de Jean-Baptiste de La Quintinie - Agropolis

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de Jean-Baptiste de La Quintinie - Agropolis
Des « grosses productions » de Jean-Baptiste de La Quintinie (17e siècle) au
concours du potiron le plus gros : construire l’histoire et valoriser un patrimoine
végétal avec les potagers historiques
Antoine JACOBSOHN et Manuel PLUVINAGE
Responsable adjoint et responsable
Potager du roi / ENSP
10 rue du Maréchal Joffre 78000 VERSAILLES
« À qui devons-nous plus de reconnaissance pour les bons fruits, les légumes et les belles
fleurs dont nous jouissons, à ceux qui nous en ont apporté l’espèce de pays étrangers, ou à
ceux qui ont réussi à en faire naître les races distinguées, les variétés d’élite, qui ont depuis
entièrement supplanté les anciennes » ?
Antoine Nicolas Duchesne, Le jardinier prévoyant, Paris, 1779.
Les voyageurs – aventuriers, médecins, savants, marchands, aristocrates - ont été les
premiers acteurs de l’adoption et de l’adaptation européenne des cucurbitacées du Nouveau monde.
Mais les cultivateurs et les jardiniers, ainsi que ceux que nous appelons aujourd’hui les
consommateurs, sont rapidement venus les rejoindre. Les ressemblances physiques de ces nouvelles
plantes avec les cucurbitacées déjà présentes et bien intégrées dans les systèmes de production et de
consommation en Europe, ont sûrement facilité leur diffusion. Avant la montée en puissance
internationale des courgettes au XXe siècle et le triomphe actuel des courges décoratives, quels ont
été les étapes et les acteurs de la constitution du patrimoine européen des variétés de courges et de
potirons ? C’est à cette interrogation que l’exposition « L’épopée des courges : cultures et
consommations en Europe » a voulu apporter quelques éléments de réponses. La première partie de
cet exposé aborde quelques éléments de l’histoire des variétés des courges en France, la deuxième
présente l’extension de ces interrogations à l’échelle de l’Europe et la dernière partie constitue une
réflexion sur le contexte actuel de patrimonialisation des potagers historiques et les spécificités de la
valorisation du patrimoine végétal légumier.
1. La constitution de la diversité française
1.1 Un florilège de noms
Quand les voyageurs ramènent les courges américaines, c’est d’abord un patrimoine végétal
des Amérindiens. Une fois en Europe, les médecins, les botanistes, les jardiniers et les cultivateurs
vont transformer ces plantes en patrimoine végétal européen. Pour prendre le seul exemple français,
nous pouvons noter qu’autour de certaines villes vont se stabiliser : la courge ‘de Nice’, la courge
‘verte de Marseille’, la courge ‘de Montpellier’, la courge ‘de Mirepoix’, la courge ‘de Laussagne’,
le potiron ‘galeux d’Eysines’ et sa variante la courge ‘brodée de Thoumain’, la courge ‘melonnette
de Bordeaux’, le potiron ‘d’Alençon’, le potiron ‘musqué d’Ancenis’. Dans la région parisienne, ce
sont le potiron ‘jaune gros’ de Paris et sa variante le potiron ‘Nicaise’, le ‘rouge vif d’Etampes’, le
‘bronzé de Montlhéry’, le ‘gris de Boulogne’, qui seront maintenues. Dans les campagnes vont
apparaître la ‘muscade de Provence’, la courge ‘de Breil’, la ‘courge melonnée du Midi’, la ‘tuque
d’Hérépian’, la citrouille ‘de Touraine’, la courge ‘sucrine du Berry’, la ‘melonette jaspée de
Vendée’, la courge ‘d’Alsace’. Cette liste demande à être complétée (voir la bibliographie pour la
liste partielle d’ouvrages utilisés).
Au moins trois commentaires sur l’énumération de noms ci-dessus s’imposent. Il faut noter
la dispersion de la diversité ; en fait peu de variétés sont du même endroit. La diversité n’est pas
propre à une région mais à un ensemble de régions. L’énumération des courges des environs des
villes prend son départ dans le Sud-est, pour rejoindre ensuite le Sud-ouest avant de monter vers
l’Ouest et la région parisienne. Celle des courges de la campagne suit le même chemin, mais aboutit
encore plus loin, dans le Nord-est, en Alsace. Il s’agit de montrer que la diversité n’est pas le fait
d’un seul endroit. La réunir dans un seul endroit, dans une collection, est utile et nécessaire pour la
recherche scientifique. Toutefois, une collection n’est pas représentative du mode de constitution de
la diversité.
