Les actes du colloque - Accueil DSDEN 29
Transcription
Les actes du colloque - Accueil DSDEN 29
2014 Bien-être de l’enfant Les enjeux de la continuité entre la famille, les modes d’accueil et l’école Les actes du colloque 2 Bien-être de l’enfant 2014 Les actes du colloque Les enjeux de la continuité entre la famille, les modes d’accueil et l’école Le Conseil général du Finistère, la Caisse d’allocations familiales du Finistère et l’Éducation nationale mènent, chacun dans leur domaine, une politique en faveur de la petite enfance et contribuent, au travers de leurs actions, au développement et à la diversification des modes d’accueil des jeunes enfants permettant aux parents de mieux concilier activité professionnelle et vie familiale. Réunis au sein de la Commission départementale d’accueil des jeunes enfants (CDAJE), ces trois partenaires s’associent pour lancer une concertation autour de la nécessité d’une continuité entre la famille, les modes d’accueil et l’école en faveur du bien-être du jeune enfant. Il existe de nombreuses solutions d’accueil de la petite enfance dans le département. La complémentarité et la bonne articulation des différents modes d’accueil sont indispensables pour favoriser la continuité psychique et éducative nécessaire au bien-être et au bien-devenir de l’enfant. Les enjeux de cette journée sont de parvenir à assurer une cohérence et une continuité dans les différents milieux d’accueil et d’éducation et de mettre du lien entre les divers intervenants. Cette préoccupation est d’ailleurs présente dans les politiques publiques nationales portées notamment par le plan de refondation de l’école. Première étape de la scolarité, l’entrée à l’école peut aussi être pour l’enfant la première expérience éducative en collectivité. Et lorsque pour des raisons sociales, culturelles ou linguistiques, sa famille est éloignée de la culture scolaire, cette première expérience peut favoriser la réussite ultérieure de l’enfant. La scolarisation précoce doit donc être développée avant tout dans les écoles situées dans les territoires prioritaires et prendre en compte les besoins des enfants dans un cadre adapté et partenarial. Le Conseil général, la Caisse d’allocations familiales et l’Éducation nationale ont la volonté d’initier collectivement cette réflexion sur le plan départemental. Ce colloque nous encourage à poursuivre dans cette voie. Pierre MAILLE Président du Conseil général du Finistère Martine STÉPHAN Présidente de la Caisse d’allocations familiales du Finistère Brigitte KIEFFER Directrice académique des services de l’Éducation nationale du Finistère Bien-être de l’enfant Colloque départemental du 25 janvier 2014 Faculté Victor Ségalen - Brest 3 Bien-être de l’enfant 2014 PROGRAMME 9 h 30 Café d’accueil 10 h 00 Ouverture du colloque par Marc LABBEY Vice-président du Conseil général du Finistère Président de la Commission Enfance-Famille-Jeunesse André PERROS Directeur de la Caisse d’Allocations Familiales du Finistère 10 h 30 Bien-être et continuité psychique de l’enfant de 0-6 ans. Des expériences dans les modes d’accueil Sylviane GIAMPINO 11 h 30 Introduire de la continuité dans un système divisé d’accueil et d’éducation. Une perspective internationale ; des comparaisons européennes Philippe STECK Psychologue de la petite enfance, psychanalyste, fondatrice et Présidente d’honneur de l’Association nationale des psychologues pour la petite enfance (A.NA.PSY.p.e.) Directeur des relations internationales de la Caisse Nationale d’Allocations Familiales 12 h 30 Pause déjeuner libre 14 h 00 Les nouveaux textes de l’Éducation nationale. Les expériences menées en Finistère. Quelle politique départementale d’éducation ? Brigitte KIEFFER 14 h 30 Directrice académique des Services de l’Éducation Nationale du Finistère Table ronde : Les expériences finistériennes 17 h 00 - La crèche et l’école Jean de la Fontaine à Brest - La classe passerelle de l’école Pen ar Streat à Brest - Le jardin d’enfants et l’école de Pencran - L’accueil collectif Ti Liou et deux écoles maternelles de Pont-l’Abbé - Le projet de la commune de Loperhet - L’Union départementale des associations familiales du Finistère Clôture du colloque Joëlle HUON Vice-présidente du Conseil général du Finistère Présidente de la Commission départementale de l’accueil du jeune enfant 4 Bien-être de l’enfant 2014 Les actes du colloque L’objectif Marc LABBEY, Vice-président du Conseil général, Président de la commission enfance, jeunesse et famille. niveau national et de développer les services autour le la parentalité (médiation familiale, continuum éducatif…). La politique de la petite enfance du Conseil général du Finistère vise à favoriser le développement physique et psychique de l’enfant, à permettre son épanouissement et à garantir son bien-être. La CAF du Finistère verse 800 millions d’euros par an de prestations et plusieurs millions d’euros pour les divers modes d’accueil du jeune enfant (y compris auprès des assistantes maternelles, des lieux d’accueils enfants-parents, etc.). Les modes d’accueil doivent respecter et faciliter la conciliation des temps de vie familiale et professionnelle. Cela oblige les institutions publiques et les différents acteurs à innover en permanence, pour prendre en compte les évolutions de la société, les différentes formes de parentalité, le handicap, les horaires atypiques, les situations d’urgence… Comment qualifier le bien-être de l’enfant, le mesurer ? Quelle qualité des services d’accueil, quelle place pour les parents, quel rôle des professionnels dans le continuum éducatif ? La juxtaposition de normes parfois incompatibles complique le travail en commun des différentes structures (par exemple les taux d’encadrement). Une autre difficulté peut être la coopération des différents acteurs, mais ce n’est pas le cas dans le Finistère : nous avons la chance de collaborer au mieux, en particulier grâce au bon fonctionnement de la Commission départementale de l’accueil du jeune enfant (CDAJE) depuis 2002, grâce aussi à une vie associative riche, à des initiatives et expérimentations qui en sont les fruits. André PERROS, Directeur de la Caisse d’allocations du Finistère. Le projet d’une gouvernance accentuera les conditions de cette coopération, par la création du schéma territorial de services aux familles, qui regroupera la CDAJE et l’ensemble des structures en charge de la parentalité. Cela peut sembler une gageure d’assurer le bien-être de l’enfant dans une société où le bien-être de l’adulte est de plus en plus malmené : crises économique, sociale, professionnelle, sociétale… et parfois crise au sein de la cellule familiale. Les CAF, historiquement, ont accompagné toutes les évolutions sociétales. Nous