Les actes du colloque - Accueil DSDEN 29

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Les actes du colloque - Accueil DSDEN 29
2014
Bien-être de l’enfant
Les enjeux de la continuité entre la famille,
les modes d’accueil et l’école
Les actes du colloque
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Bien-être
de l’enfant
2014
Les actes du colloque
Les enjeux de la continuité entre la famille, les modes d’accueil et l’école
Le Conseil général du Finistère, la Caisse d’allocations familiales du Finistère et l’Éducation nationale mènent, chacun dans leur domaine,
une politique en faveur de la petite enfance et contribuent, au travers de leurs actions, au développement et à la diversification des
modes d’accueil des jeunes enfants permettant aux parents de mieux concilier activité professionnelle et vie familiale.
Réunis au sein de la Commission départementale d’accueil des jeunes enfants (CDAJE), ces trois partenaires s’associent pour lancer
une concertation autour de la nécessité d’une continuité entre la famille, les modes d’accueil et l’école en faveur du bien-être du
jeune enfant.
Il existe de nombreuses solutions d’accueil de la petite enfance dans le département. La complémentarité et la bonne articulation
des différents modes d’accueil sont indispensables pour favoriser la continuité psychique et éducative nécessaire au bien-être et au
bien-devenir de l’enfant. Les enjeux de cette journée sont de parvenir à assurer une cohérence et une continuité dans les différents
milieux d’accueil et d’éducation et de mettre du lien entre les divers intervenants.
Cette préoccupation est d’ailleurs présente dans les politiques publiques nationales portées notamment par le plan de refondation de
l’école. Première étape de la scolarité, l’entrée à l’école peut aussi être pour l’enfant la première expérience éducative en collectivité.
Et lorsque pour des raisons sociales, culturelles ou linguistiques, sa famille est éloignée de la culture scolaire, cette première expérience
peut favoriser la réussite ultérieure de l’enfant. La scolarisation précoce doit donc être développée avant tout dans les écoles situées
dans les territoires prioritaires et prendre en compte les besoins des enfants dans un cadre adapté et partenarial.
Le Conseil général, la Caisse d’allocations familiales et l’Éducation nationale ont la volonté d’initier collectivement cette réflexion sur
le plan départemental. Ce colloque nous encourage à poursuivre dans cette voie.
Pierre MAILLE
Président du Conseil général du Finistère
Martine STÉPHAN
Présidente de la Caisse d’allocations familiales du Finistère
Brigitte KIEFFER
Directrice académique des services de l’Éducation nationale du Finistère
Bien-être de l’enfant
Colloque départemental du 25 janvier 2014
Faculté Victor Ségalen - Brest
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de l’enfant
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PROGRAMME
9 h 30
Café d’accueil
10 h 00 Ouverture du colloque par Marc LABBEY
Vice-président du Conseil général du Finistère
Président de la Commission Enfance-Famille-Jeunesse
André PERROS
Directeur de la Caisse d’Allocations Familiales du Finistère
10 h 30
Bien-être et continuité psychique de l’enfant de 0-6 ans. Des expériences dans les modes d’accueil
Sylviane GIAMPINO
11 h 30
Introduire de la continuité dans un système divisé d’accueil et d’éducation.
Une perspective internationale ; des comparaisons européennes
Philippe STECK
Psychologue de la petite enfance, psychanalyste, fondatrice et Présidente d’honneur de l’Association nationale des psychologues
pour la petite enfance (A.NA.PSY.p.e.)
Directeur des relations internationales de la Caisse Nationale d’Allocations Familiales
12 h 30
Pause déjeuner libre
14 h 00
Les nouveaux textes de l’Éducation nationale. Les expériences menées en Finistère.
Quelle politique départementale d’éducation ?
Brigitte KIEFFER
14 h 30
Directrice académique des Services de l’Éducation Nationale du Finistère
Table ronde : Les expériences finistériennes
17 h 00
- La crèche et l’école Jean de la Fontaine à Brest
- La classe passerelle de l’école Pen ar Streat à Brest
- Le jardin d’enfants et l’école de Pencran
- L’accueil collectif Ti Liou et deux écoles maternelles de Pont-l’Abbé
- Le projet de la commune de Loperhet
- L’Union départementale des associations familiales du Finistère
Clôture du colloque
Joëlle HUON
Vice-présidente du Conseil général du Finistère
Présidente de la Commission départementale de l’accueil du jeune enfant
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de l’enfant
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Les actes du colloque
L’objectif
Marc LABBEY, Vice-président du Conseil
général, Président de la commission enfance, jeunesse et famille.
niveau national et de développer les services autour le la parentalité (médiation
familiale, continuum éducatif…).
La politique de la petite enfance du
Conseil général du Finistère vise à favoriser le développement physique et psychique de l’enfant, à permettre son épanouissement et à garantir son bien-être.
La CAF du Finistère verse 800 millions
d’euros par an de prestations et plusieurs
millions d’euros pour les divers modes
d’accueil du jeune enfant (y compris
auprès des assistantes maternelles, des
lieux d’accueils enfants-parents, etc.).
Les modes d’accueil doivent respecter et
faciliter la conciliation des temps de vie
familiale et professionnelle. Cela oblige
les institutions publiques et les différents
acteurs à innover en permanence, pour
prendre en compte les évolutions de la
société, les différentes formes de parentalité, le handicap, les horaires atypiques,
les situations d’urgence… Comment qualifier le bien-être de l’enfant, le mesurer ?
Quelle qualité des services d’accueil,
quelle place pour les parents, quel rôle
des professionnels dans le continuum
éducatif ?
La juxtaposition de normes parfois
incompatibles complique le travail en
commun des différentes structures (par
exemple les taux d’encadrement). Une
autre difficulté peut être la coopération
des différents acteurs, mais ce n’est pas
le cas dans le Finistère : nous avons la
chance de collaborer au mieux, en particulier grâce au bon fonctionnement de la
Commission départementale de l’accueil
du jeune enfant (CDAJE) depuis 2002,
grâce aussi à une vie associative riche,
à des initiatives et expérimentations qui
en sont les fruits.
André PERROS, Directeur de la Caisse
d’allocations du Finistère.
Le projet d’une gouvernance accentuera les conditions de cette coopération,
par la création du schéma territorial de
services aux familles, qui regroupera la
CDAJE et l’ensemble des structures en
charge de la parentalité.
Cela peut sembler une gageure d’assurer
le bien-être de l’enfant dans une société
où le bien-être de l’adulte est de plus en
plus malmené : crises économique, sociale, professionnelle, sociétale… et parfois crise au sein de la cellule familiale.
Les CAF, historiquement, ont accompagné toutes les évolutions sociétales.
Nous avons l’objectif de créer 200 000
places de garde supplémentaires au
Bien-être et continuité psychique de l’enfant de 0-6 ans.
Des expériences dans les modes
d’accueil
Sylviane GIAMPINO, Psychologue de la
petite enfance, psychanalyste, fondatrice
et présidente d’honneur de l’Association
nationale des psychologues pour la petite
enfance.
