Paris-Tokyo-Paris : la réception de la culture

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Paris-Tokyo-Paris : la réception de la culture
Paris‐Tokyo‐Paris : la réception de la culture japonaise en France depuis 1945 Maison franco‐japonaise de Tokyo, 6 et 7 septembre 2013 Adresse : Ebisu 3‐9‐25, Shibuya‐ku, Tokyo 150‐0013 http://www.kent.ac.uk/secl/researchcentres/eurolit/events/conferences/index.html [email protected] Co‐organisé par Dr Fabien Arribert‐Narce, JSPS Postdoctoral Fellow (P 12703) / Université des langues étrangères de Tokyo (東京外国語大学) Titre du projet de recherche financé par JSPS : ‘The Reception of Japanese Culture by French Writers and Film‐makers Since 1945’ Dr Kohei Kuwada (桑田光平), Université des langues étrangères de Tokyo (東京外国語大学) Dr Lucy O’Meara, Université du Kent à Canterbury (Royaume Uni) Bureau français de la Maison franco‐japonaise (日仏会館フランス事務所) Avec le soutien de la Japan Society for the Promotion of Science (Japon) le Centre for Modern European Literature et le Kent Institute for Advanced Studies in the Humanities (KIASH) à l’Université du Kent (Royaume Uni) le Japan Foundation Endowment Committee (Royaume Uni) Avec le concours de l’Ambassade de France au Japon / l’Institut français du Japon le Transcultural Research Institute à l’Université des langues étrangères de Tokyo (東京外国語大学総合文化研究所) Si l’intérêt des artistes, écrivains et cinéastes français d’après‐guerre pour le Japon a été d’une grande intensité et variété, il semble qu’il se soit surtout focalisé sur les aspects les plus banals et ‘insignifiants’ de la vie quotidienne nipponne, de L’Empire des signes de Barthes (1970) jusqu’au Tokyo infra‐ordinaire de Roubaud (2005). Nous explorerons ainsi les partis pris esthétiques des ‘japonistes’ contemporains, dont notamment Gérard Macé, Philippe Forest et Michaël Ferrier, qui participeront tous trois au colloque. 1
Liste des résumés
Cette liste est classée par ordre alphabétique ; les numéros de session sont indiqués après le
nom de l’intervenant et son affiliation.
ÉLISABETH CARDONNE-ARLYCK (Vassar College, États-Unis) Session 6
‘Jean-Philippe Toussaint : “On arrive à Tokyo comme à Bastia”’
Des douze textes qui composent Autoportrait (à l’étranger) de Jean-Philippe Toussaint,
d’abord paru en 2000, trois furent écrits pour la revue Subaru (Tokyo, premières impressions,
Tokyo, Kyoto), auxquels vinrent s’ajouter Nara, capitale historique du Japon et Retour à
Kyoto. Si ces cinq récits japonais constituent, comme l’expose Toussaint dans la préface de
2012, la “colonne vertébrale” du livre, celle-ci se désaxe sans cesse vers d’autres lieux
disparates. Dans ce zigzag géographique, le Japon fait figure de pays où l’on retourne et ce
retour est, en fin de compte, mélancolique : “Je regardais les eaux de la Kamo couler en
contrebas, j’étais debout sur le pont de Sanjo, le regard fixe, l’esprit en pleurs.” Toussaint
rompt ainsi, en clausule, avec l’intention de trivialité affirmée dans la préface : “je me suis
mis à rechercher, dans mes expériences quotidiennes du Japon, tout ce qui pouvait relever de
la plus pure insignifiance, de l’inintéressant et du banal, pour en faire mon miel littéraire.” De
l’infra-infra-ordinaire, en somme, mis en pratique dès la phrase liminaire de Tokyo, premières
impressions : “On arrive à Tokyo comme à Bastia”. Ce sont ainsi les retrouvailles avec un ami
corse, impatient d’échanger des nouvelles du village, qui inaugurent le séjour à Tokyo. De
même que, dans Tokyo infra-ordinaire, Jacques Roubaud aborde le Japon par le biais de
l’Angleterre, Toussaint y entre par la Corse ; mais alors que Roubaud donne (non sans
humour) des justifications littéraires à ce détour, Toussaint en pose, sans commentaire,
l’incongruité cocasse. Il soutient en cela la retenue ludique de ses romans précédents, dont on
sait le succès qu’ils ont rencontré au Japon.
