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Philippe LE GUERN
« Sur 3 000 disques sortis en 2001, environ 30 ont figuré sur les play-lists
des radios, 10 ont réalisé 80 % du marché et 90 % des ventes ont été
générées par la publicité audiovisuelle1. » L’exemple, édifiant, pourrait sans
peine être étendu à d’autres secteurs de la production culturelle. Que révèlet-il ? Le fonctionnement dominant des industries culturelles et ses logiques
structurelles2 : la concentration capitalistique3, voire géographique ; la
concentration des moyens de production et de distribution ; la concentration
des moyens de promotion ; et la concentration des ventes sur quelques bestsellers4…
Ces phénomènes ont fait l’objet de nombreuses descriptions qui soulignent
la réduction de l’offre, le verrouillage du marché (par exemple avec le
contrôle de la distribution sur l’internet ou avec l’absorption des « petits »
producteurs) et plus généralement une diversité culturelle menacée. Une
autre conséquence remarquable de ce phénomène de concentration touche à
l’évolution des mécanismes de légitimation des biens culturels et de leurs
1. Epok, n° 23 (journal de la FNAC).
2. PARIS, 2003.
3. Voir par exemple, la reprise de Vivendi Universal Publishing par Lagardère en 2002 : le
chiffre d’affaires de ce groupe est estimé à 2 milliards d’Euros contre 235 millions pour
Gallimard et 216 millions pour Flammarion, numéros 2 et 3 de l’édition française. Egalement,
5 majors contrôlent 90 % des ventes de disques en France.
4. En 2001, en France, les 5 premiers du « Top album » ont concentré les trois quart des
ventes.
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producteurs : la mainmise des majors sur la part la plus importante des
marchés va en effet de pair avec un contrôle accru des moyens de promotion.
L’inflation des budgets marketing concentrés sur un nombre réduit de titres
crée par là même une concentration de la demande, comme l’indiquent les
chiffres de ventes de disques cités plus haut. Si la promotion des biens
culturels produits en grand nombre n’est pas une nouveauté, c’est l’inflation
des budgets publicitaires qui pose notamment question, et aussi l’alliance des
majors, de la presse et des médias. J. et G. Bremond soulignent que : « la
coordination atteint dans certains cas un seuil étonnant. Ainsi un partenariat
entre Le Monde, Vivendi-Universal, la FNAC, France Inter et quelques
autres, s’est traduit par une publicité massive dans Le Monde, pendant l’été
2001 sous le libellé ‘Révisez cet été avec Le Monde, la FNAC et Universal
cinquante chefs-d’œuvre de la musique classique5’. »
Face au rouleau compresseur des campagnes marketing qui laisse hors-jeu la
plupart des petits producteurs-diffuseurs6, la question de l’appréciation de la
valeur devient malaisée : la promotion se confond avec la critique, la
connaissance avec la reconnaissance et la visibilité avec la légitimité.
Ainsi, plusieurs textes importants7 ont été publiés ces dernières années pour
dénoncer le nouveau visage des industries culturelles, l’intégration croissante
des systèmes de production, de diffusion et de médiatisation, et le
développement de stratégies de promotion des notoriétés artistiques qui, à
défaut de réduire totalement l’incertitude qui pèse sur de tels marchés,
parviennent à la domestiquer de façon souvent efficace. Il ne s’agit bien
entendu pas d’une critique de type réactionnaire : se demander, comme le fit
naguère Alain Finkielkraut au nom d’une conception essentialiste de la
culture et de ses hiérarchies, si « une paire de bottes vaut Shakespeare » ou
regretter que « les livres de Flaubert rejoignent, dans la sphère pacifiée du
loisir, les romans, les séries télévisées et les films à l’eau de rose dont
s’enivrent les incarnations contemporaines de Madame Bovary8 » n’a guère
de sens. Mais se demander, comme le fait par exemple Pierre Bourdieu, si
« les grandes entreprises de production et de diffusion culturelle (…)
5. BREMOND, 2002, p. 108.
6. Dans l’industrie du disque, par exemple, on assiste aujourd’hui à un phénomène
d’externalisation des tâches : les petits labels ne sont plus indépendants au sens classique du
terme mais sont intégrés aux majors. Ils jouent un rôle de « start-up » pour les nouveaux
artistes en développement.
7. BREMOND, 2002 ; MOLLIER, 2000 ; SCHIFFRIN, 1999a et 1999b ; BOURDIEU, 2001.
8. FINKIELKRAUT, 1987, p. 141 sq.
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s’assurent, avec l’appui de la publicité et des médias, à la fois contraints et
complices, une emprise extraordinaire, sans précédent, sur l’ensemble des
sociétés contemporaines qui s’en trouvent comme infantilisées », et si ces
phénomènes contribuent à la perte d’autonomie du champ artistique, mérite
peut-être qu’on s’y arrête. Bien entendu, on pourra toujours faire remarquer
que le ton prophétique adopté par certains de ces auteurs nuit à la
scientificité de la démonstration ; ou que l’idée d’un champ artistique
totalement pur, c’est-à-dire à l’écart de toute dimension commerciale, est
une idée naïve ou romanesque9 ; et surtout, qu’il est simpliste de caractériser
les produits culturels (séries télévisées, telenovelas, soap operas, films
hollywoodiens, musiques rock…) comme des produits omnibus ou des
facteurs intégrateurs au sein d’un nouvel ordre dominant, en passant sous
silence plusieurs décennies de recherche sur les publics10. Mais on est tenté
de dire que le problème n’est pas exactement celui-là…
De ce point de vue, les succès récents de Pop Star et de Star Academy sont
sans doute emblématiques des nouvelles voies de la consécration : la
télévision (M6/TF1) devient une formidable tribune de promotion, attirant
plus de 8 millions de téléspectateurs en une soirée ; des impétrants plus ou
moins doués et totalement inconnus – Jennifer, Jean-Pascal, Nolwenn… –
accèdent en quelques semaines à une immense notoriété médiatique ; comme
débutants, ils tirent avantage de leur appariement avec des stars (Johnny
Hallyday, Céline Dion…) dont la réputation n’est plus à faire ; ces stars
appartiennent d’ailleurs au même label que les nouvelles vedettes de Star
Academy, Universal, compagnie installée en position de leader sur la marché
discographique français ; en un temps record, les disques de What For et de
9. La question de l’autonomie relative du champ artistique fait l’objet d’un exposé très
intéressant chez ADORNO, 1997, p. 45-46, finalement très proche de l’exposé qu’en fera
ultérieurement Pierre Bourdieu : « Cela ne signifie pas que nous considérions naïvement
comme allant de soi la dichotomie entre l’art autonome et les mass médias. L’actuelle
distinction rigide entre ce qui est appelé un ‘art à cheveux longs’ et un ‘art à cheveux courts’
est le produit d’une longue histoire. (...) En fait, cette division rigide entre un aspect
commercial et un aspect autonome de l’art est elle-même largement fonction du processus de
commercialisation. » Rappelons que Benjamin puis Horkheimer et Adorno établissent une
dichotomie entre l’art authentique et la culture de masse ; en intégrant les biens culturels au
processus de production marchand, les industries culturelles seraient porteuses d’une
standardisation et d’une dégénérescence du goût. Pour une critique de cette thèse, voir
notamment BOURDIEU, 1972, p. 450 ; HENNION, LATOUR, 1996. Voir également
MATTELART, PIEMME, 1980.
10. Sur ce point, voir MAIGRET, 2002.
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Star Academy dépassent le million d’exemplaires11, soit 5 % à 6 % du
chiffre d’affaires de Universal. Cette configuration n’est pas exceptionnelle :
dans les domaines de l’édition, du disque, du cinéma, etc., on pourrait
multiplier les exemples de partenariats avec les médias, qui amplifient
l’influence des majors et qui assurent la promotion des produits culturels12.
Mais, d’un autre côté, les médias ne favorisent-ils pas une plus grande
accessibilité des œuvres ? D’une part, la reconnaissance médiatique ne serait
pas à opposer automatiquement aux formes les plus traditionnelles ou les
plus autonomes de la consécration. Des transformations du champ artistique
tendent ainsi à réduire cette opposition entre les deux pôles du champ
culturel. Le pop art a depuis plusieurs décennies prouvé que l’esthétique
publicitaire pouvait inspirer l’avant-garde picturale. Le cinéma hollywoodien
a été en partie considéré aussi comme un cinéma d’auteurs. Des affichistes,
des dessinateurs de bandes dessinées ou des auteurs de romans policiers ou
de romans noirs ont bénéficié de la considération d’institutions culturelles
légitimes. Des analystes considèrent même que des médias peuvent porter
intérêt à des artistes obtenant la considération de leurs pairs et, inversement,
qu’une consécration médiatique ne conduit pas inéluctablement à un
déclassement artistique : c’est l’exemple des prix Goncourt qui passent à la
télévision, décrits par Nathalie Heinich13 (même si les auteurs primés sont
tentés d’exprimer leur distance ou leur indifférence à l’égard des médias et à
faire de la reconnaissance sur le long terme plutôt que de la réussite à court
terme qui gouverne l’économie des best-sellers un élément central de leur
identité d’écrivain). D’autre part, les enquêtes successives sur les pratiques
culturelles des Français (1973, 1981, 1989, 1997) indiquent que, et en dépit
des nombreux facteurs qui pouvaient favoriser une réduction des inégalités
dans les conditions d’accès à la culture (augmentation des efforts de l’Etat et
des collectivités territoriales, politiques de subvention, progrès de la
scolarisation, etc.), si les pratiques ont notablement évoluées, elles restent
11. Chiffres cités par Françoise-Marie Santicci, « Télé-réalité, le triomphe de l’éphémère
musical », Libération, 22 décembre 2002, p. 6-7.
12. BREMOND, 2002, p. 51-52 : « Ainsi, par exemple, si vous allez voir un film dans une
salle UGC, si vous lisez L’Etudiant, Paris-Match ou L’Express, si vous lisez un roman de
chez Plon ou Grasset, si vous étudiez dans un manuel Hatier ou Nathan, si vous téléphonez
par Cegetel ou SFR, si vous écoutez un CD de Johnny Hallyday, si vous vous connectez au
Club-internet, vous utilisez les services de Vivendi ou de Lagardère et contribuez à
l’accroissement de leurs chiffres d’affaires. »
13. HEINICH, 1999, p. 66-69.
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marquées par de profondes disparités14. On peut alors s’interroger sur les
formes de participation ou de consommation culturelles apparues au cours
des dernières décennies (en particulier la télévision), dont on suppose
qu’elles sont moins discriminantes socialement que la fréquentation des
équipements culturels « traditionnels » : quel rôle joue le développement des
industries culturelles dans l’élaboration de nouveaux contenus et aussi dans
la transmission de la littérature, de la musique, du cinéma, de la peinture,
etc. ? Favorise-t-il l’accès à des œuvres qui seraient restées inconnues du
grand public ? Redéfinit-il la frontière entre arts légitimes et arts mineurs et
les usages de la culture ?