avons l’objectif de créer 200 000 places de garde supplémentaires au Bien-être et continuité psychique de l’enfant de 0-6 ans. Des expériences dans les modes d’accueil Sylviane GIAMPINO, Psychologue de la petite enfance, psychanalyste, fondatrice et présidente d’honneur de l’Association nationale des psychologues pour la petite enfance. Je me réjouis de contribuer à un travail de mise en commun de différents services, institutions, partenaires : c’est la clé ! La continuité éducative et affective pour l’équilibre, le bien-être et le développement de l’enfant, comment l’assurer si nous sommes nous-mêmes, adultes, confrontés à des ruptures, des contradictions, des incohérences entre services, positionnements, objectifs ? Tout le monde roule pour l’intérêt de l’enfant. Les quatre dimensions de l’accueil et de l’éducation des jeunes enfants Elles sont en interaction les unes avec les autres : - psychologique, avec les processus d’individuation, de séparation, de socialisation ; - sociologique, elle prend en compte les besoins des familles et les modes de vie ; - politique, qui oriente la question sur fond d’égalité des chances, d’égalité homme/femme (dans le travail, éco- 5 Bien-être de l’enfant 2014 nomique, en luttant contre la paupérisation des femmes et des enfants) et d’articulation vie personnelle /vie professionnelle ; - éducative, elle nous met en demeure de penser les choix d’accueil. La difficulté, pour œuvrer ensemble, réside dans le fait qu’on ne met pas les mêmes réalités sous les mots. On est tantôt sur le versant des valeurs et des projets, cela signifie éveil, créativité, découverte de l’enfant pour soi et découverte des autres. Mais on est aussi, sur un versant plus opérationnel et chiffré, pour que les parents puissent faire face à leurs obligations professionnelles et assumer leur mode de vie. La logique est celle de réponse aux besoins, en nombre. Quelle tristesse de parler de « solutions de garde » ! Cela sous-entend qu’à peine né, l’enfant est un problème… Dans le soutien à la parentalité, un des premiers actes est de choisir un accueil. Nous en sommes loin en France, bien que les choses évoluent. Si on regarde du côté des enfants, si on n’est pas centré sur un service aux familles, on a un changement de philosophie. En effet, « être au service des familles », c’est rendre service, mais attention, cela se déporte aujourd’hui vers des sociétés de services… c’est-à-dire le privé, le lucratif. La France a choisi de maintenir un accueil des enfants cadré par la loi de l’offre et de la demande, comme un commerce. Aujourd’hui les rythmes se désynchronisent, c’est le grand bazar des pres- sions ! Pressions des institutions sur les parents, des parents sur les enfants, etc. Oui, les modes d’accueil évoluent, on en a une grande variété, mais on n’en fait pas assez ! Évoquons l’enjeu entre accueil et école maternelle : il ne faut pas que l’école maternelle déteigne sur les modes d’accueil, ni qu’elle continue de perdre sa vocation de pré-école ! Le pré… Laissons les petits dans le pré ! Attention, les parents perdent confiance quand les enfants ne sont pas reçus dans de bonnes conditions à l’école. Qu’est-ce qui fait qu’un accueil est de qualité ? Est-ce la nourriture bio ? Les normes de sécurité ? Parfois celles-ci sont invraisemblables ; grandir c’est gagner de l’espace : il est aberrant qu’un toboggan ne dépasse pas les un mètre… ou que dans des locaux neufs on se sente comme dans un bocal transparent… La petite enfance est notre fondement, mais elle est très difficile à penser, car nous sommes tous frappés d’amnésie. Tout adulte se heurte à l’écran noir de sa mémoire, où chacun se fait son cinéma sur ce qu’est un enfant, sur ce qui est bien pour lui… d’où des discours contradictoires ! Voici quelques repères. 1er repère : personnaliser les lieux. L’accueil et l’éducation doivent être personnalisants : tout ce qui à l’intérieur de la maison de l’assistante maternelle, de la classe, de la crèche peut faire qu’un enfant s’identifie, se vit et se ressent comme différent et particulier. Cela passe par les personnes de référence. Également, par exemple, par les boîtes à pensées, j’ai vu cela dans une école maternelle : chaque enfant en a une et y dépose tout objet qui compte pour lui (morceau de bois, sable, bouchon, carte postale…). La maîtresse m’explique : « Quand un enfant « part en vrac », je propose la boîte à pensées et là l’enfant se reprend, se ressaisit de qui il est, indépendamment du collectif. » Le lieu d’accueil doit être également personnalisant pour les adultes, qui ne sont pas que des opérateurs auxquels on ne demanderait pas de penser ! 2e repère : assurer la sécurité affective. Il est nécessaire de protéger la sécurité affective et assurer la continuité psychique des enfants. Tout d’abord parce qu’ils sont les enfants de leurs parents, de leur famille, de leur culture, etc. En cas de séparation, ils veulent retrouver le papa-maman. Il faut « mamaïser » les crèches, disait Françoise Dolto. Une anecdote récente : un enfant s’adapte difficilement dans sa crèche ; sa maman vient y passer quelques heures et en partant dépose sur la patère une écharpe… Le personnel l’y laisse volontairement : cela soutient chez l’enfant la représentation de l’existence permanente du parent. 3e repère : encourager la découverte. La qualité se repère dans l’encouragement de la vitalité découvreuse des 6 Bien-être de l’enfant 2014 Les actes du colloque enfants, de la pulsion épistémophilique avec laquelle on vient au monde (autrement dit : l’amour du savoir). Quand on se penche sur un berceau, le bébé ouvre de grands yeux… et dès deux mois, est davantage intéressé par le visage d’un inconnu que par celui de sa mère. De même lorsqu’il apprend à marcher pour aller voir quelque chose, qu’il se relève quand il tombe. Nous, adultes, aimerions bien l’avoir encore en état, cette pulsion… Je témoigne d’une perte du champ des connaissances dans la petite enfance sur les nécessités de nourrissage et d’entretien de l’amour du savoir. Il arrive qu’on soit trop laxiste avec les enfants, on les laisse régresser (par exemple en leur laissant la couche et la tétine trop longtemps) et en même temps on est dans les contentions permanentes de l’expérimentation, du jeu spontané. 