violé l’article L. 3245-1 du Code du travail (1re branche); - en appliquant en l’espèce le régime transitoire instauré par l’article 26-II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et en décidant, en conséquence, de ne faire courir le délai de prescription quinquennale qu’à compter du 19 juin 2008, alors qu’en vertu de l’article 26-II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 21 Jur i s p r u de nc e civile «les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure»; que le régime transitoire prévu par ledit article 26-II n’est applicable qu’aux délais de prescription ayant été réduits par la loi du 17 juin 2008; que tel n’est pas le cas de la prescription quinquennale en matière de paiement du salaire qui était déjà applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, la cour d’appel a violé le texte susvisé, ensemble l’article L. 3245-1 du Code du travail (2e branche); - en retenant, pour écarter la prescription quinquennale et faire application d’un délai de prescription trentenaire, que la demande de M. X en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis était la « conséquence de la demande de requalification du contrat », alors que cette circonstance n’était pas de nature à modifier le caractère salarial de l’indemnité compensatrice de préavis et à faire échec à la prescription quinquennale, la cour d’appel a encore violé l’article L. 3245-1 du Code du travail (3e branche). La SAEME avait fait valoir que les demandes d’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents formulées par M. X étaient atteintes par la prescription de cinq ans applicable aux demandes de nature salariale en application de l’article L. 3245-1 du Code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur. Mais la cour d’appel avait rejeté cette exception, en retenant en substance que ces demandes n’étaient soumises à la prescription quinquennale que depuis la loi du 17 juin 2008 et que le délai de prescription de trente ans qui s’appliquait antérieurement n’était pas expiré à la date d’entrée en vigueur de cette loi, de sorte que le nouveau délai de cinq ans débutait à compter de cette date et n’était de ce fait pas expiré. On sait que jusqu’en 2008, sauf dispositions contraires, les actions personnelles ou mobilières se prescrivaient par trente ans. Toutefois, depuis la loi n° 71-586 du 16 juillet 1971, l’action en paiement des salaires se prescrivait par cinq ans, ainsi que le précisait l’article L. 143-14 du Code du travail. Le délai de droit commun de trente ans a été réduit à cinq ans par la loi du 17 juin 2008 qui a modifié l’article 2224 du Code civil qui dispose désormais que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Selon son article 26.II, les dispositions de cette loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de son entrée en vigueur, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Ainsi que vous l’avez jugé, dans un arrêt du 19 septembre 2012 (Cass. soc., 19 sept. 2012, n° 11-18020), l’action en requalification d’un contrat à durée déterminée antérieur à la loi du 17 juin 2008 était soumise, selon l’état de droit précédent, à la prescription de droit commun de trente ans, de sorte que pour l’action entreprise par M. X, c’est au 18 juin 2008, date d’entrée en vigueur de cette loi, que le délai de prescription de cinq ans a commencé à courir. La question qui se pose est alors celle de savoir si les demandes d’indemnité compensatrice de préavis et 22 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 d’indemnité de congés payés afférente formulées par M. X à la suite de sa demande de requalification doivent être considérées comme étant annexes à cette dernière et suivre, quant à la prescription, le même régime que cette dernière, ou si elles ne doivent pas être considérées en elles-mêmes comme étant de nature salariale, atteintes à ce titre par la prescription quinquennale qui était en vigueur dès avant la loi du 17 juin 2008. Dans un arrêt, non publié, du 13 avril 2010 (Cass. soc., 13 avr. 2010, n° 09-41508), vous avez jugé, sous l’empire de l’état de droit antérieur à la loi du 17 juin 2008, que la prescription quinquennale relative aux créances de nature salariale ne pouvait être opposée à la demande d’un salarié de La Poste tendant à obtenir la condamnation de son employeur à régulariser sa situation auprès des caisses de retraite, dès lors que l’obligation pour l’employeur d’affilier son personnel à un régime de retraite et de régler les cotisations qui en découlent, est soumise à la prescription trentenaire. Mais deux mois plus tard, dans un arrêt du 16 juin 2010, rendu à propos d’une demande identique formulée par un autre salarié de La Poste (Cass. soc., 16 juin 2010, n° 08-45618), vous avez adopté la solution inverse. Ultérieurement, dans un arrêt P + B du 22 octobre 2014 (Cass. soc., 22 oct. 2014, n° 13-16936), vous avez mis un terme à cette contradiction de jurisprudence, en énonçant que dès lors que le droit au paiement des salaires est atteint par la prescription, l’action en paiement des cotisations d’assurance vieillesse et retraite complémentaire assises sur ces salaires est nécessairement prescrite, refusant ainsi qu’un employeur puisse être condamné à verser des cotisations sur des salaires fictifs, dans la mesure où ceux-ci n’ont pas été versés au salariés et ne peuvent plus l’être par l’effet de la prescription. Vous avez ainsi repris le fil d’une jurisprudence qui retient une acception large de la notion de demande de nature salariale. Ainsi, dans deux arrêts des 23 juin 2010 et 23 octobre 2013 (Cass. soc., 23 juin 2010, n° 08-45241 et Cass. soc., 23 oct. 2013, n° 12-23722), vous avez jugé que la prescription quinquennale instituée par l’article 3245-1 du Code du travail s’applique à toute action afférente au salaire et que tel est le cas d’une action tendant au versement, à la suite de la requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, de sommes au titre de la rémunération des journées de travail non effectuées. C’est conforme à la formulation plus générale énoncée dans un certain nombre de vos décisions selon laquelle la prescription quinquennale s’applique à l’ensemble des demandes de nature salariale (Cass. soc., 5 mars 2014, n° 12-27050 ; Cass. soc., 23 oct. 2013, n° 12-22730 ; Cass. soc., 20 oct. 2013, n° 12-16153 ; Cass. soc., 30 mai 2013, n° 12-16153 ; Cass. soc., 20 févr. 2013, n° 11-21486). Cela rejoint l’opinion exprimée par le Président Sargos dans un article paru en 2005 sur l’étendue et les limites de la prescription quinquennales (Semaine Sociale Lamy 2005, n°1208), cité dans le mémoire ampliatif (p. 6), dans lequel cet auteur faisait valoir que l’évolution de votre jurisprudence tendait à étendre le domaine de la prescription à la plupart des actions en justice afférentes à une créance née d’un travail salarié. Dans ces conditions, c’est à tort que la cour d’appel a retenu que la demande d’indemnité compensatrice de Jur ispr ude nc e préavis formulée par M. X n’était pas prescrite, alors que le délai de prescription de cinq ans auquel elle était soumise dès avant la loi du 17 juin 2008 avait commencé à courir le 9 septembre 1995 et était donc largement expirée EXTRAIT DE L’ARRÊT RENDU SUR L’AVIS CONFORME DE L’AVOCAT GÉNÉRAL (POURVOI N° 14-15999) Vu l’article L. 3245-1 du Code du travail, en sa rédaction applicable en la cause, ensemble l’article 26-II de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ; Attendu que pour condamner la société SAEME à payer à M. X des sommes à titre d’indemnité de préavis et de congés payés, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la demande en paiement de l’indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis doit être analysée, comme la conséquence de la demande de requalification du contrat, et que, dès lors si le nouveau délai de cinq ans n’était pas expiré lors de l’entrée en vigueur de la loi le 19 juin 2008, le nouveau délai de cinq ans s’applique et débute à cette date, de sorte que le salarié avait donc jusqu’au 19 juin 2013 pour introduire son action sans être frappé par la prescription ; Qu’en statuant ainsi, alors que les indemnités de préavis et de congés payés, fussent-elles dues à la suite d’une le 19 juin 2012, date à laquelle il avait saisi la juridiction prud’homale. Il y a donc lieu à une cassation sur les trois branches du 1er moyen réunies. requalification de contrats en contrat à durée indéterminée, ont un caractère de salaire, ce dont il résultait que l’action en paiement de ces indemnités était alors soumise à la prescription quinquennale, de sorte que l’article 26-II de la loi du 17 juin 2008 n’était pas applicable, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; Vu l’article 627 du Code de procédure civile ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il condamne la SAEME à payer à M. X la somme de 1 296 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de 129,60 € à titre d’indemnité de congés payés, l'arrêt rendu le 18 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; DIT n’y avoir lieu à renvoi de ce chef ; Déclare irrecevable M. X en ses demandes en paiement de sommes à titre d’indemnité compensatrices de préavis et de congés. 256c7 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 23 J u ris pr udenc e 255c9 PROCÉDURE PÉNALE Le régime de la notification des droits du suspect attachés à la prolongation de la garde à vue 255c9 L’essentiel L’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 1er décembre 2015 revient sur les modalités et les sanctions de la notification des droits du suspect en cas de prolongation de la garde à vue. Cass. crim., 1er déc. 2015, no 15-84874, Mme X c/ MP, PB (rejet pourvoi c/ CA Nancy, ch. instr. 29 juill. 2015), M. Guérin, prés., M. Parlos, M. Straehli, M. Finidori, M. Monfort, M. Buisson, Mme Durin-Karsenty, M. Larmanjat, M. Ricard, M. Barbier, M. Talabardon, cons. E n l’espèce, une personne a été placée en garde à vue au cours d’une information judiciaire ouverte à la suite de la découverte d’un cadavre. Les différents droits afférents à cette mesure, prévus par les articles 63-1 et suivants du Code de procédure pénale, lui ont été notifiés verbaNote par lement par un officier de Rodolphe MÉSA police judiciaire (OPJ), cette Maître de conférences notification ayant été suivie HDR en droit privé et de la remise d’un document sciences criminelles, intitulé « formulaire de notiuniversité Lille – Nord de France (Ulco – Larj EA fication des droits d’une 3603) personne gardée à vue », ceci en pleine conformité avec les articles 63-1 et 803-6 du Code de procédure pénale dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 20122013/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (1). Le juge d’instruction auquel la personne gardée à vue a été présentée l’a informée de la prolongation de la mesure. À la suite de cette audition, une autre audition de cette personne a été réalisée par un OPJ en présence de l’avocat du suspect, cette audition ayant débuté avant l’expiration des premières vingt-quatre heures de garde à vue pour prendre fin après cette première période de vingt-quatre heures, c’est-à-dire après que la prolongation ait commencé. Ce n’est qu’à la fin de cette dernière audition que les droits attachés à la prolongation de la garde à vue ont été notifiés à la personne faisant l’objet de la mesure, ce qui a conduit l’OPJ à informer le juge d’instruction de la notification hors des délais impartis de ces droits. À la suite de cette information, le magistrat instructeur a ordonné la levée de la garde à vue et mis en examen pour meurtre aggravé la personne qui en faisait l’objet. La chambre de (1) R. Mésa, « Le renforcement relatif des droits procéduraux du suspect pendant la phase d’enquête » : Gaz. Pal. 20 sept. 2014, p. 17, n° 192u5 ; S. Pellé, « Garde à vue : la réforme de la réforme (acte I). À propos de la loi numéro 2014-535 du 27 mai 2014 » : D. 2014, p. 1508. 24 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 l’instruction de la cour d’appel de Nancy a également été saisie aux fins d’annulation de l’audition ayant eu lieu à cheval sur la période de garde à vue initiale et sa prolongation. L’arrêt de cette juridiction, qui a été rendu le 29 juillet 2015, a constaté l’irrégularité de cette audition, l’a annulée et a étendu les effets de cette annulation à différents actes subséquents, au motif que l’audition débutée au cours de la période initiale de garde à vue s’est prolongée au-delà sans que les droits attachés à la prolongation de la mesure n’aient été notifiés à la personne concernée qui a, de ce fait, été privée de la possibilité de solliciter un second examen médical et un entretien avec son avocat, cette absence de notification lui ayant nécessairement fait grief, ceci même si son audition a été réalisée en présence d’un avocat qui n’a formulé aucune observation. Le pourvoi formé par le procureur général près la cour d’appel contre cet arrêt a été rejeté par l’arrêt du 1er décembre 2015. Pour rejeter le pourvoi et approuver l’annulation d’une audition poursuivie lors du commencement de la prolongation d’une garde à vue et en l’absence de notification des droits attachés à cette prolongation, la chambre criminelle a considéré, d’une part, que la notification à la personne concernée des droits attachés à la prolongation de la garde à vue est une condition d’effectivité de leur exercice et, d’autre part, que la décision attaquée est parfaitement justifiée. Il en ressort que ces droits attachés à la prolongation de la garde à vue doivent, en principe et en toutes circonstances, être notifiés dès le début de cette prolongation (I), l’absence de cette notification dans ce temps faisant nécessairement grief aux intérêts de la personne gardée à vue (II). I. L’IMPÉRATIF DE NOTIFICATION DES DROITS DÈS LE DÉBUT DE LA PROLONGATION DE LA GARDE À VUE Si les droits attachés à la garde à vue énumérés par les articles 63-1 et suivants du Code de procédure pénale doivent en principe être notifiés dès le début de la mesure, certaines garanties sont reconnues au suspect détenu au cours de l’enquête, qui concernent tant le placement initial que la prolongation de la garde à vue. Il en va ainsi du droit à un examen médical, à propos duquel l’article 63-3 précise que la personne gardée à vue a le droit de demander à être examinée une seconde fois en cas de prolongation de la mesure. Il en est de même à propos du droit de Jur ispr ude nc e s’entretenir avec un avocat, l’article 63-4 reconnaissant ce droit à l’entretien dès le début de la garde à vue, mais également en cas de prolongation. Dans cette dernière hypothèse, en effet, la personne gardée à vue peut demander à s’entretenir à nouveau avec un avocat dès le début de la seconde période de vingt-quatre heures. Ces deux derniers droits devant pouvoir être effectifs, à la demande de la personne gardée à vue, dès le début de la prolongation, il en ressort naturellement que cette personne doit en être informée dès ce moment. L’arrêt du 1er décembre 2015 rappelle cet impératif, soumettant de la sorte explicitement et de manière tout à fait logique le régime de la notification des droits attachés à la prolongation de la garde à vue à celui des droits attachés au placement initial en garde à vue. Il en ressort au moins deux conséquences. La soumission de la notification des droits attachés à la prolongation de la garde à vue au même régime que celle des droits attachés au placement initial implique, en premier lieu, que ces droits, et notamment le droit à un examen médical et celui à un entretien avec un avocat, doivent être notifiés à la personne gardée à vue, par référence à l’article 63-1 du Code de procédure pénale, immédiatement, c’est-à-dire dès le début de la prolongation ou dans un très bref délai suivant la prolongation de la garde à vue. Si, par référence à la jurisprudence rendue relativement à la notification des droits attachés au placement initial, une notification quelques minutes (2) ou un quart d’heures après le début de la prolongation de la mesure pourrait être considérée comme non tardive (3), il ne devrait pas en aller de même lorsque la notification intervient au-delà ou fait totalement défaut. “ Le droit à un examen médical et celui à un entretien avec un avocat doivent être notifiés à la personne gardée à vue dès le début de la prolongation ” L’assimilation du régime de la notification des droits attachés à la prolongation de la garde à vue avec celui de la notification des droits attachés au placement initial implique, en second lieu, que seules des circonstances insurmontables soient de nature à justifier un retard dans cette notification (4). La chambre criminelle considère en effet classiquement que tout retard injustifié dans la notification des droits porte atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne s’il n’est pas justifié par une circonstance insurmontable (5). La combinaison de l’exigence d’immédiateté de la notification des droits attachés à la prolongation d’une mesure (2) Cass. 1re civ., 27 mai 2010, n° 09-12397 : Bull. civ. I, n° 122 ; RJPF, 1er sept. 2010, p. 15, obs. E. Putman ; AJ pénal 1er sept. 2010, p. 407, obs. J.-B. Perrier. (3) Cass. crim., 27 juin 2000, n° 00-80411 : Bull. crim., n° 246. (4) Cass. crim., 31 mai 2007, n° 07-80928 : Bull. crim., n° 146 ; RSC 2008, p. 651, obs. J. Buisson ; Dr. pén. 2007, comm. n° 45, obs. V. Lesclous ; Dr. pén. 2008, comm. n° 46, obs. V. Lesclous ; Procédures 2007, comm. n° 229, obs. J. Buisson. (5) Cass. crim, 14 déc. 1999, n° 99-84148 : Bull. crim., n° 302 ; Dr. pén. 2000, comm. n° 39, obs. A. Maron ; Procédures 2000, comm. n° 44, obs. J. Buisson. de garde à vue avec la circonstance insurmontable comme seule cause de nature à justifier un retard dans la notification doit logiquement aboutir à ce que la tenue d’une audition qui est en cours au moment où débute la prolongation de la garde à vue ne peut en aucune manière permettre un report de la notification de ces derniers droits, et notamment des droits à un examen médical et à un entretien avec un avocat. La solution retenue par l’arrêt du 1er décembre 2015 exige en effet, en pareille hypothèse, de suspendre l’audition de la personne gardée à vue de façon à ce que lui soient notifiés les droits attachés à la prolongation de la mesure. Deux solutions sont alors concevables après cette suspension. Soit la personne dont la garde à vue a été prolongée ne demande pas à bénéficier d’un nouvel examen médical ou d’un nouvel entretien avec un avocat, auquel cas l’audition suspendue devrait pouvoir reprendre. Soit, à l’opposé, cette personne sollicite un nouvel examen médical ou un nouvel entretien avec un avocat. En pareille hypothèse, les enquêteurs devront mettre en œuvre les diligences nécessaires au nouvel examen médical selon les modalités prévues par l’article 63-3 du Code de procédure pénale et, s’agissant du droit à l’entretien avec un avocat, suspendre, en application de l’article 63-4, l’audition jusqu’à ce que cet entretien ait pu avoir lieu. Étant précisé, toujours par référence à la solution adoptée par l’arrêt du 1er décembre 2015, d’une part, que le seul fait que l’information délivrée à la personne gardée à vue au moment du placement initial fasse référence à une éventuelle prolongation de la mesure ne saurait aucunement dispenser l’OPJ d’une nouvelle délivrance des informations portant sur les droits attachés à la prolongation au moment où celle-ci débutera, d’autre part, que la présence de l’avocat au cours de l’audition pendant laquelle débute la prolongation de la garde à vue ne peut valoir ni justification du retard dans la notification des droits ou dispense de notification, ni nouvel entretien avec un avocat au sens de l’article 63-4 du Code de procédure pénale. Dès lors, l’absence d’interruption de l’audition d’une personne gardée à vue au cours de laquelle débute la prolongation de la mesure, avec notification des droits à l’issue de ladite audition, a nécessairement pour conséquence de rendre cette notification tardive et, naturellement, de rendre irrégulière la partie de l’audition se poursuivant postérieurement à l’heure du début de la prolongation. II. UNE NOTIFICATION TARDIVE FAISANT NÉCESSAIREMENT GRIEF AUX INTÉRÊTS DE LA PERSONNE GARDÉE À VUE La notification tardive des droits attachés à la prolongation de la garde à vue est une cause d’irrégularité qui doit permettre l’annulation des auditions ou parties d’auditions recueillies postérieurement au début de la prolongation. À suivre la solution adoptée par l’arrêt du 1er décembre 2015, la nullité attachée à une telle irrégularité est une nullité d’ordre public, c’est-à-dire sans grief à prouver. La chambre criminelle a en effet approuvé les juges de la chambre de l’instruction d’avoir considéré que l’absence de notification des droits attachés à la prolongation de la garde à vue a nécessairement fait grief à la personne détenue, cette personne n’ayant pas été mise en mesure de solliciter un second examen médical et un nouvel entretien avec son avocat. Elle a également affirmé, pour motiver le rejet du pourvoi, que « la notification à la G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 25 Jur i s p r u de nc e personne concernée des droits attachés à la prolongation de la garde à vue est une condition d’effectivité de leur exercice ». L’application du régime de la nullité sans exigence de la preuve d’un grief se trouve ainsi parfaitement justifiée, l’absence de notification ou la notification tardive des droits attachés à la prolongation de la garde à vue privant la personne qui fait l’objet de la mesure d’une chance de solliciter la mise en œuvre de ces différents droits, donc lui faisant nécessairement grief. La solution adoptée par l’arrêt du 1er décembre 2015 quant aux conséquences de l’absence de notification ou de la notification tardive des droits attachés à la prolongation de la garde à vue appelle trois séries d’observations. La sanction de la notification tardive des droits attachés à la prolongation de la garde à vue s’inscrit, tout d’abord, dans le droit fil de la jurisprudence de la chambre criminelle relativement à la sanction de l’absence de notification ou de la notification tardive des droits attachés au placement en garde à vue. S’agissant du placement initial, il est en effet constamment jugé que l’OPJ a le devoir de notifier immédiatement les droits attachés au placement en garde à vue et que tout retard dans la mise en œuvre de cette obligation, non justifié par une circonstance insurmontable, porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne (6). Étant précisé que cette atteinte aux intérêts de la personne gardée à vue est caractérisée quand bien même il n’aurait été procédé à aucune audition de celle-ci entre le moment de son placement en garde à vue et celui de la notification de ses droits (7), et que cette solution, qui est classique s’agissant de l’information relative au droit à l’assistance d’un avocat et de la mise en œuvre de ce droit à l’assistance, a été rappelée, pour ce dernier droit, par un arrêt rendu le 21 octobre 2015 (8). La solution adoptée par l’arrêt du 1er décembre 2015 reprend également, s’agissant plus spécifiquement de la notification des droits attachés soit à une prolongation de garde à vue, soit à un changement de régime de garde à vue, celle d’un arrêt rendu le 24 juin 2009 à propos d’une enquête pour trafic de stupéfiants (9). La chambre criminelle y avait en effet jugé qu’encourt la cassation l’arrêt qui, pour écarter l’exception de nullité de la garde à vue, retient qu’il a été notifié à l’intéressé ses droits lors de son placement en garde à vue pour une infraction de droit commun et que l’entretien a bien eu lieu dans le délai légal, alors que la notification du droit de s’entretenir avec un avocat à l’issue d’un délai de soixante-douze heures n’avait pas été effectuée lors de la notification de l’application du régime de garde à vue spécifique aux infractions de trafic de stu- (6) Cass. crim., 30 avr. 1996, n° 69-82217 : Bull. crim., n° 182 ; RSC 1996, p. 879, obs. J.-P. Dintilhac – Cass. crim., 3 déc. 1996, n° 96-84503 : Bull. crim., n° 443 ; Procédures 1997. comm. n° 68, obs. J. Buisson – Cass. crim, 29 avr. 1998, n° 98-80121 : Bull. crim., n° 145 ; RSC 1998, p. 785, obs. J.-P. Dintilhac ; Procédures 1998, comm. n° 265, obs. J. Buisson ; RGDP 1999, p. 87, chron. D. Rebut – Cass. crim., 18 juin 1998, n° 98-81569 : Bull. crim., n° 200 ; Procédures 1999, comm. n° 15, obs. J. Buisson – Cass. crim., 14 déc. 1999, n° 99-84148, préc. – Cass. crim., 2 mai 2002, n° 01-88453 – Cass. crim., 16 juin 2015, n° 14-87878. (7) Cass. crim., 10 mai 2000, n° 00-81201 : Bull. crim., n° 182. (8) Cass. crim., 21 oct. 2015, n° 15-81032 : Gaz. Pal. 7 nov. 2015, p. 19, n° 246v0, note R. Mésa. (9) Cass. crim., 24 juin 2009, n° 08-87241 : Bull. crim., n° 136 ; Gaz. Pal. 7 oct. 2009, p. 4, note R. Mésa ; Procédures 2009, comm. n° 427, obs. J. Buisson ; AJ pénal 2009, p. 413, obs. J. Lasserre Capdeville. 26 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 péfiants. La chambre criminelle de préciser qu’une telle irrégularité porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée (10). Il ne semble, s’agissant des droits à l’information, qu’il n’y ait, en l’état actuel de la jurisprudence de la chambre criminelle, que le droit à l’information sur le lieu de l’infraction reprochée qui échappe au domaine de la présomption de grief (11). “ L’arrêt du 1er décembre 2015 pose nécessairement la question de la nature de la nullité attachée aux irrégularités relatives à l’examen médical, et plus précisément celle de l’ouverture vers la présomption de grief s’agissant de telles irrégularités ” Ensuite, et toujours s’agissant de la présomption de grief, l’arrêt du 1er décembre 2015 a appliqué cette présomption à propos de la notification tardive de l’ensemble des droits attachés à la prolongation de la garde à vue. La question de la portée de cette solution doit nécessairement être posée, particulièrement s’agissant des situations dans lesquelles l’absence de notification ou la notification tardive ne porterait pas sur l’ensemble des droits attachés à une telle prolongation, mais uniquement sur l’information relative à certains de ces droits, le cas échéant envisagés isolément. Si, sur ce point, l’inclusion de la demande en annulation pour absence de notification ou notification tardive du droit à l’assistance de l’avocat dans le domaine des nullités sans grief est à la fois incontestable et constante (12), ne serait-ce que parce que les irrégularités portant atteinte aux droits de la défense sont régulièrement sanctionnées par une nullité d’ordre public en ce qu’elles sont considérées comme atteignant en elles-mêmes les intérêts de la personne concernée (13), il n’en va pas nécessairement ainsi à propos de l’information portant sur le droit à un examen médical. La chambre criminelle a en effet déjà refusé d’appliquer la présomption de grief à certaines irrégularités qui ne touchent pas aux droits de la défense, desquelles participe la violation de certaines règles relatives à l’examen médical (14). L’arrêt du 1er décembre 2015, dont la solution est fondée sur le fait que la notification des droits attachés à la prolongation de la garde à vue est une condition de l’effectivité de l’exercice desdits droits, et non sur le fait que ces droits participent des droits de la défense, pose nécessairement la question de la nature de (10) R. Mésa, « Garde à vue, comparution immédiate, évocation et détention provisoire en matière d’infractions à la législation sur les stupéfiants » : Gaz. Pal. 7 oct. 2009, p. 4, n° H5031. (11) Cass. crim., 27 mai 2015, n° 15-81142 : Gaz. Pal. 9 août 2015, p. 33, n° 236y4, obs. F. Fourment. (12) R. Mésa, « Caractérisation et conséquences de la transgression du droit à l’assistance d’un avocat au cours de la garde à vue » : Gaz. Pal. 7 nov. 2015, p. 19, n° 246v0. (13) Cass. crim., 29 févr. 2000, n° 99-84899 : Bull. crim., n° 92 – Cass. crim., 29 févr. 2000, n° 99-85573 : Bull. crim., n° 93 – Cass. crim., 19 déc. 2000, n° 00-86715 : Bull. crim., n° 383 – Cass. crim., 10 mai 2001, n° 01-81441 : Bull. crim., n° 119. (14) Cass. crim., 25 févr. 2003, n° 02-86144 : Bull. crim., n° 50. Jur ispr ude nc e la nullité attachée aux irrégularités relatives à l’examen médical, et plus précisément celle de l’ouverture vers la présomption de grief s’agissant de telles irrégularités. La dernière série d’observations s’agissant de la sanction de la notification tardive des droits attachés à la prolongation de la garde à vue a trait à l’intervention de l’avocat. Dans les faits qui ont donné lieu à l’arrêt du 1er décembre 2015, une audition était en cours au moment où la notification aurait dû avoir lieu, alors que la personne gardée à vue était assistée de son avocat et que celui-ci n’avait rien relevé, ni formulé la moindre observation, ce qui n’a pas empêché le prononcé de la nullité. Il en ressort, d’une part, que la seule présence de l’avocat n’a pas pour conséquence de légitimer une notification irrégulière des droits attachés à la prolongation de la garde à vue. Il en ressort, d’autre part, que l’avocat n’est aucunement obligé d’intervenir, s’il est présent au moment auquel la prolongation de la garde à vue débute, pour exiger que la notification des droits ait lieu ou pour invoquer le caractère tardif de la notification, l’absence d’intervention de sa part n’ayant pour conséquence ni de fermer la possibilité de requête en annulation, ni d’écarter le jeu de la présomption de grief. 255c9 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 27 J u ris pr udenc e 253x8 Chronique de jurisprudence de droit de la responsabilité civile 253x8 L’essentiel Sous la coordination de Mustapha MEKKI Agrégé des facultés de droit, professeur à l’université Sorbonne Paris Cité (Paris 13), directeur de l’IRDA, enseignant au CFPNP Consolider et clarifier : telle est la devise de la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation en droit de la responsabilité civile. Nombre de principes ont été, en premier lieu, consolidés. Le rôle de la cause est particulièrement mis en exergue en matière d’assurance, quoiqu’en dise le projet de réforme du droit des obligations, où elle demeure une technique utile et juste. Sont encore consolidés les principes qui régissent la responsabilité du notaire qui, si elle n’est pas subsidiaire comme le rappelle un arrêt de la Cour de cassation, n’est pas pour autant envisageable en cas de restitution après anéantissement du contrat faute de préjudice réparable. Est enfin consolidé le champ d’application de l’obligation de sécurité de résultat en matière de transport, les accidents de quai relevant de la responsabilité extracontractuelle. Plusieurs décisions apportent, en deuxième lieu, de précieuses clarifications. À ce titre, est précisée que la responsabilité de l’avocat ne peut être engagée pour ne pas avoir mis en œuvre, par choix stratégique, un moyen inopérant. Est clarifiée encore la place qu’il convient d’accorder aux barèmes, notamment en matière de dommage corporel. Est clarifiée, en outre, la place des « poket bike » parmi la catégorie des véhicules terrestres à moteur. Demain, enfin, c’est la condition de lien de causalité dans le contentieux des vaccins contre l’hépatite B qui sera clarifiée grâce à une question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l’Union européenne. PLAN I. LE DROIT COMMUN DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE......................... p. 28 A. La responsabilité contractuelle............ p. 28 B. La responsabilité extracontractuelle......................................... p. 31 II. LE DROIT SPÉCIAL DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE........................ p. 34 A. Les régimes spéciaux............................ p. 34 B. Les responsabilités professionnelles.................................... p. 36 I. LE DROIT COMMUN DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE A. La responsabilité contractuelle Juste cause contre injuste clause 254t0 1 L’essentiel La cause, appelée à disparaître au vu du dernier projet de réforme du droit des contrats, démontre une fois de plus son utilité. En l’occurrence, elle permet d’assurer la cohérence des engagements réciproques en débarrassant le contrat d’une clause privant de portée l’obligation d’une partie. L’assureur ne peut ainsi limiter sa garantie à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré. Cass. 3e civ., 26 nov. 2015, no 14-25761, Sté Axa France IARD c/ Sté Thelem, F–PB (cassation CA Paris, 10 sept. 2014), M. Chauvin, prés. ; SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Sevaux et Mathonnet, av. NDA : Le titre est inspiré, avec l’accord de l’auteur, de celui d’un article paru au Dalloz, R. Boffa, « Juste cause (et injuste clause). Brèves remarques sur le projet de réforme du droit des contrats » : D. 2015, p. 335 et s. 28 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 L a cause n’a pas dit son dernier mot. Le présent Nathalie BLANC arrêt en atteste. En l’esProfesseur à l’université pèce, des époux ont conclu Sorbonne Paris Cité un contrat de construction (Paris 13), directrice du master 2 Droit des de maison individuelle avec affaires approfondi, une société. Comme la loi membre de l’IRDA l’y oblige, cette société a souscrit une assurance de responsabilité civile professionnelle et de responsabilité civile décennale ainsi qu’une assurance dommages-ouvrage. Les travaux de gros œuvre ont été sous-traités. Le sous-traitant a également souscrit une assurance, cette fois facultative. Aux termes de la police, la garantie de l’assureur était limitée à une durée de dix ans à compNote par Jur ispr ude nc e ter de la réception. Au-delà des travaux de gros œuvre, les maîtres de l’ouvrage ont confié directement au soustraitant la construction d’un mur de soutènement. Un procès-verbal de réception sans réserves a été établi en 1995. Se plaignant de fissures dans le mur de soutènement, les maîtres de l’ouvrage ont déclaré le sinistre en septembre 2004 auprès de la société assureur dommagesouvrage. Cette société leur a opposé un refus de garantie. Une expertise lui donna tort : il fut établi que les désordres provenaient d’un défaut affectant les fondations. Fort de ce constat, les époux ont assigné en indemnisation l’entrepreneur principal ainsi que son assureur en ses qualités d’assureur dommages-ouvrage, de responsabilité civile professionnelle et de responsabilité civile décennale. Par acte du 4 mai 2006, ce dernier a appelé en garantie l’assureur du sous-traitant. Les juges du fond ont condamné l’assureur de l’entrepreneur principal à indemniser les maîtres de l’ouvrage. Tirant les conséquences de la clause stipulée dans la police souscrite par le sous-traitant, les juges ont rejeté les demandes de l’assureur principal contre l’assureur du sous-traitant en raison de leur tardiveté : l’assignation a été délivrée plus de dix ans après la réception de l’ouvrage. Selon les juges du fond, « la responsabilité du sous-traitant relevant d’une assurance facultative, l’assureur [était] libre de fixer la durée de sa garantie au délai de dix ans à compter de la réception des travaux ». L’analyse est sèchement censurée par la Cour de cassation au triple visa des articles 1131 du Code civil, L. 124-1 et L. 124-3 du Code des assurances. Selon la troisième chambre civile, « toute clause ayant pour effet de réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause et doit être réputée non écrite ». Le principe énoncé est clair : l’assureur ne peut pas limiter la durée de la garantie à un temps inférieur à la responsabilité de l’assuré. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer en ce sens en usant du même visa (1). La décision appelle tout de même plusieurs remarques. Tout d’abord, on peut relever qu’il s’agit là d’une extension de la célèbre jurisprudence Chronopost en ce qu’on est bien en présence d’une clause qui prive de portée l’obligation essentielle d’une partie. La clause en présence constitue d’ailleurs une clause limitative puisque l’assureur réduit la durée de sa garantie. La cause permet ainsi de neutraliser des clauses stipulées dans un contrat entre professionnels qui auraient été déclarées irréfragablement abusives si le contrat avait lié un professionnel et un consommateur. Ensuite, il est certain que le caractère facultatif de l’assurance – invoqué par l’assureur pour justifier la clause – n’y change rien : dès lors que le contrat a été souscrit et les primes payées par l’assurée, ce dernier doit pouvoir compter sur la contrepartie attendue. Cela dit, en l’espèce, l’obligation de l’assureur n’était que partiellement sans cause puisque la garantie était due pendant dix ans à compter de la réception des travaux. La Cour de cassation n’entre pas dans ces nuances et prohibe de manière générale toute clause du contrat d’assurance qui réduit la durée de la garantie. La cause protège donc efficacement les professionnels. Pour conclure, on peut s’interroger sur le sort de telles clauses dans le futur. Le projet de réforme du droit des contrats, comme chacun sait, envisage de supprimer la cause. La solution seraitelle la même si le projet venait à être adopté ? On peut le penser, deux textes venant au secours de l’assuré : l’article 1168 – qui dispose que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite » – et l’article 1169 – qui prohibe les clauses qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Ainsi, le projet ne paraît pas susceptible de modifier la solution retenue par la jurisprudence en matière de contrat d’assurance. Mais pourquoi garder les fonctions de la cause – en conservant ses différentes applications particulières – et faire disparaître la notion de cause ? La cohérence du contrat d’assurance est sauve, pas celle du droit des contrats. (1) En ce sens, v. Cass. com., 14 déc. 2010, nos 08-21606 et 10-10738 : Bull. civ. IV, n° 200 – Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 03-19820 – Cass. 2e civ., 2 avr. 2005, n° 03-20683 : Bull. civ. II, n° 108 – Cass. 1re civ., 12 avr. 2005, n° 03-20980 : Bull. civ. I, n° 185 – Cass. 1re civ., 16 déc.1997, n° 94-17061 : Bull. civ. I, n° 370. L’irresponsabilité du transporteur de tramway en dehors du temps de l’exécution du contrat de transport 254s1 1 L’essentiel Faisant application du principe selon lequel l’obligation de sécurité pesant sur le transporteur en vertu du contrat de transport commence à partir du moment où le passager commence à monter dans le véhicule et cesse à partir du moment où il achève d’en descendre, la Cour de cassation approuve une cour d’appel d’avoir écarté la responsabilité du transporteur poursuivi sur ce fondement en présence d’un accident survenu sur le quai du tramway. Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, no 14-16209, Mme X c/ Sté SETAO, D (rejet pourvoi c/ CA Orléans, 17 févr. 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Didier et Pinet, SCP Monod, Colin et Stoclet, av. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 29 Jur i s p r u de nc e A lors qu’elle venait de descendre du tramway dans Magali JAOUEN lequel elle avait pris place, Professeur à l’université une personne avait fait une de Valenciennes chute sur les rails lui ayant occasionné une fracture de la rotule. Recherchant la responsabilité du transporteur, elle s’était cependant vu déboutée de sa demande d’indemnisation des préjudices subis. La cour d’appel d’Orléans, dans un arrêt du 17 février 2014 avait en effet estimé qu’en présence d’un témoignage imprécis et alors que la chute s’était produite sur les rails, il y avait lieu d’en déduire que la personne transportée avait achevé de descendre du tramway et avait déjà posé les pieds sur le quai au moment de l’accident, ce dont il résultait que le contrat de transport avait pris fin. Elle avait alors conclu à l’absence de toute responsabilité du transporteur. Saisie d’un pourvoi formé par la victime, la Cour de cassation va cependant rejeter le moyen qui soutenait que l’obligation de sécurité du transporteur était encore due dans la mesure où l’accident était survenu alors que la personne transportée n’avait pas achevé de descendre du tramway. La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir ainsi statué en décidant « qu’après avoir constaté que la station de tramway où avait eu lieu l’accident était équipée de quais de part et d’autre de l’emplacement où s’arrêtait le véhicule, et retenu qu’après sa descente, Mme X avait nécessairement parcouru quelques mètres avant de choir sur les rails, la cour d’appel en a exactement déduit que, le contrat de transport ayant pris fin lorsque Mme X avait posé les pieds sur le quai de débarquement, l’obligation de sécurité n’était plus due lorsque sa chute s’était produite sur les rails du tramway ». Elle ajoute que « c’est par une interprétation souveraine, exclusive de toute dénaturation, rendue nécessaire par le caractère imprécis du témoignage, que la cour d’appel a estimé qu’il n’était pas établi que Mme X serait tombée en descendant du tramway ». Très classique, cet arrêt ne fait que mettre en œuvre la règle prétorienne constante selon laquelle le transporteur tenu sur le fondement du droit commun contractuel – comme c’est le cas en matière de tramway ou encore de transport ferroviaire interne, faute de texte spécial – est débiteur à l’égard des personnes transportées et munies d’un billet d’une obligation de sécurité de résultat en vertu de laquelle il s’engage à les conduire saines et sauves à destination (1). Cette obligation de sécurité n’existe toutefois que pendant l’exécution du contrat de transport, période qui s’échelonne entre le moment où le passager commence à monter dans le véhicule et celui où il achève d’en descendre (2). Ce cantonnement de l’obligation de sécurité à la seule phase d’exécution du contrat de transport signifie-t-il pour autant l’absence de toute responsabilité du transporteur pour les dommages survenus en dehors de cette période, tels les accidents de quai ? Une réponse négative s’est très vite imposée. Seul le fondement de cette responsabilité a évolué dans un sens favorable à l’indemnisation des victimes. Après avoir un temps retenu une responsabilité fondée sur une Note par (1) Règle posée par Cass. civ., 21 nov. 1911 : S. 1912, 1, 73, note Lyon-Caen. (2) Cass. 1re civ., 1er juill. 1969 : Bull. civ. I, n° 260 ; D. 1969, p. 640, note G. C.-M. ; JCP G 1969, II, 16091, concl. R. Lindon, note M. B. et A. R. ; RTD civ. 1970, p. 184, obs. G. Durry. 30 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 obligation de sécurité de moyens (3), ce qui générait des inégalités de traitement insupportables entre les victimes selon qu’elles étaient ou non munies d’un billet, la Cour de cassation décide depuis 1989 que la responsabilité du transporteur en cas d’accidents survenus par exemple dans l’enceinte de la gare et notamment sur le quai peut être engagée sur le fondement délictuel (4). La victime d’un accident de quai peut donc, qu’elle soit ou non munie d’un billet, s’appuyer sur l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil et bénéficier d’un régime de responsabilité de plein droit. Cette solution vaut-elle en matière de tramway ? À la lecture de l’arrêt, on peut être frappé par la radicalité de la solution qu’il contient. En effet, la responsabilité du transporteur est ici purement et simplement écartée au seul motif qu’au moment de l’accident l’obligation de sécurité n’était plus due, sans que la responsabilité délictuelle ne vienne prendre le relais. Comment interpréter cette solution ? Est-ce parce que la victime s’était placée exclusivement sur le terrain de l’obligation de sécurité, sans soulever, à titre subsidiaire par exemple, le fondement délictuel ? Or, en pareil cas, on sait que la Cour de cassation retient que si l’article 12 du Code de procédure civile oblige le juge à redonner aux faits et actes litigieux leur exacte qualification, il ne lui fait pas obligation de changer la dénomination ou le fondement juridique de leur demande, sauf règles particulières (5). Cette solution peut paraître contestable surtout lorsqu’elle aboutit comme en l’espèce à faire jouer le principe du non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle de manière trop rigide. L’obligation de sécurité rattachée au contrat de transport n’a rien de spécifiquement contractuel et son régime est très proche de celui bâti sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil. Il est regrettable que le juge n’ait pas pallié cette carence de la victime. Il demeure qu’une autre explication de l’arrêt doit être donnée. S’agissant d’un transport en commun, l’accident de quai est en réalité un accident de la voie publique. Sauf à ce que la gestion et l’entretien des infrastructures du domaine public aient été confiés à la société chargée du transport, c’est donc la collectivité publique propriétaire (la ville par exemple) qui, seule, sera responsable pour les accidents survenus sur le quai ou les rails du tramway. Faute d’informations précises dans l’arrêt, il n’est pas possible de se prononcer sur ce point. À tout le moins peut-on relever que, si tel était le cas, le conseil de la victime aurait alors dû diriger l’action en responsabilité, à la fois contre le transporteur, sur le fondement de l’obligation de sécurité et contre la collectivité publique devant le juge administratif. Cette précaution s’imposait d’autant plus en l’espèce que, comme la Cour de cassation le souligne, les témoignages étaient imprécis en sorte qu’une incertitude planait sur le moment exact de la réalisation de l’accident. (3) Cass. 1re civ., 21 juill. 