Ce rôle des médias et de la publicité sur le marché des biens culturels a été
notamment analysé par Olivier Donnat qui l’a qualifié d’« économie
médiatico-publicitaire ». Ce dispositif, s’il ne se substitue pas entièrement
aux voies traditionnelles de la consécration telles qu’elles s’incarnent par
exemple dans la figure des pairs et de l’expert, accorderait aux promus un
fort capital médiatique et une visibilité sociale accrue en même temps qu’il
entamerait l’autonomie du champ artistique.
Ce numéro de Réseaux se propose donc d’interroger les nouvelles modalités
de la consécration culturelle, et plus particulièrement la montée de
l’économie médiatico-publicitaire. Sur un marché des biens culturels que les
palmarès contribuent à stratifier, quelle signification faut-il accorder aux
classements et par conséquent à la répartition inégale mais légitimée des
notoriétés ? Ces palmarès expriment-ils des différences objectives entre les
talents ? Renvoient-ils à une diversification des rapports à l’art et à la
culture ? Ou bien faut-il penser que le pouvoir des nouvelles formes de
consécration est tel qu’il est permis aux entrepreneurs médiaticopublicitaires de façonner les succès et les valeurs à leur guise ?
La mise en question de l’autonomie du champ artistique
Selon O. Donnat, une des conséquences majeures de la montée de l’économie
médiatico-publicitaire tient au profond renouvellement des mécanismes de
consécration : ce serait ainsi le fonctionnement général du champ artistique, tel
qu’il est notamment décrit par P. Bourdieu, qui est remis en cause avec
l’intrication croissante des mondes de l’art, de la publicité et des médias.
14. Pour une synthèse des résultats des enquêtes citées, voir DONNAT, 1999, p. 111-119.
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L’analyse menée par Bourdieu à propos des œuvres15, notamment littéraires,
met en avant la notion de champ et son processus croissant d’autonomisation :
en résumé, le champ est constitué de multiples producteurs spécialisés qui
tendent à imposer une vision et une définition légitime des produits culturels et
de leurs classements et une autonomie de leurs pratiques. Il peut donc être
défini comme un espace de luttes de concurrence à partir d’un réseau de
positions objectives qui ne sont pensables que dans leur relation aux autres
positions, luttes dont la définition légitime de la valeur artistique et des
représentations dominantes de l’écrivain, de l’éditeur et même du critique
(artistes « purs » contre producteurs « intéressés » ; simples marchands ou
découvreurs audacieux…) constitue le principe même. Ainsi, l’invention du
modèle de l’écrivain-artiste, par opposition à l’écrivain-bourgeois – l’étude du
champ littéraire ne constituant pour Bourdieu qu’un cas particulier de la
théorie générale des champs sociaux – constitue une mise en forme de
l’autonomie du champ ; conçu comme un espace dualiste, le champ littéraire
s’organiserait entre deux pôles antagonistes : le secteur de production
restreinte à destination des pairs, d’une part, et le secteur de grande production
où la consécration s’exerce selon une logique hétéronome, d’autre part. Cet
espace rassemblerait donc deux principes de hiérarchie radicalement opposés
– l’art et l’argent, la pureté esthétique et la réussite commerciale – s’incarnant
dans deux figures possibles de l’écrivain, le sous-champ de la production
restreinte étant lui-même subdivisé entre l’avant-garde et l’avant-garde
consacrée à laquelle une reconnaissance durable peut apporter le statut de
« classique ». Cette structure bipolaire est aussi redoublée dans l’opposition
des systèmes de diffusion et de consécration : schématiquement, on trouverait,
d’un côté, les produits destinés à des marchés de masse et à cycle de vie réduit,
soit « la logique ‘économique’ des industries littéraires et artistiques qui,
faisant du commerce des biens culturels un commerce comme les autres,
confère la priorité à la diffusion, au succès immédiat et temporaire, mesuré par
exemple au tirage et se contentant de s’ajuster à la demande préexistante de la
clientèle (…) ». De l’autre, des produits à diffusion lente sur des marchés plus
étroits, « l’économie anti-économique de l’art pur qui, fondée sur la
reconnaissance obligée des valeurs du désintéressement et sur la dénégation de
l’économie (du « commercial ») et du profit ‘économique’ (à court terme),
privilégie la production et ses exigences spécifiques, issues d’une histoire
autonome16 ». Deux maisons d’édition – Laffont et Minuit – peuvent ainsi
15. Nous ne développerons pas ici l’analyse bourdieusienne, par ailleurs amplement
commentée ; on peut, entre autres, mentionner LAHIRE, 1999.
16. BOURDIEU, 1992, p. 202.
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incarner la division de l’espace littéraire, éditorial et critique17 : sur un versant,
un éditeur qui investit le marché des best-sellers, rapidement obsolètes et qui
mise sur une stratégie résolument commerciale ; sur l’autre versant, un éditeur
réputé exigeant, disposé à parier sur des titres à diffusion lente et restreinte et
sans garantie de succès.
Si, comme nous allons le voir, la situation du marché de l’art même le plus
« pur » n’a en réalité jamais été totalement déconnectée des considérations
commerciales et si l’irruption des médias a contribué à brouiller les frontières
entre le pôle commercial et le pôle esthétique, il faut cependant reconnaître
que Bourdieu n’a pas totalement occulté cette question, de plus en plus
présente au fur et à mesure où l’analyse du rôle des médias devenait un enjeu
central de sa réflexion. Dans Homo Academicus, la fréquence d’apparition à la
télévision et dans les classements de la presse constitue un des indicateurs du
rapport des intellectuels au grand public18. Plus généralement, les classements
publiés par les journaux y sont présentés, en tant qu’ils contribuent à imposer
une vision objective du monde intellectuel, de ses hiérarchies et de ses
divisions et l’hybridation des positions y est incarnée par ces classeurs
inclassables, intellectuels-journalistes et journalistes-intellectuels « placés en
position mitoyenne entre le champ de production restreinte et le champ de
grande production19 ». Dans Libre-Echange, pour prendre un autre exemple,
Bourdieu souligne le pouvoir de consécration des médias qu’il associe
notamment aux producteurs les plus hétéronomes20. Dans Contre-feux et
Contre-feux 2, c’est la perte d’autonomie du champ culturel et l’uniformisation
de l’offre culturelle, en partie sous l’effet de la production médiatique de
masse et des verdicts de ceux qui la dominent, qui sont décrits. Il faut
également souligner – contre toute tentation réductionniste – que Bourdieu
n’isole pas le champ culturel des autres champs et que la question de la perte
d’autonomie ne peut se concevoir que dans l’interdépendance des champs. Par
17. Sur l’homologie structurelle entre l’espace des auteurs, des consommateurs et des
critiques, voir BOURDIEU, 1992.
18. BOURDIEU, 1984, p. 262-263.
19. BOURDIEU, 1984, p. 278.
20. BOURDIEU, HAACKE, 1994, p. 27-28 : « Dans le monde de la haute couture, on sait
bien que la présentation annuelle des nouvelles collections assure aux couturiers, chaque
année, l’équivalent gratuit de centaines de pages de publicité. Il en va de même des prix
littéraires. (…) De manière très générale, c’est sans doute par l’intermédiaire de la presse, de
la séduction qu’elle exerce sur les producteurs, surtout les plus hétéronomes, et de la
contribution qu’elle apporte au succès commercial des œuvres, et aussi par l’intermédiaire des
marchands de biens culturels (éditeurs, directeurs de galerie, entre autres) que l’emprise de
l’économie s’exerce sur la production culturelle. »
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exemple, Bourdieu a mis en évidence l’emprise du champ journalistique sur
les champs de production culturelle : soumis à l’épreuve quasi permanente des
verdicts de l’audimat, les médias et en particulier la télévision seraient
conduits à privilégier les produits et les producteurs culturels qui répondent le
mieux aux contraintes du marché (« bien passer à la télévision », « bien se
vendre »...). Du même coup, les industries culturelles sont portées à favoriser
les artistes les plus ajustés aux médias qui en assurent la promotion, selon une
logique circulaire de renforcement mutuel : c’est ainsi que la loi du marché
impose « ce nouveau principe de légitimité qu’est la consécration par le
nombre et la ‘visibilité médiatique’, capables de conférer à certains produits
(culturels ou même politiques) ou à certains ‘producteurs’ le substitut
apparemment démocratique des sanctions spécifiques imposés par les champs
spécialisés21 ». L’étude de l’industrie musicale, par exemple, constituerait une
bonne illustration de cette emprise du champ médiatique, emprise qui ne
s’impose pas nécessairement de l’extérieur aux entreprises culturelles mais qui
est souvent au cœur des processus croissants d’intégration : ainsi, on peut
montrer que les majors du disque sont toutes présentes dans les multimédias.
Or, ce phénomène de concentration « filtre le nombre d’artistes qui peuvent se
faire entendre. En France en 1999, seuls 1 % des 400 titres les plus diffusés en
radio provenaient de labels indépendants. (…) La plupart des styles musicaux
sont marqués par l’évolution de certains médias. Mais par la sélection qu’ils
opèrent, ces médias favorisent une vision du style toujours partiale et partielle.
En tant qu’entreprises à vocations commerciales, majors et radios privées ont
donc travaillé de concert pour proposer un certain nombre d’artistes22 ». On
pourrait pousser plus loin l’analyse en montrant comment bon nombre
d’auteurs-compositeurs intériorisent des contraintes indirectement imposées
par les radios leader. Ils sont ainsi conduits à formater, le plus
« naturellement » du monde, la durée ou la structure de leurs chansons23.
« Si l’imagerie officielle pose l’art en absolu, glorifie les artistes, représente la
relation de l’amateur à l’œuvre comme amour pur et désintéressé, c’est pour
masquer les combinaisons mercantiles dont l’art fait l’objet et les contraintes
21. BOURDIEU, 1994, p. 6.
22. GUIBERT, 2000a, p. 56. Voir aussi GUIBERT, 2000b, p. 103-116.
23. Je me fonde ici sur ma propre expérience d’ancien musicien professionnel sous contrat
avec Virgin au début des années 1990. Ce type de norme faisait l’objet d’un consensus
implicite, en particulier pour les artistes débutants pour lesquels l’ajustement aux exigences
formelles des radios apparaissait comme une des conditions de la réussite, et par conséquent
une contrainte acceptable.
