L`Art en Grande-Bretagne 1 : Société et moralisme
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L`Art en Grande-Bretagne 1 : Société et moralisme
L’Art en Grande-Bretagne 1 : Société et moralisme de William Hogarth à David Wilkie La Grande-Bretagne, si proche et si lointaine, qui, dans son acception politique, désigne l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Écosse, se construisit peu à peu. Le Pays de Galles fut conquis par le roi Édouard 1er, le 11 décembre 1298, lors de la bataille d’Orewyn Bridge, où il vainc le roi Llewelyn le dernier, et devient partie intégrante du royaume d’Angleterre en 1536, sous le règne d’Henry VII Tudor. À la mort d’Elizabeth 1ère, le 24 mars 1603, après 45 ans de règne, c’est le roi James (Jacques) 1er qui monte sur le trône. C’est un Stuart, roi d’Écosse sous le nom de James VI ; il est le fils de Mary Stuart, décapitée pour haute trahison, en 1587, sur ordre d’Elizabeth. En 1603, les couronnes d’Angleterre et d’Écosse sont réunies, les Stuart vont régner sur l’Angleterre jusqu’en 1714, après la mort de la reine Anne, et c’est la dynastie des Hanovre qui la remplace jusqu’à la mort de la reine Victoria. Édouard VII, qui lui succède, est un Saxe-Cobourg par son père le prince Albert. George V, qui monte sur le trône en 1910, fonde la maison des Windsor en 1917, en raison du profond sentiment anti-allemand qui règne dans la population britannique. En 1707, sous le règne d’Anne 1ère, les parlements anglais et écossais fusionnent par l’Acte d’Union. On ne peut donc parler de Grande-Bretagne et d’art en Grande-Bretagne qu’à partir de cette date. Quant à l’Irlande, elle rejoint la Grande-Bretagne en 1801, mais devient un état libre en 1922, poursuivant la lutte contre l’Angleterre jusqu’à ce que l’Armée républicaine irlandaise (IRA) dépose les armes récemment. Il y a pourtant une autre raison que les événements historiques amenant à faire débuter la question artistique au 18ème siècle. Jusqu’à cette époque, en effet, il n’y a pas vraiment d’artistes indigènes, et les plus célèbres ou les plus importants sont tous d’origine étrangère, comme nous allons le voir par un survol des œuvres majeures qui scandèrent l'art en Angleterre. . Le Diptyque de Wilton, 1395-1399, conservé à la National Gallery de Londres, est un panneau de chêne dont le nom provient de Wilton House, dans le Wiltshire, siège de la maison des comtes de Pembroke. Cette œuvre est attribuée à Jacquemart de Hesdin, né vers 1355 et mort vers 1414, travaillant dans un style gothique tardif dit international, et auteur des Très Belles Heures du duc de Berry, manuscrit enluminé conservé à la Bibliothèque nationale de Belgique à Bruxelles. Le volet de gauche représente le jeune roi Richard II Plantagenêt, qui régna de 1377 à 1399 ; il est à genoux, avec ses saints patrons à ses côtés, Saint Edmond, Saint Édouard le Confesseur et Saint Jean-Baptiste, qui le présentent à la Vierge. La Vierge, dans le volet de gauche, est entourée de 11 anges, symbolisant les 11 ans du roi à son avènement. L’ensemble est remarquable par son bleu intense. Le panneau de gauche est plus réaliste, et l’hypothèse la plus séduisante quant à l’identité des personnages est qu’il s’agirait du Prince noir, son père, sous les traits de Saint Edmond, et d’Édouard III, son grand-père, sous les traits d’Édouard le Confesseur. Édouard Plantagenêt (1330-1376), fils aîné du roi Édouard III et de Philippa de Hainaut, fut prince d’Aquitaine (il arriva à Bordeaux en 1355), et il fut l’un des personnages clés de la Guerre de 100 ans (1337-1453) qui opposa les Plantagenêt aux Valois pour la conquête du trône de France. Edouard III (1312-1377) devint roi en 1327 et déclencha la Guerre de 100 ans s’estimant l’héritier légitime du trône de France par sa mère Isabelle de France, fille de Philippe IV le Bel. Le panneau de droite est dans un style italianisant idéalisé qui laisse penser que le Diptyque de