Retour de vague pour le surf des neiges

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Retour de vague pour le surf des neiges
Enquête, Thibaud Guisan, La Gruyère
Sports d’hiver
Retour de vague pour le surf des neiges
Discipline hivernale phare dans les années 1990, le snowboard est aujourd’hui
sur le déclin en Suisse. La faute au ski qui, désormais en plein boom, a réagi
en intégrant les composantes fun de son turbulent cousin. Enquête sur le
phénomène et ses conséquences pour le marché régional des sports d’hiver.
Dans les magasins de sport, les snowboards ont déserté les vitrines. Sur les pistes,
les adeptes du surf des neiges se font de plus en plus discrets. Le constat est
manifeste: après avoir été la discipline hivernale en vogue des années 1990, le
snowboard est aujourd’hui en plein déclin en Suisse.
Ce retour de vague oblige le marché des sports de neige à se réorganiser. A
commencer par les magasins de sport, qui font face à une demande de planches en
chute libre. Principaux révélateurs de ce phénomène, les chiffres de vente,
compilés par l’institut d’étude de marché IHA-GfK. Après le sommet des années
1998 à 2001 – 100000 snowboards vendus chaque saison – c’est la dégringolade
(voir infographie ci-jointe). Seules 50000 planches ont été écoulées durant l’hiver
2006-2007, contre 67000 lors des deux saisons précédentes. La tendance?
Toujours à la baisse selon les spécialistes, malgré une légère augmentation des
ventes l’hiver dernier. Un phénomène surtout dû à un enneigement
particulièrement favorable.
Creux de la vague
Dans le Sud fribourgeois, la réalité semble refléter la statistique nationale. «On est
dans le creux de la vague», reconnaît Dominique Ropraz, responsable de l’enseigne
spécialisée Surfmachine, à Bulle. De son magasin des Paccots, Yves Büchler dresse
un constat similaire: «Depuis deux saisons, les ventes de snowboards ont
nettement diminué. Sur nos ventes totales, nous écoulons 10 à 15% de planches. Il
y a dix ans, cette proportion était de 25%.» A Charmey, Jacques Lüthy a, quant à
lui, même renoncé à la vente de planches. «Au milieu des années 1990, je
proposais encore 10 à 15 marques. Mais la demande s’est vite effondrée. Il faut dire
que la région ne se prête pas bien à la pratique du snowboard. L’enneigement n’est
pas suffisant. C’est sur les belles pentes de poudreuses que le snowboardeur
s’éclate.»
Mais la perte du surf des neiges a une cause essentielle: le nouvel essor du ski.
D’abord dépassés par le succès du surf des neiges, les fabricants ont réagi en
développant une nouvelle forme de spatules: les carvings (ou ski taiilés) qui, lancés
il y a une dizaine d’années, permettent d’enchaîner les virages à la façon d’un
snowboard. «Les marques de skis se sont inspirées du succès du snowboard,
explique Yves Büchler. Notamment en produisant des modèles freestyle et freeride.
Sur ces nouveaux skis, on retrouve les mêmes sensations fun que sur une
planche, mais avec l’avantage de plus de mobilité. Pas mal de trentenaires sont
revenus au ski, notamment à l’heure d’initier leurs enfants à la glisse.»
Guerre consommée
Devant le nouvel engouement suscité par le ski, Dominique Ropraz s’est adapté. A
l’origine uniquement dédié au snowboard et au skateboard, son magasin s’est mis
à proposer ses premières lattes il y a quatre ans. «Ce ne sont plus les mêmes skis.
L’outil a changé, la mentalité du skieur aussi. Désormais, skieurs et
snowboardeurs ont la même idée de la glisse. Alors qu’avant c’était la guerre. Mais
c’était surtout un choc de générations plutôt qu’une guerre de disciplines.»
S’il perd chaque saison des parts de marché en faveur du ski, le snowboard ne
souffre en revanche pas de l’engouement croissant pour le ski de randonnée. «Ce
n’est pas le même type de clientèle», commente Joël Favre, responsable des ventes
pour la Suisse romande chez Ochsner Sport. Jacques Lüthy abonde: «Les adeptes
de peaux de phoque sont des sportifs qui aiment l’endurance, issus par exemple de
la course à pied. Ou alors des amoureux de la montagne. Ce n’est pas forcément le
cas des snowboardeurs, qui sont surtout attirés par le côté fun des sports de
neige.»
Ecoles touchées
Les écoles de ski doivent également composer avec le déclin du surf des neiges.
Dans le Sud fribourgeois, toutes assurent ne pas avoir assez de travail pour
employer un professeur de snowboard fixe. Que ce soit aux Paccots, à Charmey,
Moléson ou La Berra, les cours de snowboard représentent cette saison entre 5 et
10% de l’enseignement. Une proportion qui avait grimpé jusqu’à 25% il y a une
dizaine d’années. A Charmey, le taux a même été de 50%! «Cette proportion a duré
deux ou trois saisons, avant de chuter fortement il y a cinq ans», explique le
directeur, Jean-Marie Dafflon.
Cet hiver, faute d’inscriptions, l’école charmeysanne a dû annuler ses cours
collectifs de snowboard entre Noël et Nouvel-An. «Et pour les trois semaines de
vacances de février, nous n’avons que sept enfants inscrits pour des cours de
snowboard, contre une centaine pour le ski», expose le responsable.