4 repère : respecter la dignité. Il est impératif de respecter de la dignité de l’enfant. Certains enfants sont très sensibles à ce qui se passe autour de leur corps et aux mots prononcés autour d’eux. Ils entendent ce qui est pensé et dit d’eux et de leurs proches, à tout âge. Des images stigmatisantes de leur culture et de leur comportement leur sont parfois renvoyées (« Il était bon le couscous hier ? » « Tu vas pas commencer à t’agiter encore aujourd’hui ! »). e 5e repère : accompagner par une présence civilisante. L’enfant doit être accompagné par des présences civilisantes, par des adultes ayant des relations claires entre eux, avec une place réelle, symbolique, identifiable. Il existe une différence entre le lien de filiation parent/enfant et le lien de réalité des professionnels avec l’enfant. Dans la construction de la personnalité, la famille est fondamentale, particulièrement sur la question du sujet, des origines (qui je suis, l’inceste, l’œdipe…). Mais la place de la famille est également relative : les autres aussi sont importants, ils ouvrent un autre monde, un autre langage, une autre scène à l’enfant, et c’est la responsabilité la plus importante qui nous incombe à nous, professionnels. La continuité psychique La continuité psychique est essentielle. Il existe trois réalités psychologiques incontournables. 1ère réalité psychologique : la permanence du sentiment de la continuité d’exister chez l’enfant. Plus l’enfant est jeune, plus il est somatopsychique. Le fœtus, puis le nouveau-né, s’extrait d’un état indéfini de consistance. Il est ensuite l’objet de paroles, de soins : c’est l’humanisation. Puis un pincement met en place une préconscience du sentiment d’exister pour quelqu’un (bercement, mots tendres, main tenue, tendue…). Tout est lié : corps, parole, relation. L’enfant, poreux, est une surface de réception sensible et sensorielle, c’est son intelligence, c’est toute la vie. Nous l’oublions… Nous avons refermé nos récepteurs. Parents et professionnels doivent té- moigner de respect et d’affection, qui l’humanisent. On veut des méthodes et des guides pratiques pour tout, mais les enfants ont besoin d’adultes qui sont vivants dans ce qu’ils font. Qui sont pensants. Le développement d’un enfant est comme une œuvre d’art : une œuvre unique, et quand on commence, on ne sait pas ce qu’il y aura au bout ! 2e réalité psychologique : le parcours de socialisation et d’ouverture au monde. Il ne faut pas confondre intelligence et performances cognitives de l’enfant. On est piégé dans les mailles contradictoires d’une société prise entre la sécurité (les normes…) et les poussées adaptatives. On veut que les enfants soient très tôt adaptés, on leur apprend les couleurs à un âge où ils s’en fichent ! La socialisation est la construction de l’altérité, un processus complexe. L’enfant doit construire un premier niveau de représentation, voir qu’il y a un moi et qu’il y a les autres. Il doit se dire que moi, je ne suis pas l’autre. L’altérité devient la capacité à accepter que l’autre agisse différemment de soi. L’autre, c’est aussi l’autre institution, l’autre échelon politique… Étape suivante : on est explorateur, on choisit de ne pas faire comme l’autre. L’autre qu’on bouscule… et l’adulte ne comprend pas toujours que l’enfant n’agit pas par manipulation. On entend parfois : « Il fait exprès, il me cherche ! » ; non, il se cherche lui-même, c’est l’éthique de la petite enfance, la poussée épistémophilique évoquée. Il essaie de transformer l’état de ceux qui 7 Bien-être de l’enfant 2014 l’entourent, de vérifier s’il reste encore l’unique pour au moins quelqu’un. 3 e réalité psychologique : la société est éprise de précipitation, d’efficacité, de compétition, contradictoires avec la continuité. Cela installe de grandes instabilités dans le développement des enfants. Un enfant est agité, manque de concentration, dit « j’ai un trou dans ma tête », « la maîtresse veut me mettre des choses dans la tête » ? Il a des vécus persécutifs. Attention à ne pas faire le lycée déteindre sur le collège, et en cascade, faire l’assistante maternelle déteindre sur la vie de famille : la surpédagogisation du lien à l’enfant fait des ravages, elle génère des coupures et des ratés. S’y ajoute l’angoisse de la norme, l’enfant devrait gérer ses frustrations et ses émotions, alors qu’il ne peut que les traverser. Si on borde trop fort un enfant jeune, il n’intériorise pas les règles, il les encaisse, et un jour, il décaisse. Laissons-le expérimenter, jouer librement ! Oui au soutien à la parentalité, par exemple via les Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP). Mais ne pas oublier le contexte dans lequel vivent les parents. Les modes d’accueil et l’école, qui interfèrent sur la fonction d’être parent, sont parfois, quand ils dysfonctionnent, des outils de destruction de la parentalité. La parentalité Examinons trois de ses caractéristiques. La fonction parentale : une fonction de passeur. La parentalité a une fonction « sas », elle fait passer du monde intime au monde social. Elle est rétroversée parce que les parents ont une défiance à l’égard du social, des institutions, du collectif, et une angoisse du futur. Or élever des enfants, c’est les tourner vers l’extérieur et l’avenir, et souvent on entrave cette dynamique, on leur recommande de se méfier. Mais on dit tellement aux parents qu’ils ne sont pas de bons parents, pas sérieux de divorcer, de recomposer… Pourtant la famille sait évoluer, s’adapter ! À nous, professionnels, d’en décrypter l’intelligence nouvelle et de rendre hommage à ces familles qui inventent des façons de vivre ensemble, bien riches ! La désynchronisation. Les temps de vie sont de plus en plus désynchronisés. La question de l’ouverture des magasins le dimanche en est une illustration. Les dangers de la rationalisation. On est dans un contexte de rationalisation (organisations, budgets…). Or professionnels et parents savent qu’un enfant est tout sauf rationnel ! La compétition met la fonction parentale à mal. De même le morcellement des politiques de l’enfance et la consommation. Les enfants deviennent prescripteurs : c’est un rapt éducatif, ils voient par les écrans des choses que les parents ne peuvent pas contrôler. Les parents tentent de rassembler les pièces d’un enfant-puzzle, les pièces des différents temps. Nous devons recontextualiser les parents lorsque nous nous adressons à eux, nous avons en face de nous un homme et une femme ! La corde est tendue au maximum dans les familles. Il faut autoriser la pause parentale pour que le couple ne soit pas sacrifié, qu’il ne soit pas le fusible qui saute. Le divorce survient souvent quand les enfants ont 6 ou 7 ans. Lorsque l’enfant est agité, dispersé, il arrive que ce soit en lien avec les distorsions actuelles, les dysharmonies. Les familles sont de plus en plus affectives, parfois au détriment de leur fonction socialisante. L’intérêt de l’enfant ? Voici des citations du code Dalloz, la bible des juristes : « C’est une notion clé. La clé ouvre sur un terrain vague. La notion est insaisissable » ; « De ce qui est semé dans l’enfant à ce qui lèvera dans l’homme, quelle