Zoom sur l`album photos de La Femme sur la Lune de Fritz Lang

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Zoom sur l`album photos de La Femme sur la Lune de Fritz Lang
Zoom sur l’album photos de
La Femme sur la Lune de Fritz Lang
L’album
Un film, des photos
En 1929, le metteur en scène allemand Fritz Lang tourne Frau im Mond, La Femme sur la
Lune. Sur fond d’intrigue amoureuse, le film retrace l’aventure imaginée du premier voyage
dans l’espace à grand renfort d’effets spéciaux et de solides connaissances scientifiques. Le
film, produit par la Fritz Lang-Film GmbH, la société de production du réalisateur, est distribué par la
UFA 1, l’une des plus grandes firmes de cinéma des années 1920.
Fritz Lang est alors un réalisateur de renommée internationale, consacré comme un maître du
cinéma grâce aux succès de Docteur Mabuse, des Nibelungen ou encore de Metropolis.
L’accueil réservé à La Femme sur la Lune est pourtant mitigé. Si les critiques soulignent les
qualités techniques, plastiques et scientifiques du film, ils déplorent – comme pour
Metropolis – la faiblesse du scénario.
Alors que le cinéma parlant, apparu deux ans plus tôt, connaît un succès qui éclipse les films
muets, Fritz Lang refuse de sonoriser La Femme sur la Lune. Ce sera son dernier film muet,
ultime manifestation de l’ambition de son travail artistique dans les studios de la UFA.
De cette aventure, il reste bien sûr le film, mais aussi un document rare : l’album photos du
tournage, donné par Fritz Lang à la Cinémathèque française en 1959.
Cet album de 4 volumes, comporte plus de 700 clichés. Il retrace à la fois l’intrigue du film,
les méthodes de tournage à la UFA, et présente Fritz Lang en metteur en scène. Il démontre
également l’importance du photographe de plateau, dont les images constituent à la fois des
œuvres et des documents pour l’histoire du cinéma. Rares sont les films pour lesquels une si
importante quantité de clichés ont été conservés.
Petite histoire de l’album
Le photographe de plateau
La Femme sur la Lune est tourné entre octobre 1928 et juin 1929 dans les studios de la UFA à
Neubabelsberg, dans les environs de Berlin. Durant cette période, Horst von Harbou est
chargé de prendre des clichés du tournage et des images des scènes du futur film. On sait peu
de choses à propos de ce photographe de plateau, sinon que, né en 1879, il fait une entrée
tardive et remarquable dans le métier puisque le premier film auquel il collabore n’est autre
que le dyptique des Nibelungen (1922-1924). Sa carrière au cinéma est sans doute liée à ses
relations familiales : il est en effet le frère aîné de Thea von Harbou, seconde épouse de Fritz
Lang et scénariste, entre autres, de Metropolis et de La Femme sur la Lune. Les qualités
1
UFA : Universum Film AG (Aktien Gesellschaft)
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techniques et artistiques des images de Horst von Harbou témoignent d’un talent affirmé qui
lui permettra de poursuivre une carrière dans le cinéma allemand jusqu’au tout début des
années 1950.
Du plateau à l’album
Il est vraisemblable que Horst von Harbou, le photographe de plateau, soit aussi l’auteur de
l’album. Dans l’ensemble des photos prises, il a du choisir, probablement en compagnie de
Fritz Lang, les tirages qui lui semblaient les plus justes quant à la vision du film et du
tournage. Si, dès cette époque, la plupart des films bénéficient de la présence d’un
photographe de plateau, la réalisation d’un album n’est pas systématique, et l’objet, luxueux,
est produit en un unique exemplaire. En effet, les photographies servent avant tout à assurer la
promotion des films auprès de la presse et des exploitants, parfois même à obtenir des fonds
avant le tournage. Des « jeux d’exploitation », composés d’une petite sélection d’images
représentatives du film (parfois agrémentées de photos illustrant le tournage), leur sont
envoyés. Les images composant ces « jeux d’exploitation » étaient probablement choisies
conjointement par le photographe et le service publicité parmi les photos figurant dans
l’album.
