Un jardin zen sur son balcon!
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Un jardin zen sur son balcon!
Spécial Jardin Un jardin zen sur son balcon! C’est une sorte de maîtrise des formes et de l’espace, une métaphore de la nature et de la vie. Créé au Japon entre le XIIe et le XIVe siècle, l’art du jardin zen n’est pas réservé forcément aux grandes surfaces et aux volumes généraux, mais peut s’exprimer aussi dans les surfaces les plus modestes et les recoins les plus improbables (cours désaffectées, terrasses à l’abandon, jardinet oublié). Erik Borja se passionne pour cet art du tout et du rien, de la nature globale et du minimalisme extrême, de la création qui s’incarne et de l’esprit qui plane. 36 N u m é r o 17 I l a commencé par être sculpteur, puis il a découvert un art qui a bouleversé sa vie: l’art du jardin zen. Né à Alger et établi à Paris au moment de ses études, Erik Borja se consacre aujourd’hui, depuis un quart de siècle, à la création de jardins zen un peu partout dans le monde. Son atelier est dans la Drôme, mais son inspiration s’étend à la totalité de la nature, c’est-à-dire aussi bien à son essence concrète – les minéraux, les végétaux, l’eau – qu’à son essence immatérielle et poétique – les énergies vivantes, les caprices du vent, les sensibilités mystérieuses… Dans un livre magnifique qui vient de paraître, «Les leçons du jardin zen» (Editions du Chêne), il explique son itinéraire et invite ses lecteurs à la méditation et à la légèreté. «Enfant de santé fragile, écrit-il, rêveur et plutôt introverti, je me tenais à l’écart des jeux des gamins de mon âge et m’occupais à construire avec de la pâte à modeler des petits mondes secrets dans lesquels je m’évadais. Durant cette période, nous habitions un appartement prolongé d’une terrasse où ma mère cultivait des plantes en pot. a v r i l – m a i 2 0 0 9 • 37 Spécial Jardin Un jour, quelqu’un nous offrit un de ces petits «jardins japonais» que fabriquaient les fleuristes à l’époque: dans un plat de céramique, des plantes miniatures organisées en paysage, dans lequel on avait placé de petites figurines – une pagode, un pont – donnaient du Japon une représentation naïve et folklorique. J’étais fasciné: ce microcosme annulait la magnificence naturelle des plantes cultivées par ma mère, les réduisant à l’état d’objet». Une vingtaine d’années plus tard, à l’occasion d’un voyage au Japon, Erik Borja se retrouve par un beau soir de printemps à Kyoto, l’ancienne capitale du pays, son cœur artistique et culturel traditionnel. Incapable de dormir à cause du décalage horaire, il sort dans la rue, quitte l’artère principale, s’égare volontairement dans les ruelles d’un autre temps. «Je remarquai alors, devant l’entrée d’un garage, entre deux pompes à essence, au ras du trottoir, dans un quadrilatère de briques crues, une composition minérale: cinq pierres sur un lit de gravier blanc, sans autre élément végétal qu’un peu de mousse. Je ressentis un choc, une émotion inexplicable! (…) C’est comme si j’avais trouvé la clef, comme si m’était enfin livré le code de perception d’un art qui, audelà du beau, me montrait la voie d’une communion, d’une harmonie possible entre le monde et moi». Car si le jardin zen est, pour Erik Borja, plus séduisant et plus troublant qu’un jardin à la française ou à l’anglaise, c’est qu’il se situe dans cet univers du réel et de l’irréel, du visible et de l’invisible, qui est le génie même du Japon et que Roland Barthes avait appelé, si justement, «l’empire des signes». «La création d’un jardin zen, explique-t-il, s’appuie sur une rigoureuse maîtrise de l’espace et utilise la force mé- taphorique de l’eau, du minéral et du végétal pour suggérer dans un espace réduit la nature tout entière. Par cette approche à la fois philosophique et esthétique, le jardin devient un espace où pratique et méditation se conjuguent et participent