Je me réjouis de contribuer à un travail de mise en commun de différents
services, institutions, partenaires : c’est
la clé ! La continuité éducative et affective pour l’équilibre, le bien-être et le
développement de l’enfant, comment
l’assurer si nous sommes nous-mêmes,
adultes, confrontés à des ruptures, des
contradictions, des incohérences entre
services, positionnements, objectifs ?
Tout le monde roule pour l’intérêt de
l’enfant.
Les quatre dimensions de
l’accueil et de l’éducation des
jeunes enfants
Elles sont en interaction les unes avec les
autres :
- psychologique, avec les processus d’individuation, de séparation, de socialisation ;
- sociologique, elle prend en compte les
besoins des familles et les modes de
vie ;
- politique, qui oriente la question sur
fond d’égalité des chances, d’égalité
homme/femme (dans le travail, éco-
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nomique, en luttant contre la paupérisation des femmes et des enfants) et
d’articulation vie personnelle /vie professionnelle ;
- éducative, elle nous met en demeure
de penser les choix d’accueil.
La difficulté, pour œuvrer ensemble,
réside dans le fait qu’on ne met pas les
mêmes réalités sous les mots. On est
tantôt sur le versant des valeurs et des
projets, cela signifie éveil, créativité, découverte de l’enfant pour soi et découverte des autres. Mais on est aussi, sur
un versant plus opérationnel et chiffré,
pour que les parents puissent faire face
à leurs obligations professionnelles et
assumer leur mode de vie. La logique est
celle de réponse aux besoins, en nombre.
Quelle tristesse de parler de « solutions
de garde » ! Cela sous-entend qu’à peine
né, l’enfant est un problème…
Dans le soutien à la parentalité, un des
premiers actes est de choisir un accueil.
Nous en sommes loin en France, bien
que les choses évoluent. Si on regarde
du côté des enfants, si on n’est pas centré
sur un service aux familles, on a un changement de philosophie. En effet, « être
au service des familles », c’est rendre
service, mais attention, cela se déporte
aujourd’hui vers des sociétés de services… c’est-à-dire le privé, le lucratif. La
France a choisi de maintenir un accueil
des enfants cadré par la loi de l’offre et
de la demande, comme un commerce.
Aujourd’hui les rythmes se désynchronisent, c’est le grand bazar des pres-
sions ! Pressions des institutions sur les
parents, des parents sur les enfants, etc.
Oui, les modes d’accueil évoluent, on en
a une grande variété, mais on n’en fait
pas assez !
Évoquons l’enjeu entre accueil et école
maternelle : il ne faut pas que l’école
maternelle déteigne sur les modes d’accueil, ni qu’elle continue de perdre sa vocation de pré-école ! Le pré… Laissons les
petits dans le pré ! Attention, les parents
perdent confiance quand les enfants ne
sont pas reçus dans de bonnes conditions à l’école.
Qu’est-ce qui fait qu’un accueil est de
qualité ?
Est-ce la nourriture bio ? Les normes de
sécurité ? Parfois celles-ci sont invraisemblables ; grandir c’est gagner de l’espace : il est aberrant qu’un toboggan ne
dépasse pas les un mètre… ou que dans
des locaux neufs on se sente comme
dans un bocal transparent…
La petite enfance est notre fondement,
mais elle est très difficile à penser, car
nous sommes tous frappés d’amnésie.
Tout adulte se heurte à l’écran noir de sa
mémoire, où chacun se fait son cinéma
sur ce qu’est un enfant, sur ce qui est
bien pour lui… d’où des discours contradictoires !
Voici quelques repères.
1er repère : personnaliser les lieux.
L’accueil et l’éducation doivent être personnalisants : tout ce qui à l’intérieur de
la maison de l’assistante maternelle, de
la classe, de la crèche peut faire qu’un
enfant s’identifie, se vit et se ressent
comme différent et particulier.
Cela passe par les personnes de référence. Également, par exemple, par les
boîtes à pensées, j’ai vu cela dans une
école maternelle : chaque enfant en a
une et y dépose tout objet qui compte
pour lui (morceau de bois, sable, bouchon, carte postale…). La maîtresse
m’explique : « Quand un enfant « part
en vrac », je propose la boîte à pensées
et là l’enfant se reprend, se ressaisit de
qui il est, indépendamment du collectif. » Le lieu d’accueil doit être également
personnalisant pour les adultes, qui ne
sont pas que des opérateurs auxquels on
ne demanderait pas de penser !
2e repère : assurer la sécurité affective.
Il est nécessaire de protéger la sécurité
affective et assurer la continuité psychique des enfants. Tout d’abord parce
qu’ils sont les enfants de leurs parents,
de leur famille, de leur culture, etc. En
cas de séparation, ils veulent retrouver
le papa-maman. Il faut « mamaïser » les
crèches, disait Françoise Dolto.
Une anecdote récente : un enfant
s’adapte difficilement dans sa crèche ; sa
maman vient y passer quelques heures
et en partant dépose sur la patère une
écharpe… Le personnel l’y laisse volontairement : cela soutient chez l’enfant
la représentation de l’existence permanente du parent.
3e repère : encourager la découverte.
La qualité se repère dans l’encouragement de la vitalité découvreuse des
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Les actes du colloque
enfants, de la pulsion épistémophilique
avec laquelle on vient au monde (autrement dit : l’amour du savoir). Quand on
se penche sur un berceau, le bébé ouvre
de grands yeux… et dès deux mois, est
davantage intéressé par le visage d’un
inconnu que par celui de sa mère. De
même lorsqu’il apprend à marcher pour
aller voir quelque chose, qu’il se relève
quand il tombe. Nous, adultes, aimerions bien l’avoir encore en état, cette
pulsion…
Je témoigne d’une perte du champ des
connaissances dans la petite enfance sur
les nécessités de nourrissage et d’entretien de l’amour du savoir. Il arrive qu’on
soit trop laxiste avec les enfants, on les
laisse régresser (par exemple en leur
laissant la couche et la tétine trop longtemps) et en même temps on est dans
les contentions permanentes de l’expérimentation, du jeu spontané.
4 repère : respecter la dignité.
Il est impératif de respecter de la dignité
de l’enfant. Certains enfants sont très
sensibles à ce qui se passe autour de
leur corps et aux mots prononcés autour
d’eux. Ils entendent ce qui est pensé
et dit d’eux et de leurs proches, à tout
âge. Des images stigmatisantes de leur
culture et de leur comportement leur
sont parfois renvoyées (« Il était bon le
couscous hier ? » « Tu vas pas commencer à t’agiter encore aujourd’hui ! »).
e
5e repère : accompagner par une présence civilisante.
L’enfant doit être accompagné par des
présences civilisantes, par des adultes
ayant des relations claires entre eux,
avec une place réelle, symbolique, identifiable.
