Origines de l`architecture gothique en Espagne

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Origines de l`architecture gothique en Espagne
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ORIGINES DE L'ARCHITECTURE GOTHIQUE
-.EN ESPAGNE
Coiiféreuee par M. ENLART Voir Bulletin (troiskmo volume. n' Ii), ]n g e 235
p
M ssicu ils,
C'est avec un vif p''" que je me retrouve dans ce milieu
ami; je 'tic saurais oublier l'accueil sympathique dont vous
avez honoré mes précédentes causeries sur l'influence de l'art
fiançais du moyen ùge en Italie et clans les pays (]il nid
Aujourd'hui nous reviendrons, si vous Je voulez bien, vers le
sud; je me propose de vous parler de l'architecture gothique
française en Espagne.
L'architecture gothique de l'Espagne est beaucoup plus belle
et mieux comprise que celle de l'Italie et des pays scandinaves,
mais ses origines se ramènent moins facilement à quelques principes simples en effet, les initiateurs n'ont pas été seulement
iêi quelques moines peu nombreux et pratiquant une doctrine
uniforme et bien définie. Avant les moines de Citeaux, les
moines dc Clun y , tout-puissants en Languedoc. avaient passé
delà en Espagne ils y avaient implanté l'architecture romane
du Languedoc; Sain t-lacques-de-Compostelle est sorti du môme
moule que Sainte-Foy de Couques et Saint-Sernin de Toitbuse, Saint-Isidore de Léon et beaucoup d'autres églises sont
'les exemples très frappants clii même arl.
L'Espa g ne ne fut jamais éprise d'ascétisme de la même façon
que l'italie l'Espagne aimait le faste; les Maures qu'elle
s'évertuait à chasser au xi et au xi[' siècle et les moines de
Clu.ny qu'elle appelait à venir bâtir et diriger des églises dans les
provinces reconquises ne l'aimaien t pas moins; sous ce rapport.
011 peut dire que la population iiid gène, les alliés qu'elle
appelait du nord'et les envahisseurs qu'elle repoussait vers le
sud s'entendaient complètement.
• Quand les moines de Citeaux vinrent en Espagne. ils trouvèrent encore très vivace l'ordre ,de Cluny et ses tLaslitions et ne
-purent les supplanter là comme ailleurs,
Document
IH liii IlI III lIl IIIlIIIIIIII
0000005777020
- 446 Un autre lait est à considérer; c'est que les cisterciens d'Espagne ne sont pas venus directement des abbayes bourguignonnes de Citeaux, Clairvaux et Pontigny, mais (les établisseinents.qu'ils avaient déjà fondés en Languedoc et en Aquitaine,
et il se passe en Espagne un phénomène analogue à celui
qu'on observe dans les pays du nord; les cisterciens qui sont
venus en Norvège avaient d'abord passé par l'Angleterre, ceux
qui se sont établis en Suède avaient d'abord passé par l'Allemagne, ceux qui vinrent en Espagne avaient d'abord passé par
le sud de la France dans ces divers pays, les moines de
Cîteaux n'ont jamais apporté. leurs modèles bourguignons que
très modifiés par l'influence de lu contrée intermédiaire. Et
comme en Espagne les Clunistes sont généralement venus eux
aussi du Languedoc, c'est de cette province qu'ils ont appelé
leurs architectes gothiques en sorte qu'il y a sinon unité de
direction, du moins unité de source dans l'importation du style
gothique en Espagne. Cette unité ne produit pas toutefois une
grande uniformité l'art roman du Languedoc est assez coinplexe, il a subi un peu l'influence de l'Auvergne, à laquelle il
doit ses tours centrales octogones et ses absides ornées de
colonnes; il a subi celle de la Provence qui lui u donné les
arcs de décharge intérieurs accolés aux murs latéraux, les absides
polygonales à l'extérieur seulement, les sodés élevés de certaines
colonnes. Le Poitou même a influencé le Languedoc par l'inteimédiaire des moines de Saint-Hilaire (c'est ce qu'a très bien
montré mon jeune et savant confrère M. Noël i'hiollier dans
nue thèse remarquable souten ne cette semaine à l'Ecole (les
Chartes). Enfin lit petite école byzantine du Périgord
a poussé aussi des pointes dans cette grande région qui verrespond à peu près à l'archidiocèse de Bourges. Il faut ajouter que