Le deuxième commentaire concerne l’existence de populations différentes à l’intérieur de
chaque variété. Tant que chaque cultivateur faisait quelques portes-graines des légumes qu’il
réussissait le mieux, souvent pour les échanger contre d’autres types de graines avec d’autres
cultivateurs plus ou moins éloignés, une variété connaissait des sélections différentes. À l’intérieur
de l’appellation, par exemple, de ‘galeux d’Eysines’, chaque cultivateur n’avait pas une population
strictement semblable. C’est ainsi qu’à probablement pu apparaître la variante ‘brodée de
Thoumain’ (Carrière, 1890). Une des raisons pour la baisse de la diversité génétique des variétés au
XXe siècle est bien la forte diminution du nombre de personnes faisant eux-mêmes leurs semences.
En contrepartie, il ne faut pas négliger que, depuis que ce sont des professionnels de la sélection et
de la multiplication des semences qui dominent le marché des graines, les variétés sont plus fiables
du point de vue de leur stabilité et de leur état sanitaire.
1.2 Une histoire des noms
Le troisième commentaire sera légèrement plus étendu que les précédents ; il concerne la
période à laquelle apparaissent ces variétés qui portent des noms de lieux (ou éponymes). À
l’exception du potiron ‘jaune gros’, dit « de Paris », et de la citrouille ‘de Touraine’, qui sont
appelés ainsi à partir de la fin du 18e siècle, l’énumération de courges par laquelle nous avons
commencé ont en commun d’avoir reçu leurs noms, d’avoir été ainsi identifiée, qu’à partir de la
deuxième moitié du XIXe siècle. Lorsqu’Antoine-Nicolas Duchesne décrit la collection de courges
qu’il a rassemblée à Versailles à partir de 1768, la plupart des noms sont des termes génériques :
« orangin », « potiron jaune », « giraumon vert pâle », « citrouille musquée », … (Duchesne, 1786).
Il faut attendre la Description des plantes potagères (1856) et les éditions successives de son
successeur Les Plantes potagères (1883, 1891, 1904, 1925) des établissements Vilmorin-Andrieux
pour que la diversité des noms indiquant une sélection locale apparaisse dans une série cohérente.
Toutefois, ces ouvrages ne sont pas eux-mêmes exhaustifs, et il faut les compléter par d’autres
comme ceux d’Antoine Dumas (La culture maraîchère pour le midi de la France, 4e édition,
1880), ainsi que par un dépouillement aussi large que possible des catalogues de grainetiers. Mais
finalement, quelles sont les raisons possibles pour cette apparition à partir de la deuxième moitié du
XIXe siècle de noms qui désignent immédiatement une variété comme locale ?
En l’absence de recherches suffisamment avancées pour pouvoir présenter des réponses
solidement argumentées ne seront présentées ici qu’une série d’hypothèses à vérifier. Une première
raison possible est d’ordre cultural : le genre Cucurbita est particulièrement variable et il a fallu un
temps relativement long avant que les cultivateurs développent les méthodes empiriques nécessaires
pour stabiliser des variétés locales. Il faut sûrement prendre en compte qu’il faut un certain laps de
temps pour que ces plantes rentrent dans les systèmes de culture ; la multiplication et la diffusion
d’une plante prennent du temps. Ce n’est qu’une fois qu’un nombre statistiquement important de
plantes sont cultivées dans un territoire donné, qu’une sélection peut se faire et une variété
spécifique à cet endroit apparaître et être maintenue. C’est d’autant plus vrai qu’il n’y a pas eu un
seul arrivage de courges en provenance des Amériques mais plusieurs, à plusieurs époques et de
plusieurs endroits, qui, de surcroît, circuleront aussi à l’intérieur de l’Europe. D’un côté Duchesne
mentionne des courges « originaires » ou en provenance des Antilles, du Canada, d’Afrique du nord
(« Barbarie »), de l’Inde et de l’Ile de la Réunion (« Ile de France ») et de l’autre il réussit à s’en
procurer en Allemagne, en Angleterre et en Italie (Duchesne, 1779, 1786 et BNF ms fr 12333). Il y
a une sorte de temps de latence avant qu’une variété locale puisse voir le jour. Par ailleurs, il
faudrait prendre en compte une histoire différenciée selon les espèces. Certaines plantes (surtout les
autogames) sont plus faciles, du point de vue du cultivateur, à reproduire sans grandes variations.
