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chapitre i
Jérôme Bosch
vers 1450-1516
Vers 1577, une note ajoutée pour l’année 1516 dans un registre des décès de la Confrérie de
Notre-Dame à Bois-le-Duc stipulait : « Hieronimus Aquen[sis] alias Bosch, insignis pictor »
– « Jheronimus van Aken alias Bosch, peintre célèbre ». Par ces mots, un demi-siècle après
la mort de Jérôme Bosch, cette société dévote résolument élitiste attestait qu’il avait été un
de ses membres remarquables et qu’il portait, en plus de son patronyme de Van Aken, le
pseudonyme de Bosch (Bois), qui faisait référence à la ville où il était né et où il vivait, non
à son origine1. Il s’agit donc d’un toponyme : le peintre Jérôme est né à Bois(-le-Duc), où il
réside. En même temps, il faisait un jeu de mots avec son propre prénom, car, à l’époque,
Jérôme/Hiëronymus signifiait « bois sacré » (voir cat. 1). Jérôme était donc le seul de sa
famille, venue d’Aken (Aix) par Nimègue, à porter le nom de Bosch. Depuis quand, nous
ne le savons pas exactement, mais peut-être ce changement s’est-il produit au moment
où il est devenu frère juré de la Confrérie de Notre-Dame, en 1487-1488. Peu après, il peignit Saint Jean à Patmos, panneau qui se trouve actuellement à la Gemäldegalerie de Berlin (cat. 6). Selon toute apparence, c’est le premier tableau qu’il ait signé de son nom latinisé « Jheronimus bosch ». Non content de se hisser jusqu’à l’élite urbaine qui maîtrisait
le latin, l’artisan peintre avait accompli cette manœuvre avec classe. Il signait son œuvre
d’une manière jusqu’alors inconnue, en lettres calligraphiées parfaitement lisibles, qu’il
positionnait systématiquement de la même manière le long du bord inférieur de ses panneaux – généralement en noir, deux fois en jaune clair et même une fois en lettres dorées.
Dans les sources écrites contemporaines à Bois-le-Duc, le peintre n’est désigné par ce nom
qu’à un seul endroit. En 1510, il est précisé coup sur coup, deux fois de suite : « die hem selver scrift Jheronimus bosch ». Littéralement, cela signifie donc qu’il signait de ce nom, et
non qu’il était appelé ainsi à Bois-le-Duc2. En dehors de la ville, par contre, il était désigné
par ce nom, comme l’indique une mention « Jheronimus van Aeken dit Bosch » dans les
comptes de Bourgogne en 15043.
Jérôme Bosch, ou plutôt J(er)oen van Aken, était issu d’une famille de peintres plutôt
obscurs, dont nous connaissons sans doute les noms, mais dont aucun tableau n’est arrivé
jusqu’à nous, et sur les œuvres desquels nous ne possédons pratiquement aucun document
d’archives. Grâce à un esprit hors du commun et un talent exceptionnel, Jérôme Bosch réussit à se démarquer de sa famille au sein d’une ville commerçante située dans le nord du
Brabant, cité relativement prospère mais dépourvue de cour séculière ou ecclésiastique,
d’organes administratifs supralocaux et même d’une tradition artistique digne de ce nom.
Une ville qui avait été fondée par le duc de Brabant à la fin du xii e siècle – « des Hertogen
Bosch », le bois du duc – et qui était, avec Louvain, Bruxelles et Anvers, une des quatre capitales du Brabant.
ill. 1 L’enfer, volet droit du
Jardin des délices [cat. 21c]
ill. 2 La signature de Bosch sur Saint Jean à Patmos [cat. 6a] est probablement
la toute première utilisant la version latinisée de son nom.