Les pleurs intérieurs d’Autoportrait (à l’étranger) s’extériorisent cependant sans retenue
dans le roman Faire l’amour (2002), où Toussaint retourne à Tokyo et Kyoto pour un récit de
rupture, dans lequel les larmes irrépressibles de Marie ont “la nécessité d’un phénomène
naturel” : pluie, neige, tremblement de terre les amplifient en drame cosmique. Le recours au
Japon semble ainsi avoir autorisé, dans la fiction de Jean-Philippe Toussaint, l’émergence
d’émotions violentes qui rompent désormais (dans Fuir en 2005, La Vérité sur Marie en
2009) avec la réticence de ses romans précédents. À la banalité emphatique fait pendant
l’extravagance, façons complémentaires de rendre l’étrangeté en elle-même insaisissable de
l’étranger et de l’autre.
FUMIO CHIBA (Université Waseda, Tokyo, Japon) Session 7
‘Chris Marker au Japon’
À la mort de Chris Marker survenue le 29 juillet 2012 à l’âge de 91 ans, le New York Times a
rendu hommage à cet artiste aux visages multiples – ‘an enigmatic writer, photographer,
filmmaker, multi-media artist’ d’après ce quotidien américain – pour finalement lui associer le
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statut de pionnier de l’essai-film, forme qui se cherche entre le documentaire et des réflexions
plus subjectives. Chris Marker se plaisait quant à lui à se peindre plus simplement comme
quelqu’un qui ‘filme, photographie, voyage, aime les chats’. Tout se passe en fait comme si la
quintessence de son existence se résumait à ces quatre activités, et comme s’il avait trouvé
précisément au Japon le terrain de travail le plus propice à ses recherches à la fois artistiques,
socio-historiques et personnelles. Ses liens avec le Japon sont en effet intenses et de longue
durée. Son premier voyage dans ce pays date ainsi de 1964, l’année des Jeux Olympiques de
Tokyo. Il produira par la suite des films tels que Le Mystère Kumiko, Sans soleil et Level Five,
des courts métrages comme Tokyo Days et Bullfight/Okinawa, le livre de photos Le Dépays et
l’œuvre multimédia Immemory, l’ensemble de ces productions diverses formant une véritable
série d’expériences d’images et d’écriture effectuées sur les lieux mêmes. Nous tâcherons
dans cette communication de suivre ce long parcours et d’en dégager les principaux enjeux.
AGNÈS DISSON (Université d’Osaka, Japon) Session 6
‘Jacques Roubaud, Tokyo infra-ordinaire : transferts et transports’
‘La gare de Shinjuku est grande’ : Tokyo infra-ordinaire se pose d’emblée comme une
histoire de transports, et de circulation. C’est un haïbun, un carnet de voyage comme ceux de
Bashô au 17ème siècle, poésie et prose. Mais les ‘stations poétiques’ sont littérales – celles du
métro – et le regard perecquien. Tokyo y apparaît dans son bruit de fond ordinaire, ses détails
quotidiens, abords des gares, ruelles, SDF, passants, corbeaux. Digressions, embranchements,
registres variés nous portent du prosaïque ancien des ‘choses comme elles sont’ au ‘style du
charme éthéré’ des poètes médiévaux, Ki no Tsurayuki et ses émules. Car les transports
offerts ici sont multiples. D’une gare à l’autre, certes, mais aussi dans le temps, puisque les
pétales de cerisiers renvoient aux tankas de Heian et au teint ‘peaches and cream’ des
héroïnes victoriennes ; dans l’espace ensuite : Tokyo évoque Londres, sa ‘drabness’
pluvieuse, les nuages de Constable glissent de gauche à droite comme la calligraphie
japonaise, les demoiselles du métro ‘tchachent excitedly’, dans le sabir hybride de la prose.
Enfin l’épisode du Musée Toto (célèbre marque de sanitaires japonais), nous entraîne vers des
transports inattendus, plus éthérés encore, ceux de l’âme : émerveillement, extase, ‘style qui
dépasse les mots’, ‘floraison magique’ (mais aussi bien sûr ‘style du double sens’).
Et pourtant, dans ce Japon-là, aucun exotisme. Mais une profonde empathie. L’érudition
n’est jamais surplombante, le cliché d’un monde à l’envers, impénétrable ou mystérieux, est
absent. Modestie, attention au quotidien, mélancolie et humour même sont ceux de la poésie
japonaise ancienne, où la posture du poète n’existe pas, mais se fond dans une mémoire plus
vaste : transfert inédit, Tokyo infra-ordinaire, cette prose post-moderne, digressive,
arborescente, s’insère (ou se transporte) dans cette tradition revendiquée.
