3 Fines_jidv26 - Le Journal International de Victimologie
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Journal International De Victimologie International Journal Of Victimology Tome 9, numéro 2 (2011) Négociation de plaidoyer et crimes financiers: patterns d’infractions et excuses faites aux victimes FINES, L.1, [QUÉBEC, CANADA] Auteur 1 Criminologue, Ph.D. École de criminologie, Université de Montréal, professeur à temps partiel, Université d'Ottawa Résumé Dans cet article, nous examinons les excuses (regrets, remords) qui sont exprimées par les infracteurs présumés de crimes en col blanc lorsqu’ils font ou pourraient faire l’objet de l’attention des instances de contrôle, et par voie de conséquence, lorsqu’ils négocient l’issue du litige avec les instances de contrôle. Il s’agit de comprendre et d’expliquer les liens susceptibles d’exister entre les patterns d’infractions des acteurs et, par ailleurs, les excuses qu’ils vont clamer publiquement aux différentes étapes du processus judiciaire et infrajudiciaire. C’est donc la question du sentencing, en matière de crime en col blanc, qui est revisitée à l’aune de la proposition conceptuelle de Wheeler, Mann et Sarat (1988). Ces derniers faisant état d’un paradoxe clémence-sévérité lorsque vient le temps de juger, de condamner et de punir les infracteurs présumés de crimes en col blanc. Mots-clés crimes en col blanc, négociation de plaidoyer, excuses, remords, regrets, victimes, patterns d’infractions Journal International De Victimologie 2011; 9(2) : 333 NEGOCIATIONS DE PLAIDOYER ET CRIMES FINANCIERS Dans la sphère des crimes en col blanc , 1 certains crimes peuvent être considérés comme des « crimes sans victimes ». Ainsi, concrètement, par exemple, c’est le système qui est arnaqué dans son ensemble et non pas des victimes clairement identifiables. Ou encore, comme dans le cas de certaines fraudes bancaires2, chaque victime individuelle n’est touchée que dans une faible proportion. Par ailleurs, de nombreux crimes en col blanc génèrent de très nombreuses victimes dont les conséquences directes sont financières et sociales, mais aussi fort dommageables pour la santé des personnes touchées, quand il n’y a pas mort d’hommes. De fait, des groupes de personnes ciblées (les femmes, les personnes démunies…) et le public en général sont susceptibles d’être les victimes de très nombreuses organisations, de multiples façons et de manière répétitive3. Toutefois, la perspective que des victimes vont résulter de leurs conduites organisationnelles ou individuelles ne constitue pas à tous les coups un facteur suffisamment important pour restreindre le passage à l’acte des infracteurs présumés4. 1 Pour une réflexion sur la nature des crimes en col blanc et de leurs conséquences pour les victimes, voir Fines (2010a). 2 Une fraude célèbre : un employé d’une banque soutirait un sou à chaque client, un stratagème qui lui a permis d’accumuler des sommes colossales. Récemment des versions de ces schèmes frauduleux ont été tentées en ligne. 3 Pour une mise en contexte des conséquences des crimes en col blanc et des conséquences pour les victimes, voir Croall (2010) ; McGurrin et Friedriechs (2010) ; Ruggiero (2010) ; Tombs et White (2010). Voir également : « Le crime en col blanc tue (auteur inconnu). 4 Par « infracteurs présumés », il faut entendre aussi bien les organisations que les individus. En l’occurrence, en dépit des dommages qui vont résulter de leurs choix organisationnels et idiosyncrasiques, les entreprises et leurs dirigeants ne s’empêchent pas pour autant de commercialiser un produit défectueux5. Parfois, le calcul des dommages causés aux victimes sous forme de remboursements, indemnités et dédommagements divers est déjà prévu dans le protocole de mise en marché des produits financiers ou manufacturés. Aussi, la perspective de causer du tort à des personnes humaines n’entre pas nécessairement en ligne de compte dans l’évaluation de la conduite en cours d’exécution. En fait, pour la majorité des crimes en col blanc, les infracteurs présumés ne semblent pas a priori préoccupés par le sort réservé aux victimes. Pour preuve, l’absence d’empathie témoignée à l’endroit des victimes par certains infracteurs présumés précisément en train de les spolier6. En particulier, la diffusion de la responsabilité des actes qui sont commis au sein d’une organisation favorise chez les acteurs impliqués une forme de détachement par rapport aux victimes potentielles ou réelles générées par leurs crimes7. Alors pourquoi certains infracteurs présumés prennent-ils la peine de s’excuser ostensiblement lorsque le crime est de notoriété publique ? Pour mémoire, à la suite d’une enquête de routine, par le biais d’une 5 Sur cette question, voir : Cullen, Maakestad et Cavender (1987) ; Gray, Frieder et Clar. (2005). 6 Le cas des traders d’Enron ayant organisé une pénurie d’électricité en Californie (2001) se gaussant des victimes est désormais célèbre, des mémos et des enregistrements faisant la démonstration incontestable que les victimes étaient tournées en ridicule par les infracteurs présumés qui se félicitaient de leurs opérations gagnantes (Fox, 2003). 7 Sur ce point voir : Clinard et Yeager (1980). NEGOCIATIONS DE PLAIDOYER ET CRIMES FINANCIERS dénonciation8, ou encore alertées par la mort d’employés sur leur lieu de travail9, les autorités compétentes, dès qu’un crime est connu, vont rapidement entrer en scène et procéder, lorsque les preuves sont suffisantes, à l’inculpation d’une ou de plusieurs personnes10. Dès lors, les acteurs qui font l’objet d’une enquête et tous ceux qui sont impliqués de près ou de loin dans la conduite à l’étude (accusés, suspects, complices, inculpés, coupables) vont rapidement s’investir dans une gestion de la crise susceptible de revêtir des formes différentes : abandon des affaires, suicide, tentative de corruption, négociation avec les agences gouvernementales… Certains infracteurs présumés, quant à eux, compte tenu de leur conduite personnelle ou de celle de la société commerciale dont ils relèvent, optent plutôt pour un rituel défensif connu de longue date : ils expriment publiquement des regrets, des excuses ou des remords (ou tous ces sentiments à la fois). D’une part, on peut se demander si les excuses des infracteurs présumés sont à hauteur des torts causés aux victimes de crimes en col blanc. D’autre part, il apparaît opportun de scruter davantage l’expression des excuses formulées par les infracteurs présumés. En effet, qu’en est-il de ces excuses publiques11 ? Que nous indiquent-t 8 Voir Fines (2010b). 9 Par exemple, lors d’un accident minier. 10 Parfois une organisation est aussi interpellée par les instances pénales. 