1970, n° 69-11758 : Bull. civ. I, n° 246. Sur les paradoxes de l’obligation de sécurité de moyens et les inégalités engendrées par cette jurisprudence, v. not. P. Jourdain, « Le fondement de l’obligation de sécurité » : Gaz. Pal. Rec. 1997, p. 1196. (4) Cass. 1re civ., 7 mars 1989, n° 87-11493 : Bull. civ. I, n° 118 ; D. 1991, p. 1, note P. Malaurie ; Gaz. Pal. Rec. 1989, 2, p. 632, note G. Paire ; RTD civ. 1989, p. 548, obs. P. Jourdain. (5) Cass. ass. plén., 21 déc. 2007, n° 06-11343 : Bull. civ. ass. plén., n° 10 ; D. 2008, p. 1102, note O. Deshayes ; JCP G 2008, I, 138, n° 9, obs. S. Amrani-Mekki ; JCP G 2008, II, 10006, note L. Weiller ; RDC 2008, p. 327, obs. A. Bénabent ; RDC 2008, p. 435, obs. Y.-M. Serinet ; Defrénois 15 juill. 2008, p. 1457 et s., n° 38802, note E. Savaux – V. déjà dans un cas où le fondement contractuel avait été soulevé au lieu du fondement délictuel, Cass. 1re civ, 21 févr. 2006, n° 03-12004 : Bull. civ. I, n° 86 : RDC 2006, p. 816, obs. G. Viney. Jur ispr ude nc e B. La responsabilité extra-contractuelle Application jurisprudentielle du barème de capitalisation de 2013 diffusé par la Gazette du palais 254s5 1 L’essentiel La Cour de cassation relève que c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain qu’une cour d’appel a fait application du barème de capitalisation qui lui a paru le plus adapté à assurer les modalités de la réparation des préjudices patrimoniaux de la victime pour le futur. Cass. 2e civ., 10 déc. 2015, nos 14-27243 et 14-27244, Sté Pacifica et M. Y c/ M. X, PB (rejet pourvoi c/ CA Toulouse, 25 nov. 2014), Mme Flise, prés. ; Me Balat, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Ghestin, av. A lors que doctrine et praticiens relèvent en Stéphane GERRYmaints domaines le déveVERNIÈRES loppement des barèmes (1), Professeur à l’université le droit de la réparation Grenoble-Alpes, du dommage corporel se CRJ EA 1965 présente comme un point d’observation privilégié. S’y développent différents instruments permettant, au moyen d’une méthode objective (ou à tout le moins supposée l’être), de proposer des outils d’aide à la décision et d’uniformiser les pratiques juridictionnelles sur l’ensemble du territoire. Toutefois, sous l’expression de barème, se trouvent des réalités différentes (2). L’on ne saurait ainsi confondre les « référentiels » d’indemnisation qui proposent une évaluation pécuniaire des préjudices et qui émanent des fonds d’indemnisation, des compagnies d’assurance ou encore de réseaux de juridictions (3) et les barèmes de capitalisation qui déterminent une méthode de conversion d’une rente en capital. Dans le premier cas, le barème sert à la fixation d’une somme à partir de données factuelles ; dans le second il s’agit de transformer une somme fixée sous forme de rente en capital. Si les premiers suscitent assurément davantage de réserves puisqu’ils emportent un risque de standardisation de l’évaluation du dommage qui pourrait compromettre le droit des victimes à une appréciation individualisée de leur situation (4), les formules arithmétiques de conversion des seconds soulèvent également des difficultés. L’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 10 décembre 2015 en est une illustration. Note par Le conducteur d’un scooter renversé par un véhicule demandait l’indemnisation de ses préjudices. Le conducteur du véhicule, ainsi que son assureur, ont été condamnés à payer à la victime la somme de 1 414 440, 43 €. Ils ont alors formé un pourvoi en cassation. Pour l’essentiel, ils (1) I. Sayn (dir.), Le droit mis en barèmes ?, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2014. (2) Sur ce point, O. Leclerc, in Le droit mis en barèmes ?, préc., spéc. p. 117 et s. (3) Sur ces instruments, v. L. Maurin, « Le droit souple de la responsabilité civile » : RTD civ. 2015, p. 517 ; F. Bibal, J.-D. Le Roy et M. Le Roy, L’évaluation du préjudice corporel, LexisNexis, 2015, 20e éd. (4) Parmi une doctrine abondante, S. Porchy-Simon, « L’utilisation des barèmes en droit du dommage corporel au regard des principes fondamentaux du droit de la responsabilité civile », in Le droit mis en barèmes ?, préc., spéc. p. 201 et s. contestaient la méthode de conversion de la rente en capital et spécialement l’application, pour l’évaluation des préjudices patrimoniaux permanents, du barème de capitalisation publié en mars 2013 par la Gazette du Palais (5). Les critiques se concentraient sur le taux de l’inflation retenu par le barème comme sur le principe même du recours à un taux d’inflation. Selon les auteurs du pourvoi, le recours à un taux d’inflation contredirait le caractère actuel et certain du dommage. Ils ajoutent qu’il serait sans lien de causalité avec le dommage dans la mesure où l’inflation future est, dans son existence comme dans son montant, un événement éventuel et hypothétique sans lien de causalité direct avec le dommage. La Cour de cassation rejette le pourvoi en énonçant que « tenu d’assurer la réparation intégrale du dommage actuel et certain de la victime sans perte ni profit, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain que la cour d’appel a fait application du barème de capitalisation qui lui a paru le plus adapté à assurer les modalités de cette réparation pour le futur ». La solution appelle plusieurs observations. Premièrement, l’on peut déduire de cet arrêt que la Cour de cassation n’est pas hostile à l’utilisation formelle par les juges du fond d’un barème. Sous cet aspect, la jurisprudence établit une distinction entre le traitement contentieux des barèmes de capitalisation et les référentiels. En effet, si la Cour de cassation n’ignore pas l’utilisation des référentiels par les juges du fond, elle censure, selon une démarche que l’on pourra juger critiquable pour son manque de transparence (6), les arrêts qui en font une mention expresse (7). Deuxièmement, les juges du fond avaient fait application du barème de capitalisation réalisé par un actuaire et expert judiciaire, diffusé en 2013 par la Gazette du Palais (8) qui, bien que concurrencé par d’autres barèmes (9) y compris les barèmes antérieurs de la Gazette du Palais (10), a déjà eu les faveurs de plusieurs juridictions du fond (11). Il résulte de l’arrêt que l’objection tirée du recours à l’inflation par (5) Gaz. Pal. 28 mars 2013, p. 22, n° 123q5. (6) L. Bloch, « Barèmes et tables de référence : chut… c’est interdit ! » : RCA déc. 2013, n° 12, alerte n° 41. (7) Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, n° 11-25988 : D. 2013, p. 2658, obs. S. PorchySimon – Rappr. : à propos de l’application d’un réferentiel en matière de pensions alimentaires, Cass. 1re civ., 23 oct. 2013, n° 12-25301 : Bull. civ. I, n° 203 ; Dr. Famille 2013, comm. n° 162, J.-C. Bardout ; JCP G 2013, 1269, note E. Bazin ; RTD civ. 2014, p. 77, obs. P. Deumier. (8) C. Kleitz, « Barème de capitalisation : le millésime 2013 est arrivé » : Gaz. Pal., 28 mars 2013, p. 3, n° 124e5. (9) P. ex. le barème de capitalisation des assureurs diffusé par l’Association française de l’assurance : Gaz. Pal. 7 juin 2014, p. 6, n° 182e2. (10) M. Ehrenfeld, « Actualité jurisprudentielle sur le dommage corporel et le grand handicap. La problématique des barèmes de capitalisation et le recours des tiers payeurs » : Gaz. Pal. 7 août 2014, p. 19, n° 188s2. (11) V. not. CA Versailles, 4 juill. 2013, n° 12/00935 : Gaz. Pal. 8 oct. 2013, p. 20, n° 148u3, note D. Philopoulos – D’autres juridictions judiciaires se sont également ralliées au barème, p. ex. CA Paris, P. 2, ch. 3, 8 sept. 2014, nos 12/20668 et 12/21934 ainsi que le juge administratif, T. Leleu, « Les outils d’appréciation medico-légaux dans le contentieux de la responsabilité publique » : AJDA 2014, p. 1816. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 31 Jur i s p r u de nc e ce barème ne convainc pas la haute juridiction. La solution doit être approuvée sur ce point tant la projection dans le futur qu’entraîne la conversion de la rente en capital mérite d’être adossée sur l’inflation (12). Troisièmement, la Cour de cassation se garde bien de donner la préférence au barème de capitalisation de la Gazette du Palais de 2013 quoiqu’elle relève que les juges du fond ont pris en compte le barème qui leur a paru le plus adéquat. On pourra le regretter car les barèmes de capitalisation reposent sur des méthodes de calcul distinctes qui peuvent, alors même qu’ils sont appliqués à des sommes identiques, conduire à des résultats très différents malmenant ainsi l’égalité (12) V. P. Brun, « Capitalisation des préjudices futurs : quel barème appliquer ? » : D. 2014, p. 47. Contra : CA Paris, 30 nov. 2012, n° 10/1724 : D. 2013, p. 2213, note P. Brun, refusant la prise en compte de l’inflation future au motif qu’elle reposait sur des données incertaines. des victimes (13). Formulons alors le vœu que les pouvoirs publics prennent parti pour une méthode de calcul uniforme. Il resterait alors à débattre du point de savoir si un tel instrument devrait être indicatif ou impératif (14). (13) A. Coviaux, « L’usage des barèmes de capitalisation ou l’avenir incertain des victimes » : RLDC 2012, n° 4769. (14) V. l’article 59, al. 2 in fine du Projet Terré sur la réforme de la responsabilité civile à propos de l’indemnisation au titre des gains professionnels futurs : « Avec l’accord des parties, ou sur décision spécialement motivée, la rente peut être convertie en capital selon une table déterminée par voir réglementaire ». Preuve de la causalité (comme du défaut) par présomptions du fait de l’homme et vaccin anti-Hépatite B : la Cour de cassation rend les armes ! 254r8 1 L’essentiel L’article 4 de la directive du 25 juillet 1985 s’oppose-t-il, dans le domaine de la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques du fait des vaccins qu’ils produisent, à un mode de preuve selon lequel le juge du fond, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, peut estimer que les éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des présomptions graves, précises et concordantes, de nature à prouver le défaut du vaccin et l’existence d’un lien de causalité de celui-ci avec la maladie, nonobstant la constatation que la recherche médicale n’établit pas de lien entre la vaccination et la survenance de la maladie ? Cass. 1re civ., 12 nov. 2015, no 14-18118, Consorts X c/ Sanofi Pasteur MSD, FS–PBI (renvoi devant la Cour de justice de l’UE CA Paris, 7 mars 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Bénabent et Jéhannin ; SCP Gadiou et Chevallier, av. L es magistrats de la première chambre civile Anne GUÉGAN-LÉCUYER de la Cour de cassation Maître de conférencesseraient-ils las de se proHDR à l’école de droit noncer dans les contentieux de la Sorbonne (Paris 1), centre de recherche initiés par ceux qui estiment en droit privé de que leurs pathologies, au l’IRJS-André Tunc premier rang desquelles la sclérose en plaques, sont la conséquence de leur vaccination contre l’hépatite B ? Telle est l’interrogation qu’on peut formuler en découvrant l’arrêt rendu le 12 novembre dernier par lequel ils choisissent de faire voyager jusqu’au Luxembourg des questions sur lesquelles ils ne s’estimaient pas, jusqu’alors, illégitimes à trancher. Note par Au cœur de ces questions, se trouve la preuve de la causalité dans une matière où il n’existe pas de certitude scientifique quant au lien susceptible d’être établi entre la 32 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 vaccination anti-hépatite B et la sclérose en plaques dont l’étiologie peine par ailleurs à faire l’objet d’un consensus scientifique. En 2003, la Cour de cassation en avait tiré comme conséquence que les demandeurs n’étaient pas admis à apporter la preuve d’un lien de causalité, non plus d’ailleurs que la preuve du défaut du vaccin, en recourant au jeu des présomptions du fait de l’homme. Parce que la preuve de la causalité ne pouvait être établie scientifiquement, elle ne le serait pas juridiquement, in specie (1). Puis, par plusieurs arrêts rendus le 22 mai 2008, la Cour de cassation fit évoluer sa position en jugeant que « si l’action en responsabilité du fait d’un produit défectueux exige la preuve du dommage, du défaut et du lien de causalité entre le défaut et le dommage, une telle preuve peut résulter de présomptions, pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes ». Si l’établissement d’une causalité juridique entre le défaut du vaccin et le dommage aux fins d’une indemnisation n’était ainsi plus interdite par l’incertitude scientifique, il n’en était pas pour autant totalement libéré en ce sens que cette incertitude peut rendre les juges du fond réticents à voir dans les indices des présomptions utiles. Quoi qu’il en soit, le juge pouvait désormais forger sa conviction à partir des éléments de preuve qui lui seraient fournis par le demandeur. Le contrôle que la Cour de cassation acceptait d’opérer sur la causalité dans ce débat s’arrêtait là. Le champ libre laissé au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ne tarda donc pas à faire apparaître qu’à partir des mêmes éléments de preuve (notamment la proximité temporelle entre l’apparition de la maladie et la vaccination, l’absence d’antécédents neurologiques chez la victime), ils pouvaient ici être convaincus de la causalité (1) Cass. 1re civ., 23 sept. 2003, n° 01-13063 : D. 2003, p. 2413, note Y.-M. Serinet et R. Mislawski et le point de vue de L. Neyret ; RTD civ. 2004, p. 101, obs. P. Jourdain ; JCP G 2004, I, 101, nos 23 et s. obs. G. Viney ; Resp. civ. et assur. 2003, chron. n° 28 par C. Radé. Jur ispr ude nc e et le plus souvent ne pas l’être, sans que leurs décisions soient remises en cause par la Cour de cassation qui rejette les pourvois en s’appuyant sur le pouvoir souverain d’appréciation (2). Sur le terrain de la preuve encore, avec toujours en toile de fond une tension perceptible entre causalité scientifique et causalité juridique (3), certaines solutions ont permis d’attester d’un lien entre la causalité et la défectuosité, la Cour de cassation n’étant pas hostile à ce que la preuve du défaut puisse se déduire de la preuve de la causalité. Il résulte ainsi d’un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 26 septembre 2012 que les présomptions graves, précises et concordantes d’une relation causale entre le vaccin et la pathologie peuvent faire présumer la défectuosité de ce vaccin (4). En l’espèce, avait été censurée la décision de la cour d’appel qui avait admis l’existence de présomptions graves, précises et concordantes permettant d’établir le lien causal entre la maladie et la prise du produit, pour ensuite refuser d’examiner ces mêmes circonstances aux fins d’établissement de la preuve du caractère défectueux du produit. Ce sont les suites de cet arrêt qui ont conduit la Cour de cassation à être saisi du pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt commenté. La cour d’appel de renvoi (CA Paris, 7 mars 2014) avait en effet rejeté les demandes qui cette fois échouaient non seulement sur la preuve de la causalité mais aussi sur celle du défaut. Formant un pourvoi en cassation, les ayants droit de la victime directe formulaient trois critiques, visant respectivement à remettre en cause l’appréciation des juges du fond sur les éléments de preuve apportés au soutien des présomptions graves, précises et concordantes, l’exigence d’un lien de causalité entre l’administration du produit et le dommage et l’importance accordée à l’absence de consensus scientifique sur l’étiologie de la sclérose en plaques. Autrement dit, il n’y avait là rien de très original, voire aucune véritable (2) Emblématiques, Cass. 1re civ., 9 juill. 2009, n° 08-11073 : JCP G 2009, 308, note P. Sargos ; RCA 2009, étude n° 13, note C. Radé ; Gaz. Pal. 13 août 2009, p. 9, n° H4576, avis A. Legoux ; D. 2010, p. 50, obs. P. Brun ; RTD civ. 2009, p. 723, obs. P. Jourdain – Cass. 1re civ., 25 nov. 2010, n° 09-16556 : D. 2010, p. 2909, obs. I. Gallmeister ; D. 2010, p. 2825, édito F. Rome ; D. 2011, p. 316, chron. P. Brun ; RTD civ. 2011, p. 134, obs. P. Jourdain ; JCP G 2010, n° 1201, obs. P. Mistretta ; JCP G 2011, n° 79, note J.-S. Borghetti ; RCA 2011, comm. n° 24, obs. C. Radé. Pour un bilan attestant d’un plus grand nombre de décisions défavorables, v. P. Jourdain, RTD civ. 2013, p. 131 et 625. (3) En atteste la formulation d’une exigence d’un double lien causal, un premier entre le produit et le dommage puis un second entre le défaut et le dommage, v. Cass. 1re civ., 29 mai 2013, n° 12-20903 : D. 2013, p. 1717, obs. I. Gallmeister, note J.-S. Borghetti ; D. 2013, p. 1723, note P. Brun ; RTD civ. 2013, p. 625, obs. P. Jourdain. (4) Cass. 1re civ., 26 sept. 2012, n° 11-17738 : D. 2012, p. 2853, obs. I. Gallmeister, note J.-S. Borghetti ; D. 2012, p. 2376, entretien C. Radé ; D. 2012, 2013, p. 40, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2013. p. 31, obs. P. Jourdain ; JCP G 2012, n° 1061, obs. P. Mistretta ; JCP G 2012, n° 1199, note C. Quezel-Ambrunaz ; RCA 2012, comm. n° 350, obs. S. Hocquet-Berg – La solution fut reproduite par Cass. 1re civ., 10 juill. 2013, n° 12-21314 : D. 2013, p. 2311 ; D. 2013, p. 2306, avis C. Mellottée ; D. 2013, p. 2312, note P. Brun ; D. 2013, p. 2315, note J.-S. Borghetti ; RDSS 2013, p. 938, obs. J. Peigné ; RCA 2013, étude n° 6, par D. Bakouche. question à laquelle la Cour de cassation n’avait pas déjà répondu. Elle décide pourtant de s’en remettre à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et de lui poser trois questions. Une question principale l’interroge sur le point de savoir si, « dans le domaine de la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques du fait des vaccins qu’ils produisent », les exigences de la directive quant à la preuve du défaut, du dommage et du lien de causalité entre le défaut et le dommage (dont la charge pèse sur la victime) s’opposent à un recours aux présomptions de l’homme pour prouver le défaut comme le lien de causalité, « nonobstant l’absence de lien scientifiquement établi entre la vaccination et la maladie ». Faut-il craindre une réponse de nature à remettre en cause les solutions acquises depuis les arrêts du 22 mai 2008 ? Avec optimisme, on peut se ranger à l’avis exprimé par le professeur Suzanne Carval qui propose un raisonnement fondé sur le principe d’autonomie procédurale des États membres pour conclure en faveur de la compatibilité des présomptions de fait avec la directive (5). Quant à la question de savoir si, en cas de réponse négative à la première question, la Cour de cassation peut aller plus loin et consacrer une présomption de droit en vertu de laquelle « l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices de causalité (…) sont réunis » (bref délai entre l’injection et les premiers symptômes de la maladie, absence de tout antécédent tant personnel que familial de cette maladie), la réponse pourrait être différente. S’il est en effet possible de convoquer à nouveau le principe d’autonomie procédurale, la présomption de droit pourrait être davantage analysée comme une règle conduisant à mettre la preuve du défaut et du lien de causalité à la charge du producteur alors que l’article 4 de la directive veut la voir supporter par la victime (6). Que penser enfin de la question de savoir si, en cas de réponse positive à la première question, « la preuve, à la charge de la victime, de l’existence d’un lien de causalité entre le défaut invoqué et le dommage par elle subi, ne peut être considérée comme rapportée que si ce lien est établi de manière scientifique » ? Le seul fait de la poser suppose de pouvoir admettre l’inadmissible, c’est-à-dire de mettre la causalité juridique définitivement au pas de la causalité scientifique. Outre le fait qu’on cherchera en vain la compétence de la CJUE pour le dire, les dommages de masse rattachés aux drames sanitaires à répétition attestent des limites de la causalité scientifique (7). (5) Contribution au colloque S. Carval, « La responsabilité du fait des produits défectueux : 30 ans après la directive », Table ronde sur le lien de causalité : RCA janv. 2016, à paraître. (6) S. Carval, op. cit. (7) Citant à ce propos l’exemple du Médiator, v. S. Carval, op cit. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 33 Jur i s p r u de nc e II. L E DROIT SPÉCIAL DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE A. Les régimes spéciaux Le « pocket bike » : Quand rouler n’est pas jouer 254s2 1 L’essentiel Une mini-moto (pocket bike) est un véhicule terrestre à moteur au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 dès lors qu’elle se déplace sur une route au moyen d’un moteur à propulsion avec faculté d’accélération. L’absence d’assurance automobile obligatoire est sans incidence sur la qualification. Cass. 2e civ., 22 oct. 2015, no 14-13994, M. Y c/ Sté MAAF, F–PB (cassation partielle CA Aix-en-Provence, 11 déc. 2013), Mme Flise, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Rousseau et Tapie, av. L a notion de véhicule terrestre à moteur n’est Mustapha MEKKI pas définie par la loi n° 85677 du 5 juillet 1985, dite loi Badinter. La loi dispose seulement qu’un véhicule terrestre à moteur doit être impliqué dans un accident de la circulation (art. 1er). La jurisprudence a dû, elle-même, déterminer les contours de cette notion. L’arrivée sur la voie publique de nouveaux engins motorisés amène les magistrats de la Cour de cassation à peaufiner les critères d’identification. Par un arrêt rendu le 22 octobre 2015 (1), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation s’est interrogée sur le sort qu’il fallait réserver aux mini-motos également appelées « pocket bike » (moto de poche). Note par Une enfant âgée de six ans se trouvait en vacances chez ses grands-parents. Alors qu’elle se trouvait sur une « pocket bike » appartenant à un voisin, elle est victime d’un accident en perdant le contrôle de la mini-moto et en heurtant une remorque en stationnement. La mère de l’enfant a agi en qualité de représentant légal et a assigné le propriétaire de la mini-moto en responsabilité. Le propriétaire a appelé en garantie, notamment, la compagnie d’assurance auprès de laquelle il avait souscrit une police d’assurance multirisque habitation. La compagnie refuse de prendre en charge ce risque relevant d’un accident de la circulation soumis à la loi du 5 juillet 1985, ce que confirment les juges du fond. Le pourvoi soutient que l’absence d’obligation légale d’assurance et l’interdiction d’un tel engin sur la voie publique y compris lorsqu’il a été réceptionné (enregistrement et attribution d’un numéro de série) font obstacle à la qualification de véhicule terrestre à moteur. La Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs que « dès lors, en se déterminant par la seule circonstance que la mini-moto pilotée par Shirley X se déplace sur route au moyen d’un moteur à propulsion avec faculté d’accélération, pour en déduire qu’il s’agit d’un véhicule relevant des dispositions de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985, sans rechercher si ledit véhicule, non réceptionné ni immatriculé, était ou non soumis à l’obligation légale d’assurance, la cour d’appel a privé sa décision (1) Cass. 2e civ., 22 oct. 2015, n° 14-13994, F–PB. 34 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 de base légale au regard des articles L. 211-1 du Code des assurances et des articles 1 et 4 de la loi du 5 juillet 1985 ». En plein, l’arrêt confirme la conception extensive de la catégorie des véhicules terrestres à moteurs retenue par les magistrats de la Cour de cassation. Les « pocket bike » ou « mini-motos » se sont multipliées ces dernières années. Depuis la loi n° 2008-491 du 26 mai 2008 (C. route, art. L. 321-1-1 et L. 321-1-2), ils font partie des engins non soumis à réception et ne peuvent circuler « sur les voies ouvertes à la circulation publique ou les lieux ouverts à la circulation publique ou au public ». Il s’agit d’une version miniature de motos de course de vitesse, souvent dotées d’un carénage. Le cylindré de ces véhicules varie entre 39 et 110 cm³ et leur vitesse est généralement de 25 km/h mais peut atteindre pour les modèles de compétition jusqu’à 130 km/h. On peut alors comprendre qu’ils aient été intégrés à la catégorie des véhicules terrestres à moteur par la Cour de cassation. Ils répondent bien à la définition selon laquelle un véhicule terrestre à moteur est un engin motorisé susceptible de se mouvoir par sa propre force et capable de transporter des choses et/ ou des personnes (2). Certes, ces mini-motos ne sont pas censées être utilisées hors d’une voie privée fermée à la circulation mais cette donnée n’est pas dirimante. En effet, ces engins rejoignent parmi une liste très importante les moissonneuses batteuses (3), les voitures tondeuses (4), les chariots élévateurs (5)… L’argument soulevé par le pourvoi selon lequel l’absence d’obligation légale d’assurance excluait toute qualification de véhicule terrestre à moteur avait peu de chance de convaincre car cette obligation légale est distincte des conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985. Pourtant, un arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 4 mars 1998 avait pu laisser croire qu’une telle absence d’obligation légale d’assurance pouvait avoir une incidence sur l’application de la loi relative aux accidents de la circulation (6). À dire vrai, l’intervention de l’accident sur une piste de manège semble être le motif décisif de la solution, l’absence d’obligation légale d’assurance étant rappelée à titre informatif. Cependant, dans un arrêt du 24 juin 2014, la Cour de cassation avait encore, incidemment, évoqué la soumission (2) P. Malinvaud, D. fenouillet et M. Mekki, Droit des obligations, LexisNexis, 2014, 13e éd., n° 694, p. 545. Adde : Les développements éclairants de P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, LexisNexis, 2014, 3e éd., nos 683 et s., p. 462 et s. (3) Cass. 2e civ., 10 mai 1991, n° 90-11377. (4) Cass. 2e civ., 24 juin 2004, n° 02-20208. (5) Cass. 2e civ., 25 mai 1994, n° 92-19455. (6) Cass. 2e civ., 4 mars 1998, n° 96-12242 : « S’agissant d’un accident survenu sur la piste d’un manège pour enfants, ayant retenu que la voiture qui a heurté la victime était un véhicule miniature réservé à des enfants en bas âge en dessous de cinq ans, assimilable à un jouet et non soumis à l’obligation de l’assuranceautomobile obligatoire, c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit qu’il n’était pas un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985 ». Jur ispr ude nc e à l’assurance automobile obligatoire à propos d’une tondeuse autoportée : « la cour d’appel a exactement déduit que cet engin était un véhicule terrestre à moteur au sens de la loi du 5 juillet 1985, assujetti, comme tel à l’assurance automobile obligatoire ». Encore une fois, cette affirmation incidente est sans portée car c’est la qualification de véhicule terrestre à moteur qui conditionne l’assujettissement à une assurance automobile obligatoire et non l’inverse. Dans l’arrêt commenté, en déclarant le moyen inopérant, la Cour de cassation n’attache donc à bon escient aucune importance à cet argument. En creux, la décision de la Cour de cassation renseigne sur les caractéristiques d’un véhicule terrestre à moteur. L’engin « se déplace sur route au moyen d’un moteur à propulsion avec faculté d’accélération ». La fonction de déplacement sur route n’est pas déterminante à la lecture des nombreux arrêts où la qualification de véhicule a été retenue sans qu’il y ait à proprement parler déplacement sur route. Que l’on songe au chariot élévateur, à la tondeuse à gazon autoportée ou à la moissonneuse batteuse. Quant à la référence au moteur à propulsion avec faculté d’accélération, il suscite plus d’interrogations. Tout d’abord, cette solution ne remet pas en cause la jurisprudence qui qualifie de véhicule terrestre à moteur un engin dont le moteur serait en panne. Cela a été jugé pour une automobile (7) et cela a été confirmé pour un solex que le propriétaire utilisait sans le moteur (8). Ce n’est donc pas la dangerosité réelle de l’engin dont le moteur est en marche qui emporte sa qualification de véhicule terrestre à moteur mais l’existence purement objective d’un moteur qu’il soit en marche, à l’arrêt ou en panne. Quant à la faculté d’accélération, ce détail permet de régler le sort des bicyclettes avec un moteur intégré qui se met en route dans les côtes et peut aider le cycliste dans l’effort. Ces engins n’ont pas cette capacité d’accélération et doivent, si l’on suit le raisonnement de la Cour de cassation, être exclus de la catégorie des véhicules terrestre à moteur. Reste au législateur à prendre le relais de la Cour de cassation : si le pocket bike est un véhicule terrestre à moteur ne serait-il pas temps d’imposer une assurance obligatoire ? Mais alors il faudra en autoriser la circulation sur la voie publique ! Il n’est pas simple, on le voit, de mettre en accord la loi du 5 juillet 1985 et le régime de l’assurance obligatoire. (7) Cass. 2e civ., 21 juill. 1986 : Gaz. Pal. Rec. 1986, p. 651, note F. Chabas. (8) Implicitement, Cass. 2e civ., 13 janv. 1988, n° 86-19029 : Bull. civ. II, n° 14. Inapplication de la responsabilité du fait des produits défectueux en présence d’une atteinte au produit défectueux lui-même 254s8 1 L’essentiel La Cour de cassation retient, sur le fondement de l’article 1386-2, alinéa 2, du Code civil, que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne s’applique pas à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte au produit défectueux lui-même. Cass. 1re civ., 14 oct. 2015, no 14-13847, Sté Hanse Yachts AG c/ M. X et Sté Covéa Risks, PB (cassation partielle CA Aix-enProvence, 10 oct. 2013), Mme Batut, prés. ; Me Le Prado, SCP Delaporte, Briard et Trichet, av. A ux termes de l’article 1386-2 du Code Stéphane GERRYcivil, la responsabilité du VERNIÈRES fait des produits défectueux s’applique à la réparation au dommage résultant d’une atteinte à la personne ainsi qu’à celle résultant d’une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même lorsque le dommage excède la somme de 500 € (1). Si la réparation des atteintes à la personne ne pose pas de difficultés car elle est au cœur du mécanisme protecteur de la directive européenne du 25 juillet 1985 à l’origine de la disposition, la réparation des atteintes aux biens a été plus délicate à mettre en place. Il a fallu réécrire le texte issu de la loi de transposition de 1998 car il ne comportait pas, contrairement aux exigences européennes, de franchise permettant d’exclure du champ de la responsabilité du fait des proNote par (1) V. fixant cette somme, D. n° 2005-113, 11 févr. 2005, art. 1er. duits défectueux les atteintes modestes aux biens (2). Il a aussi fallu s’assurer de la conformité du droit français aux exigences européennes dans la mesure où, contrairement à l’article 9 de la directive de 1985, le législateur a fait le choix de ne pas limiter la réparation d’un dommage causé à une chose à la condition que celle-ci soit destinée à un usage ou une consommation privée (3). C’est l’application de ce texte, passé au double crible de la Cour de justice de l’Union européenne, qui faisait l’objet de la discussion En l’espèce, un voilier avait démâté alors que son propriétaire naviguait dans la baie de Bandol. Ce dernier ainsi que son assureur ont assigné le fabricant du voilier en réparation des préjudices subis. La cour d’appel a condamné le fabricant à réparer les dommages constitués par le coût des travaux de remise en état du bateau ainsi que par les pertes de loyers et le préjudice de jouissance résultant de l’impossibilité de l’utiliser sur le fondement du régime de responsabilité du fait des produits défectueux. Un pourvoi a alors été formé par le fabricant. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 1386-2, alinéa 2, (2) CJCE, 25 avr. 2002, n° C-52/00, Commission c/ France : Rec. CJCE 2002, I, p. 3827 ; D. 2002, p. 2462, chron. C. Larroumet ; D. 2002, p. 1670, obs. C. Rondey ; D. 2002, p. 2935, obs. J.-P. Pizzio ; Contrats, conc. consom. 2002, chron. n° 20, obs. C. Laporte ; RTD civ. 2002, p. 523, obs. P. Jourdain ; RTD civ. 2002, p. 868, obs. J. Raynard ; RTD com. 2002, p. 585, obs. M. Luby. Adde : G. Viney, « L’interprétation par la CJCE de la directive du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux » : JCP G 2002, I, 177. (3) CJUE, 4 juin 2009, n° C-285/08 ; Rec. CJUE 2009, I, p. 04733 ; JCP G 2009, spéc. n° 27, note P. Jourdain ; D. 2009, p. 1731, note J.-S. Borghetti ; D. 2009, p. 2047, note J. Rochfeld ; RDC 2009, p. 1381, note G. Viney et note C. Aubert de Vincelles. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 35 Jur i s p r u de nc e du Code civil dont il résulte que le régime de responsabilité du fait des produits défectueux ne s’applique pas à la réparation du dommage qui résulte d’une atteinte au produit défectueux lui-même. Elle en déduit que la cour d’appel a violé la disposition dès lors qu’il n’était pas constaté que la défectuosité du produit consistait en un défaut de sécurité ayant causé un dommage à une personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même. Si l’argumentation de la cour d’appel paraissait assurément vouée à la censure, la décision n’en demeure pas moins intéressante car elle permet de rappeler que la responsabilité du fait des produits défectueux n’a pas vocation à se substituer aux garanties issues du droit commun de la vente et, spécialement, à la garantie des vices cachés. Or c’est précisément le rôle qu’elle a pu remplir dans un arrêt du 1er juillet 2015 qui, en retenant une conception très extensive du domaine de la responsabilité du fait des produits défectueux (4), a apporté un remède à la prescription de l’action en garantie des vices cachés (5). (4) Rappr. pour une application de la responsabilité du fait des produits défectueux en cas de risque de dommage, CJUE, 5 mars 2015, nos C-503/13 et C-504/13 ; D. 2015, p. 1247, note J.-S. Borghetti ; RTD civ. 2015, p. 407, obs. P. Jourdain ; JCP G 2015, 543, note L. Grynbaum ; RDC 2015, p. 466, note G. Viney – Contra : Cass. 1re civ., 19 déc. 2006, n° 05-15719. (5) Cass. 1re civ., 1er juill. 2015, n° 14-18391 : D. 2015, p. 2227, note B. Girard ; Gaz. Pal. 22 oct. 2015, p. 15, n° 243w3, note M. Jaouen ; Contrats, conc. consom. 2015, comm. n° 251, note L. Leveneur ; RCA 2015, comm. n° 295, note L. Bloch ; RDC 2015, p. 852, obs. J-S. Borghetti à propos des défauts d’une bouteille de vin pouvant provoquer l’apparition de débris de verre. B. Les responsabilités professionnelles Moyen de défense inopérant et stratégie judiciaire de l’avocat : l’immunité confirmée 1 254s3 L’essentiel La Cour de cassation rappelle qu’un avocat n’engage pas sa responsabilité professionnelle en ne soulevant pas un moyen de défense inopérant. Cass. 1re civ., 28 oct. 2015, no 14-24616, M. X c/ Sté Allianz, PB (cassation sans renvoi CA Toulouse, 10 mars 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. C omme elle avait déjà eu l’occasion de le préciser Magali JAOUEN dans un arrêt très commenté du 31 janvier 2008 (1), la Cour de cassation rappelle qu’« un avocat n’engage pas sa responsabilité professionnelle en ne soulevant pas un moyen de défense inopérant ». En l’espèce, plusieurs avocats avaient été chargés successivement de la défense des intérêts du nu-propriétaire d’un immeuble dans le cadre d’une procédure de saisie engagée par l’administration fiscale. L’immeuble ayant été vendu aux enchères publiques, le nu-propriétaire avait alors agi en responsabilité contre l’avocat qui l’avait assisté jusqu’à l’issue de la procédure en lui reprochant d’avoir omis d’invoquer en temps utile un vice de fond tiré de la clause d’inaliénabilité de l’immeuble. Cette demande fut accueillie tant en première instance qu’en appel. La cour d’appel de Toulouse avait, par un arrêt du 10 mars 2014, retenu que « nonobstant la jurisprudence selon laquelle, conformément à l’article 727 de l’ancien Code de procédure civile, les moyens de nullité tant en la forme qu’au fond doivent Note par (1) Cass. 1re civ., 31 janv. 2008, n° 04-20151 : Bull. civ. I, n° 31 ; JCP G 2008, II, 10074, note H. Slim ; JCP G 2009, n° 40, p. 295, obs. G. Pillet ; D. 2008, p. 1448, note A. Aynès ; RTD civ. 2008, p. 442, obs. P. Deumier. 36 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 être proposés à peine de déchéance, par un dire déposé cinq jours au plus tard avant le jour initialement fixé pour l’audience éventuelle et qu’il n’est au pouvoir ni des parties ni du tribunal de modifier la date de cette audience fixée dans la sommation [l’avocat] aurait dû soulever, en vue de l’audience éventuelle qui s’est tenue après plusieurs remises, le moyen tiré de l’inaliénabilité de l’immeuble ». Les juges du fond en avaient alors déduit qu’en ne soulevant pas un tel moyen, l’avocat avait commis une faute ayant fait perdre à son client une chance d’éviter la vente aux enchères de son bien. Sur le pourvoi incident formé par l’avocat, la Cour de cassation prononce la cassation sans renvoi de cet arrêt au visa de l’article 1147 du Code civil. Pour la Cour de cassation, la responsabilité de l’avocat « ne pouvait être retenue pour ne pas avoir soumis à l’appréciation du juge un moyen irrecevable en raison de la déchéance encourue de plein droit conformément aux dispositions alors en vigueur et à une jurisprudence constante ». L’avocat poursuivi n’ayant été en charge du dossier que postérieurement à la date fixée pour l’audience éventuelle, il n’avait pu invoquer un vice de fond tiré de la clause d’inaliénabilité dans les temps et formes requises par l’article 727 de l’ancien Code de procédure civile tel qu’interprété par une « jurisprudence constante » de la Cour de cassation. Irrecevable, le moyen était donc inopérant, ce dont il résultait que l’avocat n’avait pas l’obligation de le soulever. Si l’avocat est tenu de mettre ses compétences au service de son client et de faire preuve de toutes diligences utiles pour assurer la défense de ses intérêts (2), il dispose toutefois d’une certaine marge de manœuvre pour élaborer la stratégie judiciaire qui lui paraît la plus appropriée à (2) V. not. H. Slim, note préc. Jur ispr ude nc e cette fin (3). Et, de ce point de vue, il y a lieu d’approuver la solution retenue dans cet arrêt qui préserve la liberté des avocats tout en évitant une extension illimitée de leur responsabilité (4). Le moyen inopérant étant défini comme celui qui n’est susceptible d’avoir aucune influence sur l’issue du litige, l’avocat qui ne le soulève pas ne fait, par définition, perdre aucune chance à son client. Autrement dit, cette appréciation portée sur le terrain de la faute trouve un écho dans la manière dont est appréhendé le préjudice réparable en cas de manquement de l’avocat à sa mission d’assistance. Frappée du sceau du bon sens, cette solution a en outre le mérite d’assurer une certaine cohérence du régime de la responsabilité des avocats, la Cour de cassation retenant à l’inverse qu’un avocat engage sa responsabilité s’il n’a pas soulevé un moyen qui était de nature à prospérer, faisant ainsi perdre à son client une chance sérieuse (5). Toute la difficulté tient alors dans la détermination du caractère inopérant ou pertinent d’un moyen. La responsabilité de l’avocat est appréciée au regard du « droit positif » existant au moment de son intervention (6), ce qui implique qu’il doive tenir compte, non seulement d’un revirement de jurisprudence acquis (3) En ce sens égal., v. G. Pillet, note préc. (4) En ce sens, v. not. F. Buy, note préc. (5) V. not. Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n° 02-19286 – Cass. 1re civ., 22 nov. 2007, n° 04-19774 : Bull. civ. I, n° 364. (6) En ce sens, v. déjà pour le notaire, Cass. 1re civ., 7 mars 2006, n° 04-10101 : Bull. civ. I, n° 136 ; RTD civ. 2006, p. 521, obs. P. Deumier. Pour l’avocat, v. not. Cass. 1re civ., 14 mai 2009, n° 80-15899 : Bull. civ. I, n° 92 ; JCP G 2009, I, p. 15, obs. G. Pillet et p. 94, note H. Slim ; RTD civ. 2009, p. 493, obs. P. Deumier ; LPA 10 août 2009, p. 10, note J.-F. Barbièri ; RDC 2009, p. 1373, obs. S. Carval. à cette époque (7), mais aussi de l’évolution jurisprudentielle prévisible (8). Le caractère opérant ou non d’un moyen s’avère donc assez fluctuant. En l’espèce, la Cour de cassation se réfère à la « jurisprudence constante », étant précisé qu’elle ne vise par-là que de sa propre jurisprudence. À cet égard, il est intéressant de relever les motifs avancés par les premiers juges pour retenir la responsabilité de l’avocat : répondant à l’argument de l’avocat qui invoquait la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur le respect du délai fixé par l’article 727 de l’ancien Code de procédure civile, les juges du fond ont souligné que « les décisions de justice même émanant de la Cour de cassation n’ont pas force de loi » et que « de surcroît » dans d’autres espèces la solution contraire aurait déjà été retenue. On entrevoit sans peine les graves incertitudes qui planeraient sur la responsabilité des avocats et de l’ensemble des professionnels du droit si l’appréciation de leur comportement professionnel devait s’effectuer sur des bases aussi mouvantes. Bien qu’elle-même incertaine, la référence à la « jurisprudence constante » paraît préférable. (7) Comp. : arrêt préc. Cass. 1re civ., 31 janv. 2008, moyen inopérant au regard d’un revirement de jurisprudence intervenu postérieurement à l’arrêt d’appel. (8) Cass. 1re civ., 4 juin 2014, n° 13-14363 : Bull. civ. I, n° 99 ; Gaz. Pal. 10 juill. 2014, p. 20, no 186u3, note M. Jaouen ; JCP G 2014, 1093, spéc. n° 43, note G. Pillet. Subsidiaire ne rime pas avec notaire… 254t1 1 L’essentiel Le notaire n’est pas un responsable subsidiaire. Tel est, en substance, le principe énoncé par la Cour de cassation dans l’arrêt rendu le 25 novembre 2015. Ainsi, dès lors que le notaire instrumentaire a commis une faute, la partie lésée peut mettre en jeu sa responsabilité, même si elle dispose d’un recours contre un autre débiteur. Cass. 1re civ., 25 nov. 2015, no 14-26245, SCP Mathieu X c/ Sté Élevage d’Ermont, F–PBI (rejet pourvoi CA Bordeaux, 19 nov. 2013), Mme Batut, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, av. L a responsabilité des professionnels du droit, y Nathalie BLANC compris celle des notaires, n’est pas subsidiaire. Si le principe affirmé par la Cour de cassation paraît logique, sa confrontation aux conditions de la responsabilité civile peut laisser perplexe. Pour le comprendre, il importe de rappeler les circonstances du litige ayant donné lieu à l’arrêt du 25 novembre 2015. Note par En l’espèce, un fonds de commerce est cédé. L’acte authentique est dressé en mars 2010 mais prévoit une jouissance rétroactive en janvier, le cessionnaire ayant pris effectivement possession du fonds à cette date. L’acte comprend la clause suivante : « le cédant déclare qu’il n’existe au 1er janvier 2010 aucune procédure de licenciement. Le cessionnaire déclare avoir procédé au licenciement de Mme Z au cours du mois de janvier 2010. Le cessionnaire déclare vouloir faire son affaire personnelle de cette situation sans recours contre le vendeur ». L’ancien salarié, invoquant l’irrégularité de son licenciement, saisit le Conseil des prud’hommes. Après avoir constaté que le cédant avait la qualité d’employeur au jour du licenciement, le tribunal condamne ce dernier à payer diverses sommes au salarié licencié. Au lieu d’agir contre le cessionnaire, en se fondant sur la clause stipulée dans l’acte de cession du fonds de commerce, le cédant assigne le notaire pour manquement à son devoir de conseil et pour ne pas avoir assuré l’efficacité de l’acte dressé. Sa responsabilité est admise pour manquement à son obligation de conseil. Selon les juges du fond, le notaire n’aurait pas éclairé le cédant « sur la portée exacte de la clause convenue qui ne permettait pas de faire supporter, en toute hypothèse, au cessionnaire les conséquences financières du licenciement ». Ce faisant, l’officier public aurait, par sa faute, privé le cédant de la possibilité « de convenir avec le cessionnaire d’une clause efficace en ce sens ». Le préjudice subi par le cédant consiste en la « perte d’une chance (…) d’obtenir de G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 37 Jur i s p r u de nc e son cocontractant la prise en charge des condamnations prononcées à son encontre du fait d’un licenciement qu’il n’avait pas lui-même décidé ainsi que des frais d’avocat qu’il a dû exposer pour assurer sa défense devant la juridiction prud’homale ». Le notaire se pourvoit en cassation et fonde principalement ses critiques sur l’absence de préjudice direct, actuel et certain. En l’occurrence, c’est le caractère certain du préjudice qui semble faire défaut. Le notaire soutient ainsi que le cédant n’a subi aucune perte de chance définitive puisqu’il dispose d’un recours contre son cocontractant lui permettant d’obtenir le remboursement des indemnités versées à l’ancienne salariée. Non convaincue, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Par un moyen de pur droit soulevé d’office, elle juge que « la responsabilité des professionnels du droit ne présente pas un caractère subsidiaire, de sorte que la mise en jeu de la responsabilité d’un notaire, dont la faute n’est pas contestée, n’est pas subordonnée à une poursuite préalable contre un autre débiteur et qu’est certain le dommage subi par sa faute, quand bien même la victime disposerait, contre un tiers, d’une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice ». La solution n’est pas nouvelle. Par plusieurs décisions antérieures, la haute juridiction a statué en ce sens au sujet d’un avocat (1) mais aussi d’un notaire. S’agissant du notaire, les arrêts rendus paraissaient davantage contradictoires (2), certains semblant admettre une certaine subsidiarité (3), quand d’autres l’excluaient totalement (4). Le présent arrêt réaffirme sans nuance le principe selon lequel la responsabilité d’un professionnel du droit, et notamment d’un notaire, ne présente pas un caractère subsidiaire. Autrement dit, le notaire n’est pas un garant secondaire qui pourrait faire valoir le bénéfice de discussion : le client qui subit, par sa faute, un préjudice peut agir immédiatement contre lui sans avoir à agir préalablement contre un autre débiteur potentiel. En soi, la solution (1) V. not. Cass. 1re civ., 5 févr. 1991, n° 89-13528 : Bull. civ. I, n° 46 : « le moyen, qui tend à faire reconnaître à la responsabilité de l’avocat un caractère subsidiaire qu’elle ne possède pas, ne peut être accueilli » – Cass. 1re civ., 19 déc. 2013, n° 13-11807 : Bull. civ. I, n° 254 ; Y. Avril, « La responsabilité d’un professionnel du droit n’est pas subsidiaire » : D. 2014, p. 256. (2) Sur l’admission d’une certaine subsidiarité, v. par ex. Cass. 1re civ., 2 avr. 1997, n° 94-20352 : Bull. civ. I, n° 116 ; RTD civ. 1997, p. 665 – Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, n° 98-13432 : Bull. civ. I, n° 277 ; D. aff. 2000, p. 435, obs. L. Aynès ; Defrénois 28 févr. 2001, p. 258, obs. J.