pseudo-science autoriserait le juge de prophétiser ? » Quand on se pose la question de l’accueil le plus « correcteur des inégalités » entre les enfants, on constate qu’un espace collectif favorise une prévention prévenante, dans la mesure où on y trouve des personnels spécialisés (même si les assistantes maternelles sont de plus en plus formées), un médecin est parfois présent. Ils sont des supports de confiance des familles dans les institutions : on est dans de la prévention sociale. Ils permettent également aux parents de tisser des liens entre eux, et des parents qui 8 Bien-être de l’enfant 2014 Les actes du colloque se connaissent, ce sont des parents qui s’aident en cas de difficulté. On aurait envie de multiplier les possibles de socialisation dans les espaces collectifs… sans que ce soit forcément tous les jours toute l’année la crèche ou l’école. Des classes passerelles, des statuts de halte-garderie sont très intéressants, qu’on connait mal, et il y a encore bien des choses à inventer ! J’ai écrit un livre qui s’appelle « Nos enfants sous haute surveillance. Évaluations, dépistages, médicaments… » (paru en 2009, éditions Albin Michel, Collection Essais doc, 283 pages). On a un élargissement du champ des connaissances (biologie, neurologie…), mais j’ai l’impression que les métiers n’ont pas inscrit suffisamment leurs corpus de connaissances dans des écrits. Le métier d’accueillir la petite enfance La pédagogie a connu un grand essor dans les années 1960, de même la psychologie, la psychanalyse ; pourtant aujourd’hui dans les écoles maternelles on a des pédagogies qui insistent de plus en plus sur les acquisitions formelles (acquis/en cours d’acquisition… repérage des formes…) avec l’obsession des consignes, y compris dans les crèches. On perd l’idée que le jeune enfant voit le monde autrement. L’accueil du petit est l’accueil du vivant, du dérangeant, de l’inattendu auquel on demande de répondre par la maîtrise et la contention. Il faut pourtant mobiliser le désir de faire, d’apprendre et aller plus loin. J’ai codirigé un ouvrage « Y a-t-il encore une petite enfance ? Le bébé à corps et à cœur » (paru en 2013, éditions Érès, collection 1001 Bébés, 160 pages). Les petits enfants sont devenus des porteurs de cerveaux ! Ils désordonnent aussi l’organisation du désordre qui leur est accordé et désordonnent considérablement les adultes qui prennent soin d’eux. Il ne suffit pas d’aimer les enfants pour bien s’en occuper. Rouvrons nos récepteurs sensibles de la petite enfance… tout en restant des adultes. Une fragilisation temporaire et une capacité à nous ressaisir sont nécessaires, alternativement. Ce va-et-vient est souvent ignoré, en particulier de ceux qui sont dans les services. Les professionnels de la petite enfance sont des artistes intellectuels : des artistes par leur sensibilité, des intellectuels par leur capacité à penser. Comment améliorer les relations entre parents et professionnels qui ont tous leurs contraintes et leurs emplois du temps ? Quand on voit des pointeuses à l’entrée des crèches… et le personnel qui se demande s’il faut « compter » les discussions avec les parents… Pourquoi dans certaines écoles les parents sont les bienvenus toute l’année ? Tantôt des gens ont envie de faire des choses, mais butent sur des organisations, des collègues… Réfléchir à la mise en continuité c’est réfléchir à la mise en lien. Dommage qu’on n’arrive pas davantage à penser ENSEMBLE. Tout le monde pense, mais sans de vraies interfaces entre professionnels de terrain, champ de la recherche et décisions politiques. Énormément de commissions sont chargées de ces interfaces, cependant pour l’instant elles n’arrivent pas toujours à faire la jointure. Mais observer cette difficulté, c’est déjà avoir avancé… Si nous voulons réussir à construire une véritable politique de l’enfance, nous devons accepter des spécificités de cette politique. Car les enfants sont des ralentisseurs humanisants. Et si les gestionnaires veulent qu’ils soient des machines qui tournent, avec des entrées et des sorties, ils vont être déçus, c’est structurel ! Chacun doit comprendre les contraintes budgétaires. Mais sur la manière de faire, il faut travailler ensemble. Quand j’arrive dans une journée rassembleuse comme celle d’aujourd’hui, je suis optimiste ! Introduire de la continuité dans un système divisé d’accueil et d’éducation. Une perspective internationale ; des comparaisons européennes Philippe STECK, Directeur des relations internationales de la Caisse nationale d’allocations familiales. Un rappel du dispositif français Le système de l’offre montre une diversité. En effet, les 2,4 millions d’enfants de moins de 3 ans sont pris en charge ainsi : 9 Bien-être de l’enfant 2014 • 53 % par les parents (à 98 % par les mères) ; • 10 % par les crèches ; • 23 % par les assistantes maternelles ; • 2 % par des emplois à la maison ; • 5 % par les grands-parents ; • 5 % des 2-3 ans vont à l’école maternelle (avec une ambition de remonter ce pourcentage par la création de 75 000 places nouvelles dans les 5 ans). En Europe, la France fait mieux que la moyenne OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pour l’accueil de la petite enfance : 1,3 % du PIB, contre 0,7 %. L’accueil du jeune enfant vient de rattraper, en masse financière, le montant total des allocations familiales proprement dites : près de 16 milliards d’euros. En tant que CNAF, nous visons la création de 100 000 places de crèches, de100 000 places chez des assistantes maternelles et de 75 000 places en école maternelle. Le partenariat est très important. La CNAF a obtenu 7,5 % d’augmentation de son budget sur les 5 ans à venir, c’est considérable. Son action sociale socle passe de 4,6 à 6,6 milliards d’euros, avec des initiatives qui reviendront aux communes. Des schémas territoriaux vont voir le jour, en lien avec les préfectures. Les associations auront leur place dans des plans d’action, dans un dialogue avec tous, pour créer et innover. Un panorama européen La conférence de Lisbonne pose comme objectif de proposer un accueil des 3-6 ans à hauteur de à 90 %. La réalité : 74 % en moyenne, presque 100 % en France, moins de 50 % en Suisse et Finlande. Pour les 0-3 ans, l’objectif est de 33 %. 