11 Pour des raisons pragmatiques, les termes « excuses », « remords » et « regrets » sont plus ou moins utilisés indifféremment pour désigner l’ensemble des stratégies et opérations visant à faire amende honorable, une fois le crime connu du public, des procureurs et des agences gouvernementales. Retenons que la notion de elles sur les infracteurs présumé ? Sur les schèmes criminels à l’œuvre ? Sur la gestion du scandale par les acteurs concernés ? Quelle est l’utilité et la pertinence de ces remords clamés publiquement ? Quel est l’impact de ces démonstrations de regrets sur le processus judiciaire en cours ? Quel est le but recherché ? À quoi - et à qui - servent–elles ces excuses faites a posteriori par des acteurs dont les conduites sont débattues sur la place publique ? Sont-elles de nature à permettre aux victimes de mieux comprendre le crime qui les afflige ? Est-ce que les accusés qui font des excuses publiques peuvent espérer bénéficier d’une forme de clémence lors du prononcé de la sentence ? Est-ce trop peu, trop tard ? Sur la base de l’hypothèse voulant que les excuses publiques des infracteurs présumés servent diverses fonctions, nous nous proposons d’étudier ces excuses à l’aune des patterns d’infractions dont ils se sont rendus coupables, ou à tout le moins auxquels ils ont participé. Concrètement, étant donné que les individus mis sur la sellette relèvent d’organisations commerciales qui veulent continuer à croître (Stone, 1975) – à tout le moins qui tiennent à leur réputation - il apparaît opportun de supposer que l’expression des regrets et des remords par les acteurs renvoie à des finalités plurielles. En fait, envisager que le remords affiché des infracteurs présumés puisse s’inscrire à l’intérieur de préoccupations politiques, économiques, judiciaires et infrajudiciaires, c’est en quelque sorte assumer que les victimes sont dupées une fois de plus. Bien sûr, toutes les excuses formulées publiquement par les infracteurs présumés ne se résument pas à des stratégies défensives visant à mieux négocier le scandale qui les afflige. remords semble d’un usage consacré dans le champ légal et judiciaire puisqu’elle intervient en lien avec le sentencing. Dans l’arène médiatique, outre les remords, il est souvent question « d’excuses » et de « regrets » (sorry, apology, regret). Journal International De Victimologie 2011; 9(2) : 335 FINES, L. Toutefois, certains exemples contemporains laissent présager que les excuses plurielles formulées par les infracteurs présumés ayant à répondre de leurs actes devant les instances compétentes jouent de nombreux rôles et fonctions, autres que la prise en compte du seul tort causé aux victimes. aussi nous intéresser à des situations où les infracteurs présumés n’ont pas manifesté publiquement de remords à l’endroit des victimes, compte tenu des gestes posés pouvant les affecter. Dans cet article, pour mieux comprendre le rôle joué par les excuses (les regrets, le remords, les demandes de pardon…) exprimées par les infracteurs présumés, lorsqu’ils font ou pourraient faire l’objet de poursuites diverses par les autorités compétentes, nous allons nous intéresser (1) aux excuses qu’ils ont formulé, notamment en tenant compte des procédures judiciaires et infrajudiciaires en cours ; (2) aux conséquences qui en ont résulté pour les divers infracteurs présumés en lice dans le processus de négociations ; et (3) aux patterns d’infractions auxquels les acteurs ont participé. Nous allons dès lors être en mesure de soupeser les patterns d’infractions des infracteurs présumés à l’aune des excuses qu’ils ont exprimées aux étapes plurielles du processus judiciaire et infrajudiciaire12. Au final, il sera possible de dégager certains cas de figure susceptibles de se produire, dans le cas des crimes en col blanc, en lien avec la manifestation de remords à l’endroit des victimes, remords exprimés - ou non – par les infracteurs présumés, dans le cadre judiciaire et infrajudiciaire. En effet, concrètement, en plus de cibler des cas où les acteurs ont clamé des excuses publiques, nous allons Méthodologie 12 Il importe en effet, dans le cas des crimes en col blanc de s’intéresser tout particulièrement aux négociations à l’infrajudiciaire car, pour eux, les mêmes actes peuvent donner lieu à des procédures devant des instances diverses (Sutherland, 1940). Dans cet ordre d’idée, pour étudier les scandales financiers de 2001 (Enron), dans le cadre de nos travaux, à des fins conceptuelles et théoriques, nous avons opté pour une conception large de la négociation de plaidoyer (plea bargaining) (Fines, 2007). 336 En ciblant une série d’affaires contemporaines (WorldCom, KPMG, Parmalat, Enron, Citigroup, Toyota…), d’une certaine manière, nous avons accès aux stratégies réactives (défensives) des organisations et des individus ayant maille à partir avec la justice. Les études de cas ont été sélectionnées en raison du fait que les infracteurs présumés ont exprimé publiquement des excuses auprès du public, des autorités judiciaires ou encore des personnes touchées par leurs conduites. Dans un premier temps, nous allons examiner les situations où les infracteurs présumés ont exprimé publiquement des excuses (N=9). Dans un deuxième temps, nous allons nous intéresser à des infracteurs présumés qui n’ont pas manifesté de remords en lien avec les crimes commis (N=4). Enfin, nous allons comparer ces deux groupes d’acteurs entre eux de manière à mieux comprendre et expliquer l’importance de la manifestation de remords publics dans le cas où les acteurs auraient perpétré des actes illégaux ou susceptibles de l’être. De fait, la plupart des infracteurs présumés étudiés font effectivement l’objet de poursuites pénales. Toutefois, en ce qui concerne deux des cas étudiés -celui de Prince (Citigroup) et celui de Toyoda (Toyota) -, nous sommes en présence de situations où ce sont des commissions d’enquête qui ont tenté de comprendre la chaîne d’événements ayant généré de nombreuses victimes (dont la mort de personnes). La pertinence de retenir ces affaires tient à un certain nombre d’éléments : les dirigeants ont exprimé des excuses pour leurs actions, il y eu un grand nombre de victimes, les entreprises ont pu poursuivre leur conduites pendant un long laps de temps sans être interpellées par les NEGOCIATIONS DE PLAIDOYER ET CRIMES FINANCIERS agences gouvernementales et les réactions sociales, judiciaires et politiques qui entourent le traitement des infracteurs présumés permettent de mieux saisir le lien susceptible d’exister entre la manifestation d’excuses publiques et les gains enregistrés par les acteurs de crimes en col blanc, si tel est le cas. Les données empiriques proviennent essentiellement de sources médiatiques, organisationnelles, légales, judiciaires et gouvernementales, une méthodologie ayant fait ses preuves (Fines, 2011). En effet, précisément dans un contexte d’histoire immédiate (Soulet, 1999), dans le cas de scandales politiques et financiers (Thompson, 2000) et de manière générale, pour tous les crimes en col blanc, des informations sociologiques pertinentes sont susceptibles d’être accessibles en quantité et en qualité, rapidement et de manière accrue, notamment au fur et à mesure que les instances judiciaires se saisissent de l’affaire. En outre, deux observations justifient de recourir aux données médiatiques comme données empiriques pour documenter le phénomène social et juridique à l’étude : précisément celui de formuler publiquement des excuses en lien avec une conduite organisationnelle ou individuelle ayant généré des victimes. D’une part, plusieurs médias prennent soin, lorsqu’ils relatent les affaires mettant aux prises des infracteurs présumés de crimes en col blanc, où lorsqu’ils établissent des chaînes d’événements (timeline), de préciser si l’accusé a formulé ou non des remords13. D’autre part, dans la mesure où les acteurs recherchent des buts spécifiques, ils vont s’assurer que les médias relayent de manière efficace ces déclarations fracassantes ou non. Les études de cas retenues rendent compte, non seulement, de situations actuelles ou récentes, mais également, elles touchent à plusieurs secteurs : financier, 13 Par exemple : TimesOnline (7 juin 2007). politique, manufacturier, agroalimentaire… De plus, les cas recensés couvrent un large spectre géographique (Etats-Unis, Japon, Italie). En outre, pour l’ensemble des cas de notre échantillon, les victimes se comptent par milliers. Concrètement, l’examen des cas sélectionnés devrait jeter un éclairage fécond sur l’utilité et l’impact des excuses exprimées par les acteurs lorsque interpellés sur la place publique en lien avec des conduites criminelles ou en lien avec des conduites faisant l’objet de l’attention des instances de contrôle. En somme, l’étude des cas sélectionnés va constituer une occasion unique de mieux comprendre les conséquences judiciaires et infrajudiciaires de manifester – ou de ne pas le faire - des regrets aux différentes étapes du processus