-L. Aubert. (3) Sur l’exclusion de toute subsidiarité, v. Cass. 1re civ., 13 févr. 1996, n° 93-18809 : Bull. civ. I, n° 81 – Cass. 1re civ., 26 oct. 2004, n° 02-20471, F–D : Defrénois 30 déc. 2004, p. 1738, n° 38073, obs. J.-L. Aubert. (4) Sur cette confusion, v. P. Jourdain, « Certitude du préjudice et responsabilité notariale (suite) : la confusion s’installe, une clarification s’impose » : RTD civ. 2005, p. 401 ; Adde : Y. Avril, op. cit., loc. cit. 38 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 ne surprend pas. En l’espèce, la faute du notaire était incontestable. La clause insérée dans l’acte de cession du fonds de commerce s’est en effet révélée inefficace en ce qu’elle n’a pas permis d’éviter tout recours de l’ancien salarié licencié contre le cédant alors pourtant que tel était l’objectif poursuivi par les parties. Sa faute résulte donc à la fois d’un manquement à son devoir d’assurer l’efficacité de l’acte dressé et à son devoir de conseil. En l’espèce, il aurait dû expliciter davantage la portée de la clause stipulée qui, en vertu du principe de l’effet relatif du contrat, n’empêchait évidemment pas le salarié d’agir contre le cédant. C’est l’existence d’un préjudice, direct, actuel et certain qui soulève davantage de difficultés. Et c’était justement sur ce point que se fondait le notaire demandeur au pourvoi. Son analyse était simple : dès lors que le cédant disposait d’un recours contre le cessionnaire, sa perte de chance n’était pas définitive et donc pas certaine. L’argument semblait fondé. La perte de chance consiste en effet en la disparition d’une espérance future. Or, en l’espèce, cette éventualité favorable ne paraissait pas avoir disparu, du moins définitivement, puisqu’un recours contre le cessionnaire, fondé sur la clause stipulée à l’acte, pouvait être admis. L’argument est pourtant balayé par la haute juridiction qui juge : « qu’est certain le dommage subi par sa faute, quand bien même la victime disposerait, contre un tiers, d’une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice ». La formule dont use la Cour de cassation est éclairante. Elle se réfère à la situation dommageable née de la faute du notaire. Cette situation dommageable réside dans l’indemnisation de l’ancien salarié et résulte de l’inefficacité de la clause. Comme l’a parfaitement explicité un auteur, « à chaque fois que le notaire a mis par sa faute un créancier dans une situation désavantageuse ou a créé un risque de perte, il doit en supporter les conséquences préjudiciables, même si la victime dispose d’actions contre des tiers » (5). (5) P. Jourdain, op. cit., loc. cit. Jur ispr ude nc e Responsabilité du notaire : restituer n’est pas réparer 254s7 1 L’essentiel La restitution d’un dépôt de garantie consécutive à la nullité d’un bail commercial n’est pas en soi un préjudice indemnisable. Le notaire, garant subsidiaire de la restitution due au seul créancier en cas de défaillance du débiteur, ne peut pas être condamné à en garantir le bailleur quand bien même il serait insolvable. Cass. 1re civ., 28 oct. 2015, no 14-17518, SCP Y, B, Z, A c/ Sté GLB, PB (cassation partielle sans renvoi CA Douai, 29 nov. 2012), Mme Batut, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP de Chaisemartin et Courjon, av. R estitutions et responsabilité civile sont à Mustapha MEKKI l’honneur depuis ces derniers mois. Accolées à la responsabilité du notaire, cela donne l’occasion de rappeler un principe constant quoique malmené : la restitution n’est pas une réparation. Note par Une société commerciale acquiert un droit au bail portant sur un bail à usage mixte. Le bailleur lui consent, par acte authentique, un nouveau bail mais cette fois à usage exclusivement commercial. La société preneuse demande quelques années plus tard la nullité du contrat pour violation de l’article L. 631-7 du Code de commerce. Le changement d’affectation conventionnel des locaux d’habitation n’a en effet pas été précédé d’une autorisation administrative. Le bailleur, assigné en nullité et devant restituer le dépôt de garantie en raison de la nullité du bail, appelle en garantie le notaire. La cour d’appel prononce la nullité du bail, condamne le bailleur à restituer le dépôt de garantie et déclare le notaire garant de l’ensemble des condamnations consécutives à l’annulation. La décision est légitimement cassée : « Qu’en statuant ainsi, alors que la restitution du dépôt de garantie consécutive à la nullité d’un bail commercial ne constituant pas en soi un préjudice indemnisable, le notaire, garant subsidiaire de la restitution envers la seule partie qui en est créancière, en cas de défaillance avérée de celle qui en est débitrice, ne pouvait être condamné à en garantir le bailleur, celui-ci fût-il insolvable, la cour d’appel a violé » l’article 1382 du Code civil. La Cour de cassation rappelle que si restitution n’est pas réparation, elle le devient lorsqu’elle s’avère impossible. Restitution n’est pas réparation car la première repose sur un principe objectif : le rétablissement d’un équilibre rompu entre les patrimoines (1). Le dépôt de garantie à la suite du prononcé de la nullité du contrat au même titre qu’une restitution d’une partie du prix en cas d’erreur de mesurage sont de simples restitutions et ne relèvent pas du droit de la responsabilité. Par conséquent, le notaire n’est pas « responsable » en raison de l’absence d’un quelconque préjudice indemnisable (2), ce que rappelle clairement l’arrêt commenté. Cependant, on sait que ce principe a connu quelques tempéraments depuis un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 28 janvier 2015 par lequel il a été jugé que si la restitution d’une partie du prix à la suite d’une erreur de mesurage n’est pas en soi un préjudice, elle peut constituer une perte de chance de vendre le bien au prix demandé et justifier une indemnisation à la charge du diagnostiqueur fautif (3). Le projet de réforme du droit des obligations, de son côté, qui consacre un chapitre V (art. 1353 et s.) aux restitutions ne devrait pas clarifier la situation, car au lieu de concevoir le mécanisme des restitutions de manière purement objective, il intègre un régime variable de restitutions en fonction de la faute ou de la mauvaise foi du débiteur, brouillant encore les pistes entre restitution et réparation. En revanche, si la restitution est impossible, ce fait génère un préjudice certain pour le locataire ou l’acheteur qui devient alors indemnisable (4). C’est pourquoi le notaire peut voir dans cette hypothèse sa responsabilité engagée au fondement de l’article 1382 du Code civil (5). Cette solution n’est pas remise en cause par l’arrêt commenté. La Cour de cassation prend la peine de préciser que le notaire est garant de la restitution qui est due au créancier, à savoir le locataire. En revanche, il n’est pas garant du bailleur quand bien même il serait insolvable. C’est ainsi l’appel en garantie réalisé par le bailleur qui est ici rejeté non le principe d’une garantie offerte par le notaire sur demande du locataire. Le principe est sauf : restituer n’est pas réparer. 253x8 (1) En ce sens, v. C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, LGDJ, 1992. (2) Cass. 3e civ., 25 oct. 2006, n° 05-17427 : RTD. civ. 2007, p. 333, obs. J. Mestre et B. Fages – Adde : Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, n° 13-16290. (3) Cass. 1re civ., 28 janv. 2015, n° 13-27397 : JCP G 2015, 216, note G. Viney ; D. 2015, p. 320, obs. N. Le Rudulier ; LEDC mars 2015, p. 7, n° 047, obs. M. Caffin-Moi ; Gaz. Pal. 16 avr. 2015, p. 15, n° 220g6, obs. M. Mekki. Adde : F. Rouvière, « La distinction entre restitution et indemnisation » : D. 2015, p. 657, pour qui l’absence de distinction entre restitution et réparation est opportune. (4) Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n° 01-16382 : D. 2004, p. 3117 ; RTD civ. 2005, p. 401, obs. P. Jourdain. (5) En ce sens not. Cass. 1re civ., 30 avr. 2014, préc. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 39 J u ris pr udenc e 253x4 Panorama de jurisprudence de la Cour de cassation Par Catherine BERLAUD ■■AVOCAT 254w7 Transmission de documents au bâtonnier et secret professionnel Justifie sa décision la chambre de l’instruction qui, pour confirmer l’ordonnance du juge d’instruction disant n’y avoir lieu à suivre contre quiconque, retient que cette transmission au bâtonnier, qui a la mission de concilier les différends d’ordre professionnel entre les membres du barreau et d’instruire toute réclamation formulée par des tiers, a été effectuée par l’associée dans le cadre d’un tel différend, pour prévenir une éventuelle mise en cause de la responsabilité professionnelle de la société d’avocats. Cass. crim., 15 déc. 2015, no 14-85068, F–PB (rejet pourvoi c/ CA Lyon, 27 juin 2014), M. Guérin, prés. – SCP Gadiou et 254w7 Chevallier, SCP Thouin-Palat et Boucard, av. ■■BAUX D’HABITATION ET PROFESSIONNELS 254u4 Défense du preneur contre l’oppression d’un bailleur professionnel Un professionnel de l’immobilier loue un logement meublé pour une durée de trois ans renouvelable, moyennant un loyer de 6 800 francs, puis signe avec son locataire deux nouveaux contrats, modifiant les conditions du bail initial relatives notamment au loyer et à la détermination des charges incombant au locataire. Le bailleur notifie au preneur un congé « en vue de la réévaluation du loyer » et, postérieurement à la restitution des lieux par le locataire, l’assigne en paiement d’une certaine somme. Le locataire soulève l’inopposabilité ou le caractère abusif de la clause de répartition des charges stipulée dans les contrats et la nullité du congé. Si le locataire, informé par le bailleur avec un préavis de trois mois de son souhait de modifier les conditions du contrat à son expiration, n’accepte pas les nouvelles conditions, le contrat est renouvelé aux conditions antérieures. La cour d’appel qui retient que le congé, qui n’était fondé ni sur la décision du bailleur de reprendre ou de vendre le logement, ni sur un motif légitime et sérieux tel que l’inexécution par le locataire de l’une des obligations lui incombant, mais procédait de la seule intention du bailleur d’augmenter le loyer, en déduit exactement que ce congé n’est pas conforme aux dispositions de l’article L. 632-1, alinéa 5, du Code de la construction et de l’habitation et doit être annulé. Il résulte des dispositions d’ordre public de l’article L. 632-1 du Code de la construction et de l’habitation, dans sa version applicable en la cause, que le bailleur qui souhaite, à l’expiration du contrat, en modifier les conditions doit informer le locataire avec un préavis de trois mois. Viole ce texte la cour d’appel qui, pour déclarer valable la clause déterminant les charges incombant au preneur, retient que cette clause a été stipulée aux termes d’un nouveau contrat signé par les parties et ne peut donc s’analyser comme une modification du contrat originaire susceptible de donner lieu à information préalable du preneur dans les conditions prévues à l’article L. 632-1 précité, alors que les conditions du bail ne peuvent être modifiées par les parties qu’à l’occasion de la reconduction du bail donnant naissance à un nouveau contrat et que la signature d’un nouveau contrat se substituant au contrat en cours ne peut faire échec aux dispositions de l’article L. 632-1. Aux termes de l’alinéa 1 de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont 40 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 254w7 253x4 abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Viole ce texte la cour d’appel qui, pour dire que la clause qui stipule que « Le locataire remboursera au bailleur toutes les charges, quelle qu’en soit la nature, y compris les frais d’entretien ou de réparation des parties communes, afférentes tant aux biens loués qu’à l’immeuble dans lequel ils se trouvent aux seules exceptions de l’assurance de l’immeuble et des honoraires de gestion de l’immeuble et des biens loués » n’est pas abusive, retient que l’article L. 632-1 du Code de la construction et de l’habitation n’impose aucune prescription en matière de charges et que, les dispositions impératives de l’article 23 de la loi du 6 juillet 1989 n’étant pas applicables s’agissant d’un logement meublé, il était loisible aux parties d’y déroger et de convenir de stipulations particulières pour ce qui concerne la répartition des charges, alors que la clause litigieuse qui fait peser sur le locataire la quasi-totalité des dépenses incombant normalement au bailleur et dispense sans contrepartie le bailleur de toute participation aux charges qui lui incombent normalement en sa qualité de propriétaire, a pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, no 14-25523, FS–PB (cassation partielle CA Paris, 14 janv. 2014), M. Chauvin, prés. – SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, SCP Waquet, 254u4 Farge et Hazan, av. ■■BAUX D’HABITATION ET PROFESSIONNELS 254u3 Local d’habitation trop exigu et conséquences Le propriétaire d’un local à usage d’habitation délivre à son locataire un commandement visant la clause résolutoire stipulée dans le contrat puis l’assigne en acquisition de cette clause et en expulsion, tandis que le preneur, soutenant que ce local n’est pas conforme aux critères d’un logement décent, sollicite reconventionnellement le remboursement des loyers versés, l’indemnisation de son préjudice et son relogement par le bailleur en application de la procédure d’interdiction d’habiter. Dès lors qu’elle relève que l’article 27-2 du règlement sanitaire départemental des Hauts-de-Seine dispose que « tout logement doit comprendre une pièce de 9 mètres carrés au moins, cette superficie étant calculée sans prise en compte des salles de bains ou de toilette et des parties formant dégagement ou cul-de-sac d’une largeur inférieure à 2 mètres » et retient qu’il résulte du rapport du service « Hygiène Sécurité Prétention » de la commune de Clichy, du diagnostic de mesure effectué le 14 avril 2011 à la demande du bailleur et du certificat de mesurage de lot de copropriété du 13 mai 2013, que le logement loué a une surface inférieure à 9 mètres carrés, plus exactement 8, 70 mètres carrés, surface dont doit en outre être déduite celle du bac à douche installé dans un coin de la pièce et que ce logement ne répond donc pas aux règles d’habitabilité prévues par la loi, la cour d’appel, qui fait, à bon droit, application des dispositions du règlement sanitaire précité, non incompatibles avec celles du décret du 30 janvier 2002 qui ne l’a pas abrogé et plus rigoureuses que celles-ci, en déduit exactement que le propriétaire a manqué à ses obligations. Ayant retenu que le propriétaire n’a pas respecté son obligation de délivrer un logement décent, la cour d’appel retient souverainement que ce manquement autorisait le locataire à suspendre le paiement des loyers. Mais ne satisfait pas aux exigences de l’article 455 du Code de procédure civile la cour d’appel qui, pour rejeter les 254u4 Jur ispr ude nc e ■■DROIT PÉNAL demandes du propriétaire, retient qu’il ne justifie pas que son logement était habitable, que le bailleur qui délivre un logement indécent ne respecte pas son obligation de délivrance de sorte qu’il ne peut prétendre au paiement d’un loyer qui ne serait pas causé, que tel est manifestement le cas en l’espèce et que le propriétaire doit en conséquence être débouté de l’ensemble de ses demandes, sans répondre aux conclusions de celui-ci qui demandait, dans l’hypothèse où le logement serait déclaré inhabitable en raison de sa surface, l’expulsion du locataire pour disparition de l’obligation de payer un loyer en contrepartie de l’occupation des lieux. Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, no 14-22754, FS–PB (cassation partielle CA Versailles, 6 mai 2014), M. Chauvin, prés. – Me Balat, 254u3 SCP Boré et Salve de Bruneton, av. 254w8 254u3 ■■BAUX D’HABITATION ET PROFESSIONNELS 254u9 Loi de 1948 : bénéficiaires du droit au maintien dans les lieux La cour d’appel qui constate que le bail a été signé par un preneur seul et retient exactement qu’à son décès son épouse, cotitulaire du bail, est demeurée seule locataire, que le bail a pris fin par l’effet du congé et que l’épouse, devenue occupante de bonne foi, n’a pu transmettre son droit au maintien dans les lieux à son fils qui ne figure pas parmi les personnes énumérées par l’article 5 de la loi du 1er septembre 1948, en déduit, à bon droit, que le fils est devenu occupant sans droit ni titre. Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, no 12-20672, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 21 févr. 2012), M. Chauvin, prés. – Me Le Prado, SCP 254u9 Ortscheidt, av. Cass. crim., 16 déc. 2015, no 14-83140, FS–PB (cassation partielle CA Paris, 10 avr. 2014), M. Guérin, prés. – Me Le Prado, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Waquet, 254w8 Farge et Hazan, av. 254w8 ■■DROIT PÉNAL 254w9 254u9 La peine de dissolution d’une SCI Justifie sa décision la cour d’appel qui, pour prononcer la dissolution d’une SCI, après l’avoir déclarée coupable du délit de blanchiment spécial prévu et réprimé à l’article 222-38 du Code pénal, retient que, si la création de la société est antérieure de quelques mois aux faits d’infractions à la législation sur les stupéfiants, la société a été détournée de son objet à partir du moment où elle a permis le blanchiment d’une somme en espèces d’un montant de 160 000 euros provenant de ce trafic, ne faisant ainsi qu’user de la faculté qu’elle tient des articles 131-39, 1°, et 222-42, alinéa 1, du Code pénal. ■■COPROPRIÉTÉ 254u5 Difficile pour le syndicat de copropriétaires d’échapper à sa responsabilité pour vice de construction ou défaut d’entretien Selon l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965, le syndicat des copropriétaires est responsable des dommages causés aux copropriétaires par le vice de construction ou le défaut d’entretien des parties communes. Viole ce texte et l’article 1382 du Code civil la cour d’appel qui, pour rejeter la demande de l’acquéreur d’un lot de copropriété dirigée contre le syndicat, retient que, les problèmes d’infiltration dans les locaux de ce copropriétaire existant depuis 1995, antérieurement à la mise en copropriété de l’immeuble, le syndicat n’est pas responsable des dommages causés par le vice de construction de l’immeuble, que le copropriétaire a pris position dans le même sens que les décisions adoptées par les assemblées générales de 1999, 2006 et 2007 et que le syndicat n’est pas responsable d’un défaut d’entretien des parties communes qui trouve sa cause dans le fait que le demandeur s’est constamment opposé au vote des travaux nécessaires, alors que le syndicat des copropriétaires est responsable de plein droit des vices de construction de l’immeuble, même antérieurs à la soumission de celui-ci au statut de la copropriété et sans caractériser une faute du copropriétaire ayant causé l’entier dommage et de nature à exonérer le syndicat de sa responsabilité. Viole l’article 1382 du Code civil la cour d’appel qui, pour condamner le copropriétaire à payer au syndic une certaine somme à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, retient que le demandeur a systématiquement refusé d’engager les travaux nécessaires à la suppression des infiltrations d’eau, alors que le syndic avait attiré l’attention des copropriétaires sur la nécessité d’y procéder, motifs impropres à caractériser la faute du copropriétaire. Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, no 14-16372, SCI Acmo c/ Synd. copr. immeuble Cinémonde et a., FS–PB (cassation partielle CA Chambéry, 18 févr. 2014), M. Chauvin, prés. – Me Blondel, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Garreau, Bauer-Violas et 254u5 Feschotte-Desbois, av. L’enregistrement d’une interview peut faire l’objet du délit de destruction Peut faire l’objet d’un abus de confiance et du délit de destruction tout bien susceptible d’appropriation. Sur la pression d’une personne interviewée, l’assistante du réalisateur réussit, à l’insu de celui-ci, à se faire confier les cassettes vidéo, support de l’interview, pour les remettre au directeur de l’établissement d’enseignement dans lequel l’entretien s’est réalisé, qui fait effacer l’enregistrement. Méconnaît les articles 314-1 et 322-1 du Code pénal et le principe ci-dessus énoncé la cour d’appel qui, pour relaxer l’assistante et le directeur du chef de destruction d’un bien appartenant à autrui, énonce que, pour être susceptible d’appropriation, il faut que ledit enregistrement soit qualifié d’œuvre de l’esprit au sens des dispositions du Code de la propriété intellectuelle, et partant protégeable par le droit d’auteur, et que la partie civile n’ayant pas établi une réalisation matérielle originale, qui en constitue le critère essentiel, cet enregistrement ne présente pas le caractère d’une œuvre originale pouvant recevoir une telle qualification, alors qu’un enregistrement d’images et de sons constitue un bien susceptible d’appropriation. Cass. crim., 16 déc. 2015, no 14-85667, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Grenoble, 2 juill. 2014), M. Guérin, prés. – SCP Waquet, 254w9 Farge et Hazan, av. 254w9 ■■DROIT PÉNAL 255c7 Récidive : application de la loi dans le temps Justifie sa décision le président de la chambre de l’application des peines qui retient qu’en raison de l’abrogation par la loi du 15 août 2014, applicable à compter du 1er janvier 2015, des dispositions de l’article 721-1 du Code de procédure pénale plus sévères à l’encontre des condamnés récidivistes et de l’absence de dispositions transitoires, prévues par le législateur, dérogeant aux prescriptions de l’article 112-2, 3°, du Code pénal, les réductions supplémentaires de peine relatives aux périodes d’incarcération subies par les condamnés en état de récidive, examinées postérieurement à cette dernière date, doivent être calculées exclusivement selon les modalités plus favorables prévues par le dispositif légal en vigueur. Cass. crim., 16 déc. 2015, no 15-81264, FS–PB (rejet pourvoi 255c7 c/ CA Grenoble, 11 févr. 2015), M. Guérin, prés. ■■DROIT PÉNAL 254v6 254u5 Soustraire des produits périmés voués à la destruction n’est pas du vol Selon l’article 311-1 du Code pénal, le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. La directrice d’un supermarché est poursuivie du chef de vol pour avoir soustrait des produits périmés qui avaient été mis à la poubelle du magasin dans l’attente de leur destruction. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 41 255c7 Jur i s p r u de nc e ■■ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ Ne justifie pas sa décision la cour d’appel qui déclare la prévenue coupable de vol, alors qu’il résulte des énonciations de l’arrêt que, d’une part, il est constant que les objets soustraits, devenus impropres à la commercialisation, avaient été retirés de la vente et mis à la poubelle dans l’attente de leur destruction, de sorte que l’entreprise avait clairement manifesté son intention de les abandonner, d’autre part, le règlement intérieur interdisant à la salariée de les appréhender répond à un autre objectif que la préservation des droits du propriétaire légitime, s’agissant du respect par celui-ci des prescriptions d’ordre purement sanitaire de l’article R. 11225, alors applicable, du Code de la consommation, et est sans incidence sur la nature réelle de ces biens. Cass. crim., 15 déc. 2015, no 14-84906, FS–PB (cassation CA Dijon, 21 mai 2014), M. Guérin, prés. – Me Le Prado, SCP Boré 254v6 et Salve de Bruneton, av. 254v4 Cession d’actifs : sanction de l’absence de revendication dans les délais La sanction de l’absence de revendication dans le délai légal n’est pas le transfert du droit de propriété au profit du débiteur mais son inopposabilité à la procédure collective de ce dernier, de sorte que le propriétaire, qui n’a pas revendiqué son bien dans le délai légal, est fondé à en obtenir la restitution contre le tiers acquéreur de mauvaise foi. Cass. com., 15 déc. 2015, no 13-25566, Sté Cleia c/ Sté Ceric technologies, F–PB (rejet pourvoi c/ CA Dijon, 12 sept. 2013), Mme Mouillard, prés. – SCP Boullez, SCP Yves et Blaise Capron, av. 254v4 254w6 Traite d’être humain mineure malgré le mariage Selon l’article 225-4-1 du Code pénal, constitue le délit de traite des êtres humains commise à l’égard d’un mineur le fait de le recruter, de le transporter, de le transférer, de l’héberger ou de l’accueillir à des fins d’exploitation, notamment pour le contraindre à commettre tout crime ou délit. Ayant obtenu la remise d’une mineure, âgée de 13 ans, par son père, moyennant une somme de 120 000 euros, pour la marier à son fils et, selon les interceptions téléphoniques recueillies, pour l’utiliser dans ses équipes de voleuses, un homme est déclaré notamment coupable du délit de traite d’être humain à l’égard de la mineure. Ne justifie pas sa décision la cour d’appel qui, pour le relaxer du délit de traite des êtres humains commis à l’égard d’un mineur, énonce que, pour immoral qu’il soit, le comportement du prévenu n’entre pas dans les prévisions de l’incrimination définie par le texte précité, lesquelles sont d’éradiquer le commerce des êtres humains afin de combattre des comportements d’esclavagisme particulièrement destructeurs pour la dignité humaine et inscrits dans un contexte de déséquilibre économique mondial, que si l’aspect mercantile d’un « mariage arrangé », même correspondant à une pratique culturelle, est choquant, il convient d’éviter de banaliser cette incrimination spécifique laquelle dépasse le cas d’espèce, alors qu’elle constate que l’achat de la mineure avait pour finalité de la contraindre à commettre des vols. 254w6 ■■DROIT PÉNAL 255c6 Vitesse excessive et mise en danger de la vie d’autrui : office du juge Le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l’infraction qu’il réprime. Ne justifie pas sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer le prévenu coupable du délit de mise en danger d’autrui, relève que le comportement du prévenu, qui circulait à la vitesse de 215 km/ h alors que sur cette portion d’autoroute, elle est limitée à 110 km/ h « n’a manifestement pas pris en compte les autres usagers de la route, nombreux à cette heure de la journée comme en atteste le relevé de la société d’autoroute », sans caractériser un comportement particulier, s’ajoutant au dépassement de la vitesse autorisée, ou l’existence de circonstances de fait particulières, exposant directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente. Cass. crim., 16 déc. 2015, no 15-80916, FS–PB (cassation CA Paris, 26 janvier 2015), M. Guérin, prés. – SCP Le Griel, av.255c6 42 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 ■■PRESSE ET NTIC 254v5 254v6 ■■DROIT PÉNAL Cass. crim., 16 déc. 2015, no 14-85900, FS–PBI (cassation partielle CA Nancy, 22 juill. 2014), M. Guérin, prés. – SCP Waquet, 254w6 Farge et Hazan, av. 254v4 Apologie de crimes contre l’humanité : les propos non « proférés » Plus d’une centaine de véhicules conduits par des gens du voyage pénètrent sur un terrain appartenant à la ville de Cholet qui l’avait donné en location à deux agriculteurs. Le député-maire de la ville, venu exprimer son désaccord à cette installation, est interpellé par une partie de ces personnes qui le traitent de raciste et lui adressent, par dérision, des saluts nazis. En quittant les lieux, l’élu dit : « Comme quoi Hitler n’en a peut-être pas tué assez, hein ». Les personnes auditionnées lors de l’enquête, fonctionnaires de police et agriculteurs locataires, n’ont pas entendu ces propos, seul un membre de la communauté affirmant les avoir perçus en substance et ajoutant qu’il avait également entendu d’autres propos dont il est établi qu’ils n’ont pas été tenus. La phrase prononcée a néanmoins été captée et enregistrée, à l’aide d’un téléphone mobile, par un journaliste qui se tenait alors derrière l’élu et qui les a divulgués le lendemain dans son journal, qui a rendu l’enregistrement accessible sur son site internet. La cour d’appel qui, pour rejeter l’exception de nullité de la citation introductive d’instance soulevée par le prévenu, retient que l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 vise à la fois l’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et que la mention des propos incriminés, accompagnée de la précision qu’ils s’adressaient à la communauté des gens du voyage, permet au prévenu de connaître exactement le crime dont l’apologie lui est reprochée, en déduit, à bon droit, que l’exploit introductif d’instance satisfait aux exigences de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881. Il résulte des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 que le délit d’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité n’est constitué que si les propos incriminés ont été « proférés » au sens de l’article 23 de la loi sur la presse, c’est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics. Viole ces textes et ce principe la cour d’appel qui, pour déclarer le prévenu coupable du délit susvisé, statue par des motifs dont il se déduit que les propos ont été tenus par leur auteur dans des circonstances exclusives de toute volonté de les rendre publics. Cass. crim., 15 déc. 2015, no 14-86132, FS–PB (cassation sans renvoi CA Angers, 12 août 2014), M. Guérin, prés. – Me Haas, SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP M. Guérin, prés. – Me Haas, SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, 254v5 SCP Spinosi et Sureau, av. ■■PRESSE ET NTIC 254w0 255c6 Ce n’est pas forcément la fonction du maire qui est diffamée En matière de presse, il appartient à la Cour de cassation de contrôler le sens et la portée des écrits incriminés, et de vérifier si dans les propos retenus dans la prévention se retrouvent les éléments légaux de la diffamation publique tels qu’ils sont définis par la loi du 29 juillet 1881. L’article 31 de la loi du 29 juillet 1881 ne punit de peines particulières les diffamations dirigées contre les personnes revêtues des qualités qu’il énonce que lorsque ces 254v5 Jur ispr ude nc e diffamations, qui doivent s’apprécier non d’après le mobile qui les ont inspirées ou le but recherché par leur auteur, mais d’après la nature du fait sur lequel elles portent, contiennent la critique d’actes de la fonction ou d’abus de la fonction, ou encore que la qualité ou la fonction de la personne visée a été soit le moyen d’accomplir le fait imputé, soit son support nécessaire. Le maire d’une commune fait citer un justiciable directement devant le tribunal correctionnel, du chef de diffamation publique envers un citoyen chargé d’un mandat public, pour avoir publiquement tenu à son encontre les propos suivants : « fils de crapule, le maire est une crapule, il est où le maire que je l’étrangle, D... assassin, incendiaire, voleur, vous n’êtes que des merdes, des sous-merdes, retournez en Corse, il faut leur tirer dessus et ne pas être lâche comme en 40, il faut les dénoncer, il faut les étrangler ». Méconnaît les articles 29, 30 et 31 de la loi du 29 juillet 1881 et le principe ci-dessus rappelé la cour d’appel qui retient le prévenu dans les liens de la prévention en retenant notamment que les propos litigieux, qui s’inscrivent dans un contentieux lourd et ancien entre le prévenu et le maire font référence précisément à un incendie, survenu quelques jours auparavant, d’un hangar appartenant au premier nommé, qui en impute la responsabilité au second, alors que le fait imputé ne constitue ni un acte, ni un abus de la fonction du maire, et se trouve dépourvu de tout lien avec ladite fonction, la diffamation ne concernant que le particulier. Cass. crim., 15 déc. 2015, no 14-85118, FS–PB (cassation sans renvoi CA Poitiers, 12 juin 2014), M. Guérin, prés. – SCP Spinosi 254w0 et Sureau, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. ■■PRESSE ET NTIC 254v9 L’office du juge en matière de diffamation Une société pharmaceutique fait citer, du chef de diffamation publique envers un particulier, un journaliste et directeur de publication, auteur d’un entretien, et la société Libération en qualité de civilement responsable, à la suite de la publication dans ce journal, de divers articles et, notamment, en page une, du titre : « Après le Mediator, le Protelos Z...récidive, exclusif Libération révèle que le laboratoire, dont la mise en examen paraît imminente, a également falsifié des documents relatifs à un autre médicament », et, en page trois, de l’éditorial suivant rédigé par le prévenu : « Les nouvelles révélations de Libération confirment que le laboratoire Z...avait bien érigé le mensonge et la manipulation en modèle économique. Sinistre manière de transformer des poisons violents en machine à cash, de multiplier les écrans de fumée pour masquer le rapport entre les médicaments et des patients qui décèdent, de faire taire ceux dont les doutes, puis les certitudes, menaçaient le chiffre d’affaires. Comme si le Mediator ne suffisait pas, c’est désormais le Protelos qui fait scandale : là encore des effets secondaires potentiellement ravageurs, là encore la manipulation de l’information, là encore des morts suspectes passées sous silence. Chez Z..., seul le cynisme se concevait dans une chimie d’une telle pureté. (...) Espérons que le double scandale du Mediator et du Protelos permette enfin de fissurer les murailles qui entourent un secteur dont seuls des romanciers, de Le Carré à Boyd, ont su imaginer la potentielle nocivité ». Encourt la cassation l’arrêt qui, pour relaxer le prévenu, retient, d’une part, que les mots « Z...récidive » figurant en page une sont trop vagues pour être qualifiés de diffamatoires, et, d’autre part, que l’accusation portée est celle d’avoir falsifié des résultats et masqué certains effets indésirables, reproche dont il est fait constamment état dans les autres articles et passages poursuivis, et dont le tribunal, de même que la partie civile qui n’a pas interjeté appel, ont estimé qu’ils pouvaient être publiés puisque justifiés par une enquête sérieuse et contradictoire et que, s’agissant d’un éditorial, la bonne foi ne peut être refusée ni au motif que les propos seraient dénués d’objectivité et d’impartialité, ni que leur auteur aurait manqué de prudence et de retenue dans l’expression, l’écrit en cause étant un billet d’humeur qui permet une plus grande liberté de ton et le recours à une certaine dose d’exagération voire de provocation », sans analyser l’ensemble des propos dont elle était saisie figurant en page une du journal, d’autre part, sans mieux s’expliquer sur la prudence et la mesure dans l’expression de la part du prévenu qui imputait à la partie civile d’avoir érigé le mensonge et la manipulation en modèle économique afin de diffuser, par cynisme et à des fins purement mercantiles, des poisons violents, et sans rechercher si les propos reprochés, même figurant dans un éditorial et traitant d’un sujet d’intérêt général, reposaient sur une base factuelle suffisante en rapport avec la gravité des accusations portées. Cass. crim., 15 déc. 2015, no 14-82529, FS–PB (cassation CA Paris, 20 mars 2014), M. Guérin, prés. – SCP Lyon-Caen et 254v9 Thiriez, SCP Thouin-Palat et Boucard, av. 254v9 ■■PROCÉDURE CIVILE 254u2 254w0 La procédure de récusation d’un organe disciplinaire examinant la violation d’engagements contractuels Exclu d’un aéroclub dont il était membre, un justiciable conteste l’impartialité de l’organe ayant prononcé cette décision. Viole les articles 341, 342 et 749 du Code de procédure civile la cour d’appel qui, pour rejeter sa demande, après avoir relevé qu’en vertu de l’article 342, alinéa 2, en aucun cas la demande de récusation ne peut être formée après la clôture des débats, retient que le demandeur, qui n’a pas usé de la faculté de récusation pendant l’instance disciplinaire, n’y est plus recevable, de sorte que la nullité de la décision ne peut être prononcée pour atteinte au principe d’impartialité objective, alors que les dispositions du Code de procédure civile régissant la procédure de récusation devant les juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière civile, commerciale, sociale, rurale ou prud’homale, ne sont pas applicables aux organes des groupements examinant la violation d’engagements contractuels. Cass. 1re civ., 17 déc. 2015, no 13-24544, M. X c/ Association Aéroclub du Comtat Venaissin, F–PB (cassation CA Nîmes, 6 juin 2013), Mme Batut, prés. – Me Balat, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et 254u2 Hannotin, av. 254u2 ■■PROCÉDURE PÉNALE 254w3 Allégation de déloyauté et régularité de l’instruction Le nombre de points de comparaison pertinents relevés sur une empreinte digitale, qui constitue un simple élément de preuve soumis au principe de contradiction et à l’appréciation des juges, est sans incidence sur la régularité de la procédure. Si c’est à tort que la chambre de l’instruction, pour rejeter la requête du mis en examen tendant à l’annulation d’interrogatoires d’autres mis en examen, énonce que celui-ci est sans qualité pour se prévaloir de la méconnaissance d’un droit appartenant en propre à une autre personne, alors que le demandeur invoquait la déloyauté d’actes accomplis par le juge d’instruction, l’arrêt n’encourt pas pour autant la censure, dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s’assurer, par l’examen des pièces de la procédure, que la déloyauté prétendue demeure à l’état de simple allégation. Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-82013, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 17 mars 2015), M. Guérin, prés. – SCP 254w3 Waquet, Farge et Hazan, av. ■■PROCÉDURE PÉNALE 254w5 Le fait constitutif d’une exclusion de serment ne peut être contesté pour la première fois en cassation Le moyen pris de ce que le témoin, qui n’est pas l’épouse de l’accusé, au sens de l’article 335 du Code de procédure pénale, étant unie à celui-ci par un lien uniquement religieux, n’a pas prêté serment préalablement à son audition, n’est pas recevable, le fait constitutif d’une cause d’exclusion du G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 43 254w3 Jur i s p r u de nc e serment ne pouvant être contesté pour la première fois devant la Cour de cassation. Cass. crim., 16 déc. 2015, no 14-87234, FS–PBI (rejet pourvoi c/ C. ass. Gironde, 10 oct. 2014), M. Guérin, prés. – SCP Richard, 254w5 SCP Waquet, Farge et Hazan, av. 254w5 ■■PROCÉDURE PÉNALE 255c5 Mainlevée de contrôle judiciaire et interruption de prescription Justifie sa décision la chambre de l’instruction qui retient que l’ordonnance de mainlevée partielle d’un contrôle judiciaire a fait courir un nouveau délai de prescription, puisque toute ordonnance rendue en matière de contrôle judiciaire par un juge d’instruction interrompt la prescription de l’action publique. Cass. crim., 16 déc. 2015, no 15-84179, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Douai, 3 juin 2015), M. Guérin, prés. – SCP Foussard et 255c5 Froger, SCP Spinosi et Sureau, av. Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-80733, FS–PB (rejet pourvoi 254v8 c/ CA Colmar, 30 déc. 2014), M. Guérin, prés. 254w2 255c5 254w4 Motifs de l’arrêt et impartialité La référence faite par les motifs de l’arrêt à la jurisprudence de la Cour de cassation dans les mêmes termes que le réquisitoire du procureur général n’est pas de nature à faire naître un doute sur l’impartialité de la juridiction. 254w4 ■■PROCÉDURE PÉNALE 254v8 Procédure distincte et droits de la défense À la suite d’une interception de correspondances téléphoniques ordonnée dans le cadre d’une information ouverte pour vol à main armée, des conversations enregistrées révèlent un fait nouveau, pour lequel le procureur de la République diligente une enquête qui, ayant recueilli des indices à l’encontre d’un justiciable, permet de le poursuivre pour subornation de témoin et recel. Devant le tribunal correctionnel, l’avocat du prévenu sollicite la jonction de l’intégralité du dossier de l’instruction à l’origine de cette poursuite puis, l’ayant obtenue, demande l’annulation de l’ordonnance par laquelle le 44 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 254w2 ■■PROCÉDURE PÉNALE 254v7 Procédé employé pour interpeler un suspect et principe de loyauté Lors d’une instruction menée sur des vols aggravés et confiée à plusieurs magistrats instructeurs cosaisis, un homme est interpellé, après que les enquêteurs ont répondu à une annonce diffusée sur internet de la vente de son véhicule et lui ont donné rendez-vous en se présentant comme des acheteurs potentiels. Justifie sa décision la cour d’appel qui, pour rejeter la requête en annulation des procès-verbaux d’interpellation, prise de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, énonce que le procédé utilisé par les enquêteurs consistant à se faire passer pour des acheteurs potentiels du véhicule dont ils avaient repéré, en consultant un site internet, qu’il le mettait en vente ne participe pas d’un stratagème ou d’une machination dès lors qu’il n’avait pas pour but de le provoquer à commettre une infraction mais de l’interpeller en dehors de son lieu de résidence, compte tenu de sa dangerosité et de l’impossibilité de l’arrêter sur les lieux où il était susceptible de se trouver sans risquer de porter gravement atteinte à l’ordre public, dès lors qu’un procédé qui n’a en rien déterminé les agissements d’une personne mise en examen ne porte pas atteinte à la loyauté entrant dans les garanties du droit à la liberté et à la sûreté et du procès équitable. ■■PROCÉDURE PÉNALE Recours contre l’ordonnance de renvoi, maintien de la détention provisoire et débat contradictoire Dès lors que la chambre de l’instruction est saisie d’un appel portant sur une ordonnance de renvoi, elle n’est amenée à statuer sur la détention provisoire que par l’effet de cet appel en application de l’article 213 du Code de procédure pénale et dans les conditions de l’article 179 du même Code, de sorte que le maintien éventuel de l’appelant en détention provisoire est nécessairement soumis au débat devant ladite chambre, sans que celle-ci soit tenue de faire comparaître la personne mise en examen. Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-84373, FS–PB (rejet pourvoi 254w2 c/ CA Rennes, 7 nov. 2015), M. Guérin, prés. 254w1 Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-84373, FS–PB (rejet pourvoi 254w1 c/ CA Rennes, 7 nov. 2014), M. Guérin, prés. 254v8 ■■PROCÉDURE PÉNALE ■■PROCÉDURE PÉNALE Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-82013, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 17 mars 2015), M. Guérin, prés. – SCP 254w4 Waquet, Farge et Hazan, av. président du tribunal de grande instance a désigné le viceprésident, pour remplacer la juge d’instruction qui en avait initialement la charge. Si, en application de l’article préliminaire du Code de procédure pénale et de l’article 6 de la Conv. EDH, le prévenu est recevable à contester la régularité d’une pièce issue d’une procédure distincte, dès lors qu’il invoque l’atteinte qu’elle porte à l’un de ses droits, il est sans qualité pour critiquer les modalités de désignation d’un juge d’instruction chargé d’une information à laquelle il n’est pas partie. 