C’est le cas des pois ou des haricots. D’autres, comme les choux, les laitues et les courges,
nécessitent des précautions particulières. C’est le cas des choux et des courges. Mais les raisons ne
peuvent être réduites à celles concernant la biologie de la plante et les techniques de production des
cultivateurs.
Une histoire des pratiques de nomination des variétés doit être mise à contribution et, avec
elle, une histoire du commerce des semences légumières. Les quelques noms de variétés présents
dans les écrits des agronomes grecs et romains de l’Antiquité sont généralement fondés sur la
forme, la couleur ou le nom d’un lieu ou d’une personne. Au Moyen âge et surtout à la Renaissance,
les médecins et les botanistes qui observent la flore et les productions agricoles qui les entourent
utilisent des périphrases descriptives en latin qui semblent rarement inclure la provenance supposée
ou connue de la plante. Ou si cette provenance est mentionnée, c’est de manière très générale.
Quand, au milieu du XVIIIe siècle, un auteur comme de Combles (1749) se penche sur la
description des variétés légumières, il reproduit ce schéma. Duchesne, quelques années plus tard, a
une pratique semblable : ce n’est qu’au détour d’une phrase qu’apparait une indication de
provenance géographique spécifique ou encore l’existence d’une culture locale liée à une variété
particulière. La majorité des variétés que décrivent ces deux auteurs ne portent pas un nom qui les
désigne comme des variétés locales. Mais est-ce pour autant un témoignage en faveur de l’absence
de variétés locales ? Cela semble peu probable.
Il faudrait un travail approfondi sur la notion même de variété locale, sur l’historicité de
cette notion ainsi que sur la durée de vie d’une variété dite locale, sur son inscription dans le
commerce, et les mutations, variations, qu’elle peut subir ou effectuer. Le travailler pionnier en
France de Philippe Marchenay (et de Marie-France Lagarde, 1987) ainsi que les recherches du
laboratoire « Ressources et terroirs » qu’il co-dirige, vont dans ce sens. Faut-il appliquer aux
légumes la distinction entre variétés paysannes et variétés bourgeoises ainsi que Charles Populer a
développé ces notions pour les fruits (1999) ? Remarquons que cette distinction n’est
principalement valable que pour le XIXe siècle et ne semble pas opérante ni pour la période
précédente ni pour la situation actuelle. À partir de la fin du XVIIIe siècle et surtout à partir de la
deuxième moitié du XIXe siècle, la coïncidence entre, d’un côté, l’accroissement du nombre de
variétés légumières désignées par des noms de lieux et non plus par leurs caractéristiques physiques
génériques et, de l’autre, la mise en place d’un réseau de grainetiers servant principalement des
collectionneurs de plantes et des amateurs de l’art des jardins, ne doit pas faire croire que des
variétés locales n’existaient pas auparavant. Il est à espérer que si le travail effectué au Potager du
roi sur les courges n’apporte pas de réponse satisfaisante à ces questions, il a toutefois posé
quelques jalons sur une perspective qui continuera à être poursuivie.
L’hypothèse que nous sommes amenée à formuler est donc la suivante : la multiplication des
noms de lieux pour qualifier des phénotypes d’espèces légumières est un phénomène particulier du
XIXe siècle qui correspond à l’émergence d’un marché des semences plus large que la communauté
d’origine du phénotype. Avec la dénomination, c’est aussi la fixation du phénotype, voir variété ou
cultivar, qui se met en place
1.3 Un avatar patrimonial : une courge qui devint roi
La manière dont les producteurs et les marchands de fruits et légumes des Halles de Paris
ont promu la courge comme symbole de leur activité représente un autre exemple de l’intégration
des courges dans le patrimoine végétal et culturel français. Les premières mentions de la pratique
des dames fruitières des Halles de Paris d’élire un roi des Potirons semblent dater des années 1830.