judiciaire et infrajudiciaire en cours. En bout de ligne, l’examen des patterns d’infractions des infracteurs présumés soupesés à l’aune des excuses exprimées en public devrait nous permettre de mettre en lumière les finalités plurielles de l’usage des excuses publiques par les infracteurs présumés faisant l‘objet de l’attention des organes de contrôle, de relever des points communs entre les diverses situations à l’étude, et aussi de mettre en exergue les différences qui les caractérisent. Le remords et les infracteurs présumés de crimes en col blanc De manière récurrente, de nombreux acteurs (procureurs, agences gouvernementales, politiciens, infracteurs présumés, investisseurs, complices…) ont associé les crimes en col blanc à des actes de peu d’importance, du moins lorsqu’on les compare aux « crimes de la rue » réputés plus violents. Peut-être est-ce une des raisons pour laquelle les infracteurs présumés de crimes en col blanc ne manifestent pas ostensiblement leur remords et leurs regrets aux victimes : ils Journal International De Victimologie 2011; 9(2) : 337 FINES, L. sont persuadés de ne pas avoir commis de crime (Fines, sous presse)14. En fait, aussi étrange que cela puisse paraître, la question des regrets et des excuses faites par les infracteurs présumés de crimes en col blanc aux victimes connues et identifiables15 n’est pas largement traitée par les chercheurs. Ce sont plutôt les justifications, les rationalisations et les explications relatives aux conduites des acteurs qui jalonnent les études portant sur les crimes en col blanc : par exemple, les infracteurs présumés ne voulaient qu’emprunter l’argent, ils croyaient que c’était des pratiques commerciales acceptables, ou encore ils ne faisaient qu’obéir aux ordres... (Conklin, 1977 ; Doig, 1984 ; Croall, 1988, 1992, 2001, 1989/ 2001 ; Pearce, 2001). En l’occurrence, dans les travaux des chercheurs, plus souvent qu’autrement, il s’agit de saisir l‘incompréhensible : à savoir que des élites, des gens d’affaires, des politiciens, des policiers, des sociétés commerciales cotées en bourse et des organisations au-dessus de tout soupçon (judiciaires, politiques, économiques, policières…), alors même que leur position structurelle leur permettait de prétendre aux privilèges, aux honneurs et au luxe inhérent à leurs fonctions, ont plutôt choisi d’adopter des conduites illégales, ou à tout le moins, se sont engagés dans des patterns d’infractions générant de nombreuses victimes vulnérables d’un point de vue structurelle (Clinard et Yeager, 1980 ; Clinard, 1983, 1990 ; Poveda, 1994 ; Tombs et White, 2010). 14 C’est le cas de Ken Lay (Enron) qui, lors de son procès, a affirmé être innocent et n’avoir commis rien de mal (Jasmine Kelemen et Jim Welter, 25 mai 2006, Market Watch). 15 Ou aux victimes anonymes. 338 Le remords : dimension légale La loi a prévu des dispositions aptes à permettre aux juges de prendre en considération le repentir des accusés. Incidemment, la seule référence directe au remords des infracteurs présumés de crimes en col blanc que nous ayons trouvée provient d’un précis légal (Swaigen et Blunt, 1985). Dans ce document faisant état des dispositions des lois et de leurs interprétations, y sont abordées les notions de remords et de repentir en lien avec les crimes en col blanc : En matière de délinquance écologique, comme en matière de délinquance violente ou économique, le remords ou repentir est un facteur d’atténuation de la peine. En revanche, l’absence de remords en est un d’aggravation. Toutefois (…) [l]es sociétés commerciales ne peuvent connaître le remords. Leurs dirigeants en sont capables, et il arrive qu’ils le témoignent. Cependant, il est presque impossible pour le tribunal de déterminer, sur la base des déclarations faites par l’avocat ou les cadres de la société, si ce remords est sincère. (…) Le sentiment de remords du cadre d’entreprise qui comparaît devant le tribunal ne reflète pas nécessairement l’attitude des autres dirigeants de l’entreprise à l’égard de l’infraction (Swaigen et Blunt, 1985 :35). De ces précisions légales, nous retenons que la manifestation de remords de la part d’un acteur est un facteur apte à influencer l’issue des négociations mettant aux prises un infracteur présumé et des instances de contrôle. Par ailleurs, il importe de résister à la tentation de considérer que les organisations puissent ressentir des regrets pour leurs actions, seuls les individus sont capables de sentiments. Enfin, il faut envisager la possibilité que le remords exprimé par l’accusé ne soit pas sincère. Et surtout, il faut comprendre que les propos formulés par un membre de l‘organisation ne reflètent pas nécessairement ceux des autres dirigeants à tous les coups, seuls ses sentiments sont NEGOCIATIONS DE PLAIDOYER ET CRIMES FINANCIERS susceptibles d’être en cause. Pour pertinentes que soient les observations de Swaigen et Blunt (1985), il importe de noter que la question du remords de l’infracteur présumé de crime en col blanc n’est abordée qu’en lien avec la détermination de la peine. Les études de cas où les infracteurs présumés ont exprimé du regret Nous passons maintenant à l’examen de cas contemporains ayant donné lieu à l’expression publique de regrets, d’excuses et de remords par les membres d’une organisation alors qu’ils ont maille à partir avec les autorités de contrôle. Pour chacune des situations à l’étude, nous prenons soin d’examiner la nature des excuses formulées, la terminologie, le contexte et les circonstances entourant les déclarations et enfin, les raisons explicites et celles plus implicites - de déclarer les excuses aux victimes, aux autorités, aux investisseurs ou au public en général. Les dates des cas présentés renvoient à la date de la présentation des excuses des infracteurs présumés. En effet, en matière d’excuses, le timing joue un rôle important si on veut obtenir des gains significatifs. D’une certaine manière, plus on attend, plus les remords peuvent sembler manquer de crédibilité. I. Le cas de John Sigmore executive ) WorldCom (2002) (chief Les excuses de John Sigmore et le pattern d’infractions John Sigmore (WorldCom chief executive16), tout en prenant soin d’indiquer que les problèmes de la compagnie relevaient de gestionnaires aujourd’hui en disgrâce, a formulé des excuses publiques : 16 Nommé en avril 2002. « While the deeds we uncovered were part of a past administration, I want to apologize on behalf of everyone at WorldCom » (in Declan McCullagh, 2 juillet 2002, News.Com). En acceptant de s’excuser publiquement, Sigmore tente de convaincre les investisseurs de sa bonne foi : concrètement, il s’agit de trouver de l’argent pour permettre à la compagnie de se restructurer. La manœuvre est donc directement orientée vers l’avenir. La compagnie de télécommunications WorldCom fait l’objet de l’attention générale en raison d’une somme de $4 billions incorrectement comptabilisée dans les bilans financiers (Declan McCullagh, 2 juillet 2002, News.Com). La suite fait partie de l’Histoire des scandales financiers ayant secoué les États-Unis en 2002 : WorldCom est obligée de déclarer faillite et Bernard Ebbers (former chief executive) est déclaré coupable de malverstions financières. Pour sa part, Sigmore sera remplacé de son poste de PDG dès l’automne 2002. II. Le cas de Sam Waksal (ImClone) (2002) Le remords de Sam Waksal (founder of ImClone Systems) et le pattern d’infractions En 2002, Sam Waksal (55 ans) a enregistré un plaidoyer de culpabilité en lien notamment avec des accusations de fraude, d’obstruction à la justice et de délits d’initié (insider trading). À sa sortie du palais de justice, Waksal a exprimé des regrets en lien avec sa conduite : « I have made some terrible mistakes and I deeply regret what has happened, I was wrong » (David Usborne, 16 octobre 2002, The Independent). En 2003, juste