Vocation de l’album
Un album a pour vocation première de garder une trace du tournage, une mémoire. Les
exemplaires parvenus jusqu’à nous restent très différents d’un film à l’autre. Les formats, les
matières, la taille des tirages photographiques et l’agencement ne sont jamais les mêmes.
Certains comportent peu ou pas de photos de tournage, d’autres séparent plateau et tournage,
d’autres encore les mêlent. C’est le cas de l’album de La Femme sur la Lune. Il est sans doute
le fruit d’une commande de Fritz Lang lui-même. On sait que d’autres films de Lang ont fait
l’objet de tels albums – la Cinémathèque française en conserve plusieurs (dont celui de
Metropolis). Il s’agit pour le réalisateur de garder un souvenir. Mais un souvenir utile : l’objet
est aussi un outil de travail « montrant la continuité du film et la façon dont certains
problèmes techniques avaient été résolus 2 ».
De l’Allemagne à la Cinémathèque
En 1933, Fritz Lang fuit l’Allemagne nazie. Il abandonne de nombreux documents derrière
lui, notamment les copies personnelles de ses films. Mais il emporte l’album de La Femme
sur la Lune : « Quand je suis parti d’Allemagne, j’ai sauvé environ 400 photos de plateau de
Frau im Mond 3 ». Le document le suit dans son exil provisoire en France, puis lors de son
installation aux États-Unis. Après la guerre, Fritz Lang qui entretient des liens privilégiés avec
Lotte Eisner4, la conservatrice en chef des collections de la Cinémathèque française, fait un
premier don en 1955. Puis Fritz Lang confie une nouvelle série de documents à la
Cinémathèque en 1959. Parmi ceux-ci, les albums de plusieurs films, dont celui de La Femme
sur la Lune.
2
Fritz Lang, « Mémorandum, à propos d’un film sur la première fusée spatiale américaine dans la Lune », texte
non daté reproduit in Trafic, mars 2002, n° 41.
3
En fait, plus de 700 photos. Fritz Lang, « Mémorandum, à propos d’un film sur la première fusée spatiale
américaine dans la Lune », texte non daté reproduit in Trafic, mars 2002, n° 41.
4
D’origine allemande, Lotte Eisner fut d’abord critique de cinéma dans son pays ce qui l’amena à faire la
connaissance de Fritz Lang. Fuyant le nazisme, elle se réfugie en France en 1933.
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Radioscopie de l’album
Description physique
L’album du film se compose de 4 volumes. Recouvert d’une reliure d’emboîtage en cuir noir
grainé maintenue par un cordon de ligature, chaque volume est numéroté d’un chiffre romain
suivi du titre du film imprimé en lettres dorées. D’une dimension de 32,5 cm de haut par
45 cm de large, les volumes sont composés de 24 à 41 planches en carton brun, perforées et
cousues. À l’intérieur, les tirages photographiques ont été fixés sur des supports de papier
blanc, eux-mêmes collés aux planches. Entre chaque planche, une fine et fragile feuille de
papier cristal, appelée « serpente », est disposée afin de protéger les tirages de la poussière et
des marques de manipulation.
Les photographies
Répartis dans les 4 volumes, les 704 tirages originaux sont tous numérotés sur un des angles
(Vol. I : 1 à 157, Vol. II : 158 à 325, Vol. III : 326 à 502, Vol. IV : 503 à 704). À l’exception
de celui des photographies 14 à 97, gravé sur le tirage, le numéro de chaque image a été
inscrit à l’encre sur le négatif. Un tirage a disparu (le numéro 549). Les photographies sont de
taille variable, mais leur format approche en général 12 x 16 cm. On dénombre
597 photographies au format horizontal et seulement 107 au format vertical. Ces tirages
gélatino-argentiques, typiques des techniques de l’époque, sont montés sur du papier blanc
lui-même collé aux feuillets des volumes de l’album.
La composition
L’album de La Femme sur la Lune contient deux types d’images : des photographies de
plateau et des photographies de tournage. Les photographies de plateau ressemblent de très
près à ce qui est visible à l'écran. Elles illustrent des scènes et des plans du film, et donnent
une idée de l’éclairage et du cadre voulus par le cinéaste. Figurent aussi des images de
séquences coupées au montage. Les photographies de tournage montrent les équipes
techniques, les coulisses et les appareils de tournage (caméra, projecteurs…), les acteurs au
moment des prises de vues ou au repos.