dans cette région, il existe des subdivisions artistiques, (les
manières locales, telles que celles du Limousin qu'ont étudiée
M. de Baudot et M. A.nthvme Saint-Paul et celle du Berry que
M. Buhot de Kersers a mise en lumière.
Quant à l'architecture gothique, l'archidiocèse de Bourges
l'a reçue un peu de la Champagne, dont l'architecture se reconnaît à Saint-Pierre de Bourges, et beaucoup plusde l'Aquitaine,
et la région de Toulouse a eu une manière ou sous-école
goihique dont L'originalité frappante consiste dans le parti
intelligent que les artistes ont su tirer de l'emploi de la brique.
Les écoles très originales de ces deux provinces sont inspirées
de celle de lIle-de-France, car aucune d'elles n'a d'édiFice
-
il Il . -
gothique qui ne soit de dix ans postérieur au choeur de SaintDenis.
Plus tard, à la lin du xiii0 siècle, le Languedoc fut conquis
par cette école gothique très pauvre (lui SO créa en ! Provence sous
J'influence des dominicains.
Les premiers édifices gothiques bâtis en Espagne appartiennent surtout à l'art que le Languedoc avait reçu de l'Aquitaine
et de ['Anjou. Avant de parler des détails (le CCS monuments,
il sera bon de rappeler en quelques mots l'histoire de notre
école gothique du sud-ouest.- Nous verrons que c'est d'elle que
s'inspirent, malgré quelques mélanges d'influences bourguignonnes, les monuments bâtis clans la péninsule sous Ii nfluence (tes moines de Citeaux et de Cluny. Plus tard, en plein
xni° siècle, nous verrons l'influence des grandes cathédrales
s'exercer à son tour, mais nous noterons la place prépondérante
que tient l'influence de collette Bourges. Nous constatons toutefois qu'à latin du xiii 0 siècle l'Espagne cherchad'autres modèles
et que l'architecture de la Champagne fut alors imitée là comme
en beaucoup d'autres pays.
L'Anjou avait adopté le style gothique environ dix ans après
i'lle-de-France. Quand mourut, en 1152, l'évêque d'Angeis
Normand de Doué, il laissait inachevées les voûtes d'ogives
dont il avait voulu doter sa cathédrale et qui sont le plus
ancien morceau d'art gothique angevin dont on sache la date.
A Saint-Maurice d'Angers, le système français de la croisée
d'ogives s'applique à des travées carrées sur un vaisseau large et
dune élévation médiocre; les dispositions du plan sont celles
qu'on avait pris l'habitude d'adopter dans cette région pour éluMir des séries de coupoles. Un peu plus tard, à Bordeaux et à
Agen on procéda de même et l'école d'Aquitaine reprit bientôt
ailleurs plus qu'à Saint-Maurice d'Angers ses anciens errements elle essaya d'appliquer des branches d'ogives à divers
tracés de voûtes romaines, soit en coupoles, soit en berceau avec
pénétrations latérales comme dans les églises de Saint-Pierre
d'Airvault et de Saint-Jouin de Marnes. Mais on appliqua plus
souvent la croisée d'ogives à la forme seule de la voûte en coupoles je dis à la forme, car si les voûtes d'ogives de l'Aquitaine
présentent des suites de calottes et des culs de four renforcés
de branches d'ogives, l'appareil de la coupole ou de la demi- s
coupole n'y subsiste que rarement les assises sont disposées
le plus souvent comme dans l'lle-de-France ou en Normandie,
et cela est surtout vrai dans les plus anciens monuments.
-111, 1 8
-
• L'école tUAq uilai ic continue de bâtir des églises à lino nef ou
k trois nefs d'égale hauteifr. et n'eut que peu ou point d'arcsboutants. Les plus beaux types de ce genre sont la cathédrale
de Poitiers, les églises de Saint-Maixent. du Puy Noire-Dame
et de Cancles près Saumur.
Ce type d'églises est certainement celui qui a inspiré dans
l'école du Languedoc Saint-Martin de 13i'ives, le transept et le
choeur de l'église de la Souierrainc ; les voûtes bombées à double
croisée d'ogives du cloître de la cathédrale de Tulle et du cloitre
(le l'abbaye cistercienne de Fontfroide près Narbonne, appartiennent franchement à l'école gothique de l'Aquitaine suri
influence u donc traversé tout le Languedoc.
