Vous trouverez ci après, dans son intégralité, le discours prononcé

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Vous trouverez ci après, dans son intégralité, le discours prononcé
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BON FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE CONGOLAISE ET RECOURS
EN ANNULATION SPECIALE CONTRE LES DECISIONS ET REGLEMENTS
DES ORGANES DE L’ORDRE NATIONAL DES AVOCATS
Excellence Monsieur le Président de la République, avec l’assurance de
mes sentiments déférents,
Honorable Président de l’Assemblée Nationale,
Honorable Président du Sénat,
Monsieur le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature,
Monsieur le Procureur Général de la République,
Mesdames et Messieurs les Honorables Députés et Sénateurs ;
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et Chefs des Missions
Diplomatiques,
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Mesdames et Messieurs les Magistrats,
Monsieur le Doyen de l’Ordre National des Avocats et honoré confrère,
Messieurs les Bâtonniers et Honorés Confrères,
Madame et Messieurs les Membres du Conseil National de l’Ordre,
Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil de l’Ordre,
Mesdames et Messieurs les Avocats,
Distingués Invités,
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Mon intervention de ce jour va s’articuler autour du thème relatif au bon
fonctionnement de la justice congolaise et recours en annulation spéciale
contre les décisions et règlements des organes de l’Ordre National des
Avocats.
Il y a exactement trois ans, j’ai eu, à l’occasion de la rentrée judiciaire de
l’année 2009, à discourir au nom de l’Ordre National des Avocats, sur
l’état de la justice congolaise.
Force est de constater malheureusement, que malgré de discours direct et
les efforts de Monsieur le Président du
Conseil Supérieur de la
Magistrature, peu de progrès ont été accomplis depuis, puisque la justice
congolaise n’a pas cessé d’aller
mal dans son fonctionnement de tous
les jours, selon le Premier Ministre lui-même qui déclarait à
l’hebdomadaire « Jeune Afrique » du 2 au 8 septembre 2012 que « des
efforts doivent être consentis pour donner à la justice de notre pays une
image qui sécurise le citoyen aussi bien dans sa personne que dans ses
biens ; une image qui rassure les opérateurs économiques sur la sécurité
de leurs investissements », en ponctuant sur « le caractère indéniable de
la nécessité d’une réforme profonde ».
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Il faut en conséquence, sortir de la torpeur et de l’inaction tous ceux qui,
à un degré ou à un autre, assument la responsabilité du fonctionnement
de la justice, sans pouvoir entreprendre aucune démarche quelconque,
pour tenter tant peu soit-il, de remédier à son dysfonctionnement par des
mesures quelconques.
Certes, on a connu dans un passé récent la révocation des magistrats
condamnés à l’instance de prise à partie, mais cette solution ponctuelle
ne semble avoir entraîné aucun effet bénéfique sur le fonctionnement de
la justice, outre que la condamnation des magistrats en prise en partie
apparaît de plus en plus aujourd’hui comme tout simplement
hypothétique.
D’un autre côté, bien des juridictions de notre pays semblent fonctionner
aujourd’hui au rythme des réseaux de protection tissés en partant de
l’amitié ou de la fidélité vis-à-vis de leur chef, qu’il s’agisse des cours et
tribunaux ou des offices de parquet, où l’on voit les mêmes magistrats
siéger régulièrement de semaine en semaine ou instruire activement les
dossiers, pendant que leurs collègues végètent dans l’ennui.
Mais la grande préoccupation reste celle de la qualité du travail des
magistrats civils et plus particulièrement des jugements.
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Il sierra ainsi que le Conseil Supérieur de la Magistrature amorce la mise
en pratique de l’article 43 du statut des magistrats aux termes duquel « le
magistrat qui, de l’avis d’une commission dont la composition est fixée
par le Conseil Supérieur de la Magistrature sur demande conjointe du
premier président de la cour de cassation ou du conseil d’Etat et des
procureurs généraux près ces juridictions, fait preuve de manière
habituelle dans l’exercice de ses fonctions, d’une incompétence notoire
ou d’une grave ignorance du droit, est relevé de ses fonctions par le
Président de la République ».