Il s’agit, selon un observateur de l’époque, d’une imitation de la pratique des bouchers de Paris et
de Pontoise. Ces derniers élisent les plus beaux bœuf gras de l’année pour « exhiber publiquement
le plus beau produit des éleveurs de bestiaux ». Ces potirons roi, les plus beaux produits des
producteurs de légumes, pouvaient atteindre le poids respectable de 204 kilogrammes et mesuraient
plus de 2m50 de circonférence. Ils étaient promenés autour des Halles et finalement vendus aux
enchères (Hérincq, 1857, 1862, 1863). Des « plus grosses productions que la terre fasse dans nos
climats » comme Jean-Baptiste de La Quintinie, créateur et premier jardinier du Potager du roi,
caractérisait les citrouilles et les potirons à la fin du XVIIe siècle, au concours des potirons les plus
gros d’aujourd’hui, il ne faut pas négliger la contribution des cultivateurs fréquentant les Halles de
Paris au XIXe siècle.
Cette première partie, qui s’interroge sur la notion de variété locale à partir de l’exemple de
la courge en France, ignore une perspective européenne. D’un point de vue économique, il faut
noter que les deux plus importantes contributions de l’Europe au patrimoine génétique mondial des
courges sont issues de l’Italie à la fin du XIXe siècle et de la Styrie (un territoire à la frontière de
l’Autriche et de la Hongrie) au début du XXe. La première nous a offert la courgette, cette courge
consommée avant sa maturité biologique qui est devenue une des composantes essentielles de la
cuisine méditerranéenne, et la seconde, le potiron à graine nue (ou sans tégument), utilisé
principalement pour faire des pépins consommés comme tels ou alors pour produire de l’huile très
appréciée en Europe centrale.
2. Quelques pays de l’Europe des courges : avant et après l’arrivée des cousins d’Amérique
Comme son titre l’indique, l’exposition L’épopée des courges : cultures et consommations
en Europe au Potager du roi s’inscrit dans une dimension européenne. Dans plusieurs carrés du
jardin, les visiteurs pouvaient découvrir une soixantaine de variétés françaises, européennes et
parfois américaines de courges. Dans les serres, ces mêmes variétés étaient exposées sur des
grandes tables, chacune identifiée et informés par un cartel, parfois accompagnée par des ouvrages
sur les courges ou par des produits à base de courges. Au-dessus des tables, des panneaux
présentaient un précis historique des courges en France, en Angleterre, en Allemagne et en Hongrie.
Le long de deux murs, plusieurs vitrines couvertes de tissus noirs permettaient la présentation de
quelques images de courges ainsi que de catalogues de grainetiers anciens du fonds de la
bibliothèque de l’Ecole nationale supérieure du paysage. Pour réaliser cette exposition plusieurs
chercheurs de différents pays ont été sollicités et ont gracieusement répondu. Les panneaux de
l’exposition ainsi que le catalogue sont constitués de leurs contributions.
Le catalogue a été construit en deux parties. La première s’appuie principalement sur une
approche naturaliste. Michel Chauvet, de l’Institut national de recherche agronomique, propose un
inventaire des cucurbitacées déjà présentes en Europe avant le retour de Christophe Colomb comme
moyen de mettre en relief les nouveaux arrivants des Amériques (Cucurbita spp.) et signaler le rôle
aujourd’hui perdu des gourdes (Lagenaria siceraria). Harry Paris, généticien et sélectionneur de
courges à la Station expérimentale de Newe Ya’ar en Israel, fait découvrir le rôle capital du
Versaillais Antoine Nicolas Duchesne (1747-1827) pour la taxinomie du genre Cucurbita ainsi que
les extraordinaires aquarelles de courges de Duchesne, aujourd’hui conservées au Muséum national
d’histoire naturelle de Paris. Thomas Andrès est un des créateurs du Cucurbit Network
(www.cucurbit.org), un réseau international de chercheurs et de passionnés des cucurbitacées. Il
raconte brièvement l’étendu des activités de cette association et, pour ce qui concerne l’Europe,
l’histoire de la Première conférence internationale sur l’huile de pépins de courges en Styrie
(Autriche).