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économiques auxquelles sont assujettis les artistes24. » Raymonde Moulin, en
particulier, a indiqué comment les valeurs artistiques se construisent à
l’articulation du marché et des institutions culturelles, selon un système qui
s’est développé, dans le cas de la France, au XIXe siècle25 : marchands,
critiques, commissaires-priseurs, conservateurs, enseignants des Beaux-arts,
galeries et collectionneurs coopèrent pour déterminer la valeur esthétique des
œuvres. Mais on voit surtout que les artistes orientés vers le marché et les
artistes orientés vers le musée ne sont pas deux pôles totalement opposés, les
valeurs se constituant « à l’intersection des deux univers et par l’interaction
d’acteurs aux rôles de moins en moins différenciés26 ». Ainsi,
l’interchangeabilité et les glissements de fonctions apparaissent comme des
facteurs marquants des interactions entre le champ culturel et le marché : des
critiques d’art se font commissaires d’exposition ; des artistes deviennent
marchands ; le collectionneur est à la fois conservateur, marchand et expert en
relations publiques, etc27. Le champ d’intervention de ces acteurs polyvalents
se situe donc au carrefour des univers artistiques et économiques, la valeur
artistique et le prix de l’œuvre sur le marché apparaissant étroitement liés. On
observe par conséquent un renouvellement des conditions d’évaluation des
œuvres mais aussi des catégories d’agents appelés à juger de l’art : par
exemple, le marché de l’art contemporain, dans les années 1970/1980, est
marqué par l’entrée des conservateurs de musées sur le terrain naguère réservé
aux critiques. Cette concurrence oriente elle-même la critique d’art, de la
découverte à la promotion des œuvres, et l’on voit que le critique peut
simultanément travailler pour le marché et pour l’institution. En outre, si
l’information artistique se distingue en théorie de l’information médiatique28,
les deux dimensions se superposent parfois en pratique, les critiques, les
experts et les différents agents se transformant en promoteurs de notoriété
artistique ; comme l’explique un critique d’art, « on est passé de la
conservation à la consécration29 ».
L’analyse du marché de l’art contemporain, en cela différent du marché de
l’art ancien plus consensuel, permet de montrer comment fonctionne le
24. MOULIN, 1995, p. 43.
25. Voir notamment MOULIN, 1978, p. 241-258.
26. MOULIN, 1997, p. 75.
27. Sur le brouillage des frontières entre le pôle marchand et le pôle institutionnel, voir
notamment QUEMIN, 2002.
28. Pour les économistes de la culture, l’information artistique est définie par les signaux
qu’émettent les instances de légitimation. Voir MOUREAU, 2000, p. 313 et sq.
29. MOULIN, 1997, p. 208.
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processus d’engendrement des valeurs : le marché entérine les succès en
cours ; et simultanément, des acteurs du monde de l’art reconnus pour leur
capacité à découvrir de nouveaux talents jouent un rôle moteur dans
l’imposition des tendances. A la suite de R. Moulin, l’étude du procès de
création de la valeur à propos du marché de l’art contemporain a fait l’objet
de nombreuses analyses, en particulier en sociologie et en économie de la
culture. Nous nous bornerons ici à en rappeler les grandes lignes : d’une part,
il s’agit de marchés peu stabilisés, fréquemment sujets à des opérations de
déclassements et de reclassements ; d’autre part, cette versatilité alimente
des phénomènes spéculatifs. Howard Becker par exemple, lorsqu’il décrit cet
aspect du « monde de l’art », ne sépare pas la recherche et la possession des
œuvres de la recherche du « gros lot » : « les gens achètent des œuvres de
jeunes artistes ‘lancés’ dans l’espoir que leur cote augmentera
substantiellement et que, simultanément, elles obtiendront une réputation
durable d’œuvres majeures pour avoir constitué une véritable étape de
l’histoire de l’art. Les réputations sont si volatiles que, comme dans tout
marché spéculatif, nul ne peut dire si elles correspondent à une ‘vraie valeur’
ou à une ‘simple intox30’ ». Pour les experts tout comme pour les marchands,
les galeristes ou les grandes institutions muséales, la compétition pour la
maîtrise du marché des œuvres contemporaines passe par l’anticipation de la
nouveauté. R. Moulin a montré comment le leadership des principaux
acteurs du monde de l’art contemporain est lié à leur « capital de flair »,
c’est-à-dire d’anticipation des tendances, dans un univers marqué par la
production de la croyance : leur intervention sur le champ culturel et le
marché est d’autant plus forte – conduisant le cas échéant à l’autoréalisation
de leur anticipation de la valeur des artistes – que leur pouvoir de faiseurs de
goûts est reconnu par les « suiveurs ».
La stratégie de minimisation des risques incite donc les différents acteurs du
marché à ne pas se tenir à l’écart du processus de reconnaissance et, pour
reprendre l’expression de Becker, à « sauter dans le train en marche
(bandwagon effect) ». La carrière de l’homme d’affaires et collectionneur d’art
britannique Charles Saatchi illustre bien la façon dont un acteur leader sur le
marché de l’art peut jouer un rôle moteur : modèle d’orchestration médiaticopublicitaire, l’exposition Sensation à la fin des années 1990 a permis de
déclencher un scandale mais aussi l’envolée des notoriétés et des prix des
artistes qui y étaient représentés31. R. Moulin, à propos de l’art américain du
30. BECKER, 1999.
31. Voir MOULIN, 2000, p. 53-54.
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Présentation
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milieu des années 1980, a montré comment se sont développées des stratégies
de promotion qui mobilisent l’économie médiatico-publicitaire : « Succession
rapide de ‘coups’, lancement publicitaire ciblé sur des milieux extérieurs au
monde de l’art, starification des artistes (…). Les rockers de l’art doivent leur
célébrité à leur style de vie et de carrière32. » Les biographies de Basquiat et
de Combas, par exemple, témoignent d’une consécration très rapide marquée
par la formation d’une bulle spéculative avec une diffusion médiatique dans
différentes couches de la société33. Cet exemple semble également confirmer
la thèse de O. Donnat selon laquelle : « Les critères du succès dans l’économie
médiatico-publicitaire entretiennent certaines analogies avec ceux qui assurent
la consécration dans les avant-gardes artistiques : la mise en scène de sa propre
existence, l’insistance sur le caractère exceptionnel de sa trajectoire sociale, le
sens de la provocation, qui sont des atouts décisifs aux yeux de l’économie du
spectaculaire, ont toujours aussi été des facteurs de nature à faciliter la
reconnaissance des milieux des avant-gardes artistiques34. » Tandis que
l’histoire de l’art est marquée par un déplacement de l’œuvre vers la signature,
l’usage des médias et de la publicité n’a fait qu’amplifier ce mouvement.
Par ailleurs, le pouvoir de consacrer varie, au moins théoriquement, avec le
degré de légitimité reconnu aux experts : la question de savoir d’où les
experts tirent leur autorité d’agents légitimants35 a notamment été analysée
par Annie Verger dans son étude sur l’invention des palmarès36 ; en prenant
l’exemple de la revue Connaissance des arts qui publie périodiquement des
classements d’artistes à partir de 1955, elle montre à la fois comment se
constitue une instance de consécration, selon quelles modalités elle asseoit sa
crédibilité, et comment l’évolution de la composition du jury est révélatrice
des luttes pour le monopole de la consécration ; c’est ainsi que les experts
dont la réputation s’est établie par une politique d’achats audacieux ou
d’activités spectaculaires, c’est-à-dire ceux qui sont perçus comme les plus à
même d’interpréter les tendances du marché, vont progressivement imposer
leur compétence spécifique.
Mais la question ne se limite pas à savoir qui classe. Elle doit aussi porter sur
les effets de ces classements comme indicateurs de la valeur. Or, mesurer la
32. MOULIN, 1997, p. 74.
33. MOUREAU, 2000, p. 322-323.
34. DONNAT, 1994, p. 148.
35. Sur cette question, voir QUEMIN, 2002.
36. VERGER, 1987, p. 107.
20
Réseaux n° 117
pertinence des différents indicateurs n’épuise pas totalement cette question :
en faisant référence au courant économique de la qualité, nous allons
montrer que l’établissement de la valeur est aussi affaire de conventions.
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L’économie de la qualité : la notoriété comme substitut de la valeur ?
Comme nous l’avons vu, la certification esthétique reposerait sur la capacité
d’un groupe dominant à imposer des valeurs dans un domaine – l’art – conçu
comme un champ de stratégies et de luttes simultanément symboliques et
matérielles. L’« académisme », par exemple, peut être décrit comme le
monopole et l’imposition du bon goût légitime ; et l’avant-garde d’hier, par
un long processus d’intégration, constitue souvent le socle de l’académisme
d’aujourd’hui. Dans le même temps, il apparaît que le processus de
certification artistique met en scène des acteurs et des intérêts hétérogènes :
critiques et experts, mais aussi marchands, collectionneurs, amateurs d’art,
médiateurs, etc. Ainsi, la mise en cause de la légitimité des instances de
légitimité ne répond pas à cette autre question : quels types d’interactions ces
dispositifs d’évaluation construisent-ils entre ceux qui produisent les
jugements, ceux qui sont jugés, et ceux qui interprètent ces jugements ?
Cette question de la médiation entre la production des biens et
l’identification de leur valeur est notamment centrale pour le « courant de la
qualité » en économie de la culture.
Certains marchés, dont celui des biens culturels, peuvent en effet être marqués
par de fortes incertitudes sur la valeur des biens qu’ils proposent : ces biens
sont fortement différenciés (un disque des Rubettes n’est pas identique à un
disque des Beatles lui-même différent d’un album d’Oasis…), faiblement
substituables, et leur valeur ne peut être véritablement discernée qu’à partir du
moment où on en a fait l’expérience : « Le consommateur n’est informé sur
leur contenu réel et ne connaît effectivement la satisfaction qu’il y avait à en
attendre qu’une fois le bien ‘consommé37’. » L’économie de la culture a ainsi
mis en évidence une théorie des comportements collectifs, fondée sur la
propension des consommateurs à rechercher les informations qui peuvent
réduire l’incertitude sur la valeur des produits artistiques.
