Patrimoine suisse combattra le projet Jean Nouvel Le restaurateur

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Patrimoine suisse combattra le projet Jean Nouvel Le restaurateur
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GENÈVE
LE COURRIER
VENDREDI 4 MARS 2011
Le nombre
de logements aux
Cherpines revu
à la hausse
CONSEIL D’ÉTAT • Trois mille
appartements devraient être créés
à la plaine de l’Aire.
Le nombre de logements prévus dans le secteur dit
des Cherpines-Charrotons, à Plan-les-Ouates sera de
3000 plutôt que les 2500 annoncés initialement, comme l’a relevé hier le président du Conseil d’Etat, Mark
Muller, lors du point de presse hebdomadaire de l’exécutif genevois.
Cette densification vise à rassurer – ou à couper
l’herbe sous les pieds, c’est selon – des référendaires
qui contestent ce déclassement de 42 hectares prévu
dans la plaine de l’Aire. Ce recours aux instruments de
la démocratie semi directe (le peuple votera le 15 mai
prochain) fédère à la fois des gens qui refusent toute
idée de déclassement au nom de la préservation de la
zone agricole et des milieux qui estiment que, quitte à
déclasser, autant y aller franchement et prévoir un
nombre d’habitations plus important. Hier, Mark Muller a estimé que ce chiffre de 3000 s’inscrit dans une
stratégie du juste milieux.
Le chiffre de 3000 fait suite à un accord entre les
différentes collectivités publiques concernées. A savoir, outre le canton, la commune de Plan-les-Ouates et
celle de Confignon.
L’accord est intervenu dans le cadre de l’élaboration du plan directeur de quartier. Le périmètre avait
fait l’objet d’un concours d’urbanisme sous forme de
mandats d’études parallèles. Et un des quatre projets
avait été primé l’an passé. «Le but est de réaliser un
éco-quartier sur ce site», a rappelé Mark Muller. Même
si aucune certification n’est prévue.
Le Conseil d’Etat a encore:
• voté une loi anti-bonneteau, du nom de cette escroquerie qui sévit dans les rues Basses et qui consiste à parier sur la présence d’une petite boule sous un gobelet
dans une série de trois. En l’occurrence, le canton
n’avait pas de base légale pour poursuivre les personnes qui soutiraient de la sorte de l’argent aux passants par trop crédules. «Nous pensions nous baser sur
la loi fédérale sur les jeux, or on nous a expliqué que le
bonneteau n’est pas un jeu mais bien une escroquerie», a expliqué M. Muller. Mais, le Code pénal reste
muet à ce sujet.
Il a donc été prévu d’inscrire une disposition spécifique dans la loi pénale cantonale. Elle interdit ce trafic,
quelle que soit la forme sous laquelle il est pratiqué
(gobelets ou à l’aide de cartes). «C’est typiquement le
genre de loi qui vise à protéger les imbéciles contre
eux-mêmes», constate le conseiller d’Etat. Le dispositif
de l’article de loi prévoit une amende pouvant aller de
100 francs à 10 000 francs. Le parlement devra encore se
pencher sur ce texte. On ne sait donc pas si la loi sera
opérationnelle avant l’été, période qui voit une recrudescence de cette pratique;
• nommé une directrice générale à l’Office de
l’urbanisme en la personne d’Isabel Girault. Ce service
est né de la fusion de l’aménagement du territoire et
des autorisations de construire. Mme Girault est diplômée d’architecture de l’EPFL et a principalement
exercé en France;
• constaté l’aboutissement de l’initiative municipale du Parti socialiste visant à créer des places
d’apprentissage. PHILIPPE BACH
Le restaurateur Chevrier
a une dent contre le syndicat Unia
JUSTICE • Cinq syndicalistes se retrouvent devant le Tribunal de police à
la suite de la plainte déposée par le patron du Domaine de Châteauvieux.