10 pays l’atteignent, dont la France, qui se classe 6e. On note l’exception scandinave avec 60 % en accueil formel (obligatoire par les communes) et un congé parental long et très bien rémunéré, 10 % en Autriche, République tchèque, Pologne… avec une prédominance de la garde parentale et informelle, et un taux de fécondité qui diminue quand le système s’appuie sur les mères au foyer. C’est en France que les assistantes maternelles sont les plus nombreuses, très nettement : 318 000, puis ensuite 145 000 au Royaume-Uni, 50 000 aux Pays-Bas. Le coût des structures d’accueil en France pour les 0-3 ans représente 25 % du salaire en moyenne (16 % pour l’OCDE, 5 % en Suède et Pologne). Pour les 3-6 ans, ce sont essentiellement des financements publics (Éducation nationale). Afin de corriger les inégalités sociales, la CNAF dans son contrat d’objectifs et de gestion suggère d’accueillir dans les crèches 10 % d’enfants issus de milieux pauvres. Nous constatons que les enfants accueillis par les assistantes maternelles sont issus de familles aux revenus plus élevés. D’où la réflexion de la CNAF pour moduler les barèmes, pour compléter la Prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE). Sur le plan juridique, il existe en Allemagne un droit opposable à la prise en charge des 0-3 ans. Nous y réfléchissons en France. Ce que j’ai pu observer à Copenhague, à la différence du système français qui est fait prioritairement pour transmettre du savoir, c’est le souci d’autonomisation de l’enfant. La principale préoccupation est l’ouverture de l’espace, le fait de devenir soi. Le début de l’activité professionnelle se situe en France en moyenne à 22 ans, la décohabitation familiale à 24 ans, la constitution du couple à 26 ans, la naissance du premier enfant à 28 ans. Au Danemark, ces étapes ont lieu 2 années plus tôt. Cela renvoie à beaucoup de choses, à l’Éducation nationale, à la conjoncture économique, mais aussi à l’approche qualitative de l’accueil du jeune enfant. Ceci dit, nous ne nous positionnons pas si mal que ça en Europe ! L’impact des différents modes d’accueil sur l’acquisition du langage En prenant appui sur une étude des universités de Paris V et de Poitiers, sur une analyse de Pierre Imbert des années 1992-1995, on constate, pour le nombre de mots acquis par l’enfant, assez peu de 10 Bien-être de l’enfant 2014 Les actes du colloque différences selon qu’un parent, une assistante maternelle ou une crèche prend l’enfant en charge ; la crèche arrive cependant en tête. En ce qui concerne la syntaxe, il y a un creux qui se fait entre mère et crèche et assistante maternelle qui sont au-dessus. Côté tour de parole (« Je prends l’initiative de m’exprimer »), l’avantage va à l’assistante maternelle. Pour la directivité, la compréhension d’une affirmation : avantage à la mère. Enfin, pour la participation collective, l’assistante maternelle est un peu au-dessus de la crèche. Bilan de la matinée Sylvaine AUBOUIN, Médecin, Directrice départementale de la Protection maternelle et infantile du Finistère. Je salue le travail partenarial qui existe dans notre département, où plus de 40 % des enfants fréquentent un mode de garde formel. Nous sommes reconnus comme ayant une école maternelle de très bonne qualité, avec une fréquentation importante et un vrai effort financier de l’État sur la politique de la petite enfance. Le développement de l’accueil est aussi un enjeu d’égalité homme/femme. J’ai bien retenu l’expression « œuvre d’art » de Sylviane Giampino. Nous avons tous notre part dans l’élaboration des adultes que ces enfants vont devenir et qui vont faire leurs propres choix. Le bien-être de la petite enfance est une préoccupation essentielle et des améliorations sont possibles. Les nouveaux textes de l’Éducation nationale et les expériences menées en Finistère, quelle politique départementale d’éducation ? Brigitte KIEFFER, Directrice académique des services de l’Éducation nationale du Finistère. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont les premiers pas à l’école des tout petits enfants, et les enjeux de continuité. Je centre mes propos sur les 2-3 ans. Regardons la photo de l’invitation à ce colloque : a-t-elle été prise dans une école ou un lieu d’accueil ? On ne sait… Cela montre que les espaces de prise en charge de jeunes enfants peuvent être ressemblants. La place des enfants dans l’Éducation nationale à partir de 2 ans dépend des lieux et des cultures, de la maturité de chacun : les réalités sont variables. Pour l’Éducation nationale, l’école maternelle constitue un enjeu très fort de réussite et de réussite scolaire. André Remeur, inspecteur de l’éducation nationale, conseiller technique en charge de la mission enseignement préélémentaire, a préparé cet état des lieux avec moi. L’inscription en maternelle C’est une donnée historique et cultu- relle : l’inscription dans une classe de maternelle est élevée dans le Finistère. En France, elle concerne 11,6 % des enfants de 2 à 3 ans ; dans l’académie de Rennes, 33 % (seule Lille fait mieux, 35 % ; à Créteil : 3 %) ; dans le Finistère, près de 39 %, dont 26 % dans le public et 13 % dans le privé. Les textes donnent la priorité aux écoles situées en Zones d’éducation prioritaire (ZEP) et en milieu rural isolé. Ils sont scolarisés partout dans le département. Sur les 283 communes, 263 ont une école susceptible d’accueillir les 2-3 ans. Cela représente 400 classes, dont 2 qui n’accueillent que des 2-3 ans. En milieu urbain, on a des écoles spécifiquement maternelles de taille relativement importante, qui accueillent surtout des 2-4 ans. Les classes sont prises en charge par une enseignante (c’est très majoritairement une affaire de femmes) et une personne de la commune ; les responsabilités sont donc complémentaires : l’Éducation nationale et la collectivité territoriale, dont les capacités financières sont déterminantes. La taille et la composition des groupes sont diverses. On a parfois des écoles rurales à trois classes, dans lesquelles les maternelles sont regroupées. On a parfois des classes très chargées, au regard du nombre d’enfants et d’adultes dans les crèches. Beaucoup d’apprentissages se font aussi par la présence de pairs plus âgés. 11 Bien-être de l’enfant 2014 La fréquentation n’est pas à la hauteur de l’inscription des enfants. Une enquête de 2011 menée sur des écoles-témoins montre que sur 79 inscrits à la rentrée, en moyenne 44 sont présents au long des semaines, dont seulement 12 toute la journée. On a donc affaire surtout à une scolarisation irrégulière et du matin, et au total, pas toujours très élevée en terme d’heures. D’où la nécessité de penser à l’articulation des modes d’accueil dans la journée et à la continuité sur l’année. À partir de 3 ans, on est à près de 100 % de scolarisation. Les apports d’une scolarisation précoce Quels sont les apports de cette faible fréquentation ? Il semble que l’école ne soit pas forcément le lieu le plus adapté pour les 2-3 ans, dans une année où ils évoluent beaucoup. Une étude nationale interne montre qu’à leur entrée en classe de sixième, les scolarisés à 2 ans n’ont pas davantage de connaissances ni de compétences cognitives en français et