de notre quête d’harmonie et de sérénité». L’espace le plus exigu ou le plus ingrat devient, en l’occurrence, objet de tension et d’imagination. Comment rendre compte de l’univers? Comment capter, sans les emprisonner, les forces vives de la nature? Tout est possible, en fait, remarque Erik Borja, puisque le jardin zen est celui de tous les paradoxes: il peut être minéral; il peut être végétal; il peut être aquatique; il peut être méditerranéen… Dans le corset qui l’enserre et qui lui donne forme, c’est son insolente liberté qui triomphe! «Point n’est besoin d’une grande étendue pour réaliser ce type de jardin, remarque Erik Borja, et je conseille à ceux qui seraient tentés par l’aventure de commencer par travailler un petit espace. C’est un excellent exercice que d’investir un endroit ingrat, une petite cour sombre par exemple, et de le transformer en un lieu où l’on a envie de s’arrêter, de goûter une ambiance, une atmosphère poétique particulière». n L’art de la méditation active Il est journaliste au magazine français «Psychologies», la référence incontestable en matière de développement personnel et de recherche de l’harmonie intérieure. Il est aussi philosophe, pianiste, poète. Et jardinier, bien sûr, car le jardin est pour lui l’expression même de la vie et de la spiritualité. Dans un livre de poche paru il y a trois ans, «Le petit livre du zen» (Presses du Châtelet), Erik Pigani laisse parler cet amour de la terre qui est aussi une forme d’esthétisme et de sagesse. «Le jardinage qui, par définition, est un lien direct entre l’homme et la nature, permet non seulement au calme intérieur de s’installer, mais surtout d’entrer en contact avec le flux puissant de la vie, écrit-il. C’est pourquoi la création et l’entretien d’un jardin, que l’on soit zen ou non, est une aventure qui porte en elle-même une véritable dimension spirituelle». Il y a d’abord l’action du jardinier, cette suite quasiment ininterrompue de gestes à accomplir, jour après jour, semaine après semaine: semer, sarcler, biner, arroser, tailler… Il y a ensuite, ou plutôt en même temps, cette espèce d’ouverture et de sérénité, ce sentiment d’apaisement et de bonheur tranquille, qui naît au fil du temps: la beauté des arbres et des fleurs, la douceur, l’harmonie… «Le travail dans le jardin est en lui-même une méditation active, relève Erik Pigani. Tous les jardiniers, amateurs ou professionnels, le savent, le jardinage est une extraordinaire école de patience, puisqu’il faut faire et refaire sans cesse, réussir mais aussi accepter d’échouer, de reconnaître que la nature a ses propres droits et ses propres exigences. Voilà en quoi, finalement, l’art du jardin est avant tout un art humain». M. L. «Dès l’arrivée du printemps, prenez cinq minutes par jour: assis dans un coin de votre jardin, fermez les yeux et regardez l’harmonie. Laissez les formes, les couleurs et les odeurs vous parler». «Dans votre jardin, créez un rituel pour remercier l’Univers et la nature chaque fois que vous le pourrez, chaque fois qu’il vous arrivera quelque chose de positif». «Chaque petit bruit de la nature est un trésor sonore. Apprenez à les écouter, à les reconnaître, à les discerner». «Expérimenter l’humilité: laissez votre jardin vous accueillir en tant qu’invité». «Une fleur, un morceau d’écorce, une pierre, une touffe d’herbe… Une fois par jour, pendant trois minutes, focalisez votre attention sur un objet, une plante, un détail. N’analysez pas. Contemplez». «C’est la nature elle-même qui vous donnera les plus beaux exemples d’harmonie, de calme, d’énergie, et de transformation intérieure». «L’esprit zen d’un jardin peut être contagieux. Il peut se répandre dans une rue, un quartier, une ville, une région, un pays, un continent, une planète…». In «Le petit zen du jardin», par Erik Pigani, Presses du Châtelet. Marc Luvret 38 N u m é r o 17 a v r i l – m a i 2 0 0 9 39