OLIVIER CHAVAZ
Propriété privée contre liberté
syndicale. Le Tribunal de police
s’est penché hier sur le cas de
cinq
syndicalistes
d’Unia
Genève recourant contre une
ordonnance de condamnation
du Ministère public pour violation de domicile. Parties civiles,
le chef étoilé Philippe Chevrier
et son épouse Magali ont en effet saisi la justice à la suite
d’une banale distribution de
tracts organisée au Domaine de
Châteauvieux, à Satigny. A l’appel des syndicats genevois, inquiets de ce précédent, une
cinquantaine de personnes ont
manifesté leur solidarité.
Les faits se sont déroulés le 7
octobre 2009 vers 14 h. «Il
s’agissait d’une campagne d’information des travailleurs sur
les modifications dans la
convention collective nationale
de la branche», a rappelé au tribunal Jamshid Pouranpir, secrétaire syndical et accusé. Or
si ce genre d’action ne pose aucun problème «à 99%» des employeurs, il en va différemment
de Philippe Chevrier. Contacté
à deux reprises en prévision de
ce tractage, il a opposé un refus
catégorique à Unia. «Nous
avons décidé d’y aller quand
même: y renoncer aurait
constitué une différence de
traitement entre les salariés de
Châteauvieux et ceux des
autres établissements du canton», a précisé son collègue Fabrice Chaperon.
Question de méthode
Ce jour-là, alors que les syndicalistes plaçaient des tracts
sur les pare-brise des véhicules
parqués, le ton est rapidement
monté. S’estimant dans leur
bon droit, les syndicalistes
n’ont pas voulu quitter les lieux
malgré les injonctions menaçantes des époux Chevrier.
Appelée à la rescousse par le
propriétaire, la police a fini par
débarquer. Dix-huit mois plus
tard, le discours du restaurateur est toujours aussi clair. «Je
suis chez moi et je fais ce que je
veux, car je n’aime pas les méthodes d’Unia», a-t-il répondu
au président du tribunal, qui lui
demandait pourquoi un arrangement préalable n’avait pas
été possible.
Philippe Chevrier (ici en 2001). «Je suis chez moi et je fais ce que je veux, car je n’aime pas les méthodes
d’Unia», s’est justifié le restaurateur au tribunal. KEYSTONE
Les avocats du couple,
François Bellanger et David Bitton, se sont chargés de développer cette argumentation un peu
laconique. «Le droit à l’information et la liberté syndicale ne
justifient pas tous les moyens»,
soutient Me Bitton. Pour lui, la
violation de domicile est
préméditée et caractérisée. Il
existait des moyens légaux d’atteindre les employés: par
exemple «les inviter à une réunion dans les locaux d’Unia»,
«envoyer les tracts à distribuer
au responsable du personnel»
ou se placer aux limites de la
propriété. «Mais le but du syndicat était autre: il voulait mener une opération de racolage
pour grossir ses troupes.» Quitte
à perturber le service et gêner
les clients présents.
Partenariat social
fragilisé
«La question de l’accès aux
entreprises n’a pas été tranchée
par le Tribunal fédéral», reconnaît pour sa part Christian Bruchez, avocat d’Unia. Mais des
tribunaux cantonaux ont déjà
renoncé à poursuivre des syndicalistes, considérant qu’une action proportionnée et respectueuse, telle que la prévoit la
Constitution fédérale, ne piétine
pas la propriété privée. «Le monde du travail suisse est fondé sur
le partenariat social entre em-
ployeurs et syndicats. Pour jouer
leur rôle, ces derniers doivent
être forts et pouvoir s’adresser
aux salariés sur leur lieu de travail.» En rejetant la tentative de
dialogue lancée par les accusés,
Philippe Chevrier s’affranchit de
l’ordre juridique suisse. «Le droit
pénal ne peut pas servir à protéger ce type de comportement.»
Aux yeux de Me Bruchez, les
conséquences d’une condamnation seraient particulièrement graves. Cela reviendrait à
légitimer une entrave à la liberté syndicale et encouragerait les employeurs à liquider le
partenariat social.