Il convient pour cela que soit instituée auprès du Ministère de la Justice
une cellule d’évaluation des jugements, arrêts, procès-verbaux et autres
avis émanant des magistrats et leurs suites, cellule qui accueillerait
plaintes et doléances, et aurait compétence d’attirer l’attention des
premiers présidents de la cour de cassation ou du conseil d’Etat et des
procureurs généraux près ces juridictions, sur les présomptions dans le
chef des magistrats, d’insuffisances susceptibles de justifier le
déclenchement à leur endroit, du mécanisme de la commission
d’évaluation de compétence.
Mais en dépit de tout, la question fondamentale reste celle des
conditions matérielles des magistrats et de la mise à leur disposition de
la dotation constitutionnelle, gage de leur indépendance.
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Enfin, il est indispensable, dans la perspective de l’éclatement de la Cour
Suprême de Justice, d’ouvrir les plus hautes fonctions de la magistrature
aux avocats et aux professeurs d’université expérimentés.
Sortant du Palais de Justice il y a quelques mois, j’ai vu une conseillère
et un conseiller de la cour d’appel occupés à deviser gaiement.
M’étant approché pour les saluer, je fus interpellé par la dame qui me
demandait pourquoi le Bâtonnier National n’intervenait pas pour
discipliner les avocats qui, inondaient régulièrement les couloirs de la
Cour d’Appel pour proposer des marchés aux magistrats.
Avant même que je n’ai eu le temps de réagir, le conseiller s’en prit
violemment à la conseillère pour lui dire qu’elle n’avait pas le droit de
tenir pareil discours puisque le sort des magistrats et de leurs familles
dépendait justement des démarches des avocats et des justiciables.
Faut-il encore une preuve supplémentaire des proportions endémiques
atteintes par la corruption au sein de la magistrature congolaise, malgré
le fait qu’il existe encore par ci par là quelques éléments honnêtes ?
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Les avocats portent également, une grande part de responsabilité dans le
mauvais fonctionnement de la justice dans l’impunité la plus totale, faute
de dénonciation.
De sorte que pour eux également, la révision de la loi organisant le
barreau pourrait s’avérer nécessaire, dans le sens de donner peut-être au
Bâtonnier National, pouvoir de saisir directement les conseils de l’Ordre
des barreaux au disciplinaire, de former appel contre les décisions des
Conseils de l’Ordre et de fixer directement devant le Conseil National de
l’Ordre les causes, après vaine sommation des barreaux de s’en saisir.
Sur un autre registre, je me dois également d’attirer l’attention de la
Cour Suprême de Justice, sur une autre situation qui est de nature à
priver de justice, bon nombre de justiciables qui se sont tournés vers
elle.
Comme chacun le sait, un incendie a entraîné en 2006, la perte de
plusieurs dossiers en instance devant la Cour Suprême de Justice.
Face à cette situation, il convient que la Cour Suprême de Justice
entreprenne un travail d’inventaire de tous les dossiers perdus ou égarés.
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La Cour Suprême de Justice invitera ainsi les parties qui le peuvent ainsi
que le Parquet Général de la République, à participer à la reconstitution
desdits dossiers afin de relancer leur instruction.
En cas d’impossibilité de reconstitution totale, je suggère que la Cour
Suprême de Justice révise sa jurisprudence qui veut qu’elle rejette les
pourvois toutes les fois qu’elle se trouverait dans l’impossibilité de
contrôler la régularité des procédures initiées devant les juges de fond,
pour juger de manière plus équitable qu’en tel cas, les jugements et
arrêts attaqués seront cassés, lorsque la perte de certaines pièces est
advenue dans les circuits d’instruction à la Cour Suprême de Justice ou
au Parquet Général de la République, après dépôt de dossiers complets
par les parties.
Il existe à cet égard le précédent de la cour de cassation de Belgique qui
a jugé après la deuxième guerre mondiale que lorsqu’un pourvoi en
cassation est dirigé, dans le délai légal, contre un arrêt rendu en matière
répressive qui a été détruit, ainsi que le dossier, par un incendie, la cour
est dans l’impossibilité de vérifier si les formalités substantielles ou
prescrites à peine de nullité ont été respectées et casse l’arrêt attaqué.
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Mesdames et Messieurs,
Je pense qu’il est grand temps que la justice de notre pays devienne une
cause nationale, objet de préoccupation de toutes les femmes et de tous
les hommes de bonne foi et de bonne volonté qui, éprouveront à l’aune
de ses décisions leur propre sens de la justice, et consacreront tous leurs
efforts à la recherche de mécanismes susceptibles de la ramener au bon
fonctionnement, qui n’est autre que la reconnaissance des droits
patrimoniaux ou humains que la loi attache à chaque personne humaine
et la sanction objective de toute atteinte ou violation desdits droits.