avant le prononcé de la sentence (une peine de prison de 7 ans), Sam Waskal a déclaré : « I feel great remorse, but I do not feel bitter » (CNNMoney.com, 10 juin 2003). Comme Waksal est le premier CEO à être envoyé en prison, en lien avec la vague de Journal International De Victimologie 2011; 9(2) : 339 FINES, L. scandales financiers ayant secoué les EtatsUnis en 2001 et au cours des années suivantes, il apparaît que le juge a voulu envoyer un message clair aux infracteurs présumés de crimes en col blanc : In imposing the 87-month sentence, U.S. District Court Judge William Pauley said Waksal’s crimes were « emblematic of a pattern of lawlessness and arrogance. You abused your position of trust as the chief excutive officer of a major corporation and undermined the public’s confidence in the integrity of the capital markets, then you tried to lie your way out of it », the judge said (in CNNMoney.com, 10 juin 2003). Waksal avait eu vent du fait que la Food and Drug Administration allait refuser d’accorder à ImClone la possibilité de mettre en marché un médicament sur lequel lui et ses partenaires fondaient beaucoup d’espoir (David Usborne, 16 octobre 2002, The Independent). La licence accordée au médicament était une situation qui pouvait affecter en contrepartie la valeur des actions de la compagnie ImClone. Conscient du refus qui allait survenir, Waksal aurait alors vendu ses actions, tout en prévenant certains amis privilégiés de ce qui allait se passer afin qu’ils puissent se départir à temps de leurs actions17. III. Le cas de KPMG (2005) Les regrets de KPMG (via a top KPMG executive) et le pattern d’infraction En 2005, KPMG (une firme d’audit étasunienne18) a formulé des excuses en lien avec une conduite illégale (unlawful conduct) : « KPMG takes full responsability 17 Pour mémoire, le cas Waksal est lié à l’affaire Martha Stewart. 18 L’une des quatre firmes d’audit restantes à la suite de la disparition d’Arthur Andersen en 2002 en lien avec la fraude d’Enron. 340 for the unlawful conduct by former KPMG partners during that period, and we deeply regret that it occured » (Arindam Nag, 16 juin 2005, Yahoo News ; Glen Shapiro, 20 juin 2005, LawAndTax-News.com, New York). En outre, KPMG a annoncé des réformes organisationnelles : il s’agit de prévenir la récidive de conduites similaires au sein du cabinet d’audit. Il s’agit d’un important renversement de la situation, car en 2003 « a top KPMG executive at the time insisted that all the shelters in question « were consistent with the laws in place at the time » » (in Lynnley Browning, 17 juin 2005, The New York Times). En fait, les regrets de KPMG semblent liés au fait que le Wall Street Journal avait mentionné la possibilité que des accusations allaient être portées contre la firme, fortement impliquée dans l’élaboration de stratégies complexes relatives à des évasions fiscales (Kara Scanell, 17 juin 2005, The Wall Street Journal). Scanell (17 juin 2005, The Wall Street Journal) n’hésite donc pas à établir un lien entre le fait que KPMG (sous enquête) était en passe d’être incriminée au pénal et, par ailleurs, le constat que le cabinet d’audit se soit soudainement décidé de manifester des regrets en lien avec sa conduite passée : The public contrition has been common with other firms and companies under legal presure, but it hasn’t been with KPMG. It came after The Wall Street Journal reported that Justice Department officials were debating whether to indict the firm, ant it marks a reversal. The firm for years used aggressive litigation tactics that set it apart from the three other Big Four accounting firms, which moved more quickly to resolve allegations that they peddled improper tax shelters (Kara Scannell, 17 juin 2005, The Wall Street Journal). Pour KPMG, la finalité de la reconnaissance publique de ses fautes est directement liée à la situation judiciaire en voie de cristallisation : il faut impérativement éviter de faire l’objet d’une poursuite pénale, une situation qui la mènerait à la dissolution, NEGOCIATIONS DE PLAIDOYER ET CRIMES FINANCIERS à l’instar de ce qui s’est passé pour la firme Andersen. La manœuvre semble pleine de promesses ainsi que le souligne Mark Cheffers (head of auditor research firm Audi Analytics) : To step up and take that kind of responsability should be regarded as a bright spot » (…) KPMG making such a bold statement will only serve to advance their (investor and clients) trust in what audit firms are doing and the direction they are going. That is what this is about » (in Arindam Nag, 16 juin 2005, Yahoo News). Ainsi, confrontée à la réelle possibilité d’être poursuivie au pénal, la firme KPMG a exprimé ses profonds regrets quant aux actes qui lui étaient reprochés, tout en assumant sa responsabilité en lien avec eux et tout en proposant des mesures aptes à satisfaire les exigences des autorités de contrôle. D’une part, KPMG reconnaît avoir mal agi, et d’autre part, la firme propose une série de mesures pour remédier aux problèmes actuels, une façon de promettre que les erreurs sont chose du passé. En ce qui concerne le pattern d’infractions de KPMG, retenons que : « U.S. federal prosecutors have been probing certain tax services that were offered by KPMG to some of its wealthy clients between 1996 et 2002 » (Arindam Nag, 16 juin 2005, Yahoo News). IV. Le cas de Calisto Tanzi (founder and former CEO Parmalat) (2006) La demande de pardon aux victimes (Calisto Tanzi) et le pattern d’infraction Calisto Tanzi, 67 ans, alors qu’il fait face à des accusations de fraude, de malversation financière et d’association avec des criminels, demande pardon à tous ceux qui ont subi des pertes dans le scandale de Parmalat, une compagnie de produits laitiers italienne. Prenant la parole lors de son procès, Tanzi a exprimé sa peine et ses remords : « I beg pardon of the people I have damaged » (Yahoo News, 7 mars 2006a ; Yahoo News, 7 mars 2006b ; Yahoo News, 7 mars 2006c). La fraude de Parmalat (révélée en décembre 2003) met en cause de multiples complices, certains étant directement issus de la société commerciale. Mais d’autres personnes et des organisations plurielles sont susceptibles d’avoir participé à la fraude, précisément les institutions bancaires en ayant facilité les transferts d’argent Sur cette complicité présumée, M. Tanzi a affirmé lors de l’ouverture de son procès à Milan : « I didn’t know that banks were selling bonds to small investors »19 (Associated Press, 7 mars 2006, Yahoo.news). En 2008, Tanzi est condamné à une peine de 10 ans de prison pour avoir trompé les investisseurs quant à la santé financière de la compagnie (BBC News, 18 décembre 2008). Il fait aussitôt appel de la sentence. Sans attendre, les procureurs réclament alors une peine plus sévère, soit de 11 ans et un mois. V. Le cas de Fastow (Enron) (2006) Les remords de Fastow (former Enron finance executive) et le pattern d’infractions Andrew Fastow va purger une peine de 6 ans, soit 4 ans de moins que ce qui était prévu aux termes de l’entente négociée avec les procureurs. Dans son cas : « US District Judge Ken Hoyt said he had taken account of Fastow’s cooperation with prosecutors, his desire to help victims suing to recover thier losses, and his visible 19 « Magistrates in Milan and Parma have been tying to find out what Parmalat did with billions of euros raised through bond issues and how the company concealed debts by using offshore units and shell companies » (Mark Tran and agencies, 17 février 2004, The Guardian). Journal International De Victimologie 2011; 9(2) : 341 FINES, L. remorse » (BBC News, 26 septembre 2006). En effet, le juge a pris en compte les remords de Fastow ainsi que sa précieuse collaboration avec les procureurs dans le dossier les mettant aux prises avec les hauts dirigeants d’Enron. Ainsi : « U.S. District Judge Kenneth Hoyt said that