Nous allons VOit' comment celte variété de l'arcbi [cet tire
gothique qui a influencé aussi l'Angleterre, le Danemark et la
région germanique a été portée de l'Aquitaine et du Languedoc
iii Espagne par les Cisterciens d'une part de l'autre par des
évècfues fiançais presque tous clunistes, après quoi nous envisagerons dans la période suivante l'influence des grandes cthédraies françaises sur l'Espagne:
Quatre abbayes cisterciennes d'Espagne ont fait connail re et
propagé le style gothique, ce sont, eu Catalogne, les abbayes de
Poblet; de Sautas Creus et \Teruela toutes trois. fondées par les
moines de Fontfroide Veruela de 1 U43 k 1151 ; Poblet cil 1153;
Santas Creus en 1157 ; auprès de Burgos, une abbaye de
femmes, Las Huelgas, fondée par la reine Aliénor, femme
dAlfonse VIII, fille du roi d'Angleterre et duc d'Aquitaine,
Flemri II Plantagenet cil enfin, l'abbaye d'Alco.haza,
bàtic de 11 8 à 1222.
Les plans de ces grandes abbayes sont les mêmes qui furent
en usage dans toutes les régions et surtout dans les monastères
de Citeaux, l'église occupe un côté (]il cloitre à l'opposé se
trouve le réfectoire, tout contre lequel est la cuisine dansl'arrgle
le plus proche de l'entrée du monastère et des magasins à provisions; ces magasins ou celliers occupent l'étage inférieur du
bâtiment qui règne sur la façade; au-dessus des celliers, est le
logis des religieux convers ou serviteurs, à, portée de la cuisine
et tIc la porte d'une part, cl communiquant de l'antre avec la
nef de l'église. C'est au contraire avec le choeur que continunique le dortoir des moines, qui occupe l'étage supérieur des
bàtiments de l'est. Le rez_de :. chaussée des mèmes bâtiments
coin prend la salle du trésor ou sacristie contiguë à l'église, la
salle capitulaire, lieu où les moines tiennent leurs réunions
-
-
solennelles 011 délibératives, et le ehanifoir, local aménagé pour
loirs les travaux d'intérieur. hors tic l'enceinte dit ou
trouve lu logis des novices, qui y est relié, le logis des étrangers qui en est soigneusement séparé cL à portée de l'entrée
du monastère, de celte de l'église et du bâtiment des convers,
enfin, l'inflrnieiie isolée plus soigneusement encore.
Les églises des abbayes cisterciennes d'Espagne ont des plans
empruntés à celles tic la Bourgogne Veruela, Poblel et 'Alco
'Fig.
1.
baza ont le plan tic Clairvaux et Pontign y , avec une abside
circulaire entourée d'une suite continue de eh apelies, et d'an Ires
chapelles sur les bras du transept.
PoLIcÉ a le plan de Fontenay choeur carié avec groupe de
trois fenêtr'es clans le mur de fond, et suite (le chapelli s égate
ment cariées au transept. Quant aux détails en élévation
Àlcobaza représente une église à trois nefs du type poitevin et
les attires églises empruntent leur architecture au Languedoc.
Occupons-nous (lu détail i:le ces abbayes cisterciennes d'Espagne, afin de connaître mieux le caractère de ces édifices.
Le parti adopté dans le dortoir des moines k Santas Croit,
(fig. 4) et dans deux salles semblables, mais plus vastes qui
— 450 existent dans l'abbaye de Poblet, est lemème que dans plusieurs
salles d'abbayes cisterciennes d'Italie et du midi de la France,
et nous en trouvons un bel exemple aussi dans une église du
Languedoc, que l'on appelle Laniourguié â .Narbonne. Ce parti
était économique el très approprié à des contrées chaudes et
pauvres en. grandes pièces de bois. Il n'à cessé, par exemple,
d'être eu grand usage clatis l'île de Chypre depuis le *n10 siècle
jusqu'à'nos jours. Il consiste à rempla:er lés Fermes dô 1u char-
Fig. 2.
pente apparente par de grands arcs doubleaux en tiers point,
la longueur des travées est coin mandée par celle des pannes que
l'on pose sur les reins (les arcs doubleaux. C'est simple et d'un
effet. très monumental.