LAÏLI DOR (INALCO, Paris, France) Session 2
‘Regards français contemporains sur la calligraphie japonaise’
Du 14 mars au 14 mai 2012 s’est tenue au musée Guimet une exposition intitulée ‘Sho 1 : 41
maîtres calligraphes contemporains du Japon’, qui devrait constituer le point de départ d’une
collaboration régulière entre le musée et l’Association de Calligraphie du Mainichi (Mainichi
Shodô-kai). Cette manifestation invite à réfléchir sur la façon dont la calligraphie japonaise
est perçue et exposée en France. Elle doit, nous semble-t-il, être replacée dans un cadre à la
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fois diachronique (combien d’expositions ont-elles été organisées depuis que la calligraphie
s’est ouverte à l’international après la seconde guerre mondiale ? Comment celle du musée
Guimet s’inscrit-elle dans cette lignée ?) mais aussi synchronique (quelle comparaison entre
cette exposition, et d’autres qui se sont tenues en France à la même époque ?).
À partir de ces considérations empiriques, nous aimerions dériver une réflexion plus
générale sur la place accordée à la calligraphie dans la présentation de l’art japonais en France
(ex : comparaison avec les expositions consacrées à d’autres arts comme l’estampe), tout en
tenant compte d’un problème spécifique, à savoir la difficulté de présenter un art de l’écriture
à un public occidental qui ne lit pas le japonais. Quels sont, dès lors, les dispositifs
d’accompagnement mis en place ?
Cette réflexion aboutit à un bilan en demi-teinte : la calligraphie japonaise est peu
présente (notamment en comparaison de son équivalent chinois) dans les musées, ou dans les
expositions nationales, qui tendent par ailleurs à se concentrer sur un secteur bien particulier,
celui des artistes contemporains membres des grandes associations. Parallèlement, on constate
toutefois un certain nombre de petites expositions individuelles ou regroupant quelques
artistes, dont la démarche est souvent plus novatrice, mais qui ne bénéficient pas d’un
retentissement comparable. Entre soutien institutionnel et initiatives individuelles, où se situe
dès lors l’avenir de la calligraphie japonaise en France ?
MICHAËL FERRIER (Université Chuo, Tokyo, Japon) Conférence plénière 1
‘Paris-Tokyo-et après ? Les écrivains du corail, ou d’une nouvelle arborescence dans la
réception de la culture japonaise’
PHILIPPE FOREST (Université de Nantes, France) Conférence plénière 2
‘Retour à Sôseki : Théorie de la littérature et autres livres de ma bibliothèque japonaise’
S’il faut revenir à Sôseki, c’est que l’expérience que celui-ci vécut au tout début du vingtième
siècle lors de son séjour à Londres et dont témoigne Théorie de la littérature a valeur
fondatrice. Elle marque le moment où la littérature moderne s’éveille vertigineusement à une
conscience proprement mondiale de sa situation. En ce sens, elle détermine le rapport vrai que
doivent entretenir les littératures d’Orient et d’Occident et en fonction duquel un romancier
français peut penser sa relation au Japon.
LISE GUIOT (Université de Montpellier III, France) Session 2
‘Réceptions du bunraku et questions d’écritures : matière littéraire et dramatique versus
matériau dramaturgique’
En 1968, Jean-Louis Barrault invite la troupe Bunraku-za à l’Odéon à Paris. Le monde du
théâtre est touché, puis les arts de la scène dans leur ensemble. La réception du bunraku, art à
son apogée à l’époque d’Edo, constitue une étude de cas féconde si l’on aborde, selon un
questionnement esthétique en arts du spectacle, le bunraku comme nouvel élan artistique pour
la scène contemporaine.
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Cette communication se concentrera sur la vision barthésienne du bunraku, exposée
dans L’Empire des signes en 1970 ainsi que les explorations de la scène française et leurs
modes d’appropriation du bunraku. Le monde du spectacle vivant s’est imprégné des effets
visuels de cet art : manipulation à vue, dédoublement, décomposition en présences multiples,
interrogation scénographique, tension entre réalisme et stylisation, non-distinction des arts…
Des artistes comme Fanny De Chaillé, Dominique Houdart, Ariane Mnouchkine ou Jacques
Nichet ont mêlé musique, théâtre et chorégraphie créant chacun une esthétique d’une
théâtralité augmentée d’hybridation artistique et de syncrétisme culturel.
Dans quelle mesure l’écart esthétique entre la réalité du bunraku traditionnel rendue
accessible par la traduction de Jeanne Sigée d’Imoseyama ou L’Education des femmes de
Chikamatsu Hanji et la vision du bunraku fantasmé par ces metteurs en scène permet-il
d’apprécier des désirs en tension : préservation d’une forme artistique complexe importée et
rôle rénovateur d’une telle rencontre intériorisée ?