although Fastow was once « drunk on the wine by greed », he has since demonstrated remorse by fully cooperating with government and civil lawyers in lawsuits against Enron. « These factors call for mercy », the judge said » (Lianne Hart, 27 septembre 2006, Los Angeles Times). En mars, Fastow avait déclaré : « I believe I was extremely greedy, and that I lost my moral compass, and I’ve done terrible things that I very much regret » (in Greg Levine, 26 septembre 2006, Forbes.com). Il semble que le remords de Fastow ait non seulement réussi à émouvoir le juge mais aussi les victimes : « Rod Jordan, chairman of the Severed Enron Employee Coalition, said some of the aggrieved parties – losing jobs and billions of dollars in investments and life savings – were indeed moved by Fastow’s remorse « (Greg Levine, 26 septembre 2006, Forbes.com). Fastow a été condamné à 6 ans de prison pour son rôle de premier plan dans l’élaboration des schèmes frauduleux ayant mené à la faillite du négociant en énergie Enron (Lianne Hart, 27 septembre 2006, Los Angeles Times). Il s’agissait de montages financiers fort complexes qui présentaient comme de l’argent neuf des prêts, qu’Enron, en réalité, octroyait à ses propres filiales. VI. Le cas de Skilling (Enron) (2006) Les remords de Skilling (Enron) et le pattern d’infraction Lors du prononcé de la sentence en 2006, M. Skilling (52 ans, ex-pdg d’Enron) a 342 réaffirmé qu’il n’avait pas commis de crime20. Par ailleurs : « Mr. Skilling said he did feel bad about what happened » (Alexei Barrionuevo, 24 octobre 2006, The New York Times). Ainsi : « In terms of remorse your honor, I can’t imagine more remorse. (…) I have friends who have died. Good men » Skilling told [U.S. District Judge Sim] Lake before he was sentenced (in PBS NewsHour, 23 octobre 2006 ; Alexei Barrionuevo, 24 octobre 2006, The New York Times). Jeffrey K. Skilling a été condamné à une peine d’emprisonnement de 24 ans et 4 mois pour son rôle dans la fraude et la conspiration qui ont mené à l’implosion d’Enron en 2001 (fraud, conspiracy, insider trading and lying to auditors) (BBC News, 23 octobre 2006). VII. Bernard Madoff (2009) Le remords de Bernard Madoff et le pattern d’infractions En mars 2009, Madoff (71 ans) a enregistré un plaidoyer de culpabilité en lien avec des fraudes relatives à des valeurs mobilières (securities fraud)21 en déclarant : « [that] he was deeply sorry and ashamed » (Toms Hays and Layyr Neumeister, 30 juin 2009, The Associated Press, TheNewsTribune.com). Par ailleurs, lors du prononcé de sa sentence en juin 2009, Madoff a tenté d’exprimer ses sentiments en parlant de « a problem, an error of 20 Il est important de noter que la Cour Suprême des Etats-‐Unis, en précisant la notion légale de « services honnêtes » (honest services), permet à Skilling (et à Conrad Black) d’espérer une remise de peine sinon un nouveau procès (Quinn Bowman, 24 juin 2010, Newshour with Jim Lehrer, PBS.org). 21 Également des accusations de parjure, blanchiment d’argent et vol (Le Monde.fr, 29 juin 2009). NEGOCIATIONS DE PLAIDOYER ET CRIMES FINANCIERS judgment, a tragic mistake » (Toms Hays and Layyr Neumeister, 30 juin 2009, The Associated Press, TheNewsTribune.com). En fait, « juste avant le verdict, le financier : avait présenté ses excuses à ses victimes, dont une partie avait fait le déplacement au tribunal de New York. « C’est la première fois que Madoff manifestait publiquement des remords », raconte Sylvain Cypel » (correspondant du Monde à New York, in Le Monde.fr, 29 juin 2009). Dams le cas de Madoff, les commentaires des acteurs judiciaires montrent bien l’ampleur du crime commis, l’horreur qu’il suscite, la dévastation chez les victimes, notamment lorsque ce crime est évalué à l’aune des dérives de la SEC, laquelle entre 1999 et 2005 a reçu pas moins de trois rapports de M. Harry Markopolos, un concurrent de la société de M. Madoff (Ibrahim Warde, août 2009, Le Monde Diplomatique). Les déclarations des procureurs et du juge Chin qui suivent mettent bien en évidence les sentiments suscités par la fraude pyramidale orchestrée par Madoff : Au dire du procureur Lev Dassin, « l’étendue, la durée et la nature des crimes de Madoff font qu’il mérite exceptionnellement le châtiment maximum autorisé par la loi ». Le juge Denny Chin, lui, évoque « le crime incroyablement diabolique de Bernard Madoff aux conséquences humaines effrayantes », et « la fraude objectivement ahurissante sur plus de vingt ans » d’un criminel « particulièrement mauvais » (Ibrahim Warde, août 2009, Le Monde Diplomatique citant Tom McElroy, « Madoff ordered to forfeit over $170 billion », The Boston Globe, 26 juin 2009 ; et Diana B. Henriques, « Madoff is sentenced to 150 years for Ponzi scheme », The New York Times, 29 juin 2009.). Pour sa part, Lisa Baroni (procureur) estime que : « Madoff deserved a life sentence because he « stole ruthlessly and without remorse » (Toms Hays and Layyr Neumeister, 30 juin 2009, The Associated Press, TheNewsTribune.com). En bout de ligne, Madoff, « accusé d’avoir escroqué de très nombreux investisseurs, pour un préjudice estimé à plus de 50 milliards de dollars, a été condamné lundi 29 juin à 150 ans de prison » (Le Monde.fr, 29 juin 2009). Retenons que Madoff n’aurait pu monter son empire sans l’aide de nombreux complices individuels et institutionnels. VIII. Le cas de Charles Prince (former Citigroup CEO) (2010) Les regrets de Charles Prince et le pattern d’infractions Tout en affirmant ne pas avoir été au courant des problèmes financiers de Citigroup, Charles Prince a exprimé ses regrets lors d’audiences tenues au Congrès : « I’m sorry that our management team, starting with me, like so many others, could not see the unprecedented market collapse that lay before us (PBS NewsHour, 8 avril 2010). Même s’il exprime ses excuses aux victimes et aux membres de la commission d’enquête, Prince n’endosse pas la responsabilité de la crise bancaire à hauteur de 45 milliards de dollars qui a secoué Citigroup en 2008 (The Guardian, 8 avril 2010). Au contraire, en contre-attaque, Prince désigne plutôt les agences de notation comme étant les responsables de la crise financière : Selon lui, c'est l'abaissement «précipité» des notes jusqu'alors excellentes de certains titres obligataires par les agences de notation qui a déclenché un «gel généralisé des marchés de titres alors que les investisseurs ne savaient plus sur quelles normes (...) de risque s'appuyer, ou quelles institutions détenaient quel niveau de risque». Pendant l'audition, M. Prince a souligné que «même Moody's», l'une des trois grandes agences de notation mondiales, jugeait aussi à l'époque que les titres obligataires garantis adossés à des prêts hypothécaires risqués («subprime») Journal International De Victimologie 2011; 9(2) : 343 FINES, L. étaient relativement sûrs (la presseaffaires, 8 avril 2010). Dans le cas de Citigroup, on ne peut à proprement parler de patterns d’infractions, il s’agit plutôt de prises de risques importantes. De fait, la commission d’enquête portant sur la crise financière à Washington a tenté de faire la lumière sur la prise de risque excessive des banquiers : Durant cette audition, le républicain Bill Thomas a accusé M. Prince et Robert Rubin, autre ex-dirigeant de Citi qui était également auditionné, d'avoir eu un comportement moutonnier et d'avoir continué à émettre des prêts à des emprunteurs de mauvaise qualité parce que les autres institutions financières le faisaient. «Pourquoi vous paye-t-on si ce n'est pour votre clairvoyance sur les marchés?» a-t-il déploré (in la presseaffaires, 8 avril 2010). Pour sa part, « In a candid admission, Prince said that neither his chief officer nor any senior bankers or traders understood that those securities could have « any material risk of loss » until October of 200722 (Stephanie Sklar, 9 avril 