Wilton est le produit d’un travail à 4 mains. Au revers, nous pouvons admirer les armes du roi Richard II et, à droite, son emblème personnel, un cerf blanc portant une chaîne et un collier en forme de couronne. Quittons les Plantagenêt pour les Tudor. Leur arrivée au pouvoir se produit à l’issue d’une lutte sanglante entre la maison royale d’York (rose blanche) et la maison royale des Lancaster (ou Lancastre, rose rouge) qui dura de 1455 à 1485 et fut connue sous le nom de Guerre des Deux Roses. Les Lancastre avaient détrôné le roi Richard II Plantagenêt pour donner plusieurs rois à l’Angleterre : Henry IV, Henry V, immortalisé sous les traits de Laurence Olivier dans le film du même nom, grand roi dont les succès militaires furent importants pendant la Guerre de 100 ans, mort en 1422 ; son fils Henry VI lui succède mais il est très vite atteint de crises de folie, comme son grand-père, le roi Charles VI le Fol, roi de France. Un conseil de régence est mis en place et confié au puissant Richard Plantagenêt, duc d’York, qui va, par tous les moyens, essayer de s’emparer du trône d’Angleterre, tandis que le roi fou, Henry VI et son épouse Marguerite d’Anjou, le côté Lancastre donc, sont soutenus par le duc de Somerset, Henry Beaufort. Après moult trahisons, batailles, massacres, le Parlement anglais étudie la légitimité des revendications de la maison d’York et promulgue un Acte d’Accord en 1460. Cet Acte décrète, malgré la reconnaissance des droits des York, que le roi Henry VI, un Lancastre, restera sur le trône mais, qu’à sa mort, c’est un York qui lui succédera. À la mort du roi Henry VI, Edouard IV, un York, est couronné roi et va régner 10 ans, de 1461 à 1471. À sa mort, Richard, duc de Gloucester, un York, s’empare du trône et prend le nom de Richard III. Il a été accusé par l’Histoire d’avoir été le commanditaire d’un terrible forfait, l’assassinat des petits princes enfermés dans la Tour de Londres, les enfants d’Édouard IV. Les York semblent avoir gagné mais, dans l’ombre, les Lancastre préparent leur revanche. Ils placent leurs espoirs en la personne d’Henry Tudor, qui est, par sa mère, Margaret Beaufort, un descendant d’Édouard III Plantagenêt. Nous arrivons, enfin, après toutes ces péripéties à la bataille de Bosworth qui voit la victoire des York et des Tudor sur Richard III, qui meurt pendant le combat. Henry Tudor épousa Elizabeth d’York, fille d’Édouard IV et devient roi sous le nom de Henry VII. Henry VII et son fils, Henry VIII, ne connaîtront plus de problèmes dynastiques, car ils auront pris soin, durant leurs règnes respectifs, de faire exécuter, au moindre prétexte, quiconque pouvait prétendre au trône par le biais de successions compliquées. On comprend aisément que, durant toute période, les souverains et la noblesse anglaise aient quelque peu oublié l’art. Henry VIII (15091547) et sa cour vont faire appel à des artistes étrangers dont le plus important est Hans Holbein le Jeune. Ce dernier arrive pour la 1ère fois en Angleterre en 1526 et meurt en 1543 à Londres. Son chef-d’œuvre est Le Portrait de Jean de Dinteville et de Georges de Selve dit Les Ambassadeurs, 1533, conservé à la National Gallery de Londres. Jean de Dinteville, âgé de 29 ans, ambassadeur de France en Angleterre, et son ami, Georges de Selves, âgé de 25 ans, évêque de Lavaur, et ambassadeur occasionnel auprès de Charles Quint, de la République vénitienne et du Saint Siège. Dans une pièce aux murs recouverts de tissu vert, où l’on aperçoit à peine un crucifix à l’extrême gauche, les deux hommes sont entourés d’objets qui permettent de cerner leurs goûts et leur personnalité : globe céleste, cadran solaire, globe terrestre, luth et flûtes, livre d’arithmétique, un livre de Luther ; on voit quelques éléments, le luth auquel il manque des cordes et le livre luthérien, évoquer le Grand Schisme voulu par Henry VIII qui devient le chef de l’Église d’Angleterre. 