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Origine et famille
Vers 1426, le grand-père de Jérôme, Jan van Aken, quitta Nimègue, dans la Gueldre, pour
gagner Bois-le-Duc avec sa famille4. « Johannes die maelre » (Jan le peintre), comme il était
généralement nommé, avait épousé une certaine Katharina, qui lui avait donné cinq fils
et probablement une fille. En 1430-1431, les conjoints se firent membres de la Confrérie
de Notre-Dame et, dès lors, Jan reçut régulièrement des commandes de celle-ci, ainsi que
d’une autre institution de Bois-le-Duc, la Table du Saint-Esprit, qui se consacrait à la charité. En 1431-1432, Jan van Aken dessina les « coevels » de la Confrérie de Notre-Dame, les
chaperons ou capuchons que les frères jurés de la Confrérie de Notre-Dame, groupe porteur
élitaire de cette association, allaient porter pendant plusieurs siècles5 (voir cat. 24). Katharina étant morte prématurément en 1432, Jan se remaria avec une certaine Christina ; le
couple habitait Vughterstraat6. Quatre des cinq fils de Jan se firent peintres : Thomas, l’aîné ;
Jan, qui s’établit probablement à Bruges ; Goeswijn, qui travailla, comme son père, pour
la Confrérie de Notre-Dame, ainsi que pour le Grand Hôpital ; et enfin Anthonius, le père
de Jérôme7. Les informations sur le cinquième fils, Hubertus, nous font défaut. En 14541455, Anthonius, accompagné de son épouse Aleid van der Mynnen, se joignit à la Confrérie de Notre-Dame, qui ne lui ménagea pas les commandes. Le couple eut cinq enfants :
deux filles et trois fils, dont Jérôme8. À partir de 1462, la famille vécut dans une maison en
pierre avec cave de plus de quatre mètres de large, achetée par Antoine à Bois-le-Duc, du
côté est de la Grand-Place, au milieu de six autres immeubles de la même taille, qui abritaient des logements et des ateliers d’artisans prospères9. Marchant sur les traces de leur
père et de leur grand-père, les trois fils d’Anthonius et d’Aleid optèrent à leur tour pour la
peinture. Goeswinus Anthoniusz, l’aîné, travaillait notamment pour l’église Saint-Jean et la
ill. 6
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ill. 3 Saint Jérôme en prière [cat. 1]
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ill. 4a-d Oreilles : Saint Christophe [cat. 7] et Saint Jérôme en prière [cat. 1]
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ill. 5a-p Oreilles
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qu’est-ce qu’un bosch ?
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ill. 6a-b Curtain viewer et synchrone parallel viewer sur le site du brcp :
détails correspondant de Saint Jean-Baptiste [cat. 5] en lumière visible,
photographie infrarouge (pir), réflectogramme infrarouge (rir) et radiographie
Pierres angulaires
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De la précision de l’analyse et de l’évaluation des arguments découle la décision de considérer une œuvre comme « Jérôme Bosch », « Jérôme Bosch et atelier », « atelier » ou « suiveur ». Si nous nous limitons à « atelier », c’est que le tableau ou le dessin concerné est
proche de Bosch, mais que rien ne nous permet de le rattacher directement au maître. L’étiquette « suiveur » signifie qu’il y a quantité d’éléments boschiens, mais pas de raison de
situer l’œuvre dans l’atelier de Jérôme Bosch à Bois-le-Duc. Dans l’immense majorité des
cas, nous avons affaire à des œuvres qui véhiculent, depuis la fin du xixe siècle ou la première moitié du xx e, une vaste historiographie. Il importe alors de procéder à un réexamen
critique des considérations émises par les chercheurs antérieurs, à la lumière des nouvelles
informations disponibles. De même, l’examen archivistique et historique fournit parfois
des données nouvelles ou nuance des prises de position plus anciennes. Dans un certain
nombre de cas, ce processus nous amène à faire passer dans le groupe des « suiveurs »,
par souci de rationalité, des œuvres qui sont toujours présentées, en dépit d’un doute prononcé, comme des tableaux authentiques de Jérôme Bosch : la Tentation de saint Antoine au
Prado, le fragment du Jugement dernier à Munich, le Triptyque de la Passion à Valence, les fragments d’une Adoration des mages, et aussi le Couronnement d’épines à l’Escurial. Le Portement
de croix de Gand (cat. 29), un magnifique tableau qui occupe une place à part, car pour beaucoup, en tout cas dans le grand public, il apparaît comme une œuvre très caractéristique de
Jérôme Bosch, fait également partie de ce groupe (cat. 26-32). En l’occurrence, l’aura acquise
par le tableau est telle qu’aujourd’hui encore, bien que les pièces comparatives sur la base
desquelles il a été déclaré de la main de Bosch vers 1900 ne soient plus considérées comme
authentiques, il continue à fonctionner comme la pierre angulaire de l’œuvre de Bosch.