Il est ainsi grand temps d’instaurer soit une commission nationale
d’observation permanente des mécanismes de l’appareil judiciaire en
vue d’améliorer son rendement, soit une commission ponctuelle qui
proposerait des solutions adéquates pour le redressement de la justice.
Mais si l’on parle ici de justice, la réalité reste que c’est tous les secteurs
d’activité du pays qui se trouvent gangrenés selon le Premier Ministre
qui a déclaré à l’hebdomadaire « Jeune Afrique » que « l’image de
l’administration publique congolaise est extrêmement négative. Non
seulement les prestations des services publics de base ne répondent pas
aux normes de qualité, mais elles sont aussi sources de corruption. »
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L’effort doit ainsi s’étendre plus loin encore.
D’abord dans une entreprise de réarmement moral des citoyens
congolais à plus ou moins long terme, afin de forger en eux la
conscience d’appartenir à un grand peuple et à un grand pays, capable de
faire des prodiges par le travail et le concours de chacun doublés de
l’esprit d’abnégation.
Ensuite,
de
réadapter
les
programmes
d’enseignement
et
de
divertissement en y injectant à une place de choix l’apologie des valeurs
morales, et en canalisant les fantasmes des jeunes et des moins jeunes
vers l’héroïsme et le don de soi à la nation, de manière à créer pour les
trente prochaines années, une nouvelle génération de congolais exempts
des tares de la zaïrianisation et de la frénésie d’acquisition des biens
abandonnés ou sans maître, qui ont fini par substituer dans les esprits la
facilité et l’aventurisme, au sens du travail.
Car la dignité a son prix et c’est à ce prix et à ce prix seulement que l’on
pourra rêver de voir des représentants de la magistrature congolaise
appelés à siéger un jour dans les juridictions internationales.
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Cela étant, je me propose de développer à présent, quelques éléments de
droit relatifs au recours en annulation spécial contre les décisions et
règlements du Conseil National de l’Ordre ou de l’assemblée générale
de l’Ordre National des avocats.
L’Ordre National des Avocats est constitué par l’ensemble des barreaux
de la République Démocratique du Congo, qui sont eux-mêmes et
chacun, composés d’avocats inscrits au tableau ou admis à la liste de
stage.
L’Ordre National des Avocats se réunit annuellement en une assemblée
générale composée de différents bâtonniers des barreaux de la
République ainsi que des membres composant le Conseil de l’Ordre de
chacun des barreaux.
L’assemblée générale de l’Ordre National des Avocats constitue un
forum où se prennent d’importantes décisions engageant l’ensemble des
barreaux, qu’il s’agisse de l’élection du Bâtonnier National et des
membres du Conseil National de l’Ordre toutes les trois années, ou de
toutes autres décisions nécessaires au fonctionnement de l’Ordre et
conformes à ses intérêts du moment.
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Le Conseil National de l’Ordre a quant à lui, la charge de veiller à la
sauvegarde de l’honneur et des droits et intérêts professionnels communs
des avocats, en déterminant et en unifiant les règles et usages de la
profession par des règlements obligatoires pour tous les avocats.
Le Conseil National de l’Ordre est par ailleurs, l’organe d’appel des
décisions prises par les Conseils de l’Ordre des barreaux, qu’il s’agisse
des sentences disciplinaires, du contentieux d’admission au tableau ou à
la liste de stage ou encore des recours contre toutes décisions
administratives prises par les Ordres des Avocats.
Enfin, le Conseil National de l’Ordre est, aux termes de l’article 81 de
l’ordonnance-loi organisant le barreau, le seul organe compétent pour
déterminer la hauteur et fixer le montant des honoraires des avocats,
lorsque ceux-ci sont contestés par le client.
Face aux prérogatives du Conseil National de l’Ordre, l’article 124 de
l’ordonnance-loi n° 79-028 du 28 septembre 1979 portant organisation
du barreau, du corps des défenseurs judiciaires et du corps des
mandataires de l’Etat dispose que « sauf s’il s’agit des sanctions
disciplinaires, lorsqu’une décision ou règlement du Conseil National de
l’Ordre ou de l’assemblée générale de l’Ordre National des Avocats est
entachée d’excès de
pouvoir, est contraire aux lois ou a été
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irrégulièrement adoptée, il peut faire l’objet d’un recours en annulation
devant la Cour Suprême de Justice… dans les formes ordinaires des
recours en annulation ».