mathématiques. Mais on constate un décalage négatif s’ils entrent en maternelle après 4 ans. À propos de la surpédagogisation des lieux d’accueil de la petite enfance évoquée par Sylviane Giampino, je suis d’accord avec elle. Il y a une pression collective sur l’école et au premier chef sur les enseignants. On constate, par endroits, une primarisation de l’école maternelle. Un exemple (mais cela ne concerne pas un établissement du département) : la distribution de photocopies le vendredi après-midi… N’oublions pas que l’enfant a des expériences à vivre, qu’il a besoin de manipuler, d’appréhender l’espace. Quand la culture familiale est éloignée de la culture scolaire, alors l’enfant de 2 ans pourra en tirer bénéfice. C’est ce que l’on peut voir dans le cas de ZEP ; là il faut aller « chercher » les enfants, gagner la confiance des parents. D’où un paradoxe : ce sont ceux des milieux qui en ont le moins « besoin » qui vont à l’école ; cela crée parfois une certaine tension lors des demandes parentales d’ouvertures de classes. Dans le contexte finistérien, il y a des ZEP (Quimper, Brest) où tous les 2-3 ans doivent pouvoir être accueillis prioritairement. Et ensuite, il faut qu’ils fréquentent effectivement l’école. De même en milieu rural isolé, où les accueils collectifs ne sont pas nombreux (en particulier dans le Centre-Finistère), nous avons travaillé avec les maires dans ce sens. Ailleurs, ils sont accueillis en fonction des places disponibles. N’oublions pas la vocation sociale de l’école, à travers sa gratuité. Les nouveaux textes Ils disent qu’il faut prioritairement ouvrir des classes dédiées aux 2-3 ans là où les familles sont éloignées de l’école. Les exigences des ZEP et du milieu rural isolé sont de 30 % de places. Dans le Finistère, nous avons effectivement ces capacités. Même si quantitativement l’accueil est possible, qualita- tivement les conditions matérielles ne sont pas toujours les plus favorables. Il est donc important de se concerter avec les collectivités territoriales, par exemple avec un cahier des charges pour mieux définir les conditions d’accueil. D’autant que ces premiers pas déterminent le lien ultérieur avec les familles – entendons avec les familles élargies aux assistantes maternelles : ce terrain doit être défriché, il nous faut trouver des modalités pour travailler avec les assistantes maternelles comme nous le faisons avec les modes d’accueil collectifs, peut-être avec des temps de formation. La journée d’aujourd’hui est une première pour moi, j’ai le sentiment qu’on est au début de quelque chose. 12 Bien-être de l’enfant 2014 Les actes du colloque Table ronde Les expériences finistériennes, témoignages La crèche et l’école Jean de la Fontaine à Brest François QUENTRIC, Directeur Valérie BENDEL, Professeure Dominique MANCHEC, Professeure Clémentine LE REUN, Directrice de la crèche mutualiste Jean de la Fontaine. Les structures se trouvent dans une zone urbaine sensible dans le quartier de Kerourien, sur la rive droite. La ville de Brest en 2007 a décidé d’implanter une crèche sur l’école où des locaux se libéraient. La proximité est une chance. Pour réussir, il faut un fort facteur humain, il faut que les deux équipes, stables et investies de façon dynamique, travaillent main dans la main. La bienveillance est au cœur du Projet éducatif local (PEL), qui finance les actions passerelles. Première activité commune entre école et crèche : la récréation à l’école avec les deux classes de maternelle et la crèche, puis séances de psychomotricité et activité vélo. C’est hebdomadaire, sécurisant pour les jeunes enfants et leurs parents. Sont montés aussi des événements tel le carnaval, avec les assistantes maternelles et le centre social du secteur, qui sont des partenaires réguliers. L’école est ouverte sur l’extérieur et inversement. Sont réalisés en commun également un spectacle à Noël, une sortie à la ferme au printemps. L’entraide, l’échange, la solidarité sont de mise. Le lien entre les deux populations est aisé, il y a des petits frères et sœurs dans la crèche et les autres élèves sont également bienveillants, cela se passe bien. On est là pour leur apprendre cette façon très positive de se comporter. Les écoliers vont à la crèche pour des activités autour du livre une fois par semaine, avec l’éducatrice de jeunes enfants pour lectrice. Ils sont toujours contents de s’y rendre, et y resteraient bien plus longtemps… pour les jeux, par exemple. Ils se rendent aussi compte qu’ils ont grandi. Les effets bénéfiques constatés ensuite : les enfants du dispositif passerelle abordent leur première rentrée avec moins d’appréhension, plus de naturel, et les autres agissent par mimétisme, rassurés, avec une diminution du stress… et du niveau sonore. C’est plus facile parce qu’ils connaissent les règles de la vie en groupe. « Grandir c’est prendre de l’espace », a dit Sylviane Giampino, l’espace se fait dans les deux sens école/crèche. Grandir c’est ne pas avoir peur de s’ouvrir vers l’autre. Les freins sont les normes de sécurité, avec un nombre d’adultes obligatoire, les absences et le manque de temps de concertation entre les équipes : il faudrait qu’il soit reconnu et institutionnalisé. Les actions à développer : rendre le dispositif pérenne sur le long terme, associer davantage les parents et les structures du quartier (convention triennale). Mais cela fonctionne ! Le personnel travaille avec dynamisme, créativité, plaisir et il semble que cela se ressente auprès des enfants. La classe passerelle de l’école Pen ar Streat à Brest Alan KERMOAL, Directeur Audrey POIRIER, Professeure Myriam BIHAN-POUDEC, Éducatrice de jeunes enfants. Le projet de la classe passerelle est né sur le quartier de Pontanezen à Brest, dans le cadre d’un groupe de travail de tous les acteurs de la petite enfance, qui s’inscrivait dans le PEL (soutien du dispositif de réussite éducative). Il est parti du constat de la difficulté des parents dans la scolarisation première des enfants : comment la faire dans les meilleures conditions ? Pour les enfants, il faut réaliser une adaptation en douceur pour entrer à leur rythme dans l’école, favoriser ce qui est souvent la première séparation (peu ont été en crèche ou halte-garderie), permettre de découvrir la vie en collectivité, la mixité sociale. Pour les parents, il s’agit de connaître les enjeux de l’école (zone urbaine sensible, avec des familles parfois socialement et culturellement éloignées de l’école), d’établir des liens de confiance (dans certains cas beaucoup de réticences, donc mieux faire comprendre ce qui est fait), de donner envie de s’investir, de faire connaissance avec les autres parents et les structures du quartier, de les valoriser dans leur rôle