Un bon point de départ pour la reconstitution de l’œuvre de Jérôme Bosch est l’Adoration
des mages du Prado (cat. 9). C’est un tableau d’une qualité sublime, qui a merveilleusement
résisté au temps et reste en majeure partie d’origine. Il est signé et pourvu de donateurs
parfaitement identifiables grâce à leurs armoiries et placés dans un contexte socioculturel adapté. De même, Saint Jean à Patmos (cat. 6) et son pendant probable Saint Jean-Baptiste
(cat. 5) peuvent être considérés comme les bases et les pierres angulaires de l’œuvre reconstituée de Bosch. Saint Jean à Patmos est signé et peut, en même temps que Saint Jean-Baptiste,
être situé avec précision à Bois-le-Duc, avec une datation approximative. Le triptyque de
Boston (cat. 24) constitue également, fût-ce d’une manière différente, un point de référence
important. Grâce à l’identification des portraits des donateurs et leur contexte historique,
le triptyque doit être situé à Bois-le-Duc. L’iconographie, la composition, le langage formel
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Valeur et appréciation
ill. 1 La Tentation de saint Antoine
(Lisbonne) [cat. 4b]
Qu’est-ce qu’un Bosch ?
L’art de qualité est rare, exclusif, coûteux et désirable. Entre les mains de son possesseur,
l’œuvre d’art est quelque chose à savourer – comme expression de la dévotion et aide à sa
manifestation, pour ce qu’elle représente, mais aussi en tant que telle. L’art est un moyen
de se faire valoir et, quand on peut l’offrir, une manière astucieuse de s’attirer les faveurs de
celui à qui il est destiné. L’art est aussi politique. Plus il est exclusif, plus il devient politique.
Ainsi, Le Jardin des délices (cat. 21) est une œuvre d’art particulièrement exclusive. Les
dimensions en sont imposantes, le thème audacieux, l’exécution assurée. C’est un tableau
qui éclate d’ambition. Un tableau qu’on a envie de posséder, comme le prince Guillaume
d’Orange s’en est rendu compte en 1568. Le 20 janvier de cette année-là, ses biens furent
confisqués par Fernando Alvarez de Toledo, duc d’Albe, un général que le roi Philippe II
avait nommé, peu de temps auparavant, gouverneur des Pays-Bas. À ce moment, Guillaume
s’était déjà réfugié à Dillenburg (Land de Hesse, Allemagne). Parmi les biens provenant de
l’hôtel de Nassau, le palais sur le Coudenberg, se trouvait « ung grand tableau de Jeronimus
Bosch », dont on estime qu’il s’agissait du Jardin des délices. De Henri III de Nassau, le triptyque était passé à René de Chalon, avant que Guillaume d’Orange n’en prenne possession
en 1544. Ce dernier a donc pu profiter de l’original pendant près d’un quart de siècle.
Dès cette époque, cette qualité d’original de Bosch était appréciée à sa juste valeur. En
1566, Antoine Perrenot de Granvelle, cardinal et conseiller de Philippe II, en avait fait faire
une copie sous forme de tapisserie. Copie si réussie que le duc d’Albe lui-même voulut l’emprunter pour faire réaliser une nouvelle tapisserie. Idée rejetée par Odet Viron, le gérant
de Granvelle, qui fit savoir au duc d’Albe que « le principal est sur le prince d’Orange » et
qu’une copie de l’original serait beaucoup plus réussie 1.
