les droits du proprietaire du support materiel d`une oeuvre
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les droits du proprietaire du support materiel d`une oeuvre
LES DROITS DU PROPRIETAIRE http://dessnotaire.free.fr/exposes/supportmateriel.htm LES DROITS DU PROPRIETAIRE DU SUPPORT MATERIEL D’UNE OEUVRE FACE A CEUX DE L’AUTEUR Le droit de propriété apparaît au regard des articles 2 et 17 de la DDHC de 1789 comme un droit naturel, imprescriptible et sacré. Son caractère fondamental n’a cessé depuis d’être consacré. L’article 544 du C.civ le définit comme le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue. Les prérogatives du propriétaire sont donc totales et exclusives et se traduisent par l’usus , le fructus et l’abusus. Or face à ce droit «tout puissant » le droit d’auteur est apparu pour protéger l’auteur. Et notamment par la loi du 9 avril 1910 qui a permis d’empêcher les personnes ayant accès à l’œuvre d’effectuer certains actes. Et désormais l’article L111-3 al 1 du C.P.I pose le principe de l’indépendance entre les droits de l’auteur et la propriété du support matériel. Cette règle d’indépendance permet à l’auteur de conserver des prérogatives exclusives sur son œuvre, ce qui va entraîner une superposition de droits sur un même bien, et donc un conflit potentiel. Prenons l’exemple d’un tableau : en l’absence d’une protection de l’œuvre par un droit d’auteur, son propriétaire va bénéficier de tous les attributs de son droit de propriétaire : il sera donc libre de le détruire, de le vendre, de le reproduire. Maintenant si ce tableau est protégé par un droit d’auteur les prérogatives exclusives du propriétaire vont entrer en conflit avec les prérogatives exclusives de l’auteur et le propriétaire sera forcé de respecter les droits de l’artiste : il ne pourra donc pas en principe détruire l’œuvre ou la reproduire. L’étude de l’étendue des droits du propriétaire du support face à l’auteur de l’œuvre est donc primordiale, en effet les hypothèses où le titulaire des droits d’auteur et le propriétaire du support sont deux personnes différentes sont nombreuses : en cas d’aliénation du bien, bien sûr mais également lorsque l’auteur a envoyé des lettres-missives, et même dans le cas où il y aurait deux coauteurs mais que l’un seulement est propriétaire du support matériel comme cela a été jugé en 1997 par la C.cass pour un dessinateur et un scénariste de BD, le dessinateur ayant seul la propriété des planches originales. Une autre hypothèse de conflit dont les conséquences vont intéresser directement les notaires apparaît au regard des régimes matrimoniaux, lorsque les droits de l’auteur vont s’opposer à ceux de son conjoint. La question se posera alors de déterminer le statut de l’œuvre d’art et du droit d’auteur, et de leur qualification au regard de la distinction entre Biens Propres et Biens Communs. C’est pourquoi après avoir confronté les droits de l’auteur face au propriétaire, et envisagé ainsi le problème sous son aspect matériel, nous nous intéresserons au sort des droits d’auteur et de l’œuvre d’art lors de la dissolution du régime matrimonial, en évoquant ainsi le conflit sous son aspect organique. LES DROITS DU PROPRIETAIRE I) http://dessnotaire.free.fr/exposes/supportmateriel.htm LA CONFRONTATION ENTRE LES DROITS DU PROPRIETAIRE ET LES DROITS DE L’AUTEUR A- Les limites apportées au droit de propriété par le droit moral Au 19ème siècle, la jurisprudence et la doctrine surtout faisaient largement prédominer les droits du propriétaire par rapport à ceux de l’auteur. Le propriétaire avait ainsi tous les droits sur le support matériel. Un arrêt de 1842 affirme que «la vente transmet à l’acquéreur la pleine propriété de la chose vendue, avec tous les avantages qui en dépendent ». En l’espèce l’acquéreur était alors investi du droit de reproduire l’œuvre. Le propriétaire avait également le droit de modifier l’œuvre (comme le montre un arrêt de 1868 de la CA d’Aix dans lequel le propriétaire avait apposé des statues de mauvais goût sur un immeuble architectural). Le propriétaire jouissait donc de tous les attributs de son droit de propriété, y compris le fructus et l’abusus. Mais la loi de 1910 est intervenue en posant le principe de l’indépendance entre propriété incorporelle et la propriété de l’objet matériel, avec pour corollaire (aujourd’hui repris à l’alinéa 2 de l’article L 111-3) que le propriétaire de l’objet matériel n’est investi d’aucun droit de propriété intellectuelle. A partir de cette date le droit moral de l’auteur est venu limiter considérablement les prérogatives du propriétaire et notamment l’abusus et le fructus. L’attribut majeur du droit de propriété va être battu en brèche par le droit au respect de l’œuvre de l’auteur. A