1533 est l’année du mariage d’Henry VIII et d’Anne Boleyn, après la répudiation de Catherine d’Aragon. La mosaïque du sol reprend les motifs de celle de l’Abbaye de Westminster. Le détail le plus étrange est la forme au premier plan, il s’agit de l’anamorphose d’un crâne (que l’on discerne en se plaçant à la droite de l’œuvre au plus près de la toile). Il s’agit d’une Vanité. Sous le règne d’Henry VIII se produit une cassure décisive dans l’art anglais. Du jour au lendemain, la peinture religieuse est bannie et honnie, les artistes doivent se mettre en quête de nouveaux sujets et de protecteurs séculiers. L’artiste qui est tenu, depuis toujours, en piètre estime, doit s’insérer dans un milieu qui n’est pas le sien, au sein d’une aristocratie autoritaire de grands dignitaires, de courtisans prestigieux et ambitieux gravitant autour du roi. La conséquence en est, qu’oubliant par nécessité tout sujet sensible, la peinture anglaise va se consacrer au portrait de prestige. Nicholas Hilliard présente ainsi une image extrêmement figée, codifiée, presque momifiée de la reine Elizabeth 1ère (1575, Londres Tate Britain), et certainement voulue par la souveraine elle-même. Un art officiel qui véhicule l’image d’une reine entièrement dévouée à la cause de l’Angleterre, qui lutte contre l’Espagne (épisode de l’Invincible Armada), et n’hésitera pas à faire exécuter impitoyablement ses ennemis, mais elle est aussi à l’origine d’une Renaissance dans le mondes des arts, des lettres et des sciences. Hilliard est plus connu comme miniaturiste et il est l’auteur du Jeune homme parmi les roses, v.1558, Londres, Victoria et Albert Museum ; il s’agit du portrait de Robert Devereux, 2ème comte d’Essex. L’exemple même d’un art précieux, sentimental, car il peut prendre l’aspect d’un gage d’amour, et quasiment préromantique. L’avènement de Charles 1er, en 1625, donne une véritable impulsion à l’art de Cour. Le roi est un amateur d’art et un grand collectionneur ; il se rend acquéreur, de 88 tableaux de la collection des Gonzague à Mantoue. Charles 1er demande à Rubens de décorer le plafond de la salle des banquets du palais de Whitehall, mais le flamand renoncera à achever ce chantier colossal. Le roi fait alors venir à Londres Anton van Dyck (1599-1641) qui deviendra Sir Anthony van Dyck l’année de sa mort. Son passage à Londres est d’autant plus décisif qu’il n’y a toujours pas de peinture anglaise. On le respecte, il est riche, il est talentueux, il sait flatter sa clientèle (Portrait de Charles 1er, 1635, Paris, musée du Louvre ; portraits de Georges Villiers, 2d duc de Buckingham, et son frère Lord Francis Villiers, 1635, Londres collection du gouvernement), il est l’artiste pour qui le roi se dérange et non le contraire. Il donne une élégance indéfinissable à ceux et celles qu’il représente, par le biais d’une réelle finesse des traits, une distinction un peu théâtrale ; il y a un je ne sais quoi de mélancolique dans le portrait du roi en chasseur, roi qui connaîtra un destin tragique puisqu’il fut décapité, en 1649, au moment de la Révolution anglaise menée par celui prit le titre de Lord Protecteur, Olivier Cromwell. Van Dyck est un mondain, mais un mondain de génie. Il annonce le style de Reynolds et Gainsborough. L’influence de Van Dyck fut telle que son contemporain, Jonathan Richardson écrivit : « Un bon portrait nous fait concevoir une meilleure opinion de la beauté, du bon sens, de l’éducation, et autres bonnes qualités d’un personnage que nous n’aurions à le voir, sans pourtant que nous pussions dire par quel biais il cesse de ressembler. » La légende veut que Van Dyck ait découvert et présenté au roi William Dobson. Le Portrait d’Endymion Porter date de 1642-1645, Londres, Tate Britain ; Porter était un diplomate, amateur d’art, achetant pour le roi et l’un de ses favoris. Nous le voyons, ici, en chasseur sans posséder toutefois l’élégance ou l’allure du souverain. La chasse peut être aussi