Sur le marché de la peinture contemporaine, la présence dans des expositions
ou dans des musées de réputation internationale ou la citation dans des
37. MENGER, 2002, p. 36.
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Présentation
21
revues spécialisées peut fonctionner comme un indicateur de la valeur ; ces
critères sont notamment retenus pour l’élaboration du Kunst Kompass publié
à partir de 1970 dans la revue Capital, qui établit la valeur réputationnelle
des artistes contemporains vivants38 ; selon Annie Verger : « Il s’agit de
produire un système présentant des garanties ‘d’objectivité’ à partir de
l’appréciation chiffrée de ce qui fait la réputation des artistes,
indépendamment du classement économique établi par les cotes39. » En
d’autres termes, l’objectif du Kunst Kompass est d’indexer la valeur
objective des œuvres sur la place qu’occupent les artistes dans l’échelle de la
notoriété. Dans d’autres cas, c’est le prix d’achat qui constitue un indicateur
du talent ; cette mesure est cependant peu opératoire dans le domaine des
industries culturelles où les prix sont généralement fixes. Alain Quemin, à
propos des marchés de l’art contemporain, montre pour sa part comment les
évaluations esthétiques et financières peuvent intégrer des critères de valeur
tels que la nationalité des artistes : « Dans la mesure où les artistes allemands
et américains se vendent particulièrement bien sur le marché de l’art et
s’insèrent plus facilement que les artistes d’autres nationalités dans les lieux
les plus importants du monde institutionnel de l’art, soutenir ces artistes en
les achetant et en les exposant permet de réduire l’incertitude qui
accompagne la valeur artistique contemporaine40. »
Pour répondre à la question de la formation des valeurs sur le marché de
l’art, le courant économique de « la qualité » a notamment mis en avant la
notion de notoriété41. Sur le plan heuristique, cette perspective renouvelle les
38. Pour une analyse sociologique du système d’évaluation de la notoriété comme principe du
Kunst Kompass, voir notamment MOULIN, 1995, p. 227-229 et QUEMIN, 2002. Dans une
perspective d’économiste, voir MOUREAU, 2000, p. 35-38.
39. VERGER, 1987, p. 116. Signalons cependant le contresens fait par Annie Verger :
contrairement à ce qu’affirme cette dernière, l’ambition de cette entreprise de classement ne
peut pas être de « disputer à un groupe restreint de professionnels le monopole du jugement
des artistes et des œuvres d’art ». En effet, ce sont les appréciations des professionnels qui
sont synthétisées dans l’indicateur. Le degré de reconnaissance des artistes est mesuré sur la
base des verdicts des directeurs de grands musées, par les propriétaires de collections privées
et les principales revues consacrées à l’art contemporain. Le travail d’A. Quemin sur l’art
contemporain international présente l’intérêt de ne pas se limiter à la critique des positions de
pouvoir qu’implique tout processus de classement : il montre aussi comment le Kunst
Kompass révèle un état du marché de l’art et notamment la hiérarchie entre les pays.
40. QUEMIN, 2002, p. 131.
41. Bien entendu, l’économie de la qualité ne porte pas uniquement sur l’analyse du marché
artistique. A cet égard, le travail de KARPIK, 1989 qui prend pour terrain les relations
économiques entre les avocats et leurs clients comme modèle d’échange asymétrique fournit
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22
Réseaux n° 117
débats sur la mesure de la valeur : il ne s’agit pas seulement de voir
comment s’imposent les agents dotés du pouvoir de consécration, mais
plutôt comment fonctionnent les dispositifs de confiance entre des experts et
des clients dans une situation dominée par l’incertitude sur la valeur des
produits culturels. La notoriété – définie comme « le fait d’être connu de
manière certaine et générale ; cette connaissance porte sur le nom et, en
matière artistique, il s’agit le plus souvent d’une connaissance qui est
avantageuse pour l’artiste42 » – peut ainsi fonctionner comme un signal
indirect de la qualité, bien évidemment relative ; métonymique de l’œuvre et
substitut potentiel de la connaissance du talent, la notoriété offre au public
des avantages en termes d’information et de choix, puisqu’elle constitue un
facteur susceptible de minimiser les erreurs d’appréciation tout en pouvant
être substituée à un processus d’apprentissage, générateur de coûts
(monétaires, temporels, informationnels43). Mais ce modèle de la
minimisation des risques et des coûts par le recours au signal de la notoriété
est-il transférable du marché de l’art contemporain (œuvres uniques) à celui
des industries culturelles où les biens sont produits en grande quantité ?
D’une part, on peut discuter la question de savoir si ce sont ou non les
mêmes publics qui sont sollicités. D’autre part, dans le cas de l’art
contemporain, la difficulté principale tient au fait que les valeurs ne sont pas
stabilisées (rôle de l’histoire de l’art) et que par conséquent, de tels produits
peuvent alimenter un marché particulièrement spéculatif où les effets de
classement puis de déclassement (et donc de décote) ne sont pas rares44.
Dans le cas des industries culturelles, il s’agit de biens reproductibles (livre,
film, disque) pour lesquels les prix sont généralement fixes ; l’accroissement
de la demande se traduit ici par l’augmentation des unités vendues, à la
différence d’une œuvre non reproductible pour laquelle la hausse de la
demande se traduit par un accroissement du prix. Les prix ne sont d’ailleurs
un modèle transposable à de multiples secteurs de la vie économique, dont celui de la culture.
Je remercie Dominique Sagot-Duvauroux d’avoir attiré mon attention sur ce texte.
42. ROUGET, SAGOT-DUVAUROUX, 1996, p. 91.
43. ROUGET, SAGOT-DUVAUROUX, 1996, p. 99 : « Le plaisir tiré des services de
consommation est plus intense car l’utilisateur des ces œuvres a l’assurance d’une qualité
esthétique liée au renom qui s’attache à l’ensemble de la production de l’artiste ; l’œuvre d’un
artiste notoire permet en outre au consommateur mieux qu’aucune autre d’exprimer son désir
de rattachement à un statut économique et social particulier. » La notoriété n’est toutefois pas
un critère d’appréciation indiscutable, notamment parce que la substitution de la notoriété à la
qualité est un processus réducteur.
44. Sur la formation de bulles spéculatives dans le marché de l’art contemporain, voir
notamment ROUGET, SAGOT-DUVAUROUX, 1996, p. 81-82. Voir également ROUGET,
SAGOT-DUVAUROUX, PFLIEGER, 1991.
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Présentation
23
pas des indicateurs fiables de la qualité : par exemple, on trouve dans la
collection bon marché Librio des best-sellers (Stephen King, etc.) et des
classiques (Maupassant, etc.). Autre caractéristique, le marché des industries
culturelles est atomisé et marqué par une grande diversité de produits45. Sur
ce type de marché, les biens sont des biens d’expérience puisque l’évaluation
n’intervient qu’après la transaction : le consommateur ignore a priori leur
qualité, d’autant que le nombre des produits disponibles est élevé (plusieurs
dizaines de milliers de références accessibles pour le disque ou le livre). Le
consommateur est donc enclin à adopter des comportements rationnels, voire
mimétiques, en privilégiant les titres qu’il juge sûrs. Ceci peut expliquer par
exemple la tendance générale de la consommation culturelle à se concentrer
sur un nombre restreint de titres46 : selon le CNC, les 6 meilleures entrées de
cinéma (Amélie Poulain, La vérité si je mens 2, Harry Potter…) pour
l’année 2001 représentent à elles seules 20 % du nombre total d’entrées en
France (185 millions). Bien entendu, une des limites – mais non
contradictoire – de la théorie des comportements mimétiques est la recherche
de la distinction lorsqu’elle conduit le consommateur à préférer les produits
les plus rares.
L’interprétation de la qualité des œuvres peut donc s’appuyer sur des
distinctions telles que l’attribution d’un prix ou l’inscription de l’œuvre sur
une liste des succès (Top 10 ou 50, hit-parade, liste des meilleures ventes…).
Ces différents dispositifs de jugement sont certes comparables en ce qu’ils
permettent de coordonner une offre et une demande. Toutefois, ils peuvent être
distingués en différentes catégories selon les types de convention qu’ils
proposent. Lucien Karpik propose de les classer en trois catégories comportant
elles-mêmes des subdivisions internes : les guides, les appellations et les
classements, dont on a synthétisé les propriétés dans le cadre suivant47.
45. Le marché de l’œuvre d’art n’est pas simplement opposable au marché des biens
reproductibles par le critère de la rareté ou de l’unicité. J’ai montré à propos des processus
d’appropriation chez certains fans comment s’organisait un marché des collector’s (LE GUERN,
2002). Emmanuel Ethis mène une analyse identique à propos des bonus sur les DVD. ETHIS,
2001, p. 212-214.
46. De la même façon que les touristes se concentrent sur les lieux les plus fréquentés, les
lecteurs tendent à acheter les best-sellers. Voir CAMINAL, VIVES, 1996.
47. KARPIK,1996. Toutes les citations apparaissant dans le tableau sont extraites de cet
article.
24
Réseaux n° 117
Les classements
Les indicateurs qui, sans modifier les biens et les services, rendent plus ou
moins fidèlement visibles leurs singularités par le moyen de hiérarchies
publiques :
Le palmarès : classement de type circulaire où les meilleurs sont les plus
vendus et les plus vendus sont les meilleurs. Son apparente objectivité tient au
dispositif de jugement qui joue notamment sur la visibilité sélective : « Il réunit
au mieux les conditions d’une sollicitation des préférences du grand nombre. »
Ses limites tiennent à la confiance portée aux instruments de classement
(rumeurs de manipulation) et aux limites de la convention qui fonde cette
définition particulière de la qualité.
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Exemple : le Top 50, les listes de best-sellers…
La réputation : forme d’évaluation fondée sur le jugement social. La fonction
de repérage est ici sous-tendue par le degré de confiance.
Le diplôme : permet de classer les services offerts par une profession au moyen
du classement universitaire.
Les appellations
Les mécanismes qui, tels les labels, les certifications, les marques, associent des
noms à des constructions délibérées de la singularité. Dans le cadre général des
conventions de qualité : « Le label vise à garantir publiquement la singularité
d’un bien ou service par une obligation de moyens de production certifiée par
une autorité de contrôle. »
Les guides
« L’autorité douce dont les préférences, lorsqu’elles rencontrent la docilité
volontaire, permettent de dénouer les affres de l’incertitude sur la qualité. » Les
guides présentent une sélection et un classement mais ils se distinguent entre
eux par les critères de jugement employés : aux extrêmes, les guides peuvent
revendiquer « une objectivité fondée sur des mesures techniques attestées par
une instrumentation spécialisée et une subjectivité qui revendique la singularité
de l’expérience personnelle et l’arbitraire du goût ».
