Un compteur qui donne plus que la lumière
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Un compteur qui donne plus que la lumière
8 0123 Samedi 5 novembre 2011 SCIENCE & TECHNO technologie Un compteur qui donne plus que la lumière Le compteur Linky 1 2 Module « logiciels » L’ensemble est piloté par une carte électronique comportant les mémoires, le processeur, l’horloge pour la détermination des plages horaire, mais aussi les modules de chiffrement et d’envoi des signaux vers le poste de distribution. 3 Module « électrique » Le cœur du compteur contient les composants de mesure du courant électrique, de la mise en service et de l’arrêt à distance ou du changement du seuil de puissance de l’installation. La puissance du compteur est de moins de 1,5 watt. Le 28 septembre, le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique décidait de généraliser l’installation d’un nouveau type de compteur électrique chez les particuliers. « Intelligent », « communicant », « évolué », selon les qualificatifs, Linky, développé par le distributeur d’électricité, ERDF, filiale d’EDF, est destiné à remplacer les vieux compteurs et à apporter de nouvelles fonctions (lire ci-dessous). Les économies attendues par ERDF, sur vingt ans, feront que la pose et le compteur seront gratuits. De nouveaux services pourront cependant être facturés. 35 millions de compteurs devraient être installés à partir de 2013, ainsi que 420 000 postes « concentrateurs », recueillant les informations. Plus de 245 000 Linky ont déjà été expérimentés dans trois régions en 2011 (pour 1 % de réclamations). 3 Affichage et options Un écran de contrôle indique l’énergie consommée instantanée et la plage tarifaire appliquée. Deux «prises» permettent soit le branchement d’un module communiquant vers une autre pièce de la maison, soit le branchement séparé de certains appareils pour les piloter séparément. 2 1 Prise pour branchement optionnel d’un module émetteur Prise de branchement direct à un seul ou plusieurs appareils Pour le consommateur A OU B POSTE DE DISTRIBUTION FOURNISSEUR D’ÉLECTRICITÉ Agrège les informations des compteurs (ERDF) Internet Via un accès Web (A) a priori gratuit, l’usager dispose des informations sur sa consommation réelle en léger différé (24 heures). L’ajout de modules ou de services complémentaires permet d’avoir un affichage déporté du compteur vers un écran plus ergonomique (B). Huit appareils (chauffage, chauffe-eau, climatisation, pompe à chaleur...) peuvent être « commandés » séparément du reste de l’installation afin de faciliter la maîtrise de la consommation. Communication Avantages numérique - Facturation mensuelle de la consommation via le fil réelle électrique - Limitation des interventions sur site pour la mise en service, les changements de puissance du compteur, ou les relevés... - Meilleur diagnostic de panne, pertes ou fraudes - Promesse d’ERDF d’interventions « ramenées de cinq jours à 24 heures » (EDF, POWEO...) Echange d’informations par Internet Ondes radio CENTRAL Chauffe-eau Réfrigérateur Machine à laver Fourniture d’électricité Traitement des informations (ERDF) INFOGRAPHIE LE MONDE SOURCE : ERDF Linky, un boîtier électrique innovant mais critiqué David Larousserie T rop intelligent ou pas assez ? Tel est le dilemme de cette nouvelle technologie. A priori anodin, ce compteur électrique suscite en effet la polémique. En 2009, les Pays-Bas, qui voulaient rendre obligatoire l’installation d’un boîtier proche du Linky, ont renoncé et l’ont rendu optionnelle. Le 17 octobre, le Conseil de Paris a voté un vœu réclamant un réexamen du cahier des charges. Plusieurs associations de consommateurs ont également fait part de leurs doutes. Pourquoi le courant ne passe-t-il pas ? Coût, sécurité et intérêt sont les arguments les plus fréquents. Le déploiement des 35 millions de compteurs coûtera environ 4,3 milliards d’euros, amortis sur vingt ans, selon Electricité Réseau Diffusion France (ERDF). Plutôt 8 milliards selon la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) (Le