254w1 Valeur probante du rapport d’un piéton, commissaire de police Selon l’article 429 du Code de procédure pénale, tout procès verbal ou rapport a valeur probante s’il est régulier en la forme, si son auteur a agi dans l’exercice de ses fonctions et a rapporté sur une matière de sa compétence ce qu’il a vu ou constaté personnellement. Selon l’article 537 du même code, les procès-verbaux ou rapports dressés par les officiers ou agents de police judiciaire font foi jusqu’à preuve du contraire des contraventions qu’ils constatent et la preuve contraire ne peut être rapportée que par écrit ou par témoins. Selon les articles19 du décret 95-654 du 9 mai 1995 et R. 43419 du Code de la sécurité intérieure, tout fonctionnaire de police est considéré comme étant en service et agissant dans l’exercice de ses fonctions, dès lors qu’il intervient dans sa circonscription et dans le cadre de ses attributions, de sa propre initiative ou sur réquisition, pour prévenir et réprimer tout acte de nature à troubler la sécurité et l’ordre publics. Un commissaire de police constate qu’un véhicule, circulant à une vitesse excessive, lui refuse la priorité alors qu’il était engagé sur un passage piéton. Le conducteur étant sorti de son véhicule, le commissaire décline sa qualité et présente sa carte de police. Sur son rapport, le conducteur est poursuivi pour circulation à vitesse excessive et refus de priorité à un piéton régulièrement engagé sur la chaussée. Méconnaît les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés la juridiction de proximité qui, pour renvoyer le conducteur des fins de la poursuite, retient que le rapport de l’officier de police judiciaire n’a pas de valeur probante au sens des articles 429 et 537 du Code de procédure pénale dans la mesure où il n’est pas établi que ce dernier ait agi dans l’exercice de ses fonctions. Cass. crim., 15 déc. 2015, no 15-81322, FS–PB (cassation J. prox. Saint-Maur-des-Fossés, 12 févr. 2015), M. Guérin, prés. – SCP 254v7 Rousseau et Tapie, av. ■■PROTECTION SOCIALE 254v3 Contentieux de la sécurité sociale : question de compétence Les juridictions du contentieux de la sécurité sociale étant exclusivement compétentes pour connaitre des litiges à 254v7 Jur ispr ude nc e ■■TRAVAIL caractère individuel qui se rapportent à l’application des lois et règlements en matière de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole, le contentieux collectif entre employeur et salariés pour faire juger que l’employeur n’aurait pas appliqué la loi TEPA, relève de la compétence du tribunal de grande instance. Cass. 2e civ., 17 déc. 2015, no 14-26093, Sté Dassault systèmes Provence c/ FEC-FO et a., F–PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-enProvence, 11 sept. 2014), Mme Flise, prés. – SCP Célice, Blancpain, 254v3 Soltner et Texidor, SCP Waquet, Farge et Hazan, av. 254v1 254v3 ■■PROTECTION SOCIALE 254v2 Retard de paiement des cotisations et date d’appréciation de la bonne foi La bonne foi s’appréciant à la date d’exigibilité des cotisations ayant donné lieu à majoration, encourt la cassation le jugement qui, pour valider la demande de remise des majorations pour un trimestre, relève que le groupement des agriculteurs biologiques, en sa qualité d’employeur, effectue régulièrement des demandes de remise qui sont systématiquement acceptées et qu’il n’y a pas de raison différente, pour les cotisations litigieuses, de celle ayant entrainé le retard des autres cotisations pour lesquelles la caisse a reconnu la bonne foi du groupement. Cass. 2e civ., 17 déc. 2015, no 14-14405, CMSA Alpes de HauteProvence et Hautes-Alpes, 11 déc. 2013 c/ AGRIBIO, F–PB (cassation TASS Digne, 11 déc. 2013), Mme Flise, prés. – SCP 254v2 Vincent et Ohl, av. Cass. soc., 16 déc. 2015, no 14-23731, M. X c/ CRCAM Atlantique Vendée, FS–PBRI (rejet pourvoi c/ Cons. prudh. Nantes, 23 juin 2014), M. Frouin, prés. – SCP Gatineau et 254v1 Fattaccini, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, av. ■■TRAVAIL 255c8 254v2 ■■TRAVAIL 254v0 Absence de salaire minimum garanti : les pourboires sont acquis au salarié Les pourboires s’ajoutant au salaire fixe en application de l’article L. 3244-2 du Code du travail sauf dans le cas où un salaire minimum a été garanti par l’employeur, en l’absence de disposition contractuelle ou conventionnelle applicable aux hôtesses de blocs sanitaire de l’aérogare d’Orly, l’employeur ne justifie d’aucun salaire minimum garanti et une hôtesse est dès lors fondée en sa demande de remboursement des retenues sur salaire correspondant à ces pourboires. Cass. soc., 16 déc. 2015, no 14-19073, Sté ISS Propreté c/ Mme X, FS–PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 3 avr. 2014), M. Frouin, prés. – Me Balat, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, av. 254v0 Absences du salarié et droit aux jours de congé En application de l’article 2.1 de l’annexe 2 chapitre II à l’accord du 13 janvier 2000 relatif à la durée et l’organisation du temps de travail au Crédit agricole, l’ensemble des salariés a un droit sur l’année à cinquante-six jours de congés payés, dont vingtcinq jours ouvrés de congés payés annuels et trente et un jours dénommés AJC (autres jours de congé) correspondant aux jours chômés dans l’entreprise et aux demi-journées ou journées résultant de la réduction du temps de travail. Aux termes de ce texte, « sans préjudice des règles relatives aux congés payés annuels, l’acquisition du nombre de jours de congé est déterminée en fonction du temps de travail effectif dans l’année ». Il en résulte que l’accord prévoit, non pas la récupération prohibée des jours d’absence pour maladie du salarié par le retrait d’autant de jours de congé AJC auxquels il a droit, mais un calcul de son droit à des jours de congé AJC proportionnellement affecté par ses absences non assimilées à du temps de travail effectif, conforme aux dispositions des articles L. 3141-5 et L. 3141-6 du Code du travail. Indemnités journalières versées au salarié malade Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que, pour la détermination de la rémunération maintenue au salarié malade en application de dispositions garantissant le maintien de salaire, les indemnités journalières versées par la sécurité sociale sont retenues pour leur montant brut avant précompte des contributions sociales et impositions de toute nature que la loi met à la charge du salarié. Cass., avis, 4 janv. 2016, no 15-70004, Mme X c/ Association pour adultes et jeunes handicapés de l’Isère (Cons. prud’h. Grenoble, 12 255c8 oct. 2015), M. Louvel, prem. prés. 254v0 NOTE La question posée à la Cour de cassation par un conseil de prud’hommes était : « la CSG et la CRDS, définies comme des cotisations sociales, doivent-elles s’appliquer sur les indemnités journalières de sécurité sociale, dans le cadre d’un maintien de salaire net prévu par une convention collective ? » Si la question n’était pas nouvelle, et donc ne justifiait pas un avis de la Cour de cassation, la juridiction prud’homale a relevé qu’en février 2015, la CJUE avait jugé que la CSG et la CRDS revêtaient, du fait de leur affectation au financement de régimes obligatoires de sécurité sociale, la qualification de cotisations de sécurité sociale au sens du règlement CEE n°1408/71, du Conseil, du 14 juin 1971. S’appuyant sur la qualification de cotisations sociales retenue par le juge communautaire, le conseil de prud’hommes a retenu l’existence d’une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse. Toutefois, le règlement n’a pas vocation à régir des situations purement internes, il ne s’applique qu’aux personnes qui se déplacent au sein de l’Union européenne. 253x4 255c8 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 45 254v1 J u ris pr udenc e 253x6 Panorama de jurisprudence du Conseil d’État revanche, lorsque l’administration notifie la décision fixant le pays de renvoi postérieurement à l’obligation de quitter le territoire, il ne saurait être fait grief à l’étranger de ne pas avoir contesté simultanément ces deux décisions. Dès lors, dans cette hypothèse, l’étranger conserve la possibilité de contester la décision fixant le pays de renvoi dans les conditions prévues aux articles L. 512-1 et L. 512-3, alors même que la mesure d’éloignement et, le cas échéant, la mesure de placement en rétention, auraient déjà été contestées et que le recours formé contre ces décisions aurait été rejeté par le tribunal administratif. L’exercice de cette voie de recours revêt alors un caractère suspensif et l’obligation de quitter le territoire ne peut faire l’objet d’une exécution forcée tant que le tribunal administratif n’a pas statué sur ce recours. Le délai de recours court à compter de la notification à l’intéressé de la décision fixant le pays de renvoi. L’exercice de cette voie de recours n’a pas pour effet de prolonger ni de rouvrir le délai de recours contentieux contre l’obligation de quitter le territoire notifiée avant la décision fixant le pays de renvoi. Par Philippe GRAVELEAU ■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF 254h5 Conditions de recevabilité des moyens invoqués après l’expiration du délai d’appel Le défendeur en première instance est recevable à invoquer en appel tous moyens, même pour la première fois. Cette faculté doit cependant se combiner avec l’obligation faite à l’appelant d’énoncer, dans le délai d’appel, la ou les causes juridiques sur lesquelles il entend fonder son appel. Il suit de là que, postérieurement à l’expiration dudit délai et hormis le cas où il se prévaudrait d’un moyen d’ordre public, l’appelant n’est recevable à invoquer un moyen nouveau que pour autant que celui-ci repose sur la même cause juridique qu’un moyen présenté avant l’expiration du délai d’appel. Lorsque le défendeur en première instance a la qualité d’intimé, il est recevable à invoquer tout moyen pour la première fois, en défense comme à l’appui de conclusions d’appel incident, lesquelles ne doivent pas présenter à juger un litige distinct de l’appel principal. Le moyen tiré de ce que, faute d’en avoir inclus le montant dans son projet de décompte final, l’entreprise n’était recevable à réclamer au maître d’ouvrage ni l’indemnisation du préjudice lié au retard dans le démarrage du chantier ni la révision du prix du marché se rattache à la même cause juridique que le moyen tiré du caractère forfaitaire du prix du marché, dès lors que ces deux moyens sont relatifs à l’exécution d’un même contrat. CE, avis, 6e et 1re sous-sect., 14 déc. 2015, no 393591, M. A., Publiée au Recueil Lebon, C. Olsina, rapp.; S. von Coester, rapp. 254q2 publ. NOTE cf. CE, sect. cont., 30 déc. 2013, n° 367533, Gaz. Pal. 6 févr. 2014, p. 29, 164v3 254q2 ■■CONTENTIEUX 254g7 EUROPÉENNE CE, 7e et 2e sous-sect., 16 déc. 2015, no 373509, Ville de Lyon, Publiée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Lyon, 19 sept. 254h5 2013), F. Dieu, rapp.; O. Henrard, rapp. publ. NOTE cf. CE, 29 sept. 2000, n° 186916, Sté Dezellus Metal Industrie, Gaz. Pal. Rec. 2001, somm. p. 1783 254h5 ■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF 254j0 Avis d’audience : mentions obligatoires L’avis d’audience adressé au défendeur ne comportait pas les informations relatives aux conclusions du rapporteur public prévues par le 2e alinéa de l’article R. 711-2 du code de justice administrative. Cette méconnaissance de ces dispositions l’a privé d’une garantie, en ne le mettant pas en mesure de prendre connaissance de la dispense de conclusions du rapporteur public. Le jugement, rendu au terme d’une procédure irrégulière, est annulé. CE, 1re et 6e sous-sect., 15 déc. 2015, no 380634, Dpt de la SeineSaint-Denis, Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation TA Montreuil, 25 mars 2014), F. Puigserver, rapp.; R. Decout-Paolini, 254j0 rapp. publ. ■■CONTENTIEUX ADMINISTRATIF 254q2 Voie de recours spéciale contre les mesures relatives à l’éloignement des étrangers Le législateur a entendu instituer, à l’article L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, une voie de recours spéciale ayant un effet suspensif contre les mesures relatives à l’éloignement des étrangers, parmi lesquelles figure la décision fixant le pays de renvoi. Lorsque la décision fixant le pays de renvoi est notifiée à l’intéressé simultanément à l’obligation de quitter le territoire, il appartient à l’étranger souhaitant bénéficier de l’effet suspensif d’exécution du recours de contester en même temps l’obligation de quitter le territoire et la décision distincte. En 46 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 253x6 254j0 EUROPÉEN ET DE L’UNION Reversement d’aides communautaires indues : délai de prescription des poursuites Le délai de prescription des poursuites de quatre années prévu par le 1er alinéa du § 1 de l’article 3 du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 est applicable à l’ensemble des irrégularités définies au § 2 de l’article 1er de ce règlement, y compris aux irrégularités intentionnelles susceptibles de donner lieu aux sanctions administratives mentionnées au paragraphe 1 de son article 5. La circonstance qu’un opérateur aurait eu un comportement frauduleux est sans influence sur l’application de ce délai de prescription. Il résulte clairement de l’article 6, § 1, du règlement n° 2988/95 que la suspension de la procédure de sanction qu’il prévoit ne peut être prononcée, en cas d’ouverture d’une action pénale visant la personne en cause à raison des mêmes faits, que par une décision explicite de l’autorité compétente. La suspension ne peut dès lors résulter du seul comportement de l’autorité administrative chargée de l’instruction ou des poursuites. L’engagement de la procédure administrative, et sa suspension ne peuvent résulter de la seule circonstance que l’administration serait intervenue, en qualité de victime, à la procédure pénale, en vue d’y défendre ses intérêts civils. Dans l’hypothèse où l’ouverture de la procédure pénale précède l’engagement de la procédure administrative, il appartient à l’administration, si elle s’y croit fondée, d’engager une procédure tendant à l’application de sanctions administratives et de prendre, lorsqu’elle le juge opportun, une décision expresse de suspension de l’imposition des sanctions CE, 3e et 8e sous-sect., 11 déc. 2015, no 380102, FranceAgriMer, Mentionnée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Nantes, 6 254g7 mars 2014), R. Vicor, rapp.; V. Daumas, rapp. publ. ■■DROIT CONSTITUTIONNEL 254h7 QPC : effet dans le temps d’une déclaration d’inconstitutionnalité Le Conseil constitutionnel, par une décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013, a déclaré l’article L. 912-1 du code de la sécurité sociale contraire à la Constitution. Il a énoncé que cette déclaration d’inconstitutionnalité prenait effet à compter 254g7 Jur ispr ude nc e de la publication de sa décision mais n’était pas applicable aux contrats pris sur ce fondement, en cours lors de cette publication. Le Conseil constitutionnel a ainsi entendu préserver l’application jusqu’à leur terme, tel qu’il résulte de leurs stipulations et des dispositions du 1er alinéa de l’article L. 912-1, des actes contractuels, déjà conclus sur le fondement de cet article, en vertu desquels les entreprises ont une obligation d’adhésion à un organisme ou une institution chargé de la mutualisation des risques dont ces accords organisent la couverture. En revanche, sa décision fait obstacle à ce que l’autorité ministérielle puisse légalement, après la date à laquelle sa déclaration d’inconstitutionnalité a pris effet, étendre les stipulations d’un accord prévoyant une telle obligation d’adhésion et ainsi l’imposer à des entreprises qui, n’étant pas adhérentes à l’une des organisations d’employeurs signataires de l’accord, n’étaient pas liées par celui-ci. préfet par l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales ne s’applique que dans la limite des compétences des maires qui s’exercent dans le domaine administratif sous l’autorité ou le contrôle du préfet, et ne s’étend pas, alors même que les maires agissent au nom de l’État, aux actes résultant de l’exercice des fonctions d’officier d’état-civil, qui sont placés sous le contrôle du procureur de la République. La circulaire du 13 juin 2013 n’a pas méconnu l’article L. 212234 en rappelant qu’il n’autorisait pas le préfet à se substituer au maire pour procéder à la célébration d’un mariage. CE, 10e et 9e sous-sect., 18 déc. 2015, no 369834, M. C., Mentionnée au Recueil Lebon, A. Iljic, rapp.; A. Bretonneau, rapp. 254h6 publ. NOTE Sur renvoi de la QPC au Conseil d’État (18 sept. 2013, n° 369834, Gaz. Pal. 3 oct. 2013, p. 28, 148a6 et Gaz. Pal. 12 juill. 2014, p. 15, 187b0, note J. Bonnet), le Conseil constitutionnel a jugé les articles 34-1, 74 et 165 du code civil et l’article L. 2122-18 du code général des collectivités territoriales conformes à la Constitution (Cons. const. 18 oct. 2013, n° 2013-353 QPC, Gaz. Pal. 12 juill. 2014, p. 21, 187b9, note M-A. Granger) CE, 1re et 6e sous-sect., 15 déc. 2015, no 372880, APAC, Mentionnée au Recueil Lebon, F. Puigserver, rapp.; R. Decout-Paolini, 254h7 rapp. publ. 254h6 ■■FONCTION PUBLIQUE NOTE cf. Cons. const. 13 juin 2013, n° 2013-672 DC, note F. Patris, EDAS, 4 juill. 2013, p. 3 254j5 254h7 Pension de retraite : départ anticipé avec jouissance immédiate pour le parent d’un enfant handicapé Il résulte du 2e alinéa du I de l’article R. 37 du code des pensions civiles et militaires de retraite que le bénéfice d’un départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate, tel que défini à l’article L. 24 du même code, est conditionné à une interruption ou une réduction d’activité du parent fonctionnaire durant les trois ans suivant la naissance de l’enfant handicapé. La différence de traitement qui résulte de ces dispositions réglementaires entre les parents d’un enfant handicapé qui ont réduit ou interrompu leur activité avant que leur enfant ait atteint l’âge de trois ans et ceux qui ont réduit ou interrompu leur activité après que leur enfant a atteint cet âge alors qu’il est encore à leur charge, ne se ne se justifie ni par un motif d’intérêt général, ni par une différence de situation au regard des préjudices de carrière liées à la charge supplémentaire qu’impose l’éducation d’un enfant handicapé, que la mesure vise à compenser. Il suit de là que ces dispositions réglementaires méconnaissent le principe d’égalité en excluant du bénéfice du départ anticipé à la retraite avec jouissance immédiate les parents d’enfants handicapés ayant interrompu ou réduit leur activité après que leur enfant handicapé a atteint trois ans et alors qu’il est encore à leur charge. ■■ÉTRANGERS 254j8 Obligation de quitter le territoire et fixation du pays de destination Les décisions par lesquelles l’administration refuse ou retire à un étranger le droit de demeurer sur le territoire français, l’oblige à quitter ce territoire et lui signifie son pays de destination sont, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, en principe, regroupées au sein d’un acte administratif unique. La décision fixant le pays de renvoi constitue une décision distincte de l’obligation de quitter le territoire français, qui fait d’ailleurs l’objet d’une motivation spécifique. La décision fixant le pays de renvoi est ainsi sans incidence sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français. L’adoption de la décision fixant le pays de renvoi conditionne, en revanche, la possibilité pour l’administration d’exécuter d’office l’obligation de quitter le territoire. Dès lors, la circonstance que l’administration n’édicte pas dans un même acte l’obligation de quitter le territoire et la décision fixant le pays de renvoi est sans incidence sur la légalité de la mesure d’éloignement, mais fait obstacle à ce qu’elle puisse être exécutée d’office. Lorsque la rétention administrative est décidée à l’encontre d’un étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français prise moins d’un an auparavant et pour laquelle le délai pour quitter le territoire est expiré ou n’a pas été accordé, la rétention administrative ne peut être légalement décidée que si l’obligation de quitter le territoire français est elle-même légale. La circonstance que l’autorité administrative n’ait pas fixé le pays de renvoi concomitamment à l’obligation de quitter le territoire ne fait pas par elle-même obstacle à ce que l’étranger soit placé en rétention. Toutefois, l’administration ne peut placer l’étranger en rétention que dans la mesure où cela est strictement nécessaire à son départ et en vue d’accomplir les diligences visant à permettre une exécution d’office de l’obligation de quitter le territoire français, notamment celles qui doivent permettre la détermination du pays de renvoi. CE, avis, 6e et 1re sous-sect., 14 déc. 2015, no 393591, M. A., Publiée au Recueil Lebon, C. Olsina, rapp.; S. von Coester, rapp. 254j8 publ. ■■FAMILLE 254h6 Célébration du mariage pour tous : le préfet ne peut pas se substituer au maire Il résulte de l’article 34-1 du code civil, créé par la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, à moins qu’un texte particulier n’en dispose autrement, que le pouvoir de substitution conféré au CE, 7e et 2e sous-sect., 16 déc. 2015, no 387815, M. B., Mentionnée au Recueil Lebon, C. Nicolas, rapp.; O. Henrard, rapp. 254j5 publ. 254j5 ■■PRESSE ET NTIC 254j3 254j8 Traitements reposant sur un dispositif biométrique : exclusion du champ de l’autorisation unique La CNIL n’a pas méconnu l’étendue de ses compétences en prenant la délibération n° 2012-322 du 20 septembre 2012, qui a exclu du champ de l’autorisation unique les traitements reposant sur un dispositif biométrique de reconnaissance de contour de la main ayant pour finalité le contrôle des horaires. Elle n’a fait une inexacte application de l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 ni en prenant cette délibération ni en refusant de l’abroger. Elle a apprécié la proportionnalité des données collectées, qui sont en l’espèce de nature biométrique, à la finalité poursuivie par le traitement. Elle a pu légalement estimer que la mise en oeuvre des traitements reposant sur la reconnaissance du contour de la main et ayant pour seule finalité le contrôle de la gestion et du respect des horaires devait faire l’objet d’une autorisation spécifique, eu égard à la nature des données collectées, afin de lui permettre d’exercer, au cas par cas, le contrôle prévu par ces dispositions. CE, 10e et 9e sous-sect., 18 déc. 2015, no 381254, SARL Aderanet, Mentionnée au Recueil Lebon, J. Reiller, rapp.; A. Bretonneau, 254j3 rapp. publ. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 47 254j3 Jur i s p r u de nc e ■■PROFESSIONS CE, 1re et 6e sous-sect., 15 déc. 2015, no 379389, Sté Janssen-Cilag, Mentionnée au Recueil Lebon (rejet pourvoi c/ CAA Versailles, 4 mars 2014), F. Marguerite, rapp.; R. Decout-Paolini, rapp. publ. 254h4 Responsabilité civile professionnelle de l’avocat : réparation du préjudice moral du client La circonstance que l’irrecevabilité opposée au pourvoi du requérant, imputable à une faute de son avocat au conseil d’État et à la Cour de cassation, ne l’a pas privé d’une chance sérieuse d’obtenir gain de cause, ne fait pas obstacle à ce qu’il demande réparation à cet avocat du préjudice moral qui a pu lui être ainsi occasionné. 254j2 ■■TRAVAIL 254h8 Protection des jeunes travailleurs contre les risques pour la santé : exposition à l’amiante Si l’article R. 4153-41 du code du travail prévoit que la demande d’autorisation de déroger précise les travaux nécessaires à la formation professionnelle pour lesquels elle est présentée, il incombe toutefois au pouvoir réglementaire, lorsqu’il détermine la liste des catégories de travaux auxquels les travailleurs de moins de 18 ans peuvent être employés, par dérogation à l’article L. 4153-8, de vérifier la nécessité de dérogations pour les besoins de leur formation professionnelle et la possibilité d’assurer la protection de leur sécurité et de leur santé, dès lors que les travaux sont effectués sous la surveillance d’une personne compétente. Le ministre n’a pas justifié des circonstances l’ayant conduit à estimer que les besoins de la formation professionnelle des jeunes travailleurs rendaient nécessaires des dérogations pour des opérations susceptibles d’exposer les mineurs à un empoussièrement pouvant aller jusqu’à 6 000 fibres par litre, et de leur faire courir un risque important pour leur santé en cas de méconnaissance des mesures de protection imposées par la réglementation en vigueur. Les dispositions du décret n° 2013-915 du 11 octobre 2013 modifiant le II de l’article D. 4153-18 du code du travail sont illégales en ce qu’elles prévoient qu’il peut être dérogé à l’interdiction fixée au I pour des opérations susceptibles de générer une exposition des mineurs au niveau 2 d’empoussièrement de fibres d’amiante. CE, 6e et 1re sous-sect., 11 déc. 2015, no 384242, Épx B., Mentionnée au Recueil Lebon, C. Beaufils, rapp.; X. de Lesquen, rapp. 254h4 publ. NOTE cf. CE, 2 oct. 2006, n° 270103, Gaz. Pal. Rec. 2006, somm. p. 4033 254h4 ■■PROTECTION SOCIALE 254h9 Suspension du versement du RSA en cas de non respect du contrat d’insertion Le président du conseil général est chargé d’orienter le bénéficiaire du revenu de solidarité active dans le cadre des démarches qui lui incombent en vertu de l’article L. 262-28 du code de l’action sociale et des familles. Un contrat doit être conclu avec celui-ci afin de déterminer les engagements réciproques du département et du bénéficiaire en matière d’insertion. Il s’ensuit que, si le bénéficiaire du RSA est tenu, lorsqu’il rencontre des difficultés tenant notamment à son état de santé faisant obstacle à son engagement dans une démarche de recherche d’emploi, d’entreprendre des actions nécessaires à une meilleure insertion sociale, la nature des engagements pris à ce titre doit figurer dans ce contrat. Le président du conseil général est en droit de suspendre le versement du RSA lorsque le bénéficiaire, sans motif légitime, soit fait obstacle à l’établissement ou au renouvellement de ce contrat par son refus de s’engager à entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale, soit ne respecte pas le contrat conclu. En revanche, il ne peut légalement justifier une décision de suspension par la circonstance que le bénéficiaire n’aurait pas accompli des démarches d’insertion qui ne correspondraient pas aux engagements souscrits dans un contrat en cours d’exécution. CE, 1re et 6e sous-sect., 15 déc. 2015, no 377138, M. A., Mentionnée au Recueil Lebon (Annulation TA Limoges, 22 janv. 2014), M. Thoumelou, rapp.; R. Decout-Paolini, rapp. publ.254h9 ■■SANTÉ 254j2 Autorisation de mise sur le marché d’un produit pharmaceutique : résumé des caractéristiques du produit Le résumé des caractéristiques du produit, dont le projet est obligatoirement joint à la demande d’autorisation de mise sur le marché, a pour objet de recenser les informations spécifiques à une spécialité, telles que son nom, sa composition, sa forme pharmaceutique ou encore ses données cliniques et pharmaceutiques, à destination des professionnels de santé. Il comporte notamment, en vertu du point 4.4. de l’article 1er de l’arrêté du 6 mai 2008, pris pour l’application de l’article R. 5121-21 du code de la santé publique, tel qu’interprété à la lumière de l’article 11 de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001, d’une part, les mises en garde spéciales, qui ont vocation à s’adresser à l’ensemble des personnels de santé, et, d’autre part, les précautions particulières d’emploi qui doivent être spécifiquement prises par les personnes qui manipulent un médicament et qui l’administrent aux patients. 48 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 254j2 CE, 1re et 6e sous-sect., 18 déc. 2015, no 373968, Assoc. nationale de défense des victimes de l’amiante, Mentionnée au Recueil Lebon, M. Thoumelou, rapp.; R. Decout-Paolini, rapp. publ. 254h8 254h8 ■■URBANISME 254j1 254h9 Droits conférés au bénéficiaire d’un certificat d’urbanisme L’article L. 410-1 du code de l’urbanisme ne réserve pas à la personne qui a présenté la demande de certificat les droits qu’il confère, pendant 18 mois, à l’application des dispositions d’urbanisme, du régime des taxes et participations d’urbanisme et des limitations administratives au droit de propriété existant à la date du certificat d’urbanisme. Le bénéfice d’un certificat d’urbanisme peut être invoqué par une autre personne que celle qui l’a demandé. Aucune disposition n’exclut la prise en compte d’un certificat d’urbanisme pour l’examen d’une demande d’autorisation ou d’une déclaration préalable déposée antérieurement à la délivrance de ce certificat et n’ayant pas encore donné lieu à décision de l’autorité administrative. Les articles R. 431-4 et suivants du même code énumèrent de façon limitative les documents devant être joints à la demande de permis de construire, sans exiger la production des certificats d’urbanisme portant sur le terrain d’assiette du projet. Le 4e alinéa de l’article L. 410-1 est applicable à une demande d’autorisation déposée dans le délai de 18 mois à compter de la délivrance d’un certificat d’urbanisme, sans qu’y fasse obstacle la circonstance que le demandeur ne s’en est pas expressément prévalu lors de l’instruction de sa demande. CE, 1re et 6e sous-sect., 15 déc. 2015, no 374026, Cne de SaintCergues, Mentionnée au Recueil Lebon, F. Marguerite, rapp.; R. 254j1 Decout-Paolini, rapp. publ. 253x6 254j1 Au x m ar ch es d u P a l a is 256m6 PROFESSIONS La déposition 256m6 L’essentiel Retour sur l’affaire Agnelet mais cette fois-ci du côté du fils de « Maurice », Guillaume qui, après 37 ans de silence, a décidé de témoigner contre son père. Pascale Robert-Diard, fascinée par cette déposition, a pris contact avec lui et a reconstitué, grâce à leurs échanges, le fil de l’existence prisonnière de ce terrible secret jusqu’à sa révélation le 6 avril 2014. Par Olivia DUFOUR Internet a bien failli tuer la chronique judiciaire. Comment prétendre en effet rendre compte au jour le jour d’un procès à des lecteurs qui n’achètent plus qu’épisodiquement leur quotidien préféré ? Elle est en réalité en train de trouver un second souffle grâce aux blogs et aux réseaux sociaux. Parmi les journalistes passionnés qui se battent au quotidien pour défendre leur art, Pascale Robert-Diard, journaliste au Monde, est sans doute la plus célèbre dans le monde judiciaire mais aussi sur la toile grâce à son blog « Chroniques judiciaires » ouvert fin 2006. On s’y régale de fragments d’audience qui n’ont pas trouvé leur place dans les colonnes du quotidien. Ce qui la distingue ? Une sensibilité à fleur de peau, une connaissance intime du monde judiciaire, un intérêt profond pour l’humain. Et surtout, une délicatesse d’aquarelliste pour raconter une audience. La journaliste est dans tous les prétoires où se joue une affaire importante. C’est donc tout naturellement qu’elle a suivi le troisième procès aux assises de Rennes de Maurice Agnelet, l’homme accusé d’avoir en 1977 assassiné et fait disparaître le corps d’Agnès le Roux, l’héritière du Palais de la Méditerranée. Son corps n’a jamais été retrouvé, mais les soupçons pèsent depuis l’origine sur cet avocat sulfureux de la famille qui était aussi à l’époque l’amant de la jeune femme. Débute alors une énigme judiciaire passionnante qui va durer plus de 30 ans. Acquitté lors de son premier procès à Nice en 2006, Maurice Agnelet est condamné en appel à Aix-en-Provence l’année suivante. Son avocat dépose un recours devant la CEDH et gagne. Un troisième procès est organisé en 2014. Le 6 avril, coup de théâtre : l’un des trois fils de Maurice Agnelet, Guillaume, qui l’avait défendu jusque-là, fait volteface et confie à la barre sa conviction que son père est coupable. S’en suivent des moments d’une rare violence lorsque Guillaume est confronté à sa mère qui continue de défendre l’innocence de Maurice Agnelet et le menacera quelques heures plus tard de se suicider. Fascinée par la déposition de Guillaume Agnelet, Pascale Robert-Diard décide, à l’issue du procès, de lui écrire une longue lettre. Il lui répond. Le livre est né de ces échanges. Sa force est de se tenir soigneusement éloignée de la tentation du scoop et de la révélation spectaculaire. « Quand je l’ai revu pour la première fois, sur le quai d’une gare, j’ai deviné au premier regard qu’il avait aussi peur que moi (…) L’espace paraissait soudain trop vaste, trop lumineux. Il n’y avait plus d’huissier, plus ce silence épais qui accompagne le rituel de l’audience, plus ce décor de pierre et de vieux bois, plus cette atmosphère de tragédie qui écrase et élève à la fois. Il n’y avait qu’une gare pleine de gens pressés. Et Guillaume Agnelet au milieu d’eux, un sac à dos, qui me tendait la main ». C’est la seule confidence du livre. Elle murmure à l‘oreille du lecteur « cette affaire m’a touchée, j’ai pris le risque fou de sortir du cadre convenu du récit d’audience pour comprendre l’un des moments les plus graves auquel j’ai assisté de toute ma vie de chroniqueuse judiciaire ». Et la journaliste d’offrir le récit de l’affaire éclairé par les confidences du fils. On y découvre, raconté avec infiniment de délicatesse et de pudeur, l’atmosphère inquiétante qui régnait dans cette famille étouffée par ce secret souvent évoqué, jamais avoué, la personnalité séduisante et perverse de Maurice Agnelet, l’amour inquiet de ses enfants dont il saura si bien jouer pour assurer sa défense, jusqu’au retournement spectaculaire du 6 avril 2014. L’on s’assoit à ses côtés sur le banc des journalistes et l’on partage son émotion lorsque l’avocat général, qui sait que le fils va témoigner contre son père, regarde l’avocat qui l’ignore encore : « François Saint Pierre pose son cartable sur le banc de bois clair. Il ne prête pas attention au regard de l’avocat général. Il aurait été étonné de ce qu’il y aurait vu. Des encouragements. De la bienveillance. De la gêne aussi de savoir, à sa place d’accusateur, quelque chose que l’avocat de la défense ignore ». Et l’on retient une larme quand l’avocat de la partie civile, Hervé Témime, se lève, bouleversé, pour demander au président de renoncer à une confrontation entre les deux fils Agnelet qui risquerait de détruire davantage une famille venant d’exploser devant tout le monde. On referme le livre en songeant qu’une telle affaire méritait un livre et qu’on ne pouvait espérer plus belle plume pour l’immortaliser. Pascale Robert-Diard, La déposition, éd. l’Iconoclaste, janv. 2016, 235 p., 19 €, disponible sur lgdj.fr. 256m6 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 49 A ux m ar ches du Pala i s 256m5 PROFESSIONS Médias : la grande fabrique des innocents 256m5 L’essentiel Au terme d’une longue enquête au coeur des palais de justice et dans les coulisses des cabinets, Valérie de Senneville et Isabelle Horlans ont mis au jour les stratégies, les méthodes et les secrets des plus illustres avocats, tels que Éric Dupond- Moretti, David Koubbi, Jean Veil, Georges Kiejman ou encore Henri Leclerc dans un contexte où les médias sont devenus des leviers pour faire basculer la justice. Par Olivia DUFOUR Jeudi soir, complément d’enquête était consacré à… l’affaire Kerviel ! Huit ans après, on se demande ce qui peut bien intéresser des médias connus pour être en général dénués de mémoire. Le reportage s’appuie sur les révélations choc d’une enquêtrice de la brigade financière. Devant les caméras, elle confie son sentiment rétrospectif d’avoir été « instrumentalisée » par la Société générale lors de son enquête en 2008. Le dimanche suivant en fin de journée, Mediapart sort de nouvelles « révélations exclusives ». Cette fois, il s’agit d’un substitut du procureur de Paris ayant travaillé sur le dossier qui confie à la policière qu’à son avis la banque savait ce que faisait son trader. Elle ignore qu’elle est enregistrée. La vertueuse policière qui enquête en privé sur l’affaire livre l’enregistrement à l’avocat qui le donne à Mediapart. Comme souvent depuis que l’avocat David Koubbi a pris en charge la défense des intérêts de Jérôme Kerviel, chaque étape de la procédure, chaque plainte, chaque recours s’appuie sur une opération de communication. Les révélations de Médiapart sont sorties au moment où le trader déposait une demande en révision de son procès. Leur réitération survient alors que la semaine suivante contient pas moins de deux échéances judiciaires, l’audience de révision le lundi, celle de la cour d’appel de Versailles le mercredi, dans le volet civil du dossier. La condamnation pénale du trader pour abus de confiance est judiciairement définitive, mais pour son avocat, les médias sont un levier à faire basculer la justice. Cette affaire illustre de façon spectaculaire la dérive décrite par Valérie de Senneville et Isabelle Horlans dans leur livre les grands fauves du barreau, paru le 13 janvier chez CalmannLevy. Ces deux chroniqueuses judiciaires expérimentées observent depuis des années le déplacement du procès du prétoire vers les plateaux de télévision. Tout à commencé avec Jacques Vergès défendant Omar Raddad. C’est là que l’on a vu un coupable judiciaire devenir un innocent médiatique. Les grands noms du pénal ont alors embrayé. « Les Kiejman, Vergès, Lombard, Leclerc et Soulez Larivière ont inauguré le procès moderne sans imaginer qu’ils créaient un monstre incontrôlable » notent les auteures. Ils ne sont pas seuls responsables de ce phénomène du procès médiatique. Dans le même temps, la chronique judiciaire sous l’influence notamment d’Edwy Plenel empruntait la voie de l’investigation et avec elle naissait le risque de la manipulation. C’est bien ce couple infernal qui déclenché l’affaire Bettencourt. Jusqu’au moment où feu Olivier Metzner a transmis à la presse les 50 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 enregistrements du majordome, son affaire était un dossier de tutelle, quand Médiapart révèle le contenu des enregistrements, il tourne à l’affaire d’État. On pourrait ne trouver que des avantages à cette collaboration sulfureuse, mais l’affaire DSK montre les dangers d’un tribunal médiatique qui condamne sans avoir tous les éléments en mains et découvre sidéré au terme du procès que le coupable médiatique était judiciairement innocent. « Souvent, la réalité du dossier judiciaire diffère de ce que les limiers de l’investigation ont pu seriner à l’opinion pendant 3, 4 voire 5 ans. L’affaire du Carlton est l’exemple ultime : l’hystérisation médiatique y a été portée à son comble. Au détriment des accusés mais aussi des femmes parties civiles ex-prostituées meurtries devenues des personnages publics » notent les auteures. Faire sortir une affaire, tenter de restaurer une réputation ou de la détruire, d’infléchir l’opinion publique et pourquoi pas le juge, de déstabiliser l’adversaire, autant de raisons qui poussent les avocats à plaider dans les médias comme ils plaident dans les prétoires. Le livre met également en lumière un phénomène nouveau : l’irruption des conseillers de communication dans les affaires judiciaires. Ceux qui organisent la sortie de Kerviel de prison en chemise rose devant les caméras pour attendrir le public, qui glissent à l’oreille de Dominique Strauss-Kahn le concept de faute morale pour le 20h ou à Jérôme Cahuzac celui de « part d’ombre ». L’ambition ? Séduire l’opinion publique et à travers, le juge. Le livre dénonce au passage utilement ce qui parfois se cache sous le terme pompeux de « journalisme d’investigation ». Ainsi l’avocat Richard Malka, pourtant proche des médias, dénonce-t-il dans ces pages le journalisme idéologique qui écarte tous les éléments n’allant pas dans le sens de sa grille de lecture préconçue. Même constat chez Jean Veil : « il est impossible de débattre avec certains journalistes d’investigation qui se comportent comme des juges d’instruction, qui ont les préjugés de leurs convictions personnelles ». Quelques figures de la profession d’avocat résistent à cette tentation. Par exemple, François Martineau pour qui « la discrétion est souvent plus efficace, c’est un art qu’il faut savoir cultiver », ou bien encore Hervé Témime : « je n’ai jamais cru à la défense médiatique. Je ne connais pas d’exemple de procès gagnés grâce aux seuls médias ». Ou pas encore… Les auteures évoquent à ce sujet cette citation de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, l’auteur du Guépard : « Nous fûmes les guépards, les lions, ceux qui nous remplaceront seront les chacals et des hyènes. Et tous, guépards, chacals et moutons, nous continuerons à nous considérer comme le sel de la Terre ». V. de Senneville et I. Horlans, Les Grands Fauves du Barreau, éd. Calmann-Levy, janv. 2016, 295 p., 18 €, disponible sur lgdj.fr. 256m5 Gazette Spécialisée DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ Sous la responsabilité scientifique de Thierry MONTÉRAN Avocat au barreau de Paris, UGGC Avocats, président d’honneur du Centre d’information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP National), président de la commission Entreprises en difficulté de l’ACE Pierre-Michel LE CORRE Professeur à l’université de Nice Sophia Antipolis, directeur du master 2 Droit des difficultés d’entreprise, membre du CERDP (EA 1201) Sous la coordination de Emmanuelle LE CORRE-BROLY Maître de conférences HDR à l’université de Nice Sophia Antipolis, codirectrice du master 2 Droit des difficultés d’entreprise, membre du CERDP (EA 1201) 54 ■■ Chronique de jurisprudence de droit des entreprises en difficulté sous la direction de Pierre-Michel Le Corre avec la collaboration de Christophe Bidan, Diane Boustani, Philippe Duprat, Natalie Fricero, Christine Gailhbaud, Fabien Kendérian, Emmanuelle Le Corre-Broly, Christine Lebel, Thierry Montéran, Corinne Robaczewski, Isabelle Rohart-Messager, Richard Routier, Julien Théron et Denis Voinot56 ■■ Les conditions de l’extension de procédure collective Dix questions-réponses étude par Florence Reille80 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 51 G a z e tte Sp é cia lisée É di t o r i al La procédure de sauvegarde en danger 254u1 254u1 À Thierry MONTÉRAN Avocat au barreau de Paris, UGGC Avocats, président d’honneur du Centre d’information sur la prévention des entreprises en difficulté (CIP national), président de la commission Entreprises en difficulté de l’ACE “ Envisager de ramener de dix à cinq ans la durée du plan de sauvegarde est une hérésie ” l’occasion de la ratification de l’ordonnance du 12 mars 2014, le Sénat a adopté en première lecture un certain nombre d’amendements visant à adapter le traitement des entreprises en difficulté. Bien que le cadre de ces modifications était enfermé dans les limites dites de clarification, de cohérence ou de fluidité des procédures, l’une de ces dispositions risque d’entraîner la quasi-disparition de la procédure de sauvegarde. En effet, parmi ces amendements figure la réduction de la durée des plans de sauvegarde de dix à cinq ans maximum, alors même que plus de neuf plans sur dix ont une durée supérieure à cinq ans. Si la procédure de sauvegarde bénéficie d’un certain nombre d’avantages par rapport à la procédure de redressement judiciaire, dont les plus saillants sont l’image dont elle bénéficie, sa souplesse au regard de la direction de l’entreprise, les avantages pour la caution et le rebond qu’elle permet en cas d’incident du plan de sauvegarde, ces avantages sont destinés à inciter les chefs d’entreprise à s’adresser au tribunal plus en amont de leurs difficultés, et c’est la raison pour laquelle la sauvegarde n’est accessible qu’aux entreprises n’étant pas en état de cessation des paiements. Dans l’esprit des acteurs et des partenaires de l’entreprise, la procédure de sauvegarde s’apparente à une mesure de prévention, une mesure de réajustement technique qui ne met pas en péril la pérennité de l’entreprise. La sauvegarde n’est donc pas synonyme de « dépôt de bilan » ou de défaillance. Le plan de sauvegarde est en outre mieux considéré par l’ensemble des partenaires de l’entreprise, et ce avec raison car 50 % des plans de sauvegarde sont adoptés par les tribunaux, contre 33 % pour les plans de redressement judiciaire. Ramener de dix à cinq ans la durée du plan de sauvegarde est donc une hérésie puisque cela constituera un frein considérable au choix de la procédure de sauvegarde. Cette réduction de la durée des plans de sauvegarde affectera également la négociation au sein des comités de créanciers. Or l’institution des comités de créanciers est une excellente mesure en ce qu’elle associe les créanciers à l’élaboration du plan. Dès lors, comment convaincre des créanciers d’accepter de faire des efforts significatifs, et notamment sur la durée des moratoires si, en cas d’échec du plan présenté devant le comité de créanciers, c’est le plan de droit commun, d’une durée ramenée à cinq ans, qui leur sera proposé, comme le voudrait le Sénat ? Plutôt que de détruire un outil qui fonctionne bien, il serait préférable que le législateur essaye de le perfectionner, par exemple en rendant les comités indépendants les uns des autres et en augmentant leur nombre. Il est anormal que le plan négocié et adopté par un comité de créanciers soit anéanti au seul motif que le plan présenté dans un autre comité a été rejeté par ce dernier. Le sort de chacun de ces plans ne doit plus être lié mais indépendant. Un comité de créanciers réunissant les créanciers munis de sûretés pourrait être utilement créé. Les créances fiscales et sociales pourraient en outre être utilement réunies en un comité de créanciers. Cette réforme envisagée à l’occasion de la ratification de l’ordonnance du 12 mars 2014 témoigne d’une grave méconnaissance de la pratique de la restructuration des entreprises en difficulté, et se présente d’ores et déjà comme la chronique d’une mort annoncée. La sauvegarde a dix ans. Laissez-lui atteindre sa majorité ! • 254u1 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 53 G a ze tte Spé ci a li s é e A ctua lité 254t9 Textes C’est Jean Castelain, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats à la cour d’appel de Paris, qui lui a remis cette décoration après l’avoir défini comme un « passeur de savoir, rêveur de l’impossible, sculpteur de la réalité », à l’issue d’un discours chaleureux retraçant le parcours professionnel de cet avocat engagé notamment auprès de l’Association des avocats conseils d’entreprises (ACE) dont il préside la commission « Entreprises en difficulté », comme auprès de l’Institut français des praticiens des procédures collectives (IFPPC) dont il est membre du conseil d’administration et pour lequel il organise, chaque année depuis onze ans, les incontournables « Entretiens de la sauvegarde ». Thierry Montéran est en outre président d’honneur du Centre d’information sur la prévention des difficultés des entreprises, également appelé CIP National – dont il a assuré la présidence pendant trois ans – et siège depuis dix ans comme expert au sein des commissions « Droit et Entreprise » et « Statut fiscal et social de l’avocat » du Conseil national des Barreaux. Chiffres de la défaillance d’entreprise 254t9 Selon les chiffres de la Banque de France, le cumul sur douze mois du nombre de défaillances d’entreprise s’élevait, à fin septembre 2015, à 62 988, soit une baisse de 0,6 % par rapport à septembre 2014. Pratiquement stables dans la construction, les défaillances cumulées sur 12 mois continuent de baisser dans le transport, l’information et la communication, l’industrie, le soutien aux entreprises, et le commerce. En revanche, le cumul des défaillances augmente dans l’hébergement et la restauration, l’enseignement, la santé, l’action sociale et les services aux ménages, l’agriculture, et les activités immobilières. Les défaillances sont quasi stables pour les microentreprises et en baisse pour les autres PME et davantage encore pour les ETI et les grandes entreprises. Les encours de crédits portés par les entreprises défaillantes sur les 12 derniers mois représentent 0,5 % du total des encours de crédit déclarés au Service central des risques de la BDF. 254t2 254t3 Le professeur Laurence Caroline Henry, qui enseigne à l’université de Nice Sophia-Antipolis et collabore depuis de nombreuses années aux Gazettes spécialisées « Droit des entreprises en difficulté », a été nommé avocat général en service extraordinaire à la Cour de cassation par décret en date du 6 août dernier. www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/statsinfo/detail/defaillances-dentreprises.html 254t9 Événement 254t3 Thierry Montéran, chevalier de la Légion d’honneur 254t2 Le 2 novembre dernier, Thierry Montéran, avocat au barreau de Paris, membre du conseil de l’Ordre et codirecteur scientifique depuis dix ans, aux côtés du professeur Pierre-Michel Le Corre, des Gazettes spécialisées « Droit des entreprises en difficulté », s’est vu remettre l’insigne de chevalier dans l’Ordre national de la Légion d’honneur dans les locaux de la bibliothèque de l’Ordre. © Ph. Cluzeau 254t2 Laurence Caroline Henry nommée à la Cour de cassation 254t3 254t6 Vient de paraître Droit des entreprises en difficulté 254t6 Ce Mémento présente, de manière claire et concise, l’ensemble des dispositions relatives au droit des entreprises en difficulté. Sont successivement abordées dans cette édition les règles juridiques qui gouvernent les mesures en amont du traitement judiciaire (la prévention hors procédure et la procédure de conciliation) ; le traitement judiciaire des difficultés d’entreprises, à travers les procédures mises en place sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires ; l’impact de la procédure sur ses acteurs, c’est-à-dire les créanciers, les propriétaires et les personnes sanctionnées. Cette 7e édition est à jour des dernières évolutions législatives et jurisprudentielles (notamment la loi Macron du 6 août 2015). P.