Il existe une différence entre le lien de
filiation parent/enfant et le lien de réalité des professionnels avec l’enfant. Dans
la construction de la personnalité, la famille est fondamentale, particulièrement
sur la question du sujet, des origines (qui
je suis, l’inceste, l’œdipe…). Mais la place
de la famille est également relative : les
autres aussi sont importants, ils ouvrent
un autre monde, un autre langage, une
autre scène à l’enfant, et c’est la responsabilité la plus importante qui nous
incombe à nous, professionnels.
La continuité psychique
La continuité psychique est essentielle. Il
existe trois réalités psychologiques incontournables.
1ère réalité psychologique : la permanence du sentiment de la continuité
d’exister chez l’enfant.
Plus l’enfant est jeune, plus il est somatopsychique. Le fœtus, puis le nouveau-né,
s’extrait d’un état indéfini de consistance.
Il est ensuite l’objet de paroles, de soins :
c’est l’humanisation.
Puis un pincement met en place une préconscience du sentiment d’exister pour
quelqu’un (bercement, mots tendres,
main tenue, tendue…). Tout est lié :
corps, parole, relation. L’enfant, poreux,
est une surface de réception sensible et
sensorielle, c’est son intelligence, c’est
toute la vie. Nous l’oublions… Nous
avons refermé nos récepteurs.
Parents et professionnels doivent té-
moigner de respect et d’affection, qui
l’humanisent. On veut des méthodes
et des guides pratiques pour tout, mais
les enfants ont besoin d’adultes qui sont
vivants dans ce qu’ils font. Qui sont
pensants. Le développement d’un enfant
est comme une œuvre d’art : une œuvre
unique, et quand on commence, on ne
sait pas ce qu’il y aura au bout !
2e réalité psychologique : le parcours de
socialisation et d’ouverture au monde.
Il ne faut pas confondre intelligence et
performances cognitives de l’enfant. On
est piégé dans les mailles contradictoires
d’une société prise entre la sécurité (les
normes…) et les poussées adaptatives.
On veut que les enfants soient très tôt
adaptés, on leur apprend les couleurs à
un âge où ils s’en fichent !
La socialisation est la construction de
l’altérité, un processus complexe. L’enfant doit construire un premier niveau
de représentation, voir qu’il y a un moi
et qu’il y a les autres. Il doit se dire que
moi, je ne suis pas l’autre. L’altérité devient la capacité à accepter que l’autre
agisse différemment de soi. L’autre, c’est
aussi l’autre institution, l’autre échelon
politique…
Étape suivante : on est explorateur, on
choisit de ne pas faire comme l’autre.
L’autre qu’on bouscule… et l’adulte
ne comprend pas toujours que l’enfant n’agit pas par manipulation. On
entend parfois : « Il fait exprès, il me
cherche ! » ; non, il se cherche lui-même,
c’est l’éthique de la petite enfance, la
poussée épistémophilique évoquée. Il
essaie de transformer l’état de ceux qui
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l’entourent, de vérifier s’il reste encore
l’unique pour au moins quelqu’un.
3 e réalité psychologique : la société
est éprise de précipitation, d’efficacité,
de compétition, contradictoires avec la
continuité.
Cela installe de grandes instabilités dans
le développement des enfants. Un enfant
est agité, manque de concentration, dit
« j’ai un trou dans ma tête », « la maîtresse veut me mettre des choses dans la
tête » ? Il a des vécus persécutifs.
Attention à ne pas faire le lycée déteindre
sur le collège, et en cascade, faire l’assistante maternelle déteindre sur la vie de
famille : la surpédagogisation du lien
à l’enfant fait des ravages, elle génère
des coupures et des ratés. S’y ajoute
l’angoisse de la norme, l’enfant devrait
gérer ses frustrations et ses émotions,
alors qu’il ne peut que les traverser. Si
on borde trop fort un enfant jeune, il
n’intériorise pas les règles, il les encaisse,
et un jour, il décaisse. Laissons-le expérimenter, jouer librement !
Oui au soutien à la parentalité, par
exemple via les Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents
(REAAP). Mais ne pas oublier le contexte
dans lequel vivent les parents. Les modes
d’accueil et l’école, qui interfèrent sur
la fonction d’être parent, sont parfois,
quand ils dysfonctionnent, des outils de
destruction de la parentalité.
La parentalité
Examinons trois de ses caractéristiques.
La fonction parentale : une fonction de
passeur.
La parentalité a une fonction « sas », elle
fait passer du monde intime au monde
social. Elle est rétroversée parce que les
parents ont une défiance à l’égard du social, des institutions, du collectif, et une
angoisse du futur. Or élever des enfants,
c’est les tourner vers l’extérieur et l’avenir,
et souvent on entrave cette dynamique,
on leur recommande de se méfier. Mais
on dit tellement aux parents qu’ils ne
sont pas de bons parents, pas sérieux
de divorcer, de recomposer… Pourtant la
famille sait évoluer, s’adapter ! À nous,
professionnels, d’en décrypter l’intelligence nouvelle et de rendre hommage
à ces familles qui inventent des façons de
vivre ensemble, bien riches !
La désynchronisation.
Les temps de vie sont de plus en plus
désynchronisés. La question de l’ouverture des magasins le dimanche en est
une illustration.
Les dangers de la rationalisation.
On est dans un contexte de rationalisation (organisations, budgets…). Or
professionnels et parents savent qu’un
enfant est tout sauf rationnel ! La compétition met la fonction parentale à mal.
De même le morcellement des politiques
de l’enfance et la consommation. Les
enfants deviennent prescripteurs : c’est
un rapt éducatif, ils voient par les écrans
des choses que les parents ne peuvent
pas contrôler. Les parents tentent de rassembler les pièces d’un enfant-puzzle, les
pièces des différents temps.
Nous devons recontextualiser les parents
lorsque nous nous adressons à eux, nous
avons en face de nous un homme et une
femme ! La corde est tendue au maximum dans les familles. Il faut autoriser
la pause parentale pour que le couple
ne soit pas sacrifié, qu’il ne soit pas le
fusible qui saute. Le divorce survient souvent quand les enfants ont 6 ou 7 ans.
Lorsque l’enfant est agité, dispersé, il
arrive que ce soit en lien avec les distorsions actuelles, les dysharmonies. Les
familles sont de plus en plus affectives,
parfois au détriment de leur fonction
socialisante.
L’intérêt de l’enfant ? Voici des citations
du code Dalloz, la bible des juristes :
« C’est une notion clé. La clé ouvre sur
un terrain vague. La notion est insaisissable » ; « De ce qui est semé dans
l’enfant à ce qui lèvera dans l’homme,
quelle pseudo-science autoriserait le juge
de prophétiser ? »
Quand on se pose la question de l’accueil
le plus « correcteur des inégalités » entre
les enfants, on constate qu’un espace
collectif favorise une prévention prévenante, dans la mesure où on y trouve des
personnels spécialisés (même si les assistantes maternelles sont de plus en plus
formées), un médecin est parfois présent. Ils sont des supports de confiance
des familles dans les institutions : on est
dans de la prévention sociale. Ils permettent également aux parents de tisser
des liens entre eux, et des parents qui
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Les actes du colloque
se connaissent, ce sont des parents qui
s’aident en cas de difficulté. On aurait
envie de multiplier les possibles de socialisation dans les espaces collectifs… sans
que ce soit forcément tous les jours toute
l’année la crèche ou l’école. Des classes
passerelles, des statuts de halte-garderie sont très intéressants, qu’on connait
mal, et il y a encore bien des choses à
inventer !