La salle capitulaire de l'abbaye de Poblet (fig. 2) est enterrée
de la hauteur de quelques marches, disposition que les moines
avaient dû emprunter à l'architecture civile des Orientaux et
qu'ils avaient adoptée partout. Cette disposition entretient u ne température moyenne. Le style est une bonne architecture française
des environs de l'an 1200; les encorbellements coniques rappellent la Bourgogne, les colonnes à paris coupés rappellent la
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salle capitulaire iieNoirIac en Beh'i èL heiuéhp ae monu
ments champenois; quant à la sculpture traitée toute en méplat
et découpée comme à l'emporte-pièce, c'est un travail de style
mauresque dû à des artistes locaux.
Le réfectoire (le Poblet est plus ancien que la salle capitu-
Fig. h
litire il est couvert d'une épaisse voûte en berceau tracée en
tiers point et.qui entretient la fraiclicur ; de plus, au centre de
la salle est une fontaine monumentale cil pierre, avec un ra[rai
cliissoir pour les bouteilles.
Selon l'usage, la chaire du lecteur (fig. 3) est desservie jar
un escalier pris aux dépens de la muraille, elle est placée dans
l'embrasure d'une,
ne fenêtre qui éclaire le lecteur. On petit w] mirer
- Ii12 la belle simplicité de l'ar6hikcture, lapurelé déspioportions
et des profils.La foriLaine du cloître oii les moines devaient d laver' les
mains avant et après le repas est abritée sous unédicWc octogone (fig. 4), •doiU. la date est voisine aussi de 4200 .ei.t1tii
ressemble assez à l'édicule du xi' 0 siècle qui joue le même rûIô
dans l'abbaye de Valmagne près Montpellier. Au x. iv 0 siècle on fit
une travée de galerie pour relier entre eux le cloître et le lavabo
de Polie!; Fédieule devait être isolé auparavant, disposition
qu ' on jugea avec raison peti commodè. Le cloître est de deux
époques, fin du xit° et xiii0 siècle. Dans les parties du xii 0 , in
sculpture est française et excessivement sobre; dans les parties
n
53 -.
lu
CI ii Nil le , 1arehi1eeLurerdste .françîise ais la sculpture est mauEe59 CC.
Une chapelle de l'église, de Las Huelgas, près Burgos (fig. 5),
montre combienlarchilecture de l'Anjou n. été exactement reproduite dans celte église. Les voûtes bombées reposent sur des
N
Fi g. b.
ogives à ramifications multiples; Informe est celle de trois demicalot Les dont deux forment trompes pour passer du plan carré
de la chapelle ait plan circulaire de la voûte, mais l'appareil
na rien de la coupole. C'est absolument l'architecture de SaintSerge d'Ai gers, Candes, Le Puy Notre-Dame, Agnières près
Mon treuil.-Bellay.
Dans les églises de Nèrueta., de Poblet, d'Alcobaza, les absides
- 454
plus anciennes sont voûtées d'un véritable cul de Tour porté sur
des branches d'ogives, c'est là un procédé assez usité aussi dans
l'Aquitaine et le Languedoc. On le trouve cii Poitou à Jase-.
treuil et à Lusignan en Languedoc à Chirac près Marvéjols.
L'influence des cisterciens est prouvée par les archives comme
par le style (le la cathédrale de Tarragone et de son cloître. Oit
sait qu'un des architectes, mort en 1256, était un certain frère
Bernard, venu probablemeni. de Fontfroide. Or le cloître de ta
cathédrale de Tarragone est une copie manifeste de celui de
Fontfroide, et la cathédrale elle-même imite d'assez près l'abbatiale de Poblet.
Passons tuai n tenant aux monuments ha tis pour le clergé
séculier dont presque tous les membres importants au xii 6 et
au xiii0 siècle étaient sortis des rangs de l'ordre de Cluny.
L'église Saint-Vincent d'Avila (fig. 6) u été commencée en style
roman, au xii0 siècle, sous l'influence des clunistes et sous le
règne du roi Alfonse Baimond (1109 à 112G) qui était fils d'un
duc de Bourgogne et neveu du pape duniste, Calixte II.