Le Tribunal de police rendra
son jugement ultérieurement. I
MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE
Patrimoine suisse combattra le projet Jean Nouvel
MARIO TOGNI
La section genevoise de Patrimoine
suisse est prête à en découdre. Son opposition au projet d’extension du
Musée d’art et d’histoire (MAH), signé
par l’architecte vedette Jean Nouvel,
n’est pas récente, mais l’association
envisage désormais de passer à la vitesse supérieure. «S’il le faut, nous
irons jusqu’au Tribunal fédéral et discuterons du lancement d’un référendum», assure son président, Marcellin
Barthassat. «Après les dernières
séances dites de ‘consultation’, il s’avère que le projet actuel n’est pas négociable et que Patrice Mugny ne changera pas d’avis.»
Le magistrat chargé de la culture en
Ville de Genève, tout comme la direction du MAH, défend en effet le plan
d’agrandissement intra-muros dessiné par l’architecte français, qui
bénéficie depuis l’an passé d’une importante participation financière du
mécène Jean-Claude Gandur (de 20 à
40 millions de francs). Le projet prévoit de «remplir» la cour intérieure par
des étages d’exposition et de recouvrir
le tout par un restaurant panoramique
dépassant le gabarit du bâtiment historique.
Pour Patrimoine Suisse, cette option «contrevient largement aux principes de préservation du patrimoine»
et d’autres solutions «plus rationnelles» n’ont jamais été examinées.
Les critiques portent sur deux points.
D’abord, la surélévation d’un bâtiment est proscrite dans le périmètre
de la Vieille-Ville et le projet d’extension nécessitera une dérogation, que
l’association contestera devant les tribunaux.
Mais c’est surtout le «bourrage» de la
cour intérieure qui fait grincer des
dents. «Le MAH est un monument historique d’importance qui doit être respecté dans son intégrité architecturale», avance Bernard Zumthor, ancien
conservateur cantonal et membre de
l’association. «On ne peut pas simplement gommer ses spécificités, nier sa
fonctionnalité et le considérer comme
une coquille vide.» Et d’ajouter que les
gains d’espace prévus par le projet
Jean Nouvel sont «dérisoires».
Reconnaissant la «nécessité urgente» d’agrandir le musée, Patrimoine
suisse a aussi planché sur une solution
alternative, envisagée extra-muros. Il
s’agirait de construire des espaces
sous la promenade de l’Observatoire,
dans le prolongement du MAH en direction de Rive. «Camoletti, son architecte, avait déjà envisagé il y a plus
d’un siècle d’inclure la butte dans le
projet afin d’affirmer le lien entre la
ville et le musée», explique Cécilia
Maurice, du comité de Patrimoine
suisse. Selon elle, cette option permettrait de créer entre 5000 et 7000 m2 de
surface d’exposition et 4000m2 de
dépôts. Elle aurait aussi l’avantage de
réaliser les travaux sans fermer le
musée durant des années, ajoute-telle.
Patrice Mugny, lui, qualifie volontiers
cette solution d’«assez pathétique»:
«Tout doit désormais être enterré à
Genève, on ne fait plus que des tunnels!» Pour le conseiller administratif,
le projet Jean Nouvel révèle au
contraire une vision qui «intègre l’architecture contemporaine à l’ancienne, sans la dénaturer, alors que Patrimoine suisse veut faire de la ville
entière un musée.»
Sans exclure une extension ultérieure, il estime qu’il faut aujourd’hui
profiter de «l’opportunité de ce projet», en cours d’étude et qui bénéficie
de financements. A ce titre, le magistrat affirme que 60 millions de francs
seraient déjà garantis par le privé,
dont 40 millions par Jean-Claude Gandur et 20 millions récoltés par la Fondation pour l’agrandissement du
MAH. Initialement, la facture de l’extension-rénovation du musée avait
été estimée à 80 millions, mais tout le
monde admet aujourd’hui qu’elle sera
en définitive plus élevée. I