Monde du 29 septembre). Il est vrai que la facture globale n’est pas établie car le retour d’expérience des 240 000 premiers compteurs imposera des modifications techniques. Par exemple, informer tous les usagers de leur consommation réelle toutes les trente minutes avec un jour de délai, comme le prévoit désormais ERDF, n’a pas le même coût que de le faire tous les mois avec un relevé heure par heure. La sécurité fait aussi l’objet de critiques. Le spécialiste de la sécurité informatique Ross Anderson, de l’université de Cambridge, rappelait ainsi dans un rapport de 2010 que les données de consommation électrique sont très parlantes. Il est possible de savoir à quelle heure on se lève (déclenchement de chauffeeau), mange (utilisation d’un four) ou se couche. On peut savoir aussi si, à minuit, un enfant joue encore à sa console de jeu. Intérêts marketing et policier Ces données ont un intérêt marketing (voire policier) évident. Pour limiter les abus, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a ainsi fait des recommandations, comme la sécurisation et le suivi des accès à ces données. ERDF, de son côté, a lancé un audit de la sécurité de ces compteurs dont les données sont chiffrées. Cependant, comme le nouveau compteur doit aussi permettre une facturation plus précise et de nouvelles offres tarifaires (grâce à dix plages horaires distinctes, et sept appareils pouvant être connectés séparément), il sera nécessaire que les fournisseurs disposent des données les plus précises possible. Le contrôle de ce futur marketing électrique est à inventer. Ross Anderson se demande aussi si un gouvernement ayant édicté des règles d’économies d’énergie ne pourrait pas sanctionner les « gaspilleurs » trahis par leurs usages électriques. Tout comme les chauffards sur la route. Imaginant toujours le pire, le chercheur remarque que ces compteurs, qui peuvent ouvrir ou fermer l’arrivée des électrons, deviennent des cibles de choix pour des cyberattaquants désirant déstabiliser un pays. Sans aller jusque-là, d’autres spécialistes s’interrogent sur la stabilité des futurs réseaux électriques intelligents, dont les compteurs sont un des maillons. « Grâce à ces nouveaux compteurs, on introduit une dynamique supplémentaire dans les réseaux, donc de nouvelles vulnérabilités. Aujourd’hui, on ne sait pas gérer cela. Qu’arrivera-t-il, par exemple, si tous les frigos se rallument en même temps, après avoir été baissés pour éviter la surchauffe ? Il y a un vrai besoin de recherche sur la dynamique de ces nouveaux réseaux », constate Damien Ernst, de l’unité modélisation et système de l’université de Liège (Belgique). Enfin, l’intérêt même de ces compteurs pose question. Pour ERDF, les avantages sont évidents (moins de déplacement de personnel).Pour la population aussi, avec une facturation basée sur la consommation réelle. Mais on demande aussi à Linky d’aider à maîtriser cette consommation. Ce n’est pas gagné. Le Conseil américain pour une économie économe en énergie (ACEEE) a chiffré, en juin 2010, de 4 % à 12 % les économies potentielles. Mais tout dépend de la nature de l’information fournie au client. Les économies sont d’autant plus fortes que les usagers disposent d’une information en tempsréel, sur des appareils bien identifiés et avec possibilité d’agir en retour. Ce que, de base, ne fournira pas Linky. D’ailleurs l’évaluation rigoureuse des économies possibles n’était pas contenue lors de la phase d’expérimentation. L’exemple d’un autre boîtier, celui de la société Voltalis, montre que les économies d’énergie ne vont pas de soi en France. Cette entreprise assure que ses adhérents, équipés d’un boîtier gratuit « pilotant » certains appareilset fournissant des données de consommation, économisent jusqu’à 15 %. L’entreprise se finance en revendant sur le marché électrique les économies réalisées. Mais la Commission de régulation de l’énergie avait exigé de Voltalis, en 2009, qu’elle rémunère les fournisseurs d’électricité pour cette « perte ». Le Conseil d’Etat a finalement annulé cette décision surprenante en mai. Comme quoi ces petits boîtiers high-tech sont loin d’être neutres. p Tunisie: la bombe numérique laissée par Ben Ali L tour du monde de l’innovation Francis Pisani Journaliste et blogueur, (winch5.blog.lemonde.fr) (PHOTO : MARC CHAUMEIL) ’ancien président tunisien, Zine El-Abidine Ben Ali, avait en partie compris l’importance de l’innovation technologique et le potentiel de l’économie digitale, et il a laissé un pays plutôt mieux placé que beaucoup de ses semblables. Mais le paradoxe du dictateur à l’heure numérique, c’est qu’il ne peut pas tolérer l’innovation sans contrôle et qu’il l’inscrit dans les institutions. Une vraie bombe à retardement. Fait rare dans le monde (voyager apprend à ne pas dire « unique » à la légère), l’Agence tunisienne de l’Internet (ATI) est la responsable technique des trois fonctions principales du réseau des réseaux : les noms de domaine, les adresses IP et l’IXP, l’Internet Exchange Point (« l’infrastructure physique par laquelle les fournisseurs d’accès à l’Internet échangent le trafic entre leurs réseaux » pour augmenter la bande passante en réduisant les coûts, nous explique Wikipédia). Or, m’indique Khaled Koubaa, président de l’Internet Society Tunisie, « ces trois fonctions doivent toujours être séparées ». C’est un peu comme si une seule instance concentrait les trois pouvoirs que sont l’exécutif, le législatif et le judiciaire… comme dans une dictature. « L’ATI était étroitement liée au palais [présidentiel], ajoute Moez Chakchouk qui en est l’actuel patron. C’est une agence technique super bien équipée et bénéficiaire. Elle promouvait l’économie digitale tout en travaillant avec le régime. Elle avait un rôle dans l’innovation mais contrôlait les médias. » Ce contrôle est en fait une quatrième fonction, celle de sécurité du régime dont l’ATI est ainsi investie. « Elle était considérée comme le rideau de fer de l’Internet au temps de Ben Ali », ajoute M. Chakchouk. Nommé dès les premiers jours de la révolution, il fait tout ce qu’il peut pour limiter les dégâts. Premier point : plus de secrets. Il reçoit médias et blogueurs. Il a ouvert une plate-forme gratuite pour les logiciels libres ou open source et une autre fournissant les instruments pour déjouer la censure. Il propose de laisser le contrôle du contenu à la discrétion de chaque utilisateur sans que l’Etat ni une société intermédiaire n’aient leur mot à dire. Il souhaite que l’ATI devienne un acteur neutre et qu’on permette aux autres opérateurs d’être présents dans le capital. Il ne faut pas la détruire comme certains l’ont demandé au début de la révolution. « Il faut la transformer. » Outil redoutablement dangereux Pour Khaled Koubaa, tant que l’outil existe dans ces conditions, il peut être utilisé différemment. Il soutient Moez Chakchouk, mais il ajoute (et l’intéressé en est bien conscient) : « La révolution a changé le PDG mais pas la structure. Il suffit de le virer pour revenir à la censure. C’est extrêmement dangereux. » Le problème est très concret : sommé de censurer des sites pornographiques, Moez Chackchouk s’y est refusé. Condam- né par le tribunal, il s’est pourvu en appel puis, maintenant, en cassation. Et c’est là que le bât blesse. Tant que l’ATI est réglementée comme aujourd’hui, le juge (ce n’est pas le pire des cas) peut l’obliger à censurer. Son successeur, qui devrait être nommé prochainement, n’aura pas nécessairement le courage de lui tenir tête jusqu’au bout. C’est ainsi un cadeau empoisonné qu’a laissé Ben Ali en offrant aux nouveaux dirigeants la tentation de ne pas détruire un outil qui marche, mais qui est redoutablement dangereux. La situation risque rapidement de se compliquer car il faut bien comprendre que ce sont moins les acteurs directement impliqués que la structure en place qui pose problème. On est en droit de se demander ce que feraient Nicolas Sarkozy, José Luis RodriTunisie guez Zapatero ou David Cameron s’ils avaient un tel outil. p