OSAMU HAYASHI (Université de Fukushima, Japon) Session 2
‘Marguerite Yourcenar et le Nô’
Dans la présente communication, je me propose de réexaminer le rapport entre l’œuvre de
Marguerite Yourcenar et le théâtre classique Nô. L’écrivaine de langue française s’est très tôt
intéressée au Nô. En 1932, elle publie une pièce de théâtre inspirée du Nô, Le Dialogue dans
le Marécage. Un demi-siècle plus tard, dans les années 80, elle écrit un essai sur Mishima
(Mishima ou la vision du vide) pour qui le Nô a été l’une des sources d’inspiration les plus
importantes. Pendant son long séjour au Japon, elle assiste pour la première fois à des
spectacles de Nô, dont elle laissera des impressions plus négatives qu’admiratives, publiées
dans l’ouvrage posthume Le Tour de la Prison. Dans le même temps, elle entreprend la
traduction française de Cinq Nô Modernes de Mishima qui sera publiée en 1984.
Il est vrai que Yourcenar a continué à s’intéresser au Nô pendant toute sa carrière
d’écrivaine. Mais, comme elle ne connaissait pas la langue, son appréciation et sa
compréhension du théâtre japonais se sont toujours effectuées de façon indirecte, c’est-à-dire
à partir de traductions et d’essais (ceux de Steinilber-Oberlin, de Noël Péri, de Donald Keene
ou encore de Paul Claudel) parus en langue française ou anglaise. Comment a-t-elle dès lors
compris le Nô ? Qu’est-ce qui l’a intéressée et a inspiré son écriture dans ce théâtre
classique ? Enfin, qu’était exactement le Nô pour elle ? Telles sont les questions auxquelles
nous essaierons de répondre.
AKANE KAWAKAMI (Birkbeck, Université de Londres, Royaume Uni) Conférence
plénière 3
‘Flâneurs cosmopolites : écrire/voyager entre Paris et Tokyo’
Est-il toujours possible de flâner, au 21ème siècle ? Dans cette intervention, je tenterai
d’esquisser une nouvelle morphologie (et géographie) pour le flâneur de notre ère – un
personnage plus limité que le flâneur baudelairien du 19ème siècle, longeant les grands
boulevards parisiens, mais qui n’en conserve pas moins les caractéristiques essentielles, c’està-dire l’attention et la disponibilité à ce qui l’entoure. Je compte également analyser les
nouvelles manières de flâner de deux écrivains-promeneurs du 21ème siècle, Gérard Macé et
Horié Toshiyuki, le premier à Tokyo, Kyoto et Izumo, ainsi que dans ses propres lectures, et
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le second en banlieue parisienne, en compagnie de ses auteurs francophones préférés. Ma
conclusion suggérera d’une part qu’adopter l’attitude du flâneur au 21ème siècle est une façon
d’éviter les visions réductionnistes et productrices de stéréotypes de l’orientalisme et de
l’occidentalisme, ainsi que le stéréotype de la flânerie elle-même, et d’autre part que les
lectures de ces auteurs, bien plus libres que la lecture barthésienne de la métropole japonaise,
tiennent moins de la sémiologie que du bricolage, et peut-être aussi d’un désir non pas de
l’Autre, mais d’un ‘autre’.
MARC KOBER (Université Paris 13, France) Session 5
‘La fiction franco-japonaise aujourd’hui. Le complexe de Madame Chrysanthème
dépassé ?’
Existe-t-il des caractéristiques communes pour la fiction écrite par des auteurs français au
sujet du Japon ou des Japonais ? Et plus rarement, par des auteurs japonais ou français au
sujet de la communauté japonaise résidant en France ? Enfin, très rarement, par des auteurs
japonais, ou d’origine japonaise, écrivant en français ? Dans la plupart des cas, ces fictions se
présentent comme le compte-rendu d’une expérience de déplacement identitaire, où l’intime
devient extime, avec une valeur didactique et heuristique affichée. Laissant de côté les
‘chroniques’ et autres ‘voyages au Japon’ qui relèvent de la littérature de voyage, le
vécu/imaginaire offert en partage par un premier ensemble de récits est souvent la
reformulation d’un scénario tragique entre un héros masculin français et une femme
japonaise. Ce schéma de domination, teinté parfois d’exotisme, de sexisme, et de
colonialisme, est pourtant vieux d’au moins un siècle. Mais il ressurgit comme l’impensé d’un
certain nombre de fictions. Ce complexe de Madame Chrysanthème est redoublé par la
persistance de la figure de la Geisha, qui incarne un idéal féminin mystérieux. Cette
différence culturelle est l’argument décisif de nombreux essais qui viennent approfondir
l’énigme plus que déconstruire sa signification, tout au moins en France. L’essentialisation de
l’autre débouche sur un cloisonnement. Le lien amoureux s’exacerbe, mais l’autre japonais
(ou français) se situe presque en dehors de toute compréhension.