« Comme les autres dispositifs de jugement, les guides tirent leur autorité de la
confiance qui leur est conférée mais ils s’en distinguent par leur objet :
l’évaluation porte directement sur la qualité. »
Présentation
25
Cette typologie permet de souligner la diversité des dispositifs de confiance :
ceux-ci peuvent faire appel à l’expérience directe, aux réseaux
d’interconnaissance (bouche à oreille), à l’évaluation des prescripteurs
(attribution de prix), aux signaux médiatiques et publicitaires (nombre de
passages à la télévision ou de mentions dans la presse), etc. Le choix d’un
disque peut être lié à une liste des meilleurs ventes, à un guide, à une critique
journalistique, à l’avis d’autres acheteurs ou de vendeurs, plusieurs
dispositifs pouvant être mobilisés simultanément. Ces dispositifs sont des
opérateurs de connaissance et de confiance. La valeur des classements et des
cotations de talents est elle-même en partie dépendante de « l’autorité
fiduciaire48 » des instances critiques, c’est-à-dire du crédit accordé à leurs
procédures de désignation.
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L’effet hit-parade : la circulation circulaire de la consécration
Sur les deux versants du marché, on trouve, d’un côté, l’incertitude des
consommateurs sur la valeur des artistes, et de l’autre, l’incertitude sur le
potentiel marchand des biens culturels. L’incertitude quant à la réussite d’un
projet créateur est une caractéristique incontournable du marché des biens
culturels, même si différentes stratégies peuvent être adoptées afin de réduire
les risques d’insuccès49 : l’utilisation de l’outil marketing qui permet de
cerner les caractéristiques du public ; la saturation du marché, les succès
compensant les échecs avec un fort turn-over des produits lorsque leurs
résultats sont jugés insuffisants ; la production d’effets d’anticipation par la
surexposition du produit avant sa mise sur le marché50 ; la production et
l’exploitation de la notoriété médiatique. Les dispositifs de classement et de
consécration servent ainsi non seulement à établir une liste des vedettes
connues et reconnues mais – selon l’effet cumulatif caractéristique du hitparade qui veut que celui qui réalise un nombre élevé de ventes entre dans le
hit-parade et est mécaniquement amené à vendre encore plus – peuvent
48. CHEYRONNAUD, in ETHIS, 2001, p. 37, note 13 : « On entendra par là la crédibilité
acquise dans les procédures d’octroi de qualifications. (…) L’épithète fiduciaire sous-tend
l’obligation de garantie, autrement dit ici, de valeur fondée sur la confiance que l’on accorde à
l’instance d’homologation, à la transparence de ses procédures de discernement (la sélection)
et de décernement (choix, composition et décisions des jurys). »
49. Voir par exemple DE VANY, WALLS, 1997.
50. Voir Claudine Mulard, « La campagne marketing de Miramax pour Le Chocolat dans la
course aux Oscars », Le Monde, 28 février 2001, p. 32. On y voit comment les producteurs de
cinéma investissent dans la production de la notoriété des artistes. L’année où Shakespeare in
Love gagne l’Oscar, Miramax a dépensé 15 millions de dollars en encarts publicitaires.
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26
Réseaux n° 117
contribuer à maximiser le succès. La question de l’impact des stars51 sur le
succès des films a ainsi fait l’objet de nombreuses évaluations et
hypothèses52. On voit des revues américaines (The studio Hot List/The Star
Power Survey/International Motion Picture Almanac) publier des hitparades d’acteurs classés selon leur « bankability », autrement dit le niveau
de garantie de recettes pour chaque acteur ; des acheteurs de films, des
distributeurs, des dirigeants de studio, des banquiers figurent entre autres
parmi les évaluateurs : Tom Cruise et Tom Hanks se distinguent par leur
indice élevé d’impact sur la probabilité de succès d’un film. Plusieurs
variables cumulables peuvent expliquer l’influence des stars : capacité à
attirer les médias ; à être présent sur plus d’écrans qu’un film sans star ; à
attirer les financements ; à orienter les choix du consommateur, comme nous
l’avons vu plus haut. Pour autant, il semble difficile de conclure à l’effet de
notoriété sur le succès des films même si ce critère semble pertinent : JeanMichel Guy indique que l’élément prépondérant pour les spectateurs français
est l’histoire et que moins on est instruit et plus on choisira son film pour le
casting53 ; d’autres enquêtes menées auprès du public américain et anglais
placent au premier rang de la motivation cinéphile les acteurs. Reste à savoir
si le public est sensible à la notoriété artistique des acteurs ou à leur notoriété
médiatique, ces deux dimensions pouvant se cumuler mais ne se confondant
pas. Une autre stratégie d’anticipation du succès consiste à exploiter en
même temps qu’à produire la notoriété d’un film. Ce processus a été fort
bien décrit à propos de la sortie de films comme Harry Potter ou Taxi 3 ; en
misant sur leur « franchise », c’est-à-dire leur notoriété de marque avant
sortie, les distributeurs adoptent pour les films considérés comme des
grosses productions des stratégies de surexposition. La sortie du film Taxi 3
voisine le millier de copies : « L’exploitation est réduite à 3 ou 4 semaines,
avec plus de la moitié des recettes enregistrées en première semaine. Les
salles sont réservées jusqu’à trois ans à l’avance » et on « cite le cas de
diffuseurs télé qui demandent sur combien de copies sortira un film dont le
tournage n’est même pas commencé54. »
51. Les « stars » peuvent être définies comme un nombre restreint d’individus qui tirent de
leur activité des revenus records : ce sont des « winner-take-all », des vainqueurs-accapareurs.
En économie, la question suscitée par les stars est donc celle de la répartition économique des
revenus.
52. Pour une synthèse de ces travaux, voir FORT, 2001.
53. GUY, 1989.
54. Samuel Blumfeld, « L’exploitation française peine à avaler les grosses sorties »,
Le Monde, 29 janvier 2003, p. 36.
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Présentation
27
Des travaux similaires ont été menées à propos des hit-parades musicaux :
E. Strobl et C. Tucker55 ont par exemple étudié les classements établis par le
Chart Information Network, publiés dans le New Musical Express chaque
semaine depuis 1962. Ces classements reposent uniquement sur les chiffres
de vente. La principale évolution du mode de classement au fil des ans a trait
à l’importance croissante de l’album par rapport au single, comme format de
référence auprès des artistes et des consommateurs. On passe ainsi du
Top 10 en 1962 au Top 20 en 1969 puis au Top 50 en 1983. Il ressort pour la
période étudiée par Strobl et Tucker (1980-1993) que seul un très petit
nombre d’artistes est à l’origine d’un grand nombre de disques classés ; et
seuls quelques albums restent dans les charts sur de très longues périodes.
On peut donc faire l’hypothèse que ce type de classement constitue un repère
pour les acheteurs et donne naissance à des mécanismes d’autorenforcement,
ce que les auteurs de l’étude appellent le « snowballing effect ». Plus
généralement, les choix des consommateurs semblent étroitement
dépendants du choix des premiers acheteurs : on peut parler dans ce cas de
« bandwagons effects56 ». Cette analyse est convergente avec la théorie
économique des « Superstars57 » : le marché musical est dominé par
quelques vedettes qui tendent à concentrer les réputations et la rémunération
des réputations, et les maisons de disque ont tendance à privilégier les
artistes déjà établis ; le succès des « greatest hits albums » est une illustration
de cette théorie58. Les auteurs concluent leur étude en notant également que
ce sont les albums signés sur les plus gros labels qui bénéficient de la plus
grande promotion, les labels agissant comme des promoteurs de notoriété.
On pourrait ajouter que les stars à l’intérieur d’un même label ne se
concurrencent pas automatiquement mais qu’elles contribuent à des
dynamiques collectives positives : dans l’appariement sélectif de deux
artistes Virgin tels que Renaud à Axelle Red réunis sur un même single,
chacun bénéficie de la notoriété de l’autre et les réputations s’agrègent59. En
d’autres termes, un des leviers de la valorisation des talents peut être
55. STROBL, TUCKER, 2000.
56. STROBL, TUCKER, 2000, p. 130.
57. ROSEN, 1981. Pour une synthèse des travaux sur l’économie des « Superstars », voir
BENHAMOU, 2002.
58. Le best of d’artistes représenterait par exemple 10 % du chiffre d’affaire d’Universal.
Voir www.challenges-eco.com/France/art2.html
59. Cet effet d’agrégation est renforcé lorsque les deux artistes figurent peu de temps après la
sortie de l’album sur une compilation EMI/Virgin/Chérie FM des « meilleurs duos ».
L’histoire du cinéma offre des exemples identiques : l’industrie cinématographique
28
Réseaux n° 117
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l’association de talents relativement identiques60, voire de talents dont la
réputation solidement établie pour l’un bénéficiera à la réputation en devenir
de l’autre (Johnny Hallyday, Pascal Obispo, Patrick Bruel et même Phil
Collins ont parrainé la Star Academy). Ce principe de valorisation tire toute
son efficacité, auprès du public, de ce qu’il repose sur une sélection
cooptative (si un chanteur de la notoriété de Phil Collins accepte de chanter
avec les débutants de la Star Academy, c’est donc qu’ils ont de la valeur). Un
artiste peut en outre avoir des effets sur d’autres artistes, qui bénéficient
indirectement de l’appartenance à un même groupe, à une même école, à un
même label, ce que les économistes appellent des externalités positives.
Ces analyses montrent plus généralement que l’affichage des palmarès
suscite des mécanismes d’autorenforcement : « Les meilleurs sont les plus
vendus et les plus vendus sont les meilleurs61 ». L’analyse du prix Goncourt
indique que : « Les jurys littéraires misent généralement sur des livres qui
sont déjà des succès de librairie avant même d’être couronnés d’un prix.
Dans leurs choix, l’indice de popularité prime donc sur la qualité littéraire
proprement dite62. » Un phénomène similaire a pu être décrit à propos des
disques d’or, un petit nombre d’artistes concentrant des résultats très
supérieurs au nombre moyen de disques d’or par artistes. Selon les auteurs,
on peut ainsi démontrer que la probabilité d’achat d’un disque est
directement liée au nombre de consommateurs qui ont déjà acheté ce
disque63. Si le niveau de notoriété ne garantit pas automatiquement le succès,
on voit cependant que la critique, les classements et les prix peuvent
fonctionner auprès des publics comme des indicateurs puissants qui orientent
les choix de consommation culturelle.
On peut ici tenter de s’interroger sur l’impact de l’économie médiaticopublicitaire comme amplificateur de notoriété : car non seulement les médias
relaient les classements et amplifient les réputations (le lauréat du Goncourt
a droit à une surexposition médiatique), mais ils peuvent les produire (Prix
du Livre Inter/NRJ Music Awards diffusés en prime time sur TF1, etc.).
hollywoodienne cherche très tôt à produire des films qui rassemblent plusieurs stars d’un
même studio de façon à multiplier l’effet attractif. Voir KINDEM, 1982.