titre d’exemple on peut citer l’affaire B.Buffet où la responsabilité du propriétaire s’est trouvée engagée pour avoir découpé un réfrigérateur sur lequel figurait une œuvre d’art en morceaux. Le propriétaire ne peut donc pas modifier œuvre, il ne pourra pas non plus la détruire (cf. l’affaire Dubuffet). Les juges cherchent en général à établir un équilibre entre les intérêts en présence et le propriétaire pourra prouver la légitimité de son acte (exemple : la contrainte économique). Le fructus également sera limité puisque le propriétaire ne pourra pas par exemple reproduire l’œuvre sans se rendre coupable de contrefaçon, il ne pourra pas non plus utiliser œuvre dans un film publicitaire, et il n’aura pas de monopole d’exploitation sur œuvre. D’autres atteintes aux droits de propriété peuvent être relevées : il s’agit en fait de prérogatives accordées à l’auteur que sont : - le droit de suite qui va s’exercer en cas d’aliénation d’œuvre par le propriétaire. - le droit de destination et le droit de location et de prêt. Il faut préciser que ces atteintes au droit de propriété s’appliquent également lorsque œuvre est devenue res nullius à la suite d’un abandon comme c’était le cas dans l’affaire Camoin ; Camoin avait lacéré puis jeté une série de toiles, un chiffonnier avait récupéré puis reconstitué les débris qu’il avait ensuite vendus aux puces. Le tribunal a décidé qu’il y avait contrefaçon et que la propriété des morceaux de toiles ne pouvait faire obstacle à l’exercice par l’auteur de son droit de divulgation. B- L’opposabilité du droit de propriété Malgré toutes ces atteintes au droit de propriété le support matériel est tout de même soumis au droit de propriété mobilière. Ainsi l’auteur ne peut en principe s’opposer à la revente sauf à LES DROITS DU PROPRIETAIRE http://dessnotaire.free.fr/exposes/supportmateriel.htm exercer son droit de suite. De même l’auteur conserve l’usus et va être investi d’un certain monopole de fait sur œuvre. En effet il peut interdire l’accès à œuvre comme le dispose l’alinéa 2 de l’article L 111-3 du CPI : « l’auteur ou ses ayants droit ne pourront exiger du propriétaire la mise à leur disposition de cet objet pour l’exercice de leurs droits ». Donc le propriétaire peut garder pour lui seul la jouissance de la chose. Le droit d’auteur semble donc dans ce cas subordonné au droit de propriété mais il existe une limite prévue dans le même article : « en cas d’abus notoire du propriétaire empêchant l’exercice du droit de divulgation le TGI peut prendre toute mesure appropriée ». Le texte ne semble viser que les cas où la mauvaise volonté du propriétaire paralyse l ‘exercice du droit de divulgation ; mais ça ne paraît pas très logique dans la mesure où si œuvre a été vendue ou donnée elle a par définition été divulguée ! ! et donc le droit de divulgation a été épuisé. La doctrine considère que le champ d’application de cet article doit être élargi à toutes les hypothèses dans lesquelles le propriétaire du support empêche le titulaire du droit d’auteur d’exercer son monopole d’exploitation. Mais d’autres auteurs ont évoqué la possibilité de recourir à la théorie de l’abus de droit telle qu’elle existe en droit commun. En effet le propriétaire en exerçant de manière excessive son droit de rétention effectuerait un détournement de la fonction sociale du droit de propriété en ce qu’il méconnaîtrait les intérêts de la collectivité et du public en les privant de l’accès à l’œuvre d’art. Il appartiendrait au juge de prendre en compte les intérêts en présence : ceux économiques et moraux de l’auteur, ceux du public par l’intérêt culturel , scientifique, ou historique de l’œuvre , et ceux du propriétaire qui peuvent être tout à fait légitime : L’atteinte aux droits de la personnalité s’il s’agit d’un portrait, au secret des correspondances s’il s’agit de missives. On a donc vu que le droit d’auteur et le droit de propriété s’affrontaient et se limitaient l’un l’autre sans que l’on puisse vraiment dire que l’un domine l’autre. On va désormais s’intéresser à des conséquences typiquement notariales puisque l’on va étudier le droit d’auteur face aux régimes matrimoniaux. II/ LE SORT DES DROITS D’AUTEUR ET DE L’ŒUVRE D’ART LORS DE LA DISSOLUTION DU REGIME MATRIMONIAL A/ LE SORT DU DROIT D’AUTEUR 1/ Le caractère propre du monopole (article l.121-9 al.1er cpi) Le droit de fixer les conditions de l’exploitation, c’est-à-dire le monopole d’auteur est propre. On a hésité en revanche pour les droits patrimoniaux… Ainsi, dans le cas d’époux communs en biens, le monopole doit-il tomber en communauté ? La jurisprudence l’avait admis ( Cass civ, 25 juin 1902, Lecocq). Au contraire, l’article L.121-9 al.1er CPI se prononce en faveur du caractère propre