La deuxième partie du catalogue s’appuie principalement sur une approche horticole et
culinaire. Mary et Philip Hyman, historiens et collectionneurs de livres culinaires, suivent les
recettes de potage aux courges du XVe siècle à nos jours mais aussi l’existence de recettes et de
traditions régionales de gratins et de gâteaux à partir du XVIIIe siècle. Antoine Jacobsohn, du
Potager du roi, présente un aperçu sur la classification, la sélection et la diffusion des courges en
France du XVIe au XXe siècle. L’Angleterre et son histoire et ses traditions de consommations de
courges différentes de celles de la France sont ici racontés par Susan Campbell, la grande dame de
l’histoire des jardins potagers anglais. Clemens Wimmer, responsable de la Bücherei des Deutschen
Gartenbaues (Bibliothèque de l’horticulture allemande), éclaire l’histoire des courges en Allemagne
à travers les textes horticoles. Le catalogue se termine par quatre fiches-produits issues de
l’inventaire national hongrois des produits alimentaires traditionnels. Cette dernière contribution qui
concerne le potiron ‘Bleu de Hongrie’, la courge asperge de Vecsés, les pépins de courges et l’huile
de pépins de courges représente un bel exemple des liens qui peuvent se nouer entre un territoire,
une société et une plante alimentaire.
3. Le Potager du roi, un potager historique parmi d’autres
3.1 Le contexte actuel du Potager du roi
Depuis l’organisation de l’ouverture au public en 1991 et surtout depuis le départ de l’école
d’horticulture en 1995, le Potager du roi est entré résolument dans l’âge de la patrimonialisation. Le
premier âge était celui de la production d’excellence et de l’innovation au service du souverain, le
second celui de l’enseignement et de la recherche, le troisième celui de la patrimonialisation. Les
deux premiers âges avaient connu une période de recouvrement au 19e siècle. De même, la
patrimonialisation avait déjà commencé avant 1991 avec le classement du jardin en 1926 et surtout
avec l’abandon progressif de l’innovation en matière de formes fruitières après la Seconde guerre
mondiale et l’inadéquation grandissante du site à la mise en oeuvre de techniques horticoles
modernes, à l’exception des aspects de laboratoire.
Avant même les questions de valorisation et d’ouverture au public, cette patrimonialisation
prend essentiellement trois directions relativement différentes.
La première est la restauration du patrimoine bâti du Potager du roi, restauration qui s’est pour
le moment concentrée sur les aspects ayant une faible influence sur les pratiques culturales (grilles,
bassin) ou faisant l’unanimité parmi les jardiniers (restauration des enduits des murs à fruits et des
armatures de palissage du Grand Carré) et avec une procédure de travaux d’urgence, en particulier
grâce à des crédits alloués après la tempête de 1999. En revanche, les aspects de restitution de
certains murs anciens, de jardins aujourd’hui comblés et surtout de serres sont actuellement au
coeur de l’étude préalable réalisée en collaboration entre l’architecte en chef compétent, PierreAndré Lablaude, et la chargée de conservation, Stéphanie de Courtois. Les crédits pour de telles
restitutions sont très incertains ce qui pose un vrai problème par rapport aux serres qui, bien
qu’absentes à l’origine, ont constitué depuis les années 1730 le coeur de l’activité du Potager du roi.
La deuxième direction est celle de la conservation et de la présentation du patrimoine de
l’horticulture francilienne depuis trois siècles. En réalité, c’est avant tout les savoir-faire qui sont
conservés, en particulier dans le domaine de la taille fruitière, mais aussi avec probablement un plus
grand développement à l’avenir, les variétés. En revanche, il est clair que les paysages de cette
horticulture francilienne sont difficiles à évoquer sur un site conçu de manière fondamentalement
différente. La question de la conservation des outils et des archives de cette horticulture francilienne
est régulièrement posée mais, pour le moment, le Potager du roi et l’ENSP n’ont ni les moyens ni la
volonté d’assurer une telle conservation laissant à d’autres institutions ces tâches. La conservation
des variétés, tant fruitières que légumières, reste problématique pour la région parisienne faute
d’institution ad hoc et le Potager du roi doit le plus souvent faire appel à des institutions
extrarégionales et se trouve confronté aux difficultés de la conservation ex situ.
Enfin, la troisième direction est celle de la constitution de ces patrimoines. Il s’agit, en
relation avec des professionnels actifs aujourd’hui, de montrer l’histoire des techniques horticoles
dans leur dimension passée mais aussi dans leur dimension actuelle. Ainsi, les variétés présentes au
Potager peuvent aussi bien dater de Louis XIV qu’être les dernières créations de l’INRA ou de
semenciers privés. Les formes fruitières essentiellement héritées du 19e siècle devraient
prochainement être complétées par des formes contemporaines, voire expérimentales. L’essentiel
est de montrer les continuités et éventuellement les ruptures dans l’histoire des innovations en
matière horticole.
