CEA / Les Défis du CEA - Le magazine de la recherche - Cea-Dam
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7 numéro 145 les défis du cea Parce que la propulsion nucléaire garantit l’autonomie totale des navires, le nucléaire assurera l’approvisionnement énergétique des futurs sous-marins de la Marine nationale, laquelle va confier en outre au CEA des missions élargies. Immersion… ÉNERGIE TEXTE : Patrick Philippon LE NUCLÉAIRE PROPULSE LA MARINE NATIONALE brûlante sur le front de la Contrairement aux propulseurs diesel ou diesel électrique propulsion nucléaire. En des sous-marins classiques, un réacteur nucléaire peut foncjuin, deux tronçons du Suffren, livrable en 2017, étaient tionner plusieurs années avec le même cœur combustible. soudés à Cherbourg. Le 10 juillet, la toute première tôle Et surtout, il ne consomme pas d’oxygène, avantage essendu Duguay-Trouin, nouvellement commandé, était décou- tiel pour un sous-marin. Certains observateurs considèrent pée. Ces deux bâtiments deviendront les premiers du pro- d’ailleurs que seuls les sous-marins à propulsion nucléaire gramme Barracuda, les nouveaux sous-marins nucléaires méritent vraiment ce nom, les autres n’étant que des navires d’attaque (SNA) de la Marine nationale destinés à rempla- submersibles devant remonter à la surface régulièrement pour recharger leurs batteries avec le cer les actuels SNA type Rubis. La revue groupe diesel. de conception détaillée de leur chaufferie, La propulsion La chaufferie nucléaire fournit également étape essentielle de la phase de réalisanucléaire est l’électricité du bord, y compris celle tion, se déroule cet automne. Enfin, en toujours d’actualité, nécessaire au dessalement de l’eau de mer. 2010, le Terrible, quatrième et dernier des et le CEA en est Outre son extrême compacité, elle supsous-marins nucléaires lanceurs d’engins plus que jamais porte des contraintes inconnues à terre. de nouvelle génération (SNLE-NG) un acteur entamera sa carrière militaire et, en 2011, le nouveau réacteur d’essais à de premier plan terre, le RES, divergera à Cadarache. La propulsion nucléaire est ainsi toujours d’actualité, et le CEA en est plus que jamais un acteur de premier plan. Mais pourquoi embarquer un système aussi complexe qu’un réacteur nucléaire pour faire avancer un navire? La réponse tient en deux mots : autonomie et oxygène. © Lesenechal/CEA Actualité Chaufferie // Elle comprend le réacteur et le (ou les) générateur(s) de vapeur. Diverger // Démarrer un réacteur nucléaire. Cœur // Partie centrale du réacteur ; c’est un assemblage d’éléments combustibles à l’intérieur desquels se produit la réaction de fission nucléaire. >>> 8 À la une les défis du cea >>> novembre 2009 Elle doit résister aux mouvements incessants du bâtiment en mer, aux aléas que les marins appellent pudiquement des «fortunes de mer», et évidemment aux risques du combat. De plus, contrairement à un réacteur électronucléaire fonctionnant à régime stable, elle doit répondre instantanément aux exigences de la manœuvre du navire. Au lieu du classique empilage de pastilles d’oxyde d’uranium dans des « crayons », les cœurs sont constitués de plaquettes rectangulaires insérées dans les alvéoles d’une grille de zircaloy, dont les deux faces sont ensuite recouvertes de plaques du même métal. Le tout est soudé. Cette géométrie particulière leur confère une grande résistance aux chocs, tout en accélérant les transferts thermiques. zones maritimes. Les Barracuda, SNA de type Suffren, assumeront toutes ces missions, avec quelques bénéfices supplémentaires. Ils intégreront des armes nouvelles, en particulier des missiles de croisière, de nouveaux types de torpilles et des mines. Ils pourront aussi larguer et récupérer des commandos, voire, grâce à un sas, libérer sous l’eau des nageurs de combat. Plus longs et deux fois plus lourds que leurs prédécesseurs, ils ont une vitesse « silencieuse » supérieure et embarquent un équipage plus réduit. Leur chaufferie dérive du même concept que celui du porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle et des SNLE-NG. Toute la flotte nucléaire française utilisera donc bientôt le même type de réacteur, ce qui simplifiera l’approvisionnement. « Les premières chaufferies de ce type ont été lancées dans les