du LES DROITS DU PROPRIETAIRE http://dessnotaire.free.fr/exposes/supportmateriel.htm monopole. Cette solution est fort logique. Comme le faisait remarquer Desbois, « il était choquant qu’en cas de liquidation après divorce, le conjoint de l’auteur pût voir mis dans son lot, un monopole, dont il serait évidemment tenter d’abuser… ». Les liens entre le droit moral et le monopole d’exploitation justifient que l’un et l’autre suivent ici le même sort. Cependant, l’argument ne vaut plus lorsque le conjoint est titulaire des seuls droits patrimoniaux en qualité de cessionnaire, donataire, héritier ou légataire. Au demeurant, le caractère propre des droits recueillis par succession, donation ou legs ne prête plus discussion dans le cadre de l’actuel régime légal. 2/ Les redevances tombent en communauté (article l.121-9 al.2 du Code de la propriété intellectuelle) L’article L.121-9 al.2 CPI fait entrer en communauté, dans le régime légal, les « produits pécuniaires » qui ont été « acquis pendant le mariage ». La difficulté principale est de définir l’expression « acquis pendant le mariage ». Certains auteurs limitent la portée de la règle aux produits perçus. D’autres estiment que seules sont communes les redevances exigibles, depuis la célébration du mariage jusqu’à la dissolution. Mais, il semblerait plus logique de prendre en compte le fait générateur de la créance, qui renvoie selon les cas, au jour de la cession (en cas de forfait), ou au fait matériel de l’exploitation(en cas de rémunération proportionnelle). Les redevances ainsi « nées » pendant le mariage ont vocation à remplir la masse commune, sans prendre en compte le fait qu’elles n’ont été exigibles ou qu’elles n’ont été effectivement perçues, qu’après la dissolution. B/ LE SORT DES ŒUVRES D’ART Puisque le législateur (art. L.111-3 al.1er CPI) ne soustrait expressément à la masse commune que le droit de propriété intellectuelle, on doit en déduire que l’œuvre d’art, en tant que meuble corporel, a vocation, conformément au droit commun, à tomber en communauté lorsqu’elle a été crée pendant la durée du mariage. 1/ Le cas des œuvres non divulguées La question se limite ici à savoir si le support matériel doit suivre le régime ordinaire des meubles ? Tant que le lien « ombilical » n’est pas rompu par la décision de divulguer le meuble, même si l’œuvre est achevée, elle doit être regardée comme un bien propre par nature. Symétriquement, la divulgation en fera un bien commun, même si l’œuvre n’est pas achevée. C’est le raisonnement retenu par la Cour de renvoi dans l’affaire Bonnard (CA Orléans, 18 février 1959). LES DROITS DU PROPRIETAIRE http://dessnotaire.free.fr/exposes/supportmateriel.htm Mais, la situation se complique lorsque l’auteur décède sans avoir divulgué. Tel était le cas dans l’affaire Picabia ( Cass 1ère , 4 juin 1971). La Cour de cassation a ici affirmé le caractère commun des œuvres non divulguées, dès lors, précise t- elle, que le peintre n’avait pas « manifesté la volonté de les modifier ou de les détruire ». Cependant des considérations d’opportunité ont pesé d’un grand poids en l’espèce, la Cour n’ayant pas voulu procéder à un tri hasardeux, certaines toiles figurant déjà à des catalogues d’exposition, et pouvant être de ce fait tenues pour divulguées… 2/ Le cas des œuvres divulguées Comment va t- on concilier le caractère commun des biens avec les autres prérogatives du droit moral ? L’arrêt Bonnard ( Cass 1ère civile, 4 décembre 1956) a élargi le droit moral de l’auteur, à qui il a reconnu deux prérogatives. L’auteur peut ainsi jusqu’au partage modifier sa création ou même la supprimer. Cette prérogative se justifie par l’idée que le titulaire du droit moral a ici par hypothèse la qualité de copropriétaire. La seconde prérogative consiste en la possibilité d’une attribution préférentielle, permettant d’éviter les problèmes. L’arrêt Picabia ( Cass 1ère civile, 4 juin 1971) ne donne pas la même portée à la réserve du droit moral que l’arrêt Bonnard, puisqu’il se contente de tirer argument, pour faire tomber le œuvres picturales dans la masse commune, de ce que le peintre n’avait pas la volonté de les modifier ou de les détruire. Cela étant, la confrontation des deux arrêts oblige à considérer le fait qu’ils sont intervenus dans des circonstances bien différentes… En effet, dans l’arrêt Picabia, la dissolution avait été provoquée par le décès du peintre lui-même, ce qui explique que la réserve du droit moral ait été limitée à la période de la communauté, les héritiers ne pouvant pas modifier la masse commune par des initiatives propres… Tandis que dans l’arrêt Bonnard, c’était la femme de l’artiste qui était prédécèdée, ce qui permettait de reconnaître à celui-ci un droit moral plus fort…