Le choeur et le transept de cette église appartiennent au style
roman du Languedoc il en est de même de la nef les piliers
reposent sur des socles circulaires pareils à ceux que l'on trouve
à la cathédrale de Salamanque, et dans l'Ave y ron à Conques,
à Aubin, • à Villeneuve-de-Bouer g ue, mais le petit portail de
l'église est bourguignon, le grand. portail est une copie de celui
de Saint-Lazare ct'Avallon, et le cordon sculpté pu se trouvé
au-dessus des arcades de la nef reproduit très exactement
celui de l'abbatiale de Cluny. Au-dessus vient lui triforium qui
ne semble pas avoir de caractère bien tranché les bas côtés
ont des voûtes d'arêtes, et la nef, où l'on avait prévu une
voûte en berceau, a été terminée au xu° siècic.par mie voûte
d'ogives. Les profils y sont les mûmesqu'à Poissy. Pour, accorder cette voûte d'ogives avec les supports, on a ingénieusement placé des chapiteaux en biais sur les dosserets. Pareil
artifice est employé dans deux églises de l'Yonne, à Pontigiiy
et à Vermanton. Sur le transept s'élève une lanterne cariée
romane, analogue à celles dEbreuil (Allier) et Saint-Désiré
(Cher) qui a reçu un peu plus tard, air siècle, des voûtes
d'ogives gothiques celles-ci appartiennent au type de l'Aquitaine; elles sont semblablés à celles des chapelles de Las Huelgas.
L'influence de l'Aquitaine s'est fait franchement sentir dans
trois curieuses églises de transition les cathédrales de Zamora
et de Salamanque et la collégiale de Toro.
's
- 4i5
La cathédrale de Zamora n eu successivement cieux évêques
périgourdins, liertiard de Périgueux et .Jérôme de Périgueux,
mais comme le second est mort en 442G et (jute l'église n'a été
consacrée qu'en 11 7&, leur influence n'a pu s'exercer directement sur la construction, La cathédrale de Salamanque, où le
Fig. G.
même Jérôme fut archevêque, ne date pas non plus de son
temps : elle a été iclievée un peu avant 11 -18 enfle, la collégiale de Toro date des dernières années du xtt° et du xiii 0 siècle.
Ces trois églises rappellent beaucou .p 'es églises i'om&n'es du
Limousin, le Dorai. Beaulieu, Obazine, Saint-Junien, Bénévent,
La Souterraine, Figeac. Elles ont une tour carrée à l'ouesl.et une
lanterne octogone au carré du transept, lanterne qui, du reste,
existe aussi à Conques. A ]'ol'o, la nef est trop basse pour qu'on
-
-
ait percé ds'fenêtres. À Zamora et à Toro, ks ioiïails'.nt
d'es voussures dentlées d'une suitede quarts de cercles coiiinie
à la cathédrale (le Tulle, ah .Dorat. à Saint-.Jtinien, à la Souterraine et aussi dans d'autres monuments (le l'école du Langiiedoc
comme Bains (Flaute-Loire) et Saint-Amand (Cher). A-Salainanque, le bras sud du transept actes branches d'ogives dentelées en
zigzags comme à l'abbatiale tic Figeac et dans la dernière travée
tIc nef de la cathédrale de Tulle. Les voûtes de la salle capitulaire de Tulle et celles (lu cloît deTarragone offrent cette même
ornementation.
talion.
Une autre similitude frappante se trouve dans les chapiteaux
dans la région limousine, à la cathédrale de Tulle, k Obazine.
au Dorat, à Rocamadour, la presque totalité (les chapiteaux n'a
qu'une corbeille nue et lisse, (lue le tracé de son galbe rend
quand même élégante. Ce type de chapiteau est parfaitemen t
motivé parl'emploi du granit, En Espagnerles é glises de Poblet,
Zamora et Toro ont des chapiteaux iclentiq uernen t semblables.
Les formes générales de ces églises sont encore romanes, mais
elles sont assez postérieures à la plupart des types limousins dont
elles sinspirent, aussi monlrent-elles toutes l'emploi (10 la croisée d'ogives combiné avec celui de la voùlc d'arêtes, de la voûte
en berceau
berceau et de la coupole.