3.2 Partager cette expérience de la patrimonialisation
Le Potager du roi tente de partager cette expérience de la patrimonialisation d’un lieu de
production et de recherche avec d’autres, en particulier avec les potagers historiques. Un
recensement effectué au fil des années des potagers historiques aujourd’hui cultivés en France
montre qu’il sont au moins entre 40 et 50. Or, à l’exception notable de Villandry qui privilégie
l’effet esthétique y compris en suscitant la création de nouvelles variétés, tous ont choisi de
présenter des espèces et variétés anciennes de légumes en association ou non avec un mode de
culture biologique. Il est assez logique que l’intérêt pour les potagers historiques et l’intérêt pour les
espèces et variétés anciennes de fruits et de légumes se soient assez rapidement rencontrées. Le
deuxième intérêt est antérieur historiquement (années 70-80) et surtout socialement porté par des
groupes différents, en particulier pour les légumes.
Toutefois, si, dans d’autres domaines, la reconstitution ou la préservation de demeures
historiques s’accompagne d’un appel à des professionnels reconnus, historiens universitaires ou
locaux, y compris dans le domaine de l’art des jardins avec des institutions tels que le Master
« Jardins et paysages historiques » de l’Ecole d’architecture de Versailles ou le revue Polia, dans le
domaine des espèces et des variétés de plantes de jardins potagers la situation est encore assez
archaïque et tâtonnante à nos yeux.
3.3 Les spécificités de la valorisation du patrimoine végétal légumier
Même au sein du jardin potager, fruits et légumes ne sont pas logés à la même enseigne.
Ainsi, les variétés fruitières bénéficient d’une protection active de la part d’un réseau d’associations
tels que les Croqueurs de Pommes pour ne citer que la plus connue mais également de la part
d’institutions comme l’INRA ou le CTIFL. L’autre élément essentiel des arbres dans les demeures
historiques, c’est leur forme. Or, il y a aujourd’hui un savoir constitué autour de la forme fruitière
avec un ouvrage comme celui de Jacques Beccaletto (2001), des formations au Jardin du
Luxembourg ou à Versailles, et des pépiniéristes réputés pour leur savoir-faire comme Eric Dumont
ou d’autres qui se remettent à produire des arbres formés pour espaliers ou contre-espaliers. Un
bémol malgré tout : le savoir-faire de la gestion, voire même de l’installation de ces arbres est
encore globalement mal maîtrisé. Le travail autour de la patrimonialisation de l’arbre est facilité par
sa durée de vie et par sa technique de multiplication, le greffage ou le bouturage, qui sont des
formes de clonage et qui donnent le sentiment largement justifié (mais pas totalement) qu’il y a
identité entre l’arbre d’aujourd’hui et l’arbre d’hier et que finalement conserver des variétés
fruitières est du même ordre que conserver des espèces botaniques.
Pour les légumes, les choses sont encore globalement balbutiantes. Il faut tout d’abord
souligner les difficultés particulières liées aux légumes. Les légumes sont tous des plantes
herbacées, donc fragiles, le plus souvent annuelles, parfois vivaces et pour lesquelles le mode
essentiel de propagation est le semis. Or, par définition, une graine est issue de la reproduction
sexuée qui par définition rebrasse à chaque génération de l’information génétique. Le patrimoine
génétique des variétés légumières est donc par essence mouvant et l’analogie avec la conservation
des espèces botaniques ne fonctionne plus. En effet, c’est à chaque génération de la multiplication
sexuée que l’obtenteur, le sélectionneur, le producteur de semences, le conservateur de ressources
génétiques devra intervenir pour décider du porte-graines à conserver en fonction de l’objectif
recherché : création de nouvelles variétés, conservation de variétés existantes, homogénéisation
d’une variété ou au contraire maintien d’une diversité interne à une variété.
3.4 L’approvisionnement en semences de variétés patrimoniales
Les potagers historiques désireux de mettre en avant ces espèces et variétés anciennes sont
sans cesse confrontés à la question de leur approvisionnement en semences, la partie
d’autoproduction restant anecdotique. Or, il existe essentiellement trois groupes de personnes ou
d’institutions qui s’occupent de variétés anciennes de légumes et de multiplication et de
conservation de semences et qui peuvent répondre à leur demande : les collectionneurs amateurs,
les institutions officiellement en charge des ressources génétiques et les semenciers alternatifs.