années 1980. Celles du programme Barracuda intèLes Barracuda arrivent Contrairement aux sous-marins nucléaires lanceurs d’en- grent naturellement des évolutions survenues depuis, par exemgins (SNLE), au rôle stratégique de vecteurs de la force ple sur le réacteur civil EPR », précise Laurent Janot, chef de de dissuasion, les SNA sont des navires de combat. Ils projet Barracuda au CEA-DAM1. Ces améliorations porprotègent les SNLE et le porte-avions, et interdisent des tent en particulier sur la sûreté – prise en compte des accidents graves dès la conception – et la radioprotection. Un point important puisque, dans un SNA, les premières Zircaloy // Groupe d’alliages de zirconium. Vitesse « silencieuse » // Vitesse maximale à laquelle peut se mouvoir couchettes sont installées à quelques dizaines de mètres un sous-marin tout en restant silencieux. Au-delà, la vitesse est dite du réacteur. Grâce à des systèmes automatiques, le poste « bruyante ». EPR // Réacteur à eau pressurisée de génération III (European de conduite du réacteur est désormais situé à l’avant du Pressurized Reactor). navire, ce qui réduit encore l’exposition. Piscine d’entreposage et d’examen des combustibles irradiés du futur réacteur d’essais RES. numéro 145 les défis du cea © C. Jandaureck/CEA © Photos Marine nationale LA FLOTTE NUCLÉAIRE FRANÇAISE QUANTITÉ PREMIER LANCEMENT DIMENSIONS MISSIONS SNA de type Rubis 6 En 1982, remplacement progressif par les SNA du programme Barracuda. 72 mètres pour 2 385 tonnes et 66 hommes. Missions tactiques : protection de la flotte, interdiction de zones maritimes. SNLE-NG de type Triomphant 4 En 1997, (le dernier en 2010), en remplacement des 6 anciens SNLE. 138 mètres pour 12 640 tonnes et 111 hommes. Mission stratégique : emport des armes de dissuasion nucléaire. Porte-avions nucléaire Charles-de-Gaulle 1 En 2001. 261 mètres pour 42 000 tonnes et 1 900 hommes. Missions tactiques : attaque d’objectifs terrestres ou de forces navales à la mer ; couverture aérienne d’un théâtre d’opérations à terre ou en mer ; soutien d’opérations à terre. SNA Barracuda (de type Suffren) 6 En 2017, puis tous les 2 ans, en remplacement des SNA de type Rubis. Environ 100 mètres pour 4 650 tonnes et 60 hommes (plus 10 passagers ou 15 commandos). Missions tactiques : protection de la flotte, interdiction de zones maritimes, dépose de commandos. Le nouveau cœur combustible permet aussi d’espacer les opérations de maintenance: tous les 10 ans au lieu de 7 pour les actuels SNA. Autre grande nouveauté, les SNA Barracuda ont une motorisation mixte. La vapeur produite par le réacteur anime non seulement une turbine qui entraîne directement l’hélice, mais aussi des turbo-alternateurs qui peuvent alimenter des moteurs électriques. Il en résulte des navires plus efficaces énergétiquement et très silencieux. « La maîtrise d’ouvrage intégrée DGA-CEA permet une meilleure gestion de l’interface entre le bateau et sa chaufferie » Un maître d’ouvrage reconnu Le programme Barracuda bénéficie d’une maîtrise d’ouvrage intégrée DGA-CEA2. Pour Laurent Janot, « cela permet une meilleure gestion de l’interface entre le bateau et sa chaufferie. De plus, les maîtres d’œuvre industriels – Areva TA pour la partie nucléaire et DCNS pour le reste du bâtiment – ont affaire à un donneur d’ordre unique ». Depuis le début de la propulsion nucléaire en France, le CEA conçoit et réalise les chaufferies des bâtiments, aide à leur exploitation, assure leur démantèlement et prend en charge les effluents. Il en va de même pour les cœurs, avec une nuance supplémentaire : le CEA en reste propriétaire et en est responsable devant l’Autorité de sûreté nucléaire. Il ne fait que les mettre à la disposition de la Marine. «Cette dernière est en train de confier des missions élargies au CEA », indique Arnaud Varoquaux, adjoint au directeur de la propulsion nucléaire au CEA-DAM. Le CEA prend ainsi en charge les opérations lourdes d’entretien à caractère nucléaire: déchargement et remplacement des cœurs, inspection des réacteurs lors du grand carénage des navires. Ce fut d’ailleurs le cas lors de celui du Charles-de-Gaulle. « Nous avons implanté une équipe à Toulon, auprès du chef de projet Marine. Tout s’est très bien passé ; le Service de soutien de la flotte nous