Ici se.place une remarque curieuse et qui serait importante
si les dates de l'histoire, l'étude des monuments, et la nature
môme des lois de la construction permettaient de pi'endu'e en
considération un paradoxe au moins étrange émis il y a
quelques années. Vous savez qu'on a tenté de démontrer que
la voûte d'ogives dérivait non de la voûte d'arêtes niais (le la
coupole et avait son origine non dans Hie-de-France mais en
Anjou. Cette théorie :a pleinement atteint son but, puisqu'elle
a attiré l'attention je m'accuse de m'être donné un des proni iers la peine d'y répondre, et mon savant confrère M. Brulaits vient de lui faire l ' honneur de la réfuter dans une polémique éloquente et serrée. Je vous demande la permission de
ne pasrevenir sur, cette question que le bon sens d'abord et
l'histoire ensuite devraient suffire à résoudre, je neveux ici que
tendre une perche amicale et inespérée à l'inventeur (le la coupole génératrice du style gothique. JE a toute chance de triompher en prouvant (et - il saura Certainement le démontrer) que le
style gothique est venu d'Espagne en Anjou avant de venir
d'Anjou en France : l'Espagne est bien autrement fertile que
l'Aquitaine én vieilles coupoles sur croisées d'ogives.
- 45 En effet; sans . parler des culs de four .sur croisées d'ogives
queje vous ai déjà signalés, on trouve en Espagne des coupoles
portées sur branches d'ogives au carré (lu transept-des églises
de Zamora, de Saamauque, d'Irache et de Taro (fig. 1), dans les
bas côtés de celle dernière église, plusieurs travées sont couvertes
g
Fi . 7.
de coupolesportées sur croisées d'ogives, et k la vieille cathédrale de Salarnarique, le procédé est, on peut le dire, systématiqiie.Pour parler sérieusement, je crois qu'on peut chercher
la source de ce procédé dans le Limousin qui fournit celle de
presque tous les détails de construction et d'ornementation de
es mêmes églises: en eftet,,à la Souterraine, une travée (lu
xiii0 siècle présente le même système d'appareil, et dès la fin
-458— du xii', il est appliqué à deux chapelles du lransept de SaintJunien. Il est regrettable que la coupole (le la cathédrale de
Tulle ait disparu et que celle (le Figeac ait Ôté refaite, car il nie
semble probable qu'elles seraient analogues à la coupole ccii-
ltig. 8.
traie de l'église de Foro A. Zamora, à Salamanque (fig. 8),
même disposition.
A lexiérieur, ces Louis lanternes ne rappellent plus le
Limousin, niais l'Aquitaine elles ont le type des tours centrales de Sainte-Marie (le Saintes, de Montier-Neuf et de NotreDame de Poitierselles ont une Ikelie obtuse et bombée,
couverte d'imbrications comme dans ces exemples et à Saint.
Zr
59 Front de Périgueux. et elles sont canonnées de quatre clochetons (le forme analogue (fig. 8).
A cette influence générale de l'architecture française du sud
de la Loire, succède dans l'Espagne du xiii 0 siècle l'influence
(les grandes cathédrales surtout du centre de la France, puis
l'influence de la Champagne, qui semble avoir été très étendue
durant la seconde moitié du xiii 0 siècle.
Nos grandes cathédrales de France sont des créations rien
scuiemen t plus grandioses et plus savantes, mais souvent plus
libres que les petites églises; si les grands artistes qui les ont
bâties étaient du pays, ils ont interprété largement les traditions
de l'école locale ; et d'autres fois, ils sont venus de loin. C'est ainsi
qu'il serait difficile de trouver une parenté entre les cathédrales
de Clermont, de Limoges (sa tour exceptée) ou de Bayonne et les
églises élevées en mème temps dans la même région. Si l'on
trouve (le dOS rapports, ce sont des imitations plus fréquemment
(lite des préparations. En attendant que s'affirme la personnalité des grands artistes, les grandes oeuvres d'art du xiù° siècle
ont toutes leur personnalité, et cette personnalité s'impose les
architectes apprentis étudiaient ces clic fs-dwuvre; les aréhitectes
secondaires les copiaient et au besoin en amalgamaient les morceaux, comme Vilard de Honnecourt ramassant sur son album les
roses des catliéilralesde Chartres et deLausanne, une toui de celle
de Laon et de nombreux détails de celle de Reims. : De leur
côté, les peuples et les grands personnagçs ambitionnaient
d'avoir des reproductions de ces édifices célèbres c'ést ainsi
que de 4471 à 1179, Guillaume de Sens alla faire à Cantorbery
une imitation de la cathédrale de sa ville natale ; c'est ainsi
i DIC vers le milieu du xii 0 siècle, Vilard de 1-Ionnecourt fut mandé
en llongiïe et qu'en 4288, Etienne de Bonneuit quitta Paris
pour la Suède où il fit à.Upsal une imitation libre de Notre-Dame.