Le caractère conflictuel de la relation décrite sur un plan individuel s’associe à la
perception collective d’un pays dangereux, hanté par la dernière guerre et par une violence
latente. Dans le domaine de la littérature populaire, du thriller au polar, mais aussi dans celui
du récit historique de la capitulation, comme un niveau ‘zéro’ de l’histoire contemporaine, les
auteurs anglo-saxons dominent, mais l’imaginaire guerrier, et une figure virile issue de
l’éthique du samouraï, hantent bien des intrigues, dans un univers urbain tentaculaire et
traversé par les forces du mal.
Il existe enfin une autre direction de la fiction aujourd’hui, celle d’une autofiction
réflexive, qui se tient en général à distance des clichés. Elle se confond parfois avec le récit
d’un voyage, mais suit également la durée brève d’un séjour, ou l’expérience de résident au
long cours. La fiction née dans l’après-Fukushima, entre témoignage et autofiction, est sans
doute l’occasion d’approfondir une représentation plus juste du Japon, mettant en avant
l’interaction entre les cultures et décrivant davantage les aspects socio-économiques. Ce type
de fiction souligne enfin une communauté d’expérience, et interroge nos propres modèles
sociétaux.
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KYOKO KOMA (Université Mykolas Romeris, Lituanie) Session 5
‘Le stéréotype de la femme japonaise exotique formé à travers la réception de la mode
japonaise en France depuis 1945’
Dans notre étude, nous tenterons d’examiner comment, depuis 1945, la femme japonaise est
présentée comme un objet exotique dans les médias français traitant de la mode japonaise.
Nous nous focaliserons sur trois phénomènes : Kenzo Takada, un des fondateurs du prêt-àporter parisien au début des années 1970 ; le ‘phénomène japonais’ représenté par Rei
Kawakubo et Yoji Yamamoto, qui a bouleversé les idées traditionnelles de la mode
occidentale dans les milieux de la mode parisienne des années 1980 ; et enfin le ‘kawaii’, un
des mots clés de la culture populaire japonaise diffusée en France et dans le monde, véritable
outil de la diplomatie publique du gouvernement japonais, considéré par le ministère de
l’Éducation comme le deuxième japonisme.
Notre hypothèse est qu’à travers ces trois périodes différentes, la représentation de la
femme japonaise ne varie pas : exotique, immature, incompréhensible, très loin de l’image
française de la ‘femme’. De plus, cette représentation semble être l’héritière du premier
japonisme (autour du début du 20ème siècle). Dans Madame Chrysanthème, Pierre Loti décrit
la mousmé japonaise comme un objet ou un bibelot et constate : ‘– En décrivant les choses de
ce pays-ci, on est tenté de l’employer dix fois par ligne. Petit, mièvre, mignard – le Japon
physique et moral tient tout entier dans ces trois mots-là…’ Comme le dit Michel Butor dans
Le Japon depuis la France. Un rêve à l’ancre, ‘P. Loti se sent adulte par rapport à un pays
enfant, un pays où se perpétue le paradis de l’enfance.’ Nous allons tenter d’éclairer comment
cette image persistante de la femme japonaise est construite à travers la représentation de la
mode japonaise dans les médias français d’après-guerre.
ANDRÉ LAIDLI (Université Jean Moulin - Lyon 3, France) Session 1
‘Le zuihitsu, un genre français ? La réception de l’écrit au fil du pinceau, de Georges
Perec à Michaël Ferrier’
En donnant au début des années 1990 une première livraison des Petits traités, Pascal
Quignard mettait au point une littérature ‘déprogrammée’, fragmentaire, dont il trouvait
l’esprit aussi bien dans la littérature française de l’âge classique (Pierre Nicole, La Bruyère,
Saint-Evremond) que dans l’essai japonais ‘au fil du pinceau’ (zuihitsu) de Sei Shônagon ou
d’Urabe Kenkô (auxquels il rendra hommage à plusieurs reprises). Ce faisant, Pascal
Quignard s’inscrit dans une tendance française importante qui, de Georges Perec à Michaël
Ferrier, a fait du zuihitsu un genre littéraire à la fois parfaitement voisin de la littérature
fragmentaire française, mais également tout à fait moderne (en marge des grands genres, et
soucieux de scruter l’‘infra-ordinaire’, selon l’expression, précisément, de Perec).