de premiers éducateurs. La classe passerelle, petite section de 18 13 Bien-être de l’enfant 2014 enfants, compte une enseignante, une Atsem et une éducatrice de jeunes enfants qui, en particulier, fait le lien avec les parents. Elle fonctionne quatre matinées par semaine, et quand l’enfant est prêt, en accord avec les parents, il passe dans la petite section classique. Les enfants y entrent à différents moments de l’année. L’accent est mis sur la parentalité. Les parents sont partie prenante au sein même de la classe, ils sont très présents les quinze premiers jours, pour la matinée entière (moins d’angoisse pour les enfants) puis ils s’éclipsent petit à petit, la séparation se fait sans pleurs. Ils sont là ensuite entre 8h30 et 9h ; une fois par semaine ils participent à un atelier de jardinage, de cuisine, etc. Tous ces temps d’échange leur permettent de poser des questions éducatives. Le mercredi matin est réservé aux ateliers avec des partenaires sociaux du quartier : jeux, musique, théâtre, etc. Les freins : il est indispensable que le parent soit disponible le matin… et pour récupérer l’enfant à midi et s’en occuper après. Lorsqu’il reprend un emploi, parfois de manière brutale, que faire ? Tous les relais doivent permettre d’organiser un parcours différencié pour l’enfant, haltegarderie, assistantes maternelles ne sont pas toujours faciles à trouver. Le PEL fonctionne bien, il est une vraie force, avec lequel un coordonnateur de l’Éducation nationale fait l’interface. Il faut aussi du temps pour affiner les projets, pour réfléchir à des actions passerelles pour l’après-midi. Le jardin d’enfants de Pencran Karine EVENAT, Directrice, Éducatrice de jeunes enfants Chantal PICHON, Adjointe au maire Marie LE HÉNO, Professeure. C’est le seul jardin d’enfants du Finistère, il a ouvert en 2011 et concerne les 2-4 ans de Pencran et des environs. Ce projet est né d’un constat de la municipalité de Pencran (2 000 habitants) lors du renouvellement du contrat enfance jeunesse, en 2008. L’intégration scolaire des 2 ans était complexe, 80 % des mamans travaillaient, des maisons se construisaient… Il y a eu quelques appréhensions par rapport aux assistantes maternelles et à leur place, mais la commune a tenu à ce qu’elles participent à ce mode d’accueil alternatif, elles ont d’ailleurs monté une association pour avoir davantage de liens avec lui. Il est considéré comme un multi-accueil par la CAF et perçoit les aides financières qui s’y rapportent. Projet innovant, il ne reçoit cependant pas toutes les subventions auxquelles les crèches ont droit, notamment celles du Conseil général (mais une réunion telle celle d’aujourd’hui fera peut-être avancer les choses…). La commune a signé en 2013 une convention avec l’Éducation nationale, qui satisfait tout le monde. Pour la majorité des enfants, il s’agit d’une première expérience de vie en collectivité, du développement de l’autonomie. Les lieux sont pensés pour qu’ils puissent aller et venir comme ils veulent, les adultes sont bien sûr toujours là pour les accompagner si besoin. Le déroulement d’une journée ? L’accueil se fait à partir de 7h30, les parents entrent dans la structure, échangent au quotidien systématiquement (l’enfant assiste à ce moment s’il le souhaite) et même peuvent rester toute la journée la première fois. Il existe deux types de passerelles en lien avec l’école publique, pour une acclimatation en douceur, respectant le rythme de chacun. D’une part, les enfants qui vont intégrer l’école s’y rendent quatre à six fois dans l’année, par groupes de 5. D’autre part, fin novembre et en décembre pour une rentrée en école en janvier (et en juin pour une rentrée en septembre), les enfants vont le matin à l’école et l’aprèsmidi au jardin d’enfants. Quand les petits arrivent en classe, cela commence par un temps de regroupement rassurant, par exemple, de la lecture d’albums (qui seront repris au jardin d’enfants et des échanges ont lieu) ; la récréation c’est pour plus tard (cela fait davantage peur) puis viennent les ateliers. La collaboration éducatrice/pédagogue est enrichissante. Lors de la première rentrée suite à la mise en place du dispositif, aucune larme ! Une partie des nouveaux viennent du jardin d’enfants sans crainte, connaissant déjà le personnel, les lieux, le matériel, etc. Et les autres avaient auparavant visité l’école. L’adaptation est rapide, ils sont autonomes. Bien sûr parfois il faut des ajustements, se conformer aux règles de vie scolaire… même si les parents n’ont pas toujours conscience de cette néces- 14 Bien-être de l’enfant 2014 Les actes du colloque saire évolution. On leur explique bien les enjeux, par exemple la nécessité d’aller au bout d’un exercice, de répondre à une consigne… et ils les prennent en compte. L’accueil collectif Ti Liou et deux écoles maternelles de Pont-l’Abbé Delphine CARO, Directrice de la crèche et de la halte-garderie Ti Liou Laurianne AUBRON, Directrice de l’école privée Sainte-Anne Catherine MERRANT, Directrice de l’école publique Merville. L’association petite enfance en pays bigouden gère Ti Liou, une crèche de 20 places, une halte-garderie de 10 places et un relais assistantes maternelles. Les parents des enfants de la crèche demandent souvent : « Mon enfant est-il prêt à aller à l’école ? » La réponse est : « On va aller voir cela ensemble ! » Les enfants venant de 8 communes (16 écoles), on ne va donc pas aller à coup sûr dans « leur » future école : là n’est pas le propos, l’idée est de découvrir le « lieu école », pour mettre des mots et des images sur une réalité. Cela est réalisé par petits groupes de trois ou quatre enfants intéressés. La collaboration se fait avec deux écoles maternelles voisines, qui se trouvent à 800 mètres de la crèche, une école publique (Merville) et une école privée (Sainte-Anne). Souvent lorsqu’ils atteignent les 2 ans, les enfants sont contents de découvrir d’autres univers que celui qu’ils connaissent, ils ont envie de conquête. Les enfants se rendent donc de temps en temps dans une des écoles, sur une durée de deux à trois mois, à pied ou en poussette, le trajet dure une vingtaine de minutes. Leur curiosité est grandissante. Sur place, à l’école, des complicités se nouent. À Merville, tout est prévu pour les recevoir, ils sont attendus. Les élèves sont très accueillants, encore plus ceux qui ont fréquenté la crèche. Cela s’inscrit dans un projet pédagogique et trouve sa place dans le cahier de vie scolaire. Les bienfaits pour les professionnels ? Une amélioration du fonctionnement, un aménagement différent des lieux. Une enseignante a un peu changé de point de vue sur les enfants de 2 ans en les voyant à la crèche : elle fait davantage d’activités au sol. Les enfants