On compte près de 80 % de photos de plateau pour 20 % de photos de tournage. Cette
différence s’explique par la finalité des images. Les photos de plateau, proches des images du
film, voire identiques, sont employées pour la promotion tandis que les photos de tournage ne
sont utilisées que plus rarement.
Les photographies, regroupées par deux, trois ou quatre, sont disposées sur le recto et le verso
des feuillets de l’album. Photographies de tournage et de plateau sont présentées ensemble,
par scène mais suivant un ordre différent de la chronologie du film.
Une restauration nécessaire
Afin d’assurer la conservation de l’album, une restauration, confiée à une spécialiste 5, a eu
lieu en 2001 Au fil des années et des manipulations, l’album avait subi des dommages (usure,
perte de matières, faiblesses mécaniques). Les tirages photographiques avaient également
souffert : poussière, marques de doigts, photos écornées ou rayées… Les albums ont d’abord
été démontés. Le travail sur la reliure a permis de renforcer le dos, de restaurer les lacunes de
matières sur les plats, chants et coins, de remettre à la teinte les décolorations dues à l’usure,
de consolider les perforations. La restauration des planches a consisté en un dépoussiérage et
une réparation des déchirures éventuelles. Les photos ont été nettoyées au solvant, et celles
5
Sabrina Esmeraldo, conseil en conservation et restauration de photographies.
Source : « La BiFi en 2001 », Lettre d’information de la Bibliothèque du film, Hors-série.
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qui comportaient des rayures ont été retouchées. Le papier cristal qui séparait les planches,
abîmé, a été remplacé par des feuilles de papier neutre de manière à éviter les contacts
chimiques préjudiciables à la conservation. Les albums, remontés et placés sous écrin de
protection, ont ensuite été numérisés.
L’album du film
Résumé du film
Wolf Helius, jeune et talentueux entrepreneur, construit une fusée pour atteindre la Lune. Il
compte ainsi réaliser le vieux rêve de Georg Manfeldt, un professeur d’astronomie loufoque,
persuadé de la présence d’or sur la Lune. Hans Windegger, son meilleur ami, et Friede Velten,
la fiancée de ce dernier, dont Helius est amoureux en secret, sont aussi du voyage. Mais les
propriétaires de mines d’or, inquiets de ce projet, dérobent les plans de la fusée. Ils obligent
ainsi Helius à embarquer Walt Turner, leur espion. Un enfant passionné d’astronautique,
Gustav, se glisse secrètement à bord de la fusée. Après l’alunissage, le professeur part à la
recherche de l’or. Il le trouve dans une grotte, mais disparaît dans une crevasse. Turner,
l’ayant suivi, découvre à son tour la grotte. Il prélève des pépites avant de retourner à la fusée.
Il décide de repartir seul pendant que les autres recherchent le professeur. Mais Friede
parvient à l’arrêter et à avertir Helius et Windegger. Ce dernier tue Turner. Parce qu’une balle
de revolver endommage les réserves d’air, un des voyageurs est condamné à rester seul sur la
Lune. Le sort désigne Windegger. Mais Helius, par amour pour Friede, décide de prendre la
place de son ami. Il drogue Windegger et montre au petit Gustav comment piloter la fusée.
Helius regarde la fusée repartir vers la Terre. En retournant à son campement, il découvre
Friede, qui a choisi de rester avec lui. Ensemble, ils attendront les secours.
Enjeu des photos de plateau
À l’exception d’une scène dont il n’existe aucune photographie (le film sur le premier vol
lunaire non habité, diffusé au groupe d’industriels), toutes les séquences du film sont illustrées
dans l’album de La Femme sur la Lune. Horst von Harbou a su prendre les images tout en
restituant l’ambiance du film voulue par Fritz Lang. C’est toute la difficulté du travail du
photographe de plateau. Technicien parmi d’autres lors du tournage du film, il est le seul à ne
pas participer à sa réalisation. Sur le plateau, il doit jouer des coudes pour trouver une place,
car la priorité est donnée à ceux qui fabriquent le film (équipe caméra, scripte,
machinistes…). La taille des appareils de prise de vue photographique, posés sur pied le plus
souvent, est un autre handicap. Il est donc probable que des séances de prises de vue étaient
organisées immédiatement après le tournage d’un plan ou d’une séquence.