Pour Granvelle, qui craignait manifestement de ne jamais revoir sa tapisserie, le
« danger » n’était pas écarté pour autant : après avoir dérobé l’original chez Guillaume, Albe
revint à la charge pour la tapisserie du cardinal. Il voulait tout. Les craintes de Granvelle se
révélèrent toutefois infondées, car Albe, ayant reçu sa propre copie, lui restitua son exemplaire. Quoi qu’il en soit, il existait alors trois tapisseries d’après Le Jardin des délices, une
copie tissée du Jardin étant mentionnée dès 1542 dans les collections du roi de France François Ier. Cela signifie que l’œuvre de Bosch, si peu conventionnelle qu’elle fût, était appréciée
jusque dans les plus hautes sphères. Bien plus : les amateurs estimaient justifié de la faire
copier en grand format sous forme de tapisserie, forme d’art extrêmement dispendieuse.
Et la représentation n’était pas seule en cause : le nom de l’artiste contribuait aussi au succès
de l’œuvre. Il est toujours spécifié qu’il s’agit d’une œuvre de Jérôme Bosch, alors que l’original du Jardin des délices – « le principal », comme l’appellent les documents d’archives – n’est
pas signé. Cette appréciation existait déjà du vivant de Bosch, tant dans les élites municipales et régionales qu’au sommet des États bourguignons. C’est ce qui ressort des différentes commandes confiées à Bosch et des inventaires qui mentionnent ses tableaux. En
1504, le duc de Bourgogne Philippe le Beau lui commanda un tableau du Jugement dernier2.
Les comtes de Nassau acquirent Le Jardin des délices et, en 1517, donc l’année après la mort
de Bosch, le triptyque ornait leur palais bruxellois. Hippolyte de Berthoz, un haut fonctionnaire de la cour de Bourgogne, possédait un triptyque sur la tentation de saint Antoine, que
son fils Charles dut vendre à Philippe le Beau. Celui-ci en fit cadeau à son père, le puissant
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Jérôme Bosch
Vers 1495-1505
Huile sur chêne, panneau central 190 × 175 cm ;
volets 187,5 × 76,5 cm
Inscription à l’intérieur des volets : (en haut à gauche)
Ipse dixit et facta sunt ; (en haut à droite) Ipse mandavit et
create sunt (Il a dit et la terre fut faite ; Il a commandé et
ils furent créés. Psaumes 33 : 9) Madrid, Museo Nacional del Prado, 2823
(prêt du Patrimonio Nacional)
Données de recherches et de documentation brcp :
Le brcp n’a pas reçu l’autorisation d’examiner
la peinture du Prado. //Boschproject.org, no 21.
État de conservation
Le triptyque s’inscrit dans un cadre moderne, mais
il reste des vestiges du cadre original engagé, avec
des barbes et des bords non peints par-dessous.
Les montants primitifs du cadre du panneau central
avaient une base plus large 1. Le revers du panneau
central a été affiné et parqueté, et des lattes ont
visiblement été ajoutées sur les côtés. La couche de
préparation et la couche picturale d’origine sont très
abîmées, en particulier dans le panneau central et
sur la face externe du volet droit, également renforcé
par la suite avec des queues d’aronde. L’adhérence
Le Jardin des délices
de la peinture manifestement pauvre en liant laisse
à désirer. La couche picturale a été consolidée en
1944-1945 ; des traces de protection avec un tissu en
gaze témoignent encore de ce traitement. L’usure est
importante et une grande partie des craquelures se
sont ouvertes. Les laques vertes sont mieux conservées
dans le paysage sur la face interne du volet gauche.
Le tableau a été restauré en 1999-2000 et les surfaces
picturales d’origine sont bien lisibles. Le brcp n’a pas
obtenu l’autorisation d’examiner et de documenter
le tableau au Prado 2.
Provenance
1517 Henri III de Nassau (Palais de Nassau sur
le Coudenberg, Bruxelles) ; 1538 René de Chalon ;
1544 Guillaume d’Orange ; 1567-1568 Fernando Alvarez
de Toledo, duc d’Albe ; entre 1567/1568 et 1591 Fernando
de Toledo, fils bâtard du duc d’Albe ; 1591 Philippe II ;
offert à l’Escurial par Philippe II en 1593 ; au Museo
Nacional del Prado depuis 1939.