60. Voir le résumé des mécanismes de production de la notoriété par MENGER, 2002, p. 40-49
et en particulier la note 20, p. 44.
61. KARPIK, 1996, p. 534.
62. DUCAS, 1998.
63. CHUNG, COX, 1994.
Présentation
29
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Légitimité par le marché et sollicitation du public
L’économie médiatico-publicitaire serait un accélérateur de notoriété64 ;
mais elle agirait aussi comme un facteur de promotion et de reconnaissance
instantanée par sa capacité à imposer de nouvelles personnalités. Cette thèse
générale de l’impact de l’économie médiatico-publicitaire semble
difficilement contestable et de nombreux travaux vont dans ce sens. La
promotion médiatique contribue à déplacer la notoriété de l’œuvre vers
l’auteur, en exacerbant les propriétés de la personne ; la « spectacularisation
de la singularité », selon l’expression de O. Donnat65, est une ficelle dont les
compagnies cinématographiques, pour prendre un exemple, ont su tirer parti
assez tôt pour accroître la notoriété médiatique de leurs artistes : les studios
ont ainsi créé leurs propres magazines (Photoplay, Motion Picture Stories)
afin d’orchestrer la promotion des stars, en particulier en activant le registre
vie privée/publique. En quelque sorte, on assiste ici aux premières stratégies
d’intégration du système de production, de distribution et de diffusion qui
incluent jusqu’aux instruments de promotion médiatique des artistes66. La
critique idéologique ou politique de l’économie médiatico-publicitaire –
nourrie d’antilibéralisme économique – a pris pour cible ces phénomènes
oligopolistiques qui affectent la production culturelle : selon P. Bourdieu, la
concentration des moyens de production, de diffusion et de médiatisation
menace l’autonomie du champ en favorisant les produits culturels omnibus
et un nombre réduit de producteurs « stars » qui accèdent à la
reconnaissance67. Jean-Yves Mollier ou André Schiffrin68 ont bien souligné
pour leur part l’intégration de l’édition dans la communication avec ses
64. Selon le directeur de rédaction de Musique Infos Hebdo, cité dans Libération (21-22
décembre 2002, p. 7.) à propos de Star Academy, « avant, on disait dans le métier qu’il fallait
environ sept ans pour ‘installer’ un artiste. Là, on en est à quatre mois ».
65. DONNAT, 1994, p. 148.
66. Ce modèle d’oligopole sera maintenu jusqu’en 1946 pour le cinéma américain, date à
laquelle le système d’intégration sera jugé illégal au regard de la loi antitrust.
67. « Ce qui est en jeu, c’est la perpétuation d’une production culturelle qui ne soit pas
orientée vers des fins exclusivement commerciales et qui ne soit pas soumise aux verdicts de
ceux qui dominent la production médiatique de masse, à travers notamment le pouvoir qu’ils
détiennent sur les grands moyens de diffusion. » BOURDIEU, 2001, p. 79-80. De ce point de
vue, la question de la publicité à la télévision pour les biens culturels constitue un nouvel
enjeu de l’économie médiatico-publicitaire : en France, interdite pour le livre, elle est
autorisée pour le disque ou les sites internet et en cours de discussion pour le cinéma (elle est
admise sur des chaînes du câble ou du satellite émises de l’étranger telles que MCM ou
RTL 9). La principale réserve suscitée par la publicité télévisée pour le film porte sur un
accroissement possible des inégalités entre des productions déjà très médiatisées et les autres.
68. MOLLIER, 2000. SCHIFFRIN, 1999a et 1999b.
30
Réseaux n° 117
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dérives possibles. Janine et Greg Brémond montrent de leur côté comment le
contrôle des médias devient un moyen de promotion de la littérature, en
particulier en favorisant les coopérations69. Les exemples de Star Academy
et de Pop Stars illustrent bien cette pratique des partenariats entre
producteurs (Endemol), chaînes télévisées (TF1 et M6), maisons de disque
(Universal) et journaux70 (Télé Loisirs).
Enfin, il existe une autre propriété de l’économie médiatico-publicitaire, dont
O. Donnat ne rend pas compte : la sollicitation du public lui-même. Celui-ci
peut être appelé à désigner la star. Mais il peut aussi s’agir d’élargir l’aire du
recrutement des individus voués à la notoriété comme dans le cas de Star
Academy où de parfaits inconnus sont propulsés en un temps record sur le
devant de la scène par le pouvoir amplificateur de la télévision. S’il ne nous
appartient pas d’entrer dans les débats autour de la valeur d’un tel programme,
nous pouvons du moins réfléchir à la montée en puissance de l’économie
médiatico-publicitaire : d’une part, comme forme hyperrationalisée de
production de la notoriété médiatique et de la réussite économique, elle pose la
question des conditions du succès et exacerbe les traits du « star system »
selon le modèle précédemment décrit des « vainqueurs-accapareurs ». Si
l’incertitude sur la réussite commerciale, sans doute plus forte à l’intérieur du
sous-champ de la production restreinte que pour les segments moins
novateurs, est une composante de toute production artistique, il semble bien
que la maîtrise à peu près complète des moyens de diffusion puisse faire du
succès une prophétie autocréatrice réalisée71. En d’autres termes, le succès des
artistes consacrés par Star Academy serait pour l’essentiel « le résultat de la
capacité d’influence de la décision sur le ‘client72’ ». Enfin, le pouvoir de
consécration est confié au public (près de 3 millions d’appels pour la finale),
même s’il est orienté par la manière de filmer les candidats comme dans Loft
Story et sa mise en scène des candidats73, ce qui revient à conférer, pour
reprendre l’expression de P. Bourdieu, « une légitimité démocratique à la
logique commerciale en se contentant de poser en termes de politique, donc de
69. BREMOND, 2002.
70. Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts, « Et que chacun se mette à chanter. Star Academy,
les rouages d’un jackpot à 100 millions d’euros pour TF1 », Libération, op. cit., p. 8.
71. Ce que semble contester la PDG d’Universal : « Le matraquage télé ne pourra jamais faire
vendre une mauvaise chanson. » « Nous gagnons de l’argent et une image. » Libération, idem,
p. 7.
72. BRÉMOND, 2002, p. 47.
73. JOST, 2002.
Présentation
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plébiscite, un problème de production et de diffusion culturelle74 ». Et si la
question de la justice est au fondement de la consécration, c’est bien la
justification par le mérite qui est donnée comme ressort de Star Academy75.
Dans certains cas, le vote du public est moins l’expression de préférences que
le produit de l’anticipation sur les résultats, comme dans l’analyse par Keynes
du concours de beauté76. Emmanuel Ethis montre à propos de la Palme d’Or
attribuée à Rosetta en 1999 que ce palmarès contesté est la manifestation du
divorce entre deux instances de consécration77 (la critique, le jury), mais aussi
que le résultat avait été pronostiqué a priori par une partie du public
cinéphile : par ce verdict, ces derniers n’exprimaient pas leurs préférences ; ils
anticipaient sur la logique du jury, orientée par la production de nouvelles
conventions78. A l’extrême, le verdict du public peut s’exprimer sous la forme
de cérémonies alternatives ou parodiques qui remettent en jeu les classements
et également les rituels qui entourent la compétition et l’attribution des
palmarès : c’est ce que décrit E. Ethis à propos des « bousculés de Julie
Delpy », association de cinéphiles venus des quatre coins de l’Europe qui
établissent, non sans humour, leur palmarès à l’unanimité plutôt qu’à la
majorité79. A l’occasion d’une enquête de terrain auprès des fans de
l’Eurovision, j’ai pu observer des manifestations similaires : le Vartovision,
organisé chaque année, quelques jours seulement après l’Eurovision, rejoue de
façon mi-sérieuse, mi-parodique et en multipliant les références à l’univers
74. BOURDIEU, 1994, p. 6.
75. « C’est que, à l’opposé de la justification par la chance, la justification de l’écart de
grandeur par le mérite consiste à attacher le privilège aux qualités de la personne, ou du moins
à celles qui ont à voir avec la qualité de l’œuvre : travail, compétence, talent, authenticité,
inspiration, génie – pour ne prendre ici que des quantités pertinentes en matière de création » :
HEINICH, 1999, p. 236. Sur cette question centrale de la justice et de la reconnaissance, voir
BOLTANSKI, THEVENOT, 1991 : les auteurs distinguent le monde du renom et celui de
l’inspiration, autrement dit la connaissance et la reconnaissance. Dans le monde de l’opinion,
l’exposition médiatique assure l’accès à la célébrité. Le public agit sur la construction de la
grandeur de célébrité en donnant son avis.
76. KEYNES, 1996, chapitre 12.
77. Voir aussi FABIANI, in ETHIS, 2001, p. 65-78. L’histoire du Festival de Cannes peut être
lue comme un processus progressif d’autonomisation des jurys (composés de cinéastes,
d’acteurs) et du même coup du cinéma comme art par rapport aux verdicts et aux attentes du
public. En même temps, on peut se demander si la télévision, qui diffuse la cérémonie de clôture
et consacre de nombreux reportages à l’événement, n’entame pas cette autonomisation.
78. ETHIS, 2001, p. 219-220.
79. ETHIS, 2001, p. 220-221.
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Réseaux n° 117
homosexuel, le concours. Les votes du public fonctionnent ici comme une
mise à distance critique du dispositif officiel80.
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Nouvelles logiques de distinction ou transferts de légitimité ?
A côté des prescripteurs traditionnels (Ecole81, institutions culturelles…), le
développement des médias a incontestablement joué un rôle en proposant
des nouvelles voies d’accès à la culture. Devenus accessibles au plus grand
nombre, les produits promus par l’économie médiatico-publicitaire semblent
en perdre toute valeur distinctive et aboutir à une « moyennisation » des
goûts. Ce système de consécration contribuerait aussi à mélanger les
hiérarchies, favorisant la disposition à une consommation erronée des
œuvres pour toute une partie du public. Or, on peut penser que la culture de
masse n’est pas nécessairement homogénéisante et qu’elle peut offrir de
nouveaux profits de distinction. Si cette thèse n’est pas, comme telle,
prodigieusement nouvelle – Boltanski ou Bourdieu82 par exemple ont très tôt
montré comment la culture de masse pouvait offrir des profits de distinction
–, il suffit de relire ces mêmes auteurs pour constater que le rapport
populaire à la culture qu’ils décrivent est essentiellement orienté par la
bonne volonté culturelle, mixte de mimétisme maladroit et de goût de
volonté mal assuré, lui-même générateur de l’allodoxie culturelle, « c’est-àdire de toutes les erreurs d’identification et de toutes les formes de faussereconnaissance où se trahit l’écart entre la connaissance et la
reconnaissance83 ». Or, comme le dit par ailleurs Bourdieu84, l’inclination
spontanée de certains consommateurs à l’allodoxie serait d’autant plus forte
que les nouveaux intermédiaires culturels, mi-intellectuels, mi-journalistes,
« professeurs en Sorbonne des débats télévisés, Menuhins des spectacles de
80. Pour l’étude de l’Eurovision, voir mon article à paraître dans un volume collectif consacré
à l’identité européenne, sous la direction de Dominique Marchetti (Presses Universitaires de
Rennes, 2003).