Il doit s’intégrer à l’équipe pour saisir l’atmosphère du film. Les images de von Harbou
captent l’esprit de l’histoire en restituant la lumière et les décors sculptés par Fritz Lang et ses
équipes. L’enjeu des photographies de plateau est double : montrer la continuité du film et
donner au spectateur l’envie de voir le film. L’immense majorité des photos montre donc les
personnages en action en mettant en valeur acteurs et décors. L’importance de ces derniers est
d’ailleurs considérable dans La Femme sur la Lune. C’est pourquoi beaucoup de photos
privilégient les scènes se déroulant dans la fusée et sur la Lune.
Différents types de clichés
Le photographe ne reproduit jamais à l’identique les images individuelles composant le film
(appelées « photogrammes »). Le cadre varie souvent légèrement ainsi que l’axe de prise de
vue. L’appareil est légèrement décalé en bas, en haut ou sur le côté de la caméra. Les
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photographies prises du même point de vue que la caméra sont exceptionnelles, telle celle
montrant Hans Windegger et Friede lors de leurs fiançailles.
L’étude des clichés révèle trois types de photos de plateau, correspondant à trois moments des
prises de vues :
- celles prises avant le tournage, lorsque les acteurs répètent les scènes en costume dans les
décors et la lumière du film. Plus que les photos de plateau, ce sont les photos de tournage qui
permettent de les identifier : on y voit le contrechamp de l’image, où Fritz Lang mime les
gestes aux acteurs et où l’équipe, caméra en place, regarde les acteurs répéter. On voit même
sur une photo un acteur remplacé par un figurant.
- le deuxième type de photos correspond à celles prises pendant les prises de vues, c’est-à-dire
pendant le tournage à proprement parler. C’est la comparaison avec les plans du film qui
permet de les identifier : emplacements, gestes et expressions des acteurs sont rigoureusement
identiques.
- le troisième type de clichés est pris après le tournage. Le photographe demande aux acteurs
de poser en mimant les scènes. Les interprètes doivent alors retrouver les gestes, expressions
et émotions. Mais ces photos « posées » se distinguent quand même des autres par leur
théâtralité.
Des traces de l’invisible
L’album contient aussi des images invisibles dans le film : photographies correspondant à des
à des plans non retenus au montage 6. Horst von Harbou a ainsi pris 3 clichés montrant Helius,
au pied de la fusée, en train de faire ses adieux au contremaître de son usine. Mais nulle trace
de ce plan dans le film. On trouve aussi dans l’album des photos de plusieurs scènes non
montées : une séquence entre Helius et le professeur Manfeldt se déroulant dans un
observatoire (8 clichés), l’arrivée du professeur Manfeldt chez Helius (12 images), une scène
mélodramatique entre Friede et son fiancé Windegger (17 clichés) ou encore une séquence de
rêve, dans laquelle le petit Gustav s’imagine en compagnie de son héros Helius aux prises
avec des pirates de l’espace (11 photos).
L’album du tournage
Enjeu des photos de tournage
La seconde mission du photographe de film consiste à réaliser un reportage photographique
sur le tournage. Ces photos représentent une part de la mémoire du film et sont principalement
destinées aux archives de production. Les photographies de tournage montrent l’envers du
décor, le film en train de se faire. On y voit les décors, les lumières, les caméras, les équipes
de techniciens et les acteurs durant la préparation du tournage, les répétitions et les prises de
vues. Ces images révèlent un travail d’équipe où règnent simplicité et exigence.
Fritz Lang, maître à bord
Fritz Lang, réalisateur et maître d’œuvre de l’ensemble du projet, est omniprésent sur les
photos de tournage, véritable directeur de tout et de tous. Comme dans l’album
photographique de Metropolis ou sur les photos publiées de M le Maudit 7, les images
6
La version utilisée est celle figurant sur le DVD commercialisé par le Murnau Stiftung, l’institution détentrice
des droits du film.