«Pas des extraterrestres»
Reste que, comme l’ancien champion de snowboard fribourgeois Bertrand
Dénervaud (voir interview ci-contre), tous les acteurs régionaux s’accordent sur un
point: bien qu’en régression, la pratique du snowboard ne va pas s’éteindre. «Dans
dix ou vingt ans, les snowboardeurs ne seront pas des extraterrestres sur les
pistes, assure ainsi Dominique Ropraz. Il y a certaines sensations qu’on ne
retrouve pas sur les skis. En revanche, le snowboard ne connaîtra pas un nouveau
boom. Les gens aiment la nouveauté. Le snowboard a pu en profiter et déclencher
un effet de mode. Mais il n’y a qu’une première fois.»
1er SOUS-PAPIER
Wild Duck renonce à ses planches
«Revenez en juillet découvrir la collection 2008-2009.» En pleine saison hivernale,
le site internet de Wild Duck affiche un message pour le moins surprenant.
Explication: la société de Vevey – qui s’implantera bientôt à Châtel-Saint-Denis –
n’a tout simplement pas produit de planches pour cette saison.
Signe d’une ère nouvelle, l’ancien poids lourd du snowboard mise désormais sur…
le ski. Lancée en 2001 par les responsables de Wild Duck, la marque Movement a
le vent en poupe. En 2008, 17000 paires de ski ont été fabriquées en Italie. Bien
loin des 800 réalisées lors de la première mise sur le marché. «L’augmentation de la
demande pour nos skis est vertigineuse», relève Richard Cattaneo, administrateur
de Wild Duck SA. «On a été dépassés. Du coup, on n’a pas réussi à trouver de
temps pour fabriquer nos snowboards. L’arrêt de la production n’est pas définitif.
Une décision sera prise très prochainement quant à l’avenir de la marque Wild
Duck.»
C’est en 1997 que la société veveysanne a misé sur le développement de skis
freeride, freestyle et de randonnée. «A cette époque, le marché était saturé, raconte
l’administrateur. Avec la crise asiatique, la demande japonaise s’est effondrée. La
chute du dollar n’a rien arrangé. On a assisté à une crise de surproduction, les
snowboards se bradaient. D’où notre décision de battre petit à petit en retraite
pour miser sur une nouvelle formule de skis, aux spatules plus larges et aux
rayons plus longs.» La production de snowboards a ainsi rapidement chuté: d’un
sommet de 30000 planches en 1995, elle est passée progressivement à 6000, puis
à 4000.
La décision possible de Wild Duck de stopper sa production de snowboards ne
remettrait pas en cause le déménagement du siège de la société à Châtel-SaintDenis. La construction du bâtiment n’a toutefois pas encore pu démarrer, en
raison d’oppositions pendantes. «Nous sommes dans l’expectative. Une seule chose
est sûre: nous n’ouvrirons pas en juin prochain, comme initialement annoncé»,
explique Richard Cattaneo.
2e SOUS-PAPIER
«Le déclin n’est pas général»
Rider professionnel de 1992 à 2002, Bertrand Dénervaud (38 ans) restera dans
l’histoire du snowboard. Huit fois champion du monde (classement général et half
pipe), le Fribourgeois est le seul athlète à avoir remporté des épreuves de Coupe du
monde aussi bien en half pipe qu’en boardercross et en alpin. Auteur de plus de 50
podiums entre 1991 et 2002 et qualifié pour les jeux Olympiques de Nagano (27e
en half pipe), le résident de Lentigny est aujourd’hui directeur des ventes pour
Scott Suisse. Il livre son regard sur l’évolution de sa discipline.
Bertrand Dénervaud, le déclin de la pratique du snowboard est-il mondial?
Non, il y a des marchés qui connaissent encore une croissance. Je pense
notamment à la Californie, à la Finlande ou au Japon. Dans ces pays ou régions, il
n’y avait pas de culture du ski. Les gens pratiquaient le skateboard ou le surf et
ont été amenés à la neige par le snowboard. En revanche, dans le cœur alpin et en
Suisse, il y a un fort recul des ventes. L’effet de mode s’est estompé. Beaucoup
reviennent au ski, qui a connu une vraie révolution.
L’engouement pour les compétitions de snowboard a-t-il aussi baissé?
Assez clairement. Le public est moins nombreux sur les sites de compétition. Le
milieu est devenu très élitiste, les gens ont plus de peine à s’identifier aux athlètes.
Du moins en ce qui concerne le half pipe et le big air. Seuls les contests de freeride
ont gardé un caractère plus populaire.
Etes-vous triste pour votre ancienne discipline?
Ce sont des choses qui arrivent. Le plus important est que les gens continuent
d’aller en montagne et aient du plaisir dans la neige. Peu importe finalement que ce
soit à ski ou en snowboard.
Le snowboard va-t-il mourir, à terme?
Non. Il y aura toujours des snowboardeurs sur les pistes. On ne peut pas comparer
le destin de la discipline avec celui du monoski, qui n’a jamais connu un
développement important. Le snowboard reste un engin extraordinaire dans la
poudreuse. Il y a aussi un cercle de gens qui sont venus au snowboard parce qu’ils
pratiquaient le skateboard. L’attrait du ski n’opère pas sur cette clientèle. Et puis,
il n’est pas impossible que le snowboard connaisse une évolution qui le
redynamise. De même, on ne peut pas non plus exclure l’arrivée de nouveaux
engins de glisse.
© Sauf accord de l’auteur et de la direction du CRFJ, ces travaux, réalisés dans le
cadre de la formation, ne sont pas destinés à la publication ni à la diffusion.

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