Mathieu d'Arras commençait en même temps lacathéçirale de
Prague et si nous avions l'histoire de celle de Roskilde en Danemark, il est probable qu'elle donnerait aussi le nom d'un artiste
- (lu nord de la France, tant elle ressemble à celles d'Arras et
de Noyon.
Déjà aussi les , artistes tenaient à mettre leur nom sur une
composition Vilard de Honnecourt et Pierre de Corbie ont
signé ensemble un curieux plan de choeur d'église où des
absidioles alternent avec des chapelles carrées. Or, pour en
revenir à l'Epagne, ce plan' si particulier ne s'est retrouvé
nulle part si ce n'est à la cathédrale de i'olède-; ce rapport a
-s
- 460 tI.é signalé pur Street, arclulecte anglais, mais ce dont Street
ne s'est pas avisé, c'est que l'architecte du choeur (le la cathédrale tic Tolède, mort en 4270, s'appelait Pierre et était, fiançais
de nation rien n'empêcherait d'y voir Pierre de Côrbie luimême, mais ce n'est là qu'une hypothèse.
11 g . O.
La cathédrale de iFolède (fig. 9) n'appartient, pas toutefois absolument à l'ait du nord de la France elle il un rapport infime
avec la cathédrale un peu antérieure de Burgos. celle-ci fut
consacrée en 1230 celle de Tolède fut commencée en 1227.
L'une et l'autre ressemblent fort ii la cathédrale de Bourges,
avec cette différence qu'elles ont nu transept. Les doubles collatéraux, leurs proportions - larges, le plan et l'élévation des
piliers ronds cantonnés de colonnettes maigres et toutes cou-
- 61. ronflées de petits çiiai tffiiaux carrés, trapus et insignifiants sont
autant de - pointe de ressemblance Burgos a, de plus comme
Bourges, un triforiuni liés particulier à larges baies surbaissées
dont les colonnettes poilent un remplage percéde quelques
trèfles. À. 1'olêde, on trouve des galeries à jour qui imppellent
la mode adoptée dès lors en Frande.
La cathédrale de Léon montre un style gothique français plus
parlait encore cet édifice, auquel on travaillai t avec activité
en 128, était achevé en 1303. Elle est plus petite et beaucoup
plus légère que la cathédrale (le Tolède ; les arcs boutants et
les meneaux sont ;iussi minces que possible ; les travées sont
complètement ajourées de fenêtres ; 011 a même pratiqué (les
écoinçons à jour entre l'extrados de celles-ci et les chéneaux
comme à la chapelle du clièteau de Saint-Germain-en-Laye et k
Saint-Urbain de Troyes ; ces chéneaux sont portés entre le mur
et la voûte sur des arcs comme en Champagne comme en
Champagne aussi, un chemin de ronde intérieur est établi sur
l'appui des fenêtres des bas côtés (fig. 4O),et traverse les piliers,
ure arrondie passe sous ce chemin de ronde et sous le
et une moulure
triforium en formant des bagues autour de toutes les colonnes.
Enfin, le triforium et le porche ont des arcs suraigus champenois, et les chapiteaux des colonnes du choeur ont deux corbeilles superposées comme dans les cathédrales de Jleirns et de
Chartres et à l'église de Saiul.- Quenlin qui imite en plus (l'un
point la cathédrale de Beims.