Bibliographie
Fischer 2013, 21, 101-120, 247-249 ; Koreny 2012, 28, 29,
184-188 ; Falkenburg 2011 ; Silver 2006, 32-79 ; Dempsey
2004, 247-270 ; Belting 2002 ; Garrido et Van Schoute
2001, 161-193 ; Koldeweij, Vandenbroeck et Vermet
2001, 64-66, 68-70, 90-91 ; Silva Maroto 2000a ;
Yarza Luaces 1998 ; Moxey 1994, 111-147 ; Vandenbroeck
1990, 9-192 ; Vandenbroeck 1989, 9-211 ; Wirth 1988,
545-585 ; Marijnissen 1987, 84-154, 465, 466 ; Gibson
1973, 1-26 ; Gombrich 1967 ; Steppe 1967 ; Bax 1956 ;
Von Baldass 1943, 25-28, 52-53, 238-240 ; Friedländer
1927, 104-105, 153.
Analyse
Ce triptyque, qui doit son intitulé de Jardin des délices
à la scène haute en couleur déployée sur son panneau
central, raconte une histoire qui va de la Création sur
l’extérieur du triptyque fermé à l’enfer de la Fin des
Temps sur la face interne du volet droit. Le thème
principal est une mise en garde contre la concupiscence
humaine créée par Dieu et apparue dans le monde avec
le premier couple. Lors de l’exécution de ce retable,
la plus grande œuvre de Jérôme Bosch arrivée
jusqu’à nous, le peintre semble avoir longuement
hésité sur la forme et le langage pictural les plus
opportuns : à cet égard, les nombreuses modifications
sont révélatrices. Jérôme Bosch s’étant inspiré
de la Weltchronik de Hartmann Schedel, le triptyque
ne peut pas avoir été réalisé avant 1494. En 1517,
il se trouvait à Bruxelles dans le palais des comtes
de Nassau, qui l’avaient très probablement commandé
à Bosch au début du xvie siècle.
des « représentations bizarres »
Le 23 décembre 1493, à Nuremberg, le point final fut mis à une chronique du monde,
depuis le début de la création jusqu’à l’époque contemporaine. Cet ouvrage imprimé, très
ambitieux par son ampleur, son format et le nombre de ses illustrations, conquit l’Europe
à un rythme accéléré, durant la période suivante, sous le nom de Weltchronik de Hartmann
Schedel. La première de ses plus de 1800 illustrations constitua une source d’inspiration
importante pour Jérôme Bosch lorsqu’il peignit Le Jardin des délices, sa propre chronique
de l’univers. Dans la gravure sur bois de Wilhelm Pleydenwurff et Michael Wolgemut,
un Dieu le Père couronné trône au milieu des nuages, tenant un globe de la main gauche
tout en bénissant de la main droite. Dans une banderole au-dessus de sa tête, on distingue
la citation : Ipse dixit et f[ac]ta su[n]t ; ipse ma[n]dav[i]t [et] creata su[n]t Psalm 32 (Il a dit
et la terre fut faite ; il a commandé et ils furent créés. Psaume 323). Cette gravure sur bois,
qui occupe une page entière, est un hommage visuel au Dieu omnipotent, créateur et souverain.
Bosch est parti de ce bois pour peindre le préambule au Jardin des délices, la grisaille sur
les faces externes des volets du triptyque. Son œuvre présente cependant quelques modifications fondamentales par rapport à son modèle. Ainsi, Dieu ne porte pas une couronne
profane, mais une tiare pontificale, et Bosch a remplacé le globe par un livre. De plus, chez
Bosch, le monde que Dieu tient à la main dans l’illustration de la Weltchronik flotte aux
pieds du Créateur comme une grande sphère transparente sur un fond sombre. Ce monde
en relation avec Dieu constitue le thème de ce triptyque, qu’une inscription dans le couvent des hiéronymites à l’Escurial, datant du 8 juillet 1593, a décrit comme « la bariedad del
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