délègue désormais la maîtrise d’ouvrage pour toutes les IPER 3. » Une équipe CEA est d’ailleurs à l’ouvrage sur le SNA Perle à Toulon, et une autre va être implantée à Brest pour les SNLE-NG. Le premier à en bénéficier sera le Vigilant. Autre évolution, le CEA se voit confier la maîtrise d’ouvrage de la remise à niveau, la modification, voire la création des installations à terre. Il a par exemple réalisé la station d’épuration des effluents liquides de l’IleLongue, en face de Brest, et dirige maintenant, sur le même site, la rénovation de la piscine d’entreposage des cœurs irradiés des SNLE. « C’est une installation datant de quarante ans, que nous mettons aux normes actuelles de sûreté et dont nous étendons les capacités. Les travaux s’achèveront au printemps 2010 », indique Arnaud Varoquaux. Carénage // Opération de révision périodique de la coque d’un navire. Laurent Janot, chef de projet Barracuda à la DAM notes : 1. CEA-DAM : Direction des applications militaires du CEA. 2. DGA : Direction générale de l’armement. 3. IPER : indisponibilité périodique pour entretien et réparation. C’est ainsi que la Marine appelle les grands carénages. >>> 9 10 À la une les défis du cea L’aventure continue Le Livre blanc sur la Défense a récemment confirmé le besoin de six SNA Barracuda et remis sur le devant de la scène l’idée d’un deuxième porte-avions nucléaire. L’avenir de la propulsion nucléaire semble donc assuré à moyen terme, mais que se passera-t-il ensuite ? Le concept des chaufferies compactes actuelles, les K15, devrait perdurer. Cependant, le CEA travaille d’ores et déjà sur un nouveau générateur de vapeur à plaques pour remplacer l’actuel système à tubes. Cela permettrait d’allouer plus de place au réacteur. On pourrait alors envisager des cœurs à durée de vie plus longue, pouvant même atteindre la longévité du navire pour des bâtiments peu consommateurs. À plus long terme, la réflexion est déjà engagée sur les successeurs des SNLE-NG qui doivent apparaître vers 2030. Sous-marin nucléaire d’attaque de type Rubis. interview Philippe Jucker, chef de projet RES © CEA À chaque génération de chaudière embarquée a correspondu un réacteur prototype à terre, construit à Cadarache. Le réacteur d’essais (RES), dédié à la chaufferie Barracuda, est lui aussi construit à Cadarache. LES DÉFIS DU CEA En quoi consiste le programme et où en est-il ? P. J. | Lancé en 1995, le programme comprend le RES lui-même et une piscine d’entreposage des combustibles irradiés en provenance des navires, du RES et des réacteurs de recherche du CEA. Le réacteur divergera en 2011. La piscine est en service depuis 2005. À terme, elle hébergera une grande partie des cœurs de propulsion usagés. Des campagnes de rapatriement à partir des trois autres piscines des ports militaires de Brest, Cherbourg et Toulon sont en cours. LES DÉFIS DU CEA Pourquoi construire un réacteur à terre ? P. J. | Ce n’est pas seulement un prototype mais un réacteur d’essais. Son rôle n’est donc pas seulement de qualifier les concepts et les systèmes embarqués, en particulier le cœur, mais aussi de soutenir la flotte en service et de tester le réacteur en conditions extrêmes. En particulier le faire vieillir par des cycles répétés pour repérer d’éventuelles faiblesses susceptibles de se révéler en fin de vie. Il n’est pas question que la chaufferie nucléaire d’un sous-marin tombe en panne, ne serait-ce que pour la crédibilité de la dissuasion ou des missions. De plus, la chaudière compacte embarquée restera en service de longues années. Il faudra tester ses évolutions, que le RES, modulable, pourra absorber. LES DÉFIS DU CEA En quoi consiste la nouveauté du RES ? P. J. | Contrairement à ses prédécesseurs, le RES est un véritable outil de recherche. Il est doté d’une instrumentation capable de suivre in situ le fonctionnement du cœur à divers régimes, ainsi que d’un banc de gammamétrie dans la piscine d’entreposage, pour pouvoir caractériser un cœur en cours d’irradiation sans le détruire. Le RES servira ainsi à valider des codes de calcul et des avancées technologiques sur le cœur. Toujours représentatif de la chaufferie K15, il pourra cependant tester des évolutions majeures, comme le futur générateur de vapeur à plaques. © Marine nationale >>> novembre 2009