2010, Allvoices). Au final, pour sauver Citigroup, un plan de sauvetage de 45 milliards de dollars a été élaboré par le gouvernement, plus que pour n’importe quelle autre banque (The Guardian, 8 avril 2010). IX. Le cas de Toyota (2010) Les excuses d’Akio Toyoda (president et CEO de Toyota) Le patron de Toyota, Akio Toyoda (53 ans), s’est exprimé devant le Congrès américain en vue de mettre en évidence les failles du plan de développement de la compagnie : « I feel deeply sorry for those 22 Le 4 novembre 2007, Prince a démissionné de son poste de CEO. 344 people who lost their lives or who were injured by traffic accidents, especially those in our own cars. I extend my sincerest condolences to them, from the bottom of my heart » (Akio Toyoda, cité dans le reportage du 25 février 2010, PBS NewsHour). M. Toyoda, reconnaissant que la compagnie s’était développée trop vite, au détriment de principes éthiques et industriels qui avaient façonné la compagnie, a pris « l’entière responsabilité » de la mise en marché des voitures défectueuses (Le Monde, 23 février 2010). Tant au Japon qu’aux Etats-Unis, M. Toyoda s’est excusé auprès des victimes. Toutefois, aux Etats-Unis, le niveau de colère et d’inquiétude des victimes et des propriétaires de voitures de marque Toyota est beaucoup plus élevé en raison du nombre de décès23 et d’accidents survenus aux Etats-Unis (Ayako Doi, reporter, 25 février 2010, PBS NewsHour). Concrètement, M. Toyoda tente de redorer la réputation de la compagnie à l’échelle étasunienne et de rétablir la confiance des consommateurs dans leurs produits. Au Japon, faire des excuses en public est une condition sine qua non pour toute société commerciale qui doit gérer un scandale, des malversations ou un accident ayant généré des victimes (Ayako Doi, reporter, 25 février 2010, PBS NewsHour). Tel que le fait remarquer M. Doi, il n’y a pas lieu de mettre en doute la sincérité des larmes versées par M. Toyoda lors de son témoignage devant le Congrès, mais comme il le constate : « it helps soothe the public feelings » (Ayako Doi, reporter, 25 février 2010, PBS NewsHour). Le pattern d’infractions La compagnie Toyota a procédé au rappel de nombreuses voitures dont l’accélérateur et la pédale de frein étaient 23 On avance le chiffre de 35. NEGOCIATIONS DE PLAIDOYER ET CRIMES FINANCIERS déficients, une situation provoquant des pertes de contrôle du véhicule. Les dysfonctionnements étaient connus de la compagnie, mais Toyota – célèbre pour sa culture d’entreprise empreinte d’opacité - a tardé à remédier au problème (Micheline Maynard, 11 avril 2010, The New York Times ; Le Monde, 23 février 2010). En effet, des efforts délibérés ont été déployés de la part de la compagnie pour dissimuler au gouvernement les problèmes du parc automobile24. De fait : Documents and chronologies show the company had ample knowledge of incidents of sticking pedals well before its recall. They also show that Toyota treated consumers in the United States differently from those in Europe and Canada when it came to fixing the problems of sticking pedals and floor mat (Micheline Maynard, 11 avril 2010, The New York Times). I. Le cas de Michael Holoday (top stockbroker at First Marathon Securities LTD) (2001) L’absence de remords de Michael Holoday et le pattern d’infractions En 2001, lors du prononcé de la sentence : « Judge Patricia German was struck by his apparent lack of remorse. « He is a dangerous man » she said at the time ». (FP posted by lee_Joseph, 10 décembre 2007, Network National post). Au final, Michael Holoday a été condamné à 8 ans et demi de prison. Il a détourné des fonds à hauteur de $22 millions, les victimes étant autant des membres de sa famille que le public en général. II. Le cas de E. Kirk Shelton (Former Cendant Corp. Vice chairman) (2005) Les études de cas où les infracteurs présumés n’ont pas exprimé de remords L’absence de remords de E. Kirk Shelton et le pattern d’infractions Dans cette partie, nous examinons le cas des inculpés qui n’ont pas exprimé de remords en lien avec leurs conduites alors qu’elles ont généré des victimes plurielles. Tous les infracteurs dont il est question ici ont été condamnés à des peines de prison. M. Shelton (50 ans) a reçu une peine de prison de 10 ans (août 2005) en lien avec son rôle dans la perpétration de malversations comptables ayant généré de nombreuses victimes. Considérant l’importance de la fraude orchestrée par Shelton, la Securities and Exchange Commission (l’autorité des marchés financiers étasunienne) a demandé au juge de faire un exemple et d’envoyer un message clair à la communauté des affaires (Susan Haigh, 4 août 2005, Associated Press, SignOnSan Diego). En outre : « [p]rosecutors had argued for a harsh sentence, saying Shelton showed no remorse for his actions » (Susan Haigh, 4 août 2005, Associated Press, SignOnSan Diego). À la fin, Shelton a notamment été inculpé en relation avec des accusations de fraude, de conspiration et de fausses déclarations (Susan Haigh, 4 août 2005, Associated Press, SignOnSan Diego). 24 Par ailleurs : « Au cours de ces deux jours d'auditions, la commission de l'énergie et du commerce de la Chambre des représentants doit aussi entendre Jim Lentz. Le directeur des opérations de Toyota aux Etats-‐Unis a prévu de présenter ses excuses. "Nous avons mis trop de temps à prendre en compte un ensemble rare mais grave de problèmes de sécurité, malgré tous les efforts que nous avons déployés de bonne foi", doit-‐il déclarer. M. Lentz attribue une partie de ces défauts techniques à "une mauvaise communication au sein de l'entreprise, avec les régulateurs et avec les consommateurs" (Le Monde, 23 février 2010). Journal International De Victimologie 2011; 9(2) : 345 FINES, L. III. Les cas de MM. Rigas (père et fils) (Adelphia Communications Corp.) (2009) IV. Le cas de Kazutsugi Nami (dirigeant du groupe L & G) (2009) L’absence de remords de M. John Rigas (père ) et de son fils Timothy et le pattern d’infractions L’absence de remords de Kazutsugi Nami et le pattern d’infractions En ce qui concerne M. John Rigas (84 ans), le fondateur d’Adelphia, il a logé un premier appel en 2007. Mais cet appel n’a pas été couronné en ce qui a trait au verdict de culpabilité età la peine imposé sans succès. En 2009, la « 2nd U.S. Circuit Court of Appeal » (Manhattan) vient de maintenir la peine de prison de 15 ans qui avait été imposée à M. Rigas en juin 2005. Quant à son fils Timothy (51 ans), la peine d’emprisonnement est de 20 ans. Compte tenu de la sévérité de la peine pour un crime en col blanc25, il y a lieu de se demander si un facteur aggravant a pu jouer un rôle. Un début d’explication émerge du commentaire suivant : « A prosecutor has told the court that the sentences were long but non uncommon for white-collar cases. He also noted that the father and son had shown no remorse » (in USA Today, 10 mai 2009, The Associated Press). De fait, lors du prononcé de la sentence (juin 2005), le juge (U.S. District Judge Leonard Sand) : « admonished the elder Rigas for his lack of remorse and said he would have imposed a lengthier prison term if not for Rigas’s age and ill health » (Martha Graybow, 24 mai 2007, Reuters). Messieurs Rigas (père et fils) ont été inculpés en lien avec des fraudes bancaires et des fraudes reliées aux valeurs mobilières26 (USA Today, 10 mai 2009, The Associated Press). Kazutsugi Nami, 75 ans, fondateur et dirigeant du groupe L & G depuis 1987 avait opté pour une stratégie innovatrice : développer sa propre monnaie, le « enten » (signifiant « yen » et « paradis ») (Régis Arnaud, 6 février 2009, LeFigaro.fr). En fait, à l’instar de Bernard Madoff, Kazutsugi Nami avait mis sur pied de 2001 à 2007 un schème pyramidal frauduleux. Il promettait aux investisseurs des rendements de près de 36% par an. Concrètement, « les nouveaux versements permettaient de payer les intérêts des clients les plus anciens » (Régis Arnaud, 6 février 2009, LeFigaro.fr). La fraude de Nami ayant été mise à jour, Nami se retrouve dans l’incapacité de rembourser ses clients. En dépit du grand nombre de victimes générées par le schème frauduleux, Nami ne regrette pas ce qu’il a fait, dans la mesure où il déclare : Ce n’est pas une fraude. C’est ce que font toutes les entreprises ». [En fait], « juste avant son arrestation (…), [Mami] n’a pas hésité à affirmer : « La police a ruiné mon « business ». Personne n’a perdu autant que moi » » (in Philippe Mesmer, 6 février 2009). En outre, « À la question «regrettezvous vos actes ? », Nami répond, superbe, « non » (in Régis Arnaud, 6 février 2009, LeFigaro.fr) ». 