-M. Le Corre, Droit des entreprises en difficulté, éd. Dalloz, coll. Mémentos, 7e éd., nov. 2015, 242 p., 18,50 €, disponible sur www.lgdj.fr 254t6 Jean Castelain et Thierry Montéran 54 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 G a z e tte Sp é cia lisée A c t u al i t é 254t5 Cours de droit des entreprises en difficulté 2015-2016 254t5 enjeux du droit des entreprises en difficulté et de mettre en lumière les nombreuses contradictions qui irriguent la matière. Le droit qui s’applique aux entreprises en difficulté est d’une particulière importance compte tenu des enjeux de ces procédures en matière économique, sociale et financière. Sont abordés dans ce manuel : le traitement non judiciaire (prévention, mandat ad hoc, conciliation), les procédures judiciaires (sauvegarde, sauvegarde accélérée, redressement judiciaire), les procédures liquidatives (liquidation judiciaire, rétablissement professionnel), les sanctions, les questions de procédure, la protection des intérêts des salariés, le droit international et le droit européen des difficultés des entreprises. Cet ouvrage, qui s’adresse principalement aux étudiants (en Master Droit, au CRFA), aux candidats à l’ENM et aux praticiens du droit, est à jour de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, dite loi Macron. D. Boustani, Les créanciers postérieurs d’une procédure collective confrontés aux enjeux du droit des entreprises en difficulté, éd. LGDJ, coll. Thèses, T. 4, oct. 2015, 444 p., 53,99 €, disponible sur www.lgdj.fr 254t7 254t8 L’essentiel du droit des entreprises en difficulté 2015-2016 254t8 Cette 5e édition de L’essentiel du Droit des entreprises en difficulté est une synthèse rigoureuse, pratique et à jour de l’ensemble des connaissances que le lecteur doit avoir de la matière. Présentée sous la forme de treize chapitres et à jour des dernières actualités législatives, elle s’adresse essentiellement aux étudiants (Licence et Master Droit, CRFPA, ENM) et aux praticiens des professions juridiques et de l’expertise comptable. G. C. Giorgini, D. Vidal, Cours de droit des entreprises en difficulté 2015-2016, éd. Gualino, coll. Amphi LMD, 1re éd., oct. 2015, 624 p., 39,50 €, disponible sur www.lgdj.fr L. Antonini-Cochin, L. C. Henry, L’essentiel du droit des entreprises en difficulté 2015-2016, éd. Gualino, coll. Carrés « Rouge », 5e éd., sept. 2015, 160 p., 15,50 €, disponible sur www.lgdj.fr 254t5 254t8 254t7 Les créanciers postérieurs confrontés aux enjeux du droit des entreprises en difficulté 254t7 Avec la loi du 26 juillet 2005, le sort des créanciers postérieurs a subi de profondes modifications. Répartis en deux catégories distinctes par l’effet d’un critère téléologique, leur traitement par la procédure collective n’est plus identique : les créanciers postérieurs non éligibles au traitement préférentiel subissent les règles contraignantes de la procédure collective, tandis que seuls les créanciers postérieurs dits « méritants » bénéficient d’un paiement à l’échéance et d’un paiement par privilège. Toutefois, les créanciers postérieurs élus sont également confrontés à la rigueur de la procédure. La situation des créanciers postérieurs, dans leur ensemble, contraste avec celle conférée au débiteur qui n’a plus à craindre l’ouverture d’une procédure collective devenue une technique de gestion mise à sa disposition et particulièrement protectrice de ses droits. Dès lors, le salut des créanciers postérieurs semble se situer à l’extérieur de la procédure. Cette thèse, qui impose une approche technique de la situation des créanciers postérieurs, a surtout pour ambition de confronter le sort de ces créanciers aux 254t4 Agenda 11es Entretiens de la sauvegarde 254t4 L’IFPPC et l’ACE organisent, en partenariat avec le CNB et l’ENM, la 11e édition des Entretiens de la sauvegarde qui se tiendra le lundi 25 janvier 2016, de 9 h. à 18 h., à la Maison de la Chimie (Paris, 7e), sous la présidence de Jean-Pierre Rémery, conseiller de la chambre commerciale de la Cour de cassation. Après une présentation par Thierry Montéran, avocat au barreau de Paris, et François Legrand, mandataire judiciaire, plusieurs problématiques seront abordées : l’intervention de l’État ; le dispositif d’accompagnement du chef d’entreprise agriculteur ; un flash d’actualité sur la réforme du règlement européen ; l’interprétation des arrêts de la Cour de Cassation ; la découverte des dispositifs APESA et 60 000 Rebonds. Se tiendront également des ateliers sur les thèmes suivants : la dynamique de la prévention ; le droit de rétention ; le traitement différencié des créanciers dans les plans de sauvegarde et redressement judiciaire ; un panorama de jurisprudence 2015 ; la déclaration et vérification des créances depuis l’ordonnance du 12 mars 2014. Renseignements : www.ifppc.fr 254t4 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 55 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce 253z2 Chronique de jurisprudence de droit des entreprises en difficulté 253z2 L’essentiel Sous la direction de Pierre-Michel LE CORRE Professeur à l’université de Nice Sophia Antipolis, directeur du master 2 Droit des difficultés d’entreprise, membre du CERDP (EA 1201) Le lecteur retiendra spécialement de cette chronique de jurisprudence trois arrêts. Le premier, une fois n’est pas coutume, intéresse la prévention, et plus spécialement le mandat ad hoc (Com., 22 sept. 2015, n° 14-17377). L’arrêt rendu est fondamental en ce qu’il précise deux points très importants : tout d’abord, il énonce clairement le principe selon lequel les créanciers sont libres d’accepter les propositions du mandataire ad hoc, d’où il résulte qu’ils ne peuvent être fautifs à les refuser ; ensuite, l’arrêt énonce que l’obligation de confidentialité joue non seulement pendant, mais aussi après la conciliation, de sorte que le mandataire ad hoc la viole en délivrant une attestation à un débiteur et à sa caution pour stigmatiser l’attitude d’un participant au mandat ad hoc. Indiquons que dans la prochaine Gazette spécialisée Droit des entreprises en difficulté sera commenté un arrêt encore plus important intéressant également l’obligation de confidentialité, laquelle interdit à un organe de presse de se répandre sur l’existence d’un mandat ad hoc et sur les négociations menées dans ce cadre (Com., 15 déc. 2015, n° 14-11500, FS-PBI). Le deuxième arrêt a trait aux effets d’une remise de dette consentie dans le cadre d’un plan. On sait que ces remises sont caduques si le plan est résolu. Mais la remise peut-elle être considérée comme acquise lorsque le plan est complètement exécuté ou suffit-il que le paiement du créancier qui a consenti cette remise soit totalement intervenu ? C’est cette dernière solution que choisit logiquement la Cour de cassation (Com., 22 sept. 2015, n° 14-16920). Le troisième arrêt est relatif à la question du dessaisissement et des droits du débiteur qui ne sont pas affectés par lui. En question, son droit propre, qui est reconnu pour exercer un recours contre une décision le condamnant, avant jugement d’ouverture, à payer une certaine somme d’argent (Com., 8 sept. 2015, n° 14-14192). Meilleurs vœux aux lectrices et lecteurs, et bonne lecture ! PLAN I. ASPECTS INTERNATIONAUX................ (néant) II. PRÉVENTION DES DIFFICULTÉS............. p. 57 III. OUVERTURE ET EXTENSIONS............ (néant) IV. ORGANES DE LA PROCÉDURE........... (néant) V. A SPECTS PROCÉDURAUX........................ p. 58 VI. PÉRIODE D’OBSERVATION..................... p. 59 A. Administration contrôlée répartition des pouvoirs........................ p. 59 B. Contrats en cours.................................. p. 60 C. Délimitation des créances antérieures et postérieures.................. p. 62 D. Régime des créances postérieures.. (néant) E. Mesures conservatoires.................... (néant) VII. SOLUTIONS DE LA PROCÉDURE........... p. 63 A. Plans de continuation, de sauvegarde et de redressement........... p. 63 B. Liquidation judiciaire............................. p. 68 VIII. PASSIF.................................................. p. 70 A. Situation générale des créanciers antérieurs.......................................... (néant) 56 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 B. Arrêt des poursuites individuelles.... (néant) C. Arrêt des voies d’exécutions............. (néant) D. Interdiction des paiements............... (néant) E. T erme, intérêts, cours des inscriptions................................. (néant) F. Déclaration, vérification et admission des créances.................... p. 70 IX. ACTIF....................................................... p. 72 A. N ullités de la période suspecte action paulienne................................ (néant) B. Revendications et restitutions.............. p. 72 X. ÉTABLISSEMENTS DE CRÉDIT................ p. 74 A. Instruments de paiement et de crédit......................................... (néant) B. Responsabilité des établissements de crédit................................................. p. 74 XI. SITUATION DES SALARIÉS..................... p. 75 XII. GARANTS ET CONJOINT.................... (néant) XIII. SANCTIONS........................................... p. 77 A. Sanctions civiles................................ (néant) B. Sanctions pénales................................. p. 77 G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e II. P RÉVENTION DES DIFFICULTÉS Portée de l’obligation de confidentialité dans les mesures de prévention 254q8 1 L’essentiel Le conciliateur ne peut s’émanciper de l’obligation de confidentialité, même après la fin de la conciliation ayant échoué, pour délivrer au débiteur et à sa caution une attestation stigmatisant l’attitude d’une banque. Une telle attestation, contraire à l’obligation de confidentialité, doit être rejetée des débats. Cass. com., 22 sept. 2015, no 14-17377, M. L. S. c/ Sté Crédit du Nord, F–PB (rejet pourvoi c/ CA Paris, 6 mars 2014), Mme Mouillard, prés. ; SCP Boulez et SCP Delaporte, Briard et Trichet, av. Note par Thierry MONTÉRAN Avocat au barreau de Paris, UGGC Avocats, président d’honneur du Centre d’information sur la prévention des entreprises en difficulté (CIP national) A lors qu’avant la loi de sauvegarde, les personnes appelées à la procédure de conciliation étaient soumises au secret, pénalement sanctionné, le législateur lui a substitué une obligation de confidentialité (C. com., art. L. 611-5). La violation d’une obligation de confidentialité peut théoriquement ouvrir droit à des dommages et intérêts, mais une telle action n’a, semble-t-il, jamais été ni initiée ni couronnée de succès. Sont ici en cause non seulement le respect de la confidentialité mais également, plus généralement, l’obligation de loyauté dans le débat judiciaire. En l’espèce, après avoir obtenu la nomination d’un mandataire ad hoc, un débiteur propose à dix-huit de ses créanciers une solution de réétalement de leurs dettes. Dix-sept créanciers acceptent. Seule une banque refuse... ! L’arrêt permet de rappeler l’évidence : les créanciers appelés à la négociation sont libres d’accepter les propositions qui leur sont faites. Le mandataire ad hoc avait, dans le cadre de ses échanges avec les différents créanciers, fustigé dans un courrier l’attitude négative de la banque. Le débiteur, plusieurs mois après, fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire convertie en liquidation judiciaire. Dans le cadre d’un recours de la banque contre la caution, cette dernière faisait grief à la banque d’avoir abusé de son droit de refuser la négociation au motif que les dixsept autres créanciers avaient accepté cette négociation. Comme preuve de ce refus qu’il estimait critiquable, le débiteur avait produit aux débats le courrier du mandataire ad hoc qui mettait en cause l’attitude de la banque. Si chaque partie au procès doit prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, toutes les preuves ne peuvent être retenues, et c’est la raison pour laquelle l’article 9 du Code de procédure civile précise qu’elles doivent avoir été obtenues « conformément à la loi ». Par un arrêt de la chambre plénière, la Cour de cassation avait déjà rappelé que le principe de loyauté dans l’administration de la preuve s’impose au juge (Cass. ass. plén., 7 janv. 2011, n° 0914316, PB). La Cour de cassation, dans cet arrêt du 22 septembre 2015, approuve la cour d’appel d’avoir écarté des débats l’attestation remise à la caution de la société débitrice dans laquelle le mandataire ad hoc, au mépris de l’obligation de confidentialité qui le liait par application de l’article 611-15 du Code de commerce, stigmatisait l’attitude de la banque lors des négociations. Cette décision permet de rappeler que la confidentialité est protégée par la loi et que la violation de cette confidentialité justifie son rejet des débats. Mais l’arrêt ne va-t-il pas au-delà ? Certes, la cour d’appel rejette à bon droit l’attestation litigieuse contraire aux articles 9 du Code de procédure civile et L. 611-5 du Code de commerce. La Cour de cassation semble critiquer également l’attitude du mandataire ad hoc dont la Cour s’étonne qu’il stigmatise l’attitude d’une partie, qui plus est dans un écrit dont une copie est remise au débiteur. Le mandataire, qui ne dispose d’aucun pouvoir, ne dépasse-t-il pas ainsi sa mission ? Allons plus loin et posons-nous la question, sans en attendre la réponse, de savoir si en excédant ses pouvoirs, le mandataire ne commet pas une faute dont il pourrait être amené à répondre ? Dans un arrêt du 1er février 2011, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait approuvé la cour d’appel de Paris, laquelle avait considéré que la faculté d’imposer une vente n’entrait pas dans les pouvoirs du mandataire ad hoc qui devait se contenter de trouver un accord entre les parties et que ce dépassement fautif engageait sa responsabilité (Cass. com., 1er févr. 2011, n° 09-16179). Le respect de l’obligation de confidentialité est essentiel non seulement pour les tiers qui participent à la négociation mais également pour notre système de prévention dont on connaît les excellents résultats et qui nous est envié par de nombreux pays. (...) G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 57 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce V. A SPECTS PROCÉDURAUX Indivisibilité entre le débiteur, le créancier et le mandataire en matière de vérification du passif et obligation d’intimer 254n6 1 L’essentiel Il existe un lien d’indivisibilité en matière de vérification du passif entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire. Dès lors, le recours formé devant la cour d’appel par le débiteur seul contre une décision du juge-commissaire admettant une créance, qui intime le créancier et non le mandataire, doit être déclaré irrecevable par application des dispositions de l’article 553 du Code de procédure civile. Cass. com., 29 sept. 2015, no 14-13257, Sté AFL c/ Sté Roma, PB (cassation CA Orléans, 21 nov. 2013), Mme Mouillard, prés. ; SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av. L ’appel des décisions rendues en matière de Natalie FRICERO procédures collectives comProfesseur à l’université porte de nombreux aspects Nice Sophia Antipolis, dérogatoires au droit comdirecteur de l’Institut d’études judiciaires, mun, et il est parfois délicat membre du CERDP d’appliquer cumulativement (EA 1201) les dispositions du Code de procédure civile et les particularités de la matière. Comme le révèle cet arrêt, l’indivisibilité entre le débiteur, le créancier et le mandataire peut avoir des incidences redoutables lorsqu’un recours est formé. Note par En l’espèce, la société débitrice avait fait l’objet d’un plan de sauvegarde, et avait formé un recours contre la décision du juge-commissaire ayant admis la créance d’une autre société. Selon l’article R. 624-7 du Code de commerce, ce recours est formé devant la cour d’appel, selon le droit commun de l’appel avec représentation obligatoire (1). (1) CA Paris, 12 juin 2007, n° 06/15428 : D. 2007, AJ, p. 1789. La société débitrice avait intimé la société créancière, mais avait omis le mandataire. Or, l’article 553 du Code de procédure civile prévoit qu’en cas d’indivisibilité entre plusieurs parties, l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance (2). La Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir conclu à l’irrecevabilité de l’appel. Le demandeur au pourvoi invoquait la communauté d’intérêts entre lui-même et le mandataire pour prétendre être dispensé de l’intimer, d’autant que le mandataire, en sa qualité de partie à la procédure de vérification des créances, a toujours la possibilité de se joindre à la procédure d’appel, et que l’appel formé par l’un des indivisaires conserve le droit d’appel des autres. Mais la Cour de cassation rappelle qu’au sens de l’article 553 du Code de procédure civile, il appartient à l’appelant débiteur d’intimer le mandataire à peine d’irrecevabilité, « sans pouvoir s’en dispenser en invoquant une prétendue communauté d’intérêts qui l’unirait à ce dernier ». La publication au Bulletin de cette décision a pour objectif d’alerter les parties sur la nécessité de mettre en cause les organes de la procédure, qui constituent de véritables « parties ». Dans cette matière indivisible, on ne peut pas admettre que, sur appel, une créance soit admise au passif avec autorité de la chose jugée à l’égard de certaines parties, et non admise à l’égard du mandataire qui n’aurait pas été appelé à l’instance ! (2) Le juge d’appel est même tenu de relever d’office cette irrecevabilité : Cass. 2e civ., 28 mai 1990, n° 88-15257 : Bull. civ. II, n° 118, en respectant le contradictoire. La régularisation d’une déclaration d’appel qui omet le liquidateur ne peut se faire que dans le délai d’appel ! 254n7 1 L’essentiel L’appel formé contre un jugement d’ouverture d’une liquidation judiciaire qui omet d’intimer le liquidateur est irrecevable. L’acte peut être régularisé, mais la cour d’appel qui admet la régularisation et la recevabilité de l’appel doit préciser, sous peine de manque de base légale, dès lors qu’elle y est invitée, si cette régularisation a bien été effectuée dans le délai d’appel. 58 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 Cass. com., 3 nov. 2015, no 14-16750, Sté HK immobilier c/ Stés Véolia-eau et mandataires judiciaires associés, F–D (cassation CA Paris, 27 févr. 2014), Mme Mouillard, prés. ; SCP Odent et Poulet, SCP Gatineau et Fattaccini, av. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e S i cette décision n’a pas l’honneur d’une publicaNatalie FRICERO tion, c’est qu’elle rappelle indirectement un principe connu : si une situation donnant lieu à une fin de non-recevoir en appel peut être régularisée avant que le juge statue (CPC, art. 126), c’est seulement avant la forclusion résultant de l’expiration du délai d’appel ! Note par En l’espèce, un appel avait été formé le 7 octobre 2013 contre le jugement ouvrant la liquidation judiciaire (rendu le 26 septembre 2013), au nom de la société mise en liquidation judiciaire, avec une rédaction pour le moins ambiguë dans la détermination de l’appelant désigné ainsi : « SCI HK immobilier ès qualités de mandataire liquidateur de la Selafa MJA en la personne de Maître G. » ! La société MJA, mandataire liquidateur de la SCI HK immobilier, n’était pas désignée expressément comme appelante et n’avait pas été intimée en qualité de mandataire, en méconnaissance des dispositions prévues à l’article R. 661-6-1° du Code de commerce. On peut imaginer que cela était dû à un défaut de vigilance du rédacteur de l’acte d’appel ! Le 4 novembre suivant, la SCI forme un nouvel appel qui corrige l’erreur du premier et intime le liquidateur : la cour d’appel admet la régularisation et la recevabilité de l’appel, en considérant que l’erreur dans le premier acte d’appel n’était pas de nature à compromettre la régularité du premier appel, d’ailleurs corrigée dans le deuxième acte. Cet arrêt est cassé pour manque de base légale. En effet, il est de jurisprudence constante que la régularisation d’un appel irrecevable ne peut être valablement effectuée que dans le délai pour former appel : ainsi, par exemple, l’intervention du liquidateur pour régulariser l’appel formé par le débiteur en liquidation judiciaire ne peut être réalisée valablement que dans le délai d’appel (1) ; de même, la déclaration d’appel faite par le liquidateur ne peut pas régulariser l’appel interjeté par le débiteur seul, si elle est formée après l’expiration du délai d’appel (2). Comme l’intimé soulevait ce moyen en l’espèce, la cour d’appel ne pouvait pas admettre la régularisation sans motiver sur ce point. Cette règle rigoureuse a pour objectif d’assurer l’effectivité des délais de forclusion : en matière de procédures collectives, elle impose aux parties et à leur conseil une particulière diligence, en raison de la brièveté des délais de forclusion qui limite considérablement la possibilité de régularisation (C. com., art. R. 661-3 : le délai d’appel est de dix jours à compter de la notification de la décision de liquidation judiciaire). (1) Cass. com., 10 déc. 2003, n° 00-19230 : Bull. civ. IV, n° 204. (2) Cass. com., 13 nov. 2013, nos 12-28572 et 13-11921 : Bull. civ. IV, n° 165, qui ajoute que des conclusions postérieures du liquidateur qui s’associe à l’appel du débiteur ne peuvent pas régulariser l’appel. VI. P ÉRIODE D’OBSERVATION A. Administration contrôlée - répartition des pouvoirs L’administrateur judiciaire en mission d’assistance a-t-il qualité pour assigner un tiers en responsabilité contractuelle ? 254q6 1 L’essentiel L’administrateur judiciaire investi d’une mission d’assistance ne peut engager seul une action en responsabilité contractuelle à l’encontre d’un tiers sans l’intervention du débiteur, sous peine d’une nullité de fond de l’action, sans possibilité de régularisation. Cass. com., 3 nov. 2015, no 13-25510, SCP F. ès-qual. commissaire au plan de cession de la Sté Métrologie c/ Sté GLS, F–D (rejet pourvoi c/ CA Paris, 15 mai 2013), Mme Mouillard, prés., M. Le Mesle, av. gén. ; SCP Vincent et Ohl et Waquet, Farge, Hazan av. D ans la droite ligne d’une récente décision qui Christophe BIDAN concernait la saisine du Administrateur judiciaire juge-commissaire pour membre de la SELARL homologuer une transacAJ Associés inscrite sur la liste nationale, avocat à la tion sur le fondement de cour, barreau de Rennes l’article L. 622-7 du Code de commerce (Cass. com., 23 sept. 2014, n° 13-21686 : Gaz. Pal. 20 janv. 2015, p. 18, n° 209e6), la chambre commerciale de la Cour de Note par Cassation confirme son interprétation stricte des pouvoirs limités de l’administrateur judiciaire dans le cadre d’une mission d’assistance du débiteur. En l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 3 novembre 2015, l’administrateur judiciaire avec mission d’assistance avait engagé seul, sans l’intervention du débiteur, une action en responsabilité contractuelle contre un tiers en réparation du préjudice causé au débiteur. La cour d’appel avait débouté l’administrateur judiciaire en retenant son absence de qualité pour agir en justice au visa de l’article 117 du Code de procédure civile. L’administrateur avait soutenu dans son pourvoi qu’il s’agissait d’un simple vice de forme mais la Cour suprême y a vu une irrégularité de fond et rejette pour ce motif le pourvoi. Accessoirement, la Cour de cassation décide que, si le commissaire à l’exécution du plan a bien qualité, selon l’article L. 621-28 du Code de commerce alors applicable, pour poursuivre les actions judiciaires engagées au cours de la période d’observation par l’administrateur ou le représentant des créanciers, encore faut-il que son G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 59 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce intervention se fonde sur une instance valide, qu’il ne pouvait régulariser faute de disposer lui-même d’un pouvoir de représentation du débiteur. En clair, l’administrateur judiciaire ne peut agir seul en justice que s’il dispose d’une mission de représentation, le débiteur étant alors frappé de dessaisissement, à l’instar d’une situation de liquidation judiciaire, le débiteur étant représenté par le liquidateur. S’il existe un contentieux fourni relatif au pouvoir du débiteur de réaliser seul un acte de gestion courante de l’entreprise, sans l’intervention de l’administrateur investi d’une mission d’assistance, avec des solutions variables, en fonction de la nature de l’acte ou de l’activité de l’entreprise, le juge se montre très rigoureux lorsqu’il s’agit d’invalider une démarche judiciaire effectuée par un administrateur judiciaire. La règle est transposable au mandataire judiciaire, qui engage une action en justice, quelle qu’elle soit, alors que la nature de sa mission ne lui confère pas de qualité pour agir, en tout cas, pour agir seul. C’est la situation caractéristique de l’administrateur judiciaire avec mission d’assistance, qui, au-delà de simples actes conservatoires prévus à l’article L. 622-4 du Code de commerce qu’il lui appartient de réaliser, ne peut, seul, représenter le débiteur en Justice. Dans cette même ligne, la cour d’appel de Toulouse, par une décision du 14 mars 2014, avait notamment indiqué que l’administrateur judiciaire chargé d’une simple mission d’assistance ne pouvait être le représentant légal d’une personne morale en redressement judiciaire (CA Toulouse, 14 mars 2014, n° 12/04114, Avelana c/ Nestor). Logiquement, le débiteur assisté d’un administrateur judiciaire, ne peut pas davantage de son côté agir seul en justice. L’engagement d’une action en responsabilité contractuelle à l’encontre d’un tiers ne saurait être qualifié d’acte de gestion courante pouvant être effectué par le seul débiteur. C’est donc une nécessaire association entre débiteur et administrateur qu’il convient de recommander à l’administrateur judiciaire pour s’assurer de la régularité de la saisine du juge, quel qu’il soit, en dehors des recours, oppositions ou actions légalement réservées aux organes de la procédure, telle une action en nullité de période suspecte par exemple. Cette intervention commune suppose ainsi un accord entre le débiteur et l’administrateur sur l’opportunité d’engager une action en justice, puisqu’elle ne peut valablement être engagée par aucune des deux parties seule, ce qui pose la question de la capacité de l’administrateur judiciaire à résister à des demandes inappropriées du débiteur ou, à l’inverse, de sa responsabilité éventuelle à s’opposer à des actions qui pourraient se révéler profitables au débiteur. B. Contrats en cours Défaut d’exécution d’une transaction signée avant l’ouverture d’une procédure collective : application des règles relatives aux contrats en cours 254n9 1 L’essentiel En application de l’article L. 622-13, I, du Code de commerce, le défaut d’exécution par le débiteur d’une transaction conclue avant son placement en redressement judiciaire ne peut être invoqué par le créancier pour faire échec à l’autorité de la chose jugée qui s’y attache. Cass. 1re civ., 10 sept. 2015, no 14-20917, Sté Intersol c/ Me K., èsqual. liquidateur de la sté AMBTP, F–PB (rejet pourvoi c/ CA Metz, ch. com., 27 mars 2014), Mme Batut, prés. ; SCP Lyon-Caen et Thiriez, av. : LEDEN oct. 2015, p. 3, n° 135, obs. P. Rubellin Note par Fabien KENDÉRIAN Maître de conférences HDR à l’université de Bordeaux, IRDAP (EA 4191), chargé d’enseignement à l’université PanthéonSorbonne (Paris 1) D ans cet arrêt du 10 septembre 2015, publié au Bulletin, la première chambre civile de la Cour de cassation précise quelle est la portée d’une transaction conclue avant l’ouverture d’une procédure collective, en faisant une application stricte des règles relatives aux contrats en cours. Les faits étaient les suivants : après avoir assigné une société en paiement de travaux de revêtements de sol effectués entre 2005 et 2009, une autre société avait signé 60 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 avec cette dernière un accord transactionnel (1), en date du 19 avril 2010, réduisant le montant de sa créance. La société débitrice s’était engagée à payer par un premier versement le 15 mai suivant, puis par mensualités ; mais, le 27 avril 2010, elle a été placée en redressement judiciaire, converti ensuite en liquidation judiciaire. La société créancière a alors effectué une déclaration de créance pour son montant initial (228 922,85 €) – et non pour le montant réduit porté sur le protocole d’accord transactionnel (141 289,97 €) –, avant d’assigner le liquidateur, ès-qualités, en fixation de celle-ci. La cour d’appel de Metz avait déclaré la demande de la société créancière irrecevable au motif que la transaction avait, conformément aux dispositions de l’article 2052 du Code civil, autorité de la chose jugée et constituait un titre exécutoire fixant la créance litigieuse (2). La première chambre civile de la Cour de cassation, dans l’arrêt ci-dessus rapporté, rejette le pourvoi formé par la société créancière, mais en procédant par substitution de motifs : « Mais attendu que l’arrêt constate que la société AMBTP a été mise en redressement judiciaire avant la date de la première échéance de règlement convenue à (1) V. C. civ., art. 2044. (2) V. CA Metz, ch. com., 27 mars 2014, n° 14/00169. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e la transaction ; qu’il en résulte, en application de l’article L. 622-13, I, du Code de commerce, que le défaut d’exécution de la transaction par cette société ne pouvait être invoqué par le créancier pour faire échec à l’autorité de la chose jugée qui s’y attachait ; que, par ce motif de pur droit substitué, dans les conditions prévues à l’article 1015 du Code de procédure civile, à ceux critiqués par le moyen, la décision se trouve légalement justifiée ». Comme on le voit, la Cour de cassation ramène le débat sur le terrain du droit des procédures collectives, en traitant la transaction litigieuse comme un contrat en cours – ce qu’elle n’était pourtant pas forcément ici (3) – et en lui appliquant de ce fait les règles générales de continuation des contrats en cours prévues par l’article L. 622-13 du Code de commerce, texte de la procédure de sauvegarde applicable en redressement judiciaire. Selon le I de ce texte, qui est expressément visé par la Cour de cassation : « Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture. Le défaut d’exécution de ces engagements n’ouvre droit au profit des créanciers qu’à déclaration au passif ». Il est bien évident qu’à partir du moment où la société débitrice avait été placée en redressement judiciaire avant la date de paiement de la première échéance convenue, la société créancière ne pouvait, ainsi que le juge la Cour de cassation, invoquer le défaut d’exécution de la transaction pour faire échec à l’autorité de la chose jugée qui s’y attachait, et ce dans la mesure où il n’y avait pas eu défaut de paiement en tant que tel avant l’ouverture de la procédure collective. C’était donc bien le montant porté sur le protocole d’accord transactionnel qui devait être déclaré à la procédure. Il n’en reste pas moins que la solution aboutit à un résultat sévère pour le créancier de l’espèce. En effet, celui-ci se retrouve lié par un accord transactionnel réduisant sensiblement sa créance, sans pouvoir se prévaloir de l’inexécution de la transaction par le débiteur, étant rappelé que ce dernier a été mis en redressement judiciaire… huit jours après la signature de ladite transaction. (3) En effet, ainsi qu’il a été relevé, le contrat n’était plus vraiment en cours, puisque la prestation caractéristique avait eu lieu avant l’ouverture de la procédure collective : v. LEDEN oct. 2015, p. 3, n° 135, P. Rubellin. Bail commercial et action en contestation de congé : application de la prescription biennale même en cas de procédure collective du locataire 254p1 1 L’essentiel Le jugement de redressement judiciaire n’a d’effet interruptif que sur une instance déjà engagée. Le délai dans lequel l’action en contestation de la validité d’un congé sans offre de renouvellement ni d’indemnité d’éviction peut être exercée par le locataire, n’est pas suspendu par son placement en redressement ou liquidation judiciaire. Cass. 3e civ., 8 oct. 2015, no 14-18881, Sté Adam c/ Me M., ès-qualités liquidateur de la Sté Boucherie de la République, FS–PB (cassation partielle CA Paris, 9 avr. 2014), M. Chauvin, prés. ; SCP Spinosi et Sureau, SCP Boré et Salve de Bruneton, av. : D. 2015, p. 2071 ; LEDEN nov. 2015, p. 2, n° 154, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; Dalloz actualité 25 oct. 2015, obs. X. Delpech ; Loyers et copr. 2015, comm. 251, note Ph.-H. Brault P ar cet arrêt de cassation en date du 8 octobre 2015, Fabien KENDÉRIAN publié au Bulletin, la troisième chambre civile tranche une nouvelle difficulté d’articulation entre le statut des baux commerciaux et le droit des procédures collectives (1). Il était cette fois question de savoir si le court délai de prescription énoncé par l’article L. 145-60 du Code de commerce, texte Note par (1) Pour un aperçu des nombreuses difficultés qui se posent en la matière, v. F. Kendérian, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives. Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires, J. Monéger (préf.), LexisNexis, coll. Droit & professionnels : droit commercial, 2015, 4e éd. selon lequel toutes les actions exercées en vertu du statut précité se prescrivent par deux ans, s’applique à l’action en contestation de congé introduite après la mise en procédure collective du preneur. En l’espèce, une SCI avait consenti à une société un bail commercial en renouvellement à compter du 1er janvier 1998. La SCI bailleresse avait assigné la société locataire en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, et subsidiairement en résiliation du bail et en validation d’un congé portant refus de renouvellement sans paiement d’une indemnité d’éviction, délivré le 2 février 2010 à effet du 1er octobre 2010. La résiliation judiciaire du bail litigieux avait été prononcée le 18 avril 2012. Mais la société locataire avait été placée en redressement judiciaire le 19 septembre 2012, puis en liquidation judiciaire. C’est dans ce contexte que le mandataire-liquidateur avait, par conclusions d’appel du 23 janvier 2013, contesté la validité du congé et demandé le paiement d’une indemnité d’éviction, ce alors même que plus de deux ans s’étaient écoulés à compter de la date d’effet dudit congé. Malgré cette dernière circonstance, la cour d’appel de Paris avait accueilli les demandes du liquidateur (2). Pour ce faire, la cour d’appel avait retenu que l’action en contestation du congé avait été interrompue et non suspendue par l’effet du jugement de redressement judiciaire le 19 septembre 2012, jusqu’à la reprise d’instance le 20 décembre 2012, et ce en application de l’article 370 (2) V. CA Paris, pôle 5, ch. 3, 9 avr. 2014, n° 12/08679. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 61 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce du Code de procédure civile, qui prévoit différents cas d’interruption de l’instance en justice (3). La cour d’appel en déduisait qu’un délai de deux ans avait recommencé à courir le 20 décembre 2012, de sorte qu’à la date de la contestation par le liquidateur, soit le 23 janvier 2013, l’action en contestation du congé n’était pas prescrite, ni la demande en paiement d’une indemnité d’éviction. Comme on pouvait s’y attendre, l’arrêt de la cour d’appel a été censuré par la troisième chambre civile, sous le double visa de l’article 370 du Code de procédure civile et de l’article L. 145-60 du Code de commerce, dans les termes suivants : « Qu’en statuant ainsi, alors que le jugement de redressement judiciaire n’a d’effet interruptif que sur une instance déjà engagée et que le délai, dans lequel l’action en contestation de la validité d’un congé sans offre de renouvellement ni d’indemnité d’éviction peut être exercée par le locataire, n’est pas suspendu par son placement en redressement ou liquidation judiciaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés ». Ainsi, selon la Cour de cassation, l’action du liquidateur tendant à la contestation du congé était prescrite, dès lors que le délai de prescription biennale n’avait été ni interrompu, ni suspendu par la mise en procédure collective de la société locataire. La solution est juridiquement irréprochable. Rappelons qu’en application de l’article L. 145-60 du Code de commerce, toutes les actions fondées sur le statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans. Il ne pouvait, en l’espèce, y avoir eu interruption du délai de prescription biennale en raison de la survenance de la procédure collective, puisque l’action en contestation du congé n’avait pas été introduite avant le jugement d’ouverture, mais seulement après, le 23 janvier 2013, soit plus de deux ans après la date d’effet du congé. L’action du liquidateur était donc nécessairement prescrite. Mais, de toute façon, comme le souligne la Cour de cassation, le délai de deux ans n’est pas non plus suspendu par la mise en procédure collective du locataire. Il convient donc de retenir de l’arrêt rapporté que la prescription biennale du statut des baux commerciaux s’applique même si le preneur est placé en redressement ou liquidation judiciaires. Une fois n’est pas coutume, il n’y a pas d’impérialisme du droit des procédures collectives en la matière. (3) L’article 370 du Code de procédure civile envisage notamment la « cessation de fonctions du représentant légal d’un incapable », hypothèse susceptible de s’appliquer à l’ouverture d’une procédure collective avec dessaisissement du débiteur (v. en ce sens, Dalloz actualité, 25 oct. 2015, X. Delpech, citant Cass. com., 20 janv. 1998, n° 95-13565 : Bull. civ. IV, n° 31). C. Délimitation des créances antérieures et postérieures Fixation du fait générateur de la créance de remboursement détenue à l’encontre d’un codébiteur solidaire mis en procédure de redressement judiciaire 254p2 1 L’essentiel Saisie une nouvelle fois de la question de la détermination du fait générateur des créances, la Cour de cassation décide que la créance de remboursement de l’État à l’encontre de son codébiteur solidaire pour ses part et portion naît de l’assignation en réparation du dommage. Cass. com., 13 oct. 2015, no 14-10664, Me P. ès-qual. mandataire jud. de la Sté STCM et SCP Taddei-Ferrari-Funel ès-qual. liqu. jud. de la Sté STCM c/ Min. de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, F–PB (cassation sans renvoi CA Aix-en-Provence, 24 oct. 2013), Mme Mouillard, prés. ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Meir-Bourdeau et Lécuyer, av. : LEDEN déc. 2015, p. 2, n° 174, obs. P. Rubellin F réquemment saisie afin de déterminer le fait Diane BOUSTANI générateur des créances Docteur en droit, ancienne détenues à l’encontre d’une ATER à la faculté de droit entreprise en difficulté, la de Nice, membre du CERDP (EA 1201) Cour de cassation a dû se pencher une nouvelle fois sur cette question dans le cadre de la présente affaire. Note par 62 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 Si la nature des créances diffère selon les contentieux auxquels est confrontée la Cour, les enjeux restent les mêmes. Le sort des créanciers dépend, en effet, de la qualification de leurs créances dans la procédure. Les créanciers titulaires de créances antérieures au jugement d’ouverture sont soumis à l’obligation de déclaration au passif de la procédure, tandis que ceux qui détiennent des créances postérieures et méritantes au sens des articles L. 622-17 et L. 641-13 du Code de commerce en sont soustraits. On comprend donc tout l’enjeu attaché à la détermination du fait générateur des créances dans un contexte de procédure collective, notamment lorsque le créancier a omis de faire valoir ses droits à la procédure et qu’il justifie de cet oubli en invoquant le caractère postérieur de sa créance. Tel était le cas en l’espèce. Les faits étaient les suivants : une société (la société STCM) s’était vue confier par une autre société (la société du port) la réalisation de travaux d’aménagement d’un port de plaisance, l’État ayant assuré partiellement la maîtrise d’œuvre. Le tribunal administratif, saisi par la société du port en raison de nombreuses malfaçons constatées, a condamné solidairement la société STCM et l’État en réparation du dommage qui en a résulté. Un malheur n’arrivant jamais seul, la société STCM a par la suite été placée en redressement judiciaire. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e Toute la question était, dès lors, de savoir si l’État qui a exécuté l’entière obligation et qui entendait répéter contre son codébiteur solidairement responsable ses part et portion devait ou non déclarer sa créance de remboursement entre les mains du mandataire judiciaire. L’analyse du fait générateur, déterminante quant au sort de l’État dans la procédure, permettait de répondre à cette question. La Cour de cassation a déjà été amenée à statuer sur le fait générateur de la créance de remboursement détenue par une caution, un garant autonome ou un codébiteur solidaire. Dans cette dernière hypothèse précisément, la créance de remboursement trouve son origine, selon une jurisprudence désormais constante, dans l’engagement solidaire du codébiteur et non dans le paiement effectué entre les mains du créancier (1). Sans le dire clairement, la Cour fait donc une stricte application de la thèse volontariste du contrat en vertu de laquelle les créances prennent vie au jour de la conclusion du contrat et non, par opposition à la thèse matérialiste, au moment de l’exécution de la prestation. Toutefois, il n’y avait pas lieu, en l’espèce, de choisir entre ces deux thèses antagonistes, dans la mesure où, comme l’ont affirmé les juges du fond, « aucune solidarité n’était expressément stipulée entre les deux débiteurs antérieurement à leur condamnation ». La créance de remboursement de l’État n’était pas, en effet, d’origine contractuelle mais délictuelle puisqu’elle n’existait qu’en raison du dommage ayant entraîné leur condamnation in solidum. S’il est classiquement admis qu’en matière de responsabilité délictuelle, seule la date de la faute ou du fait dommageable doit être prise en considération, il en va différemment lorsqu’il s’agit de déterminer la créance de (1) Cass. com. 30 juin 2004, n° 01-14086 : Bull. civ. IV, n° 142 ; D. 2004, AJ p. 2156 ; Act. proc. coll. 2004/15, p. 250, note D. Legeais ; RTD com. 2005, p. 171, n° 5, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll. 2005/1, p. 53, obs. M.