Cette influence de la Champagne se trouve au XIII' siècle (u
nième degré dans plusieurs pays de l'élranger ; Vilard de flounecourt u surtout étudié en Champagne et les architectes que
les croisés ont appelés en Grèce et dans hile de Chypre ont
certainement fait de même. En Chypre, les cathédrales (le
Nicosie et de Famagouste sont champenoises; en Grèce, celle
(le Misira, fondée du rdste par Villeliardouin, a un clocher
champenois.
A Léon , l'imitation de la cathédrale de Chartres s'ajoute à
ces traditions cii ciTer, le porche occidental qui précède cette
cathédrale est presque une copie des porches latéraux qui
furent ajoutés au ximi° siècle à celle de Chartres vous connaissez tous la composition si originale de ces porches, formés de
l.rws travées égales, couvertes de courtes voûtes en berceau,
perpendiculaires à la façade et séparées entre elles par deux
travées extrêmement étroites. Les berceaux renforcés (le ner'Aires qui reposent sur des tètes sculptées, sont Portés sur (les
- 462 linteaux que soutiennent des quillages de colonnettes appuyées k
un noyau central Orné (le niches et de statues. L'exacte
reproduction (le CC système se voit à Léon. La statuaire aussi a
quelques analogies avec celle (les porches de Chartres, mais
ressemble bien plus à celle de lleiins quant aux tympans, ils
Fig. 10.
sont sculptés et celui du centre présente un très beau Jugement
dernier, imité peut-être (le celui de Bourges, mais plus analogue
encore ù celui (le Saint-Eugène près Orbais, et présentant des
variantes très originales. Alors que les artistes fiançais réservaient toute leur imagination pour les scènes de l'enfer, celui
de Léon a été surtout invenlif dans la représentation du paradis, où les élus se couronnent (le fleurs et dansent au son de
l'épinette. Le sculpteur de Saint-.Eugène a donné aussi quelque
- 463 développement au ..Iwadis qu'il .a orné d'un arbre couvert
d'oiseaux.
Une autre particularité du beau porche de Mon est que l'une
des travées étroites (fig. 11) est formée par un pilier portant
cette inscription Locus appellationis: « c'est ici qu'on appelle
Fig. II.
en justice. » Dans le tympan de cette travée on voit en effet une
grande figure de Salomon sur son trône, et cette figure est à rapprocher du grand jugement de Salomon sculpté sur un contrefort
de la façade de la cathédrale d'Auxerre. C'est probablement
aussi sous cette sculpture que l'on rendait la justice, et Von sait
du reste par quelques textes, que l'usage de rendre la justice
devant la porte clos églises rentrait dans les coutumes du
moyen age. La seule particularité qui manque à la cathédrale
de Léon pour ûfte complètement à la dernière mode de France
des environs de 4300, c'est (l'avoir remplacé les tympans rie portails par des verrières, comme à la cathédrale de Peints et à
Saint-Urbain de Troyes mais l'Espagne a connu aussi ce progrès Il est uMiisé à la façade de la cathédrale de Tarragoiie;
mais comme il était malheureux de renoncer aux belles seul p[tires des tympans, on a imaginé d'y sculpter le Jugement dey—
n eu' sur le linteau. N' y aurait-il pas là un élément de restitution
pour le grand portail de Boiras où le linteau portait (les
sculptures dont nous rie connaissons pas le sujet et que l'on
a huchées au xvii1 0 siècle pour y substituer une niaise iiuscriplion. Une scène de résurrection comme celle de Tarragone
compléterait précisément la sculpture de ce portait dont les
voussures et le fronton contiennent les autres scènes du J Ligement dernier. Les copies de nos anciens édifices à l'étranger
seraient souvent bien précieuses à étudier sous ce rapport
c'est ainsi par exemple qu'à Saint-Vincent d'A vila un portail
imité de celui de Saint-Lazare d'Avallon a un tympan figurant
nue histoire de Lazare qui semble avoir été à peu près pareille
à celle dont il subsiste des fragments affreusement mutités à
Avallon. Je serais heureux, messieurs, si les rapprochements
qui m'ont frappé vous paraissaient exacts à vous qui, étudiant
,,os' monuments sur le tas, en connaissez mieux que personne,
le caractère intime, et je serais plus heureux encore si mes
modestes études d'archéologue pouvaient fournir quelque 'enseigriemeniL utile aux- artistes à qui les archéologues doivent
la sauté et la vie de leurs chers monuments historiques.

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