J’ai écrit un livre qui s’appelle « Nos
enfants sous haute surveillance. Évaluations, dépistages, médicaments… »
(paru en 2009, éditions Albin Michel,
Collection Essais doc, 283 pages). On a
un élargissement du champ des connaissances (biologie, neurologie…), mais j’ai
l’impression que les métiers n’ont pas
inscrit suffisamment leurs corpus de
connaissances dans des écrits.
Le métier d’accueillir la petite
enfance
La pédagogie a connu un grand essor
dans les années 1960, de même la psychologie, la psychanalyse ; pourtant
aujourd’hui dans les écoles maternelles
on a des pédagogies qui insistent de plus
en plus sur les acquisitions formelles
(acquis/en cours d’acquisition… repérage des formes…) avec l’obsession des
consignes, y compris dans les crèches.
On perd l’idée que le jeune enfant voit
le monde autrement.
L’accueil du petit est l’accueil du vivant,
du dérangeant, de l’inattendu auquel on
demande de répondre par la maîtrise et
la contention. Il faut pourtant mobiliser
le désir de faire, d’apprendre et aller plus
loin. J’ai codirigé un ouvrage « Y a-t-il
encore une petite enfance ? Le bébé à
corps et à cœur » (paru en 2013, éditions
Érès, collection 1001 Bébés, 160 pages).
Les petits enfants sont devenus des porteurs de cerveaux ! Ils désordonnent aussi l’organisation du désordre qui leur est
accordé et désordonnent considérablement les adultes qui prennent soin d’eux.
Il ne suffit pas d’aimer les enfants pour
bien s’en occuper. Rouvrons nos récepteurs sensibles de la petite enfance…
tout en restant des adultes. Une fragilisation temporaire et une capacité à nous
ressaisir sont nécessaires, alternativement. Ce va-et-vient est souvent ignoré,
en particulier de ceux qui sont dans les
services. Les professionnels de la petite
enfance sont des artistes intellectuels :
des artistes par leur sensibilité, des intellectuels par leur capacité à penser.
Comment améliorer les relations entre
parents et professionnels qui ont tous
leurs contraintes et leurs emplois du
temps ? Quand on voit des pointeuses
à l’entrée des crèches… et le personnel
qui se demande s’il faut « compter » les
discussions avec les parents… Pourquoi
dans certaines écoles les parents sont
les bienvenus toute l’année ? Tantôt des
gens ont envie de faire des choses, mais
butent sur des organisations, des collègues…
Réfléchir à la mise en continuité c’est
réfléchir à la mise en lien. Dommage
qu’on n’arrive pas davantage à penser ENSEMBLE. Tout le monde pense,
mais sans de vraies interfaces entre
professionnels de terrain, champ de la
recherche et décisions politiques. Énormément de commissions sont chargées
de ces interfaces, cependant pour l’instant elles n’arrivent pas toujours à faire
la jointure. Mais observer cette difficulté,
c’est déjà avoir avancé…
Si nous voulons réussir à construire une
véritable politique de l’enfance, nous
devons accepter des spécificités de cette
politique. Car les enfants sont des ralentisseurs humanisants. Et si les gestionnaires veulent qu’ils soient des machines
qui tournent, avec des entrées et des sorties, ils vont être déçus, c’est structurel !
Chacun doit comprendre les contraintes
budgétaires. Mais sur la manière de
faire, il faut travailler ensemble. Quand
j’arrive dans une journée rassembleuse
comme celle d’aujourd’hui, je suis optimiste !
Introduire de la continuité dans
un système divisé d’accueil et
d’éducation. Une perspective
internationale ; des comparaisons européennes
Philippe STECK, Directeur des relations
internationales de la Caisse nationale
d’allocations familiales.
Un rappel du dispositif français
Le système de l’offre montre une diversité. En effet, les 2,4 millions d’enfants de
moins de 3 ans sont pris en charge ainsi :
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de l’enfant
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• 53 % par les parents (à 98 % par les
mères) ;
• 10 % par les crèches ;
• 23 % par les assistantes maternelles ;
• 2 % par des emplois à la maison ;
• 5 % par les grands-parents ;
• 5 % des 2-3 ans vont à l’école maternelle (avec une ambition de remonter ce pourcentage par la création
de 75 000 places nouvelles dans les
5 ans).
En Europe, la France fait mieux que la
moyenne OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pour l’accueil de la petite enfance : 1,3 % du PIB, contre 0,7 %.
L’accueil du jeune enfant vient de rattraper, en masse financière, le montant total des allocations familiales proprement
dites : près de 16 milliards d’euros.
En tant que CNAF, nous visons la création de 100 000 places de crèches,
de100 000 places chez des assistantes
maternelles et de 75 000 places en
école maternelle. Le partenariat est
très important. La CNAF a obtenu 7,5 %
d’augmentation de son budget sur les 5
ans à venir, c’est considérable. Son action
sociale socle passe de 4,6 à 6,6 milliards
d’euros, avec des initiatives qui reviendront aux communes. Des schémas territoriaux vont voir le jour, en lien avec les
préfectures. Les associations auront leur
place dans des plans d’action, dans un
dialogue avec tous, pour créer et innover.
Un panorama européen
La conférence de Lisbonne pose comme
objectif de proposer un accueil des 3-6
ans à hauteur de à 90 %. La réalité : 74 %
en moyenne, presque 100 % en France,
moins de 50 % en Suisse et Finlande.
Pour les 0-3 ans, l’objectif est de 33 %. 10
pays l’atteignent, dont la France, qui se
classe 6e. On note l’exception scandinave
avec 60 % en accueil formel (obligatoire
par les communes) et un congé parental long et très bien rémunéré, 10 % en
Autriche, République tchèque, Pologne…
avec une prédominance de la garde
parentale et informelle, et un taux de
fécondité qui diminue quand le système
s’appuie sur les mères au foyer.
C’est en France que les assistantes maternelles sont les plus nombreuses, très nettement : 318 000, puis ensuite 145 000
au Royaume-Uni, 50 000 aux Pays-Bas.
Le coût des structures d’accueil en France
pour les 0-3 ans représente 25 % du
salaire en moyenne (16 % pour l’OCDE,
5 % en Suède et Pologne). Pour les 3-6
ans, ce sont essentiellement des financements publics (Éducation nationale).