25 Une peine plus sévère que celle qui est parfois imposée dans le cas de terrorisme (USA Today, 10 mai 2009, The Associated Press). 26 Également : « concealing loans and stealing millions from the cable operator » Martha Graybow, 346 24 mai 2007, Reuters). Parmi les chefs d’accusation, on retrouve aussi un élément de conspiration. NEGOCIATIONS DE PLAIDOYER ET CRIMES FINANCIERS Un jeu27 entre les cas de figure des infracteurs présumés qui ont exprimé des remords Sur la base des études de cas explorées précédemment, nous retraçons maintenant les cas de figure qui émergent de l’examen des patterns d’excuses des infracteurs présumés. Ces cas de figure mettent en lumière l’existence d’un lien entre l’expression de remords de la part des acteurs et, par ailleurs, la possibilité pour les infracteurs présumés de faire des gains à court ou à long terme. I. Une négociation à l’infrajudiciaire modulée par l’expression des remords des acteurs Dans au moins un cas (KPMG) la compagnie, en exprimant ses regrets et en proposant des réformes organisationnelles, parvient à éviter la menace qui plane sur elle : faire l’objet de poursuites au pénal. Il faut dire que les procureurs, avec le cas Andersen, ont appris les conséquences désastreuses qui résultent du recours au pénal dans le cas de firmes d’audit. Dans deux des cas à l’étude (Prince/Citigroup et Toyoda/Toyota), les représentants des compagnies interpellées ont dû venir s’expliquer devant des commissions d’enquête siégeant aux ÉtatsUnis. En ce qui concerne Prince, il exprime des regrets mais refuse d’assumer la responsabilité de la crise financière, il rejette la faute sur de nombreux autres acteurs dont les agences de notation (mais aussi les agences gouvernementales, les traders et les banques). En matière de crimes financiers, il apparaît donc beaucoup plus aisé (que dans la situation de produits manufacturés comme nous le voyons plus loin avec l’exemple de Toyota) de rejeter la faute sur d’autres infracteurs présumés 27 « Là où il y un mouvement dans le cadre » (Van de Kerchove et Ost, 1992). (complices ou non des crimes). D’une part, Prince peut miser sur le fait que dans le système économique et politique, la diffusion de la responsabilité est diffuse, les paliers hiérarchiques sont pluriels et les divers secteurs ne communiquent pas nécessairement entre eux. D’autre part, la tactique qui consiste à désigner les coupables pour tenter de détourner l’attention de sa propre participation aux actes sous enquête a fait ses preuves, Enron ayant déjà auparavant misé sur la possibilité de se disculper en ciblant Andrew Fastow comme étant le principal architecte des schèmes frauduleux qui se déployaient dans la compagnie (Fines, 2007). Quant à Toyoda, il exprime son remords aux membres de la commission d’enquête tout en assumant la responsabilité des actions qui ont causé la mort de plusieurs personnes et qui en ont blessé d’autres. Pour la compagnie Toyota et pour Toyoda, comme les véhicules présentant des défectuosités proviennent directement de leurs usines, que les autorités organisationnelles ont tardé à procéder au rappel des véhicules défectueux et, qu’en outre, elles ont opté pour une gestion différentielle de la crise en fonction des pays où sévissait le problème, il n’apparaît pas possible d’esquiver de prendre à sa charge une part de responsabilité des torts causés aux victimes. Les excuses exprimées par Toyoda semblent directement relever d’une gestion des dommages. Concrètement, et à court terme, il s’agit de restaurer la réputation de la compagnie auprès des gouvernements, des investisseurs et des consommateurs. En ce qui concerne les excuses du dirigeant Sigmore (WorldCom), elles ont pour but de rassurer les investisseurs et de prolonger la vie de la compagnie : encore une fois, il s’agit d’une gestion des dommages et d’une tentative de restaurer la réputation de la compagnie. Toutefois, en dépit des efforts de Sigmore, WorldCom sera quand même obligée de déclarer faillite Journal International De Victimologie 2011; 9(2) : 347 FINES, L. et de se restructurer, ses actifs n’étant pas suffisants pour éviter le scénario catastrophe. II. Un processus judiciaire modulé par les excuses des infracteurs II.1. Les excuses ont un impact sur la sévérité de la sentence Dans le cas de Fastow (Enron), la démonstration de ses remords publics combinée à la volonté manifeste de coopérer avec les procureurs sont des éléments qui ont joué un rôle dans la modulation de la sentence qui lui a été octroyée. Pour preuve, la sincérité de ses regrets a été prise en compte par le juge. Mêmes les victimes ont été émues par le repentir de Fastow. II.2. Les excuses ne peuvent atténuer la sévérité de la sentence Dans l’affaire mettant aux prises Waksal (ImClone) et les autorités judiciaires, la manifestation des regrets n’a pas semblé émouvoir le juge qui a notamment retenu que l’accusé avait abusé de sa position de pouvoir et surtout, qu’il avait miné la confiance du public dans l’intégrité des marchés financiers. Dans les cas de Skilling (Enron) et de Madoff, l’expression de regrets et d’excuses publiques n’a pas joué en faveur des accusés qui se sont vus imposer une peine de prison relativement importante : 24 ans pour l’un et 150 ans pour l’autre. Néanmoins, en ce qui concerne Skilling, la stratégie ne porte pas uniquement sur le procès actuel, alors qu’il a été déclaré coupable des chefs d’accusation en jeu. La stratégie porte également sur les procédures d’appel à venir. En effet, Skilling clame son innocence et tente d’avoir un nouveau procès. 348 Dans le cas de Tanzi (Parmalat), les excuses formulées n’ont pu lui éviter une longue peine privative de liberté (10 ans). En outre, les procédures d’appel qu’il a initiées incitent les procureurs à réclamer une peine plus sévère. D’emblée. les excuses formulées par Tanzi ne signifiaient pas nécessairement qu’il endossait la responsabilité des gestes posés. En fait, il estimait surtout que les banques avaient grandement contribué à leurrer les victimes. II.3. L’absence de remords : un facteur dans l’imposition d’une sentence sévère En ce qui concerne Holoday (First Marathon Securities LTD), Sheldon (Cendant Corp.) et Rigas (père et fils/Adelphia), l’absence de remords a clairement été un facteur dans l’imposition d’une sentence sévère. Un paradoxe clémence-sévérité à l’étape du sentencing Wheeler, Mann et Sarat (1988) ont mis en lumière l’existence d’un paradoxe clémence-sévérité en matière de sentences imposées aux infracteurs de crimes en col blanc. Incidemment, les accusés bénéficient parfois d’égards significatifs en conséquence directe de leur position structurelle privilégiée, le juge hésitant à condamner à des peines de prison des gens d’affaires bien intégrés dans leur communauté et qui ne s’apparentent pas à des criminels endurcis. Parfois aussi, estimant que les infracteurs devraient obéir à des standards moraux et éthiques supérieurs que la pluaprt des gens, les juges font preuve d’une grande sévérité à leur endroit. Nous posons que la clémence du juge à l’étape du sentencing est nettement plus susceptible de