81. BAUDELOT, CARTIER, 1998, p. 40 : « Alors que l’arrivée au lycée se marque par un
recentrement sur le patrimoine littéraire lié à la contrainte scolaire s’amorce un fort attrait
pour des titres très éloignés du patrimoine, qui se manifeste au grand jour une fois la
contrainte suspendue. »
82. Nous faisons bien entendu référence aux travaux de Boltanski marqués par la théorie de la
domination. Voir par exemple, BOLTANSKI, 1975.
83. BOURDIEU, 1979, p. 370.
84. BOURDIEU, 1979, p. 376.
Présentation
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variété ‘de qualité’ » imposent des formes de production culturelle et des
jugements critiques qui ne feraient en réalité que ratifier le marché85.
D’une part, il suffit par exemple de lire le portrait que Bourdieu dresse du
fan – figure jusqu’au-boutiste du consommateur aliéné – dans La Distinction
pour mesurer la pesanteur d’un rapport au monde marqué par la domination :
ainsi, le fan apparaît comme la « limite caricaturale du militant, voué à une
participation passionnée (…) mais passive et fictive qui n’est que la
compensation illusoire de la dépossession au profit des experts86 ». Les
travaux de Henry Jenkins et de John Tulloch87, pour ne citer qu’eux, ont
pourtant proposé une vision moins déterministe des fans et des publics
qualifiés de populaires88 : en empruntant au modèle du « braconnage
textuel » fourni par Certeau89, ces auteurs ont souligné la capacité des
consommateurs à se réapproprier activement les textes. Ce qui ici distingue
fondamentalement le public « populaire » chez Bourdieu, d’une part, chez
Certeau, Jenkins et Tulloch, d’autre part, ce sont deux conceptions de
l’appropriation90 : l’une est allodoxique puisque le mode de consommation
des produits culturels et la perception – confuse – des valeurs est directement
liée à la position sociale occupée ; l’autre peut être décrite comme une sorte
de bricolage culturel par le biais duquel le public recompose les textes, une
manière de « faire avec » le système économique dominant91. Pour Certeau,
l’appropriation ne se confond donc pas avec la lecture incorrecte, à contresens92. A ce niveau, on peut penser que l’économie médiatico-publicitaire a
joué un rôle dans la relativisation des hiérarchies culturelles les plus établies
85. BOURDIEU, 1994, p. 6.
86. BOURDIEU, 1979, p. 450.
87. JENKINS, 1992. TULLOCH, JENKINS, 1995.
88. Les fans sont-ils d’ailleurs nécessairement représentatifs du public « populaire » ? Relier
l’activité de fan à une position sociale est sans doute une entreprise périlleuse, notamment si
l’on tient compte des effets induits par l’élévation du niveau scolaire ou de l’hybridation des
rapports à la culture. Les fans composent-ils un groupe socialement homogène ? Se
distinguent-ils par l’objet, la nature ou l’intensité de leur passion ? On notera que les rares
travaux sur les fans évitent généralement la question de l’appartenance sociale. Sur ce point,
voir LE GUERN, 2002b.
89. CERTEAU, 1980.
90. Rappelons que La distinction et L’invention du quotidien ont été publiées respectivement en
1979 et 1980. Pour une comparaison critique des deux auteurs, voir DOSSE, 2002, p. 206-222.
Sur la notion de « braconnage », voir MAYOL, 2002, p. 191-205.
91. Comme exemple de réception active par les fans, voir GOMARASCA, 2002.
92. La théorie de l’appropriation proposée par de Certeau a été utilisée par de nombreux
auteurs, en particuliers issus de la mouvance des cultural studies, pour produire une vision
parfois exagérément optimiste du rôle actif des récepteurs.
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Réseaux n° 117
et qu’elle a favorisé l’apparition de nouvelles dispositions distinctives et
cultivées en décloisonnant l’opposition de la culture légitime et de la culture
illégitime. La question est alors celle de savoir si on assiste à l’apparition de
nouvelles normes esthétiques et à des formes inédites de consécration ou si –
comme le suggère Boltanski à propos de la constitution du champ de la
bande dessinée – il s’agit pour certaines fractions du public (dans l’article
cité, les « nouvelles fractions des classes moyennes, détentrices de capital
culturel mais dominées dans l’ordre des hiérarchies intellectuelles et
sociales93 ») de transposer des prétentions savantes sur des terrains à peu
près libres de toute autorité culturelle et dénués de légitimité94. Autrement
dit, l’économie médiatico-publicitaire promeut-elle de nouveaux systèmes de
valeur ou assiste-t-on simplement à des transferts de légitimité qui, en
réalité, soulignent la persistance d’un ordre culturel dominant ? Sur ce point,
le texte d’O. Donnat ne tranche pas vraiment : tout en affirmant que
l’économie médiatico-publicitaire constitue un nouveau pôle de référence ou
de distinction, il considère qu’elle a offert « une tribune aux valeurs qui
globalement sont celles des classes moyennes non intellectuelles » et qu’elle
« a certainement contribué à une relative déculpabilisation à l’égard de la
culture cultivée ; elle a aussi, de ce fait, rendu moins difficile l’aveu d’antiintellectualisme parmi les catégories sociales faiblement diplômées95 ». De
toute évidence, la culture médiatique sert encore ici de référence négative à
la culture consacrée. On oscille donc entre une conception du rôle
désinhibant des médias mais sur fond de domination culturelle et, d’un autre
côté, une recomposition et une autonomisation d’un système des valeurs
culturelles qui échapperait à la dialectique de la résistance et de la
domination. Cette question, centrale pour les théories de la réception, n’est
bien entendu pas nouvelle : elle a marqué le projet de dépassement du
misérabilisme et du populisme chez Grignon et Passeron96, lesquels n’ont
toutefois pas inclus à leur propos les formes les plus contemporaines de la
93. BOLTANSKI, 1975, p. 46.
94. Il s’agissait pour L. Boltanski de montrer comment la relation en porte-à-faux à la culture
dominante – pour les individus issus des classes populaires mais dotés de nouvelles
dispositions par l’effet de la scolarisation – conduisait à investir dans des activités dénuées de
légitimité mais selon des modalités comparables à celles requises par la culture savante :
collectionner, classer, rechercher des éditions disparues, établir des bibliographies. J’ai repris
pour partie cette thèse du transfert de légitimité pour décrire les activités au sein d’un fan-club
de série télévisée et des trajectoires de fans marquées par une mobilité sociale ascendante :
LE GUERN, 2002, p. 177-215. Voir également LE BART, 2000.
95. DONNAT, 1994, p. 147.
96. GRIGNON, PASSERON, 1989.
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Présentation
35
culture populaire, en particulier la télévision ; elle a trouvé de nombreux
prolongements au sein des cultural studies, notamment autour de la notion
de sous-cultures. Toutefois, l’approche de la culture que propose ce courant
d’études – au demeurant hétérogène97 – reste ambiguë. On balance entre la
résistance à un ordre social donné (la domination sociale, raciale ou
sexuelle…) et la capacité à produire des traits culturels originaux ; mais
l’insistance sur le récepteur résistant entérine du même coup l’existence de
l’ordre économique et social hégémonique contre lequel il est amené à
résister. Et l’accent peut devenir franchement pessimiste quand les auteurs
pointent la capacité de la culture dominante à récupérer les sous-cultures :
Dick Hebdige montre par exemple que le triomphe de la culture mod dont
« la base du style tient dans l’appropriation et la réorganisation par le sujet
d’éléments du monde objectif qui, sans cela le détermineraient et
l’écraseraient » est très relatif. Car « les mods sous-estimaient la capacité de
la culture dominante à absorber les images subversives, à encaisser l’impact
de l’imagination anarchique98 ». Enfin, elle structure les débats sur la
question du plaisir, en particulier pour les générations socialisées dès leur
enfance par l’audiovisuel et les médias ; par exemple, elle pose la question
de la valeur de la télévision commerciale : s’agit-il de mystifier les audiences
les moins cultivées en leur servant des programmes faciles ou de répondre
aux attentes du public populaire en matière de divertissement99 ?
A propos de l’économie médiatico-publicitaire, on notera que la juvénisation
des publics, qui voit le jour dans les années 1960 et qui est amplifiée dans les
années 1980-1990 par une série de facteurs conjoints100 a contribué à la
promotion de la télévision, de la musique, du cinéma. On assiste ainsi à des
va-et-vient entre des produits culturels qui ne s’opposent plus simplement par
leur degré de légitimité : « Entre le film, la télévision et le livre, les
communications sont nombreuses et, dans ce circuit, le livre ne bénéficie pas
97. Voir MATTELART, NEVEU, 1996.
98. HEBDIGE, 1996. Des remarques similaires sont faites par Simon Frith à propos du rock
et de sa récupération par le marché. Voir FRITH, in MIGNON, HENNION (sous la direction
de), 1991. Voir aussi MARCUS, 1998, à propos du mouvement punk.
99. Voir la thèse provocatrice de Ien Ang sur la télévision commerciale attentive à satisfaire
les désirs du public par opposition à un service public volontiers paternaliste. ANG, in
PATTERSON, DRUMMOND, 1985.
100. Facteurs parmi lesquels ont doit compter l’accès à une plus grande indépendance dans le
choix des dépenses, la prise en compte des goûts des publics jeunes par les chaînes télévisées,
l’industrie discographique, le marché de la vidéo puis du DVD qui en font des cibles
privilégiées.