Afin de corriger les inégalités sociales,
la CNAF dans son contrat d’objectifs et
de gestion suggère d’accueillir dans les
crèches 10 % d’enfants issus de milieux
pauvres. Nous constatons que les enfants
accueillis par les assistantes maternelles
sont issus de familles aux revenus plus
élevés. D’où la réflexion de la CNAF pour
moduler les barèmes, pour compléter
la Prestation d’accueil du jeune enfant
(PAJE).
Sur le plan juridique, il existe en Allemagne un droit opposable à la prise en
charge des 0-3 ans. Nous y réfléchissons
en France.
Ce que j’ai pu observer à Copenhague, à
la différence du système français qui est
fait prioritairement pour transmettre du
savoir, c’est le souci d’autonomisation de
l’enfant. La principale préoccupation est
l’ouverture de l’espace, le fait de devenir
soi.
Le début de l’activité professionnelle se
situe en France en moyenne à 22 ans,
la décohabitation familiale à 24 ans,
la constitution du couple à 26 ans, la
naissance du premier enfant à 28 ans.
Au Danemark, ces étapes ont lieu 2 années plus tôt. Cela renvoie à beaucoup
de choses, à l’Éducation nationale, à
la conjoncture économique, mais aussi
à l’approche qualitative de l’accueil du
jeune enfant.
Ceci dit, nous ne nous positionnons pas
si mal que ça en Europe !
L’impact des différents modes d’accueil sur l’acquisition du langage
En prenant appui sur une étude des
universités de Paris V et de Poitiers, sur
une analyse de Pierre Imbert des années
1992-1995, on constate, pour le nombre
de mots acquis par l’enfant, assez peu de
10
Bien-être
de l’enfant
2014
Les actes du colloque
différences selon qu’un parent, une assistante maternelle ou une crèche prend
l’enfant en charge ; la crèche arrive cependant en tête.
En ce qui concerne la syntaxe, il y a un
creux qui se fait entre mère et crèche et
assistante maternelle qui sont au-dessus.
Côté tour de parole (« Je prends l’initiative de m’exprimer »), l’avantage va à
l’assistante maternelle. Pour la directivité, la compréhension d’une affirmation :
avantage à la mère. Enfin, pour la participation collective, l’assistante maternelle est un peu au-dessus de la crèche.
Bilan de la matinée
Sylvaine AUBOUIN, Médecin, Directrice
départementale de la Protection maternelle et infantile du Finistère.
Je salue le travail partenarial qui existe
dans notre département, où plus de
40 % des enfants fréquentent un mode
de garde formel. Nous sommes reconnus
comme ayant une école maternelle de
très bonne qualité, avec une fréquentation importante et un vrai effort financier
de l’État sur la politique de la petite enfance. Le développement de l’accueil est
aussi un enjeu d’égalité homme/femme.
J’ai bien retenu l’expression « œuvre
d’art » de Sylviane Giampino. Nous
avons tous notre part dans l’élaboration
des adultes que ces enfants vont devenir et qui vont faire leurs propres choix.
Le bien-être de la petite enfance est une
préoccupation essentielle et des améliorations sont possibles.
Les nouveaux textes de l’Éducation nationale et les expériences menées en Finistère,
quelle politique départementale d’éducation ?
Brigitte KIEFFER, Directrice académique
des services de l’Éducation nationale du
Finistère.
Ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce
sont les premiers pas à l’école des tout
petits enfants, et les enjeux de continuité. Je centre mes propos sur les 2-3
ans. Regardons la photo de l’invitation à
ce colloque : a-t-elle été prise dans une
école ou un lieu d’accueil ? On ne sait…
Cela montre que les espaces de prise en
charge de jeunes enfants peuvent être
ressemblants.
La place des enfants dans l’Éducation
nationale à partir de 2 ans dépend des
lieux et des cultures, de la maturité de
chacun : les réalités sont variables. Pour
l’Éducation nationale, l’école maternelle
constitue un enjeu très fort de réussite et
de réussite scolaire. André Remeur, inspecteur de l’éducation nationale, conseiller technique en charge de la mission
enseignement préélémentaire, a préparé
cet état des lieux avec moi.
L’inscription en maternelle
C’est une donnée historique et cultu-
relle : l’inscription dans une classe de
maternelle est élevée dans le Finistère.
En France, elle concerne 11,6 % des
enfants de 2 à 3 ans ; dans l’académie
de Rennes, 33 % (seule Lille fait mieux,
35 % ; à Créteil : 3 %) ; dans le Finistère,
près de 39 %, dont 26 % dans le public
et 13 % dans le privé. Les textes donnent
la priorité aux écoles situées en Zones
d’éducation prioritaire (ZEP) et en milieu
rural isolé.
Ils sont scolarisés partout dans le département. Sur les 283 communes, 263 ont
une école susceptible d’accueillir les 2-3
ans. Cela représente 400 classes, dont
2 qui n’accueillent que des 2-3 ans. En
milieu urbain, on a des écoles spécifiquement maternelles de taille relativement
importante, qui accueillent surtout des
2-4 ans.
Les classes sont prises en charge par une
enseignante (c’est très majoritairement
une affaire de femmes) et une personne
de la commune ; les responsabilités sont
donc complémentaires : l’Éducation nationale et la collectivité territoriale, dont
les capacités financières sont déterminantes.
La taille et la composition des groupes
sont diverses. On a parfois des écoles
rurales à trois classes, dans lesquelles les
maternelles sont regroupées. On a parfois des classes très chargées, au regard
du nombre d’enfants et d’adultes dans
les crèches. Beaucoup d’apprentissages
se font aussi par la présence de pairs
plus âgés.
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Bien-être
de l’enfant
2014
La fréquentation n’est pas à la hauteur
de l’inscription des enfants. Une enquête
de 2011 menée sur des écoles-témoins
montre que sur 79 inscrits à la rentrée,
en moyenne 44 sont présents au long
des semaines, dont seulement 12 toute
la journée. On a donc affaire surtout à
une scolarisation irrégulière et du matin,
et au total, pas toujours très élevée en
terme d’heures. D’où la nécessité de penser à l’articulation des modes d’accueil
dans la journée et à la continuité sur
l’année. À partir de 3 ans, on est à près
de 100 % de scolarisation.
Les apports d’une scolarisation précoce
Quels sont les apports de cette faible
fréquentation ? Il semble que l’école ne
soit pas forcément le lieu le plus adapté
pour les 2-3 ans, dans une année où ils
évoluent beaucoup. Une étude nationale
interne montre qu’à leur entrée en classe
de sixième, les scolarisés à 2 ans n’ont
pas davantage de connaissances ni de
compétences cognitives en français et
mathématiques. Mais on constate un
décalage négatif s’ils entrent en maternelle après 4 ans.
À propos de la surpédagogisation des
lieux d’accueil de la petite enfance évoquée par Sylviane Giampino, je suis d’accord avec elle. Il y a une pression collective sur l’école et au premier chef sur les
enseignants. On constate, par endroits,
une primarisation de l’école maternelle.