-P. Dumont – CA Paris, 2e ch. A, 17 sept. 2007, n° 06/08641. répétition que détient une personne ayant complètement exécuté une obligation in solidum contre son coresponsable pour ses part et portion. La solution semble opportune, puisque le dommage fait naître uniquement la créance de réparation, la créance de répétition n’étant que la résultante de l’action menée par la victime en vue d’obtenir la condamnation des coresponsables du dommage qu’elle a subi. Dès lors, à quel moment la créance de répétition prendelle naissance ? Au jour de l’assignation ou au jour de la décision ayant condamné solidairement la société et l’État à la réparation du dommage ? Les juges du fond ont favorisé la seconde solution en considérant que « la créance litigieuse est une créance née de la décision de condamnation », de sorte que l’État n’avait pas à déclarer sa créance au passif de la procédure. La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel et fixe, au contraire, le fait générateur de la créance de remboursement plus en amont, au jour où la victime a assigné l’État en réparation du dommage. L’attendu est parfaitement clair sur ce point : « (…) c’est au jour où il [l’État] a été assigné en réparation du dommage que naît sa créance indemnitaire contre son coresponsable ». Ainsi, la créance de remboursement du codébiteur d’une obligation in solidum prend-elle naissance au moment où la victime introduit l’instance en vue d’obtenir la réparation de son dommage. Cette décision s’inscrit parfaitement dans le prolongement d’un avis donné par la Cour de cassation le 11 avril 2012 dans lequel elle s’était prononcée dans un sens identique (2). La solution de la Cour semble donc faire autorité et permet, encore un peu plus, de lever les incertitudes entourant la naissance des créances dans le cadre de la procédure. (2) Cass. com., avis, 11 avr. 2012, n° 10-25139. (...) VII. S OLUTIONS DE LA PROCÉDURE A. Plans de continuation, de sauvegarde et de redressement Nature juridique du constat de la bonne exécution du plan 254q0 1 L’essentiel Le constat de la bonne exécution du plan, même non prévu par la loi applicable, ne peut être qualifié de mesure d’administration judiciaire. Cass. com., 8 sept. 2015, n 14-11393, Sté d’expansion du spectacle et a. c/ M. O. et a., F–PB (cassation CA Paris, 3 déc. 2013), Mme Mouillard prés. ; SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Marc Lévis, av. : JCP G 2015, 1065, obs. J. Théron o Note par Christine LEBEL Maître de conférences HDR, membre du CRJFC (EA 3225) – UFR SJEPG (université de Franche-Comté) ment. P ar l’arrêt du 8 septembre 2015, la Cour de cassation apporte une précision importante quant à la nature de la décision du tribunal constatant la bonne exécution d’un plan, qu’il soit de sauvegarde ou de redresse- En l’espèce, un redressement judiciaire sous patrimoine commun a été ouvert à l’égard d’un groupe de sociétés par jugement du 14 novembre 2002. Le plan de continuation G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 63 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce a été établi en excluant les créances faisant l’objet d’instances en cours. Il a été adopté par décision du 3 août 2004. Par requête du commissaire à l’exécution du plan, le tribunal a, par jugement du 7 juin 2011, constaté la bonne exécution du plan de continuation et mis fin à la mission du commissaire à l’exécution du plan. Les sociétés, dont les créances faisaient l’objet d’instances toujours en cours à cette date, ont formé tierce opposition à la décision de constat de bonne exécution du plan. La cour d’appel a jugé leur demande irrecevable au motif que le constat du respect par le débiteur des engagements du plan de continuation ne peut avoir la nature d’un acte juridictionnel, car il ne tranche aucune contestation entre les parties. La Cour de cassation censure cette analyse sur le visa de l’article 537 du Code de procédure civile : « le constat de la bonne exécution du plan, même non prévu par la loi applicable, ne pouvait être qualifié de mesure d’administration judiciaire ». Bien que rendue sous l’empire des dispositions légales antérieures à la loi de sauvegarde, la décision du 8 septembre 2015 répond clairement à l’interrogation relative à la qualification de la décision du tribunal constatant la bonne exécution du plan. Ce constat n’avait pas été initialement envisagé par le législateur en 1985, par conséquent, il n’y avait pas formellement de décision mettant fin aux effets de la procédure collective. L’article L. 626-28 du Code de commerce prévoit désormais que le tribunal, saisi par le commissaire à l’exécution du plan sur requête, constate que l’exécution du plan est achevée. Toutefois, le législateur n’a pas donné davantage de précision quant à la nature de ce constat. Le doute est permis dans la mesure où la frontière entre actes juridictionnels et mesures d’administrations judiciaires ne peut être affirmée avec précision (1). En outre, les études doctrinales sont peu nombreuses sur cette question (2). Dans leur pourvoi, les sociétés créancières ont prétendu que le constat de la bonne exécution du plan entraîne la clôture consécutive de la procédure collective, mettant ainsi fin aux fonctions du commissaire à l’exécution du (1) J. Théron, « Mesure d’administration judiciaire, proposition d’une qualification » : D. 2010, p. 2246. (2) A. Perdriau, « Les mesures d’administration judiciaire au regard du juge de cassation » : Gaz. Pal. 7 mars 2002, p. 2, n° C6668 ; M. Degoffe et E. Jeuland, « Les mesures d’administration judiciaire en droit processuel : les problèmes de qualification », in Mélanges J. Normand, Litec, 2003, p. 147 ; C. Brenner, « Les décisions dépourvues d’autorité de chose jugée » : Procédures 2007, étude n° 13. plan. De même, ce constat rend le débiteur à nouveau totalement libre de disposer de son actif et rétablit le droit de poursuite individuelle des créanciers. Pour cette raison, ce constat ne pourrait être une mesure d’administration judiciaire. Cette argumentation est partiellement vraie. Certes, la procédure collective est clôturée, car le débiteur est redevenu maître de ses biens par le seul jugement arrêtant le plan (3), sous réserve des mesures d’inaliénabilité arrêtées par le tribunal. Par ailleurs, le droit de poursuite individuelle des créanciers ne vise que les créances nées postérieurement à l’adoption du plan, car le débiteur est in bonis, et éventuellement les créances postérieures privilégiées non réglées à leur échéance (4). À l’opposé, le constat peut valablement affecter les droits des créanciers de la procédure collective, notamment ceux pour lesquels une instance relative à la détermination de leur créance est toujours en cours au jour du constat de bonne exécution. En effet, tant que l’existence de ces créances n’est pas reconnue ou tant que leur quantum n’a pas été déterminé en justice, les créanciers ne sont pas remplis de leurs droits dans le cadre de l’exécution du plan (5). Pour ces raisons, la décision de constat n’est pas une mesure d’administration judiciaire pour la chambre commerciale de la Cour de cassation, car elle est susceptible d’affecter les droits des créanciers. Elle doit alors être assimilée à un jugement (6). Au final, il semble que dès que la décision critiquée est destinée à satisfaire uniquement l’intérêt du service public de la justice, il s’agit d’une mesure d’administration judiciaire (7). À l’opposé, lorsque la décision est destinée à lever un doute quant aux droits des créanciers, il s’agirait d’un jugement. (3) Cass. com., 24 mars 2015, n° 14-11591 : Gaz. Pal. 21 juill. 2015, p. 17, n° 234c5, obs. C. Lebel – Cass. com., 21 févr. 2006, n° 04-10187 : LPA 27 avr. 2008, p. 18, note C. Lebel. (4) C. com., art. L. 622-17. (5) C. com., art. L. 626-21, al. 1er – Cass. com., 22 nov. 2011, n° 10-24129 : Bull. civ. IV, n° 191 ; Rev. sociétés 2012, p. 196, obs. P. Roussel Galle ; JCP E 2012, 1227, obs. P. Pétel ; Gaz. Pal. 28 avr. 2012, p. 22, n° I9651, obs. C. Lebel. (6) J. Théron, art. préc. Contra P.-M. Le Corre, op. cit., n° 525.22. (7) Cass. com., 17 sept. 2013, n° 12-30158 : Bull. civ. IV, n° 133 ; Gaz. Pal. 14 janv. 2014, p. 28, n° 161j5, note P.-M. Le Corre ; Gaz. Pal. 10 déc. 2013, p. 41, n° 158w8, note J. Théron ; Rev. sociétés 2013, p. 730, note P. Roussel Galle ; JCP E 2014, 1020, obs. P. Pétel. La réduction de créance consentie dans le cadre du plan n’est acquise définitivement qu’après le versement de la totalité des échéances prévues au plan 254p9 1 L’essentiel La réduction de la créance consentie dans le cadre du plan de sauvegarde n’est définitivement acquise au débiteur qu’après versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan pour son paiement. Cass. com., 22 sept. 2015, no 14-16920, Banque populaire c/ SELARL Gauthier S. ès-qual. et a., F–PB (cassation CA Paris, 6 févr. 2014), Mme Mouillard prés. ; SCP Rousseau et Tapie, SCP Spinosi et Sureau, av. 64 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 E n l’espèce, la sauvegarde du débiteur a été ouverte Christine LEBEL par jugement du 9 décembre 2009. Le projet de plan proposé prévoyait deux options de règlement du passif : soit un paiement de 20 % de la créance en deux échéances en novembre 2011 et mars 2012, soit un paiement total suivant dix annuités progressives, la première échéance étant exigible un an après l’arrêté du plan. Le plan de Note par G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e sauvegarde a été adopté le 1er juin 2011. N’ayant pas répondu dans les délais, et conformément au projet de plan, la banque a été réputée avoir accepté la première option du règlement du passif. Ainsi, la banque a reçu deux versements, respectivement le 28 décembre 2011 et le 24 juillet 2012, soit 20 % du montant de sa créance, conformément à l’option précitée. Par jugement du 5 décembre 2012, après avoir constaté la cessation des paiements du débiteur, le tribunal a prononcé la résolution du plan de sauvegarde et ouvert une liquidation judiciaire (1). Dans le cadre de cette procédure, la banque a déclaré les 80 % de sa créance non réglée dans le plan résolu. Le mandataire judiciaire a contesté cette déclaration considérant que la créance de la banque avait été définitivement soldée au titre du plan de sauvegarde. Le juge-commissaire a rejeté la créance. La banque a interjeté appel. La cour d’appel a déclaré l’appel irrecevable considérant que la créance de la banque était éteinte à l’ouverture de la liquidation judiciaire le 5 décembre 2012, le dernier versement ayant été effectué le 24 juillet 2012. Au visa de l’article L. 626-19, alinéa 2, du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, la Cour de cassation censure la cour d’appel pour violation du texte précité, car « la dernière échéance n’avait pas été réglée au terme fixé par le plan ». L’arrêt du 22 septembre 2015 permet d’évoquer la règle relative à la réduction de créance consentie par un créancier dans le cadre d’un plan. Jusqu’alors, la Cour de cassation ne s’était prononcée qu’à propos d’un plan de continuation, sous l’empire des dispositions du Livre VI du Code de commerce, dans leur version antérieure à la loi de sauvegarde (2). En 2005, le législateur a précisé à l’article L. 626-27 du Code de commerce, que le jugement prononçant la résolution du plan « emporte déchéance de tout délai de paiement accordé » sans donner davantage de précisions sur le sort de la remise de créance. Ainsi, le doute est apparu pour savoir à partir de quand la remise de créance était acquise au débiteur en cas de résolution du plan : lors du règlement total de la créance selon les modalités prévues par le plan (autrement dit sans tenir compte du paiement des autres créances) ou lors de la fin de l’exécution du plan (autrement dit à la condition que le plan soit totalement exécuté) ? Une réponse a été proposée (1) CA Paris, P. 5, 9e ch., 6 févr. 2014, n° 13/18449. (2) Cass. com., 3 oct. 2006, n° 04-30779 : Bull. civ. IV, n° 197 ; Gaz. proc. coll. 2007/1, p. 31, obs. D. Voinot ; D. 2006, p. 2734, obs. A. Lienhard ; D. 2007, p. 42, obs. P.-M. Le Corre ; Act. proc. coll. 2006, comm. n° 237, obs. J.-C. Boulay ; Rev. proc. coll. sept. 2007 p. 164, note C. Lebel – Cass. com., 9 mai 2007, n° 06-12111 : Bull. civ. IV, n° 126 ; D. 2007, p. 1509, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2007, comm. n° 118, obs. J. Vallansan ; Rev. proc. coll. sept. 2007, p. 131, note C. Lebel. par la doctrine (3) au moyen d’une interprétation a contrario de l’article L. 626-19, alinéa 2, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2008-1345, du 18 décembre 2008 (4). Ainsi, pour ces auteurs, aux yeux de cette doctrine, l’échec du plan anéantit la remise de dette et le créancier recouvre donc l’intégralité de sa créance. L’article L. 626-19 du Code de commerce a été modifié par l’ordonnance de 2008 (5) précitée. Désormais, l’alinéa 2 de ce texte dispose que « la réduction de créance n’est définitivement acquise qu’après versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan pour son paiement » (6). En l’espèce, la question était alors de savoir si la résolution du plan intervenue après le paiement intégral des échéances de la banque répondait ou non aux exigences légales. La Cour de cassation répond par la négative, car les dispositions du plan n’avaient pas été respectées dans la mesure où la première échéance avait été réglée avec un mois de retard et la seconde, avec presque quatre mois de retard. Certes, le montant prévu par le plan avait été réglé mais les modalités de versement n’ont pas été respectées. Par conséquent, les échéances n’ont pas été réglées en application du plan. La décision commentée constitue une première application de cette disposition légale interprétée rigoureusement par la Cour de cassation. Ainsi, la remise consentie par le créancier dans le cadre du projet de plan, et par la suite, par le plan arrêté par le tribunal de la procédure collective, n’est définitivement acquise au débiteur qu’à la double condition que le plan ait été correctement exécuté et qu’il l’ait été conformément aux modalités prévues par le jugement l’ayant arrêté. Autrement dit, la remise est accordée de façon conditionnelle par les créanciers. Toutefois, le Conseil d’État (7) ne partage pas cette analyse, considérant que la remise de dette consentie dans le plan est certaine dans son principe et dans son montant par le jugement arrêtant le plan. De ce fait, la remise constituant une augmentation d’actif net, elle est immédiatement taxable dès ce moment (8). (3) F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, 2006, 7e éd., n° 958 ; M.-H. Monsérié-Bon, « L’effacement des dettes dans le droit des entreprises en difficulté » : Dr. et patr. sept. 2009, n° 184, p. 64. (4) C. com., art. L. 626-19, al. 2 : « La réduction de créance n’est définitivement acquise qu’après le versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan ». (5) C. Lebel, « Les plans de sauvegarde et de redressement dans l’ordonnance du 18 décembre 2008 » : Gaz. Pal. 7 mars 2009, p. 46, n° H3521. (6) S. Saaied, L’échec du plan de sauvegarde de l’entreprise en difficulté, A. Ghozi (préf.), LGDJ, 2015, t. 3, nos 180 et s. (7) CE, 9e et 10e ss.-sect. réunies, 21 nov. 2011, n° 340319 : JCP E 2012, 1243, note P. Fumenier et C. Maignan. (8) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz, coll. Dalloz Action, 2015, n° 522.14. Désignation d’un mandataire ad hoc pour représenter l’intérêt collectif des créanciers d’une procédure collective non clôturée et recouvrer les actifs résiduels 254r4 1 L’essentiel La procédure collective n’étant pas clôturée, en présence d’actifs résiduels restant à recouvrer, en l’absence d’organe pouvant la représenter, un manda- taire ad hoc peut être désigné pour exercer, dans l’intérêt collectif des créanciers, l’action en recouvrement des fonds en vue de leur distribution. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 65 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce Cass. com., 29 sept. 2015, no 14-14727, Caisse de crédit mutuel c/ Mme B. et a., F–PB (rejet pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 7 févr. 2014), Mme Mouillard prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, Me Blondel, av. L ’arrêt du 29 septembre 2015 permet de préciser Christine LEBEL les conditions de la représentation de l’intérêt collectif des créanciers dans une hypothèse peu évoquée en jurisprudence. Note par En l’espèce, un redressement judiciaire a été ouvert en 1995 qui a abouti à un plan de cession adopté la même année. Le représentant des créanciers désigné dans cette procédure a été nommé ultérieurement en qualité de commissaire à l’exécution du plan. Neuf ans plus tard, la déclaration d’une banque a été jugée irrecevable. La décision de justice étant devenue irrévocable, elle a entraîné corrélativement l’extinction de la créance. Au cours de la procédure, la banque a reçu une provision à valoir sur le paiement de sa créance. En 2006, le commissaire à l’exécution du plan a assigné la banque en restitution de celle-ci. Sa demande a été jugée irrecevable tant en qualité de représentant des créanciers qu’en celle de commissaire à l’exécution du plan. Les représentants du débiteur ont demandé la désignation d’un mandataire ad hoc avec pour mission de recouvrer les fonds. Les juges du fond ont fait droit à cette demande, la banque ayant été condamnée à restituer les fonds au mandataire ad hoc désigné. Le pourvoi du créancier est rejeté par la Cour de cassation qui a considéré le moyen de la banque non fondé. En effet, la cour d’appel avait retenu que la procédure collective n’était pas clôturée. Toutefois, aucun organe n’était plus habilité à agir en restitution des fonds indûment perçus par la banque. Ne se fondant pas sur les dispositions de l’ancien article L. 621-68 du Code de commerce relatives à la poursuite des instances auxquelles le commissaire à l’exécution du plan était partie, la cour d’appel en a exactement déduit qu’un mandataire ad hoc pouvait être désigné pour exercer, dans l’intérêt collectif des créanciers, l’action en recouvrement des fonds en vue de leur distribution, car il ne s’agissait pas d’une action poursuivie au sens de l’ancien article L. 621-68 du Code de commerce. Ainsi, les juges devaient répondre à la question suivante : lorsque la mission des organes a pris fin, qui peut introduire une action dans l’intérêt collectif des créanciers de la procédure collective non clôturée ? En effet, le commissaire à l’exécution du plan est nommé pour la durée du plan, lequel ne peut excéder 10 ans. Le plan ayant été adopté en octobre 1995, la mission a pris fin 10 ans plus tard, soit en 2005. Par conséquent, il n’avait plus qualité pour assigner la banque en restitution des fonds indûment perçus, ce qui explique pourquoi son action a été déclarée irrecevable. Afin de se sortir de 66 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 cette situation sans bourse délier, la banque a prétendu il n’est pas possible de désigner un mandataire ad hoc pour introduire une nouvelle procédure dès lors que les organes n’ont pas usé de leurs pouvoirs. Pour cette raison, la demande en restitution des fonds devait être jugée irrecevable pour avoir été tardivement engagée. La difficulté résulte du fait que les dispositions légales et réglementaires applicables à l’espèce évoquaient seulement les actions introduites avant l’adoption du plan et celles relatives à l’établissement du passif définitif du débiteur. Par conséquent, les textes étaient silencieux sur la représentation de l’intérêt collectif des créanciers après la fin de la mission des organes de la procédure alors que celle-ci n’a pas encore été clôturée. Concrètement, l’action en restitution des fonds résulte du rejet définitif et de l’extinction de la créance qui en découle, intervenus après la fin de la mission du commissaire à l’exécution du plan. N’ayant plus la qualité de créancier, la banque devait restituer la provision reçue à valoir sur sa participation à la répartition des actifs dans la procédure collective. Pour cette raison, son argumentation ne pouvait prospérer : il ne s’agissait pas d’une action nouvelle qui aurait dû être intentée par les organes en fonction (CA Montpellier, 19 mars 1996, n° 95/0003980 : JCP E 1996, I, 585, n° 15, obs. P. Pétel ; Rev. proc. coll. 1996, p. 376, obs. B. Soinne). Ainsi, les juges du fond ont considéré que les représentants du débiteur, pouvaient demander la désignation d’un mandataire ad hoc afin d’introduire une action dans l’intérêt des créanciers de la procédure collective, aux fins de recouvrer une créance résultant d’une décision judiciaire devenue irrévocable postérieurement à la cessation des fonctions de l’organe de la procédure qui aurait été habilité à agir. En procédant de la sorte, la collectivité des créanciers n’est pas privée de son droit d’agir en justice par l’intermédiaire d’une personne habilitée à la représenter. Le rejet du pourvoi est justifié. La solution énoncée par l’arrêt du 29 septembre 2015, bien que rendu sous l’empire des dispositions du Code de commerce dans leur version antérieure à 2005, est applicable aux procédures ouvertes actuellement. En effet, l’article L. 626-25 du Code de commerce dispose, dans son alinéa 3, que le commissaire à l’exécution du plan est également habilité à engager les actions dans l’intérêt collectif des créanciers. Cette nouvelle règle ne résout pas la difficulté de la représentation de la collectivité des créanciers après cessation des fonctions du commissaire à l’exécution du plan. Il peut engager de nouvelles actions, mais la durée de sa mission est toujours limitée à celle de l’exécution du plan. Par conséquent, après l’achèvement des fonctions du commissaire à l’exécution du plan, il est toujours nécessaire de solliciter la désignation d’un mandataire ad hoc. Reste alors à savoir qui est habilité pour présenter une telle requête au tribunal. Le débiteur ou ses représentants, comme en l’espèce ? Cela ne semble pas poser de difficulté. Toutefois, est-ce que les « anciens organes » de la procédure pourraient le faire et, dans l’affirmative, en quelle qualité ? Le doute est permis. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e Désignation d’un mandataire ad hoc lorsque le commissaire à l’exécution du plan n’est plus en fonction 254r5 1 L’essentiel La désignation d’un mandataire ad hoc est obligatoire lorsque le commissaire à l’exécution du plan n’est plus en fonction, et il n’est pas fait exception à cette règle lorsque les débiteurs étaient eux-mêmes parties à l’instance. Cass. com., 13 oct. 2015, no 14-14327, M. R. et a. c/ Crédit maritime mutuel, F–PB (irrecevabilité pourvoi c/ CA Montpellier, 10 déc. 2013), Mme Mouillard, prés. ; Me Carbonnier av. et SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av. L ’arrêt du 13 septembre 2015 revient sur les Christine LEBEL conditions de la représentation de l’intérêt collectif des créanciers après la fin de la mission du commissaire à l’expiration du plan. Par ailleurs, il rappelle les effets du prononcé du jugement de liquidation judiciaire. Note par En l’espèce, deux sociétés dont une SARL et une SNC ainsi que les associés de cette dernière, en qualité de cautions, ont été assignés par une banque en paiement de diverses sommes. Un redressement judiciaire a été ouvert le 4 février 1997 à l’égard de tous ces débiteurs. Leurs plans de continuation ont été adoptés le 18 septembre 1998 et totalement exécutés en 2004. Au cours de la période d’observation du redressement judiciaire, les associés, personnes physiques, ont contesté la déclaration de créances et ont reconventionnellement demandé des dommages-intérêts en raison d’une facturation de frais financiers excessive et d’une rupture abusive de crédits. Le mandataire désigné en qualité de représentant des créanciers a repris l’instance, et l’a continuée en qualité de commissaire à l’exécution des plans après l’adoption de ces derniers. Par la suite, un jugement du 22 mars 2013 a placé à nouveau la SARL en redressement judiciaire. Le mandataire précédemment désigné a été à nouveau nommé dans cette seconde procédure collective. Par conclusions du 13 octobre 2013, les deux sociétés, les deux associés et le mandataire judiciaire, en qualité de commissaire à l’exécution des plans et de représentant des créanciers, ont repris la demande de dommages-intérêts non encore jugée. Le pourvoi du mandataire judiciaire, en qualité de commissaire à l’exécution du plan, a été jugé irrecevable car les plans avaient été exécutés. La demande du mandataire, en qualité de représentant des créanciers, étant étrangère à la vérification du passif, celle-ci était également irrecevable. En outre, la déclaration de pourvoi de la SARL a été déposée au greffe de la Cour de cassation le 21 mars 2014. Or, la liquidation judiciaire de la SARL prononcée par jugement du 21 mars 2014, produit ses effets à 0 heure le jour de son prononcé. Ainsi, la SARL ne pouvait valablement rédiger seule un pourvoi, sans régularisation du liquidateur dans le délai du dépôt du mémoire en demande. Enfin, la SNC et ses associés faisaient grief aux juges du fond d’avoir déclaré leur demande reconventionnelle de dommages-intérêts irrecevable. Leur pourvoi est jugé non fondé par la Cour de cassation qui précise que « les instances auxquelles le représentant des créanciers était partie et qui ont été reprises par le commissaire à l’exécution du plan doivent, lorsque celui-ci n’est plus en fonction, être poursuivies par un mandataire de justice spécialement désigné à cet effet ; qu’il n’est pas fait exception à cette règle lorsque les débiteurs étaient euxmêmes parties à l’instance ». L’arrêt du 13 octobre 2013 se situe dans le sillage de celui du 29 septembre 2015 précédemment évoqué. Ainsi, seul un mandataire spécialement désigné a qualité pour représenter les créanciers de la procédure collective, dès lors que tous leurs droits collectifs ne sont pas éteints. Dans la décision de septembre 2015, les actifs étaient à recouvrer ; dans celle d’octobre 2015, une action en réparation d’un préjudice subi collectivement par les créanciers, et par les cautions du débiteur n’avait pas encore été définitivement jugée. En l’espèce, l’arrêt du 13 octobre permet de faire la synthèse. Tout d’abord, l’une des sociétés a éprouvé à nouveau des difficultés, un second redressement judiciaire a été ouvert, converti ensuite en liquidation judiciaire. Ce dernier prend effet à compter de sa date (C. com., art. R. 621-4, par renvoi art. R. 641-1), c’est-à-dire à compter de 0 heure de la date du jugement. Ainsi, tous les actes accomplis le jour du jugement d’ouverture sont réputés l’avoir été après le prononcé de la liquidation judiciaire (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2015-2015, n° 233.41). Cette solution appliquée à l’espèce conduit, à juste titre, à considérer que le pourvoi avait été déposé au greffe de la Cour de cassation après le prononcé de la liquidation judiciaire. En l’absence de régularisation par le liquidateur, il était irrecevable. Par ailleurs, le plan de continuation de la SNC a été exécuté en 2004. En 2013, le commissaire à l’exécution du plan n’est plus en fonction. Même si à l’époque, il n’existait pas formellement de décision constatant la bonne exécution du plan, le commissaire à l’exécution du plan avait été désigné plus de dix ans auparavant. En appliquant la solution formulée par l’arrêt du 29 septembre 2015 adaptée aux faits de l’espèce, il était nécessaire de désigner un mandataire ad hoc pour représenter l’intérêt collectif des créanciers de cette procédure collective, ce qui justifiait la nécessité de désigner un mandataire ad hoc. À défaut d’avoir demandé une telle désignation, les associés de la société mettent en avant le fait qu’ils aient été parties à l’instance. Leur argumentation n’a pas prospéré et le pourvoi est rejeté car il n’est pas fait exception à cette règle même lorsque le débiteur est lui-même partie à l’instance. Une telle solution est logique. Le mandataire ad hoc représente l’intérêt collectif des créanciers de la procédure collective, alors que le débiteur protège ses propres intérêts, qui ne sont pas nécessairement ceux de ces derniers. L’arrêt du 13 octobre 2015 précise ainsi le cadre juridique de l’intérêt collectif des créanciers d’une procédure collective. Ce dernier ne peut être représenté que par un mandataire de justice spécialement désigné à cet effet : mandataire de justice au cours de la période d’observation, liquidateur judiciaire après le prononcé de la liquidation, commissaire à l’exécution du plan, le cas échéant, et en G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 67 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce dernier recours, mandataire ad hoc désigné à cet effet par le tribunal. En aucun cas le débiteur ne peut le représenter. À l’époque où le conflit d’intérêts est une notion d’actualité, il semble que le débiteur ne puisse agir au nom et pour le compte de la collectivité de ses créanciers, en raison d’un tel conflit ! B. Liquidation judiciaire Droit propre du débiteur d’interjeter appel d’une décision le condamnant à payer une somme d’argent 254n8 1 L’essentiel Lorsqu’une instance, tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent pour une cause antérieure au jugement d’ouverture de sa liquidation judiciaire, est en cours à la date de ce jugement, le débiteur a, dans ce cas, le droit propre d’exercer les voies de recours prévues par la loi contre la décision statuant sur la demande de condamnation. Cass. com., 8 sept. 2015, no 14-14192, Ép. B c/ SARL Concept Ingénierie, Me M. A. ès-qual., M. C, PB (rejet pourvoi c/ CA Aixen-Provence, 12 déc. 2013), Mme Mouillard, prés. ; SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, av. : D. 2015, p. 1839, X. Delpech ; Act. proc. coll. 2015, n° 256, obs. P. Cagnoli. ; Dr. sociétés 2015, comm. n° 203, obs. J.-P. Legros ; Procédures 2015, comm. n° 334, obs. B. Rolland S i le jugement qui prononce la liquidation Denis VOINOT entraîne de plein droit le Professeur à l’université dessaisissement du déde Lille, directeur du biteur, ce dernier étant master Droit des contrats et du recouvrement des représenté par un liquidacréances, Centre René teur, cette règle n’est pas Demogue – CRDP d’une portée absolue (1) . Le débiteur peut en effet exercer des droits propres comme par exemple celui de contester une décision de justice le condamnant à payer une somme d’argent à un créancier. Mais le débiteur peut-il poursuivre personnellement l’instance après le prononcé de la liquidation judiciaire lorsque le jugement critiqué a été rendu antérieurement au jugement d’ouverture et que le liquidateur n’a pas constitué avocat ? Note par Dans l’espèce ayant conduit à cette interrogation, une société et son dirigeant avaient été solidairement condamnés à payer une somme d’argent à des époux en réparation de (1) C. com., art. L. 641-9, I. différents préjudices résultant de la mauvaise réalisation de travaux immobiliers. Après avoir interjeté appel de sa condamnation, la société a été mise en liquidation judiciaire. Les époux, créanciers de l’indemnisation, ont alors appelé en la cause le liquidateur qui n’a cependant pas constitué avocat en l’absence de trésorerie suffisante. Malgré cette circonstance, la cour d’appel a jugé que les époux devaient être finalement déboutés de leur demande de réparation. Ceux-ci ont alors formé un pourvoi arguant du fait que le débiteur n’était pas représenté à l’instance en raison de son dessaisissement, le liquidateur étant seul apte à le représenter. La Cour de cassation juge au contraire « que lorsqu’une instance, tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent pour une cause antérieure au jugement d’ouverture de sa liquidation judiciaire, est en cours à la date de ce jugement, le débiteur a, dans cette circonstance, le droit propre d’exercer les voies de recours prévues par la loi contre la décision statuant sur la demande de condamnation ». Cette décision confirme une solution antérieurement retenue par la jurisprudence dans une espèce (2) où le débiteur en liquidation judiciaire avait été jugé recevable à exercer un pourvoi en cassation contre une décision l’ayant condamné à payer une somme d’argent. Ainsi, les créanciers engagés dans une instance au cours de laquelle intervient une liquidation judiciaire de leur débiteur doivent se montrer vigilants. Comme l’a bien précisé la doctrine (3), ils doivent distinguer entre les instances qui sont poursuivies et qui ne concernent pas un droit propre du débiteur et celles que le débiteur peut personnellement poursuivre avec ou sans le liquidateur et qui concernent l’un de ses droits propres. (2) Cass. com., 11 mai 1993, n° 91-12232 : Bull. civ. IV, n° 180. (3) J.-P. Rémery, « L’incidence de l’ouverture d’une procédure collective sur l’instance de cassation (civile) : quelques réflexions » : D. 2015, p. 2453. Efficacité après clôture d’une ordonnance autorisant une cession en liquidation judiciaire 254r2 1 L’essentiel La vente est parfaite dès l’ordonnance du juge-commissaire l’autorisant, sous la condition suspensive que cette décision acquière force de chose jugée. La clôture de la liquidation judiciaire est sans incidence sur les effets de cette ordonnance. Elle doit recevoir exécution quelles qu’en soient les difficultés. 68 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 Cass. com., 3 nov. 2015, no 14-14170, Mme Z, FS–D (cassation CA Papeete, 19 déc. 2013), Mme Mouillard, prés., Mme Vallansan, rapp., M. Le Mesle, prem. av. gén. ; SCP MeierBourdeau et Lécuyer, SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, av. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e E n l’espèce, dans le cadre d’une liquidation judiJulien THÉRON ciaire, le juge-commissaire Agrégé des facultés, autorise la cession de gré à professeur à l’université gré d’un immeuble le 3 juilToulouse 1 Capitole, directeur du DU droit des let 2007. Un offrant évincé entreprises en difficulté parvient sur recours à faire annuler cette ordonnance par un jugement du 25 février 2008. Le 26 mai suivant ce dernier obtient l’autorisation d’acquérir le bien en cause. Il procède à la réalisation de l’acte authentique marquant l’entrée du bien dans son patrimoine le 24 septembre 2008. L’acquéreur évincé forme un appel nullité contre, d’une part, le jugement du 25 février 2008 annulant l’ordonnance du 3 juillet 2007 et, d’autre part, contre l’ordonnance du 26 mai 2008 autorisant la cession de l’immeuble au deuxième acquéreur. Cet appel nullité est déclaré irrecevable par un arrêt de la cour d’appel qui est cassé par la Cour de cassation le 28 juin 2011. Le motif de cette cassation était simple : le recours exercé par l’offrant évincé contre l’ordonnance du 3 juillet 2007 n’était pas recevable. Les offrants évincés n’ont en effet pas qualité pour agir à cette fin (Cass. com., 31 mai 2011, n° 10-17774 : Gaz. Pal. proc. coll. 2011, p. 28, obs. J. Théron). La chambre commerciale casse alors sans renvoi et annule les jugements des 25 février et 26 mai 2008. Note par Il résulte de tout cela que seule subsistait l’ordonnance du 3 juillet 2007 au bénéfice du premier acquéreur. Ce dernier demande alors à ce qu’elle soit exécutée. La Cour d’appel refuse cependant d’y procéder, d’une part, parce qu’entretemps la clôture de la liquidation avait été prononcée et que cela empêche les restitutions réciproques auxquelles il faudrait procéder pour lui attribuer la propriété. D’autre part, elle relève que l’ordonnance autorisant la cession subordonnait la cession à la réalisation de l’acte authentique dans un délai de trois mois. Or, ce délai commençait à courir dès la signification de l’arrêt de cassation prononçant la nullité de la seconde cession et du jugement annulant la première. Il était par conséquent écoulé, faisant par là même défaillir la condition. Quant au premier point, à la question de savoir si la clôture de la procédure de liquidation interdisait la réalisation de l’ordonnance du 3 juillet 2007, la chambre commerciale répond par la négative. Pour elle, « la vente est parfaite dès l’ordonnance du juge-commissaire l’autorisant, sous la condition suspensive que cette décision acquière force de chose jugée, et (…) la clôture de la liquidation judiciaire est sans incidence sur les effets de cette ordonnance ». La solution semble juridiquement évidente. Pour mémoire, en matière de cession de gré à gré il faut distinguer deux moments. La cession est parfaite une fois l’ordonnance autorisant la cession passée en force de chose jugée, mais le transfert n’intervient qu’une fois les actes subséquents – ici l’acte authentique – réalisés. Or, en l’espèce, l’ordonnance du 3 juillet 2007 était définitive. Le principe de la cession ne pouvait plus être remis en cause et la clôture de la liquidation ne pouvait y faire obstacle. Ce, même si en pratique il en résulte certainement des difficultés de mise en œuvre puisqu’il faudra restituer au second acquéreur le montant du prix perçu pour la cession qui lui avait été faite et encaisser par la suite le montant de la cession autorisée le 3 juillet 2007. Il importera alors de distinguer selon que la procédure a été close ou non pour insuffisance d’actif. Le cas échéant, sans doute faudra-t-il demander la réouverture de la procédure sur le fondement de l’article L. 643-13 du Code de commerce. La deuxième cession ayant été annulée, l’immeuble est en effet entré rétroactivement dans le patrimoine du débiteur. Et tant qu’il n’est pas réattribué au premier acquéreur contre paiement de ce dernier, il ne peut être considéré comme réalisé. On peut alors considérer qu’il s’agit de l’apparition d’un actif du débiteur à réaliser. Quant au deuxième point, à la question de savoir si le délai de trois mois pour réaliser l’acte authentique était écoulé depuis la signification de l’arrêt du 28 juin 2011, l’arrêt répond là encore par la négative au motif que « la vente » faite au profit du second acquéreur « empêchait, tant que cette vente n’était pas annulée, de réaliser celle autorisée au profit » du premier acquéreur « qui n’était pas ainsi en mesure de respecter la condition de délai prévue ». On peut comprendre cette solution sur le plan de l’opportunité. Néanmoins, elle paraît contestable juridiquement. Une fois l’annulation de l’ordonnance autorisant la seconde cession prononcée le 28 juin 2011, la « vente » était annulée. En effet, l’ordonnance autorisant la cession rend la cession parfaite. C’est une condition essentielle à la cession. La disparition de l’ordonnance entraîne celle de la cession. Seul subsiste alors l’instrumentum à savoir l’acte authentique passé par le second acquéreur. Mais ce dernier n’a nullement besoin d’être « annulé » pour permettre au premier acquéreur de devenir propriétaire. Comme tout instrumentum il n’emporte pas d’effet juridique qui lui soit propre. Il ne s’agit nullement de l’acte juridique à l’origine de la transmission. Si le transfert de propriété y est attaché, c’est tout simplement comme en matière de vente immobilière de droit commun que cet acte est désigné par le negotium comme constituant un terme. Il découle de tout cela que si, comme en l’espèce, l’acte juridique à l’origine de la transmission disparaît rétroactivement, la propriété elle aussi entre rétroactivement dans le patrimoine du débiteur. Et cela de manière automatique. Le délai pour réaliser l’acte authentique courait donc bien à compter de la signification de l’acte authentique. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 69 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce VIII. PASSIF (...) F. Déclaration, vérification et admission des créances Le tiers saisi reste responsable nonobstant le défaut de déclaration de la créance 254p0 1 L’essentiel Une créance qui n’a pas été déclarée au passif n’est pas éteinte, mais inopposable à la procédure collective. Ainsi, le défaut de déclaration de la créance du créancier qui a fait pratiquer une saisie attribution avant le jugement d’ouverture ne le prive pas de la faculté d’agir contre le tiers saisi sur le fondement de l’article R. 211-5, alinéa 2, du Code des procédures civiles d’exécution. Cass. com., 8 sept. 2015, no 14-15831, Sté P. c/ Sté Accueil négoce chauffage sanitaire, F–PB (cassation CA Toulouse, 7 janv. 2014), Mme Mouillard, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, av. D ans cet arrêt, publié au Bulletin, la Cour de Isabelle ROHARTcassation rappelle que les MESSAGER créances antérieures non Magistrat, conseiller à la déclarées sont inopposables cour d’appel de Paris à la procédure collective et en tire les conséquences logiques relatives aux droits des tiers. Note par En effet, depuis la loi du 26 juillet 2005, la créance antérieure non déclarée n’est plus éteinte et, alors que le texte ne précisait pas quel en était le régime, la Cour de cassation (1), suivant en cela la doctrine (2), avait décidé que la créance, qui n’avait pas été déclarée au passif, est inopposable à la procédure collective. Le défaut d’extinction de la créance non déclarée a des incidences importantes sur les rapports des créanciers avec les tiers. Ainsi, sauf en ce qui concerne les garants personnes physiques en cas de plan de sauvegarde, le créancier qui n’a pas déclaré sa créance pourra poursuivre les garants, mais aussi les tiers (3). L’arrêt commenté illustre parfaitement cette hypothèse. Les faits étaient les suivants : un débiteur mis en redressement judiciaire le 20 mars 2009, voit son plan de redressement arrêté le 9 mars 2010. Muni d’une ordonnance de référé rendue le 17 septembre 2009, ayant condamné le débiteur au paiement d’une provision, pendant l’exécution du plan, un créancier fait pratiquer une saisie attribution. Puis, le tribunal prononce la résolution du plan et la liquidation judiciaire du débiteur. Le créancier, reprochant au tiers saisi d’avoir effectué une déclaration inexacte en indiquant à tort qu’il détenait des fonds pour le compte du débiteur, l’assigne en paiement de dommages-intérêts d’un montant équivalent aux causes de la saisie sur le fondement de l’article 60, (1) Cass. com., 3 nov. 2010, n° 09-70312 : Bull. civ. IV, n° 165 ; Gaz. proc. coll. 2011/1, p. 18, note E. Le Corre-Broly ; Rev. sociétés 2011, p. 194, note P. Roussel Galle. (2) D. 2005, p. 2299, obs. P.-M. Le Corre ; Gaz. proc. coll. 10 sept. 2005, p. 17, n° 13. (3) F. Pérochon, Entreprises en difficultés, LGDJ, 2014, 10e éd., nos 1570 et s. 70 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 alinéa 2, du décret du 31 juillet 1992, devenu l’article R. 211-5 du Code des procédures civiles d’exécution. La cour d’appel le condamne, à titre de dommages-intérêts, au paiement d’une somme de 9 000 €. Le tiers saisi se pourvoit en cassation en reprochant aux premiers juges de l’avoir condamné, alors que le créancier n’avait pas déclaré sa créance, et en soutenant que la créance, objet de la saisie, n’était pas une créance postérieure éligible au traitement préférentiel. La Cour de cassation, sans même analyser si la créance en question relevait ou non du régime des créances postérieures privilégiées, rappelle que le défaut de déclaration de créance n’a pas pour effet l’extinction de la créance, mais son inopposabilité à la procédure collective, et qu’en conséquence, le créancier, dont la créance n’est pas éteinte, n’est pas privé de son intérêt à agir contre le tiers saisi : « Mais attendu qu’une créance qui n’a pas été déclarée au passif du débiteur n’est pas éteinte mais inopposable à la procédure collective de sorte que le défaut de déclaration de la créance, en recouvrement de laquelle le créancier a fait pratiquer une saisie attribution avant le jugement d’ouverture de son débiteur, ne prive pas ce créancier de son intérêt à agir contre le tiers saisi sur le fondement de l’article R. 211-5, alinéa 2, du Code des procédures civiles d’exécution » Le pourvoi reprochait également à l’arrêt d’avoir condamné le tiers saisi à une somme de 9 000 € sur le fondement d’une perte de chance que le créancier aurait subi, étant précisé que les causes de la saisie étaient d’un montant de 9 213,72 €. L’article R. 211-4 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit que le tiers saisi doit fournir, sur le champ, à l’huissier les renseignements et lui communiquer les pièces justificatives. Les sanctions de la méconnaissance de cette déclaration par le tiers saisi sont sévères (4). En effet, s’il ne fournit pas les renseignements prévus, sans motif légitime, il doit être condamné à payer les sommes dues au créancier en application de l’alinéa 1 de l’article R. 211-5 du Code des procédures civiles d’exécution, tandis qu’en cas de négligence fautive ou de déclaration inexacte ou mensongère, il peut être condamné à des dommages et intérêts en application de l’alinéa 2 du même article. En l’espèce, le tiers saisi avait fourni des renseignements inexacts ; il s’exposait donc non pas au paiement des causes de la saisie, mais à des dommages et intérêts calculés selon le préjudice subi par le créancier. Pour casser l’arrêt, la Cour de cassation fait grief à la cour d’appel de ne pas avoir suffisamment motivé le montant du préjudice issu de la perte de chance subi par le créancier et (4) N. Fricero, Procédures civiles d’exécution, Mémentos LMD, Gualino, 2010, 2e éd., p. 119. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e de ne pas avoir recherché quelles étaient les autres mesures d’exécution qu’il aurait pu diligenter, ainsi que leur probabilité de succès. Cet arrêt est rendu au visa des articles R. 211-4 du Code des procédures civiles d’exécution et 1382 du Code civil et rappelle donc aux juges du fond que les condamnations prononcées sur le fondement de l’article R. 211-4 obéissent aux principes issus de la responsabilité civile et qu’il convient donc de caractériser le lien de causalité entre la faute retenue et le préjudice. Conséquence de l’oralité des débats devant le juge-commissaire sur la procédure de contestation des créances 254p6 1 L’essentiel Du fait de l’oralité des débats devant le jugecommissaire, ce dernier n’a pas à prendre en compte les écritures du créancier, en raison de sa non-comparution. CA Toulouse, 3e ch., 14 oct. 2015, no 15/02327, Sté Coopérative de Banque Populaire Crédit Coopératif c/ Scop Terra et Selarl Brenac et ass. L a procédure devant le juge-commissaire est Pierre-Michel orale. Il en résulte que les LE CORRE parties doivent se présenter devant lui ou se faire représenter. Les intéressés peuvent se présenter devant le juge-commissaire en personne, se faire représenter par un avocat ou toute personne de leur choix munie d’un mandat ad litem, à l’exception cependant des contrôleurs qui, s’ils ne se présentent pas en personne, doivent se faire représenter par un avocat. On réservera cependant les instances de redressement ou de liquidation judiciaire ouvertes devant les tribunaux de grande instance où la représentation par avocat n’est pas obligatoire, mais où, par dérogation aux règles régissant la matière commerciale, la représentation par un tiers ne peut se faire que par avocat. On réservera également le cas de procédures ouvertes en Alsace-Moselle. La procédure est alors écrite, même pour les affaires devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance. La représentation par avocat est en conséquence obligatoire devant le juge-commissaire (1). Cette solution est préconisée même pour les procédures de contestation de créance (2). Note par L’oralité de la procédure devant le juge-commissaire vaut dans la procédure de contestation de créance. Il ne suffit donc pas que le créancier réponde au mandataire judiciaire qui a contesté sa créance. Si le créancier est convoqué devant le juge-commissaire, il doit être présent ou représenté, sauf à s’exposer à ce que ses prétentions soient déclarées irrecevables, si elles sont adressées par courrier au juge-commissaire. L’oralité des débats a une incidence. Par application de l’article 871 du Code de procédure civile, les prétentions des parties sont présumées avoir été contradictoirement débattues (3). Il importe donc, pour se pré-constituer la preuve que les prétentions ont été formulées, de faire consigner celles-ci par le greffier, afin qu’elles puissent ensuite être (1) Cass. com., 14 janv. 1997, n° 93-18596 : Bull. civ. IV, n° 14. (2) J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), Lamy, 2015, n° 2590. (3) Cass. 1re civ., 25 nov. 1992, n° 89-16438 : Bull. civ. I, n° 291. retranscrites dans les ordonnances du juge-commissaire. La présence du greffier apparaît ainsi indispensable aux débats (4). L’article 455 du Code de procédure civile doit être respecté par le juge-commissaire : obligation de rappeler les prétentions des parties et leurs moyens avant d’y répondre. Cette règle de procédure est prescrite à peine de nullité de la décision (5). L’oralité des débats a une autre conséquence : le débiteur pourra développer devant le juge-commissaire des arguments qu’il n’aurait pas invoqués lors des observations formulées à l’occasion de la vérification de la créance (6). La solution se justifie eu égard à l’oralité de la procédure (7). Comme l’a fait en l’espèce la cour d’appel de Toulouse, une autre conséquence peut être tirée de l’oralité des débats. Il peut être fait droit aux prétentions du mandataire judiciaire ou du débiteur de voir écartées des débats les écritures du créancier, et d’obtenir une décision de constat de la caducité de l’instance, qui empêchera ensuite le créancier d’obtenir une décision favorable. Si le juge-commissaire peut revenir sur sa décision de caducité, c’est à la condition que le créancier démontre un motif légitime d’absence à l’audience. Faute de ce faire, le juge-commissaire n’a pas à revenir sur sa décision de caducité de l’instance, et à sa suite, la cour d’appel peut confirmer la décision du juge-commissaire. Faisons toutefois état d’une décision de la Cour de cassation rendue dans une situation voisine. Si le créancier convoqué ne se rend pas à la contestation, écrivant au juge-commissaire qu’il n’avait pas reçu le courrier de contestation envoyé à une mauvaise adresse, la cour d’appel qui, justement, ne déclare pas l’appel irrecevable, ne peut, pour confirmer l’ordonnance de rejet, se contenter de s’appuyer sur la non-comparution du créancier devant le juge-commissaire et sur le fait qu’il connaissait l’objet de la contestation. L’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel, qui doit en conséquence examiner les prétentions des parties (8). Quoi qu’il en soit, et pour éviter tout ennui, les créanciers attentifs retiendront cette leçon : ils s’exposent à ne pas participer aux répartitions et dividendes au seul motif qu’ils ne se présentent pas ou ne se font pas représenter à l’audience de contestation de créance devant le juge-commissaire. (4) Obs. B. Soinne : Rev. proc. coll. 1998, p. 63, n° 5. (5) Cass. com., 31 janv. 1995, n° 92-21490, NP : Rev. proc. coll. 1995, p. 285, n° 1, obs. B. Dureuil. Adde : CA Douai, 17 juin 1993 : Rev. proc. coll. 1995, p. 285, n° 1, obs. B. Dureuil. (6) Cass. com., 19 janv. 1993, n° 91-11462 : Bull. civ. IV, n° 16. (7) Cass. com., 31 janv. 1995, n° 92-21743 : Bull. civ. IV, n° 30. (8) Cass. com., 12 avr. 2005, n° 03-20801, NP. NDA : L’auteur adresse ses remerciements à Maître Alix Brenac pour la transmission de cette décision. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 71 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce IX. ACTIF (...) B. Revendications et restitutions Le jeu de l’arrêt du cours des intérêts à l’égard de la caution d’un prêt d’une durée supérieure à un an 254q7 1 L’essentiel Le cours des intérêts est arrêté à l’égard de la caution qui fait l’objet d’une procédure collective quelle que soit la durée du prêt garanti par elle. Cass. com., 8 sept. 2015, nos 14-14175 et 14-14188, Sté Groupe Caille SA c/ Banque de la Réunion et a., D (cassation partielle CA Saint-Denis de la Réunion, 20 nov. 2013), Mme Mouillard, prés. ; SCP Bénabent et Jéhannin et SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, av. P ar une série d’arrêts rendus le 8 septembre 2015, Emmanuelle la chambre commerciale de LE CORRE-BROLY la Cour de cassation a tranMaître de conférences ché l’importante question HDR à l’université de de savoir si l’ouverture de Nice Sophia Antipolis, la procédure collective de la codirecteur du master 2 Droit des difficultés caution entraîne l’arrêt du d’entreprise, membre du cours des intérêts à l’égard CERDP (EA 1201) du garant alors même que le cautionnement garantit un prêt d’une durée supérieure à un an. Note par En l’espèce, une société mère, placée en sauvegarde, s’était porté caution d’un prêt d’une durée supérieure à un an consenti par un établissement de crédit à l’une de ses filiales. Dans le cadre de la procédure collective touchant la société mère, la banque avait déclaré une créance comprenant des intérêts post-jugement d’ouverture. Les juges du fond avaient considéré que la caution, y compris si elle est soumise à une procédure collective, ne peut se prévaloir de l’arrêt du cours des intérêts dès lors que sa garantie est donnée pour un prêt d’une durée supérieure à une année. Ce faisant, les juges du fond avaient cru faire une parfaite application de l’article L. 622-28 du Code de commerce qui prévoit que « le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu’il ne s’agisse des intérêts résultant de contrats de prêts conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d’un paiement différé d’un an ou plus ». Cependant, il apparaît évident que, dans l’esprit du législateur, la règle qu’il éditait visait l’hypothèse dans laquelle le débiteur sous procédure collective était l’emprunteur lui-même. Dans le silence du texte, cette règle doit-elle également trouver à s’appliquer lorsque le débiteur sous procédure collective n’est pas l’emprunteur mais le garant ce dernier ? Là où le texte ne distingue pas y a-t-il cependant lieu à distinguer et ainsi scinder le sort de la caution sous procédure collective de celui de l’emprunteur sous procédure collective ? C’est en ce sens que se prononce de la façon la plus claire qui soit la chambre commerciale en jugeant que « le cours des intérêts est arrêté à l’égard de la caution qui fait l’objet d’une procédure collective quelle que soit la durée du prêt garanti ». Cette solution, qui pourrait peut-être surprendre de prime abord, doit cependant être approuvée sans réserve. Sa justification est patente : si le débiteur sous procédure collective est le garant, il n’est pas, à l’égard de la banque, débiteur au titre d’un contrat de prêt d’une durée supérieure ou égale à un an. Il se trouve en effet en situation de débiteur au titre de son contrat de garantie. Puisque le contrat dans les liens duquel la caution s’est engagée n’est pas un contrat de prêt d’une durée supérieure ou égale à un an mais un contrat de cautionnement, la garante ne peut donc pas être concernée par l’exception à la règle de l’arrêt du cours des intérêts posée à l’article L. 622-28 alinéa premier du Code de commerce. La solution est lourde de conséquences pour le créancier déclarant au passif de la caution de l’emprunteur : elle conduira le prêteur à ne déclarer, au titre des intérêts, que ceux qui auront couru au jour de l’ouverture de la procédure collective de la caution. Revente avec réserve de propriété d’un bien lui-même initialement vendu avec réserve de propriété : revendication en nature ou revendication du prix ? 254p8 1 L’essentiel En cas de revente avec réserve de propriété d’un bien lui-même initialement vendu avec réserve de propriété, seule une revendication du prix peut prospérer. Cass. com., 3 nov. 2015, no 13-26811, Mes A. et G. ès-qual. liquidateur judiciaire SAS Bois et chiffons Retail, F–PB (cassation partielle CA Pau, 25 sept. 2013), Mme Mouillard, prés. ; SCP Bénabent et Jéhannin, av. 72 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 L a chambre commerciale de la Cour de cassation Emmanuelle a, par arrêt du 3 novembre LE CORRE-BROLY 2015, rendu une intéressante décision en matière de revendication du vendeur réservataire de propriété. En l’espèce, l’acquéreur de marchandises vendues avec réserve de propriété les avait, avant même d’en avoir réglé le prix, revendues avec réserve de propriété à un sousacquéreur qui n’en avait pas davantage réglé le prix. Suite Note par G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e au placement en redressement judiciaire puis en liquidation de l’acquéreur initial, le vendeur initial réservataire de propriété a revendiqué les marchandises impayées ou, à défaut, leur prix. Faisant droit à la demande, les juges du fond ont ordonné la restitution des marchandises et, subsidiairement, le paiement du prix des marchandises revendues. Les liquidateurs se sont alors pourvus en cassation. Les liquidateurs reprochaient d’abord aux juges du fond d’avoir ordonné la restitution des marchandises en ayant, pour statuer ainsi, retenu qu’elles se retrouvaient en nature dans le patrimoine de l’acquéreur-revendeur à la date d’ouverture de sa procédure collective dès lors que le sous-acquéreur, qui n’en avait pas réglé le prix, ne les avait lui-même acquises qu’avec réserve de propriété et les détenait, en conséquence, pour le compte de l’acquéreur initial-revendeur. Sur ce point, les liquidateurs obtiennent la cassation partielle de l’arrêt d’appel car la chambre commerciale juge que le sous-acquéreur ne détenait pas des marchandises pour le compte de l’acquéreur-revendeur. Les hauts magistrats s’expriment en ces termes : « du seul fait de leur revente aux sousacquéreurs, ceux-ci ne pouvaient détenir à titre précaire des marchandises pour le compte de [l’acquéreur-revendeur sous procédure collective] ». Cette solution doit être approuvée sans réserve. En effet, si le bien est vendu (que ce soit avec ou sans réserve de propriété) par un vendeur qui n’en est pas le propriétaire à un acquéreur qui ignore qu’il acquiert un bien a non domino, l’acquéreur en est le possesseur de bonne foi et non le détenteur précaire. Il est protégé par les dispositions de l’article 2276 du Code civil. En l’espèce, il en résulte pour le vendeur initial que seule la revendication du prix de revente est envisageable et qu’en aucun cas ne peut être ordonnée la restitution des marchandises elles-mêmes. La cassation de l’arrêt d’appel qui avait ordonné la restitution des biens revendiqués s’imposait donc pour ce motif. Les liquidateurs reprochaient également à l’arrêt d’appel d’avoir subsidiairement accueilli la demande en revendication du prix de revente. Pour cela, ils soutenaient que lorsque le vendeur réservataire de propriété revendiquait la créance de prix, il lui appartenait de prouver que cette créance avait été payée en tout ou en partie par le sousacquéreur après le jugement d’ouverture de la procédure collective. Ainsi, dans l’esprit des liquidateurs, ne pouvait être revendiqué que le prix qui aurait été versé au revendeur après l’ouverture de sa procédure collective. C’était là faire une lecture erronée de l’article L. 624-18 du Code de commerce qui énonce que « peut être revendiqué le prix ou la partie du prix des biens visés à l’article L. 624-16 (qui vise notamment les biens vendus avec une clause de réserve de propriété) qui n’a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé entre le débiteur et l’acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure ». C’est ainsi ajouter au texte que de considérer que seul le prix ayant été versé entre les mains du débiteur postérieurement à l’ouverture de sa procédure peut faire l’objet d’une revendication. Pour que le vendeur initial puisse revendiquer le prix de revente, il suffit – mais il faut – que la créance de prix de revente n’ait pas été réglée au jour de l’ouverture de la procédure collective de l’acquéreur-revendeur. En l’espèce, les juges du fond avaient constaté que les sous-acquéreurs n’avaient jamais payé le prix des marchandises à l’acquéreur-revendeur sous procédure collective. En conséquence, la chambre commerciale juge que c’est à bon droit qu’avait été accueillie la demande en revendication du prix. Remarquons qu’au stade de la charge de la preuve, il appartient au mandataire qui souhaite résister à la demande en revendication du prix de revente de prouver que le paiement du prix a été effectué par le sous-acquéreur avant l’ouverture de la procédure collective du débiteur (1). Ce succès de l’action réelle en revendication du prix dans la procédure collective de l’acquéreur-vendeur permettra alors au revendiquant d’exercer une action personnelle en paiement de la créance du prix de revente contre le sous-acquéreur. La revendication par le vendeur initial de la créance du prix dans la procédure collective de l’acquéreur-revendeur constitue ainsi l’action réelle en revendication qui fonde l’action personnelle en paiement contre le sous-acquéreur, action dont dispose le vendeur initial suite au succès de son action en revendication de la créance de prix de revente (2). Ainsi, dès lors que la créance de prix de revente n’a pas été réglée à l’acquéreur-revendeur au jour du jugement d’ouverture de sa procédure, la revendication du prix de revente sera possible. Le revendiquant dont la demande aura été accueillie pourra alors exercer l’action personnelle en paiement contre le sous-acquéreur. Dans l’hypothèse où le sous-acquéreur aurait versé le prix postérieurement au jugement d’ouverture du débiteur revendeur, les sommes correspondantes payées par le sous-acquéreur postérieurement à l’ouverture de la procédure doivent être remises au créancier revendiquant par le liquidateur ou le mandataire (C. com., art. R. 64131, II, et R. 624-16), et ce, que le prix ait été payé par le sous-acquéreur avant ou après l’introduction de l’action en revendication du vendeur initial. (1) Cass. com., 30 mai 2006, n° 04-18076, F–D : Gaz. proc. coll. 2006/4, p. 32, note R. Bonhomme – Cass. com., 3 nov. 2015, n° 13-26811, F–PB. (2) Sur la mise en évidence de ces deux actions, v. Cass. com., 6 oct. 2009, n° 08-15048 : Bull. civ. IV, n° 122 ; D. 2009. AJ p. 2482, obs. A. Lienhard ; D. 2010, p. 1822, note F.-X. Lucas ; Gaz. Pal. 3 nov. 2009, p. 42, H5256, note F. Pérochon ; Act. proc. coll. 2009, comm. n° 283, note G. Blanc ; JCP E 2009, 2144, note S. Reifegerste ; JCP 2009, 566, note A.-S. Dallemagne ; JCP E 2010, 1011, spéc. n° 12, obs. M. Cabrillac ; Lexbase hebdo 22 oct. 2009, n° 368, note P.-M. Le Corre. V. F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, 2014, 10e éd., n° 1616. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 73 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce X. É TABLISSEMENTS DE CRÉDIT (...) B. Responsabilité des établissements de crédit Article L. 650-1 du Code de commerce : rien ne va plus ! 254r1 1 L’essentiel L’article L. 650-1 du Code de commerce s’applique, en raison de la généralité de ses termes, en cas de concours consentis au débiteur pour financer la création ou l’acquisition de son entreprise. Cass. com., 3 nov. 2015, n 14-10274 et 14-18433, M V. èsqual. liquidateur de la SELARL Pharmarcie Damm c/ LCL et a., F–D (irrecevabilité pourvoi c/ CA Aix-en-Provence, 7 nov. 2013), Mme Mouillard, prés. ; SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, Me Le Prado, SCP Richard, av. e os C et arrêt rendu sur le fondement de l’article Richard ROUTIER L. 650-1 du Code de comProfesseur à l’université merce ne manquera pas de de Strasbourg retenir l’attention, tant par la contrariété de sa solution sur certains points à celles classiquement retenues en matière de soutien abusif, que par l’excessive portée qu’il donne implicitement à cette disposition. Note par Une acquisition d’un fonds de commerce de pharmacie avait en l’espèce été signée au prix de 1 000 000 €, financée par une banque à hauteur de 785 000 € et garantie par la société Interfimo. La banque avait apporté ses concours au vu d'études de financement effectuées par la Sté Garinot conseil et sur les conseils de la Sté Opinvest. Mais moins de dix mois après la vente, l’acquéreur fit l'objet d'une procédure de sauvegarde. Le tribunal ordonna dans ce cadre une enquête qui conclut à une valorisation excessive du prix de cession et à l'insuffisance du dossier de financement. Le mandataire judiciaire assigna alors en responsabilité la banque et les sociétés Interfimo et Garinot conseil. Quelque temps plus tard, la procédure de sauvegarde fut convertie en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire. Les juges du fond déboutèrent le liquidateur au motif que « les dispositions de l’article L. 650-1 du Code de commerce [seraient] seules applicables à l’action en responsabilité dirigée contre les créanciers dispensateurs de crédits » et « que le régime dérogatoire de responsabilité institué par le texte visait tous les concours accordés au débiteur » et donc les concours finançant les créations ou acquisitions d’entreprises. Et le pourvoi qu’il forma ne devait pas davantage être accueilli. Pour les hauts magistrats, « l’article L. 650-1 du Code de commerce, qui énonce que, lorsqu’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires est ouverte à l’égard d’un débiteur, ses créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf dans les cas qu’il énumère, s’applique, en raison de la généralité de ses termes, en cas de concours consentis au débiteur pour financer la création ou l’acquisition de son entreprise ». Une telle décision, 74 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 rendue à propos de cet article L. 650-1 qui a fait déjà couler beaucoup trop d’encre, pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Certes, tous les crédits sont concernés par l’article L. 650-1, mais cette clé de jugement est trop générale pour fonder ici la solution. Elle semble entériner la motivation des juges du second degré qui n’était pas à l’abri de la critique. À tout le moins elle méritait d’être recadrée. Sur le premier point, les hauts magistrats semblent admettre implicitement l’assertion selon laquelle l’article L. 650-1 du Code de commerce serait exclusif de toute autre action en responsabilité dirigée contre les créanciers dispensateurs de crédit. Rien n’est moins vrai : l’article L. 650-1 ne concerne que la responsabilité pour soutien abusif, mais certainement pas les autres chefs de responsabilité qui peuvent toujours fonder une action contre le banquier. Il suffit de lire les travaux préparatoires de la loi de sauvegarde pour s’en convaincre. Sur le second point, il nous paraît dangereux de faire l’amalgame entre les créations et les acquisitions d’entreprises. En matière de création, la jurisprudence est en effet suffisamment établie pour considérer que la circonstance que le crédit ait été accordé à une entreprise, avant toute activité et pour en permettre le démarrage n’est pas de nature à lui seul à caractériser la faute de la banque ; sauf à démontrer le caractère irréaliste des engagements (Cass. com., 22 mars 2005, n° 02-20678 : Bull. civ. IV, n° 68). Un soutien in limine peut aussi difficilement être abusif puisque la décision du banquier se fonde sur des documents prévisionnels, qui, par nature, comportent de nombreuses variables. On ne saurait reprocher non plus à une banque d’avoir maintenu artificiellement une activité déficitaire par octroi de concours injustifiés et d’avoir ainsi retardé l’ouverture de la procédure collective lorsque l’activité n’a précisément pas encore commencé. En matière d’acquisition, où existe en revanche une antériorité de l’activité, comme dans l’espèce qui nous préoccupe, la responsabilité du banquier devrait plus facilement être admise pour son financement fautif. Mais encore faudrait-il, s’agissant d’une entreprise faisant l’objet d’une procédure collective, que toutes les conditions de l’article L. 650-1 soient remplies. Ce qui n’était pas assuré en l’espèce. En effet, compte tenu de la présence de deux sociétés de conseil, le banquier n’était pas nécessairement fautif en étant fondé, au moment de l’octroi des concours, à se fier aux études qui lui étaient présentées. Il a déjà été jugé en effet que la banque peut s’en tenir à l’apparence créée par les documents qui lui sont remis si elle n’a pas de raisons de douter de la bonne santé financière du bénéficiaire de son concours (Cass. com., 24 sept. 2002, n° 00-10063). Pour parvenir au même résultat d’une exonération du banquier, il n’était donc nul besoin, pour la Cour, de donner – ou laisser les juges du second degré donner – une portée à l’article L. 650-1 que le législateur n’a manifestement pas voulu lui accorder. G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e XI. S ITUATION DES SALARIÉS Résolution du plan de sauvegarde, ouverture de la liquidation judiciaire et garantie de l’AGS 254p4 1 L’essentiel La garantie prévue par le 1° de l’article L. 3253-8 du Code du travail ne dépend que de la seule ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire sans qu’il y ait lieu d’établir une distinction entre les diverses causes d’ouverture de cette procédure. Cass. soc., 22 sept. 2015, no 14-17837, M. L. c/ Me C. ès-qual. liquidateur judiciaire Sté Advice Technologies, AGS CGEA, FS–PB (cassation partielle CA Lyon, 28 mars 2014), M. Frouin, prés. ; SCP De Nervo et Poupet, av. : Act. proc. coll. 2015/17, alerte 273, note L. Fin-langer ; LEDEN nov. 2015, p. 7, n° 164, note G. Dedessus-Le-Moustier ; JCP S 2015, n° 1462, note G. Duchange L a chambre sociale de la Cour de cassation Christine GAILHBAUD tranche, pour la première Avocat au barreau fois (1) à notre connaissance, de Grasse, maître de une question relative à la conférences à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, garantie de l’AGS en cas de membre du CERDP résolution du plan de sauve(EA 1201) garde et d’ouverture d’une liquidation judiciaire. Au visa de l’article L. 3253–8, 1°, du Code du travail, la Cour confirme la garantie de l’AGS pour les créances du salarié antérieures au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, ayant également prononcé la résolution du plan de sauvegarde. Note par En l’espèce, le salarié d’une société, en période d’observation à la suite de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, a pris acte de la rupture de son contrat de travail avant de saisir le conseil de prud’hommes. Au cours du contentieux prud’homal, un jugement a arrêté un plan de sauvegarde dont l’exécution a démarré. Moins d’un an après l’arrêté du plan de sauvegarde, le tribunal de commerce a rendu un jugement prononçant la résolution du plan de sauvegarde et ouvrant une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la société. L’arrêt attaqué (2) a fixé certaines créances du salarié au passif de la liquidation judiciaire de la société et a limité la garantie de l’AGS aux seules créances de rappels de salaire, commissions et congés payés, aux motifs que ces créances existaient au jour de l’ouverture de la liquidation judiciaire tout en estimant que les créances liées à la rupture intervenue en période d’observation de la sauvegarde, n’étant pas attachées à un licenciement économique, ne pouvaient être garanties par l’AGS. Saisie du pourvoi du salarié fondé sur les conditions de prise en charge par l’AGS de l’article L. 3253-8, 1°, du (1) Concernant la résolution d’un plan de continuation suivie de l’ouverture d’une liquidation judiciaire : Cass. soc., 13 mai 2009, n° 07-45356. (2) CA Lyon, 28 mars 2014, n° 13/3194. Code du travail, la Cour de cassation ne pouvait que casser, sur ce point, la décision attaquée, en rappelant les termes clairs du texte : les sommes dues au salarié à la date du jugement d’ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire sont couvertes par la garantie de l’AGS. La solution s’imposait. Le tribunal, qui prononce la résolution judiciaire du plan de sauvegarde et place le débiteur en procédure collective dans le même jugement, ouvre une nouvelle procédure collective. En l’espèce, la concomitance de la résolution du plan et de l’ouverture de la liquidation judiciaire suggère le recours aux dispositions de l’article L. 626–27, I, aliéna 3, du Code de commerce imposant au tribunal de prononcer la résolution du plan de sauvegarde en cas de cessation des paiements et d’ouvrir aussitôt un redressement ou une liquidation judiciaire selon le cas. Depuis le décret d’application de la réforme de 2008 (3), le terme « ouvre » a remplacé le terme « prononce » le redressement ou la liquidation judiciaire dans le texte (4) relatif au jugement portant sur la résolution du plan de sauvegarde (5). Il s’agit donc bien d’un jugement d’ouverture tel que le prévoit le 1° de l’article L. 3253-8 du Code du travail. Le principe de la garantie de l’AGS pourrait ainsi s’énoncer simplement. En ajoutant « sans qu’il y ait lieu d’établir une distinction entre les diverses causes d’ouverture de cette procédure », la chambre sociale conduit à s’interroger sur le sens et la portée de cette mention. S’il s’agit de ne pas distinguer selon que l’ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire est consécutive au cas de résolution facultative du plan de sauvegarde ou au cas de résolution obligatoire du plan, cette formulation serait parfaitement cohérente. Dans l’un comme dans l’autre cas, la cessation des paiements a précédé l’ouverture de la procédure collective, soit qu’elle ait été la cause de la résolution du plan soit qu’elle l’ait suivie. C’est l’emploi de la même formulation que dans la situation de conversion de la procédure de sauvegarde en redressement judiciaire qui surprend. Dans un arrêt rendu le 21 janvier 2014 (6), la même chambre avait retenu la garantie de l’AGS pour des créances salariales antérieures à l’ouverture d’une procédure de sauvegarde convertie en redressement judiciaire, dans les termes suivants : « dès lors que la créance du salarié est née avant le jugement de (3) D. n° 2009-160 du 12 févr. 2009, pris en application de l’ord. n° 2008-1345 du 18 déc. 2008. (4) C. com., art. R. 626-48, al. 2. (5) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives 2015-2016, Dalloz, coll. Dalloz Action, 2014, 8e éd., n° 524.31. (6) Cass. soc., 21 janv. 2014, n° 12-18421 : Bull. civ. V, n° 25 ; D. 2014, p. 270, obs. A. Lienhard ; Rev. proc. coll., 2014, comm. n° 55, note D. Jacotot ; JCP E 2014, 1173 ; JCP E 2014, 636, spéc. n° 8, obs. P. Pétel ; Act. proc. coll., 2014, comm. n° 45, note L. Fin-Langer ; BJE mai 2014, p. 165, n° 111f2, note L. Driguez ; Gaz. Pal. 1er juil. 2014, p. 36, n° 184w8, note C. Gailhbaud. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 75 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce redressement judiciaire et que la garantie prévue par le 1° de l’article L. 3253-8 du Code du travail ne dépend que de la seule ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, sans qu’il y ait lieu d’établir de distinction entre les diverses causes d’ouverture de cette procédure ». L’emploi erroné des termes « avant le jugement de redressement judiciaire » et l’identité de la formule employée, « sans qu’il y ait lieu d’établir de distinction entre les diverses causes d’ouverture de cette procédure » laissent craindre qu’il ne soit pas distingué entre l’ouverture d’une procédure collective et la conversion de la procédure collective déjà ouverte (7). « Conversion n’est pas ouverture » (8). La chambre sociale a déjà eu l’occasion d’articuler créances salariales et ouverture d’une seconde procédure collective en cas de résolution d’un plan de continuation, en faisant clairement application des conséquences attachées à un jugement d’ouverture : « la résolution du plan de redressement entraîne l’ouverture d’une nouvelle procédure collective, de sorte que les créances de la période d’observation de la précédente procédure collective, clôturée par la continuation de l’entreprise, ont leur origine antérieurement au jugement d’ouverture de la seconde » (9). Tel ne pourrait être le cas de la conversion de la procédure collective. La conversion assure la continuité de la même (7) Sur cet arrêt : v. F. Pérochon, Entreprises en difficultés, LGDJ, 2014, 10e éd., n° 1316 ; P.-M. Le Corre, op. cit., n° 693.11. (8) P.-M. Le Corre, op. cit., n° 223.65. (9) Cass. soc., 13 mai 2009, préc. procédure collective (10). Il ne s’agit alors que de la même procédure, ouverte antérieurement, qui se poursuit. Une même procédure collective ne peut faire l’objet que d’un seul jugement d’ouverture à l’égard du même débiteur. On ne peut, dès lors, pas faire jouer les effets d’un jugement d’ouverture (11) à un jugement de conversion (12). Or, seul le jugement d’ouverture est visé au 1° de l’article L. 3253-8 du Code du travail. Inutile de rajouter « au malheur » de l’AGS en nommant mal les choses (13). (10) P.-M. Le Corre, op. cit., n° 223.65. (11) Arrêt des poursuites individuelles, interdiction des paiements, vérification des créances, demandes en revendication et restitution par les propriétaires de meubles… (12) P. Pétel, « L’AGS et la réforme des procédures collectives » : RJ com. 2006, p. 174 ; T. Méteyé, « L’intervention de l’AGS dans les procédures de sauvegarde » : Gaz. Pal. 18 juill. 2006, p. 3, n° G1661 ; A. Arseguel et T. Méteyé, « Les aspects sociaux de la procédure de sauvegarde » : Rev. proc. coll. 2008, dossier n° 10 ; C. Gailhbaud, « L’AGS dans la procédure de sauvegarde » : LPA 28 nov. 2008, p. 3. (13) Emprunt à A. Camus, « Sur une philosophie de l’expression », in Œuvres complètes, éd. Gallimard, La Pléiade, 2006, t. I, p. 908 : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », concernant les travaux de B. Parain sur le langage. La date d’effet de la résiliation judiciaire du contrat de travail ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce 254p3 1 L’essentiel La liquidation judiciaire n’a pas en elle-même pour effet de mettre fin au contrat de travail. La résiliation du contrat de travail ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce. Cass. soc., 26 nov. 2015, no 14-19263, AGS c/ M. X et Me Y. ès qual. liquidateur, F–D (cassation partielle CA Toulouse, 10 avr. 2014), M. Lacabarats, prés. ; SCP Boré-Salve de Bruneton et Piwnica, av. L ’instance prud’homale peut être l’occasion d’asPhilippe DUPRAT sister à l’affrontement du Avocat au barreau droit du travail et du droit de Bordeaux, ancien des procédures collecbâtonnier, chargé d’enseignement à tives. La confrontation met l’université de Bordeaux souvent en exergue des positions parfois inconciliables car chaque matière a sa logique propre. Il est alors du rôle régulateur de la Cour de cassation de réduire autant qu’elle le peut les antagonismes. Note par L’arrêt sous examen en donne une parfaite illustration. 76 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 Un salarié engagé en octobre 2008 cesse d’être réglé de son salaire à compter du mois de septembre 2009. Le 19 janvier 2010, la société employeur est mise en redressement judiciaire, ultérieurement converti en liquidation judiciaire le 23 mars 2010. Alors que les premiers juges avaient prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 4 juillet 2012, la cour d’appel, par voie de réformation, fixe la date de la résiliation au 23 mars 2010, motif pris que la liquidation judiciaire aurait pour effet de faire cesser définitivement l’activité de la société. La Cour de cassation, sur pourvoi de l’AGS, tenue, en l’état des énonciations de l’arrêt déféré, de garantir les créances salariales résultant de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur, casse l’arrêt. La décision doit être approuvée. La cour d’appel avait commis plusieurs erreurs de droit. D’abord, en jugeant que la liquidation judiciaire entraîne automatiquement la rupture du contrat de travail. Si l’on peut en effet admettre qu’il est probable que la liquidation judiciaire qui traduit un état de déliquescence économique du débiteur tel que celui-ci n’a pas d’autre perspective que G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e de devoir arrêter son activité, il n’est cependant pas acquis que cela est toujours le cas. signalera toutefois que des droits étrangers adoptent une position parfois différente (2). Le droit des procédures collectives admet parfaitement que la liquidation judiciaire puisse être assortie d’une poursuite d’activité si cela est nécessaire à une meilleure réalisation des actifs du débiteur. L’hypothèse est expressément prévue par les dispositions de l’article L. 641-10 du Code de commerce, pour une durée maximale de trois mois, éventuellement renouvelable une fois, à la demande du ministère public (C. com., art. R. 641-18). La deuxième erreur de droit avait consisté, dans le cadre d’une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail, à fixer la date de la rupture à une date différente, et en l’occurrence, antérieure à celle de la décision prononçant ladite résiliation. Or, la Cour de cassation énonce régulièrement que « la date d’effet de la résiliation ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce » (3). Pour avoir décidé le contraire, l’arrêt ne pouvait qu’être cassé. La liquidation judiciaire n’entraîne donc pas ipso facto cessation définitive de l’activité. C’est probable mais pas automatique. Les contrats de travail en cours se poursuivent sauf mise en œuvre de la procédure de licenciement économique. Pour autant, en disant que le contrat avait été rompu au jour de la liquidation judiciaire, la cour avait un mobile louable. Elle voulait faire bénéficier le salarié de la garantie de l’AGS. L’on sait en effet qu’en cas de liquidation judiciaire la garantie de l’AGS opère selon les dispositions de l’article L. 3253-8, 5°, b) du Code du travail, c’est-àdire dans les quinze jours de la liquidation judiciaire ou éventuellement les vingt-et-un jours, lorsqu’un PSE est élaboré. À défaut, la garantie de l’AGS n’est pas acquise. En effet, le Code du travail, complété par la jurisprudence, admet un nombre limité de modes de rupture du contrat de travail. À l’initiative du salarié, le contrat de travail sera rompu par la démission, la prise d’acte ou encore par l’effet d’une décision prononçant la résiliation judiciaire. À l’initiative de l’employeur, c’est uniquement le licenciement qui entraîne la rupture du contrat de travail. Le départ en retraite opérera à l’initiative de l’une ou de l’autre des deux parties selon que le salarié part volontairement ou que, passé l’âge de 65 ans, l’employeur l’y met d’office. Cependant, la liquidation judiciaire est sans effet sur le contrat de travail. L’actuel article L. 641-11-1, VI, du Code de commerce le rappelle. La Cour de cassation l’a jugé depuis longtemps (1). Elle le rappelle ici à juste titre. On (1) Cass. soc., 18 nov. 1992, n° 91-43960 : RJS 1/93, n° 38. La tentation devient alors grande, pour sauvegarder les droits du salarié dont la demande en résiliation est fondée, de retenir une date de rupture du contrat qui puisse lui permettre de bénéficier en cas de procédure collective de son employeur de la garantie de l’AGS. La cour a peutêtre voulu éviter au salarié de subir les conséquences d’un choix procédural devenu inadapté à raison de la procédure collective de son employeur. L’intention est louable mais la décision juridiquement injustifiée. (2) Art. 113 du Code allemand de l’insolvabilité ; article L. 125-1 du Code du travail du Grand-Duché de Luxembourg. (3) Cass. soc. 14 oct. 2009, n° 07-45257 – Cass. soc., 31 oct. 2013, n° 12-16981. (...) XIII. SANCTIONS (...) B. Sanctions pénales Conformité de la faillite personnelle au principe de la nécessité des peines 254r0 1 L’essentiel La question prioritaire de constitutionnalité relative au caractère automatique de l’interdiction de diriger toutes entreprises en cas de prononcé de la sanction de la faillite personnelle en application de l’article L. 653-2 du Code de commerce, n’est ni nouvelle, ni sérieuse. Cass. com., 1er juill. 2015, no 15-40014, Min. publ. c/ M. X, F–D (QPC seule, non-lieu à renvoi au Cons. const. de T. com. Nantes, 26 mars 2015), M. Mouillard, prés. O n sait que la faillite personnelle et l’interdiction Corinne ROBACZEWSKI de gérer présentent la parMaître de conférences à la ticularité d’être à la fois les faculté de droit de Douai, sanctions professionnelles membre du centre Droit, éthique et procédures, qui peuvent s’appliquer, en université d’Artois cas de redressement ou de liquidation judiciaires, aux dirigeants fautifs (C. com., art. L. 653-3 à 6), et des peines complémentaires pour ces mêmes dirigeants reconnus coupables de banqueroute (pour autant qu’ils n’aient pas déjà été définitivement condamnés par une juridiction non pénale : C. com., art. L. 654-6). Mais au-delà de cette double fonction, les deux sanctions peuvent être délicates Note par G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 77 G a ze tte Spé ci a li s é e Jurisp rud e n ce à distinguer dans leurs effets. En application de l’article L. 653-2 du Code de commerce, la faillite personnelle « emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale » ; et ce, pour la durée fixée par le tribunal. Quant à l’interdiction de gérer, elle est précisément, et aux termes de l’article L. 653-8 du Code de commerce, « l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci », pour une durée également fixée par le tribunal. De la comparaison de ces deux textes, il apparaît tout d’abord, que la différence essentielle entre les deux sanctions réside dans le fait que l’interdiction de gérer donne la possibilité de « doser » plus spécifiquement la portée l’interdit que la faillite personnelle. Mais il résulte aussi de cette comparaison que l’interdiction de gérer se trouve en quelque sorte englobée dans la définition même de la faillite personnelle, qui consiste en cette interdiction dont elle est l’effet principal. Faut-il en déduire une atteinte au principe de la nécessité des peines, pour considérer l’interdiction de gérer comme une sanction automatique, découlant de plein droit, et surtout sans possibilité d’individualisation, du prononcé d’une faillite personnelle ? La chambre commerciale de la Cour de cassation n’est pas de cet avis. S’opposant à la transmission d’une question de constitutionnalité, de nature à confronter l’article L. 653-2 au principe de la nécessité des peines, la haute juridiction considère que « sous le couvert d’une contestation du caractère automatique de l’interdiction de diriger toute entreprise qui est attachée à la faillite personnelle, la question entend remettre en cause la définition même de cette mesure, la faillite personnelle consistant en cette interdiction dont elle est l’effet principal, et méconnaît à la fois le caractère facultatif de son prononcé pour le juge, même si les conditions en sont réunies, et la possibilité, prévue par l’article L. 653-8 du Code de commerce, de lui substituer une simple mesure d’interdiction de gérer ne s’appliquant qu’à la direction de certaines entreprises ». Elle en déduit que la question ne présente pas de caractère sérieux. Réparation du préjudice résultant de la banqueroute par comptabilité incomplète et irrégulière 254p7 1 L’essentiel Dans le cadre d’une poursuite pour délit de banqueroute par comptabilité incomplète ou irrégulière, le liquidateur est recevable à demander réparation à hauteur du montant des dettes accumulées par la société, lorsque la carence comptable du prévenu a retardé durablement le constat de la cessation des paiements et ainsi aggravé le montant du passif social. Cass. crim., 8 juill. 2015, no 14-84075, Min. pub. c/ Michelle X, F–D (rejet pourvoi c/ CA Lyon, 12 mars 2014), M. Guérin, prés. ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, av. S i nous avons pu nous interroger dans de préCorinne ROBACZEWSKI cédentes chroniques sur la recevabilité de la constitution de partie civile, en raison de la qualité de demandeur, celle-ci ne faisait aucune difficulté dans l’arrêt rapporté. Le liquidateur appartient à la liste des personnes pouvant saisir la juridiction répressive, en application de l’article L. 654-17 du Code de commerce, d’une constitution de partie civile dans le cadre d’une poursuite du chef de banqueroute. Note par Mais l’arrêt du 8 juillet 2015 présente un tout autre intérêt : celui de l’évaluation du montant du dommage subi par la partie civile. En effet, la chambre criminelle considère ici que les juges du fond ont pu apprécier souverainement qu’en raison de l’absence d’une comptabilité complète et régulière, le constat de la cessation des paiements a été durablement retardé et qu’ainsi, le passif social s’est trouvé aggravé. C’est donc à hauteur du montant des dettes accumulées que la réparation peut être fixée. 78 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 Conformément au principe de la réparation intégrale, il ne fait pas de doute que le montant de l’indemnisation doit compenser tout le dommage, la victime devant être replacée dans l’état où elle se trouvait avant sa réalisation. Mais dans le cadre d’une banqueroute par comptabilité incomplète ou irrégulière, cette indemnisation peut-elle correspondre à l’intégralité du passif social ? Admettre cette solution suppose de considérer que ce passif découle directement du délit. En effet, selon l’article 2 du Code de procédure pénale, « l’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». En l’espèce, les irrégularités comptables commises par le dirigeant constituent-elles la cause directe de l’intégralité du passif de la société ? C’est ce qu’affirme la Cour de cassation puisqu’il résulte, selon elle, des constatations des juges du fond que « le dommage subi par la partie civile découle directement du délit de banqueroute ». Ainsi la faute de comptabilité, constitutive du délit de banqueroute, peut conduire à faire supporter la totalité des dettes sociales au dirigeant condamné, sans qu’il soit nécessaire de vérifier s’il n’existe pas d’autres causes à ces dettes (1). Un tel raisonnement pourrait être de nature à réduire l’intérêt d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif. On sait que cette dernière, ayant un objet différent (1) À propos de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, le même raisonnement consiste à considérer que le dirigeant peut être condamné à supporter la totalité des dettes sociales même si la faute de gestion qu’il a commise n’est que l’une des causes de l’insuffisance d’actif (Cass. com., 30 nov. 1993, n° 91-20554 : Bull. civ. IV, n° 440 ; BJS avr. 1994, p. 410, n° 122, note P. Pétel – Cass. com., 17 févr. 1998, n° 95-18510 : Bull. civ. IV, n° 78 ; BJS juin 1998, p. 644, n° 215, note J.-J. Daigre). G a z e tte Sp é cia lisée J u r i s p r u de n c e de l’action en réparation du dommage, peut s’exercer concurremment à une constitution de partie civile devant les juridictions pénales. Mais en aucun cas l’ouverture des deux voies ne peut aboutir à un cumul de condamnations. Récemment, la chambre criminelle a considéré que les montants obtenus dans le cadre d’une action en comblement de passif doivent nécessairement s’imputer sur la condamnation à réparation civile (2). L’arrêt rapporté met à nouveau en exergue les rapports ténus entre les cas de sanction personnelle des dirigeants de sociétés en redressement ou liquidation judiciaire et ceux constitutifs du délit de banqueroute. 253z2 (2) Cass. crim., 11 mars 2015, n° 13-86155 : Gaz. Pal. 5 mai 2015, p. 46, n° 224e5, note C. Robaczewski. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 79 G a ze tte Spé ci a li s é e Te chni qu e 254q1 ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ Les conditions de l’extension de procédure collective 254q1 Dix questions-réponses L’essentiel Depuis plusieurs décennies, la Cour de cassation affine les conditions de l’extension de procédure, mécanisme prétorien que la loi de sauvegarde n’a consacré qu’en son principe. Au regard de certaines pratiques, un rapide rappel des exigences en la matière peut s’avérer utile. I ndéniablement, l’extension de procédure est un mécanisme remarquable. De son originalité, ce « grand classique des prétoires » (1) tire sans aucun doute sa popularité. Celle-ci peut cependant laisser perplexe lorsque l’on considère le caractère hautement dérogatoire et les effets poÉtude par tentiellement dévastateurs Florence REILLE de cette « institution », certes Maître de conférences propre au droit des entreà l’université de Toulon, prises en difficulté, mais qui membre du CDPC Jean-Claude Escarras heurte, en réalité, jusqu’à (UMR-CNRS 7318) la très civiliste théorie du patrimoine. D’autant que la popularité dont jouit l’extension ne va pas toujours avec une parfaite maîtrise ou un parfait respect du mécanisme, de ses conditions d’application, comme de ses conséquences. Sans prétendre à l’exhaustivité, les dix questions-réponses présentées dans cette rubrique technique de la Gazette du Palais proposent de rappeler synthétiquement les principales interrogations soulevées par les conditions de l’extension, et les principales réponses qui y sont apportées en droit positif, ou qui pourraient être envisagées (2). consécration de principe puisque, ne disant rien de plus de l’extension que ce qui en constitue les deux seules causes possibles (5), elle renvoie pour tout le reste à ce qu’en décident ou ce qu’en décideront les juges. Si l’ordonnance du 18 décembre 2008 (6), celle du 12 mars 2014 (7), leurs décrets d’application (8) et, plus marginalement, la loi du 12 mars 2012 (9) ont précisé, voire innové, en matière d’extension, il faut remarquer qu’à ce jour, l’essentiel du dispositif reste d’origine jurisprudentielle. C’est donc, aujourd’hui comme hier, très essentiellement dans l’étude de la jurisprudence que le praticien trouvera les réponses aux questions qu’il se pose sur l’extension. Il se référera tout de même utilement aux articles L. 621-2, alinéa 2 (10) et R. 621-8-1 (11) du Code de commerce, ainsi qu’à l’article R. 641-7 du même code (uniquement pour la liquidation judiciaire), qui règlent un certain nombre de questions importantes. 2. Quelles procédures peuvent être étendues ? L’extension vise à attraire un tiers et, à travers lui, l’intégralité de son patrimoine, à la procédure d’un débiteur initial, aux fins, dans le cadre de cette procédure, de traiter ces patrimoines comme s’ils n’en constituaient qu’un seul. À ce titre, l’extension ne peut avoir de sens qu’appliquée aux procédures qui appréhendent le patrimoine des débiteurs, c’est-à-dire les procédures collectives. L’extension de procédure collective est l’un des plus beaux exemples du pouvoir créateur de la jurisprudence. Inaugurée, selon toute vraisemblance, par un arrêt du 29 juin 1908 (3), lentement affinée au cours du XXe siècle par les juges, avant d’être l’objet d’une véritable doctrine jurisprudentielle élaborée par la Cour de cassation à partir des années 1990, ce n’est qu’en 2005, à l’occasion de la loi de sauvegarde (4), que la loi consacrera expressément le mécanisme. Elle se contentera cependant d’une Il ne saurait être question d’appliquer l’extension de procédure aux procédures amiables de traitement des difficultés des entreprises : le mandat ad hoc, comme la conciliation, sont donc exclus du champ d’une mesure d’extension. À ce titre encore, il ne devrait pas être question de procéder à une extension dans le cadre d’un rétablissement professionnel, qui n’est pas une procédure collective. Si des signes de confusion patrimoniale sont détectés en cours de rétablissement professionnel, sans doute conviendrait-il de « basculer » en procédure de liquidation judiciaire. La chose peut cependant s’avérer délicate, au regard des motifs de « basculement » énoncés par l’article L. 145-9 du Code de commerce, qui cadrent NDA : Indiquons aux lecteurs qu’une prochaine étude « Technique » sera consacrée aux effets de l’extension de procédure. (1) P. Pétel, « La vie après la confusion des patrimoines », in Mélanges P. Merle, Dalloz, 2012, p. 577 et s. (2) Nous nous limiterons à l’extension classique, en mettant de côté les aspects propres à la réunion des patrimoines d’un EIRL visée par l’article L. 621-2, al. 3, du Code de commerce. (3) Cass. ch. req., 29 juin 1908 : DP 1910, I, p. 233, note Percerou. (4) L. n° 2005-845, 26 juill. 2005, art 15. (5) V. infra. (6) Ord. n° 2008-1345, 18 déc. 2008, art. 13. (7) Ord. n° 2014-326, 12 mars 2014, art. 16. (8) D. n° 2009-160, 12 févr. 2009, art. 16 et D. n° 2014-736, 30 juin 2014, art. 34. (9) L. n° 2012-346, 12 mars 2012 (dite loi Pétroplus), art. 1. (10) Applicable en redressement et liquidation judiciaires par renvoi des articles L. 631-7 et L. 641-1 du même code. (11) Applicable en redressement par renvoi de l’article R. 631-7 du même code. Applicable en ses trois premiers alinéas à la liquidation judiciaire par renvoi de l’article R. 641-1. 1. Quelle est la source du mécanisme d’extension de procédure ? 80 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 G a z e tte Sp é cia lisée Technique mal avec l’extension, laquelle n’est pas une sanction, reste largement étrangère à la notion de bonne ou de mauvaise foi, et ne s’apparente, ni de près, ni de loin, aux nullités de la période suspecte. Parmi les procédures collectives traditionnelles, il n’y a pas lieu de faire de distinction. Les textes sont clairs sur ce point : la sauvegarde, comme le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire, sont susceptibles d’extension. Si l’extension de ces deux dernières procédures ne suscite pas de discussion, il n’en est pas allé de même de la procédure de sauvegarde, dont certains ont considéré, dès l’adoption de la réforme de 2005, que son caractère volontaire et sa nature de procédure d’anticipation cadraient mal avec l’application d’une mesure aussi radicale (12). Force est cependant de constater que ces voix n’ont pas été entendues. Elles ne l’ont pas été par le législateur de 2005 qui a, au contraire, pris soin de consacrer l’extension dans un texte régissant précisément la sauvegarde et applicable aux autres procédures par « simple » renvoi de textes. Elles ne l’ont pas été au moment de l’adoption de la réforme de 2008, alors même que le débat restait ouvert sur le sujet (13). Parce que les textes propres à la sauvegarde accélérée et à la procédure de sauvegarde financière accélérée (14) ne dérogent pas à l’article L. 621-2, alinéa 2, du Code de commerce, il y a lieu de considérer qu’il n’y a pas d’obstacle, en théorie du moins, au prononcé d’une mesure d’extension. En pratique, cependant, il faut reconnaître qu’une telle mesure est assez peu adaptée à la stratégie que portent les sauvegardes accélérées, comme elle est assez peu compatible avec les délais qui sont les leurs. Notons enfin que la Cour de cassation penche pour une limitation du mécanisme d’extension aux seules procédures du livre VI du Code de commerce. Ainsi a-t-elle pu juger, dans le contexte particulier d’une liquidation judiciaire « Code de commerce » faisant suite à une liquidation judiciaire spéciale régie par le Code des assurances, que l’extension n’était envisageable que dans le cadre de la seconde de ces procédures (15). 3. Quelles sont les conditions de la soumission à une procédure collective par extension ? Au fil des décennies, la jurisprudence a clairement dégagé deux causes d’extension de procédure que sont la fictivité d’une personne morale et la confusion des patrimoines. Le livre VI du Code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde, a très clairement consacré la ferme position de la jurisprudence sur ce point. Ces causes d’extension sont alternatives et exclusives de toute autre. La rédaction même de l’article L. 621-2 du (12) Not. F.-X. Lucas, « Le sort du débiteur » : LPA 14 juin 2007, p. 60. (13) Not. M.-H. Monsérié-Bon et C. Thévenot, « Comment améliorer la procédure de sauvegarde ? » : Rev. proc. coll. 2008, dossier n° 6. (14) Et pour cette dernière, tant dans sa version issue de la loi du 22 octobre 2010 que dans celle issue de celle du 12 mars 2014. (15) Cass. com., 26 janv. 2010, n° 08-70369 : Bull. civ. IV, n° 16 ; D. 2010, p. 438 ; LEDEN mars 2010, p. 3, obs. I. Parachkévova ; Gaz. Pal. 17 avr. 2010, p. 18, n° I1264, note F. Reille. Code de commerce est sans ambiguïté, tant sur le premier de ces caractères que sur le second. “ La jurisprudence a clairement dégagé deux causes d’extension de procédure que sont la fictivité d’une personne morale et la confusion des patrimoines ” L’exclusivité des causes d’extension appelle deux remarques de grande importance pratique. La première est que toute autre cause de soumission à une procédure unique par le jeu d’une extension, ou d’une ouverture de procédure commune ab initio, doit être exclue. Aussi ne doit-on pas s’étonner, comme le relève le professeur Pierre-Michel Le Corre (16), que les pratiques conduisant les juges du fond à placer deux personnes (ou plus) sous une procédure commune, sans avoir préalablement caractérisé une confusion des patrimoines ou une fictivité, soient systématiquement censurées par la Cour de cassation (17). La seconde est que ces conditions de l’extension que sont la confusion des patrimoines et la fictivité, doivent être entendues comme évinçant les conditions classiques de soumission à la procédure collective. C’est ainsi que la Cour de cassation considère légitime que l’extension puisse être prononcée à l’égard d’une personne qui ne serait ordinairement pas éligible aux procédures collectives, soit qu’elle n’ait pas la qualité requise, soit qu’elle ne soit pas dans la situation requise, pourvu qu’une confusion des patrimoines ou une fictivité soit établie (18). Il n’en va différemment que lorsqu’est envisagée l’extension d’une procédure collective ouverte en France, à une entreprise d’un autre État européen. La CJUE (19), suivie en cela par la Cour de cassation (20), a en effet décidé qu’en ce cas, l’extension n’est possible que dans la mesure où sont remplies les conditions ordinaires d’ouverture, en France et par le juge français, d’une procédure à l’entreprise étrangère selon le règlement européen relatif aux procédures d’insolvabilité. Terminons en constatant que, depuis quelque temps déjà, le recours à la fictivité de la personne morale pour fonder une demande d’extension et son prononcé s’est nettement raréfié. Aujourd’hui, la confusion patrimoniale est, de très loin, la première cause d’extension de procédure. C’est donc autour de cette notion de confusion patrimoniale que s’articule le mécanisme d’extension tel que nous le connaissons actuellement. (16) P.-M. le Corre, « Halte à la jonction de procédures avec poursuites sous patrimoine commun » : Gaz. Pal. 5 mai 2015, p. 3, n° 224k4. (17) V. récemment Cass. com., 16 déc. 2014, n° 13-24161, PB : BJE janv. 2015, p. 83, n° 112a0, note T. Favario ; D. 2015, p. 1970, obs. P.-M. le Corre. (18) V. Cass. com., 15 juin 1971, n° 70-10334 : Bull. civ. IV, n° 171 ; RTD com. 1972, p. 484, n° 16, obs. R. Houin – Cass. com., 26 mars 1985, n° 82-16002 : Bull. civ. IV, n° 108. (19) CJUE, 1re ch., 15 déc. 2011, n° C-191/10. Parmi les nombreux commentaires, not D. 2012, p. 403, note J.-L. Vallens ; JCP E 2012, 1227, obs. P. Pétel. (20) Cass. com., 10 mai 2012, n° 09-12642, FS–PB. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 81 G a ze tte Spé ci a li s é e Te chni qu e 4. Quelles circonstances caractérisent une confusion des patrimoines, cause principale d’extension de procédure ? De cette confusion des patrimoines, la doctrine jurisprudentielle de la Cour de cassation nous enseigne avec insistance, depuis quelques décennies, qu’elle repose sur deux « critères » que sont la confusion des comptes et l’entretien de relations financières anormales (21). La confusion des comptes peut se définir comme un désordre comptable, voire une absence de comptabilité, qui conduit à une impossible attribution d’éléments d’actif et/ou de passif au patrimoine de l’une ou l’autre des personnes confuses en biens (22). Le critère des relations financières anormales est, quant à lui, un peu plus difficile à saisir. À l’analyse de la jurisprudence, on peut cependant en donner un profil général en notant qu’il s’agit de flux non justifiés d’un patrimoine à un autre ou, au contraire, de l’absence, tout aussi injustifiée, de flux dans les cas où il aurait été normal que des flux existent (23). L’anormalité, souvent évoquée comme une « absence de contrepartie » à un flux appauvrissant, se caractérise plus justement par l’absence d’intérêt qu’a une personne à consentir un sacrifice au profit d’une autre (24), cette absence d’intérêt étant établie de manière flagrante lorsque les sacrifices consentis vont jusqu’à mettre en péril la survie économique de leur auteur. Cette approche de l’anormalité permet une certaine souplesse dans son appréciation. Notamment, la Cour de cassation a eu l’occasion de mettre en œuvre une appréciation adaptée de l’anormalité dans le cadre de groupes de sociétés au sein desquels il est naturel que les rapports entre les membres du groupe soient influencés par l’appartenance à cet ensemble (25). Rappelons enfin que les relations financières anormales entretenues par les parties doivent être d’une ampleur suffisante pour caractériser une confusion patrimoniale (26). Seules des relations financières anormales (21) D. Tricot, « La confusion des patrimoines et les procédures collectives », Rapp. Cour de cassation 1997, La documentation française 1998, p. 165 ; P. Delmotte, « Les critères de la confusion des patrimoines dans la jurisprudence de la Cour de cassation » : RJDA 6/06, p. 539. (22) Not. Cass. com., 24 oct. 1995, n° 93-11322, D – V. égal. rejetant la confusion des comptes Cass. com., 13 mars 2007, n° 05-15833 : Gaz. Pal. 21 juill. 2007, p. 26, n° G4339, obs. F. Reille. (23) Tel est d’ailleurs le sens du changement terminologique adopté dans les années 2000 par la Cour de cassation, laquelle a délaissé les flux financiers anormaux au profit des relations financières anormales car, précisait alors M. Daniel Tricot « on ne peut pas toujours parler de flux (…) parce que parfois, l’anormalité tient à ce qu’il n’y a pas de flux » : D. Tricot, « Débats in Droit patrimonial de la famille et entreprises en difficulté » : LPA 24 avr. 2003, p. 16. (24) On peut en effet avoir un intérêt à un sacrifice consenti au profit d’un tiers. Pour illustration, v. Cass. com., 26 mars 2013, n° 12-14809 : LEDEN mai 2013, p. 5, n° 072, note I. Parachkévova ; Gaz. Pal. 13 juill. 2013, p. 13, n° 140b1, obs. F. Reille, affaire dans laquelle la prise en charge de travaux importants par le preneur trouvait une contrepartie dans la réduction du montant du loyer dû au bailleur. (25) Cass. com., 19 avr. 2005, n° 05-10094 : Bull. civ. IV, n° 92, très largement commenté. (26) La haute cour se réfère souvent à « une volonté réitérée et systématique » de la part des acteurs à la confusion, par exemple la volonté réitérée et systématique du bailleur de ne pas recouvrer les loyers impayés : not. Cass. com., 8 janv. 2013, n° 11-30640 : BJE mars 2013, p. 77, obs. A. Cerati-Gauthier ; Gaz. Pal. 4 mai 2013, p. 15, n° 129j4, obs. F. Reille. 82 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 entretenues antérieurement au jugement d’ouverture de la procédure ensuite étendue peuvent justifier l’extension en cause (27). Comme les causes d’extension précédemment évoquées, la confusion des comptes et les relations financières anormales sont des critères de confusion patrimoniale qui présentent un caractère exclusif et alternatif. De la même manière encore que pour les causes d’extension, on remarque un usage très prépondérant de l’un des critères par rapport à l’autre : rarement invoquée depuis quelque temps déjà, la confusion des comptes a très largement laissé la place aux relations financières anormales, qui soutiennent le plus fréquemment la preuve d’une confusion des patrimoines. La souplesse de ce dernier critère explique sans doute largement cette réalité. 5. Quelles sont les personnes pouvant être parties à la confusion patrimoniale ? Une première interrogation surgit à propos de la personne visée par l’extension. Doit-elle nécessairement être une personne morale ? Certaines idées reçues sont tenaces. Il en va ainsi de la conviction, dont certains ont des difficultés à se défaire, que l’extension de procédure ne peut se produire qu’en présence d’une personne morale. L’idée qui sous-tend cette croyance tient sans doute à la difficulté de concevoir que deux personnes réelles puissent être soumises à la même procédure collective. Selon cette idée, la confusion des patrimoines ne serait en fait qu’une variante de la fictivité. Or, tel n’est pas le cas. L’extension de procédure est une véritable dérogation à la règle selon laquelle la procédure collective ne peut appréhender qu’une seule personne et son patrimoine. À ce titre, elle est envisageable, pour confusion des patrimoines, d’une personne morale à une autre personne morale, d’une personne physique à une personne morale ou en sens inverse, ou encore, et c’est là l’essentiel de la démonstration, entre deux personnes physiques (28). L’extension de procédure ni ne postule une personnalité juridique unique, ni n’entraîne une personnalité juridique unique. Il n’y a que les patrimoines qui, rassemblés, seront traités comme s’il n’y en avait qu’un (29). “ L’extension de procédure peut viser une personne in bonis, comme une personne elle-même déjà soumise à une procédure collective ” Une autre interrogation surgit à propos de la personne visée par l’extension. Doit-elle nécessairement être in bonis ? (27) V. Cass. com., 28 nov. 2000, n° 98-10083 : Bull. civ. IV, n° 187 ; JCP E 2001, p. 750, n° 1, obs. P. Pétel ; D. aff. 2001, p. 309, obs. A. Lienhard ; BJS mars 2001, p. 249, § 67, note B. Saintourens – Cass. com., 8 juill. 2003, n° 01-15480, D – Cass. com., 24 juin 2003, n° 00-20236, D – Cass. com., 16 oct. 2012, n° 11-23036, D : Gaz. Pal. 19 janv. 2013, p. 19, n° 114h2, note F. Reille. (28) Not. Cass. com., 3 déc. 2003, n° 01-00354 – Cass. com., 10 juill. 2001, n° 98-20657 : Act. proc. coll. 2000/6, n° 59, obs. C. Regnaut-Moutier. (29) V. infra. G a z e tte Sp é cia lisée Technique La réponse est négative. En effet, l’extension de procédure peut viser une personne in bonis, comme une personne elle-même déjà soumise à une procédure collective. En revanche, dans ce dernier cas, les facultés d’extension sont limitées en fonction de la nature de la procédure qu’il s’agit d’étendre et de celle à laquelle est soumise la personne que l’on souhaite attraire à cette procédure. C’est ainsi qu’une sauvegarde ou un redressement judiciaire, qui peuvent être étendus à une personne soumise à une procédure de même nature (30), ne pourraient être étendus à une personne déjà soumise à une liquidation judiciaire (31), alors que l’inverse est possible tant que la première procédure n’a pas trouvé d’issue (32). Lorsque l’extension vise une personne déjà soumise à une procédure collective, son prononcé aura pour effet de ramener la personne visée à la procédure qu’il s’est agi d’étendre. Il s’ensuit que le tribunal initialement saisi de la procédure collective de la personne visée par l’extension sera en quelque sorte dépossédé de cette procédure au profit du tribunal ayant prononcé l’extension, lequel conduira la procédure désormais commune qu’il avait initialement ouverte au débiteur concerné (33). 6. Quelles sont les modalités procédurales de l’action en extension et de la décision statuant sur l’extension ? Quelques incertitudes, dont certaines ont été assez tôt dissipées par la jurisprudence, ont existé quant à la question des personnes habilitées à agir en extension. Aujourd’hui, l’article L. 621-2 du Code de commerce, depuis l’ordonnance du 18 décembre 2008, précise clairement les personnes ayant qualité pour agir en extension. En 2008, le législateur désignait comme ayant cette qualité, le mandataire judiciaire, le ministère public et – ce qui avait été plus sujet à discussion auparavant, mais avait déjà été admis par la Cour de cassation (34) – l’administrateur judiciaire. À cette liste, il est nécessaire de rajouter le liquidateur judiciaire – même si une décision, un peu obscure, semble conditionner la qualité à agir de ce dernier dans un contexte spécial de liquidation ouverte suite à la résolution d’un plan (35) – mais également les contrôleurs, habilités à agir aux lieu et place du mandataire judiciaire dans les conditions définies par le premier alinéa de l’article L. 622-20 du Code de commerce (36). L’ordonnance de 2008 précitée précisait encore que le tribunal pouvait se saisir d’office aux fins de prononcer l’extension. L’ordonnance du 12 mars 2014 a modifié le (30) V. Cass. com., 4 janv. 2000, n° 97-11712 : Bull. civ. IV, n° 3 ; D. 2001, p. 72, obs. A. Lienhard ; JCP E 2000, 698, spéc. n° 1, obs. P. Pétel. (31) Not. F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, 2014, 10e éd., n° 340. (32) Cass. com., 4 janv. 2000, n° 97-11712, préc. (33) V. infra. (34) Cass. com., 15 déc. 2009, n° 08-20934 : Bull. civ. IV, n° 170 ; D. 2010, p. 86, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. 17 avr. 2010, p. 20, n° I1264, note F. Reille. (35) Cass. com., 16 oct. 2012, nos 11-23086 et 11-23324 : Bull. civ. IV, n° 185 ; D. 2012, p. 2514, obs. A. Lienhard ; LEDEN déc. 2012, p. 3, n° 173, obs. I. Parachkévova ; Gaz. Pal. 19 janv. 2013, p. 17, n° 114h0, note F. Reille. (36) Cass. avis, 3 juin 2013, n° 13-70003 : Bull. avis, n° 9 ; Rev. proc. coll. 2013, étude n° 18, concl. R. Bonhomme ; D. 2013, p. 2363, note F.-X. Lucas ; Dalloz actualité 25 juin 2013, note A. Lienhard ; Rev. sociétés 2013, p. 520, obs. L.-C. Henry ; Act. proc. coll. 2013, alerte n° 167, obs. P. Cagnoli ; LEDEN juill. 2013, p. 3, n° 102, obs. F.-X. Lucas ; Gaz. Pal. 1er oct. 2013, p. 7, n° 148e1, note F. Reille. texte. Désormais, et pour les procédures ouvertes depuis le 2 juillet 2014, le débiteur lui-même est également habilité à agir en extension. En revanche, le tribunal se trouve désormais privé du droit de se saisir d’office. Les créanciers agissant individuellement (37), comme la personne qui souhaiterait qu’une procédure collective lui soit étendue, restent, quant à eux, dénués de la qualité pour agir en extension. Le tribunal est saisi de la demande en extension par voie d’assignation lorsque la demande est formée par les mandataires de justice ou un contrôleur. Elle est présentée par voie de requête et selon la procédure de l’article R. 631-4, lorsque c’est le ministère public qui exerce l’action. C’est déjà ainsi que procédaient les demandeurs avant que le décret du 12 février 2009 ne vienne confirmer cette pratique dominante, à l’occasion de l’insertion d’un article R. 621-8-1 au livre VI du Code de commerce. Contrairement à la demande tendant à l’ouverture classique d’une procédure collective, la demande visant à obtenir l’extension de procédure n’est plus exclusive de toute demande depuis que la Cour de cassation, par un revirement de jurisprudence (38), a décidé que les dispositions des textes (39), suivant lesquelles la demande d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est, à peine d’irrecevabilité qui doit être soulevée d’office, exclusive de toute autre demande, ne s’appliquent pas à la demande d’extension d’une telle procédure (40). Le tribunal compétent pour connaître de la demande en extension est le tribunal saisi de la procédure dont l’extension est sollicitée. C’est ainsi qu’il faut comprendre les termes de l’article L. 621-2 du Code de commerce qui désigne « le tribunal ayant ouvert la procédure initiale ». À ce titre, si l’action est dirigée contre une personne qui se trouve déjà soumise à une procédure collective, il n’y a pas lieu de s’interroger sur la date à laquelle chacun des tribunaux a ouvert la procédure qui le concerne : la compétence ne revient pas au tribunal qui aurait ouvert la procédure la plus ancienne, mais bien au tribunal ayant ouvert la procédure dont l’extension est requise (41). L’examen des règles procédurales régissant la décision statuant sur l’extension permet de constater que le mécanisme présente des spécificités marquées par rapport à une ouverture classique de procédure. Est-ce à dire que l’extension déroge systématiquement à toute règle, notamment procédurale, applicable à l’ouverture de la procédure collective ? Ainsi posée la généralité de l’affirmation, qui pourrait se recommander (37) Cass. com., 19 févr. 2002, n° 99-12776, D – Cass. com., 15 mai 2001, n° 98-14560 : Bull. civ. IV, n° 91 ; BJS oct. 2001, p. 979, n° 223, note P. Pétel ; D. 2001, p. 3425, obs. A. Honorat ; D. 2001, p. 1949, obs. A. Lienhard – Cass. com., 16 mars 1999, n° 96-19537 : Bull. civ. IV, n° 67 ; Defrénois oct. 1999, p. 865, n° 37023, obs J.-P. Sénéchal. (38) V. antérieurement Cass. com., 1er déc. 1992, n° 90-20409 : Bull. civ. IV, n° 383 – Cass. com., 17 févr. 1998, n° 95-14839 : Bull. civ. IV, n° 74. (39) C. com., art. R. 631-2, al. 2, rendu applicable à la liquidation judiciaire par renvoi de l’article R. 640-1. (40) Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-16635 : Bull. civ. IV, n° 119 ; D. 2013, p. 1831, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. 29 sept. 2013, p. 16, obs. F. Reille. (41) Cass. com., 19 nov. 2013, nos 12-25290 et 12-29197 : Bull. civ. IV, n° 167 ; D. 2013, p. 2766, obs. A. Lienhard ; Gaz. Pal. 14 janv. 2014, p. 16, n° 161h0, obs. F. Reille. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 83 G a ze tte Spé ci a li s é e Te chni qu e d’une interprétation littérale des textes (42), peut être discutée. Car si l’extension est un « incident » de la procédure collective qui en est l’objet, elle n’en provoque pas moins, à l’égard de celui qui se trouve visé par l’action, une « ouverture » dans le sens d’une soumission à une procédure collective (43). Le fait que cette procédure collective soit celle d’un autre ne change rien à cet état de fait. cadre de la procédure à étendre (49), à défaut de quoi ledit jugement devrait être considéré nul. De cette nature hybride de l’instance en extension et du jugement auquel elle donne naissance, il convient de tirer toutes les conséquences au niveau procédural. Du côté des voies de recours, on notera que rien n’était précisé par les textes avant que l’ordonnance du 18 décembre 2008 ne mette fin à ce silence. Le jugement statuant sur l’extension de procédure est susceptible d’appel ou de pourvoi en cassation de la part du débiteur initial, du débiteur « par extension », des mandataires de justice et du ministère public (50), dans les délais classiques énoncés à l’article R. 661-3 du Code de commerce. La tierce opposition est encore ouverte à ceux qui n’auraient pas été partie à l’instance (51). Le régime des voies de recours est donc voisin de celui applicable au jugement d’ouverture, comme l’admettait déjà la Cour de cassation avant l’ordonnance du 18 décembre 2008 (52), sans être tout à fait identique. Notamment, l’appel du ministère public quant à la décision statuant sur l’extension est suspensif (53), quelle que soit la nature de la procédure étendue (54). Les articles R. 621-8-1 (55) et R. 641-7 du Code de commerce adaptent à cette règle les mesures de publicité du jugement qui prononce l’extension : en cas d’appel du ministère public, ou en cas d’arrêt de l’exécution provisoire, ces publicités ne sont effectuées par le greffier du tribunal qu’au vu de l’arrêt de la cour d’appel qui lui est transmis par le greffier de cette cour dans les huit jours de son prononcé. Parce que la procédure d’extension tend à l’ouverture d’une procédure collective pour la personne visée par l’extension, il paraît légitime de l’entourer des mêmes garanties procédurales que la procédure d’ouverture ordinaire d’une procédure collective. C’est en ce sens que penchait déjà la Cour de cassation évoquant notamment la nécessité d’entendre l’ordre professionnel ou l’autorité compétente dont relèverait le défendeur à l’action en extension (44), avant que l’ordonnance du 12 mars 2014 ne consacre cette règle (45). C’est ainsi encore que les règles de signification, de communication et de publicité du jugement d’extension, précisées par le décret du 19 février 2009, s’apparentent à celles prévues pour le jugement d’ouverture (46). Dans la même logique, il nous semblerait nécessaire de considérer que le tribunal doit entendre ou dûment appeler en chambre du conseil les représentants du comité d’entreprise ou des délégués du personnel de la personne visée par l’extension (47). Sans doute encore serait-il opportun d’accorder au tribunal la possibilité de commettre un juge pour recueillir tout renseignement sur la situation, notamment financière, de la personne contre laquelle l’action est portée (48). Certes, dans la situation en cause, il ne s’agirait pas d’évaluer ses difficultés, auxquelles la décision ou le refus d’extension est indifférent, mais d’évaluer la force de la probabilité d’une confusion patrimoniale ou d’une fictivité de la personne morale. Parce que la procédure d’extension tend à élargir le périmètre d’une procédure en cours, il y a cependant lieu d’adapter les règles, notamment procédurales, applicables à une ouverture ordinaire de la procédure collective. Si les textes prévoient des modalités procédurales propres à la procédure d’extension, leur silence sur d’autres points n’exclut pas que soient mobilisées des règles procédurales générales qu’il appartient aux tribunaux de veiller à combiner avec les précédentes. Notamment, il convient, à notre avis, d’être extrêmement vigilent sur le fait que tout jugement d’extension devrait être rendu sur avis du juge-commissaire désigné dans le (42) V. Act. proc. coll. 2013, alerte n° 278, obs. P. Cagnoli. Égal. nos obs. sous Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-16635 : Gaz. Pal. 1er oct. 2013, p. 16, n° 148g7. (43) Cela n’est évidemment vrai que dans les cas, sans doute les plus fréquents, où l’extension vise un débiteur encore in bonis. (44) Cass. com., 5 nov. 2013, n° 12-21799 : Bull. civ. IV, n° 163 ; LEDEN déc. 2013, p. 3, n° 186, obs. I. Parachkévova ; D. 2013, p. 2692, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés 2013, p. 724, obs. P. Roussel Galle, Act. proc. coll. 2013, alerte n° 278, obs. P. Cagnoli : Gaz. Pal. 14 janv. 2014, p. 14, n° 161g8, obs. F. Reille. (45) C. com., art. L. 621-2, al. 5. (46) C. com., art. R. 621-8-1, al. 2 et 4 et art. L. 641-7, al. 1er. (47) C. com., art. L. 621-1, al. 1er. (48) C. com., art. L. 621-1, al. 3. 84 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 De son originalité fondamentale, le mécanisme de l’extension de procédure collective tire un atypisme procédural qui recèle un certain nombre de pièges. Si l’on peut se réjouir que la jurisprudence de la Cour de cassation permette d’en déjouer certains, la vigilance reste de mise. “ Si l’action en extension n’est enfermée dans aucun délai spécial, elle est cependant soumise à certaines limites temporelles ” 7. Quelles sont les limites temporelles de l’action en extension ? L’action en extension n’est enfermée dans aucun délai spécial. Ni la loi de sauvegarde, ni les réformes qui l’ont modifiée par la suite, ne sont venues imposer un tel délai. Est-ce à dire que l’action en extension ne connaît aucune limite temporelle ? Certes pas. La Cour de cassation juge en effet avec constance que la procédure collective ne peut plus être étendue après (49) V. C. com., art. R. 662-12. (50) C. com., art. L. 661-1, I, 3e. (51) C. com., art. L. 661-2– V. antérieurement Cass. com., 16 mai 2006, n° 05-14595 : Bull. civ. IV, n° 122 – Cass. com. 8 oct. 2003, n° 00-19730, D. (52) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives 2015-2016, Dalloz, coll. Dalloz Action, 2014, n° 213-35. (53) Le principe est que le jugement d’extension est exécutoire par provision. Il est cependant possible de solliciter un arrêt de cette exécution provisoire (C. com., art. R. 661-1). (54) C. com., art. L. 661-1, II. Comp. avec le jugement d’ouverture, visé par le même article. (55) Dans sa rédaction issue du décret du 30 juin 2014. G a z e tte Sp é cia lisée Technique adoption d’un plan de continuation (56), après clôture de la liquidation judiciaire (57) – sauf réouverture de celle-ci –, ni après adoption d’un plan de cession (58). Ces limites temporelles apportées à l’extension de procédure trouvent sans aucun doute leur source essentielle dans une logique « technique » conduisant à considérer que les limites de l’extension de procédure doivent tout naturellement épouser les limites de la procédure collective elle-même : le mécanisme d’extension de procédure ne peut tout simplement pas survivre à son objet. Dans le pur prolongement de cette idée, on relèvera avec intérêt un arrêt de la cour d’appel de Besançon (59), qui juge possible l’extension après adoption d’un plan de cession sous l’empire de la loi de sauvegarde, là où une telle extension était empêchée sous l’empire de la loi de 1985, au motif que depuis le 1er janvier 2006, l’adoption du plan de cession ne marquerait plus la fin de la procédure (60). Cependant, sans doute aussi ces limites sont-elles parfois dictées par une logique économique, pragmatique, ou un souci de ne pas porter trop lourdement atteinte à la sécurité juridique, notamment lorsque la Cour de cassation refuse l’extension d’une procédure en considération de ce que la personne visée par l’extension, qui était elle-même soumise à une procédure collective, a vu celle-ci se solder par l’adoption d’un plan (61). L’extension de procédure se trouve alors contrainte par l’impératif de sauvetage de l’entreprise ou par la protection des droits des tiers. Dès lors qu’un plan est adopté, une issue favorable à la survie de l’activité a été trouvée et l’extension n’a donc plus lieu d’être, outre qu’elle pourrait même perturber le sauvetage espéré ou remettre en cause les droits acquis par des cessionnaires. 8. La recevabilité de l’action en extension est-elle soumise à l’existence d’un préjudice subi par le débiteur initial ? Longtemps, cette problématique n’a pas été directement soumise à la Cour de cassation. Si bien que, en dépit d’arrêts marquant une volonté implicite mais nette de la haute cour de tenir à distance la question du préjudice comme condition de recevabilité de l’extension de procédure (62), le doute restait permis. (56) Cass. com., 22 oct. 1996, n° 95-13024 : Bull. civ. IV, n° 256 – Cass. com., 18 janv. 2005, n° 03-18264, D. (57) Cass. com., 11 juill. 1995, n° 93-15525 : Bull. civ. IV, n° 208. (58) Not. Cass. com., 28 nov. 2000, n° 97-12265, D. (59) CA Besançon, 2e ch. com., 12 mars 2014, n° 13/02031 : BJE juill.-août 2014, p. 231, n° 111k0, note F. Reille. (60) J. Deharveng : « Le plan de cession dans la nouvelle architecture des procédures collectives : un événement et non plus une issue du cours de la procédure » : D. 2006, p. 1047. (61) Pour un plan de cession, v. Cass. com., 12 nov. 1991, n° 90-14255 : Bull. civ. IV, n° 343. Pour un plan de redressement, v. Cass. com., 4 janv. 2000, n° 97-11712 : Bull. civ. IV, n° 3. (62) Maintes fois, la Cour de cassation n’a trouvé rien à redire à des extensions prononcées de l’enrichi par les relations financières anormales à l’appauvri : not. Cass. com., 20 janv. 2009, n° 07-17026 : JCP E 2009, 1391, obs. P. Pétel ; RPC 2009, comm. n° 201, obs. B. Saintourens ; Gaz. Pal. 26 avr. 2009, p. 18, et nos obs. – V. égal. à titre d’illustration, Cass. com., 3 avr. 2002, n° 99-12008 – Cass. com., 5 mars 2002, n° 99-13302 – Cass. com., 4 juill. 2000, n° 97-15156 – Cass. com., 22 oct. 1996, n° 94-18285. De même admet-elle l’extension en cas de relations financières anormales appauvrissant et enrichissant tour à tour les personnes concernées : v. par ex. Cass. com., 16 juin 2009, n° 08-15883. Il l’était d’autant plus que la Cour de cassation rendait, en 2013 (63), un avis qui, rapidement appréhendé, pouvait laisser penser que la haute juridiction penchait désormais pour une approche indemnitaire de l’extension de procédure. De cet avis, il ressort que « L’article L. 622-20 du Code de commerce confère au créancier nommé contrôleur, en cas de carence du mandataire judiciaire, qualité pour agir en extension d’une procédure collective sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité de la personne morale ». L’avis ainsi formulé doit être lu à la lumière de la question qui était posée : « L’article L. 622-20 du Code de commerce qui autorise un contrôleur à suppléer la carence du mandataire judiciaire est-il applicable dans le cadre d’une action en extension d’une procédure collective alors que cette action ne sert pas nécessairement l’intérêt collectif des créanciers et n’a pas pour effet de recouvrer des sommes d’argent et de les faire entrer dans le patrimoine du débiteur ? ». Même si, à notre sens, la réponse de la haute cour à la question qui lui était posée, ne méritait pas d’être comprise ainsi (64), beaucoup ont entendu, dans la réponse formulée par la Cour de cassation, une confirmation de ce que l’extension de procédure se résume à un mécanisme destiné à satisfaire l’appétit des créanciers et, ce faisant, à réparer un préjudice causé au débiteur du fait des relations anormales entretenues. Si un doute pouvait donc subsister, il ne le peut plus depuis un arrêt du 16 juin 2015 (65) par lequel la Cour de cassation a pu affirmer que « pour caractériser des relations financières anormales constitutives d’une confusion des patrimoines, les juges du fond n’ont pas à rechercher si celles-ci ont augmenté, au préjudice de ses créanciers, le passif du débiteur soumis à la procédure collective dont l’extension est demandée » (66). La chose est donc désormais entendue : l’extension de procédure, qui n’a pas une finalité indemnitaire ou de financement, reste indifférente au caractère avantageux ou désavantageux du résultat qu’elle est susceptible de produire. À ce titre, l’action en extension ne saurait être conditionnée par l’existence d’un préjudice subi par le débiteur initial, que l’extension serait censée venir réparer. Outre que les choses ont désormais le mérite d’être clairement affirmées, on se réjouira de cette affirmation, tant il est vrai qu’en pratique, la mise en œuvre du conditionnement de la recevabilité de l’action en extension aurait été difficile. Rappelons à cet égard (63) Cass. avis, 3 juin 2013, n° 13-70003 : Bull. avis, n° 9 ; Rev. proc. coll. 2013, étude n° 18, concl. R. Bonhomme ; D. 2013, p. 2363, note F.-X. Lucas ; Dalloz actualité 25 juin 2013, note A. Lienhard ; Rev. sociétés 2013, p. 520, obs. L.-C. Henry ; Act. proc. coll. 2013, alerte n° 167, obs. P. Cagnoli ; LEDEN juill. 2013, p. 3, n° 102, obs. F.-X. Lucas ; Gaz. Pal. 1er oct. 2013, p. 7, n° 148e1, note F. Reille. (64) V. nos obs. Gaz. Pal. 1er oct. 2013, p. 7, n° 148e1. (65) Cass. com., 16 juin 2015, n° 14-10187 : Rev. sociétés 2015, p. 545, note P. Roussel Galle ; Dalloz actualité 1er juill. 2015, obs. A. Lienhard ; BJE sept. 2015, p. 282, n° 112r2, note L. Le Mesle ; JCP E 2015, 1422, note P. Pétel ; BJS sept. 2015, p. 458, n° 113x8, note E. Mouial-Bassilana ; Gaz. Pal. 20 oct. 2015, p. 27, n° 243y5, note F. Reille. (66) Par un arrêt du 16 septembre 2014 (n° 13-19127), la Cour de cassation affirmait déjà sa position en des termes clairs : « que par ces constatations et appréciations caractérisant des relations financières anormales constitutives d’une confusion des patrimoines, peu important l’absence d’appauvrissement de la débitrice, la cour d’appel (…) a légalement justifié sa décision ». L’arrêt n’ayant cependant pas eu les honneurs de la publication, il pouvait être envisagé comme un arrêt d’espèce. G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 85 G a ze tte Spé ci a li s é e Te chni qu e que si la loi Pétroplus (67) a étendu au cas de l’extension la possibilité offerte au tribunal, en matière de sanction des dirigeants, d’ordonner des mesures conservatoires dès lors qu’une action en extension était engagée (68), elle n’a pas transposé à l’extension la possibilité qui lui est offerte d’obtenir toute information sur la situation patrimoniale de la personne visée par l’extension (69). Et si, certes, on pourrait imaginer qu’une enquête puisse être ordonnée par jugement avant dire droit, préalablement à la décision statuant sur la demande d’extension (70), on constate qu’en pratique, cette possibilité est très peu utilisée, outre que l’on ne sait dans quelle mesure elle pourrait suffire à assoir une certitude. Ces mêmes considérations devraient conduire à pousser plus loin encore le raisonnement consistant à ne pas tenir compte du résultat escompté – favorable ou défavorable – de l’extension de procédure pour apprécier l’opportunité de l’action y tendant. En effet, l’amélioration ou la dégradation de la situation des créanciers de la société, du fait de l’extension de la procédure à l’associé, ne dépend pas seulement du « volume » des créances qui viendront s’ajouter aux leurs pour être payées sur les actifs rassemblés, mais aussi, et parfois surtout, de la nature de ces créances (71). Les créanciers d’un entrepreneur sans salarié ont-ils un intérêt à voir l’assiette de leur gage augmentée des actifs d’un tiers si, dans le même temps, ils ont à subir la concurrence des salariés superprivilégiés de ce dernier (72) ? “ La question du caractère favorable ou défavorable du résultat de l’extension de procédure doit rester, à tout niveau, étranger à la recevabilité de la demande ” On le voit, la question du caractère favorable ou défavorable du résultat de l’extension de procédure doit rester, à tout niveau, étranger à la recevabilité de la demande. Cela est non seulement souhaitable en pratique, mais, plus fondamentalement, indispensable du point de vue de la légitimité même du mécanisme. De longue date, nous plaidons pour une certaine appréhension de l’extension de procédure, qui ne trouve de justification qu’en ce qu’elle permet seule (73) de neutraliser une situation de désordre patrimonial objectif, à laquelle restent étrangères les notions de fraude, de faute, ou de préjudice (74). À ce titre, on ne peut qu’adhérer à cette approche que la Cour de cassation confirme adopter par l’arrêt précité du 16 juin 2015. 9. Des mesures conservatoires sont-elles envisageables avant le jugement statuant sur la demande d’extension ? Jusqu’en 2012, il n’était prévu, ni par la loi, ni par la jurisprudence que des mesures conservatoires puissent être prises entre le moment où était engagée l’action en extension de procédure et le moment où le juge statuait sur cette demande. La loi dite Pétroplus du 12 mars 2012 (75) a rajouté un quatrième alinéa à l’article L. 621-2 du Code de commerce, applicable à la procédure de sauvegarde, mais également aux procédures de redressement et de liquidation judiciaire par renvoi des articles L. 631-7 et L. 641-1, I du même code. Il y est prévu qu’en cas d’action en extension pour confusion des patrimoines ou fictivité d’une personne morale, le président du tribunal peut ordonner toute mesure conservatoire utile à l’égard du défendeur à l’action. L’article 4 de la loi du 12 mars 2012 a créé également un nouvel article L. 663-1-1 dans le Code de commerce, dont il ressort que, lorsque les mesures conservatoires ordonnées en application des dispositions précitées portent sur des biens dont la conservation ou la détention engendre des frais, ou qui sont susceptibles de dépérissement, le juge-commissaire a la possibilité d’autoriser leur cession. Le fruit de la vente devrait être versé à la Caisse des dépôts et consignations. La loi Pétroplus rajoutait à cela une disposition incluse dans l’alinéa 2 du même article, prévoyant que les sommes puissent être utilisées pour couvrir « les frais engagés (…) pour la gestion des affaires du propriétaire, y compris pour assurer le respect des obligations sociales et environnementales résultant de la propriété de ces biens, si les fonds disponibles n’y suffisent pas ». Ces dernières dispositions ont cependant été éliminées par l’ordonnance du 12 mars 2014 pour toutes les procédures ouvertes depuis le 2 juillet 2014. 10. Quel est le pouvoir d’appréciation du juge saisi d’une demande d’extension ? Le juge saisi d’une demande en extension de procédure apprécie souverainement – mais sous un contrôle assez étroit de la Cour de cassation – l’existence des conditions requises en la matière. Il lui appartient donc d’apprécier si la fictivité ou la confusion des patrimoines est bien caractérisée. Dans l’hypothèse où le juge considère que la fictivité ou la confusion des patrimoines est établie, il est dans l’obligation de prononcer l’extension de procédure. Le juge n’a pas seulement la possibilité de prononcer l’extension, mais le doit, lorsque les conditions désormais légales sont remplies (76). À ce titre, il est regrettable que l’article L. 621-2 du Code de commerce soit maladroitement rédigé, indiquant que la procédure « peut » être étendue en cas de confusion des patrimoines ou de fictivité (77). 254q1 (67) L. n° 2012-346, 12 mars 2012. (68) V. supra. (69) C. com., art. L. 651-4. (70) V. infra. (71) V. P. Pétel, « Extension de procédure collective : limites des droits des créanciers » : BJS oct. 2001, p. 979, n° 223. (72) V. sur ce point P.-M. Le Corre, D. 2015, p. 1970. (73) Le désordre étant inextricable. (74) F. Reille, La notion de confusion des patrimoines, Litec, 2006. 86 G A Z E T T E D U P A L A I S - M AR D I 1 9 j a n v i e r 2 0 1 6 - N O 3 (75) V. supra. (76) V. Cass. com., 26 mars 1985, n° 82-16002 : Bull. civ. IV, n° 108. (77) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives 2015-2016, Dalloz, coll. Dalloz Action, 2014, n° 213-31.