7
Noël Simsolo, Bernard Eisenschitz, Gérard Legrand, M le Maudit, Paris, La Cinémathèque Française, Plume,
Calmann-Lévy, 1990.
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« montrent Fritz Lang filmant, ordonnant, dirigeant les acteurs et les techniciens 8 ». On
retrouve son goût de la précision dans le soin qu’il apporte aux décors. Il n’hésite pas à
participer à leur construction aux côtés des ouvriers ou bien à peaufiner un petit détail à la
dernière minute. Les photos « montrent ce que Lang voulait voir et comment il obtenait ce
qu’il voulait 9 ». Il répète avec les acteurs et les figurants, et les dirige lors du tournage des
scènes. Toujours à côté de la caméra lors des prises de vues, il veille au cadre, à la lumière et
à la mise en scène. Il peut même se faire accessoiriste au service de l’opérateur, comme sur
cette photo où la caméra prend en gros plan un texte manuscrit, plan que l’on retrouve dans le
film. Grâce à une complicité évidente avec le photographe, Fritz Lang veille à apparaître à
travers ces photos mises en scène, comme un l’homme-orchestre du film.
Un travail d’équipe
Entre les prises ou après une journée de travail, Horst von Harbou photographie les membres
de l’équipe. On voit, par exemple, Fritz Lang prendre la pose aux côtés du professeur
Hermann Oberth (physicien, spécialiste de l’astronautique et conseiller scientifique du film) et
du petit Gustl Stark-Gstettenbaur, qui interprète Gustav dans le film. Thea von Harbou,
coscénariste et épouse de Lang, apparaît également à ses côtés durant le tournage. D’autres
photos montrent la construction des décors, notamment une importante série consacrée à
l’élaboration des décors de la Lune. Sous la direction des architectes du film (Emil Hasler,
Otto Hunte et Karl Vollbrecht), les ouvriers construisent une charpente de bois de plus de
3 000 m2 et installent dans le fond une grande toile peinte de décors montagneux, de faux
rochers et des tonnes de sable blanchi. La présence de dizaines d’ouvriers et le gigantisme des
décors témoignent du soin mais aussi de l’importance des moyens financiers mis au service de
cette production.
Enfin, de nombreux clichés sont consacrés à l’équipe caméra et aux équipes lumières. Outre
le chef opérateur Curt Courant et son équipe, ils révèlent le matériel utilisé, comme une
caméra Mitchell rapportée des États-Unis. Les photographies témoignent aussi de la lourdeur
du matériel d’éclairage nécessaire aux prises de vues (rampes de tubes en plafonniers, lampes
à arc) et des nombreux machinistes nécessaires à leur manipulation.
Les acteurs
Quatre des six principaux interprètes du film ont déjà joué dans des films de Fritz Lang. Les
deux héros du film Gerda Maurus et Willy Fritsch (qui incarnent Friede et Helius) figurent au
générique de Spione, son précédent film (1928), de même que Fritz Rasp et Hermann
Vallentin. Fritz Lang travaille donc avec des comédiens qu’il connaît bien, leur indique les
attitudes, les gestes, les positions à adopter, prenant même leur place – comme à son
habitude – pour leur montrer ce qu’il veut. On le voit retoucher le maquillage d’un acteur,
vérifier le détail d’un costume (Helius), indiquer une direction de regard. Concentré et
exigeant durant les prises, il se montre détendu et bienveillant sur les photos qui le présentent
durant les pauses, plaisantant avec les comédiens, loin de l’image du tyran si souvent évoquée
à son propos. Très attentif à son image, Fritz Lang apparaît sur les photos sous son meilleur
jour.
8
Robert Delpire et Bernard Latarjet, « Champs et contrechamps » in Metropolis, un film de Fritz Lang : images
d'un tournage, Paris, Centre national de la Photographie, Cinémathèque française, 1985, p. 5.
9
Ibid.
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Autour de l’album
Promotion et sortie du film
En raison de la notoriété de l’homme et de ses films, chaque nouvelle réalisation de Fritz
Lang est un événement. La première projection de La Femme sur la Lune a lieu le
15 octobre 1929 au cinéma UFA-Palast am Zoo de Berlin en présence de plus de
2 000 personnes. Exceptionnellement retransmise à la radio allemande, la soirée est un
évènement mondain et culturel qui se déroule en présence de ministres, d’intellectuels et
d’artistes de renom.