Un exemple (mais cela ne concerne pas
un établissement du département) : la
distribution de photocopies le vendredi
après-midi… N’oublions pas que l’enfant
a des expériences à vivre, qu’il a besoin
de manipuler, d’appréhender l’espace.
Quand la culture familiale est éloignée
de la culture scolaire, alors l’enfant de
2 ans pourra en tirer bénéfice. C’est ce
que l’on peut voir dans le cas de ZEP ;
là il faut aller « chercher » les enfants,
gagner la confiance des parents. D’où
un paradoxe : ce sont ceux des milieux
qui en ont le moins « besoin » qui vont
à l’école ; cela crée parfois une certaine
tension lors des demandes parentales
d’ouvertures de classes.
Dans le contexte finistérien, il y a des
ZEP (Quimper, Brest) où tous les 2-3
ans doivent pouvoir être accueillis prioritairement. Et ensuite, il faut qu’ils fréquentent effectivement l’école. De même
en milieu rural isolé, où les accueils collectifs ne sont pas nombreux (en particulier dans le Centre-Finistère), nous avons
travaillé avec les maires dans ce sens.
Ailleurs, ils sont accueillis en fonction
des places disponibles. N’oublions pas la
vocation sociale de l’école, à travers sa
gratuité.
Les nouveaux textes
Ils disent qu’il faut prioritairement ouvrir
des classes dédiées aux 2-3 ans là où les
familles sont éloignées de l’école. Les exigences des ZEP et du milieu rural isolé
sont de 30 % de places.
Dans le Finistère, nous avons effectivement ces capacités. Même si quantitativement l’accueil est possible, qualita-
tivement les conditions matérielles ne
sont pas toujours les plus favorables. Il
est donc important de se concerter avec
les collectivités territoriales, par exemple
avec un cahier des charges pour mieux
définir les conditions d’accueil. D’autant
que ces premiers pas déterminent le lien
ultérieur avec les familles – entendons
avec les familles élargies aux assistantes
maternelles : ce terrain doit être défriché, il nous faut trouver des modalités
pour travailler avec les assistantes maternelles comme nous le faisons avec
les modes d’accueil collectifs, peut-être
avec des temps de formation. La journée d’aujourd’hui est une première pour
moi, j’ai le sentiment qu’on est au début
de quelque chose.
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Bien-être
de l’enfant
2014
Les actes du colloque
Table ronde
Les expériences finistériennes,
témoignages
La crèche et l’école Jean de la Fontaine
à Brest
François QUENTRIC, Directeur
Valérie BENDEL, Professeure
Dominique MANCHEC, Professeure
Clémentine LE REUN, Directrice de la
crèche mutualiste Jean de la Fontaine.
Les structures se trouvent dans une zone
urbaine sensible dans le quartier de Kerourien, sur la rive droite. La ville de Brest
en 2007 a décidé d’implanter une crèche
sur l’école où des locaux se libéraient. La
proximité est une chance.
Pour réussir, il faut un fort facteur
humain, il faut que les deux équipes,
stables et investies de façon dynamique,
travaillent main dans la main. La bienveillance est au cœur du Projet éducatif
local (PEL), qui finance les actions passerelles.
Première activité commune entre école
et crèche : la récréation à l’école avec les
deux classes de maternelle et la crèche,
puis séances de psychomotricité et activité vélo. C’est hebdomadaire, sécurisant
pour les jeunes enfants et leurs parents.
Sont montés aussi des événements tel le
carnaval, avec les assistantes maternelles
et le centre social du secteur, qui sont des
partenaires réguliers. L’école est ouverte
sur l’extérieur et inversement. Sont réalisés en commun également un spectacle à
Noël, une sortie à la ferme au printemps.
L’entraide, l’échange, la solidarité sont de
mise.
Le lien entre les deux populations est
aisé, il y a des petits frères et sœurs dans
la crèche et les autres élèves sont également bienveillants, cela se passe bien. On
est là pour leur apprendre cette façon très
positive de se comporter.
Les écoliers vont à la crèche pour des activités autour du livre une fois par semaine,
avec l’éducatrice de jeunes enfants pour
lectrice. Ils sont toujours contents de s’y
rendre, et y resteraient bien plus longtemps… pour les jeux, par exemple. Ils se
rendent aussi compte qu’ils ont grandi.
Les effets bénéfiques constatés ensuite :
les enfants du dispositif passerelle
abordent leur première rentrée avec
moins d’appréhension, plus de naturel, et
les autres agissent par mimétisme, rassurés, avec une diminution du stress… et du
niveau sonore. C’est plus facile parce qu’ils
connaissent les règles de la vie en groupe.
« Grandir c’est prendre de l’espace », a dit
Sylviane Giampino, l’espace se fait dans
les deux sens école/crèche. Grandir c’est
ne pas avoir peur de s’ouvrir vers l’autre.
Les freins sont les normes de sécurité,
avec un nombre d’adultes obligatoire,
les absences et le manque de temps de
concertation entre les équipes : il faudrait
qu’il soit reconnu et institutionnalisé.
Les actions à développer : rendre le dispositif pérenne sur le long terme, associer
davantage les parents et les structures du
quartier (convention triennale). Mais cela
fonctionne ! Le personnel travaille avec
dynamisme, créativité, plaisir et il semble
que cela se ressente auprès des enfants.
La classe passerelle de l’école Pen ar
Streat à Brest
Alan KERMOAL, Directeur
Audrey POIRIER, Professeure
Myriam BIHAN-POUDEC, Éducatrice de
jeunes enfants.
Le projet de la classe passerelle est né sur
le quartier de Pontanezen à Brest, dans le
cadre d’un groupe de travail de tous les
acteurs de la petite enfance, qui s’inscrivait dans le PEL (soutien du dispositif de
réussite éducative).
Il est parti du constat de la difficulté des
parents dans la scolarisation première des
enfants : comment la faire dans les meilleures conditions ? Pour les enfants, il faut
réaliser une adaptation en douceur pour
entrer à leur rythme dans l’école, favoriser
ce qui est souvent la première séparation
(peu ont été en crèche ou halte-garderie),
permettre de découvrir la vie en collectivité, la mixité sociale. Pour les parents, il
s’agit de connaître les enjeux de l’école
(zone urbaine sensible, avec des familles
parfois socialement et culturellement éloignées de l’école), d’établir des liens de
confiance (dans certains cas beaucoup de
réticences, donc mieux faire comprendre
ce qui est fait), de donner envie de s’investir, de faire connaissance avec les autres
parents et les structures du quartier, de
les valoriser dans leur rôle de premiers
éducateurs.
La classe passerelle, petite section de 18
13
Bien-être
de l’enfant
2014
enfants, compte une enseignante, une Atsem et une éducatrice de jeunes enfants
qui, en particulier, fait le lien avec les
parents. Elle fonctionne quatre matinées
par semaine, et quand l’enfant est prêt,
en accord avec les parents, il passe dans
la petite section classique. Les enfants y
entrent à différents moments de l’année.