une allusion à la guerre civile puisque la Cour d’Angleterre s’était réfugiée à Oxford. John Aubrey, mémorialiste, a pu dire : « William Dobson était le meilleur peintre que l’Angleterre ait encore jamais produit. » Sir Peter Lely (Autoportrait, v.1660, Londres, National Portrait Gallery) est-il enfin un peintre anglais de talent et de renom ? La réponse est non, car il est né à La Haye en 1618 (il mourra en 1680) sous le nom de Pieter van der Faes et arrive en Angleterre en 1642. Il profite du vide laissé par la mort de van Dyck. Vers 1650, il peint le Portrait d’Olivier Cromwell, collection particulière, qui avait été très clair lors de la commande : « Je désire que vous usiez de toute votre habileté pour peindre mon portrait vraiment comme je suis, sans du tout me flatter ; mais observez toutes les rugosités, les boutons, les verrues, tout ce que vous me voyez ; autrement, je ne paierai pas un liard. » Après lui, James Thornhill fait preuve de ses talents de décorateur baroque dans le plafond de King William Court, au Collège naval royal de Greenwich, peint entre 1707 et 1727, et dont le motif évoque les débarquements des rois Guillaume III et Georges 1er, sous un aspect mythologique. Il entre aussi dans l’histoire, car les hasards de la vie en firent le beau-père de William Hogarth, le Peintre et son dogue, 1745, Londres, Tate Britain. Hogarth naît, en 1697, dans une Angleterre qui connaît une période d’opulence, où l’aristocratie et la grande bourgeoisie détiennent les pouvoirs politiques et économiques. Fils d’un maître d’école, il se découvre un goût pour la peinture lorsqu’un des voisins de ses parents lui donne quelques leçons. À 23 ans, il s’établit graveur puis, en 1725, entre dans l’atelier de Thornhill. Il va ignorer l’exemple des maîtres anciens et contemporains, dédaigne la leçon de l’Antiquité, pour l’observation de la vie et des mœurs contemporaines, à travers la littérature ou le théâtre. Il écrit, en 1753, un ouvrage intitulé L’Analyse de la Beauté, dans lequel il livre ses théories sur la beauté et la grâce et laisse aussi des Notes autobiographiques : « Fixer formes et caractères dans ma mémoire…J’ai essayé de me dresser à l’exercice d’une sorte de mémoire technique : posant d’abord en axiome que celui qui saurait par quelque moyen acquérir et garder en tête des idées précises des sujets qu’il se proposait de dessiner aurait une connaissance aussi claire de la figure qu’un homme qui écrit couramment a des 24 lettres de l’alphabet et de leurs intimes combinaisons. » Il sait que seul le genre du portrait paie mais un jeune artiste inconnu n’a aucune chance de trouver une clientèle aisée. Il s’intéresse donc à la peinture de genre, des petites scènes familières, un peu méprisées par l’aristocratie qui les trouve vulgaires et dont la thématique lui est inspirée , pour son premier essai, par le théâtre. Scène de l’Opéra des Gueux, 1731, Londres, Tate Britain, représente la scène la plus dramatique et la plus comique de l’Opéra des Gueux, écrit par John Gay en 1728. Elle correspond à l’air célèbre, « Quand mon héros paraît ». Les deux jeunes femmes que le malandrin a séduites, plaident ensemble pour la vie de Macheath, portant des chaînes, et voué à la potence, campé au milieu de ma composition en costume rouge. Polly, la fille de l’indicateur, en robe blanche, est agenouillée devant le juge, tandis que Lucy, en robe bleue, supplie son geôlier de père d’épargner le « héros », le tout dans un éclairage théâtral. L’œuvre donne le ton. Hogarth se propose de décrire les mœurs dissolues de la bourgeoisie ou de l’aristocratie. Ce sont des scènes pittoresques, humoristiques et aussi cruelles. Les scènes de genre d’Hogarth vont rencontrer un succès d’autant plus vif qu’il est inattendu. Avant et Après, v.1730-1731, Los Angeles Getty Museum, est une image cruelle de libertinage sans aucun élément de la légèreté de la peinture française. Les