Plus de 100 journalistes allemands et correspondants de la presse étrangère ont été conviés sur
le tournage de La Femme sur la Lune. Avant la sortie, la presse corporative assure la
promotion du film auprès des professionnels (distributeurs, directeurs de salles…) dans des
articles souvent très favorables au film. Au moment de la sortie, la presse cinéma grand public
relaie à son tour l’évènement. En général, le journaliste propose un résumé de l’intrigue,
accompagné de quelques photos des scènes principales faisant la part belle aux images de la
fusée et des paysages lunaires. Mais les critiques sont partagés. S’ils soulignent les prouesses
techniques et la vraisemblance scientifique, les journalistes déplorent le déséquilibre du
scénario, dans lequel la banalité de l’histoire d’amour s’intègre mal au récit de l’épopée
spatiale.
Fritz Lang et la UFA
Fondée en 1917, avec le soutien du Reich et de grandes firmes industrielles, la UFA 10 devient
dès le début des années 1920 la principale firme de cinéma allemande. À la tête de studios et
d’un réseau de salles, elle absorbe ses concurrents, notamment en 1921 la Decla-Bioscop
dirigée par Erich Pommer. Celui-ci prend alors la direction de la production UFA, amenant
avec lui ses collaborateurs, parmi lesquels Fritz Lang.
Passé à la réalisation en 1919 avec Halbblut (La Métisse), Fritz Lang connaît son premier
succès public avec Die Spinnen (Les Araignées) la même année. Mais c’est sous l’égide de la
UFA qu’il s’impose à la critique grâce au film Der Müde Tod (Les Trois Lumières) en 1921.
Il poursuit avec une série de films qui font de lui l’un des cinéastes-phares de la décennie : Dr.
Mabuse, der Spieler (1922), Die Nibelungen (1923), Metropolis (1927). Grâce à Erich
Pommer et à la UFA, Lang s’entoure de techniciens et d’acteurs talentueux, et dispose
d’énormes moyens financiers qui lui permettent de tourner ses superproductions tout en
continuant à expérimenter et à innover sur le plan technique.
Mais ce partenariat se fissure en 1926-1927. En proie à des difficultés économiques, la UFA
reproche publiquement à Fritz Lang le coût astronomique de Metropolis. De son côté, le
cinéaste aspire à plus d’indépendance et fonde sa propre société de production, la Fritz Lang
Film. Il coproduit pourtant avec la UFA ses deux films suivants, Spione en 1928 et La Femme
sur la Lune en 1929. Mais les tensions entre le studio et Lang sont de plus en plus fortes.
Devant le succès grandissant du cinéma parlant, la UFA fait pression sur le cinéaste pour
sonoriser son épopée galactique. Mais le réalisateur s’y refuse ; pour lui le cinéma « est un art
foncièrement pictural, un art de la vision… » et le parlant une nouveauté qui « doit d’abord
10
UFA : Universum Film AG (Aktien Gesellschaft)
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être complétée, perfectionnée et éprouvée 11 ». À peine un mois après la sortie de La Femme
sur la Lune, la UFA officialise la rupture avec Lang. M le Maudit, son film suivant, parlant,
tourné grâce à un producteur indépendant, sort deux ans plus tard.
De Metropolis à la NASA
La fusée de Metropolis
Deux ans avant La Femme sur la Lune, Fritz Lang s’intéresse déjà au thème du voyage
spatial. En effet, il envisage un temps une autre fin pour son film Metropolis : Maria et
Freder, les deux héros du film, devaient s’envoler vers les étoiles à bord d’une fusée.
Finalement, le cinéaste y renonce au profit d’une scène de réconciliation générale au pied de
la cathédrale de la ville. Mais la tentation d’un film sur le voyage spatial ressurgit très vite.
Lang, qui s’intéresse de près aux progrès techniques, découvre le livre Die Rakete zu den
Planetenräumen (Les Fusées dans l’espace interplanétaire) du professeur Hermann Oberth.