L’accent est mis sur la parentalité. Les parents sont partie prenante au sein même
de la classe, ils sont très présents les
quinze premiers jours, pour la matinée entière (moins d’angoisse pour les enfants)
puis ils s’éclipsent petit à petit, la séparation se fait sans pleurs. Ils sont là ensuite
entre 8h30 et 9h ; une fois par semaine
ils participent à un atelier de jardinage,
de cuisine, etc. Tous ces temps d’échange
leur permettent de poser des questions
éducatives. Le mercredi matin est réservé
aux ateliers avec des partenaires sociaux
du quartier : jeux, musique, théâtre, etc.
Les freins : il est indispensable que le
parent soit disponible le matin… et pour
récupérer l’enfant à midi et s’en occuper
après. Lorsqu’il reprend un emploi, parfois
de manière brutale, que faire ? Tous les
relais doivent permettre d’organiser un
parcours différencié pour l’enfant, haltegarderie, assistantes maternelles ne sont
pas toujours faciles à trouver.
Le PEL fonctionne bien, il est une vraie
force, avec lequel un coordonnateur de
l’Éducation nationale fait l’interface. Il faut
aussi du temps pour affiner les projets,
pour réfléchir à des actions passerelles
pour l’après-midi.
Le jardin d’enfants de Pencran
Karine EVENAT, Directrice, Éducatrice de
jeunes enfants
Chantal PICHON, Adjointe au maire
Marie LE HÉNO, Professeure.
C’est le seul jardin d’enfants du Finistère,
il a ouvert en 2011 et concerne les 2-4
ans de Pencran et des environs. Ce projet
est né d’un constat de la municipalité de
Pencran (2 000 habitants) lors du renouvellement du contrat enfance jeunesse,
en 2008. L’intégration scolaire des 2 ans
était complexe, 80 % des mamans travaillaient, des maisons se construisaient… Il
y a eu quelques appréhensions par rapport aux assistantes maternelles et à
leur place, mais la commune a tenu à ce
qu’elles participent à ce mode d’accueil
alternatif, elles ont d’ailleurs monté une
association pour avoir davantage de liens
avec lui.
Il est considéré comme un multi-accueil par
la CAF et perçoit les aides financières qui
s’y rapportent. Projet innovant, il ne reçoit
cependant pas toutes les subventions auxquelles les crèches ont droit, notamment
celles du Conseil général (mais une réunion telle celle d’aujourd’hui fera peut-être
avancer les choses…). La commune a signé
en 2013 une convention avec l’Éducation
nationale, qui satisfait tout le monde.
Pour la majorité des enfants, il s’agit d’une
première expérience de vie en collectivité,
du développement de l’autonomie. Les
lieux sont pensés pour qu’ils puissent aller
et venir comme ils veulent, les adultes sont
bien sûr toujours là pour les accompagner
si besoin.
Le déroulement d’une journée ? L’accueil se fait à partir de 7h30, les parents
entrent dans la structure, échangent au
quotidien systématiquement (l’enfant
assiste à ce moment s’il le souhaite) et
même peuvent rester toute la journée la
première fois.
Il existe deux types de passerelles en lien
avec l’école publique, pour une acclimatation en douceur, respectant le rythme de
chacun. D’une part, les enfants qui vont
intégrer l’école s’y rendent quatre à six fois
dans l’année, par groupes de 5. D’autre
part, fin novembre et en décembre pour
une rentrée en école en janvier (et en
juin pour une rentrée en septembre), les
enfants vont le matin à l’école et l’aprèsmidi au jardin d’enfants.
Quand les petits arrivent en classe, cela
commence par un temps de regroupement rassurant, par exemple, de la lecture d’albums (qui seront repris au jardin
d’enfants et des échanges ont lieu) ; la
récréation c’est pour plus tard (cela fait
davantage peur) puis viennent les ateliers. La collaboration éducatrice/pédagogue est enrichissante.
Lors de la première rentrée suite à la mise
en place du dispositif, aucune larme ! Une
partie des nouveaux viennent du jardin
d’enfants sans crainte, connaissant déjà
le personnel, les lieux, le matériel, etc.
Et les autres avaient auparavant visité
l’école. L’adaptation est rapide, ils sont
autonomes. Bien sûr parfois il faut des
ajustements, se conformer aux règles de
vie scolaire… même si les parents n’ont
pas toujours conscience de cette néces-
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Bien-être
de l’enfant
2014
Les actes du colloque
saire évolution. On leur explique bien les
enjeux, par exemple la nécessité d’aller
au bout d’un exercice, de répondre à une
consigne… et ils les prennent en compte.
L’accueil collectif Ti Liou et deux écoles
maternelles de Pont-l’Abbé
Delphine CARO, Directrice de la crèche et
de la halte-garderie Ti Liou
Laurianne AUBRON, Directrice de l’école
privée Sainte-Anne
Catherine MERRANT, Directrice de l’école
publique Merville.
L’association petite enfance en pays bigouden gère Ti Liou, une crèche de 20
places, une halte-garderie de 10 places et
un relais assistantes maternelles.
Les parents des enfants de la crèche demandent souvent : « Mon enfant est-il
prêt à aller à l’école ? » La réponse est :
« On va aller voir cela ensemble ! » Les
enfants venant de 8 communes (16
écoles), on ne va donc pas aller à coup
sûr dans « leur » future école : là n’est
pas le propos, l’idée est de découvrir le
« lieu école », pour mettre des mots et
des images sur une réalité.
Cela est réalisé par petits groupes de trois
ou quatre enfants intéressés. La collaboration se fait avec deux écoles maternelles
voisines, qui se trouvent à 800 mètres de
la crèche, une école publique (Merville) et
une école privée (Sainte-Anne).
Souvent lorsqu’ils atteignent les 2 ans,
les enfants sont contents de découvrir d’autres univers que celui qu’ils
connaissent, ils ont envie de conquête.
Les enfants se rendent donc de temps en
temps dans une des écoles, sur une durée
de deux à trois mois, à pied ou en poussette, le trajet dure une vingtaine de minutes. Leur curiosité est grandissante. Sur
place, à l’école, des complicités se nouent.
À Merville, tout est prévu pour les recevoir, ils sont attendus. Les élèves sont
très accueillants, encore plus ceux qui
ont fréquenté la crèche. Cela s’inscrit
dans un projet pédagogique et trouve
sa place dans le cahier de vie scolaire.
Les bienfaits pour les professionnels ?
Une amélioration du fonctionnement, un
aménagement différent des lieux. Une
enseignante a un peu changé de point de
vue sur les enfants de 2 ans en les voyant
à la crèche : elle fait davantage d’activités
au sol. Les enfants viennent à un rythme
qui leur est propre, mais régulièrement.
De même à Sainte-Anne, la rencontre
avec les « petits copains de Ti Liou » est
un moment apprécié, les élèves ont hâte !