Français, d’ailleurs, sont aussi la cible d’Hogarth ; The Roast Beef of Old England ou Porte de Calais, 1748, en est un exemple. L’œuvre est un souvenir du second voyage en France de l’artiste, en 1748, durant lequel il fut arrêté pour espionnage alors qu’il dessinait le motif de la Porte de Calais, et Hogarth ne manque de railler ni le moine ventripotent regardant avec gourmandise la viande rôtie ni les soldats français dépenaillés. Les « pièces morales » forment la plus grande part de l’œuvre de Hogarth. Il décide d’essayer « un genre nouveau et qui n’avait pas encore été essayé dans aucun pays ni à aucune époque : la peinture et la gravure de sujets moraux actuels…Cette classe intermédiaire de sujets qu’on peut placer entre le sublime et le grotesque…Ces sujets qui sont faits à la fois pour divertir et cultiver l’esprit promettent d’être de la plus grande utilité générale, et donc doivent d’être mis au rang de l’art le plus élevé…La comédie aussi bien en peinture qu’en littérature doit avoir le premier rang. » La série de six gravures, intitulée La Carrière d’une prostituée ou L’Histoire d’une catin, 1733, Londres, British Museum, est une issue d’une série peinte en 1731 et détruite dans un incendie en 1755. Hogarth procède toujours ainsi : la série gravée suit la série peinte. Nous y voyons la triste histoire d’une jeune femme innocente et fraîche, Moll Hackabout, débarquant de son Yorkshire natal (planche I) à Londres où elle est immédiatement prise en mains par une entremetteuse notoire, la mère Needham, pour le compte d’un roué, le colonel Charteris, que l’on voit sur le pas de sa porte attendant sa proie. Le sinistre personnage fut condamné pour viol en 1731. Dans la planche II, Moll, devenue la maîtresse d’un riche commerçant juif, vit dans une belle demeure. Son protecteur survenant à l’improviste manque de surprendre la belle et son amant de cœur qui se dérobe à l’arrière mais Moll détourne son attention en renversant la table où le thé a été servi. Renvoyée par son protecteur (planche III), Moll, atteinte de syphilis, tombe dans la prostitution de bas étage, vit dans le quartier de Covent Garden et est arrêtée par le juge Gonson. Moll, jetée en prison, à Bridewell (planche IV), doit battre le chanvre tandis que la femme du geôlier lui dérobe sa lingerie. À sa libération, Moll est revenue mourir dans sa mansarde. Les médecins se disputent sur l’efficacité de leurs traitements respectifs, et son petit garçon, désormais orphelin, risque de tomber à son tour dans le vice. Le succès est tel que l’artiste met en chantier une nouvelle série, A Rake’s Progress, L’Histoire d’un roué, en 1733, les gravures suivront en 1735 : « Je voulus donc composer des tableaux sur la toile, semblables aux représentations de la scène, espérant, en outre, qu’ils seraient jugés sur les mêmes critères. Je me suis efforcé de traiter mes sujets comme un auteur dramatique : ma peinture est ma scène et mes personnages sont des acteurs ; par le moyen de certains gestes en action, ils y donnent une pantomime muette. » Les contemporains ont également comparé Hogarth à Henry Fielding et à son célèbre roman Tom Jones (1750). L’Histoire d’un roué se décline en 8 tableaux désormais conservés au Soane Museum, à Londres. Il s’agit d’évoquer la vie d’un fils de bourgeois, Tom Rakewell, en quelques épisodes. Dans L’Héritier, nous le voyons chassant une fille séduite, Sarah Young, et sa mère, tandis qu’un tailleur prend ses mesures en vue de lui confectionner un costume de deuil et que les domestiques lui apportent la fortune de son pingre de père, dont il ne soupçonnait même pas l’existence. Devenu riche, Tom Rakewell, que l’on voit à son Lever, est désormais entouré d’un grand nombre de parasites, tailleur, poète, maître de danse, maître de musique. Sa richesse l’amène à mener une vie dissolue, L’Orgie, qui lui promet une Arrestation, à laquelle il échappe par miracle. Ruiné et endetté, il ne voit qu’une