Cette lecture possède, en France, une histoire, que nous voudrions présenter et
interroger. Dès 1910, Michel Revon, dans son Anthologie de la Littérature Japonaise des
Origines au XXe siècle, pose les jalons d’une lecture moraliste du zuihitsu (René Sieffert
voyait ainsi dans Kenkô un ‘Montaigne de l’Extrême-Asie’). Au point que les traductions
françaises (aux éditions Gallimard) présentent elles-mêmes les auteurs classiques du zuihitsu
comme de lointains moralistes, et restituent dans une langue parfois très proche de Montaigne
ou La Bruyère les textes japonais.
La proximité entre le zuihitsu et la littérature moraliste – dans laquelle Nietzsche voyait
l’expression la plus aboutie des lettres françaises – n’est pas sans poser certains problèmes
(quoi de plus éloigné des Maximes de La Rochefoucauld que la prose d’un Kamo no
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Chômei ?). Mais elle explique sans aucun doute la fortune si rapide – voire, l’assimilation ? –
du zuihitsu dans la littérature française contemporaine.
TIPHAINE LARROQUE (Université de Strasbourg, France) Session 4
‘Reconnaître ou entrevoir le Japon, familiarité ou dépaysement du voyage : œuvres
audiovisuelles de Dominique Gonzalez-Foerster et de Robert Cahen’
Lorsque les artistes convoquent des cultures qui leur sont étrangères à travers leurs œuvres, ils
n’ont pas pour but d’en donner une explication objective. Ils ont ainsi la possibilité de cultiver
leur interprétation personnelle, leur vision intuitive de l’ailleurs. Dans ce contexte, les œuvres
audiovisuelles résultant de voyages d’artistes français au Japon peuvent être questionnées
comme des documents subjectifs susceptibles de livrer des informations sur les
caractéristiques et les fonctions de la perception contemporaine du Japon au sein de
démarches artistiques. Cette communication propose d’envisager deux cas particuliers
d’artistes qui utilisent leur compréhension de la culture nippone pour provoquer une mutation
dans la signification attribuée en Occident au monde qui nous entoure et ce, au moyen des
images en mouvement. Riyo (1999) de Dominique Gonzalez-Foerster consiste en un
travelling le long de la rivière de Kyoto et Corps flottants (1997) de Robert Cahen a été tourné
dans les thermes de Kusatsu. Ces œuvres s’inscrivent dans le phénomène d’accroissement de
l’intérêt pour la vie quotidienne au Japon. Cependant, les deux artistes introduisent de la
fiction qui souligne le processus d’intégration de leur perception du Japon. Pour autant,
chacun d’eux adopte une position distincte. Gonzalez-Foerster revendique l’assimilation de la
culture japonaise comme relevant d’une inclinaison naturelle. En cela, son attitude
s’apparente à celle du cosmopolite comme en témoigne le concept de tropicalité, forgé par
elle-même, qui renvoie à l’adaptation de la modernité architecturale occidentale à un climat
tropical de villes d’Asie (Tokyo, Hong Kong, Taipei) mais aussi d’Amérique du Sud
(Brasilia, Rio de Janeiro, etc.). Différemment, Cahen assume sa position d’étranger à la
civilisation japonaise en proposant une approche du Japon qui passe par le biais du
personnage du roman Oreiller d’herbes (1906) de Natsume Sôseki. Corps flottants provoque
‘le recul des signes’ (Barthes) et les sentiments de distanciation et de fusion avec l’ailleurs
japonais propre à faire surgir le Divers théorisé par Victor Segalen.
EMMANUEL LOZERAND (INALCO, Paris, France) Session 3
‘La dilution du sujet japonais chez les intellectuels français au tournant des années
1970’
1968, Alexandre Kojève (‘Notes’ de la 2ème édition de l’Introduction à la lecture de Hegel) ;
1970, Roland Barthes (L’Empire des signes) ; 1971, Jacques Lacan (‘Lituraterre’) : au
tournant des années 1970, les plus célèbres intellectuels parisiens s’intéressent au Japon pour
entonner à l’unisson l’antienne de la ‘dilution’ du sujet japonais.