On se retrouve autour d’un goûter dans la
cantine, puis on va en salle de motricité,
pour des ateliers, des chants, des rondes,
sans obligation de participer. En classe,
les petits utilisent différents outils et participent à des ateliers plus dirigés (peinture,
bac à semoule). Ils découvrent la cour de
récréation, seuls d’abord puis sont rejoints
par les élèves.
Il n’y pas que les enfants que cela rassure :
les parents aussi, qui sont également invités à se rendre dans les écoles, et même
seuls d’abord s’ils le souhaitent, avant de
décider de confier leur enfant.
Le projet de la commune de Loperhet
Monique HERROU, Adjointe à l’enfance
scolarisée à Loperhet
Gwen LE GARS, Coordonnateur enfance
jeunesse intercommunal.
À Loperhet (3 700 habitants, Pays de Landerneau-Daoulas), lorsque s’est posée la
question du parcours d’un jeune enfant
au quotidien, il a fallu répondre en regardant les rôles des parents, du conducteur de car, de l’Atsem, de l’institutrice,
des responsables de la restauration, de
la garderie, etc. Au total, une dizaine
d’adultes, qui se connaissent un peu, se
côtoient, mais ne se rencontrent pas régulièrement. Quelle cohérence éducative
développer autour de l’enfant ? Comment
acquérir des repères avec une multitude
d’adultes, dont chacun fait de son mieux ?
Il a été décidé de réunir plus souvent les
partenaires, autour de l’adage africain :
« Il faut tout un village pour élever un
enfant. ». D’où la mise en place d’une
commission municipale éducative, avec
des élus et des partenaires (50 structures
ont été contactées). Tout n’est pas « complètement gagné », mais cela avance, sans
relation hiérarchique, chacun apporte son
expérience. Un document d’une douzaine
de pages sur l’éducation partagée a été
élaboré. Depuis 2009, un forum très suivi
par les parents et les enfants permet un
débat, des rencontres, des ouvertures.
Un coordonnateur enfance-jeunesse a été
embauché en 2012 par six communes, il
met en cohérence toutes les actions pour
les 0-25 ans (signature d’un contrat édu-
15
Bien-être
de l’enfant
2014
catif local). Il permet de croiser les regards,
de monter des projets, de créer davantage
de liens avec les écoles.
Le travail est mené essentiellement en
intercommunalité, pour une prise en
charge de l’enfant dans sa globalité. Une
des valeurs prônées est que les enfants
apprennent aussi par eux-mêmes. Sur le
blog village-enfants-loperhet se trouve ce
qui est réalisé.
Pas moins de 60 réunions ont été organisées en 2013, notamment sur la nouvelle organisation du temps scolaire. Elles
portent leurs fruits : un consensus est en
vue. Une des conclusions de ces collaborations est qu’il est essentiel d’apprendre
à travailler ensemble, et pour cela il faut
vraiment du temps dédié. Chacun garde sa
responsabilité, mais des articulations sont
nécessaires et les regards croisés sont enrichissants.
Autre priorité communale : améliorer
l’accueil en maternelle, y compris dans le
périscolaire, dont tous les acteurs se réunissent chaque trimestre. Par ailleurs, il est
envisagé de créer un lieu pour les maternelles et les plus grands, afin qu’ils puissent
« souffler », ne pas être dans l’activisme à
tout prix.
L’Union départementale des associations familiales du Finistère
Stéphanie MORVAN, Maman d’Elisa, 10
ans et d’Elouan, 9 mois
Sylvie GOUADON, Administratrice à
l’UDAF (pour Isabelle Le Faou, maman,
absente).
« J’ai scolarisé Elisa à 2 ans et 10 jours.
Avec le recul, ce n’était pas une bonne
idée. Nous étions pourtant toutes les
deux contentes au début. Mais j’ai eu de
l’appréhension de voir ma petite crevette
dans une classe à 35 élèves le jour de la
rentrée. Elle s’est adaptée (elle a été diagnostiquée précoce à 8 ans). L’institutrice
et l’Atsem étaient formidables. Elle est allée 3 jours à l’école, 1 jour chez l’assistante
maternelle. En deuxième année, elle était
tous les jours à l’école avec une heure de
transport, plus garderie et cantine : beaucoup de fatigue. Les classes passerelles
me semblent être une bonne idée.
ration et de l’inspiration. On entend le
travail besogneux, rigoureux, mais aussi
méthodique, pour à la fois être souple,
créer de la continuité pour les enfants et
être ouvert pour les parents.
Il s’inaugure aujourd’hui la possibilité
de présenter des choses que des gens
inventent, il faut continuer à en parler ! Cela me fait penser au moment où
avec Françoise Dolto se sont ouvertes
les Maisons vertes : on retrouve ici ce
souffle pour permettre aux enfants de
se familiariser avec des lieux collectifs et
sociaux, dans le lien avec la famille.
Quant à Elouan, je vais peut-être le garder
avec moi jusqu’à ses 3 ans et demi – dans
l’intervalle je suis devenue assistante maternelle. J’écoute son rythme, ses besoins pour
qu’il conserve la confiance qu’il a en lui. »
Clôture
Le fils d’Isabelle Le Faou, Thibault, est
entré à 2 ans et demi à l’école en septembre le matin et depuis janvier il y est
tous les jours toute la journée. Le souhait
des parents était de le scolariser sur deux
jours et demi, mais la pression scolaire
a été grande, les apprentissages fondamentaux se faisant essentiellement sur
les matinées. Ils trouvent que les journées
de Thibault sont longues pour lui, il va à la
garderie matin et soir.
Bilan
Sylviane GIAMPINO
Tout ce que j’entends aujourd’hui est réjouissant. J’ai l’impression qu’on change
d’ère. Les adultes, parce qu’ils travaillent
en multidimensionnel, ont de la respi-
Joëlle HUON, Vice-présidente du Conseil
général du Finistère, présidente de la
CDAJE.
En 2012, lors de l’état des lieux de l’offre
d’accueil, et en raison de l’approche de la
réforme des rythmes scolaires, la CDAJE
a souhaité travailler cette continuité des
temps de l’enfant.
Un autre objectif était de faire se rencontrer des personnes de tous horizons, parce
qu’on constate parfois des cloisonnements,
même si chacun fait son travail de son côté
le mieux possible. C’est une idée que nous
allons répandre auprès des élus et approfondir au sein de la CDAJE : il faut de la
continuité pour le bien-être des enfants,
mais également des familles et des professionnels.
Il s’agit également de donner envie à
d’autres de se lancer à partir des expériences relatées durant cette journée très
riche et pleine d’espoir.
Conseil général du Finistère
Direction de la protection maternelle et infantile
32 boulevard Dupleix - CS 29029
29196 Quimper Cedex
Tél. 02 98 76 31 62
Courriel : [email protected]
Conseil général du Finistère - Direction de la Communication — Photos : Caf Finistère - PhotoAlto - BananaStock — Juin 2014
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