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Réseaux n° 117
d’un statut d’autonomie qui le placerait à part. Le centre de gravité de son
univers d’appartenance est plus proche de l’univers des médias que de la
culture littéraire101 ». Pour toute une partie du public, la lecture du Comte de
Monte-Cristo est postérieure à la découverte de la série à la télévision. Des
œuvres au statut très différent peuvent être réunies dans un univers commun :
un film d’horreur est associé à la lecture du Horla102. En outre, l’usage du
magnétoscope puis du DVD ont permis de s’affranchir du continuum qui
structurait la réception télévisuelle : ils rendent possible un type d’usage assez
comparable à la lecture de livres. D’autre part, il est difficile de considérer par
exemple la télévision comme un média homogène et homogénéisant : Arte
n’est pas M6 et le capital symbolique des chaînes, le type de programme, la
tranche horaire de diffusion, etc. interdisent de concevoir la télévision
uniquement en termes de culture massifiante. Si l’on peut parler de culture de
masse, c’est plutôt au sens où la consommation télévisuelle a eu tendance à se
généraliser au sein des différentes catégories sociales. Enfin, la généralisation
de la culture médiatique et l’hybridation de la culture cultivée – dont la
consécration et la patrimonialisation du jazz ou du rock auprès des fractions
cultivées modernes est un des nombreux signes103 – ont superposé à
l’opposition traditionnelle du populaire et du cultivé ou de l’illégitime et du
consacré celle du ringard et du branché. La culture « populaire » devient ainsi
un réservoir de signes distinctifs, en particulier pour ceux qui, maîtrisant
suffisamment les codes, parviennent à convertir les signes de la ringardise en
éléments cultivés de la modernité branchée104.
Conclusion : retour provisoire sur la domination…
La thèse de l’économie médiatico-publicitaire pose un triple enjeu : d’une
part, elle met en question le système de la consécration culturelle. D’autre
101. BAUDELOT, CARTIER, DETREZ, 1999, p. 137.
102. Idem.
103. DONNAT, 1994, p. 358-362.
104. BOURDIEU, 1979, p. 321 : « En ce cas, c’est la manière de consommer qui crée en tant
que tel l’objet de la consommation et la délectation au second degré transforme les biens
‘vulgaires’ livrés à la consommation commune, westerns, bandes dessinées, photos de
famille, graffitis, en œuvres de culture distinguées et distinctives ». Voir par exemple la
rubrique gay de Libération du 27 décembre 2002, p. 27 : « Et, bien sûr, le Scorp’ dont le
nouveau sound-system permet de redécouvrir de vrais jalons de la musique du XXe siècle
comme Eve lève-toi de Julie Pietri, Besoin de rien, envie de toi de Peter et Sloane, et Voyage,
voyage de Desireless. » Sur un usage au second degré de la culture « non cultivée », voir
PASQUIER, 1999, p. 204-213.
Présentation
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part, elle interroge la production de nouvelles valeurs en rapport avec les
industries culturelles et la culture médiatique et leur pouvoir distinctif. Enfin,
elle constitue une étape essentielle dans l’analyse des phénomènes de
marchandisation et de domination culturelles.
Tout d’abord, concurrente de la critique traditionnelle, elle menacerait un
système relativement autonome en lui substituant de nouvelles modalités de
légitimation, plus proches des techniques de marketing que de l’évaluation
objective. Placée sous l’emprise directe du marché et pratiquant la confusion
des genres, son rôle relèverait plus de la promotion que de la critique : la
spéculation gagnant le marché de l’art, la mise en avant de l’auteur plutôt
que l’œuvre, la mondialisation et l’homogénéisation du marché des livres,
des disques… signeraient l’état des nouveaux rapports entre art et économie.
Or, on peut aussi considérer que l’idée d’une critique pure reste un idéal
type, que la critique n’est pas indépendante des conditions sociales de sa
production et que ces dernières soulignent, en creux, les limites de son
autonomie. A ce titre, il n’est pas certain que la valorisation largement
mythifiée du statut et du rôle de la critique « traditionnelle » – dont la forme
la plus « pure » se trouverait dans la presse d’art, dans les journaux
spécialisés ou à fort capital symbolique, ou dans les listes et les classements
produits par des classeurs « professionnels » tels les jurys littéraires – puisse
se faire simplement sur le dos de la consécration médiatique. Au demeurant,
les nouvelles voies de la consécration apparaissent elles-mêmes hétérogènes
et la frontière est parfois étroite entre la connaissance et la reconnaissance
qu’elles peuvent susciter, c’est-à-dire entre la notoriété médiatique et la
notoriété artistique qui peuvent s’additionner mais qui ne se confondent pas
a priori. Si on assiste à des réaménagements entre les médias, l’économie et
l’art, suffit-il par exemple de déplorer l’artificialité mais aussi l’efficacité du
système Star Academy pour épuiser l’analyse des nouvelles voies de la
consécration culturelle ? Avec un brin de provocation, n’assiste-t-on pas au
contraire à l’émergence d’un système de consécration qui, à la différence de
la critique, fortement normative, émancipe le public et revalorise l’ordinaire
du plaisir ? Que se passe-t-il lorsque la télévision et ses animateurs
construisent la célébrité médiatique105 tandis que les consacreurs
« légitimes » perdent le monopole de la consécration ?
105. CHALVON-DEMERSAY, PASQUIER, 1990.
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Réseaux n° 117
Sans doute le principal mérite de l’économie médiatico-publicitaire est-il
d’avoir contribué à élargir l’espace des pratiques culturelles en ouvrant le
système de consécration à des œuvres qui étaient exclues de la hiérarchie
traditionnelle des valeurs. On peut penser que les usages de la télévision, du
magnétoscope, etc. ont bouleversé la stratification des pratiques culturelles
telles qu’elles ont été identifiées depuis plus de vingt ans dans les différents
rapports sur les pratiques culturelles des Français. Toutefois, il ne suffit pas
de dire que la télévision, notamment, a fonctionné comme un nouveau
« passeur » culturel. On peut s’interroger sur la nature du savoir qu’elle
diffuse : incite-t-elle à aller voir un spectacle ou à lire un livre ou bien la
connaissance approximative qu’elle installe – le nom de l’auteur, des
éléments biographiques – est-elle une modalité d’appropriation qui peut se
suffire ? Autrement dit, la visibilité sociale d’un écrivain, par exemple,
garantit-elle que son œuvre soit lue et la notoriété conférée par les médias ne
permet-elle pas plutôt au public de faire l’économie d’une confrontation
directe aux œuvres ? On peut aussi penser que la généralisation des médias –
que seule une minorité de résistants culturels refuse – a partiellement
redéfini l’opposition du consacré et de l’illégitime, du cultivé et du
populaire. Ce sont aussi les modalités d’appropriation de la culture et les
logiques distinctives qui sont ébranlées par la montée de l’économie
médiatico-publicitaire : la ligne de clivage ne se situe plus, ou plus
seulement, entre les classes dominantes et les classes populaires, mais par
exemple entre les pratiques porteuses des signes de la modernité et celles qui
sont marquées par la ringardise. De même, la culture populaire peut faire
l’objet d’usages cultivés, comme l’atteste l’exemple des fans.
La dernière interrogation porte, on l’a dit, sur la marchandisation de la
culture : constatant que les majors sont présentes à la fois dans les médias, la
presse, les réseaux de distribution, on peut voir l’économie médiaticopublicitaire comme le moyen le plus sûr, pour les grandes entreprises de
production et de diffusion culturelles, d’assurer la réussite commerciale des
« produits maisons ». Les théories de la réception ont pourtant contribué à
relativiser les pronostics les plus sombres sur la standardisation de la culture
en dressant le portrait – souvent irénique, et parfois au prix d’une lassante
routinisation des concepts et des auteurs « incontournables » (Hoggart, de
Certeau, Thiesse…) – d’un lecteur imprévisible. De nombreux exemples
illustrent quel degré d’élaboration savante atteint l’appropriation des
produits diffusés par la culture « de masse ». Mais est-il certain que ce point
de vue sur le consommateur décodeur, qui ne dit pas grand-chose des
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stratégies industrielles de la production culturelle, suffise à mettre hors-jeu
les forces du marché ?
C’est à l’examen de ces différents aspects que s’attache ce numéro de
Réseaux. Quatre études prennent pour terrain d’analyse la consécration du
livre et des écrivains : les deux premiers articles portent sur le
fonctionnement des jurys littéraires ; les deux suivants sur le poids de la
télévision dans la consécration littéraire. Sylvie Ducas-Spaës s’intéresse à
l’irruption de la radio et des magazines comme nouveaux consacreurs à
partir des jurys du prix du Livre Inter et des lectrices de Elle. Claude Poliak
étudie le prix France Loisir destiné à découvrir de nouveaux talents. Cet
article met au jour l’ensemble du processus de définition sociale de
l’écrivain, les espoirs et les ratés qui l’accompagnent. L’article de Philippe
Teillet et moi-même souligne la force de la télévision comme opérateur de
consécration. Il montre comment une émission vitrine de Canal + a pu
contribuer au succès de Marie Darrieussecq et faire connaître son premier
roman. Il montre aussi que les bénéfices de la consécration profitent à
l’émission et à la chaîne. Christine Détrez analyse ensuite, du point de vue
du public, la réception de feuilletons télévisés ou de comédies musicales
adaptés d’œuvres littéraires. S’agit-il là d’une nouvelle voie d’accès pour le
plus grand nombre à la littérature ? En conclusion, Matthieu Béra s’interroge
sur les conditions de possibilité de la critique d’art aujourd’hui : assiste-t-on
à un dépérissement de la critique au profit de nouvelles modalités de
consécration ? En toile de fond, la question de la valeur apparaît comme un
enjeu central non seulement pour l’esthétique mais pour toute réflexion sur
l’autonomie des champs artistiques.
En Varia, on trouvera tout d’abord l’article de Laurence Allard et Frédéric
Vandenberghe qui explore les voies de la reconnaissance qu’ouvrirait
aujourd’hui Internet : cette étude prend notamment pour objet une forme
originale de consécration offerte par les Nets d’or à l’initiative de France
Télécom et pose la question de la valorisation de l’expression personnelle
sur les homepages.
Daniel Memmi apporte quant à lui sa contribution à l’économie de
l’information en envisageant les facteurs de viscosité dans la circulation des
connaissances. Il met en relief les coûts d’accès, d’acquisition et d’utilisation
des connaissances que les technologies ne suffisent pas à réduire, ce qui
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Réseaux n° 117
conduit l’auteur à proposer une rationalisation accrue de l’emploi des
connaissances, notamment celles qui relèvent du tacite.
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On lira enfin la contribution de Laurence Kaufman à l’étude du concept
d’opinion publique dont elle réfute une conception dualiste qui oppose sans
les relier un pôle subjectif et privé, du côté de l’« opinion » et un pôle
objectif, du côté du « public ». Que cette tension soit mise en valeur et
l’opinion publique relèvera d’un oxymoron, une obscure clarté, qu’elle soit
résolue et elle versera alors dans le pléonasme. L’opinion est située en fait à
l’intersection du mental et du social.
REFERENCES
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