seule solution : Le Mariage. Il épouse une riche dame plus âgée que lui, qui va assurer sa subsistance et les deux chiens dans l’angle inférieur droit marquent bien qu’il s’agit d’une parodie de mariage. Il s’empresse de retourner dans La Maison de jeu, le White Club à Soho, et y perd la fortune de sa femme et de rage menace le ciel de son poing tandis que sa perruque tombe à terre. Nous le retrouvons dans la Prison, à Fleet, réservée aux endettés. Devant lui, sa femme, effondrée, à l’idée d’avoir perdu tout son argent. Tom Rakewell, la perruque de travers, semble sombrer doucement dans la folie. A L’Asile d’aliénés de l’hôpital de Bethléem, à Bedlam, Rakewell ne trouve plus à ses côtés que la jeune Sarah Young, alors que nous pouvons remarquer autour de lui un les autres pensionnaires de l’asile, l’un, la tête couronnée, se prenant pour un roi et les autres, et les autres, prennent l’apparence d’un tailleur, d’un musicien, d’un astronome et d’un archevêque. L’asile est ouvert au public et deux ladies sont venues observer les aliénés. La démonstration d’Hogarth est impitoyable. Il s’en prend ensuite à la bourgeoisie dominante et même à l’aristocratie, qu’il considère vaniteuse et déclinante. Le procès que leur fait Hogarth est celui de l’indécence et de l’insouciance criminelle avec laquelle ils font commerce de la chair humaine. Dans Le Mariage à la mode, v.1743, scène I, Le Mariage, nous voyons le bourgeois Alderman et le comte Squander arranger le mariage de leurs enfants ; le bourgeois est ravi que sa fille entre dans une famille aristocratique tandis que le comte se dit que l’argent du bourgeois va lui permettre de finir la construction de ce beau palais que nous apercevons par la fenêtre. Le jeune vicomte tourne le dos à la fiancée qui joue distraitement avec l’anneau nuptial tandis que le jeune tabellion, Silvertongue, lui conte fleurette. Dans le Tête à Tête, scène II, le mariage se révèle être un désastre. La jeune femme s’étire, car elle a passé la nuit à jouer aux carte avec ses amis, tandis que le vicomte, à peine rentré d’une nuit de débauche- le petit chien a repéré dans sa poche le bonnet d’une autre femmes’effondre dans un fauteuil. L’intendant, effaré, renonce à leur parler de gestion domestique. La scène III s’intitule L’Inspection. Elle a lieu dans le cabinet d’un docteur français, Monsieur de la Pilule, qui soigne le vicomte pour la syphilis, on voit ce dernier accompagné de sa maîtresse, qui est une toute jeune fille. La Toilette, scène IV, se situe après la mort du vieux comte. La jeune comtesse tient salon et reçoit Silvertongue qui l’invite à une fête costumée. La scène V, Le Bain, est la suite logique de la précédente. La comtesse et Silvertongue, après la fête costumée, se sont retrouvés dans une pièce discrète, anciennement un bain turc, d’un café londonien ; le jeune comte les a suivis et a été blessé mortellement par Silvertongue. On le voit mourant auprès de son épouse qui implore son pardon alors que l’amant meurtrier s’enfuit, à demi-dénudé, par la fenêtre. La Mort de la comtesse, scène VI, clôt cette histoire tragique. La comtesse, désespérée, s’est empoisonnée après avoir appris l’exécution de son amant pour le meurtre de son mari. Son père reprend l’anneau nuptial tandis qu’une suivante lui présente son enfant ; au centre, un pharmacien reproche à un domestique d’avoir apporté la fiole de poison, tandis qu’un chien en profite pour dérober des victuailles sur la table. La Marchande de crevettes, 1740-1745, Londres, National Gallery, fait figure d’exception dans une œuvre très sombre et nous apprend qu’Hogarth aurait pu être un très grand portraitiste. Cette ébauche, pleine de liberté et de sensualité, est un instantané de vie. Après Hogarth, Sir David Wilkie, Autoportrait, v.1804, Édimbourg, National Galleries of Scotland, peut paraître fade. Il est vrai qu’il n’a jamais eu l’intention d’être un peintre moraliste mais plutôt