Ces discours ineptes, sévèrement critiqués par des intellectuels japonais comme Ishida
Hidetaka ou Karatani Kôjin, n’ont jamais été remis en question en France. Ne sont-ils pas
pourtant à la racine de ‘l’esthéticentrisme’ (Karatani) qui caractérise le néo-japonisme
contemporain ? Ils ne constituent d’ailleurs, en réalité, qu’une simple variation sur le vieux
stéréotype de l’absence d’individualité au Japon, cristallisé dans le dernier tiers du 19ème
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siècle, et toujours vivant, avec d’infimes ajustements, face aux yellow monkeys de la Seconde
Guerre Mondiale aussi bien qu’à l’égard des salarymen de la Haute Croissance.
Cette élégante mise au goût du jour d’un poncif d’origine racialiste et colonialiste est née
d’une double influence : celle de la révolution conservatrice allemande (Keyserling, Herrigel
et Heidegger), qui instrumentalise le Japon dans sa lutte contre le sujet occidental, celle d’un
auto-japonisme d’exportation qui, par le biais de Suzuki Daisetsu ou Kawabata Yasunari,
diffuse l’idée d’un Japon Zen, fondé sur le Vide et la mise à mort du Sujet.
Pourquoi cette ‘occultation idéologique’ (Barthes) n’a-t-elle jamais été remise en cause
depuis 40 ans ? Il suffirait en effet, pour voir apparaître des sujets japonais, de leur prêter
l’oreille : d’écouter leur parole, dans leur langue, et de les reconnaître dans leur histoire, qui
est aussi la nôtre.
CATHERINE MAYAUX (Université de Cergy-Pontoise, France) Session 3
‘Philippe Forest, une consonance avec un autre Japon’
Dans La Beauté du contresens, Philippe Forest évoque ‘l’image d’un autre Japon – d’une
sorte de contre-Japon’ qui s’est construite dans les œuvres des romanciers japonais modernes
et s’oppose à la fiction d’un Japon éternel, à la fiction idéologique d’un Japon pur (pp. 134–
5). Qu’en est-il dans son œuvre propre, dans quelle mesure son imaginaire japonais est-il
tributaire du renouvellement des représentations de la littérature japonaise, elle-même
marquée par les ‘grandes expériences de la modernité occidentale’ ? Nous nous proposons de
relire son œuvre, Sarinagara en particulier, au filtre des lectures et commentaires qu’il a luimême produits de la littérature japonaise qu’il a lue et appréciée.
ANNE-GAËLLE SALIOT (Université Duke, États-Unis) Session 4
‘La beauté du contre-geste : TeZuKa de Sidi Larbi Cherkaoui (2011)’
L’influence du Japon sur la danse contemporaine française et belge a été capitale dès les
années 70. L’impact du butô en France a été bien documenté par les travaux de Sylviane
Pagès. Il a suscité une fascination chez nombre de chorégraphes français, tels Catherine
Diverrès et Angelin Preljocaj. Cette fascination n’était pas sans malentendus, parmi lesquels
l’association immédiate du butô à Hiroshima. Les corps, blancs, sinueux, voûtés ont été lus
presque systématiquement comme les signes d’une figuration de la catastrophe. Plus
récemment, l’épopée japonaise de Jiri Kylian, Kaguyahime, inspirée par un conte du 10ème
siècle, a fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, affirmant la longévité d’un certain
imaginaire du Japon dans le monde de la danse.
Cette communication se penchera sur une des dernières créations multimédia du
chorégraphe flamand et marocain Sidi Labi Cherkaoui, TeZuKa. Depuis une dizaine d’années,
Cherkaoui a conquis les scènes parisiennes et largement participé à une recomposition du
paysage de la danse contemporaine en France. Inspirée par le ‘dieu des mangas’ et père
d’Astro Boy, Osamu Tezuka, cette performance fut donnée à la Grande Halle de la Villette en
mai 2011 par une compagnie d’artistes japonais et européens. Elle offre une mise en danse du
manga en associant, dans un dispositif scénique complexe, chorégraphie, calligraphie, images
et musique. Je me propose d’explorer la façon dont Cherkaoui réactive paradoxalement
certains clichés associés au Japon, réactivation qui tissée de contresens, n’en affirme pas
moins, une beauté du contre-geste (pour paraphraser Proust après Philippe Forest). Répétée
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d’abord à Tokyo en mars 2010, la création fut interrompue par le tremblement de terre et le
tsunami de mars 2011, puis reprise quelques mois plus tard. La narration de TeZuKa qui
s’attache à restituer la vie du héros éponyme et à présenter les principaux personnages de sa
fresque, ne manque pas de relier bombe atomique, genèse d’Astro Boy et catastrophe
nucléaire de Fukushima, réitérant ainsi l’histoire de la réception de la culture nippone au sein
de la danse contemporaine. La chorégraphie est une folie des signes à la Roland Barthes, où
se mêlent corps transformés en Kanjis et calligraphie peinte sur les corps, puis projetée sur les
écrans. Cherkaoui qui déclare que ‘les mangas lui ont permis de comprendre le Kabuki,
comme Louis de Funès et Coluche lui ont donné les clés de la culture française’ révèle par
cette esthétique du contre-geste le vif désir de réinscrire la danse contemporaine dans la
culture populaire et l’espace quotidien.