Les collectionneurs amateurs de variétés légumières sont davantage issus des milieux
populaires que les collectionneurs de variétés fruitières et l’on retrouve là une partition classique
dans l’horticulture alimentaire depuis plusieurs siècles. Il n’est donc pas naturellement aisé de tisser
des liens entre ces collectionneurs et les propriétaires ou gestionnaires de potagers historiques. A
notre connaissance, c’est surtout le potager du château de Valmer qui a le mieux réussi cette
rencontre avec des collectionneurs amateurs.
Les semenciers dits alternatifs, parmi lesquels on peut citer Biaugerme, Germinance, la Ferme
de Sainte-Marthe, et surtout le plus connu et le plus actif dans les médias, l’association Kokopelli,
sont issus du ou participe activementau milieu des collectionneurs et de l’agriculture biologique. Ils
ont progressivement développé une activité commerciale de production de semences plus ou moins
en marge du catalogue officiel. Le catalogue officiel des variétés de légumes dont les semences sont
autorisées à la vente est à l’origine un instrument réglementaire mis en place par les producteurs de
légumes et les pouvoirs publics pour garantir la fiabilité des variétés de semences vendues en
France. Toutefois, compte tenu de la non représentation des jardiniers amateurs dans les instances
qui en ont la charge, en raison également du coût technique et administratif d’une telle procédure, le
catalogue officiel est rapidement devenu un outil de promotion des variétés nouvelles soutenues par
les obtenteurs et par les utilisateurs professionnels au détriment des variétés anciennes,
théoriquement interdites à la vente même si depuis quelques années, une liste annexe de variétés
autorisées pour le marché amateur a été mise en place avec des coûts réduits. Ces semenciers sont
souvent critiqués pour le manque de sérieux scientifique de leur travail (germination, homogénéité,
conformité à la variété annoncée…), là où les semenciers officiels sont critiqués pour leur usage
excessif de la science (OGM, hybrides, brevets…).
Enfin, les institutions officielles en charge des ressources génétiques légumières en France
sont extraordinairement dispersées à la différence d’autres pays pourtant réputés moins
centralisateurs et qui ont mis en place des structures dont c’est la mission unique comme l’institut
Vavilov en Russie ou des instituts analogues aux Etats-Unis, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni.
Cela s’explique probablement par l’existence d’une très forte profession semencière qui avait su
depuis le XIXe siècle constituer ses propres collections de ressources génétiques, profession qui n’a
malheureusement pas échapper ces dernières décennies à des restructurations parfois brutales avec
souvent la disparition des collections. Aujourd’hui, la conservation des ressources génétiques des
variétés légumières est coordonnée par le bureau des ressources génétiques au sein de réseaux
spécialisés par espèce ou groupe d’espèces, réseaux qui rassemblent des institutions publiques et
des semenciers privés qui acceptent de mettre en commun leur collection et surtout de mutualiser
leur effort pour assurer le maintien, la caractérisation et l’évaluation de leur collection. Ces réseaux
qui gèrent des ressources génétiques en provenance du monde entier avec pour but principal de
maintenir un réservoir de diversité pour la création des variétés de demain ont aussi la charge de
définir et de maintenir les collections nationales.
Les collections nationales de ressources génétiques ont été définies par la convention de Rio
de 1992 comme les espèces ou variétés qui peuvent être rattachées historiquement à un territoire
national. C’est une manière d’organiser la division internationale du travail en matière de
conservation des ressources génétiques mais aussi en matière de protection des droits, en particulier
des pays du sud, sur des espèces ou variétés issues de leur territoire. L’application pratique de ces
conventions suscitent de nombreuses difficultés et peut parfois créer de vrais freins à la recherche.
Aujourd’hui, à notre connaissance, la totalité des potagers historiques ont recours aux services
des semenciers alternatifs, le Potager de Valmer fonctionnant également avec des collectionneurs
privés, mais seul le Potager du roi entretient des relations suivies avec les institutions officielles. Un
des objectifs dans les années à venir est de favoriser les échanges entre les potagers historiques et
les institutions officielles pour des bénéfices réciproques tout en encourageant les semenciers
alternatifs dans une démarche à la fois commerciale et scientifique. La possibilité de cultiver les
variétés des collections nationales dans les potagers historiques, éventuellement comme préalable
ou parallèlement à une démarche de réinscription pourrait être l’objectif principal de ces échanges.
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