s’exprimer lorsque les infracteurs font état de remords sincères. Le cas Fastow montre bien l’importance que NEGOCIATIONS DE PLAIDOYER ET CRIMES FINANCIERS les acteurs judiciaires accordent à un repentir notoire. Par ailleurs, dans les autres cas à l’étude (en particulier : Holoday, Sheldon et Rigas (père et fils)), il est tout à fait évident que l’absence de remords des accusés a été un facteur aggravant et justificatif de l’imposition d’une sentence sévère. Les juges et les procureurs ayant pris soin de souligner cet aspect particulier du dossier en cours. Si le fait de manifester du remords ne permet pas à tous les coups de bénéficier d’une sentence clémente, plus souvent qu’autrement, l’absence de regrets va constituer la pierre angulaire autour de laquelle le consensus va se faire. Ne pas manifester de remords : c’est la confirmation qu’il faut être sévère à l’endroit des infracteurs. Étant donné que les coupables n’ont pas formulé d’excuses explicites, la nécessité d’une peine lourde s’impose alors et la punition se justifie d’elle-même. Dans le cas de Holoday, la juge a même parlé de dangerosité à son endroit. La peine semble donc revêtir ici une fonction de mise à l’écart, il s’agit de mettre l’accusé hors d’état de nuire. Dans ce cas de figure, la manière de traiter le crime en col blanc s’apparente à ce qui se passe dans le cas de « crimes de rue » : les commentaires étant similaires à ceux qui pourraient s’exprimer dans le cas de délinquants ayant commis des crimes avec violence. Conclusion Toute enquête initiée en lien avec une conduite criminelle ne donne pas nécessairement lieu à une condamnation formelle des coupables, surtout en matière de crimes en col blanc. La difficulté de réunir les preuves nécessaires et l’exploitation des failles des procédures judiciaires et infrajudiciaires par les infracteurs présumés font en sorte que, parfois, les accusés sont en mesure d’échapper aux poursuites pénales, même si des victimes ont subi des torts réels. Dans un tel contexte, toutes les négociations qui se déroulent à l’infrajudiciaire constituent pour les infracteurs présumés des occasions uniques de réaffirmer leurs remords à l’endroit des victimes en lien avec les gestes qu’ils ont posés. Parfois, comme dans les procédures qui se sont déployées pour KMPG, l’expression de regrets par les acteurs et le désir qu’ils ont manifesté en vue d’apporter des correctifs dans les pratiques organisationnelles vont constituer des moyens efficaces en vue de mettre un terme aux procédures pénales initiées par les procureurs. Dans tous les cas, toutes catégories d’acteurs confondues, la combinaison de stratégies gagnantes va s’avérer un choix fécond : par exemple exprimer des remords et coopérer avec la justice. En matière de négociations à l’infrajudiciaire, les cas KPMG, Citigroup et Toyota confirment bien l’assertion voulant que les infracteurs présumés de crimes en col blanc jouissent d’un préjugé favorable en matière de traitement justicier : pour eux – en particulier dans le cas des organisations - le pénal n’est vraiment qu’une option de dernier recours28. Après tout, il importe d’éviter la faillite des entreprises et la déstabilisation des marchés financiers. L’assurance que des réformes organisationnelles vont être apportées rapidement suffit donc, parfois, à empêcher que des mesures extrêmes (les poursuites pénales) ne soient prises. En outre, dans le cas de conduites relevant du secteur financier (par opposition au domaine manufacturier), il apparaît beaucoup plus aisé de désigner des coupables potentiels (les banques, les traders, les agences gouvernementales, les agences de notation..) et par conséquent de parvenir à détourner l’attention de ses 28 Pour mémoire, dans le cas des crimes en col blanc, les agences gouvernementales recherchent la conformité des acteurs, la punition n’étant pas considérée comme une option valable et viable pour les parties en lice dans le processus de négociation (Stone, 1975 ; Clinard et Yeager, 1980 ; Fines, 2007, 2010a). Journal International De Victimologie 2011; 9(2) : 349 FINES, L. propres actions. Après tout la conduite est à hauteur du système capitaliste et aucun acteur ne peut véritablement agir sans l’accord tacite ou la complicité des autres. Par ailleurs, en ce qui concerne le secteur manufacturier, il est nettement plus difficile de rejeter la faute sur les autres. Après tout, la vente des produits est directement encaissée par la compagnie qui distirbue les denrées sur le marché. Par ailleurs, en cas de problème (accidents, morts d’homme), la compagnie est tenue de procéder rapidement au rappel des produits défectueux. Aussi, quand il y a des manœuvres évidentes de dissimulation (cover-up) pour retarder l’adoption des correctifs nécessaires, on peut comprendre que les dirigeants de l’entreprise en cause expriment publiquement des regrets et assument l’entière responsabilité des torts causés aux victimes. Les délais dans le rappel des produits défectueux ainsi que la gestion différentielle du rappel indiquent que les excuses exprimées aux victimes s’inscrivent dans une catégorie que l’on pourrait qualifier de trop peu, trop tard. En fait, la manifestation de remords – de la part des acteurs en lice - ne renvoie pas nécessairement à l’importance qui est accordée aux victimes, mais porte plutôt sur la nécessité de restaurer la réputation de la compagnie, on est dans le damage control. Dans un tel ordre d’idées, on peut supposer que la compilation (le processus de reconnaissance) des victimes permet tout simplement à la société commerciale de recevoir le signal qu’il faut agir pour redorer le blason de la compagnie mis à mal par la révélation de défectuosités dans les produits qu’elle propose aux consommateurs. Si en plus l’opération de charme limite le nombre de poursuites civiles susceptibles d’être intentées par les victimes et leurs familles, alors la manœuvre – le mea culpa public - a atteint ses objectifs. Au final, en matière de sentencing des infracteurs présumés de crimes en col blanc, il importe de se questionner autant sur le timing des remords exprimés par les 350 acteurs (avant la poursuite pénale, au moment de l’entrée en scène des procureurs, ou bien à l’étape de la sentence) que sur les délais qui sont susceptibles de se déployer entre, d’une part, une longue suite d’infractions, et par ailleurs, l’opération visant à corriger le tir pour limiter le nombre de victimes. En fait, sur la base des études de cas recensées dans cet article, il apparaît que les regrets, les remords et les excuses exprimées par les infracteurs présumés de crimes en col blanc relèvent d’un processus beaucoup plus large que la simple tentative de communiquer de l’empathie aux victimes. En effet, à l’évidence, l’exercice public consistant à présenter ses excuses recèle des finalités plus complexes. Des études ultérieures sur le timing des remords exprimés par les « criminels » et sur l’utilité de leurs excuses déclamées dans le processus judiciaire et infrajudiciaire permettront de préciser les patterns organisationnels à l’œuvre, tout en montrant la pertinence de ne pas sous-estimer des paradoxes aussi sophistiqués que le paradoxe clémence-sévérité en matière de criminalité des élites. Références Arnaud, R. (6 février 2009). Le Japon découvre son Madoff, l’escroc qui inventa le « yen divin ». LeFigaro.fr. Accessible via Internet février 2009. Barrionuevo, A. (24 octobre 2006). Enron’s Slilling Is Sentenced to 24 years. The New York Times. Accessible via Internet octobre 2006. BBC News. (26 septembre 2006). Enron’s Fastow gets six-year term. BBC News. http://news.bbc.co.uk/2/hi/5380394.stm Accessible via Internet avril 2010 BBC News. (23 octobre 2006). Enron boss gets 24-year sentence. BBC News. Accessible via Internet octobre 2006. 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