BRUNO SIBONA (Université d’Aberystwyth, Royaume Uni) Session 7
‘Rituels d’écriture dans l’espace urbain : Kyoto’
Je me propose de brièvement comparer quatre textes – deux romans, un récit de voyage et un
traité d’esthétique – tous focalisés sur Kyoto et qui, au-delà des genres, mettent en scène des
pratiques rituelles en un lieu donné, en l’occurrence les temples de l’ancienne capitale. Ces
textes peuvent-ils nous informer sur la production littéraire en tant que pratique rituelle ?
Pouvons-nous établir des parallèles entre rites et écritures intervenant dans une praxis spatiale
donnée ? J’avancerai l’hypothèse que les mises en fiction de rites et les descriptions de hautslieux rituels favorisent de manière particulière la production de texte, que les espaces rituels
réels promeuvent inspiration poétique et création artistique.
Les ouvrages que j’ai l’intention d’étudier sont, pour la partie francophone :
Chronique japonaise, de N. Bouvier (1989) et Kyoto, un monde qui ressemble au monde, de
G. Macé (2000), à la lumière de, pour la partie japonaise : Le Pavillon d’or, de Y. Mishima
(1956) et Kyoto, de Y. Kawabata (1968). Mon appareil théorique se basera sur les études sur
l’espace de Bachelard et de Michel de Certeau, mais se situera également dans le
prolongement des travaux de C. Prendergast et de M. Sheringham sur la littérature en milieu
urbain appliqués à la spécificité urbaine nippone dans laquelle le profane et le sacré ne se
trouvent pas délimités ou ségrégués comme ils le sont en Europe. Mon analyse vise donc à
ébaucher un examen des conditions de production du texte chez ces auteurs francophones,
Bouvier et Macé, soumis à l’influence intense et très ciblée de l’univers esthético-spirituel et
de l’espace urbain japonais.
URSULA TIDD (Université de Manchester, Royaume Uni) Session 1
‘“L’œil d’abord” :1 le wabi sabi et “l’infra-ordinaire” de Georges Perec’
Les écrits de Georges Perec sont reconnus comme étant des plus innovateurs dans la période
de l’après-guerre en France. L’importance attribuée par Perec au quotidien et à des
‘contraintes’ littéraires telles le clinamen et le lipogramme lui a permis de produire de
nouvelles formes littéraires créatrices ainsi que de nouvelles manières de ‘voir’ l’infraordinaire comme une sorte de matériel brut à la fois du texte littéraire et de la vie : ‘Nous
avons un mot pour la liberté, qui s’appelle le clinamen, qui est la variation que l’on fait subir à
1
Georges Perec, Les Choses (Paris: Julliard, 1965), p. 9.
10
une contrainte […]. Le fait de tricher par rapport à une règle ? Là, […] il y a une phrase de
Paul Klee que j’aime énormément et qui est : Le génie, c’est l’erreur dans le système.’2 Dans
cette intervention, nous nous proposons d’ouvrir un dialogue entre le wabi sabi, un concept
esthétique et spirituel dérivé de principes bouddhistes zen et l’infra-ordinaire de Georges
Perec dans Espèces d’espaces (1974), Penser/Classer (1985) et L’Infra-ordinaire (1989).
Comme Michael Sheringham l’a souligné, l’écriture du quotidien implique souvent une
convergence des traditions philosophiques occidentales et orientales.3 Le wabi sabi prône le
retour à la simplicité du quotidien, l’imparfait et le transitoire comme forme de rencontre avec
la beauté de l’inaperçu et l’insignifiant. En tant que manières de voir autrement, le wabi sabi
et l’infra-ordinaire de Perec proposent une liberté spéculaire qui valorise un retour à l’intimité
de l’expérience vécue.
2
Georges Perec, Conférence prononcée à l’Université de Copenhague, le 29 octobre 1981, dans Georges Perec,
Entretiens et conférences vol. II, p. 316.
3
Michael Sheringham, Everyday Life. Theories and Practices from Surrealism to the Present (Oxford: Oxford
University Press, 2006), p. 357.
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