Selon cette disposition, les décisions du Conseil National de l’Ordre
peuvent faire l’objet de recours en annulation devant la cour suprême de
justice mais uniquement sur la base de l’excès de pouvoir qui
s’entendrait de l’exercice par le Conseil National de l’Ordre des
compétences que la loi ne lui a pas dévolues, de la contrariété d’une
décision du Conseil National de l’Ordre vis-à-vis d’une disposition
légale, et enfin, de l’irrégularité de la composition du Conseil National
de l’Ordre lorsque celui-ci a pris la décision controversée sans avoir
réuni le quorum légalement requis de ses membres, soit au moins cinq
membres, ou avec le concours de personnes dépourvues de la qualité de
membre du Conseil National de l’Ordre.
Plusieurs principes fondamentaux s’attachent au régime juridique
conféré par la loi sur le barreau au Conseil National de l’Ordre.
C’est d’abord le principe de la compétence disciplinaire exclusive du
Conseil National de l’Ordre des avocats.
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Par compétence disciplinaire exclusive, il faut entendre le fait que
lorsque le Conseil National de l’Ordre s’est prononcé à l’issue d’une
procédure disciplinaire en infligeant une peine à un avocat, aucune autre
juridiction, soit-elle la Cour Suprême de Justice, n’est autorisée par la loi
à remettre en cause ou à censurer sa décision.
C’est ensuite le principe de la compétence exclusive de fixation des
honoraires des avocats en cas de contestation.
La loi a également confié au seul Conseil National de l’Ordre la fixation
des honoraires des avocats lorsque leur montant est contesté par le
client.
Il s’en suit que même dans l’éventualité où la Cour Suprême de Justice
saisie en annulation sur base de l’article 124 de la loi organisant le
barreau constaterait que la décision du Conseil National de l’Ordre est
viciée par l’excès de pouvoir ou la contrariété avec les lois ou encore
que celle-ci n’a pas été rendue selon les règles du quorum ou a été
rendue par une composition irrégulière, la haute juridiction ne pourrait
qu’annuler la décision du Conseil National de l’Ordre sans avoir à se
prononcer ni sur le principe de la débition des honoraires à l’avocat, ni
sur la quotité de ceux-ci.
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Il appartiendrait en tel cas à la partie la plus diligente soit l’avocat soit le
client, de saisir à nouveau le Conseil National de l’Ordre, en vue de la
fixation des honoraires conformément à la loi.
Il s’en suit qu’en vertu de l’exclusivité de la compétence du Conseil
National de l’Ordre pour la fixation des honoraires de l’avocat, toute
autre juridiction arbitrale ou de droit commun qui s’aviserait d’accueillir
une action en fixation des honoraires des avocats ou en contestation de
ceux-ci ou toute juridiction arbitrale ou de droit commun qui fixerait les
honoraires dus pour les prestations des avocats, commettrait un excès de
pouvoir.
C’est donc dire que les honoraires des avocats ne sont pas arbitrables
tout comme ils ne peuvent pas se fixer par une médiation en dehors du
Conseil National de l’Ordre, lorsqu’ils sont contestés par le client.
Il sied de rappeler à cet égard que même à l’époque où la quotité des
honoraires des avocats était fixée par les juridictions de l’ordre
judiciaire, celles-ci ne procédaient qu’en adjoignant à leur composition,
un membre du Conseil de l’Ordre dûment mandaté par le barreau.
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Cela s’explique du fait que non seulement les honoraires des avocats
relèvent de l’ordre public en ce que ceux-ci ne peuvent être fixés que
dans le cadre d’un barème approuvé par la Cour Suprême de Justice qui
en prévoit des minima et des maxima, mais aussi du fait que seuls les
avocats disposent des références nécessaires, pour apprécier la valeur
marchande des prestations que leur corporation fournit à la clientèle.
Il se dégage de l’article 124 de l’ordonnance-loi organisant le barreau,
un autre principe qui est celui de la compétence limitée de la Cour
Suprême de Justice quant au recours en annulation spécial contre les
décisions du Conseil National de l’Ordre ou de l’assemblée générale de
l’Ordre National des Avocats.