viennent à un rythme qui leur est propre, mais régulièrement. De même à Sainte-Anne, la rencontre avec les « petits copains de Ti Liou » est un moment apprécié, les élèves ont hâte ! On se retrouve autour d’un goûter dans la cantine, puis on va en salle de motricité, pour des ateliers, des chants, des rondes, sans obligation de participer. En classe, les petits utilisent différents outils et participent à des ateliers plus dirigés (peinture, bac à semoule). Ils découvrent la cour de récréation, seuls d’abord puis sont rejoints par les élèves. Il n’y pas que les enfants que cela rassure : les parents aussi, qui sont également invités à se rendre dans les écoles, et même seuls d’abord s’ils le souhaitent, avant de décider de confier leur enfant. Le projet de la commune de Loperhet Monique HERROU, Adjointe à l’enfance scolarisée à Loperhet Gwen LE GARS, Coordonnateur enfance jeunesse intercommunal. À Loperhet (3 700 habitants, Pays de Landerneau-Daoulas), lorsque s’est posée la question du parcours d’un jeune enfant au quotidien, il a fallu répondre en regardant les rôles des parents, du conducteur de car, de l’Atsem, de l’institutrice, des responsables de la restauration, de la garderie, etc. Au total, une dizaine d’adultes, qui se connaissent un peu, se côtoient, mais ne se rencontrent pas régulièrement. Quelle cohérence éducative développer autour de l’enfant ? Comment acquérir des repères avec une multitude d’adultes, dont chacun fait de son mieux ? Il a été décidé de réunir plus souvent les partenaires, autour de l’adage africain : « Il faut tout un village pour élever un enfant. ». D’où la mise en place d’une commission municipale éducative, avec des élus et des partenaires (50 structures ont été contactées). Tout n’est pas « complètement gagné », mais cela avance, sans relation hiérarchique, chacun apporte son expérience. Un document d’une douzaine de pages sur l’éducation partagée a été élaboré. Depuis 2009, un forum très suivi par les parents et les enfants permet un débat, des rencontres, des ouvertures. Un coordonnateur enfance-jeunesse a été embauché en 2012 par six communes, il met en cohérence toutes les actions pour les 0-25 ans (signature d’un contrat édu- 15 Bien-être de l’enfant 2014 catif local). Il permet de croiser les regards, de monter des projets, de créer davantage de liens avec les écoles. Le travail est mené essentiellement en intercommunalité, pour une prise en charge de l’enfant dans sa globalité. Une des valeurs prônées est que les enfants apprennent aussi par eux-mêmes. Sur le blog village-enfants-loperhet se trouve ce qui est réalisé. Pas moins de 60 réunions ont été organisées en 2013, notamment sur la nouvelle organisation du temps scolaire. Elles portent leurs fruits : un consensus est en vue. Une des conclusions de ces collaborations est qu’il est essentiel d’apprendre à travailler ensemble, et pour cela il faut vraiment du temps dédié. Chacun garde sa responsabilité, mais des articulations sont nécessaires et les regards croisés sont enrichissants. Autre priorité communale : améliorer l’accueil en maternelle, y compris dans le périscolaire, dont tous les acteurs se réunissent chaque trimestre. Par ailleurs, il est envisagé de créer un lieu pour les maternelles et les plus grands, afin qu’ils puissent « souffler », ne pas être dans l’activisme à tout prix. L’Union départementale des associations familiales du Finistère Stéphanie MORVAN, Maman d’Elisa, 10 ans et d’Elouan, 9 mois Sylvie GOUADON, Administratrice à l’UDAF (pour Isabelle Le Faou, maman, absente). « J’ai scolarisé Elisa à 2 ans et 10 jours. Avec le recul, ce n’était pas une bonne idée. Nous étions pourtant toutes les deux contentes au début. Mais j’ai eu de l’appréhension de voir ma petite crevette dans une classe à 35 élèves le jour de la rentrée. Elle s’est adaptée (elle a été diagnostiquée précoce à 8 ans). L’institutrice et l’Atsem étaient formidables. Elle est allée 3 jours à l’école, 1 jour chez l’assistante maternelle. En deuxième année, elle était tous les jours à l’école avec une heure de transport, plus garderie et cantine : beaucoup de fatigue. Les classes passerelles me semblent être une bonne idée. ration et de l’inspiration. On entend le travail besogneux, rigoureux, mais aussi méthodique, pour à la fois être souple, créer de la continuité pour les enfants et être ouvert pour les parents. Il s’inaugure aujourd’hui la possibilité de présenter des choses que des gens inventent, il faut continuer à en parler ! Cela me fait penser au moment où avec Françoise Dolto se sont ouvertes les Maisons vertes : on retrouve ici ce souffle pour permettre aux enfants de se familiariser avec des lieux collectifs et sociaux, dans le lien avec la famille. Quant à Elouan, je vais peut-être le garder avec moi jusqu’à ses 3 ans et demi – dans l’intervalle je suis devenue assistante maternelle. J’écoute son rythme, ses besoins pour qu’il conserve la confiance qu’il a en lui. » Clôture Le fils d’Isabelle Le Faou, Thibault, est entré à 2 ans et demi à l’école en septembre le matin et depuis janvier il y est tous les jours toute la journée. Le souhait des parents était de le scolariser sur deux jours et demi, mais la pression scolaire a été grande, les apprentissages fondamentaux se faisant essentiellement sur les matinées. Ils trouvent que les journées de Thibault sont longues pour lui, il va à la garderie matin et soir. Bilan Sylviane GIAMPINO Tout ce que j’entends aujourd’hui est réjouissant. J’ai l’impression qu’on change d’ère. Les adultes, parce qu’ils travaillent en multidimensionnel, ont de la respi- Joëlle HUON, Vice-présidente du Conseil général du Finistère, présidente de la CDAJE. En 2012, lors de l’état des lieux de l’offre d’accueil, et en raison de l’approche de la réforme des rythmes scolaires, la CDAJE a souhaité travailler cette continuité des temps de l’enfant. Un autre objectif était de faire se rencontrer des personnes de tous horizons, parce qu’on constate parfois des cloisonnements, même si chacun fait son travail de son côté le mieux possible. C’est une idée que nous allons répandre auprès des élus et approfondir au sein de la CDAJE : il faut de la continuité pour le bien-être des enfants, mais également des familles et des professionnels. Il s’agit également de donner envie à d’autres de se lancer à partir des expériences relatées durant cette journée très riche et pleine d’espoir. Conseil général du Finistère Direction de la protection maternelle et infantile 32 boulevard Dupleix - CS 29029 29196 Quimper Cedex Tél. 02 98 76 31 62 Courriel : [email protected] Conseil général du Finistère - Direction de la Communication — Photos : Caf Finistère - PhotoAlto - BananaStock — Juin 2014 www .cg29 .fr