le témoin de scènes de la vie quotidienne, joyeuses ou plus âpres. Dès l’âge de 14 ans, il s’intéresse à la peinture et entre à l’Académie des Beaux-Arts d’Édimbourg ; Son père est extrêmement réticent, mais ne peut guère empêcher cette vocation. Le Révérend David Wilkie et son épouse, les parents de l’artiste, 1807, Paris, musée du Louvre, manifeste une réelle connaissance de la peinture flamande et hollandaise et de la persistance de son influence sur la peinture britannique au début du 19ème siècle. Wilkie nous offre donc de délicieux petits tableaux à la manière de Louis-Léopold Boilly, d’où l’humour et la compassion ne sont pas absents : Les politiciens de village, v.1804, Dundee Art Galleries and Museum, est une analyse psychologique de ces hommes discutant politique autour d’un bon verre, La Recrue du Village, 1804, Bury, Fusilier Museum, est le tableau qu’il emporte à Londres en 1805, où il commence des études à la Royal Academy. En 1806, il y expose Les Politiciens de village et obtient un succès tel qu’il bénéficie dès lors de la protection de Lord Mansfield. Sa peinture rassure la bonne société, car elle est descriptive sans être gênante ou accusatrice ; elle donne une image édulcorée de la réalité mais possède une bonhomie indispensable à la réussite du genre. La Fête du village, 1809-1811, Londres, Tate Britain, pose la question de savoir si Wilkie peint des scènes contemporaines ou des scènes qu’il aurait pu avoir dans son enfance, ce qui expliquerait le côté touchant et attendrissant des œuvres. On sait, par ailleurs, qu’il cherchait des modèles dans la rue et composait ses scènes de groupe en intérieur après avoir disposé des figurines modelées en argile dans des maquettes de bois. Le Violoniste aveugle, 1806, Londres, Tate Britain, fut l’un de ses grands succès, inspiré également par les Flamands et les Hollandais, en particulier par Adrien van Ostade David Teniers dont il possédait quelques œuvres ; il oppose mais en nuances la misère et l’opulence. The Penny wedding, 1818, Londres, Royal collection Trust, est une œuvre dont raffola le roi George IV (en 1830, il est nommé peintre ordinaire du roi), tranche de vie populaire largement idéalisée dans laquelle Wilkie parvient à l’équilibre entre le sentimental et le détail réaliste. Le sujet est celui d’une cérémonie de mariage en Écosse où, traditionnellement, chaque invité participe aux dépenses en payant un penny. Les mariés peuvent profiter aussi de la somme recueillie si elle est supérieure aux dépenses du mariage. Le sujet n’était pas nouveau mais l’idée de Wilkie était de suggérer qu’aucun couple riche ne pouvait être plus heureux, amoureux, gracieux et élégant que ces jeunes écossais, et qu’aucun père de la mariée ne pouvait être plus généreux ou convivial que celui-ci car il était soutenu par une communauté ; personne ne pouvait avoir un meilleur violoniste que Niel Gow (1727-1807), dont la célébrité permettait à tout amateur une identification aisée. Une ambiance pesante est à noter dans La Réclamation du loyer, 1815, Édimbourg, National Galleries of Scotland, qui oppose une famille en difficulté à celui qui vient réclamer le prix du logement. Considéré comme le chef-d’œuvre de David Wilkie, Les Pensionnaires de Chelsea recevant la London Gazette, le jeudi 22 juin 1815, après la bataille de Waterloo, Londres, Apsley House, Wellington Museum, fut exposé au Salon de l’Académie, en 1822, et Géricault en admira les figures expressives. Il est à noter que ce fut le premier tableau qu’il fallut protéger de l’enthousiasme de la foule par un cordon. L’œuvre est intéressante, car elle annonce la peinture victorienne et sa particularité : une vérité falsifiée par le sentiment. David Wilkie eut également eut une influence sur les peintres de la Fraternité préraphaélite, en 1848, qui retinrent non les sujets mais la technique de l’artiste qui aimait peindre très vite sur un fond blanc encore humide.