Selon ce principe, toutes les fois que la Cour Suprême de Justice serait
saisie en annulation d’une décision du Conseil National de l’Ordre ou de
l’assemblée générale de l’Ordre National des Avocats sur base de
moyens invoquant toute autre violation, même avérée de la loi, que
l’excès de pouvoir, la contrariété aux lois ou encore la composition
irrégulière du siège l’ayant prise, elle devrait sanctionner d’irrecevabilité
soit le moyen portant le reproche soit la requête en annulation.
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Le dernier principe est celui de l’autonomie normative du Conseil
National de l’Ordre qui a été déduit par la Cour Suprême de Justice ellemême de son arrêt du 17 avril 2000 rendu sous RCA 444/445/452 sur
recours contre la décision du Conseil National de l’Ordre n°
98/CNO/LH/006 du 1er avril 1998.
La Cour Suprême de Justice a ainsi jugé « qu’il résulte de l’économie de
l’article 124 de l’ordonnance-loi n° 79-028 du 28 septembre 1979
portant organisation du barreau, du corps des défenseurs judiciaires et
des mandataires de l’Etat, que cette disposition n’est pas une simple
application particulière de la compétence administrative générale de la
Cour Suprême de Justice tel qu’édictée par l’article 147 du code de
l’organisation et de la compétence judiciaires.
Car s’il en était ainsi, il ne serait pas compris comment l’article 124
exclut du pouvoir d’annulation de la section administrative de la Cour
Suprême de Justice les sanctions disciplinaires qui sont précisément des
décisions administratives, l’on ne comprendrait de même pas pourquoi
l’article 124 retient les décisions du Conseil National de l’Ordre, lequel
ne s’identifie pas à une autorité centrale ou à un organisme décentralisé
placé sous la tutelle d’une telle autorité.
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La Cour Suprême de Justice conclut ainsi qu’il suit de ce qui précède,
d’une part que l’article 124 susdit constitue une disposition spéciale
attributive au Conseil National de l’Ordre d’une compétence
administrative d’annulation spéciale, et d’autre part que cet article doit
s’interpréter sur la base de critères propres dont notamment, la volonté
claire du législateur ».
La question est ainsi de savoir ce qu’il y a lieu d’entendre par la « base
de critère propre » susceptible selon la Cour Suprême de Justice, de
permettre la bonne interprétation de l’article 124 de l’ordonnance-loi
organisant le barreau que le Conseil National de l’Ordre comprend
comme étant tout ce qui concourt à la réalisation de l’indépendance
totale du barreau.
Exerçant son pouvoir normatif, le Conseil National de l’Ordre a ainsi
pour sa part, déduit de l’arrêt de la Cour Suprême de Justice du 17 avril
2000, une série de règles organisant son fonctionnement dans le cadre
notamment
de sa saisine par les avocats ou par les clients, en
application de l’article 124 de l’ordonnance-loi organisant le barreau.
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La première règle est que le contentieux administratif des décisions du
Conseil National de l’Ordre ne peut, en raison de sa nature propre et de
son caractère particulier pour ne pas dire exceptionnel, répondre à toutes
les règles applicables dans le cas du contentieux administratif ordinaire
visant les actes et décisions des autorités centrales et des organismes
décentralisés placés sous la tutelle de ces dernières.
Il se déduit de cette première règle, que le seul point de conformité entre
le contentieux administratif ordinaire et le contentieux administratif
spécial visant les décisions du Conseil National de l’Ordre ou de
l’assemblée générale de l’Ordre National des Avocats, n’est ainsi que le
fait unique que les deux contentieux doivent s’introduire devant la Cour
Suprême de Justice, par une requête conforme aux articles 1er et 2 de
l’ordonnance-loi n° 82-017 du 31 mars 1982 relative à la procédure
devant la Cour Suprême de Justice.
Cette assertion découle des termes de l’article 124 de l’ordonnance-loi
n° 79-028 du 28 septembre 1979 organisant le barreau qui dispose que
les recours en annulation contre les décisions du Conseil National de
l’Ordre ou de l’assemblée générale de l’Ordre National des Avocats
s’introduiraient devant la Cour Suprême de Justice dans les formes
ordinaires des recours en annulation.