Dès lors, il se passionne pour le sujet et décide d’y consacrer un film. Suivant son habitude, il
se documente beaucoup, et charge Thea von Harbou d’écrire le scénario.
Une fusée vraisemblable
Le milieu des années 1920 est marqué par l’apparition des pionniers de l’aéronautique, par
l’invention des premiers moteurs de fusée et par des essais d’engins miniatures. L’Allemagne
est en pointe avec des hommes qui deviendront légendaires : Hermann Oberth, Fritz von Opel
et, plus tard, Werner von Braun. Grâce à Willy Ley, physicien, auteur de l’ouvrage Die
Möglichkeit der Weltraumfahrt (La Possibilité du voyage spatial), Lang entre en contact avec
Hermann Oberth, auquel il demande de devenir son conseiller scientifique pour La Femme
sur la Lune. Le professeur, assisté de Willy Ley, réalise la maquette de la fusée et construit un
engin de 12 m de haut. Le service publicitaire de la UFA annonce même le lancement d’une
véritable fusée pour la sortie du film, mais le projet, trop ambitieux, est abandonné. Malgré
cet échec technique et quelques invraisemblances (comme la présence d’air respirable sur la
Lune), le film de Lang fait date sur le plan scientifique et esthétique. Il fixe l’imagerie de la
fusée et du vol spatial pour des décennies. Quelques années plus tard, les nazis détruiront les
copies du film en raison des nombreuses similitudes avec les bombes volantes V1 et V2,
mises au point par les élèves du professeur Oberth.
Rocket Story
Fritz Lang n’en a pas fini avec le thème du voyage spatial. En 1948-1949, il contacte
différents producteurs américains pour leur proposer le projet Rocket Story. Il ne rédige pas de
scénario mais leur propose un sujet « au futur immédiat 12 » : l’histoire contemporaine de la
construction d’une fusée aux États-Unis et de sa tentative de voyage sur la Lune 13. Le projet
n’ira pas plus loin, mais il montre l’intérêt que Lang continue à porter au sujet. Le cinéaste est
d’ailleurs resté ami avec Willy Ley, qui, tout comme lui, s’est réfugié aux États-Unis et qui
est devenu l’auteur d’ouvrages de vulgarisation scientifique sur l’astronautique.
11
Carl Rohr, « Vers l’avenir avec Fritz Lang », in Cinéma, septembre 1929.
12
Fritz Lang, « La nuit viennoise : une confession de Fritz Lang », Cahiers du cinéma, août 1965, n° 169.
Fritz Lang, « Mémorandum, à propos d’un film sur la première fusée spatiale américaine dans la Lune », texte
non daté reproduit in Trafic, mars 2002, n° 41.
13
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Postérité de La Femme sur la Lune
Quarante ans après sa sortie, La Femme sur la Lune demeure une référence. En 1968, Lang
est invité à un séminaire scientifique au centre de recherche spatiale de Hunstville (Alabama,
États-Unis) pour parler de son film. Sa fusée à étages et l’usage du compte à rebours, dont il
s’attribue la paternité, servent encore de modèles aux équipes de savants. Saturn V, le lanceur
du programme Apollo, qui permit aux astronautes américains de marcher sur la Lune, fut
d’ailleurs mis au point par Werner von Braun, l’ancien élève de Hermann Oberth, l’inventeur
de la maquette de La Femme sur la Lune. Quarante ans après, cet alunissage concrétisait la
phrase d’introduction du film : « Pour le génie humain rien n’est impossible. Tout est question
de temps ».
La collection d’albums de photos de la Cinémathèque française
Chacun sait, pour en avoir constitué soi-même, ce qu’est un album de photographies. Il est
sans doute moins connu que l’activité cinématographique a donné lieu à la production de ce
type d’objet. Les collections de la Cinémathèque française recèlent 554 albums, le plus ancien
datant de 1898, les plus récents des années 1990.
Un outil de travail
Les recherches menées et les témoignages recueillis permettent d’identifier quelques-uns des
usages qui ont présidé à la naissance de ces documents. Jusque dans les années 1970, l’album
photographique était un outil de travail important pour les sociétés de production.