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Or, les formes ordinaires des recours en annulation devant la Cour
Suprême de Justice ne sont organisées qu’aux articles 1er et 2 ainsi que
76 de l’ordonnance-loi du 31 mars 1982 relative à la procédure devant la
Cour Suprême de Justice dans les termes que les causes doivent
s’introduire par requête comprenant la date, les noms des parties, l’objet
et l’inventaire des pièces ainsi qu’un exposé des faits et moyens.
Il s’ensuit que ne sont pas de mise lorsqu’il s’agit des recours en
annulation devant la Cour Suprême de Justice contre les décisions du
Conseil National de l’Ordre ou de l’assemblée générale de l’Ordre
National des Avocats, ni le délai d’introduction des recours préalable, ni
le délai de trois mois qui s’imposerait à ces organes, pour vider les
recours préalables sous peine de présumer ceux-ci rejetés après trois
mois sans réponse.
Introduire pareils délais dans le processus juridictionnel du Conseil
National de l’Ordre ne reviendrait ni plus ni moins, qu’à ajouter à la loi
qui, si elle avait souhaité soumettre le Conseil National de l’Ordre ou les
parties en instance devant lui à pareils délais, n’aurait pas manqué de le
préciser dans la formulation de l’article 124 de l’ordonnance-loi
organisant le barreau en prescrivant l’observance non seulement des
formes ordinaires, mais aussi des délais des recours en annulation.
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Néanmoins, de par sa propre volonté, le Conseil National de l’Ordre a
fait le choix de prescrire aux parties désireuses de soumettre ses
décisions ou celles de l’assemblée générale de l’Ordre National des
Avocats à la procédure d’annulation spéciale devant la Cour Suprême de
Justice, de procéder d’abord par le recours préalable.
La deuxième règle est que si le recours préalable reste de mise avant la
saisine de la Cour Suprême de Justice en annulation à l’encontre d’une
décision du Conseil National de l’Ordre ou de l’assemblée générale de
l’Ordre National des Avocats, le Conseil National de l’Ordre n’instruit
celui-ci, en tenant compte de sa qualité de juridiction, qu’après avoir
appelé les parties à l’instance, et les avoir entendus contradictoirement et
dans le respect des principes du procès équitable, avant de rendre sa
décision confirmant ou réformant sa première sentence, sans
s’encombrer du délai de trois mois qui s’impose à l’autorité centrale ou à
l’organisme décentralisé pour répondre à la réclamation préalable dans
le cas des recours ordinaires en annulation.
L’Ordre National des Avocats ne peut que former le vœu de voir la Cour
Suprême de Justice faire sien ces principes et règles qui ne visent que la
bonne gestion du barreau et partant, une bonne administration de la
justice.
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Je ne peux terminer sans évoquer la place qui devrait être celle de
l’avocat au sein des structures judiciaires.
Deux exemples me viennent à l’esprit à ce propos :
Le premier est que le Bulletin des Arrêts de la Cour Suprême de Justice
n° t. II de l’année 2010 publie en ses pages 305 à 348 les discours
développés lors de la rentrée judiciaire de l’année 2009 respectivement
par Monsieur le Premier Président de la Cour Suprême de Justice et par
Monsieur le Procureur Générale de la République, mais pas celui
développé à la même occasion et au cours de la même cérémonie, par le
Bâtonnier National.
Dans le même ordre d’idées, le Bulletin reprend plusieurs arrêts de la
Cour Suprême de Justice qui mentionnent comme il se doit, les noms des
présidents et conseillers de la Cour Suprême de Justice les ayant rendus,
les noms des officiers du Ministère Public ayant pris part aux audiences
et à la procédure et les noms des greffiers ayant assisté aux audiences ou
ayant réceptionné les requêtes et mémoires des avocats, mais pas les
noms des avocats qui, par leurs requêtes, mémoires et moyens, ont
pourtant fourni la matière à la Cour Suprême de Justice.
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Le barreau comme l’avocat appartiennent au Palais et doivent, tout
naturellement et sans bousculer qui que ce soit, trouver leur place au
Palais.
Qu’il vous plaise Monsieur le Président, d’ordonner la publication de
tous les actes de cette rentrée judiciaire.
Je vous remercie.
Kinshasa, 10/11/2012.-
MBUY-MBIYE TANAYI
Bâtonnier National.-