Il pouvait servir à :
- témoigner de l’avancée du tournage d’un film et obtenir des financiers le versement des
fonds nécessaires à sa poursuite ou à son achèvement,
- donner à des distributeurs potentiels un aperçu du travail en cours et susciter une réservation,
- promouvoir le film achevé auprès de ce que nous appelons aujourd’hui des « prescripteurs
d’opinion ».
Il arrive aussi que l’album ait été constitué par le réalisateur ou un collaborateur artistique du
film, soit afin d’organiser une documentation (carnets de travail du décorateur Serge
Pimenoff, du photographe Vincent Rossell, ou albums constitués par le collectionneur Will
Day), soit dans un but purement mémoriel, comme témoignage visuel d’un tournage ou d’un
évènement particulier (voyage de Gérard Philipe à Berlin en 1955, congrès de la Paramount
en 1935…).
L’album peut donc contenir non seulement des photos de plateau, mais encore des clichés
montrant le film en train de se faire, le montage des décors, les répétitions avec les acteurs,
l’ambiance du plateau, des portraits, etc. Dans tous les cas, ces objets, qui sont parfois
constitués de reliures somptueuses, se révèlent être des documents d’étude passionnants pour
le chercheur, le restaurateur de films, l’historien.
Histoire des collections
Depuis sa fondation en 1936 et jusque dans les années 1970, la Cinémathèque française s’est
attachée à collecter des albums de photos. Un peu moins de la moitié de la collection a ainsi
été constituée du vivant de Henri Langlois, fondateur de l'institution. On y trouve des
éléments extrêmement importants et prestigieux concernant des films de Georges Méliès,
Abel Gance, Fritz Lang, Louis Feuillade, Jean Renoir, Marc Allégret… C’est ici l’occasion de
Zoom sur L’album photos de La Femme sur la lune de Fritz Lang
© Editions en ligne / Cinémathèque française, 2010
rappeler la dette immense contractée par la Cinémathèque française à l’égard de sa
conservatrice, Lotte Eisner. Elle est en effet à l’origine des précieux dons faits par Fritz Lang,
notamment les albums de quelques-uns de ses films de la période allemande les plus
importants : Les Espions, La Femme sur la Lune, M le Maudit, ainsi que Liliom tourné en
France, sans oublier Metropolis, dont les 800 photos devaient former, à l’origine, une série
d’albums. De la collection « Langlois » se détachent également quelques albums pour des
films d’Abel Gance, dont deux volumes pour Napoléon et un album pour la version muette de
J’accuse, ou encore les luxueux tirages originaux signés destinés à l’album promotionnel de
Nanouk l’esquimau de Flaherty, entre autres merveilles.
Cette collection n’a cessé d’être enrichie après la disparition de Henri Langlois. Les Archives
françaises du film ont versé une centaine d’albums lors de la création de la Bibliothèque du
film en 1993. Plus de 220 albums se sont ajoutés à cette liste au cours des 15 dernières
années, jusqu’à la toute récente acquisition par la Cinémathèque du fonds Marcel
Carné/Roland Lesaffre, qui compte de nombreux albums relatifs aux films du réalisateur des
Enfants du paradis. On trouve aussi dans ces enrichissements des albums concernant des
films récents (Les Palmes de Monsieur Schutz, Liberté-Oléron par exemple), ce qui témoigne
de la survivance de cette pratique jusqu’au début des années 2000.
Un patrimoine fragile
Cette collection est particulièrement délicate à communiquer au public en raison de sa
fragilité et de sa préciosité, de la complexité aussi des éléments qui la composent. Elle est
aujourd’hui entièrement inventoriée. La politique de la Cinémathèque en ce qui concerne la
conservation est de préserver les albums dans leur intégrité physique toutes les fois que cela
est possible. Tous les volumes sont conservés dans des boîtes spéciales, souvent fabriquées
sur mesure. Un bilan de conservation a permis de déterminer les éléments nécessitant une
restauration prioritaire. Une vingtaine de volumes ont été restaurés et numérisés depuis 2001
(dont l’ensemble des Gance et des Lang) et seront consultables sur écran à la Bibliothèque du
film à l’horizon 2011.
Zoom sur L’album photos de La Femme sur la lune de Fritz Lang
© Editions en ligne / Cinémathèque française, 2010

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